# 15 Explorons nos territoires sonores (juillet 2018) http://www.rebonds.net/15exploronsnosterritoiressonores Thu, 11 May 2023 18:55:40 +0200 Joomla! - Open Source Content Management fr-fr Quel est votre paysage sonore ? http://www.rebonds.net/15exploronsnosterritoiressonores/433-quelestvotrepaysagesonore http://www.rebonds.net/15exploronsnosterritoiressonores/433-quelestvotrepaysagesonore Dans quelques jours, à Menetou-Ratel, dans le Sancerrois, s'ouvrira la 9e édition de la fête de l'association du paysage. Au programme : des promenades, des contes, des installations, de la musique… avec, notamment, un dispositif pour écouter le « bruit » des étoiles ! Ici aussi, Art et Science se marie (lire la rubrique (Ré)acteurs), pour révéler et composer des paysages sonores.

Depuis 38 ans, je me réveille avec eux. Les oiseaux. Même lorsque je vivais en ville, il y avait ce couple de pigeons et leurs roucoulements si agaçants…
Mon père m'a appris à reconnaître certains chants, certains plumages ; j'aurais aimé tout retenir avant qu'il tombe dans le silence. Et puis j'ai découvert « Le catalogue d'oiseaux » du compositeur Olivier Messiaen. Et puis j'ai entendu Jean-Claude Ameisen raconter, à la radio, comment les oiseaux chanteurs composent leurs mélodies (1). Et puis j'ai lu « La conférence des oiseaux » par Farid-ud-Din'Attâr…Dessin Nathalie juillet
Depuis le début de ma vie, les oiseaux composent donc en grande partie mon « paysage sonore ». Et vous ? Qu'est-ce qui compose le vôtre ?

L'émergence du concept

C'est le compositeur et écologiste canadien Raymond Murray Schafer qui, en 1977, aurait le premier formulé le concept de paysage sonore, « soundscape » en anglais (2).
Le terme paysage est généralement lié au regard. Il définit ce qui s'offre à la vue ou la représentation de ce qui est vu, par la peinture, le dessin ou la photographie. De la même manière, le terme de « paysage sonore » renvoie à la fois à ce que nous entendons – notre environnement sonore – et la représentation que nous en faisons, par exemple en musique. Il peut s'agir de sons créés par les êtres vivants non-humains (les animaux, les plantes, les éléments) ou par les êtres vivants humains (liés à leurs activités). La frontière entre les deux s'efface, conformément à la pensée écologiste qui naît également dans les années 1970.

L'écologie sonore

Raymond Murray Schafer est l'un des fondateurs du projet mondial d'environnement sonore à l'université Simon-Fraser, dont l'objet est l'écologie sonore. Le but est d'étudier la relation entre les organismes vivants et leur environnement sonore. De nombreuses disciplines peuvent arpenter ce champ de recherches : la biologie, la zoologie, la physique acoustique, la musicologie, la sociologie…
Roberto Barbanti, maître de conférences de la filière Arts Plastiques à l'université Paris 8, propose une définition de l'écologie sonore « pensée en tant que  rapport du son à la « maison » – oïkos – c'est-à-dire la place du son dans la relation à notre demeure commune, le monde, et à notre façon de l'appréhender. En d’autres termes, le rapport (à) son monde. Dans l'écologie sonore, il  n'est pas « simplement » question de nuisances, voire de pollution, mais de la place du son dans la relation à nous-mêmes, à l'autre et au contexte global auquel nous appartenons. Le monde, justement » (« Écologie sonore et technologies du son », Sonorités n° 6, 2011).

Au fil du temps, ceux et celles qui se sont intéressé.es à l'écologie sonore ont contribué à mettre en évidence les dysfonctionnements qui touchent la nature, notamment à cause de la pollution.

