# 34 Psychiatrie : au-delà des murs (mars 2020)(Re)bonds est un magazine mensuel créé par Fanny Lancelin, journaliste installée dans le Cher. Son but : à travers, des portraits d'habitant.es du Berry, raconter des parcours alternatifs, des modes de vie où le respect des êtres vivants et de leur environnement tient une place centrale.http://www.rebonds.net/34audeladesmurs2023-05-11T19:00:54+02:00(Re)bonds.netJoomla! - Open Source Content ManagementL'accueil familial thérapeutique2017-03-21T13:37:42+01:002017-03-21T13:37:42+01:00http://www.rebonds.net/34audeladesmurs/576-laccueilfamilialtherapeutiqueSuper User<p><strong>L'exemple de Dun-sur-Auron dans le Cher (<em>lire la rubrique (Ré)acteurs</em>) montre qu'une prise en charge différente de l'hospitalisation des personnes confrontées à des troubles psychiatriques est possible. Qu'est-ce que l'accueil familial thérapeutique ? Comment est-il mis en place ? Qui concerne-t-il ?</strong></p>
<p><span style="color: #ff615d;"><strong><span style="font-size: 14pt;">Les origines</span></strong></span><br /><br /><em>« La prise en charge dans la famille nucléaire ou élargie »</em> <span style="font-size: 8pt;">(1)</span> de personnes souffrant de troubles psychiatriques a progressivement disparu. L'évolution de la structure familiale y est pour beaucoup : comme l'explique Juliette Rigondet dans son ouvrage, « Un village pour aliénés tranquilles » <span style="font-size: 8pt;">(2)</span>, l'industrialisation a engendré la mise au travail de tou·tes les membres de la famille qui, désormais, n'ont plus suffisamment de temps pour s'occuper de leurs parents malades. L'allongement de la durée de vie et donc, de la prise en charge, est un autre facteur.</p>
<p>Chez les Romain·es, les « aliéné·es inoffensif·ves » pouvaient rester en famille tandis que les plus « dangereux·ses » étaient enfermé·es. Avec la création des Hôpitaux généraux en 1656, Louis XIV permit l'enfermement de toute personne considérée comme marginale. Les « insensé·es » cotoyaient ainsi les sans logis, les mendiant·es, les prostitué·es, les handicapé·es, les orphelin·es…</p>
<p>Au XVIIIe et XIXe siècles, des médecins dits « aliénistes », tels que Philippe Pinel et Jean-Etienne Dominique Esquirol, militèrent pour la disparition des maisons de force et autres dépôts de mendicité. En 1818, après avoir fait un tour de France, Esquirol rédigea pour le ministre de l'Intérieur de Louis XVIII un rapport intitulé « Des établissements des aliénés en France et des moyens d'améliorer le sort de ces infortunés ». Il suggérait d'édifier des centres de santé spécifiquement destinés aux malades mentaux. Son travail aboutit à la loi dite « des aliénés » promulguée le 30 juin 1838.<a href="http://www.rebonds.net/images/DUN/insane-2666411_960_720.jpg" class="jcepopup" data-mediabox="1" data-mediabox-title="Illustration : Graehawk"><img src="http://www.rebonds.net/images/DUN/insane-2666411_960_720.jpg" alt="insane 2666411 960 720" width="384" height="517" style="border: 2px double #e2e2e2; float: right;" /></a></p>
<p>Cette loi, qui avait pour objectif d'améliorer le sort des malades, l'aggrava encore puisqu'elle provoqua l'encombrement de ces asiles : les familles y voyaient une véritable possibilité pour leurs proches de « guérir ». <em>« Un peu plus de onze mille personnes occupaient des hôpitaux « spéciaux » en 1838 ; elles étaient plus de soixante mille à l'aube de 1890 »</em>, écrit Juliette Rigondet au sujet de la situation à Paris <span style="font-size: 8pt;">(2)</span>.<br />Les conditions de vie et de soins se dégradaient. Curables et incurables étaient mélangé·es. La relation aux patient·es telle que préconisée par Pinel et Esquirol (« le traitement moral », basé sur le dialogue avec le ou la patient·e, la prise en compte de son histoire et de ses spécificités) était impossible.</p>
<p>D'autres aliénistes, comme le docteur Auguste Marie et son chef de service à l'hôpital Sainte-Anne à Paris, le docteur Bouchereau, ont cherché des alternatives à l'enfermement des « aliéné·es tranquilles » : ceux·les pour qui la guérison n'était pas possible, mais qui n'étaient pas dangereux·ses pour les autres.<br /><br /><span style="color: #ff615d;"><strong><span style="font-size: 14pt;">En Belgique et en Ecosse</span></strong></span><br /><br />A l'origine de l'idée du placement en famille en France : la communauté de Geel en Belgique, que le docteur Auguste Marie visita.</p>
<p>Il s'agissait au départ d'un pèlerinage pour rendre hommage à Dymphne, dont la légende était liée à la guérison de la folie de son père. Depuis le Moyen-Âge, les pèlerins atteints de troubles mentaux y affluaient. Ils logeaient alors chez l'habitant·e.<br />En 1850, l'accueil familial fut repris et reconnu par l'État belge. Un hôpital psychiatrique fut construit à Geel en 1862. Les patient·es n'y étaient pas enfermé·es ; il·les y étaient reçu·es pour évaluer leur capacité de réadaptation. Un comité de placement constitué d'un psychiatre, d'un infirmier de secteur, d'un·e travailleur·se social·e et d'un·e psychologue, décidait de l'orientation des patient·es, qui faisaient un essai avant le placement définitif. <em>« Le principe de base du traitement familial est le même que le traitement psychiatrique : rétablir l'équilibre entre le patient et son environnement »</em>, écrit André Leduc en 1986<span style="font-size: 8pt;"> (4)</span> après un séjour à Geel.<br />La famille était régulièrement visitée par l'infirmier·e de secteur, qui apportait également la médication. Les patient·es étaient libres de leurs déplacements et, s'il·les le désiraient, de travailler.<br />Ce dispositif existe toujours.<br />Durant la Seconde Guerre mondiale, jusqu'à 3.500 patient·es auraient été accueilli·es dans les familles. En 1986, il·les n'étaient plus que 830 et en 2015, seulement 248<span style="font-size: 8pt;"> (5)</span>. Le manque de reconnaissance financière et de statut des familles d'accueil feraient partie des causes de ce déclin.</p>
<p>Le docteur Marie s'inspira aussi du <em>no restraint</em>, concept développé en Ecosse où il séjourna. C'est John Conolly, psychiatre anglais, qui appliqua le premier ce principe, contre toute forme de contrainte mécanique, d'enchaînement de force des patient·es. Il suivit ainsi l'exemple de William Tuke, fondateur de la retraite d'York, une maison de santé mentale quaker où les patient·es jouissaient d'un maximum de liberté.</p>
<p>L'expérience de la colonie familiale mise en place par le docteur Marie débuta en 1892 à Dun-sur-Auron (<em>lire la rubrique (Ré)acteurs</em>). Une autre vit le jour non loin de là, à Ainay-le-Viel dans l'Allier.<br /><br /><span style="color: #ff615d;"><strong><span style="font-size: 14pt;">Aujourd'hui</span></strong></span></p>
<p>Il existe deux types d'accueil familial en France, clarifiés par la loi du 10 juillet 1989.<br />L'accueil familial social est une forme alternative d'hébergement pour des personnes âgées ou adultes handicapé·es. Des particuliers les prennent en charge à leur domicile contre rémunération. Le responsable de l'accueil est le Conseil départemental (c'est lui qui délivre l'agrément à la famille d'accueil) mais l'employeur reste la personne accueillie (qui peut recevoir des aides financières). La formation des familles revient au Conseil départemental.</p>
<p>L'Accueil Familial Thérapeutique (AFT) concerne des personnes adultes ou des enfants souffrant de troubles mentaux. Il·les sont accueilli·es par des familles salariées et encadrées par un établissement ou un service de soins (par exemple, dans le cas de Dun-sur-Auron, le centre hospitalier spécialisé). L'accueillant·e est agréé·e par le Conseil départemental ou la direction d'établissement. La formation des familles revient à l'établissement.<a href="http://www.rebonds.net/images/DUN/hands-2906458_960_720.jpg" class="jcepopup" data-mediabox="1" data-mediabox-title="Photo : sabinevanerp"><img src="http://www.rebonds.net/images/DUN/hands-2906458_960_720.jpg" alt="hands 2906458 960 720" width="520" height="348" style="border: 2px double #e2e2e2; float: right;" /></a></p>
