# 29 La nature n'existe pas (octobre 2019) http://www.rebonds.net/29lanaturenexistepas Thu, 11 May 2023 18:59:06 +0200 Joomla! - Open Source Content Management fr-fr La terre en commun http://www.rebonds.net/29lanaturenexistepas/540-laterreencommun http://www.rebonds.net/29lanaturenexistepas/540-laterreencommun « Il reste tant de raisons de se battre pour ces terres de bocage », écrivent des habitant.es de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes (1). Ainsi, c'est « une seconde manche de la lutte qui s'engage » depuis l'abandon du projet d'aéroport. L'enjeu : défendre la terre, pour y prolonger les expériences collectives d'autonomie politique et matérielle. Face à l’État, une nouvelle arme : le fonds de dotation « La terre en commun ».

Un ami zadiste me raconte un jour que lorsqu'il fait du stop pour aller à Nantes, l'automobiliste qui accepte de le prendre est toujours surpris qu'il reste des habitant.es sur la ZAD de Notre-Dame-des-Landes. « Mais... vous n'aviez pas tous été expulsés ? »
Non. A vrai dire, personne n'a vraiment été expulsé de la Zone A Défendre au sens où il l'entend. En avril 2018, au cours d'une opération qui a mobilisé 2.500 gendarmes, une grande partie des maisons et des ateliers ont été détruits, des habitant.es blessé.es, arrêté.es, meurtri.es… (2) Certain.es ont fait le choix de partir, mais d'autres sont resté.es. Ils sont environ une centaine aujourd'hui, à poursuivre la lutte.
Contre quoi ? Un monde dominé par le capitalisme ; où la terre, les forêts, les habitats ne sont que des produits qui se marchandent ; où les inégalités persistent et se creusent ; où le rapport aux êtres non humains n'est pensé qu'en termes de profits et de services.

Vers une communauté positive

Mais les personnes restées sur la ZAD ont dû transformer leur positionnement : « La communauté de lutte contre l’aéroport était d’abord une « communauté négative » (3) extrêmement hétérogène, seulement tenue par le refus de l’aéroport ou le refus de son monde. Mais elle contenait aussi en elle les germes d’un autre rapport à la communauté, d’une affirmation, d’une projection positive commune. La plupart des épreuves que nous avons traversées cette année relèvent de l’extrême difficulté à passer de l’assise d’une communauté négative à celle d’une communauté positive. » (1)ete livret nb
Une fois le projet d'aéroport abandonné, les conflits internes qui ont toujours traversé le mouvement n'ont pu être contenus plus longtemps. Ils touchaient des questions de vie pratiques, mais aussi politiques, éthiques… « Ce que nous apprend l’expérience de la ZAD, c’est que si la communauté négative recèle une considérable puissance de destitution, construire une commune depuis une simple juxtaposition de différences, une addition d’identités antagonistes est en revanche impossible. La commune exige un liant bien plus consistant que la diversité tactique face à l’ennemi commun. » (1)

Ceux et celles qui restent aujourd'hui partagent l'envie d'un avenir commun dans le bocage. Ils se retrouvent dans les « Six points » (4), charte élaborée dès 2015 pour penser l'avenir des terres. Les collectifs et les projets restent variés, mais ils se rejoignent sur ces principes, notamment le fait que ce ne sont pas aux institutions, éloignées du terrain, de déterminer l'usage des terres, mais aux habitant.es qui y vivent.

Un nouvel outil pour lutter : le fonds de dotation

Le champ de bataille s'est déplacé. Zadistes et État s'affrontent désormais sur le terrain du droit. Pour rester, les habitant.es doivent en quelque sorte légaliser leur occupation en déclarant leurs activités.
Jouer le jeu ? Pas si simple. Des habitant.es expliquent que « passer d’une pratique paysanne irrégulière à des installations légales n’a pas été une décision facile ». S'ils l'ont fait, « ce n’est ni de gaîté de cœur, ni parce qu' [ils voulaient] devenir des « exploitants agricoles » comme les autres. C’est d’abord pour mettre un terme à l’opération d’expulsion du printemps 2018, pour protéger les maisons, fermes et ateliers de la ZAD, ainsi que toutes les activités subversives qui continuent aujourd’hui de s’y déployer. » (1) Le projet révolutionnaire n'est pas abandonné, loin de là. Les armes fourbies pour y parvenir évoluent.

Les parties prenantes de la lutte contre l'aéroport s'étaient constituées en Assemblée des Usages : un organe de discussion et de prise de décision pour organiser la vie sur la ZAD. Cette assemblée, toujours active, a décidé de créer un fonds de dotation, « La terre en commun ». L'objectif : acquérir les terres, les forêts et les bâtis pour pérenniser les expériences en cours et notamment l'usage partagé des lieux.