Les traces d'une biodiversité en danger

C'est le cas de Bernie Krause, musicien et bioacousticien américain, à l'origine des termes de « biophonie » (ensemble des sons produits par les êtres vivants d'un écosystème) et de « géophonie » (sons produits par les éléments tels que le vent, la pluie, les séismes…).
Depuis cinquante ans, Bernie Krause balade son micro sur toute la planète : sa sonothèque compte 5.000 heures d'enregistrement de 15.000 espèces différentes. Il alerte régulièrement sur un constat sans appel : « Cinquante pour cent des sons dans mes archives proviennent d’endroits où les habitats n’existent plus. En une période de temps très courte... » (3) Lorsque les espèces disparaissent, les sons disparaissent. Comme les crapauds californiens victimes de la fréquence acoustique des avions qui couvrait celles de leurs cris d'alarme…

En France, l'ornithologue Jean-Claude Roché (4) possède, lui aussi, une riche sonothèque : 7.000 heures d'enregistrement de chants et cris d'oiseaux, d'amphibiens, de mammifères et d'insectes. Elles sont diffusées grâce à des guides sonores comme « Les Paysages Sonores », évocations en des différents milieux de la planète et « Les Grands Virtuoses », dédiés aux plus beaux chants d’oiseaux.

Une inspiration pour la musique

De nombreux musiciens et compositeurs – électroacousticiens, entre autres – travaillent sur l'écologie sonore.

A l'image de François-Bernard Mâche, docteur en musicologie qui suivit les cours de composition d'Olivier Messiaen. Si, comme lui, il a analysé l'organisation des chants des oiseaux, il a opéré différemment en s'appuyant sur le langage. Il est l'auteur de « Musique, Mythe, Nature » (Klincksieck, 1983) et a composé plus d'une centaine d'œuvres ainsi que des pièces pour le théâtre.chardonneret libre de droit 0
François-Bernard Mâche dialogue avec « la nature musicienne » de différentes façons : il enregistre les sons purement naturels et les montent pour former une œuvre électroacoustique ; ou il crée une œuvre mixte dans laquelle le « son culturel », instrumental de l'homme, se mêle au « son naturel », enregistré dans la nature ; ou bien encore la nature n'est plus qu'une inspiration, implicite.
Citons « Rituel d'oubli », durant laquelle l'orchestre dialogue avec les sons naturels.

Grâce aux procédés électroacoustiques, François-Bernard Mâche a révélé « l'inouï parce qu'oublié ou étouffé par des rumeurs plus acaparantes » (5), comme dans « Phonographies de l'eau ».

Ouvrons nos oreilles !

En attendant d'écouter le son des étoiles, le samedi 28 juillet à Menetou-Râtel, revenons à nos oiseaux. Selon une étude du Museum National d'Histoire Naturelle et du Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS) publiée en mars 2018, les espèces qui vivent en milieu rural ont vu leur population chuter de 52 % de 1989 à 2017. En cause : les activités agricoles. Dans le Berry, nous entendons donc deux fois moins les chardonnerets, les perdrix grises, le mineau friquet ou encore l'alouette des champs.
La technologie permet aujourd'hui d'en conserver une trace et de réaliser combien ils manquent à notre paysage sonore. Pour sauver notre planète et nous-mêmes, il est temps d'ouvrir les yeux, oui. Mais aussi, sûrement, nos oreilles…

Fanny Lancelin

(1) « Sur les épaules de Darwin » - Les battements du temps – le langage des oiseaux, en replay sur www.franceinter.fr
(2) Biographie de Raymond Murray Schafer : http://brahms.ircam.fr/raymond-murray-schafer
(3) Entretien avec Bernie Krause mené par Hélène Combis-Schlumberger sur France Culture : https://www.franceculture.fr/environnement/bernie-krause-contre-l-appauvrissement-des-sons-du-monde
(4) Biographie de Jean-Claude Roché : http://atana.fr/biographie/
(5) Biographie de François-Bernard Mâche : http://brahms.ircam.fr/francois-bernard-mache#parcours

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# 15 Territoires sonores Tue, 21 Mar 2017 14:47:31 +0100
Radio Résonance http://www.rebonds.net/15exploronsnosterritoiressonores/432-radioresonance http://www.rebonds.net/15exploronsnosterritoiressonores/432-radioresonance Comment le son peut-il habiter un territoire ? Sa propagation par la radio est un moyen. Zoom sur Radio Résonance, une structure associative qui a débuté dans les locaux du Groupe de Musique Electroacoustique de Bourges (GMEB). Gérard Bouillaguet, responsable des programmes de jour, répond à nos questions.

Les origines

« En quelle année est née l'Association Pour une Radio Associative et Culturelle (APRAC) à Bourges, berceau de Radio Résonance ?