<p>L'accueil peut avoir lieu avant une hospitalisation (pour éviter l'agravation de l'état d'un·e patient·e), pendant une hospitalisation (pour tester la pertinence du dispositif) et après (pour une prise en charge à long terme).<em> « Les personnes suivies en AFT présentent en commun une incapacité (momentanée ou durable), liée à leurs troubles psychiques, à gérer seuls leur vie quotidienne. Le patient doit avoir une capacité d’échange et de communication, il doit pouvoir tolérer la création et l’existence de relations entre individus »</em>, écrivent les bénévoles de la Famidac (association nationale des accueillants familiaux et de leurs partenaires) sur leur site Internet <span style="font-size: 8pt;">(6)</span>. C'est l'équipe d'encadrement de l'établissement de soins de référence qui décide de l'opportunité de l'AFT pour un·e patient·e.</p>
<p>Les bénéfices de l'AFT sont, notamment, de rompre l'enfermement, physique et psychique, du ou de la patient·e : en échangeant autour de la vie quotidienne avec la famille et la communauté, en participant à des activités, en retrouvant une certaine autonomie…</p>
<p>Selon l'arrêté du 1er octobre 1990, les malades hospitalisé·es d'office ou à la demande d'un tiers ne peuvent intégrer l'AFT.<br /><br /><span style="color: #ff615d;"><strong><span style="font-size: 14pt;">Le statut des familles d'accueil</span></strong></span></p>
<p>Alors que les « nourricier·es » n'avaient autrefois aucune reconnaissance et ne recevaient pas de salaire (uniquement une indemnité exempte d'impôts mais qui ne donnait aucun droit à la retraite ni à la Sécurité sociale), la loi du 10 juillet 1989 <em>« relative à l'accueil par des particuliers, à leur domicile, à titre onéreux, des personnes âgées ou handicapées adultes »</em>, leur accorda enfin, en devenant accueillants familiaux, un statut et un salaire fixe. Leur régime juridique est mixte puisqu'il·les relèvent à la fois du droit public et du droit privé.</p>
<p>Pour devenir accueillant·e familial·e thérapeutique, il faut proposer sa candidature au service d'AFT de son département. Deux types d'agréments sont accordés, selon qu'on accueille des adultes ou des enfants souffrant de troubles mentaux. Dans ce second cas, il est nécessaire d'avoir obtenu au préalable l'agrément d'assistant·e familial·e délivré par le Conseil départemental. Une visite au domicile permettra à l'équipe de s'assurer que toutes les conditions sont réunies pour débuter l'accueil.<br />Des formations doivent également être proposées : le décret du 1er juillet 2017 prévoit<em> « une formation préalable au premier accueil d'au moins douze heures dans un délai maximum de six mois à compter de l'obtention de l'agrément »</em>. Elle concerne le cadre juridique et institutionnel de l'accueil, le rôle de l'accueillant·e, le contrat ou encore le projet d'accueil personnalisé du ou de la patient·e. Mais, comme le déplorent nombre d'accueillant·es et d'associations les représentant, trop peu de formations sont délivrées sur les aspects thérapeutiques. Certes, l'accueillant·e n'est pas un·e soignant·e mais il·le est en contact direct avec la pathologie du malade et devrait, pour cela, y être préparé·e au mieux. Pour que cette solution, véritable alternative à l'enfermement, perdure.</p>
<p><span style="font-size: 8pt;">(1) Jean-Claude Cébula, « L'accueil familial des adultes », éditions Dunod, Paris, 1999.<br />(2) Juliette Rigondet, « Un village pour aliénés tranquilles », Fayard, Paris, 2019.<br />(3) Statistique générale de la France, service des aliénés, 1886, cité dans « Un village pour aliénés tranquilles ».<br />(4) André Leduc, « Histoire du traitement familial à Geel », revue Santé Mentale au Québec, numéro 1, juin 1987. <a href="https://www.erudit.org/fr/revues/smq/1987-v12-n1-smq1224/030384ar.pdf">https://www.erudit.org/fr/revues/smq/1987-v12-n1-smq1224/030384ar.pdf</a><br />(5) <a href="http://www.slate.fr/story/113135/belgique-familles-hebergent-patients-psychiatriques">http://www.slate.fr/story/113135/belgique-familles-hebergent-patients-psychiatriques</a><br />(6) <a href="https://www.famidac.fr">https://www.famidac.fr</a></span></p>
<div class="panel panel-primary">
<div class="panel-heading">
<h3 class="panel-title">A lire</h3>
</div>
<ul>
<li>Sur la communauté de Geel aujourd'hui, une courte mais très instructive bande dessinée à lire en ligne : <a href="https://www.lemonde.fr/blog/lavventura/2017/07/05/les-fous-qui-vivent-chez-lhabitant/">https://www.lemonde.fr/blog/lavventura/2017/07/05/les-fous-qui-vivent-chez-lhabitant/</a></li>
<li>« L'accueil familial thérapeutique pour adulte : des familles qui soignent ? », Pascal Barreau, Olivier Dupuy, Brigitte Gadeyne, Bertrand Garnier et Alberto Velasco, aux éditions Lavoisier, Paris, 2011. Des extraits sont publiés sur le site de la Famidac : <a href="https://www.famidac.fr/?L-accueil-familial-therapeutique-4220">https://www.famidac.fr/?L-accueil-familial-therapeutique-4220</a></li>
</ul>
</div><p><strong>L'exemple de Dun-sur-Auron dans le Cher (<em>lire la rubrique (Ré)acteurs</em>) montre qu'une prise en charge différente de l'hospitalisation des personnes confrontées à des troubles psychiatriques est possible. Qu'est-ce que l'accueil familial thérapeutique ? Comment est-il mis en place ? Qui concerne-t-il ?</strong></p>
<p><span style="color: #ff615d;"><strong><span style="font-size: 14pt;">Les origines</span></strong></span><br /><br /><em>« La prise en charge dans la famille nucléaire ou élargie »</em> <span style="font-size: 8pt;">(1)</span> de personnes souffrant de troubles psychiatriques a progressivement disparu. L'évolution de la structure familiale y est pour beaucoup : comme l'explique Juliette Rigondet dans son ouvrage, « Un village pour aliénés tranquilles » <span style="font-size: 8pt;">(2)</span>, l'industrialisation a engendré la mise au travail de tou·tes les membres de la famille qui, désormais, n'ont plus suffisamment de temps pour s'occuper de leurs parents malades. L'allongement de la durée de vie et donc, de la prise en charge, est un autre facteur.</p>
<p>Chez les Romain·es, les « aliéné·es inoffensif·ves » pouvaient rester en famille tandis que les plus « dangereux·ses » étaient enfermé·es. Avec la création des Hôpitaux généraux en 1656, Louis XIV permit l'enfermement de toute personne considérée comme marginale. Les « insensé·es » cotoyaient ainsi les sans logis, les mendiant·es, les prostitué·es, les handicapé·es, les orphelin·es…</p>
<p>Au XVIIIe et XIXe siècles, des médecins dits « aliénistes », tels que Philippe Pinel et Jean-Etienne Dominique Esquirol, militèrent pour la disparition des maisons de force et autres dépôts de mendicité. En 1818, après avoir fait un tour de France, Esquirol rédigea pour le ministre de l'Intérieur de Louis XVIII un rapport intitulé « Des établissements des aliénés en France et des moyens d'améliorer le sort de ces infortunés ». Il suggérait d'édifier des centres de santé spécifiquement destinés aux malades mentaux. Son travail aboutit à la loi dite « des aliénés » promulguée le 30 juin 1838.<a href="http://www.rebonds.net/images/DUN/insane-2666411_960_720.jpg" class="jcepopup" data-mediabox="1" data-mediabox-title="Illustration : Graehawk"><img src="http://www.rebonds.net/images/DUN/insane-2666411_960_720.jpg" alt="insane 2666411 960 720" width="384" height="517" style="border: 2px double #e2e2e2; float: right;" /></a></p>
<p>Cette loi, qui avait pour objectif d'améliorer le sort des malades, l'aggrava encore puisqu'elle provoqua l'encombrement de ces asiles : les familles y voyaient une véritable possibilité pour leurs proches de « guérir ». <em>« Un peu plus de onze mille personnes occupaient des hôpitaux « spéciaux » en 1838 ; elles étaient plus de soixante mille à l'aube de 1890 »</em>, écrit Juliette Rigondet au sujet de la situation à Paris <span style="font-size: 8pt;">(2)</span>.<br />Les conditions de vie et de soins se dégradaient. Curables et incurables étaient mélangé·es. La relation aux patient·es telle que préconisée par Pinel et Esquirol (« le traitement moral », basé sur le dialogue avec le ou la patient·e, la prise en compte de son histoire et de ses spécificités) était impossible.</p>