Pour rappel, la ZAD s'étend sur 1.200 hectares de terres agricoles et 230 hectares de bois et de friches. Aujourd'hui, 890 hectares appartiennent au Conseil Départemental de Loire-Atlantique et 120 à l’État. Environ 135 devraient être rétrocédés aux propriétaires d'avant 2008. Sur 295 hectares, les propriétaires ne se sont pas manifestés ou ne souhaitent pas reprendre leurs biens.
De plus, sur les trente lieux bâtis habités par les zadistes, vingt-trois appartiennent au Conseil Départemental et sept à l’État.
A partir de 2020, l’État va mettre en vente ses biens. Par exemple, l'auberge des Q de Plomb, la nouvelle ferme des 100 noms, le Moulin de Rohanne…

Le risque : voir s'installer des projets destructeursla terre en commun

A plus long terme, la population des agriculteurs vieillissant, des terres seront bientôt « libérées ». Mais, sous la pression de syndicats agricoles tels que la FNSEA, les regroupements et agrandissements de fermes liées aux agro-industriels sont souvent privilégiés au détriment de la paysannerie respectueuse du bocage.

Des conventions d'occupation précaires déjà signées avec des paysans sur place ont été ou vont être transformées en baux de fermage de neuf ans. C'est la Commission Départementale d'Orientation et d'Attribution des terres (CDOA) qui statue. Mais les zadistes l'accusent de ne pas respecter les critères qu'elle a elle-même fixés, favorisant le clientélisme.

Le risque majeur pour la lutte : que les terres et bâtis deviennent la propriété d'une multitude d'acquéreurs, sans aucune garantie de prolonger les expériences de la ZAD. Des projets destructeurs sont toujours dans les cartons : parc éolien industriel, terrain de compensation écologique pour le droit à détruire…

Les habitant.es veulent préserver les alternatives qu'ils ont créées : sociales, solidaires, culturelles, artisanales, agricoles, forestières. Parmi les activités : des fermes d'élevage et de maraîchage, des boulangeries, une auberge, des jardins, une forge, des chantiers-écoles, une bibliothèque, une menuiserie, un atelier de sérigraphie… La pratique des communs reste fondamentale notamment à travers la solidarité, la mutualisation des savoirs et l'économie non-marchande.

Plus de 2.000 donateurs et 600.000 euros collectés

Le fonds de dotation est un outil qui privilégie la propriété collective. Il n'est pas réservé aux habitant.es de la ZAD et à leurs soutiens : tout le monde peut y contribuer, à travers des dons, petits ou grands. Ceux-ci sont défiscalisés à hauteur de 66 %.manif 26 oct
Comme son nom l'indique, cette structure juridique permet à ceux et celles qui la gèrent de collecter des dons, pour constituer un fonds, dans lequel seront puisés les financements nécessaires à l'achat des terres et des bâtis.
Elle n'est pas une fin mais bien un moyen de fonder une autonomie politique et matérielle.

L'Assemblée des Usages a mandaté six personnes représentatives de la diversité du mouvement pour constituer le conseil d'administration de « La terre en commun » : une occupante et un occupant, une agricultrice historique, un naturaliste en lutte, un membre de la Coordination et un ex co-président de l'ACIPA (5).
L'Assemblée des Usages définit les orientations du fonds, grâce à des commissions. Le conseil d'administration gère le fonds au quotidien. Un comité consultatif de personnalités amies s'assure notamment du caractère désintéressé de la gestion et de la pertinence des investissements.
Tous sont bénévoles et aucun ne peut être bénécifiaire direct du fonds, pour éviter les conflits d'intérêt.

En quelques mois seulement, 600.000 euros ont été récoltés, provenant de plus de 2.000 donateurs. Les membres de « La terre en commun » espèrent atteindre un million et demi d'euros au début de l'année 2020.

Pour s'informer et contribuer, rendez-vous sur le site de « La terre en commun » : https://encommun.eco

(1) Extrait du livret « Prise de terre(s) » paru à l'été 2019 : https://encommun.eco/files/article/ete_livret_nb.pdf
(2) Lire le numéro 13 de (Re)bonds : http://rebonds.net/lazadpartout/417-danslespasdeberrichonssurlazad
(3) « Communauté négative » au sens où l'emploie Maurice Blanchot (« La communauté inavouable », Editions de Minuit).
(4) Les six points pour l'avenir de la ZAD : https://zad.nadir.org/IMG/pdf/6pointszad-a3-2.pdf
(5) ACIPA : Association Citoyenne Intercommunale des Populations concernées par le projet d'Aéroport à Notre-Dame-des-Landes. Elle s'est dissoute après l'annonce de l'abandon du projet d'aéroport en juin 2018 : https://www.acipa-ndl.fr/

 

Nouvelle mobilisation

  • A l’appel de NDDL-Poursuivre Ensemble, des Naturalistes en Lutte, de la Coordination des organisations soutenant les projets de la ZAD, d’habitant.e.s et paysan.nes de la ZAD et de l’Assemblée des Usages, une nouvelle mobilisation « pour les terres communes » était organisée le samedi 26 octobre dernier sur la ZAD.
    Retrouvez le compte rendu de cette mobilisation sur https://zad.nadir.org/spip.php?article6669
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# 29 La nature n'existe pas Tue, 21 Mar 2017 13:37:42 +0100
« Notre-Dame-des-Landes ou le métier de vivre » http://www.rebonds.net/29lanaturenexistepas/541-notredamedeslandesoulemetierdevivre http://www.rebonds.net/29lanaturenexistepas/541-notredamedeslandesoulemetierdevivre Christophe Laurens est architecte, paysagiste, cofondateur du master Alternatives Urbaines à Vitry-sur-Seine. Avec ses étudiants, il a mené un projet sur la ZAD de Notre-Dame-des-Landes restitué dans un livre : « Notre-Dame-des-Landes ou le métier de vivre » (1).
Il est venu en parler récemment à la Cathédrale de Jean Linard à Neuvy-deux-Clochers, lors de la résidence « Habiter et bâtir autrement » (lire l'encadré).