Elle ne s'est pas toujours appelée Radio Résonance. La première souche est née en 1982. Elle s'appelait RCB pour Radio Culture de Bourges.
Nous avions l'autorisation depuis 1981. Avant, la radio était monopole d’État.
Au départ, la radio était hébergée en mode camping, dans des locaux du Groupe de Musique Electroacoustique de Bourges (GMEB). L'émetteur était installé sur l'ancienne Maison de la Culture.
L'Association Pour une Radio Associative et Culturelle à Bourges est née officiellement en 1991.radio résonance

L'APRAC a-t-elle d'autres activités en dehors de la radio ?

Non, c'est sa seule activité.

Qui sont ses fondateurs ? Etaient-ils déjà impliqués dans le milieu de la radio ou débutants ?

Il n'y avait que des débutants. Par exemple, un des tout premiers était Christian Fève (1), alors professeur de sport passionné de chanson française. Je n'étais pas là au tout début, je suis arrivé en 1994.

Quels étaient leurs objectifs ? Qu'est-ce qui les motivait à l'époque ?

Diffuser certains auteurs et compositeurs qui ne passaient pas sur les radios officielles. Même s'il y a quelques années de différence entre les deux, le destin de la radio est aussi lié à celui du Printemps de Bourges. Il y avait des idées communes.
Un autre des objectifs était de soutenir des communautés, notamment les Dom-Tom, qui n'avaient pas leur place sur les autres antennes.
Peu à peu, la radio est devenue de plus en plus culturelle avec des émissions sur le théâtre, les arts plastiques, la musique électro-acoustique…

A partir de 1991, des émissions étaient réalisées autour des quartiers nord de Bourges. La radio s'y est installée dans un HLM, dans une tour. Nous avons dû partir, à cause d'un projet de rénovation urbaine. Nous sommes toujours aux Gibjoncs mais sans doute plus pour très longtemps… On fuit l'urbanisation !

Faire de la radio, c'est entrer chez les habitants d'un territoire, dans leur quotidien. Est-ce qu'il s'agissait d'une manière d'habiter son territoire, de l'animer, de le faire vivre ?

Il y avait l'envie de favoriser les initiatives locales.

Les radios étaient libres mais il fallait bien vivre : en 1982, l’État a créé une subvention, le fonds de soutien à l'expression radiophonique, qui constitue la plus grande partie des recettes des radios associatives. Mais la contrepartie, c'est que notre radio est devenue « locale », donc limitée au niveau de sa puissance d'émission.
L'aspect « local » a orienté notre ligne éditoriale. Mais il y avait de quoi faire, quand même !

Combien d'auditeurs l'écoutaient ?

Médiamétrie et des étudiants réalisaient régulièrement des sondages. Mais nous avions les résultats par défaut, en soustrayant ceux des radios nationales.
Depuis quelques temps, nos émissions sont disponibles en podcast sur Internet. Sur un an, on dépasse largement le million de visiteurs. On connaît leur provenance : certains vivent même à San Francisco, au Japon… Mais on ne sait pas trop ce que ça veut dire ! Ils cliquent, mais est-ce qu'ils écoutent vraiment l'émission ?
La radio est définie comme locale mais on nous écoute dans le monde entier.

Aujourd'hui

Quelle est la ligne éditoriale de Radio Résonance, les valeurs sur lesquelles se fondent l'équipe, les émissions, les programmes musicaux ?

Il n'y a pas de contrainte, chacun peut proposer ce qu'il souhaite.

L'équipe est constituée de 35 animateurs bénévoles et associations (2). D'où viennent-ils ? Quels sont leurs profils ?

La plupart se sont proposés, on est allé chercher certains. Comme moi : j'étais musicien professionnel, on est venu me chercher pour assurer une émission musicale, puis classique et je termine par l'information locale et le journal des sports. La radio mène à tout !

La formation est faite en interne, avec une aide au départ sur le plan technique. Ensuite, il faut être autonome. Le 9/10e des programmes est réalisé en totale autonomie, parfois de loin, depuis le domicile de l'animateur.

Vous avez aussi des partenariats avec des associations locales comme Emmetrop et Attac 18 ou d'autres radios associatives comme Radio Balistique de Châteauroux. Pourquoi ? Comment se sont-ils noués ?

Cela nous permet d'enrichir la grille des programmes. Par exemple, Radio Balistique a une émission littéraire. On l'échange contre une émission de musique.
Nous avons aussi des anciens du monde de la radio qui sont devenus producteurs indépendants à qui on prend des émissions. Financièrement, ça ne coûte rien, leur but étant qu'un maximum de personnes écoutent leurs émissions.