<p>D'autres aliénistes, comme le docteur Auguste Marie et son chef de service à l'hôpital Sainte-Anne à Paris, le docteur Bouchereau, ont cherché des alternatives à l'enfermement des « aliéné·es tranquilles » : ceux·les pour qui la guérison n'était pas possible, mais qui n'étaient pas dangereux·ses pour les autres.<br /><br /><span style="color: #ff615d;"><strong><span style="font-size: 14pt;">En Belgique et en Ecosse</span></strong></span><br /><br />A l'origine de l'idée du placement en famille en France : la communauté de Geel en Belgique, que le docteur Auguste Marie visita.</p>
<p>Il s'agissait au départ d'un pèlerinage pour rendre hommage à Dymphne, dont la légende était liée à la guérison de la folie de son père. Depuis le Moyen-Âge, les pèlerins atteints de troubles mentaux y affluaient. Ils logeaient alors chez l'habitant·e.<br />En 1850, l'accueil familial fut repris et reconnu par l'État belge. Un hôpital psychiatrique fut construit à Geel en 1862. Les patient·es n'y étaient pas enfermé·es ; il·les y étaient reçu·es pour évaluer leur capacité de réadaptation. Un comité de placement constitué d'un psychiatre, d'un infirmier de secteur, d'un·e travailleur·se social·e et d'un·e psychologue, décidait de l'orientation des patient·es, qui faisaient un essai avant le placement définitif. <em>« Le principe de base du traitement familial est le même que le traitement psychiatrique : rétablir l'équilibre entre le patient et son environnement »</em>, écrit André Leduc en 1986<span style="font-size: 8pt;"> (4)</span> après un séjour à Geel.<br />La famille était régulièrement visitée par l'infirmier·e de secteur, qui apportait également la médication. Les patient·es étaient libres de leurs déplacements et, s'il·les le désiraient, de travailler.<br />Ce dispositif existe toujours.<br />Durant la Seconde Guerre mondiale, jusqu'à 3.500 patient·es auraient été accueilli·es dans les familles. En 1986, il·les n'étaient plus que 830 et en 2015, seulement 248<span style="font-size: 8pt;"> (5)</span>. Le manque de reconnaissance financière et de statut des familles d'accueil feraient partie des causes de ce déclin.</p>
<p>Le docteur Marie s'inspira aussi du <em>no restraint</em>, concept développé en Ecosse où il séjourna. C'est John Conolly, psychiatre anglais, qui appliqua le premier ce principe, contre toute forme de contrainte mécanique, d'enchaînement de force des patient·es. Il suivit ainsi l'exemple de William Tuke, fondateur de la retraite d'York, une maison de santé mentale quaker où les patient·es jouissaient d'un maximum de liberté.</p>
<p>L'expérience de la colonie familiale mise en place par le docteur Marie débuta en 1892 à Dun-sur-Auron (<em>lire la rubrique (Ré)acteurs</em>). Une autre vit le jour non loin de là, à Ainay-le-Viel dans l'Allier.<br /><br /><span style="color: #ff615d;"><strong><span style="font-size: 14pt;">Aujourd'hui</span></strong></span></p>
<p>Il existe deux types d'accueil familial en France, clarifiés par la loi du 10 juillet 1989.<br />L'accueil familial social est une forme alternative d'hébergement pour des personnes âgées ou adultes handicapé·es. Des particuliers les prennent en charge à leur domicile contre rémunération. Le responsable de l'accueil est le Conseil départemental (c'est lui qui délivre l'agrément à la famille d'accueil) mais l'employeur reste la personne accueillie (qui peut recevoir des aides financières). La formation des familles revient au Conseil départemental.</p>
<p>L'Accueil Familial Thérapeutique (AFT) concerne des personnes adultes ou des enfants souffrant de troubles mentaux. Il·les sont accueilli·es par des familles salariées et encadrées par un établissement ou un service de soins (par exemple, dans le cas de Dun-sur-Auron, le centre hospitalier spécialisé). L'accueillant·e est agréé·e par le Conseil départemental ou la direction d'établissement. La formation des familles revient à l'établissement.<a href="http://www.rebonds.net/images/DUN/hands-2906458_960_720.jpg" class="jcepopup" data-mediabox="1" data-mediabox-title="Photo : sabinevanerp"><img src="http://www.rebonds.net/images/DUN/hands-2906458_960_720.jpg" alt="hands 2906458 960 720" width="520" height="348" style="border: 2px double #e2e2e2; float: right;" /></a></p>
<p>L'accueil peut avoir lieu avant une hospitalisation (pour éviter l'agravation de l'état d'un·e patient·e), pendant une hospitalisation (pour tester la pertinence du dispositif) et après (pour une prise en charge à long terme).<em> « Les personnes suivies en AFT présentent en commun une incapacité (momentanée ou durable), liée à leurs troubles psychiques, à gérer seuls leur vie quotidienne. Le patient doit avoir une capacité d’échange et de communication, il doit pouvoir tolérer la création et l’existence de relations entre individus »</em>, écrivent les bénévoles de la Famidac (association nationale des accueillants familiaux et de leurs partenaires) sur leur site Internet <span style="font-size: 8pt;">(6)</span>. C'est l'équipe d'encadrement de l'établissement de soins de référence qui décide de l'opportunité de l'AFT pour un·e patient·e.</p>
<p>Les bénéfices de l'AFT sont, notamment, de rompre l'enfermement, physique et psychique, du ou de la patient·e : en échangeant autour de la vie quotidienne avec la famille et la communauté, en participant à des activités, en retrouvant une certaine autonomie…</p>
<p>Selon l'arrêté du 1er octobre 1990, les malades hospitalisé·es d'office ou à la demande d'un tiers ne peuvent intégrer l'AFT.<br /><br /><span style="color: #ff615d;"><strong><span style="font-size: 14pt;">Le statut des familles d'accueil</span></strong></span></p>
<p>Alors que les « nourricier·es » n'avaient autrefois aucune reconnaissance et ne recevaient pas de salaire (uniquement une indemnité exempte d'impôts mais qui ne donnait aucun droit à la retraite ni à la Sécurité sociale), la loi du 10 juillet 1989 <em>« relative à l'accueil par des particuliers, à leur domicile, à titre onéreux, des personnes âgées ou handicapées adultes »</em>, leur accorda enfin, en devenant accueillants familiaux, un statut et un salaire fixe. Leur régime juridique est mixte puisqu'il·les relèvent à la fois du droit public et du droit privé.</p>
<p>Pour devenir accueillant·e familial·e thérapeutique, il faut proposer sa candidature au service d'AFT de son département. Deux types d'agréments sont accordés, selon qu'on accueille des adultes ou des enfants souffrant de troubles mentaux. Dans ce second cas, il est nécessaire d'avoir obtenu au préalable l'agrément d'assistant·e familial·e délivré par le Conseil départemental. Une visite au domicile permettra à l'équipe de s'assurer que toutes les conditions sont réunies pour débuter l'accueil.<br />Des formations doivent également être proposées : le décret du 1er juillet 2017 prévoit<em> « une formation préalable au premier accueil d'au moins douze heures dans un délai maximum de six mois à compter de l'obtention de l'agrément »</em>. Elle concerne le cadre juridique et institutionnel de l'accueil, le rôle de l'accueillant·e, le contrat ou encore le projet d'accueil personnalisé du ou de la patient·e. Mais, comme le déplorent nombre d'accueillant·es et d'associations les représentant, trop peu de formations sont délivrées sur les aspects thérapeutiques. Certes, l'accueillant·e n'est pas un·e soignant·e mais il·le est en contact direct avec la pathologie du malade et devrait, pour cela, y être préparé·e au mieux. Pour que cette solution, véritable alternative à l'enfermement, perdure.</p>