« Qu'est-ce qui vous a donné envie de travailler sur la ZAD de Notre-Dame-des-Landes ?

« Voyant l'écosystème politique qui se mettait en place là-bas, la ZAD m'est apparue assez vite comme un lieu qui regroupait toutes les questions posées à l'intérieur du master Alternatives Urbaines : comment habiter la surface de la Terre autrement ou comment inventer des formes sociales, politiques et écologiques de vies alternatives ? J'ai imaginé emmener les étudiants sur la ZAD parce qu'il y avait vraisemblablement des leçons à en tirer, la ZAD nous étant vite apparue comme une école hors-les-murs.
On s'est dit qu'on allait faire un atlas pour décrire l'ensemble de l'aventure et en garder une trace. A l'époque, la menace d'expulsion était encore très forte, le projet d'aéroport n'était pas encore abandonné et la gendarmerie menaçait quasiment en permanence de venir détruire toute l'expérience qui avait lieu là-bas.

Dès le départ, cette ambition que le document puisse servir d' « archive » est apparue ?

C'est l'un des premiers arguments qui nous a amenés sur la ZAD. Mais il est assez vite passé au second plan par rapport à l'envie de décrire les lieux pour eux-mêmes et de comprendre la vie qui était en train de s'inventer. On est passé de l'atlas au relevé des cabanes qui est un registre un peu différent : il ne s'agit plus d'une vision de l'ensemble du territoire mais d'une description de la vie à partir de la matérialité des cabanes ; comment elles sont construites, à partir de quels matériaux… et comment les gens vivent dedans. Peu importe la dimension patrimoniale.
Il y avait des gens qui étaient installés dans une vie quotidienne depuis plusieurs années et même si l'aéroport devait être abandonné, il semblait évident que cette vie allait se prolonger. C'est cette installation-là qui nous intéressait, cette lutte par l'habitation du lieu qui avait transformé la vie des gens et ouvert des possibilités d'habiter autrement.part2.00 05 08 03.Still005

Comment les habitants ont-ils pris le fait que vous veniez dessiner leurs maisons, disséquer leurs manières de vivre et de fonctionner ?

C'est une dimension très importante de ce travail. Evidemment, c'est un lieu habité : ce n'est pas un zoo, une exposition, un musée… c'est la vraie vie, de vrais gens. Le travail de préparation en amont a pris du temps. Il fallait savoir si le projet leur parlait, installer des relations de confiance… Il fallait faire comprendre qu'on ne venait pas juste pour faire une photo de la ZAD et repartir, mais pour établir une discussion au long cours.

Ensuite, on est allé sur place avec une vingtaine d'étudiants. On a été merveilleusement accueillis à l'Université Populaire Anarchiste du Haut-Fay.
Le premier jour, nous avions fixé une réunion à la Wardine mais il n'y avait personne ! Ceux qui nous accompagnaient nous ont dit : « Ce n'est pas que ça ne les intéresse pas, c'est juste qu'ils ont autre chose à faire. » On a commencé à aller voir ceux qui avaient donné leur accord et ils étaient là, très contents de nous accueillir...
Finalement, il y a dans le livre des cabanes qu'on n'avait pas forcément prévu de relever, d'autres qui n'y sont pas parce que les gens n'étaient pas là ou qu'ils ne voulaient plus ou que ça tombait mal… Ce n'est pas du tout un choix exhaustif ou stratégique, c'est simplement le résultat de relations de politesse, respectueuses… De cela, est née une petite famille d'exemples de cabanes assez diverses. Ce n'est pas LA ZAD, ce sont quelques cabanes et quelques relations avec quelques personnes.

Comment les habitants ont-ils accueilli le résultat final ?

Entre l'expérience et la présentation du livre sur la ZAD, trois ans ont passé. Une fois rentrés à Vitry, on a mis les relevés au propre et défini les protocoles de dessin. Il y a eu beaucoup de discussions sur les modes de représentation : le dessin d'architecture, c'est notre outil, mais il s'adresse habituellement à des personnes qui s'apprêtent à construire ; là, les cabanes étaient déjà construites et elles sont des « anarchitectures », des architectures atypiques, sans architecte.
On voulait offrir des vues synthétiques des situations en faisant des plans et des coupes ; ce sont des dessins complètement différents des croquis qui, eux, ne donnent qu'un point de vue. On a fait ce qu'on appelle des relevés habités et des relevés qui décrivent les milieux dans lesquels sont installées ces cabanes. On a donc dessiné la cabane, mais aussi la cafetière, la petite cuillère… l'arbre qui est devant, le buisson, l'oiseau, la terre… C'est une tentative de saisie d'un milieu dans lequel les arbres, la nature, les cabanes et les objets sont à peu près sur le même plan. Et tout ça faisant milieu, un milieu habité par les zadistes.