Quelles sont les originalités de votre grille des programmes ?

(Silence). Je ne sais pas trop… Il y a une espèce d'érosion. La plupart des radios associatives et locales proposent plus ou moins la même chose.
Il n'y a pas tellement de radios à aborder les arts plastiques. Il y a aussi des spécificités liées à la région, comme les émissions sur le Printemps de Bourges ou le parler berrichon, mais j'imagine qu'en Alsace aussi, il y a ce genre de thématiques !

La radio est dite « libre », notamment parce qu'elle fonctionne sans aucune ressource publicitaire. Quel est le modèle économique ?

Pour ça, on pourrait parler de vraie ligne éditoriale !
Pour les radios locales, la règle est que les recettes publicitaires ne doivent pas dépasser 20 % du budget global.
Nous, nous n'en avons aucune. C'est notre liberté.
Nous avons aussi fait le choix de ne toucher aucune subvention de la Ville de Bourges et du Conseil Départemental du Cher. Comme ça, on dit ce qu'on veut.

Nous percevons une subvention annuelle nationale via le fonds de soutien à l'expression radiophonique, ce qui représente environ 40.000 euros. Elle a beaucoup diminué ces derniers temps. Cette subvention avait été mise en place à l'époque des Socialistes, pour libérer les radios de la publicité.

Nous avons aussi eu des emplois aidés, tant qu'il y en a eus. Il nous reste une salariée mais ce sera bientôt terminé.

Le matériel informatique est amorti. En ce moment, pendant que nous parlons, la radio fonctionne toute seule. Il est fini le temps où les animateurs étaient présents en permanence dans les studios.

Le plus gros de nos dépenses, 13.000 euros par an, concerne la diffusion hertzienne. Nous avons beaucoup de frais liés aux télécommunications, notamment pour trois lignes Internet dont deux pour l'acheminement vers le pylône.

Nous sommes logés gratuitement, dans des mètres carrés réservés aux associations à l'époque de la construction des logements sociaux.

Radio Résonance fait partie de la fédération des radios « Quota ». De quoi s'agit-il ?

« Quota » est un collectif de radios qui encouragent la diffusion de la chanson française. La loi nous oblige à diffuser 60 % de chansons francophones, ce qu'on a toujours fait naturellement. Notre fonds de sauce musicale, c'est la chanson française, les musiques émergentes et les jeunes auteurs compositeurs.

La radio est souvent estampillée « à Gauche », voire « à Gauche de la Gauche ». Etes-vous d'accord avec cette étiquette ?

Non, je ne suis pas d'accord. Etre libre, ce n'est pas forcément être de Gauche. Et après la Gauche de la Gauche, il y a sans doute la liberté.

Mais à une époque, c'était peut-être vrai, parce que la radio était portée par des gens de Gauche, notamment du Parti communiste.
Ensuite, elle aurait virée Europe Ecologie - Les Verts.
Moi, je suis plutôt sceptique, dans l'expectative. J'essaie de rendre les gens méfiants, critiques.

La radio, elle, est indépendante de toute forme de partisanat politique.

Selon vous, comment la radio et les sons qu'elle diffuse « habitent » le territoire ?

La radio vit dans un endroit où elle est totalement ignorée. Dans le quartier où elle est installée, domine plutôt la télévision.
Mais elle est mise en œuvre par des bénévoles qui habitent Bourges, le Cher et qui parlent de ce qu'ils connaissent, qui essaient de donner la parole à tout ce qui se fait en terme d'initiatives locales.

L'avenir

Quels sont les projets de Radio Résonance ? Comment imaginez-vous son avenir ?

Il est possible que la radio en soi ne survive pas à ses créateurs… ou alors pas très longtemps.
Ce n'est pas un problème technique ou financier, c'est un problème humain. Les pionniers ont environ 70 ans. Un peu de jeunesse est venue, comme l'équipe d'Emmetrop, mais nous aurions besoin de davantage de renouvellement. C'est un problème que connaissent de nombreuses associations.
J'ai l'impression que les jeunes s'engagent volontiers mais que la forme associative leur semble trop lourde, qu'ils préfèrent les collectifs par exemple.