<p><span style="font-size: 8pt;">(1) Jean-Claude Cébula, « L'accueil familial des adultes », éditions Dunod, Paris, 1999.<br />(2) Juliette Rigondet, « Un village pour aliénés tranquilles », Fayard, Paris, 2019.<br />(3) Statistique générale de la France, service des aliénés, 1886, cité dans « Un village pour aliénés tranquilles ».<br />(4) André Leduc, « Histoire du traitement familial à Geel », revue Santé Mentale au Québec, numéro 1, juin 1987. <a href="https://www.erudit.org/fr/revues/smq/1987-v12-n1-smq1224/030384ar.pdf">https://www.erudit.org/fr/revues/smq/1987-v12-n1-smq1224/030384ar.pdf</a><br />(5) <a href="http://www.slate.fr/story/113135/belgique-familles-hebergent-patients-psychiatriques">http://www.slate.fr/story/113135/belgique-familles-hebergent-patients-psychiatriques</a><br />(6) <a href="https://www.famidac.fr">https://www.famidac.fr</a></span></p>
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<h3 class="panel-title">A lire</h3>
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<li>Sur la communauté de Geel aujourd'hui, une courte mais très instructive bande dessinée à lire en ligne : <a href="https://www.lemonde.fr/blog/lavventura/2017/07/05/les-fous-qui-vivent-chez-lhabitant/">https://www.lemonde.fr/blog/lavventura/2017/07/05/les-fous-qui-vivent-chez-lhabitant/</a></li>
<li>« L'accueil familial thérapeutique pour adulte : des familles qui soignent ? », Pascal Barreau, Olivier Dupuy, Brigitte Gadeyne, Bertrand Garnier et Alberto Velasco, aux éditions Lavoisier, Paris, 2011. Des extraits sont publiés sur le site de la Famidac : <a href="https://www.famidac.fr/?L-accueil-familial-therapeutique-4220">https://www.famidac.fr/?L-accueil-familial-therapeutique-4220</a></li>
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</div>Contre le système asilaire : l'exemple de La Borde2017-03-21T13:37:42+01:002017-03-21T13:37:42+01:00http://www.rebonds.net/34audeladesmurs/581-contrelesystemeasilairelexempledelabordeSuper User<p><strong>Jean Oury ne voulait plus exercer dans un système qu'il jugeait « concentrationnaire ». En 1953, le jeune psychiatre quitte la clinique qu'il dirige à Saumery, en emmenant avec lui une trentaine de patients. A pied, ils rejoignent Blois. Certains sont regroupés à l'hôtel, d'autres dans des services de soins « prêtés » par des confrères. C'est le début de l'aventure de La Borde...</strong></p>
<p>Un établissement est un organisme malade qu'il faut sans cesse soigner. C'est la thèse développée par Hermann Simon dans les années 1920 en Allemagne<span style="font-size: 8pt;"> (1)</span> et qui inspira nombre de médecins qui voulaient transformer en profondeur le système asilaire et qui fondèrent, au fil du temps, ce qu'on appelle la psychiatrie institutionnelle (l'institution étant comprise ici au sens d'« établissement »). Hermann Simon écrivait :<em> « Les trois maux dont sont menacés nos malades mentaux dans un hôpital et contre lesquels notre thérapeutique doit lutter sans arrêt sont les suivants : l’inaction, l’ambiance défavorable de l’hôpital et le préjugé d’irresponsabilité du malade lui-même. »</em></p>
<p><strong><span style="font-size: 14pt; color: #ff615d;">La rencontre de Tosquelles et Oury</span></strong></p>
<p>François Tosquelles, psychiatre catalan, réfugié en France durant la Seconde Guerre mondiale, fut de ceux qu'Hermann Simon inspirait. Mais il puisait aussi dans les idées de Jacques Lacan, Sigmund Freud et… Karl Marx. En effet, selon Tosquelles, la psychiatrie institutionnelle devait tenir compte des deux types d'aliénations qui provoquent les psychoses : la psychopathologie (Freud) et l'aliénation sociale (Marx).</p>
<p>En 1940, il commença à exercer à la clinique de Saint-Alban-sur-Limagnole, en Lozère. C'est là, sept ans plus tard, que le jeune interne Jean Oury fit sa connaissance. Ils ne se quittèrent plus. <em>« Vous allez prendre en charge la formation des infirmiers »</em>, demanda François Tosquelles à Jean Oury. <em>« Mais je n'y connais rien »</em>, répondit le jeune homme alors âgé de 23 ans. <em>« Justement. »</em> répondit Tosquelle… <span style="font-size: 8pt;">(2)</span></p>
<p><strong><span style="font-size: 14pt; color: #ff615d;">Les principes de la psychothérapie institutionnelle</span></strong></p>
<p>La psychothérapie institutionnelle entend modifier le rapport soignant·e / soigné·e. Parce que les psychotiques agissent selon des transferts <span style="font-size: 8pt;">(3)</span>, il s'agit de leur offrir de multiples possibilités de transferts <span style="font-size: 8pt;">(4)</span>. Cela passe notamment par des soignant·es recruté·es dans tous les secteurs d'activités, qui n'ont pas tou·tes suivi la même formation (médecine, mais aussi agriculture, arts…). Chacun·e, comme le ou la soigné·e, a un vécu, une expérience qui lui est propre.<br />La création de lieux variés et ouverts, à l'intérieur même de l'hôpital mais aussi en lien avec la cité permet de multiplier encore les transferts. Pas de camisole ou autres outil d'entrave mécanique.</p>
<p>Autre point fondamental de la psychothérapie institutionnelle : de la même manière que le lieu qui l'entoure fait partie du soin, le ou la patient·e est partie prenante. Il·le participe aux ateliers, c'est-à-dire aux activités de la vie quotidienne (cuisine, rangement, ménage, soin aux animaux…) et à des activités créatrices (littérature, musique, théâtre, danse…).</p>
<p>La psychothérapie institutionnelle, toujours en mouvement, emprunte aux domaines de la psychanalyse, de la psychiatrie, de la philosophie, de la sociologie, de la pédagogie… Elle les a également influencés.</p>
<p><span style="color: #ff615d;"><strong><span style="font-size: 14pt;">« La folle échappée »</span></strong></span></p>
<p>En 1949, Jean Oury arrive à la clinique de Saumery, dans le Loir-et-Cher, qu'il dirige à partir de 1951. A l'époque, la situation psychiatrique du département est catastrophique. Jean Oury veut mettre en pratique ce qu'il a appris auprès de François Tosquelles. Mais en haut-lieu, les réticences sont vives.<br />C'est ainsi qu'il décide, en 1953, de quitter la clinique avec une trentaine de ses patient·es, à la recherche d'un lieu où s'établir. A pied, à travers la campagne du Loir-et-Cher ! Le propriétaire d'un hôtel accepte de les abriter à Blois. Les patient·es qui demandent le plus de soins sont pris en charge à l'étage de la maternité de la clinique Florimond-Robertet.<a href="http://www.rebonds.net/images/DUN/lafolleéchapée.png" class="jcepopup" data-mediabox="1" data-mediabox-title="La folle échappée, Arno Bertina et Pierre-Henry Gomont (La Revue Dessinée n°18 - Hiver 2017)."><img src="http://www.rebonds.net/images/DUN/lafolleéchapée.png" alt="lafolleéchapée" width="661" height="392" style="border: 2px double #e2e2e2; float: right;" /></a></p>
<p>Chaque jour, à moto, Jean Oury sillonne la région en quête d'un lieu. Pendant ce temps, à l'hôtel, patient·es et soignant·es doivent s'organiser pour la vie quotidienne. Il·les expérimentent concrètement les principes de la psychothérapie institutionnelle et jettent les bases de leur future vie ensemble.<br /><em>« Cette période est une utopie, la forme parfaite de la clinique rêvée par Oury : une forme ouverte à tous les changements, où toutes les positions restent mobiles, ne permettant à personne d'entrer dans le ronronnement de sa pratique »</em>, écrit Arno Bertina dans « La folle échapée » <span style="font-size: 8pt;">(2)</span>.<em> « D'une certaine façon, ces trois semaines d'errance vont pousser plus loin le rêve de La Borde, qui est l'enfant des cliniques de Saint-Alban et de Saumery, mais avec à chaque fois quelque chose en plus dans le sens de l'accueil, de la prévenance, de la considération. »</em></p>
<p><span style="color: #ff615d;"><strong><span style="font-size: 14pt;">La création de La Borde</span></strong></span></p>
<p>Et un jour, sur la route reliant Tour-en-Sologne à Cour-Cheverny, Jean Oury trouve La Borde : un château inhabité scind d'un magnifique parc de 23 hectares. Il n'a pas l'argent nécessaire pour l'acheter mais les propriétaires acceptent de le louer une année, le temps qu'il récolte les fonds. Les trente patient·es emménagent, suivi·es bientôt par d'autres.</p>