Dans le livre, il y a aussi des photos de Cyrille Weiner. La ZAD faisait partie de ses préoccupations, de ses sujets de travail. Il est venu sur place à l'automne, plusieurs mois après les étudiants et il a fait en quelques jours toutes les photos que vous voyez dans le livre.
On a travaillé aussi avec Building Paris, un bureau de graphistes, qui a apporté beaucoup à la conception du livre, la finalisation des dessins, la mise en page et le suivi de la réalisation avec les éditions Loco.
Après la publication du livre, fin 2018, il y a eu beaucoup de rencontres et de discussions autour de cet objet et de la vie sur la ZAD. Mais ce n'est qu'au printemps 2019 que l'on est retourné sur la ZAD avec des étudiants pour offrir la cinquantaine d'exemplaires promis à ceux qui nous avaient accueillis. Je crois que le livre a été bien reçu par les habitants que nous avons rencontrés.bandeau1.uoTf25iJdZkO

Vous avez trouvé une situation bien différente de la première fois, puisque la plupart des cabanes avaient disparu...

Curieusement, la situation était différente mais pas tant que ça. La ZAD continue en fait, malgré des destructions très violentes, très rudes… L'essentiel de la structure des lieux de vie est toujours en place et continue d'exister.
Quand on est revenu, les discussions avaient évolué parce que le projet d'aéroport était abandonné. On était enfin dans la question de savoir comment on vit et comment on s'installe dans le bocage.
Sur les destructions elles-mêmes, c'était assez émouvant... C'était étonnant pour les gens qui voyaient leurs cabanes, ces objets un peu bricolés, dont certains avaient été détruits, dessinés ici avec soin… Il y avait d'un coup une présence, une résurgence et bien sûr, la « mémoire » a fonctionné.

Tu as participé à la résidence « Habiter et bâtir autrement » à la Cathédrale de Jean Linard. Quel lien entrevois-tu entre ce site et ce qui se joue sur la ZAD ?

Le lien n'est pas évident à première vue. La ZAD et la Cathédrale sont deux objets qui appartiennent à des mondes différents. Il y a quand même des choses communes qui sont pour moi du côté de la liberté : à leur manière, ils participent à étendre les libertés de l'imaginaire, les libertés sociales et politiques.
La Cathédrale a aussi ce lien avec la nature comme sur la ZAD, où les cabanes sont traversées par le bocage. Entre un lieu commun qui peut être la cuisine, le jardin ou l'atelier, et les petits lieux individuels que sont les cabanes/chambres il faut souvent traverser un champ, un bois... La nature est dans la maison. On habite le bocage littéralement, ce n'est pas une image. Ici aussi, il y a cette porosité entre la nature et la construction. Il y a sûrement là une source inspiration commune.

Vois-tu aussi des points communs dans leur singularité, dans le fait d'être hors-normes ?

C'est là où ils se rejoignent : dans une manière de faire qui n'a pas le souci de la reconnaissance sociale. Ni individuelle pour Jean Linard et sa cathédrale, ni collective pour la ZAD. C'est aussi ça qui donne la liberté de résister à la pression sociale pour construire une façon d'exister différente. Jean Linard l'a fait de manière individuelle, avec son imaginaire débordant qui étend l'imaginaire humain commun. Sur la ZAD, c'est un autre registre mais qui se nourrit aussi de ne pas céder à la pression pour ouvrir l'imaginaire commun, cette fois-ci sur la dimension sociale et politique.

Ce qui rejoint ces mondes-là, historiquement, ce sont tous les mouvements anarchistes libertaires écolo. Ils relient ces vies singulières à travers une institutionnalisation appropriée, c'est-à-dire construite par les habitants eux-mêmes et le collectif auquel ils appartiennent, et le lien à la nature.
Le fait de sentir que les arbres poussent tout seuls inspire à ces gens l'idée qu'eux aussi ont une capacité à produire tout seuls, à se structurer tout seuls, et à porter des institutions qui leur sont propres. Je pense de plus en plus que les anarchistes sont des gens qui ne sont pas contre les institutions mais qui se sentent capables d'instituer le monde eux-mêmes.
Se sentir capable de… Quand Jean Linard construit très librement sans savoir-faire particulier, il y va ; il a envie, il le fait et il apprend en faisant. La plupart des gens qui sont arrivés sur la ZAD ne savaient pas construire une maison. Mais on leur a dit : vas-y, on va te donner un coup de main ! Ils se sont eux-mêmes étonnés de leur capacité à construire une cabane et la vie et le monde qui va avec. Construire c'est toujours un « empowerment » très fort.6b423f4c4c7647783ad6ead7d5b41cb5

Comment peut-on reproduire ces modèles sur d'autres lieux en préservant l'esprit ou les faire vivre d'une autre manière, ailleurs ? »

Il y a l'idée qu'il faut se faire confiance et, au prix de quelques risques, on peut construire sa vie de manière beaucoup plus libre que ce qu'on avait imaginé. Il y a des marges de manoeuvre, y compris dans la construction sociale, politique, et pas seulement artistique. Mais, là aussi, cela relève d'une conquête des imaginaires. Il faut se sentir tenu de vivre, d'être à la hauteur d'une possible liberté humaine, individuelle et collective. C'est la tentative de la ZAD. C'est ambitieux, compliqué parce qu'aujourd'hui la maille sociale, politique et, de plus en plus administrative et économique, est resserrée. On est très contenu par ce filet. Quand l’État est à ce point encastré dans le capitalisme mondialisé, ça devient très compliqué. Dans cette maille, il faut se débattre.
Les Jean Linard, les zadistes, desserrent un peu les mailles. Ça rappelle à chacun d'entre nous que des vies libres sont possibles. Plus ou moins, chacun à sa manière, avec son registre. Mais c'est possible.