Nous pouvons donc lancer un appel à ceux et celles qui voudraient vous rejoindre ?

Toute personne qui vient avec une chronique ou une idée d'émission est la bienvenue !
Nous n'avons pas encore d'animateur pour une émission de jazz, par exemple… »

Propos recueillis par Fanny Lancelin

(1) Christian Fève assure toujours la sélection musicale sur Radio Résonance.
(2) et une salariée.

PLUS

  • www.radio-resonance.org
  • Pour rebondir sur le sujet de l'électroacoustique (Lire la rubrique (Ré)acteurs), vous pouvez écouter l'émission animée par Philippe Auclair, Musique et Synthèse (consacrée à la musique électroacoustique, instrumentale et vocale des XXe et XXI siècles), en direct et en podcast sur www.radio-resonance.org
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# 15 Territoires sonores Tue, 21 Mar 2017 13:37:42 +0100
Art et science pour dépasser toutes les frontières http://www.rebonds.net/15exploronsnosterritoiressonores/431-artetsciencepourdepassertouteslesfrontieres http://www.rebonds.net/15exploronsnosterritoiressonores/431-artetsciencepourdepassertouteslesfrontieres « L'art est fait pour troubler. La science rassure. » Georges Braque

« Fort de toute ta science, peux-tu me dire comment et d'où vient cette lumière qui entre dans l'âme ? » Henri-David Thoreau

On dit de ces musiques, contemporaine, concrète, électro-acoustique, savante, qu'elles sont élitistes. Difficiles d'accès. Pourquoi ? Il suffit d'avoir une paire d'oreilles, une seule oreille ou pas du tout en vérité, quelques terminaisons nerveuses, une peau, un coeur, un cerveau… pour être touché. Et une certaine volonté à se laisser envahir par le son, aussi.

Nul besoin de connaissances, de compétences particulières, d'aptitudes extraordinaires pour apprécier ces musiques qui font, comme toutes les autres, avant tout appel à notre imaginaire et écho à notre expérience du monde.Sampo industriel

Je viens d'un milieu populaire où l'on n'écoutait pas ces musiques-là. Je les ai découvertes en vivant avec un percussionniste. Rebonds B de Iannis Xenakis (1) a marqué à tout jamais ma vie…

C'est ainsi que je me réjouis lorsque j'appris qu'un festival ouvert à ces musiques se déroulait chaque année à Bourges. Je me trompais : les Journées Art et Science sont bien plus qu'un festival et concernent tous les styles de musiques. Leur force tient à la richesse des rencontres qu'elle favorise, notamment autour d'un instrument unique : Sampo.

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« Il y a encore des mondes à découvrir »

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Mercredi 27 juin 2018, 10 heures – médiathèque de Bourges

Alexander Mihalic et Teresa Rosenberg patientent. La cinquième édition des Journées Art et Science s'est ouverte le lundi précédent par une conférence (Les Calendriers par Nicolas Vincent-Morard) et le vernissage d'une exposition à la Galerie Pictura (Le Temps et ses Histoires), et s'est poursuivie le lendemain par un spectacle, « Hiatus », interprété par la flûtiste Claire Marchal. Pour ce projet, elle s'accompagne d'un clavecin, le virginal, qui joue de manière autonome : grâce à un capteur, ses touches sont actionnées par le mouvement du corps de la flûtiste.

C'est justement Claire Marchal et le facteur de clavecins David Boinnard qu'Alexander Mihalic et Teresa Rosenberg attendent ce matin-là. Le président et la trésorière de l'association organisatrice de l'événement, Musinfo, souhaitent leur présenter et leur faire tester Sampo.
Dans la mythologie finnoise, le sampo était un objet magique assurant fortune à son propriétaire. Comme le Graal, personne ne sait réellement quelle forme prend le sampo, c'est pourquoi les interprétations sont nombreuses.
Mais en France, au XXIe siècle, il s'agit d'un instrument de musique. Un beau coffre en bois dans lequel se trouve un dispositif électronique : une tablette tactile, sept pédales d'effets et un micro pour enregistrer, transformer et diffuser le son.