<p>La Borde est rejointe par des praticiens devenus célèbres tels que Félix Guattari, par exemple, ancien élève de Fernand Oury (frère de Jean), passionné de pédagogies alternatives, proche de Célestin Freinet.<br />Dans le but de faire émerger de nouvelles idées et de nouvelles expériences, et de ne surtout pas s'enfermer dans des concepts ou théorires, Jean Oury crée, en 1960, le GTPSI, Groupe de Travail de Psychothérapie Institutionnelle. Il regroupe une trentaine de psychiatres responsables de services hospitaliers qui interrogent de manière critique tous les courants psychiatriques.<br />A partir de 1971, Jean Oury anime un séminaire de La Borde ; dix ans plus tard, ,mensuellement, celui de l'hôpital Sainte-Anne à Paris. De 1984 à 1988, il enseigne la psychopathologie à l'université Paris VII (Jussieu).</p>
<p><span style="color: #ff615d;"><strong><span style="font-size: 14pt;">L'héritage</span></strong></span></p>
<p>Jean Oury a dirigé l'établissement jusqu'à sa mort en 2014. La Borde existe toujours. Clinique psychiatrique privée pour adultes, agréée et conventionnée, elle compte 107 lits d’hospitalisation complète et 30 places en hospitalisation de jour. Les personnes hospitalisées le sont volontairement. Aucun lieu de soins n’est fermé, la circulation est libre et la prise en charge des espaces de vie quotidienne est l’affaire de tou·tes. A La Borde, les personnels de l'équipe soignante sont appelé·es « moniteur·ices » : ils dispensent les soins, veillent au fonctionnement des secteurs et à l'animation.<br />Les patient·es sont responsabilisé·es dans l'organisation de la vie collective, notamment dans la gestion des ateliers, confiée à un club thérapeutique et élaborée dans des réunions paritaires avec l'équipe soignante. Les délégués du club participent au comité hospitalier qui évalue la pertinence thérapeutique des activités, les aménagements possibles des ateliers et leur dotation. Le but : <em>« s'adresser au malade en tant que sujet, en lui permettant de s'inscrire dans un itinéraire thérapeutique, et en recherchant son consentement, sa participation active à la mise en place d'un projet personnalisé de soins et à son évolution »</em>, peut-on lire sur le site de la clinique <span style="font-size: 8pt;">(5)</span>.</p>
<p>D'autres cliniques de psychothérapie institutionnelle ont été créées dans le département du Loir-et-Cher : la clinique de la Chesnaie à Chailles par le docteur Claude Jeangirard en 1956 et la clinique de Freschines par le docteur René Bidault en 1973.</p>
<p></p>
<p><span style="font-size: 8pt;"></span><span style="font-size: 8pt;">(1) Hermann Simon, « Aktivere Krankenbehandlung in der lrrenanstalt », Walter de Gruyter et Cie éditeurs, Berlin 1929. Plus de renseignements sur <a href="http://psychiatrie.histoire.free.fr/traitmt/psycho/instit/hermann.htm">http://psychiatrie.histoire.free.fr/traitmt/psycho/instit/hermann.htm</a><br />(2) Arno Bertina et Pierre-Henry Gomont, « La folle échapée », récit publié dans « La Revue Dessinée », n° 18 – Hiver 2017.<br />(3) Transfert : processus au cours duquel une attention, un désir, un sentiment envers des sujets de notre histoire – nos parents par exemple – sont transférés sur une autre personne.<br />(4) Transferts multiréférenciels selon Tosquelles, transferts dissociés selon Oury.<br />(5) <a href="http://www.cliniquedelaborde.com/la-clinique.html">http://www.cliniquedelaborde.com/la-clinique.html</a></span></p>
<p> </p>
<div class="panel-heading">
<h3 class="panel-title"><span style="background-color: #ff615d;">Plus</span></h3>
</div>
<ul>
<li><span style="background-color: #ff615d;">Sur l'histoire, les principes et les expériences de la psychothérapie institutionnelle : lire l'article de Jean Oury intitulé « Psychanalyse, psychiatrie et psychothérapie institutionnelles » paru dans la revue « Vie sociale et traitements », n°95, 2007.</span><br /><span style="color: #ffffff; background-color: #ff615d;"><a href="https://www.cairn.info/revue-vie-sociale-et-traitements-2007-3-page-110.htm#" style="color: #ffffff; background-color: #ff615d;">https://www.cairn.info/revue-vie-sociale-et-traitements-2007-3-page-110.htm#</a></span></li>
<li><span style="background-color: #ff615d;">Voir le documentaire « Le sous-bois des insensés » de Martin Deyres (2018).</span></li>
<li><span style="background-color: #ff615d;">Sur la vie à La Borde aujourd'hui, le site Internet du Club : <span style="color: #ffffff;"><a href="https://www.clubdelaborde.com/" style="color: #ffffff; background-color: #ff615d;">https://www.clubdelaborde.com/</a></span></span></li>
</ul><p><strong>Jean Oury ne voulait plus exercer dans un système qu'il jugeait « concentrationnaire ». En 1953, le jeune psychiatre quitte la clinique qu'il dirige à Saumery, en emmenant avec lui une trentaine de patients. A pied, ils rejoignent Blois. Certains sont regroupés à l'hôtel, d'autres dans des services de soins « prêtés » par des confrères. C'est le début de l'aventure de La Borde...</strong></p>
<p>Un établissement est un organisme malade qu'il faut sans cesse soigner. C'est la thèse développée par Hermann Simon dans les années 1920 en Allemagne<span style="font-size: 8pt;"> (1)</span> et qui inspira nombre de médecins qui voulaient transformer en profondeur le système asilaire et qui fondèrent, au fil du temps, ce qu'on appelle la psychiatrie institutionnelle (l'institution étant comprise ici au sens d'« établissement »). Hermann Simon écrivait :<em> « Les trois maux dont sont menacés nos malades mentaux dans un hôpital et contre lesquels notre thérapeutique doit lutter sans arrêt sont les suivants : l’inaction, l’ambiance défavorable de l’hôpital et le préjugé d’irresponsabilité du malade lui-même. »</em></p>
<p><strong><span style="font-size: 14pt; color: #ff615d;">La rencontre de Tosquelles et Oury</span></strong></p>
<p>François Tosquelles, psychiatre catalan, réfugié en France durant la Seconde Guerre mondiale, fut de ceux qu'Hermann Simon inspirait. Mais il puisait aussi dans les idées de Jacques Lacan, Sigmund Freud et… Karl Marx. En effet, selon Tosquelles, la psychiatrie institutionnelle devait tenir compte des deux types d'aliénations qui provoquent les psychoses : la psychopathologie (Freud) et l'aliénation sociale (Marx).</p>
<p>En 1940, il commença à exercer à la clinique de Saint-Alban-sur-Limagnole, en Lozère. C'est là, sept ans plus tard, que le jeune interne Jean Oury fit sa connaissance. Ils ne se quittèrent plus. <em>« Vous allez prendre en charge la formation des infirmiers »</em>, demanda François Tosquelles à Jean Oury. <em>« Mais je n'y connais rien »</em>, répondit le jeune homme alors âgé de 23 ans. <em>« Justement. »</em> répondit Tosquelle… <span style="font-size: 8pt;">(2)</span></p>
<p><strong><span style="font-size: 14pt; color: #ff615d;">Les principes de la psychothérapie institutionnelle</span></strong></p>
<p>La psychothérapie institutionnelle entend modifier le rapport soignant·e / soigné·e. Parce que les psychotiques agissent selon des transferts <span style="font-size: 8pt;">(3)</span>, il s'agit de leur offrir de multiples possibilités de transferts <span style="font-size: 8pt;">(4)</span>. Cela passe notamment par des soignant·es recruté·es dans tous les secteurs d'activités, qui n'ont pas tou·tes suivi la même formation (médecine, mais aussi agriculture, arts…). Chacun·e, comme le ou la soigné·e, a un vécu, une expérience qui lui est propre.<br />La création de lieux variés et ouverts, à l'intérieur même de l'hôpital mais aussi en lien avec la cité permet de multiplier encore les transferts. Pas de camisole ou autres outil d'entrave mécanique.</p>