Cette appétence pour une vie libre retrouve de l'énergie, parce que le désastre annoncé de la modernité lié au réchauffement climatique et à toutes ses conséquences nous oblige à imaginer d'autres formes de vie.
On est un certain nombre à se dire que la ZAD est une possibilité, pas le modèle du tout, mais une tentative qui parlera à nos enfants, une tentative d'avenir. Il faut démultiplier ces tentatives et les nourrir autant que possible. Au moins les protéger, au moins ne pas les détruire, c'est la moindre des choses face au désastre qu'on nous annonce : que ceux qui essaient d'ouvrir des pistes soient au moins encouragés.

Des histoires de relations à la nature qui sont vécues de manière beaucoup plus intimes, personnelles, commencent à être de nouveau entendues et exposées, y compris de manière théorique. Il y a tout un imaginaire lié à l'animisme, méprisé pendant assez longtemps, qui peut être revisité par les sciences humaines.
On se rappelle que les peuples autochtones, les peuples indigènes, ont à peu près tous placé dans la forêt, dans les montagnes, bref, dans la nature, leurs ancêtres. Ils construisent des systèmes respectant les ancêtres et respectant la nature. Cette indifférenciation entre les êtres et la nature faisait que tout était différent : on appartenait réellement, littéralement à la terre, à la nature. Toute l'histoire de l'Humanité s'est faite avec ça. Sauf nous. Nous, les modernes. On est en train de comprendre que la tentative moderne n'est plus tenable et qu'il faut maintenant, au plus vite, abandonner cette manière de construire un monde artificiel par dessus la terre, en la faisant disparaître et en la méprisant. Il faut commencer à défaire ce monde pour de nouveau se relier à la terre, la forêt, la nature.

La ZAD, c'est cette idée d'habiter dans le bocage, un milieu naturel assez fragile, et de l'habiter pleinement en y vivant, en y travaillant. Ne pas en faire une réserve naturelle mais de dire à l'inverse que, par l'habitation humaine on entretient la terre et tout ce qu'elle nous offre, ses merveilles, ses poireaux, ses pommes de terre, le lait des vaches, la beauté… tout ça est une seule et même chose, une seule et même vie, une seule et même tentative.
Ces petites expériences sont très fortes ; je dis « petites » parce que la ZAD de Notre-Dame-des-Landes ne concerne que 150 à 200 personnes et quelques centaines d'hectares, c'est vraiment presque rien. Mais en termes d'ambition, d'imaginaire et d'espoir, c'est énorme. »

Propos recueillis par Fanny Lancelin

(1) « Notre-Dame-des-Landes ou le métier de vivre », éditions Loco, octobre 2018.

 

« Habiter et bâtir autrement » à la Cathédrale de Jean Linard

  • Depuis un an et demi, les associations et collectif Autour de la Cathédrale de Jean Linard, Patrimoines Irréguliers de France et la Coopération Intégrale du Berry ont lancé un projet intitulé « Habiter et bâtir autrement ».

    Ensemble, ils s'intéressent à des formes de construction, d'organisation, de vie hors-les-normes, singulières, irrégulières… Le projet fait ainsi écho à l'appel lancé par des architectes, paysagistes, universitaires et citoyen.nes à la veille des destructions de cabanes sur la ZAD de Notre-Dame-des-Landes. Ils exhortaient l’État à reconnaître les expérimentations en cours : d'autres manières d'« habiter » concrètement, politiquement et poétiquement un territoire.

    Le cycle de réflexions et d'actions « Habiter et bâtir autrement » invite le public à s'interroger sur ce qui se joue autour des anarchitectures, des ZAD mais aussi des squats et des guerrilla gardening. A l'occasion de temps forts organisés depuis octobre 2018, ils échangent, débattent, participent à des ateliers…pépites dans le goudron

    Le dernier rendez-vous a eu lieu à la Cathédrale de Jean Linard à Neuvy-deux-Clochers, du 29 juin au 10 juillet 2019. Il s'agissait d'une résidence de recherche-action sur le thème « Le Commun ou comment habiter l'espace sans le subir – accueil / créativité / lutte et droit ».
    Le programme était dense : des ateliers cabanes, science-fiction, écriture et mosaïque, maquette, dessin , potager ont été proposés au public. Des auteurs ont présenté leurs ouvrages : Mathieu Morin, « Des pépites dans le goudron » (autoédition) et Christophe Laurens, « Notre-Dame-des-Landes ou le métier de vivre » (éditions Loco). Projections de films, concerts, lectures, vernissage d'exposition et repas conviviaux ont agrémenté les soirées.