Quel est l'intérêt de Sampo par rapport à un ordinateur et / ou des pédales d'effets existants ? « Sampo est un instrument à part entière, autonome, répond Alexander Mihalic, son concepteur. Quand on achète une pédale d'effets, elle ne produit pas de sons en elle-même. Il faut tel instrument, tel ordinateur, tel logiciel, tel système son… Dans Sampo, tout est rassemblé. »Sampo 5
L'instrument est aussi un objet connecté à Internet, ce qui lui confère un double avantage : son logiciel est actualisé facilement ; un réseau d'utilisateurs est né via l'instrument lui-même. En effet, concepteur, compositeurs et interprètes échangent sur Sampo et enrichissent son répertoire au fur et à mesure de son utilisation.

Claire Marchal et David Boinnard sont séduits. Après quelques minutes d'explications, ils sont passés à l'étape du test. Claire Marchal souffle dans sa flûte traversière, bouge pour activer le virginal, tandis que David Boinnard actionne les pédales de Sampo. Tatonnante, l'improvisation n'en est déjà pas moins intéressante.
Claire Marchal rit ; à chaque fois qu'il comprend une nouvelle potentialité, le visage de David Boinnard s'éclaire ! Le facteur de clavecins est ravi : « Il y a encore des mondes à découvrir ! »

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Des recherches autour de la sonification

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Mais comment est né Sampo ? D'une simple observation. « Lorsque j'étais assistant musical pour des concerts, je voyais les musiciens avec tout ce matériel, l'ordinateur d'un côté, le son de l'autre et tous ces câbles… Il y avait une dislocation de tout, explique Alexander Mihalic. On leur disait : « Vous n'avez qu'à acheter et faire, c'est facile ! » Mais l'accès à la technologie était compliquée, pas toujours accessible. »
Musicien et scientifique, il n'a eu de cesse de trouver une solution au problème qu'il avait lui-même soulevé. Vingt ans auront été nécessaires pour arriver à la version de Sampo produite pour la première fois cette année en série commercialisée.

A l'image des Journées Art et Science, le parcours d'Alexander Mihalic mêle musique et recherches scientifiques. Compositeur, réalisateur en informatique musicale, il est titulaire d'un DEA (Diplôme d'Etudes Appliquées) en musique et musicologie du XXe siècle. Il a soutenu sa thèse de doctorat dans la discipline « Esthétique, sciences et technologies des arts », option musique. Il a travaillé et enseigné à l'IRCAM (Institut de Recherche et de Coordination Acoustique / Musique) et à l'Université Paris 8, mais aussi à l'IUT de Bourges et à l'IMEB (Institut International de Musique Electroacoustique de Bourges) fermée en 2010.Sampo 2

Il vit aujourd'hui à Saint-Etienne, mais revient chaque année à Bourges pour organiser les Journées Art et Science. « Notre association, Musinfo, a été créée en 2003, à Marseille, mais avec des personnes de toute la France.  Il y a quatre antennes à Saint-Etienne, Nantes, Paris et Bourges, raconte-t-il. Au départ, son objectif était la diffusion de la musique informatique grâce à des colloques et des concerts. Nous participions aux Journées annuelles de l'informatique musicale, que nous avons accueillies en 2014 à Bourges. » C'est pour prolonger les rencontres nées lors de cet événement que les Journées Art et Science ont vu le jour.
La première édition a eu lieu à Bourges, Tours et Orléans en 2014, en collaboration avec l'ENSA (Ecole Nationale Supérieure d'Art) et l'IUT de Bourges. Depuis 2015, chaque édition a son thème, exploré à travers un regard musical et scientifique : la lumière en 2015, les éléments en 2016, la création en 2017 et le temps en 2018. « Les connaissances scientifiques et artistiques reflètent notre monde, assure Alexander Mihalic. C'est le même monde mais vu sous des angles différents. »

La question des perceptions et de la sonification l'intéresse particulièrement. A l'IUT de Bourges, par exemple, il avait conçu avec les élèves un aquarium sonore. Comment « écouter » la température de l'eau ? Visuellement, notre regard ne nous permet pas de percevoir les variations de température de l'eau. Mais des capteurs sonores, oui. Remplacez l'eau par des bougies et vous obtiendrez une installation expérimentale d'une vingtaine de minutes (les bougies s'éteignant peu à peu dans l'aquarium par manque d'oxygène).
Présentée à l'IRCAM, elle vaudra à Alexander Mihalic de susciter l'intérêt d'un chercheur, qui lui proposa d'étudier sonorement le plasma pendant un an…

Désormais, il se consacre à Sampo, avec l'aide de Teresa Rosenberg. Il gère la conception et la programmation ; elle s'occupe de la fabrication de la boîte et de l'administration.