<p>Autre point fondamental de la psychothérapie institutionnelle : de la même manière que le lieu qui l'entoure fait partie du soin, le ou la patient·e est partie prenante. Il·le participe aux ateliers, c'est-à-dire aux activités de la vie quotidienne (cuisine, rangement, ménage, soin aux animaux…) et à des activités créatrices (littérature, musique, théâtre, danse…).</p>
<p>La psychothérapie institutionnelle, toujours en mouvement, emprunte aux domaines de la psychanalyse, de la psychiatrie, de la philosophie, de la sociologie, de la pédagogie… Elle les a également influencés.</p>
<p><span style="color: #ff615d;"><strong><span style="font-size: 14pt;">« La folle échappée »</span></strong></span></p>
<p>En 1949, Jean Oury arrive à la clinique de Saumery, dans le Loir-et-Cher, qu'il dirige à partir de 1951. A l'époque, la situation psychiatrique du département est catastrophique. Jean Oury veut mettre en pratique ce qu'il a appris auprès de François Tosquelles. Mais en haut-lieu, les réticences sont vives.<br />C'est ainsi qu'il décide, en 1953, de quitter la clinique avec une trentaine de ses patient·es, à la recherche d'un lieu où s'établir. A pied, à travers la campagne du Loir-et-Cher ! Le propriétaire d'un hôtel accepte de les abriter à Blois. Les patient·es qui demandent le plus de soins sont pris en charge à l'étage de la maternité de la clinique Florimond-Robertet.<a href="http://www.rebonds.net/images/DUN/lafolleéchapée.png" class="jcepopup" data-mediabox="1" data-mediabox-title="La folle échappée, Arno Bertina et Pierre-Henry Gomont (La Revue Dessinée n°18 - Hiver 2017)."><img src="http://www.rebonds.net/images/DUN/lafolleéchapée.png" alt="lafolleéchapée" width="661" height="392" style="border: 2px double #e2e2e2; float: right;" /></a></p>
<p>Chaque jour, à moto, Jean Oury sillonne la région en quête d'un lieu. Pendant ce temps, à l'hôtel, patient·es et soignant·es doivent s'organiser pour la vie quotidienne. Il·les expérimentent concrètement les principes de la psychothérapie institutionnelle et jettent les bases de leur future vie ensemble.<br /><em>« Cette période est une utopie, la forme parfaite de la clinique rêvée par Oury : une forme ouverte à tous les changements, où toutes les positions restent mobiles, ne permettant à personne d'entrer dans le ronronnement de sa pratique »</em>, écrit Arno Bertina dans « La folle échapée » <span style="font-size: 8pt;">(2)</span>.<em> « D'une certaine façon, ces trois semaines d'errance vont pousser plus loin le rêve de La Borde, qui est l'enfant des cliniques de Saint-Alban et de Saumery, mais avec à chaque fois quelque chose en plus dans le sens de l'accueil, de la prévenance, de la considération. »</em></p>
<p><span style="color: #ff615d;"><strong><span style="font-size: 14pt;">La création de La Borde</span></strong></span></p>
<p>Et un jour, sur la route reliant Tour-en-Sologne à Cour-Cheverny, Jean Oury trouve La Borde : un château inhabité scind d'un magnifique parc de 23 hectares. Il n'a pas l'argent nécessaire pour l'acheter mais les propriétaires acceptent de le louer une année, le temps qu'il récolte les fonds. Les trente patient·es emménagent, suivi·es bientôt par d'autres.</p>
<p>La Borde est rejointe par des praticiens devenus célèbres tels que Félix Guattari, par exemple, ancien élève de Fernand Oury (frère de Jean), passionné de pédagogies alternatives, proche de Célestin Freinet.<br />Dans le but de faire émerger de nouvelles idées et de nouvelles expériences, et de ne surtout pas s'enfermer dans des concepts ou théorires, Jean Oury crée, en 1960, le GTPSI, Groupe de Travail de Psychothérapie Institutionnelle. Il regroupe une trentaine de psychiatres responsables de services hospitaliers qui interrogent de manière critique tous les courants psychiatriques.<br />A partir de 1971, Jean Oury anime un séminaire de La Borde ; dix ans plus tard, ,mensuellement, celui de l'hôpital Sainte-Anne à Paris. De 1984 à 1988, il enseigne la psychopathologie à l'université Paris VII (Jussieu).</p>
<p><span style="color: #ff615d;"><strong><span style="font-size: 14pt;">L'héritage</span></strong></span></p>
<p>Jean Oury a dirigé l'établissement jusqu'à sa mort en 2014. La Borde existe toujours. Clinique psychiatrique privée pour adultes, agréée et conventionnée, elle compte 107 lits d’hospitalisation complète et 30 places en hospitalisation de jour. Les personnes hospitalisées le sont volontairement. Aucun lieu de soins n’est fermé, la circulation est libre et la prise en charge des espaces de vie quotidienne est l’affaire de tou·tes. A La Borde, les personnels de l'équipe soignante sont appelé·es « moniteur·ices » : ils dispensent les soins, veillent au fonctionnement des secteurs et à l'animation.<br />Les patient·es sont responsabilisé·es dans l'organisation de la vie collective, notamment dans la gestion des ateliers, confiée à un club thérapeutique et élaborée dans des réunions paritaires avec l'équipe soignante. Les délégués du club participent au comité hospitalier qui évalue la pertinence thérapeutique des activités, les aménagements possibles des ateliers et leur dotation. Le but : <em>« s'adresser au malade en tant que sujet, en lui permettant de s'inscrire dans un itinéraire thérapeutique, et en recherchant son consentement, sa participation active à la mise en place d'un projet personnalisé de soins et à son évolution »</em>, peut-on lire sur le site de la clinique <span style="font-size: 8pt;">(5)</span>.</p>
<p>D'autres cliniques de psychothérapie institutionnelle ont été créées dans le département du Loir-et-Cher : la clinique de la Chesnaie à Chailles par le docteur Claude Jeangirard en 1956 et la clinique de Freschines par le docteur René Bidault en 1973.</p>
<p></p>
<p><span style="font-size: 8pt;"></span><span style="font-size: 8pt;">(1) Hermann Simon, « Aktivere Krankenbehandlung in der lrrenanstalt », Walter de Gruyter et Cie éditeurs, Berlin 1929. Plus de renseignements sur <a href="http://psychiatrie.histoire.free.fr/traitmt/psycho/instit/hermann.htm">http://psychiatrie.histoire.free.fr/traitmt/psycho/instit/hermann.htm</a><br />(2) Arno Bertina et Pierre-Henry Gomont, « La folle échapée », récit publié dans « La Revue Dessinée », n° 18 – Hiver 2017.<br />(3) Transfert : processus au cours duquel une attention, un désir, un sentiment envers des sujets de notre histoire – nos parents par exemple – sont transférés sur une autre personne.<br />(4) Transferts multiréférenciels selon Tosquelles, transferts dissociés selon Oury.<br />(5) <a href="http://www.cliniquedelaborde.com/la-clinique.html">http://www.cliniquedelaborde.com/la-clinique.html</a></span></p>
<p> </p>
<div class="panel-heading">
<h3 class="panel-title"><span style="background-color: #ff615d;">Plus</span></h3>
</div>
<ul>
<li><span style="background-color: #ff615d;">Sur l'histoire, les principes et les expériences de la psychothérapie institutionnelle : lire l'article de Jean Oury intitulé « Psychanalyse, psychiatrie et psychothérapie institutionnelles » paru dans la revue « Vie sociale et traitements », n°95, 2007.</span><br /><span style="color: #ffffff; background-color: #ff615d;"><a href="https://www.cairn.info/revue-vie-sociale-et-traitements-2007-3-page-110.htm#" style="color: #ffffff; background-color: #ff615d;">https://www.cairn.info/revue-vie-sociale-et-traitements-2007-3-page-110.htm#</a></span></li>
<li><span style="background-color: #ff615d;">Voir le documentaire « Le sous-bois des insensés » de Martin Deyres (2018).</span></li>
<li><span style="background-color: #ff615d;">Sur la vie à La Borde aujourd'hui, le site Internet du Club : <span style="color: #ffffff;"><a href="https://www.clubdelaborde.com/" style="color: #ffffff; background-color: #ff615d;">https://www.clubdelaborde.com/</a></span></span></li>
</ul>« Un village d'aliénés tranquilles » : une alternative à l'enfermement2017-03-21T12:54:42+01:002017-03-21T12:54:42+01:00http://www.rebonds.net/34audeladesmurs/575-unvillagedalienestranquillesunealternativealenfermementSuper User<p style="text-align: right;"><strong><em>« Les hommes construisent trop de murs et pas assez de ponts. »</em> Isaac Newton<br /></strong></p>