    Le projet se poursuit. La restitution de cette première année de travail se prépare avec la publication d'un journal.

    Retrouvez plus de détails dans le numéro 25 de (Re)bonds : http://rebonds.net/cathedraledejeanlinardbiencommun/508-habiteretbatirautrementalacathedrale et sur le site Internet de la Cathédrale de Jean Linard : https://cathedrale-linard.com/index.php/fr/evenements/saison-2019/habiter-et-batir-autrement-3
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# 29 La nature n'existe pas Tue, 21 Mar 2017 13:37:42 +0100
Alessandro Pignocchi, « La recomposition des mondes » http://www.rebonds.net/29lanaturenexistepas/539-alessandropignocchilarecompositiondesmondes http://www.rebonds.net/29lanaturenexistepas/539-alessandropignocchilarecompositiondesmondes « La classe ailée, la plus haute, la plus tendre, la plus sympathique à l'homme, est celle que l'homme aujourd'hui poursuit le plus cruellement. Que faut-il pour le protéger ? Révéler l'oiseau comme âme, montrer qu'il est une personne. »
Jules Michelet

La nature n'existe pas. » Quelle surprenante affirmation, non ?

Car vous le savez bien, vous, que la nature existe. Vous vivez à la campagne et vous les voyez bien, les arbres qui ploient sous les assauts du vent, la terre brune des champs tout juste sillonnés, les faons qui courent vers les sous-bois, les oiseaux qui vous réveillent le matin, les écureuils qui planquent les noix dans votre potager… Si vous vivez en ville, vous le savez bien aussi, lorsqu'enfin arrivent les vacances et que vous chargez famille et bagages dans la voiture, en route vers la mer, la montagne ou que vous profitez d'un dimanche ensoleillé pour une balade au parc.
Et puis, il y a bien tous ces documentaires à la télévision qui vous parlent de « protection de la nature » à tout bout de champ ou de « nature qui se déchaîne » quand passe un typhon sur le Japon.GDO Alessandro Pignocchi

Mais non. « La nature n'existe pas », nous dit Alessandro Pignocchi. Elle est un concept, une construction occidentale et moderne. Qui met curieusement à distance les êtres humains des milieux d'où ils viennent et dans lesquels ils vivent. Il y aurait : d'un côté, la nature ; de l'autre, la culture.
« Mais la plupart des autres peuples du monde se passent de ces deux notions », nous dit encore Alessandro Pignocchi. Certains Occidentaux aussi, entrés en résistance contre le capitalisme qui mesure, quantifie, marchande tout. Sur des zones qu'ils défendent, ils appréhendent un autre rapport au monde. Ils cassent les codes, sautent le fossé entre humains et non-humains, tentent de nouvelles approches.

L'anthropologue Alessandro Pignocchi est allé à la rencontre des Indiens d'Amazonie, puis des zadistes de Notre-Dame-des-Landes. Aucun rapport ? Pas si sûr...
Il a partagé ses expériences dans des bandes dessinées vivantes, drôles, aux messages forts. Il y a quelques jours, il est venu présenter « La recomposition des mondes » (1) (éditions du Seuil) au café-restaurant associatif « Au Grès des Ouches » à Morogues.

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Des oiseaux aux Indiens Achuar

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Alessandro Pignocchi a suivi des chemins parallèles qui ont fini par se rejoindre. Une passion pour les oiseaux, née à l'enfance, entretenue par des ouvrages, pleinement vécue lors d'un premier voyage en Equateur à l'âge de 16 ans. La pratique du dessin, encouragée, presqu'oubliée, aujourd'hui éveillée. Des études scientifiques – biologie et sciences cognitives – puis de philosophie de l'art.
Il a publié deux ouvrages retraçant ses travaux : « L'œuvre d'art et ses intentions » en 2012 et « Pourquoi aime-t-on un film ? Quand les sciences cognitives discutent des goûts et des couleurs » en 2015 (éditions Odile Jacob).
« J'avais à peu près accepté l'idée d'être un théoricien triste », explique-t-il. « A peu près » seulement, car le milieu de la recherche le lasse et aucun poste ne se présente à lui.nature nexiste pas cover

C'est alors que ses chemins croisent celui de l'anthropologue français Philippe Descola, à travers le livre « Les lances du crépuscule : relations Jivaros. Haute Amazonie » (éditions Plon). Il y raconte son expérience auprès d'Indiens faisant partie de l'ensemble des Jivaros, les Achuar. Chez eux, pas de concept de « nature », ni même de mot pour le définir, mais des humains et des non-humains considérés sur le même plan, comme des « partenaires sociaux ».

La nature n'existe pas.
« Un choc » pour Alessandro Pignocchi qui s'était déjà rendu à plusieurs reprises en Amazonie, mais n'avait pas saisi, pas compris ce rapport au monde. Il décide alors de retourner sur les traces de Descola, avec une réelle démarche d'anthropologue.