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Des compositeurs du monde entier

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Mercredi 27 juin 2018, 17 heures – médiathèque de Bourges

Le public, plongé dans le noir, est clairsemé. Sampo 7 Aucun instrumentiste ni Sampo sur la petite scène de l'auditorium de la médiathèque. Juste un grand écran, sur lequel s'affiche des textes, introduisant l'écoute de pièces musicales et / ou vidéos. Un concert multimédia, intitulé « Tempus ».

Durant une heure, quinze pièces se succèdent, venues du monde entier : Slovénie, Angleterre, Allemagne, Espagne, Portugal, Italie, Mexique, Etats-Unis, Equateur, Nouvelle-Zélande. Tous les compositeurs ont répondu à l'appel lancé par l'association Musinfo sur le thème du temps.

Par ailleurs, l'association lance un autre appel, cette fois à œuvre, pour composer de nouvelles pièces avec Sampo. Les deux lauréats sont invités en résidence durant une semaine à Bourges, afin de perfectionner leurs œuvres avec les interprètes et présenter leur travail au public.
Cette année, les lauréats étaient Maurilio Cacciatore et Nikos Koutrouvidis, dont les pièces ont été interprétées le jeudi soir lors d'un concert « augmenté ».

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Des ingénieux aux parcours atypiques

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Jeudi 28 juin, 18 heures – médiathèque de Bourges

Toujours un public aussi clairsemé. Dommage, me dis-je en lisant les biographies des compositeurs qui vont être joués : des ingénieux aux parcours aussi passionnants qu'atypiques. Comme le Français Claude Barthélémy, guitariste, oudiste et mathématicien, directeur à deux reprises de l'Orchestre National de Jazz. L'Argentin Tomas Gubitsh, disciple d'Astor Piazzolla, qui a travaillé pour le jazz, la musique contemporaine, le théâtre, la danse et le cinéma. Joao Pedro Oliveira, architecte et Docteur en musique à New York ou encore Theodore Teichman, qui a étudié en parallèle neurobiologie et composition musicale…Sampo 4

Que peut-il naître de leur rapport au monde, de leur curiosité que j'imagine insatiable, de leurs recherches infinies ? Des musiques ouvertes, elles aussi à l'infini, qui suscitent les émotions, puisque l'indifférence même en est une. Mais comment rester indifférent face à ces sons ? Ils appellent une réaction sinon de l'esprit, au moins du corps. Ils détonnent et c'est parce qu'on accepte d'être dérangé, bousculé, simplement surpris, qu'on peut apprécier cette musique ou, au moins, l'expérience qu'elle propose.

Sur scène, deux Sampos et deux interprètes qui se succèdent de pièce en pièce : Monika Streitova à la flûte traversière et Serge Bertocchi au saxophone.
Ils utilisent Sampo selon deux possibilités : comme un instrument à part entière, qui se joue en actionnant les pédales ; comme un dispositif d'accompagnement, avec un enregistrement déclenché au début de la pièce.
Parfois, il semble qu'un orchestre entier apparaisse comme dans « Goutte d'or blues » de Bernard Cavanna. Des voix se font aussi entendre, comme dans « Nada al otro de la valla » de Sergio Blardony. Des motifs récurrents, des sons ponctuels et qui claquent, des ambiances sonores inattendues sortent de cette boîte décidément magique…

D'origine tchèque, Monika Streitova est la première à avoir acheté un Sampo. Elle enseigne à l'Université d'Evora au Portugal et occupe un poste de chercheur en musique contemporaine dans une université de Lisbonne. Elle a découvert Sampo par l'intermédiaire d'une compositrice qui connaissait Alexander Mihalic.
Son apprentissage est-il difficile ? « Assez, parce qu'habituellement, je ne joue pas assise et je n'utilise pas mes pieds », répond-elle par l'intermédiaire d'un traducteur. Elle reconnaît toutefois que ses jeunes élèves « curieux et déjà ouverts à la technologie », sont « plus à l'aise ». En tant que concertiste, elle « amène le Sampo dans des situations inhabituelles, par exemple des concerts de musique classique, pour que ce soit déstabilisant ». En tant que pédagogue, elle a constaté qu'au contact de Sampo, les élèves étaient davantage concentrés, la nouveauté créant aussi une certaine motivation à jouer.