<p><span style="font-size: 18pt;">C</span>laude était-il fou ? <em>« Simplet »</em> ou <em>« niais »</em>, disait ma grand-mère, selon qu'il lui inspirait compassion ou agacement. Une chose est sûre : il était « différent » et vivait « ailleurs ».</p>
<p>Lorsqu'il entrait dans la salle à manger de mes grands-parents pour y prendre le goûter, l'ambiance changeait. On ne lui adressait pas la parole comme à un enfant, ni comme à un adulte mais comme à quelqu'un de spécial. Il me semblait qu'on prenait toujours mille précautions avec lui.<a href="http://www.rebonds.net/images/DUN/livre.jpeg" class="jcepopup" data-mediabox="1"><img src="http://www.rebonds.net/images/DUN/livre.jpeg" alt="livre" width="324" height="515" style="margin-left: 15px; border: 2px double #e2e2e2; float: right;" /></a><br />Claude me fascinait, à cause des histoires que j'avais entendues sur lui et, surtout, celles que mon esprit d'enfant avait inventées sur son passé. Aujourd'hui encore, je n'ai aucune idée de ce qui relève du vrai et du faux. Pour moi, il restera le neveu <em>« par alliance »</em> de ma grand-mère ; le jardinier analphabète d'un hospice pour séniles ; l'amoureux de la gentille Solange, tous deux vivant dans un foyer pour les doux-dingues de leur espèce.<br /><em>« Pourquoi la famille les a-t-elle abandonnés ? »</em>, ai-je demandé un jour.<em> « On s'occupe bien d'eux où ils sont »</em>, m'a répondu en substance ma grand-mère. Elle était femme de secrets, pas de tabous : nous pouvions parler de la contraception de Solange à table, mais pas des raisons pour lesquelles Claude n'était pas invité aux fêtes de famille...</p>
<p>Je n'ai jamais ressenti de la tristesse ou de la pitié au contact de Claude, mais un mur invisible nous séparait. Celui qui sépare les gens dits « normaux » et ceux dits « anormaux », « malades », « fous ».<br />J'ai toujours su que la différence n'était qu'une question de point de vue et de point de vie (celui qui nous façonne socialement). Depuis l'enfance, je cherchais ces autres qui n'étaient pas comme moi. Il était évident qu'il·les n'étaient pas né·es ainsi, mais qu'un évènement particulier, que leur famille ou que la société toute entière les avaient transformé·es. Certain·es reviendraient sûrement, un jour, à la norme ; il·les seraient « guéris ». D'autres n'y parviendraient ou ne le voudraient tout simplement pas.</p>
<p>Parfois, heureusement, les murs se fissurent. Des brèches s'ouvrent, des mains se serrent, des liens sont noués. Des frontières sont franchies, des mondes autrefois séparés se mélangent. Les cloisons tombent et, de chaque côté, les regards se croisent, ébahis de se trouver là, ensemble.<br />C'est l'histoire que raconte Juliette Rigondet, dans un ouvrage passionnant intitulé « Un village pour aliénés tranquilles » <span style="font-size: 8pt;">(1)</span>. Originaire du département du Cher, elle a été témoin d'une expérience insolite en France, méconnue, qui existe pourtant toujours : celui du décloisonnement de l'asile à l'échelle d'un village tout entier.</p>
<p><span style="color: #fc615d;">_______________________________________________________</span></p>
<h3>Faire sortir de l'ombre les souffrants</h3>
<p><span style="color: #fc615d;">_______________________________________________________</span></p>
<p>En attendant Juliette Rigondet à l'étage d'une petite brasserie parisienne, j'essaie de me souvenir. Il y a quelques années, j'animais des ateliers d'éducation aux médias au collège de Dun-sur-Auron, dans le Cher. Avais-je alors remarqué quelque chose qui aurait pu me mettre sur la voie ? Non, absolument rien n'indiquait que sur les 4.000 habitant·es du village, 10 % étaient des « patient·es » atteint·es de troubles psychiatriques et qu'une majorité vivait librement. Hors des murs... de l'hôpital ou d'un quelconque centre de soins.<a href="http://www.rebonds.net/images/DUN/Grande_rue_1900.jpg" class="jcepopup" data-mediabox="1" data-mediabox-title="La Grande Rue de Dun en 1900 (collection : J-R. Moreau)."><img src="http://www.rebonds.net/images/DUN/Grande_rue_1900.jpg" alt="Grande rue 1900" width="542" height="344" style="margin-left: 15px; border: 2px double #e2e2e2; float: right;" /></a><br /><em>« Quand on atteint Dun par la route en provenance de Bourges – le plus grand axe, bordé de mini-haies et d'arbustes soignés – une succession de panneaux mentionnent « la ville fleurie », la « cité médiévale », son marché, son « complexe sportif », la « cité artisanale », sa salle des fêtes… Aucun, cependant, n'annonce l'hôpital psychiatrique »</em>, écrit Juliette Rigondet. Ce qui est pudiquement appelé centre hospitalier spécialisé s'étend, en plein cœur du village, sur sept hectares. Pourtant, celui ou celle qui ne vit pas ici, peut passer près de ses murs sans y prêter attention.</p>
<p>C'est lorsqu'on prend le temps de s'attabler à une terrasse de café ou de parcourir les rues du bourg, qu'on peut apercevoir les silhouettes de ces hommes et de ces femmes, pour certain·es à la démarche ou à la physionomie singulières. Des « patients permanents », comme on les appelle aujourd'hui, « les pensionnaires », « petits fous » ou « aliénés » comme on le disait autrefois. Il·les aujourd'hui sont 400, dont environ 230 vivent en familles d'accueil, héritiers de l'expérience d'une « colonie » fondée au XIXe siècle. Une colonie ? Des familles accueillant des malades mentaux chez elles, rattachées à un centre de soins.</p>
<p><em>« Lorsqu'on habite à Dun et aux alentours, on croit très bien connaître cette histoire »</em>, m'explique Juliette Rigondet. Elle-même, qui est née et a grandi dans une ferme là-bas, s'est laissée surprendre au fil de ses recherches par des événements, des personnages, des réalités… Elle souhaitait <em>« faire sortir de l'ombre et de l'oubli les souffrants »</em> et <em>« rendre hommage »</em> à ceux et celles qui ont parfois joué des rôles importants auprès des habitant·es.<br />Son ouvrage est également un formidable témoignage historique à la fois du mouvement psychiatrique en France, et du mouvement antialiéniste qui influença la recherche d'alternatives à l'enfermement, dont Dun est un exemple concret.</p>
<p><span style="color: #fc615d;">____________________________________________________________</span></p>
<h3>Une enquête historique et journalistique</h3>
<p><span style="color: #fc615d;">_____________________________________________________________</span></p>
<p>Mais qui eut cette idée d'accueil familial et comment fut-elle mise en place ? Qui étaient réellement ces « aliéné·es » ? D'où venaient-il·les ? Pourquoi l'expérience a-t-elle si bien fonctionné ici, dans le Centre de la France ?<a href="http://www.rebonds.net/images/DUN/Juliette_rigondet.jpeg" class="jcepopup" data-mediabox="1" data-mediabox-title="Juliette Rigondet a vécu son enfance à Dun et y retourne régulièrement voir sa famille."><img src="http://www.rebonds.net/images/DUN/Juliette_rigondet.jpeg" alt="Juliette rigondet" width="318" height="442" style="margin-left: 15px; border: 2px double #e2e2e2; float: right;" /></a><em></em></p>
<p>Juliette Rigondet a travaillé sur le sujet durant trois ans.<br />Journaliste pendant quinze ans pour la revue « Histoire », elle a pris son indépendance en 2015 pour se consacrer à <em>« une activité plus littéraire »</em>. Elle a publié un premier ouvrage, « Le soin de la terre » <span style="font-size: 8pt;">(2)</span>, racontant l'histoire de son frère sur la ferme familiale. Parallèlement, elle a commencé à animer des ateliers d'écriture.<br /><em>« J'ai alors rencontré Sophie Hogg, éditrice chez Fayard, qui cherchait des sujets « en marge ». Dès le premier rendez-vous, elle a été d'accord pour un récit de l'expérience à Dun. J'ai eu la chance de bénéficier d'un contrat. »</em></p>