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La découverte d'une « formule sociale singulière »

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Mais en quoi consiste cette démarche ? Dans son dernier ouvrage, « Une écologie des relations » (CNRS éditions), Philippe Descola distingue trois étapes qui lui ont permis de le devenir. L'ethnographie, d'abord, c'est-à-dire l'immersion dans une communauté pour en apprendre la langue, les coutumes, les interactions… L'ethnographe écrit son expérience « pour la transformer en instrument scientifique ». L'ethnologie, ensuite : le chercheur devient spécialiste d'une « aire culturelle ou d'un type de problèmes ou les deux ». Pour cela, il se documente, acquiert une certaine forme d'expertise. L'anthropologie, enfin, réfléchit aux propriétés de la vie sociale et la théorise.

Philippe Descola avait débuté par la philosophie mais il la trouvait trop « eurocentrée ». Elève de Claude Lévi-Strauss et de Maurice Godelier (2), il s'intéressait à la façon dont les sociétés s'adaptent à leur environnement. Les sociétés amazoniennes en particulier le fascinaient.
Son hypothèse : « Ces Indiens auraient inventé une formule sociale singulière bien au-delà de l'espèce humaine pour y inclure plantes et animaux. » Restait à la vérifier sur le terrain.

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Etre le prolongement de son environnement

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C'est ainsi que dans les années 1970, il partit avec sa compagne, Anne-Christine Taylor, vivre chez les Achuar d'Equateur, un groupe jamais étudié et dont les premiers contacts pacifiques n'avaient eu lieu que peu de temps auparavant, avec des missionnaires.
En apprenant leur langue, ils s'aperçurent que les Achuar chantaient des « anent », incantations à destination d'êtres absents ou d'êtres ne parlant pas leur langue, comme les végétaux et les animaux. Enregistrant et traduisant ces chants, Philippe Descola et Anne-Christine Taylor ont découvert que les Indiens communiquaient ainsi avec les non-humains en les considérant également comme des personnes. Ce qui ne les empêchait pas de les cultiver, les chasser et les manger.
Cette communication s'est aussi révélée dans l'interprétation des rêves, dans lesquels les non-humains pouvaient entrer en contact avec les humains pour leur livrer des messages.achuard

La différence avec les Européens est de taille : ceux-ci considèrent que les humains constituent une espèce à part, voire dominante, la seule qui soit dotée d'une « intériorité », d'une capacité réflexive ; en revanche, ils pensent avoir des points communs avec les non-humains dans leur « physicalité ».
Les Achuar (comme d'autres peuples dans le nord du Canada ou en Australie), considèrent les humains et les non-humains semblables par leur intériorité : tous ont une âme et une capacité réflexive. Mais chaque espèce se distingue par sa physicalité : chacune vit dans une « niche écologique » qui lui est propre. Ici, une espèce est définie par son habitat, son alimentation mais aussi ses costumes, sa langue… Chaque tribu peut donc être considérée comme une espèce.

Alors que Philippe Descola s'intéressait au départ à la manière dont les sociétés s'adaptent à leur environnement, il dût se rendre à l'évidence : les Achuar ne s'adaptent pas ; ils sont le prolongement de leur environnement. Il existe une porosité entre leurs jardins et la forêt, véritable espace social peuplé d'humains et de non-humains.

Après avoir lu « Les lances du crépuscule », Alessandro Pignocchi repart en Amazonie avec en tête « un fantasme de l'altérité absolue ». Ses attentes sont grandes ; il est finalement « presque déçu ». Ce rapport au monde qui lui paraissait extraordinaire est discret, sans démonstration spectaculaire au quotidien.
Mais son voyage lui aura permis de renouer avec le dessin et de publier pour la première fois une bande dessinée : « Anent » (éditions Steinkis).

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L'émerveillement venu de la ZAD

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L'émerveillement se produira ailleurs, de manière inattendue. Pour illustrer un essai sur les concepts de nature et de culture, il se rend sur la ZAD de Notre-Dame-des-Landes. Il arrive quelques jours avant l'opération de destruction des lieux de vie par les gendarmes mobiles, en avril 2018.

Ce qu'il découvre le bouleverse. Même ceux et celles qui n'étaient pas venu.es là, au départ, pour des raisons écologiques, tendent à une relation de sujet à sujet avec les non-humains.ressource humaine

Pourquoi ? Les raisons sont multiples, mais le mode de vie des zadistes y est sans doute pour beaucoup. Aux espaces communs (cuisine, salle d'eau, ateliers…), sont reliés des espaces individuels (chambres) ; y accéder signifie souvent traverser un champ, un bois, un étang… L'habitat n'est pas dans le bocage, il est le bocage. La « nature » n'est pas mise à distance, elle fait partie intégrante de la vie. (3)

Autre raison : l'essence même de la lutte « contre un aéroport et son monde », sous-entendu son monde capitaliste.
Depuis le XVIIIe siècle en France, on « aménage ». Tout le vivant est répertorié, classifié, rationalisé et optimisé pour mieux être marchandisé. (4) L'être humain n'est pas épargné. L'ouvrier devient un outil de la croissance économique. Aujourd'hui, il n'est d'ailleurs plus un ouvrier mais une « ressource humaine ».
Aménager, c'est contrôler. Imposer où vivent les populations, où elles travaillent, où elles se divertissent, comment elles se déplacent. C'est construire, tracer des routes, bétonner. Même si l'on doit, pour cela, exploser des montagnes à coups de dynamite, remblayer des mares, raser des forêts.
Lorsqu'on ne détruit pas, on sanctuarise : on visite la nature comme on visite un musée, dans des parcs naturels où seuls les touristes ont droit d'usage. Les habitants et activités historiques ont été chassés. On ne vit plus sur ces terres ; on y passe, sur des chemins balisés qui mènent au restaurant et au magasin de souvenirs. Parfois, un projet de méthanisation ou de parc d'attraction voit le jour et fait voler en éclats les bonnes intentions des « protecteurs » de la nature…