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Huit conservatoires partenaires

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Vendredi 29 juin 2018 – médiathèque de Bourges

L'utilisation pédagogique de Sampo est l'objet de la dernière journée Art et Science. Le matin, une table-ronde réunissant des représentants de conservatoires français et portugais est organisée.Sampo 1

Car en 2017, l'instrument s'est retrouvé au coeur du projet RéDi-Musix (Réseau pour la Distribution de la Musique Mixte), retenu et financé par le ministère de la Culture dans le cadre d'un appel à projet intitulé « Services numériques innovants ».
L'enjeu : créer un véritable réseau physique et numérique de diffusion de la musique mixte, à partir de Sampo. Huit conservatoires ont accepté de prendre part au projet, en accueillant l'instrument durant une année scolaire : Saint-Nazaire, Nantes, Tours, Saint-Etienne, Annecy, Noisy-le-Sec, Paris 9e et Porto. Au total, une centaine d'utilisateurs ont expérimenté Sampo, issus de classes d'instruments acoustiques variés. 77 % d'entre eux considèrent la prise en main « plutôt facile » et 83 % aimeraient poursuivre le projet.

Pourquoi le conservatoire de Bourges ne participe-t-il pas ? Alexander Mihalic fait une réponse polie, presque gênée : « Je ne sais pas… Peut-être qu'il y a quelque chose à voir avec le fait de ne pas travailler avec des gens « du passé », parce que j'ai été autrefois à Bourges… ou peut-être qu'ils préfèrent se concentrer sur leurs propres projets… peut-être que c'est la période des examens… je ne sais pas... » Le conservatoire compte pourtant un département de musique électroacoustique et de création. « Je connais l'enseignant avec qui j'ai d'ailleurs eu des échanges qui m'ont aidé pour Sampo. » Mais pour son concepteur, Sampo n'attire pas vraiment les électroacousticiens : « Ce qu'ils aiment, c'est bricoler, bidouiller leurs propres machines. Avec Sampo, ce n'est pas vraiment possible, à moins de tout démonter ! »

Dans les conservatoires partenaires, les expériences ont été variées. Par exemple : des ateliers de formation à Annecy, des concerts à Nantes, la composition de nouvelles pièces et des interventions en milieu scolaire à Saint-Nazaire, la création d'une classe dédiée ou encore le lancement d'ateliers d'improvisation à Noisy-le-Sec… Certains établissements ont décidé d'acquérir l'instrument pour approfondir leurs projets et les collaborations devraient se multiplier, notamment à Prague et en Angleterre.

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Mêler d'autres disciplines

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En fin d'après-midi, trois élèves ont livré une restitution de leur travail : Quentin Judic (saxophone) du conservatoire de Saint-Nazaire ; Corentin Nagler (saxophone) et Elisa Fouquoire (violon) du conservatoire de Paris 9e. Sampo 3
« Je n'aime pas la musique contemporaine, déclare tout net Corentin Nagler, mais j'ai trouvé l'instrument rigolo, j'ai accepté de me lancer. » L'expérience lui a plu, au point qu'il souhaite l'approfondir, pourquoi pas en mêlant d'autres disciplines. « Je le vois bien sur une scène de théâtre ou pour une performance plastique. Ça permettrait de faire naître des ambiances. »
La représentante du conservatoire de Tours, Anne Aubert, professeur d'écriture musicale, le trouve tout à fait adapté pour l'improvisation, et donc, le jazz.

De l'évolution de l'appareil dépendra l'évolution de l'association Musinfo. La fabrication et la commercialisation en série supposeront la création d'une société. Mais l'association devrait lui survivre. « Musinfo continuera à gérer l'événementiel », souligne Alexander Mihalic.
Pour lui et Teresa Rosenberg, il s'agit désormais de continuer à faire connaître l'instrument, afin que son répertoire s'enrichisse, que les rencontres se multiplient, que le réseau s'élargisse et que l'expérience musicale se poursuive au-delà des frontières, physiques et mentales…

Fanny Lancelin

(1) Rebonds A et B de Iannis Xenakis par Kuniko Kato : https://www.youtube.com/watch?v=YXNkUgrK4R8

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# 15 Territoires sonores Tue, 21 Mar 2017 12:54:42 +0100