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Réfuter le « service écologique »

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Les zadistes ont dit « non ». Il n'y aura pas d'aéroport supplémentaire dans l'Ouest de la France, ni de réseaux routiers pour balafrer le bocage. Pas question de soutenir un projet qui sert les intérêts d'un monde capitaliste mortifère, exploitant humains et non-humains, et détruisant leurs milieux.

« Sur la ZAD, le rapport au monde s'organise sur des bases différentes que celles qui existent à l'extérieur, souligne Alessandro Pignocchi. Je découvrais en actes les idées qui m'intéressaient d'un point de vue théorique. »
Dans la logique occidentale et capitaliste, les végétaux et les animaux sont des objets qui ont une utilité. « Quand tu as un objectif économique, par exemple en tant qu'éleveur, tu es obligé de considérer l'animal comme un objet », insiste l'anthropologue. En les considérant comme des sujets, les zadistes réfutent le concept de « service écologique ». Il faudrait protéger les forêts parce qu'elles sont le poumon de la planète ? Les hérissons parce qu'ils mangent les limaces sur nos salades ? Les rivières parce qu'elles irriguent nos cultures ? Et pourquoi pas, simplement, parce qu'ils.elles sont ? Des êtres au sens premier du terme. Des vies.nous sommes la nature qui se défend

Le service écologique, « ce serait aussi choquant que de choisir quelle cabane défendre, en période d'expulsion, sur la base des services que t'ont rendus ses habitants, écrit Alessandro Pignocchi dans « La recomposition des mondes ». Aussi choquant que d'expliquer à des enfants qu'il ne faut pas exterminer les autres humains parce qu'ils peuvent potentiellement leur être utiles. » Il dessine une enseignante en cours de biologie devant une classe : « Les reins, on peut en avoir besoin plus tôt qu'on ne le croit. Quant aux intestins, on l'ignore trop souvent, mais en cas de pénurie de chats, ça fait de très bons cordages. »

On sourit. Mais on réfléchit, aussi. Tout l'art d'Alessandro Pignocchi est là : dans cet équilibre entre forme et fond, entre gravité et humour, entre observation et activisme…
Finalement, l'essai qu'il devait illustrer s'est transformé en bande dessinée totalement dédiée à la ZAD. Il y prolonge sa réflexion sur le concept de « nature » découvert chez Descola et vécu en Equateur, offrant ainsi bien plus qu'un témoignage.

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Un affrontement assumé avec l’État

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La violente réaction de l’État, garant du système capitaliste, contre la ZAD, montre bien à quel point il n'entend rien à cette révolution. Pourtant, pour Alessandro Pignocchi, aucun doute : « Il n'y aura pas d'issue à la crise écologique sans détruire la sphère économique ». Et cette issue suppose un affrontement assumé avec l’État.
Le bras de fer se poursuit, notamment sur le champ de bataille du droit. A la ZAD, un fonds de dotation, « La terre en commun », a été créé pour acquérir les terres et les bâtis, et prolonger l'expérience d'usage collectif (5). Se battre avec les armes du capitaliste ? Une vitrine légaliste pour mieux poursuivre le combat ?

Quoi qu'il en soit, la ZAD essaime. Depuis le début de la lutte, elle jète des ponts, s'étend au-delà du bocage, intègre des réseaux. Le prochain projet d'Alessandro Pignocchi portera ainsi sur les liens entre zadistes et Gilets Jaunes… En attendant, suivez son regard sur l'actualité et ses travaux sur son blog, Puntish (6).

Fanny Lancelin

(1) Le titre fait écho à celui du livre « La composition des mondes » de Philippe Descola, entretiens avec Pierre Charbonnier (éditions Flammarion).
(2) Claude Lévi-Strauss (1908-2009) et Maurice Godelier (1934-), anthropologues français de renommée internationale.
(3) Lire aussi la rubrique (Re)visiter.
(4) Lire aussi dans le numéro 19 de (Re)bonds : « Etre Forêts – Habiter des territoires en lutte » de Jean-Baptiste Vidalou. http://rebonds.net/quandlaforetdebordeetsepropage/462-etreforetshabiterdesterritoiresenlutte
(5) Lire aussi la rubrique (Re)découvrir.
(6) http://puntish.blogspot.com/

 

Exposition

  • Lancée à l'occasion du festival de bandes dessinées « Bulle Berry », une exposition est consacrée à Alessandro Pignocchi au muséum d'histoire naturelle de Bourges. Intitulée « Anent et la recomposition des mondes », elle est visible jusqu'au dimanche 3 novembre inclus.
    Plus de renseignements sur http://www.museum-bourges.net/museum-a-venir-10.html
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# 29 La nature n'existe pas Tue, 21 Mar 2017 12:54:42 +0100