<p>Les recherches historiques sont proches de l'enquête journalistique : il s'agit de se rendre sur place, de consulter des documents, d'interroger des témoins directs ou indirects, de croiser et vérifier les informations, de choisir un angle pour raconter son histoire…<br />Mais, Juliette Rigondet l'avoue,<em> « les débuts ont été vertigineux »</em>. Après avoir reçu l'accord de la direction, elle a pu consulter les archives du centre hospitalier spécialisé de Dun.<em> « Quand je suis entrée pour la première fois dans une des salles… Il y avait tant et tant de dossiers ! Vraiment, c'était vertigineux ! »</em><br />Elle a d'abord parcouru ceux des patient·es au hasard, puis a fait un choix en fonction de dates importantes : les débuts de l'expérience, les pics de fréquentation de la colonie, les guerres, l'évolution des méthodes psychiatriques…<br />Autre source d'informations conséquente : les archives administratives de la colonie, qu'elle a pu consulter jusqu'en 1950, et les rapports annuels des médecins.<br />Elle a réalisé des entretiens avec des habitant·es, par exemple avec Pierre Goyon, historien local, dont les parents ont reçu autrefois des patient·es. Elle a aussi interrogé deux familles d'accueil en activité aujourd'hui.<br />C'est « à la fin » qu'elle a rencontré des patients :<em> « Je crois que j'étais intimidée,</em> sourit-elle. <em>J'avais peur d'être intrusive. »</em></p>
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<h3>Contre l'univers infernal des asiles</h3>
<p><span style="color: #fc615d;">____________________________________________________</span></p>
<p>Ces patient·es de Dun en 2020 ont hérité d'un mode de soins qui est né aux débuts des années 1890, il y a donc 130 ans.<br />A l'origine, la loi dite « des aliénés », votée en 1838, qui provoqua l'effet inverse de celui escompté : la saturation des asiles parisiens. Cette loi prévoyait une meilleure prise en charge des malades mentaux, mais étendait aussi cette qualification à des malades jugés alors « déments inoffensifs ».<a href="http://www.rebonds.net/images/DUN/lettre_Virgnie_p_1.jpg" class="jcepopup" data-mediabox="1" data-mediabox-title="Parmi les nombreux documents consultés par Juliette Rigondet, des lettres de patientes."><img src="http://www.rebonds.net/images/DUN/lettre_Virgnie_p_1.jpg" alt="lettre Virgnie p 1" width="322" height="462" style="margin-left: 15px; border: 2px double #e2e2e2; float: right;" /></a><br />Pourquoi ? Pour répondre à un phénomène lié au développement de l'industrialisation : tou·tes les membres d'une même famille travaillaient pour survivre. Il ne leur était plus possible d'accorder du temps à leurs parents malades.</p>
<p>Deux types d'internement étaient prévus par la loi : le placement « volontaire », à l'initiative des familles et appuyé par un certificat médical ; et le placement « d'office » par les autorités.<br />Le nombre de malades placé·es dans les asiles ne cessa d'augmenter. D'autant que l'obligation faite aux départements de construire des structures spécialisées n'était pas respectée partout. Celles des centres urbains étaient bondées. <em>« Autrefois synonyme de refuge, le mot asile évoquait, en cette fin de siècle, un univers infernal,</em> écrit Juliette Rigondet. <em>L'enfermement et les traitements qui y étaient infligés (camisoles, liens aux poignets et aux chevilles, réclusion en cellule, bains froids de plusieurs heures, seaux d'eau jetés au visage…) relevaient plus souvent d'un centre pénitentiaire où l'on contraignait, soumettait, punissait et maintenait quiconque hors d'état de nuire, que d'un lieu de soins. »</em><br />Avec l'augmentation des placements d'office, il s'agissait de mettre derrière les murs non plus seulements les « fous », mais les gêneurs, les subversifs, ceux.les qui dérangeaient l'ordre établi.</p>
<p>Autre fait marquant : les malades, curables ou non, étaient mélangé·es. Une spécificité française. Une aberration pour nombre de médecins aliénistes qui s'inspiraient notamment des résultats observés chez les anglo-saxons. Ceux-ci séparaient les malades selon leurs pathologies et obtenaient davantage de guérisons que leurs homologues français.</p>
<p>Le docteur Auguste Marie, jeune interne en psychiatrie à l'hôpital Sainte-Anne à Paris, était de ceux qui cherchaient des alternatives. Son but : faire sortir de l'asile les incurables, considéré·es non dangereux·ses, pour laisser la place à ceux·lles qui avaient une chance de guérir. Il s'inspira de la colonie de Geel en Belgique <span style="font-size: 8pt;">(3)</span>, ainsi que du modèle écossais du no restraint <span style="font-size: 8pt;">(4)</span> pour mener un essai de colonie en France (lire aussi la rubrique (Re)visiter).</p>
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<h3>D'ouvrier·es à nourricier·es</h3>
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<p>Le Conseil général de la Seine donna son accord en juillet 1892. Deux ans plus tôt, il avait lancé un appel aux départements situés non loin de Paris. Le Cher, l'Allier, la Creuse et l'Orne y avaient répondu positivement.<br />A l'époque, le monde rural était touché par la diminution des salaires, le chômage et l'exode rural. Les habitant·es du Cher subissaient plus particulièrement une crise économique liée au phylloxéra, qui avait détruit les vignes, et la fermerture de certaines industries.<a href="http://www.rebonds.net/images/DUN/gare.jpg" class="jcepopup" data-mediabox="1" data-mediabox-title="La gare, par où arrivaient généralement les patient·es (collection : J-R. Moreau)."><img src="http://www.rebonds.net/images/DUN/gare.jpg" alt="gare" width="526" height="325" style="margin-left: 15px; border: 2px double #e2e2e2; float: right;" /></a> L'accueil des malades représentaient un apport financier non négligeable aux premiers<em> « nourriciers »</em>, <em>« des gens simples et généralement pauvres »</em>, <em>« des ouvriers en somme, mais de la campagne »</em>, comme le souligne Juliette Rigondet.<br />Dun-sur-Auron fut retenue pour ses voies de communication centrales, sa situation en plein cœur de la campagne, mais aussi pour son dynamisme et ses commerces. On comptait sur les habitant·es de cette petite ville pour offrir un cadre sécurisant aux malades.</p>
<p>Une quarantaine de familles se portèrent immédiatement volontaires. D'agriculteur·ices à aubergistes, en passant par épicier·es ou bûcherons, il·les devinrent « nourricier·es » et « infirmiers visiteurs ». Il·le·s ne recevaient pas de formation, mais subisssaient une enquête, un examen du logis et un entretien avec des infirmiers visiteurs, qui passaient régulièrement et à l'improviste pour veiller aux intérêts du malade.</p>
<p>La première année, 73 patientes arrivèrent à Dun. Il devait s'agir de vieillardes, dites « arriérées » ou « débiles » mentales, des alcooliques chroniques, épileptiques, dépressives ou mélancoliques. Elles devaient être sociables, calmes et non délirantes. Mais dans les faits, elles pouvaient aussi souffrir de psychoses chroniques, de schizophrénie, de tendances suicidaires, de délires de la persécution… Il y eut aussi des hommes, notamment pour répondre aux besoins logistiques de la colonie.<br />Rapidement, le nombre de malades et donc de nourricier·es augmenta. Il y eut jusqu'à 1.500 patient·es (pour environ 5.000 villageois·es), en 1939.</p>
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<h3>Disposer de son temps librement</h3>
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<p>En 1892, le docteur Auguste Marie s'installa à Dun. Son appartement de fonction était situé dans une maison du bourg. Progressivement, furent aménagés d'autres espaces, logistiques et médicaux, puis d'autres maisons et enfin, des constructions neuves. Il fallait pouvoir accueillir les malades en crise, stocker les médicaments, réunir et former les infirmiers, loger le personnel…<a href="http://www.rebonds.net/images/DUN/la_colonie.jpeg" class="jcepopup" data-mediabox="1" data-mediabox-title="Le pavillon Leroux construit en 1900, au style architectural typique des bâtiments de la colonie (collection : J-R. Moreau)."><img src="http://www.rebonds.net/images/DUN/la_colonie.jpeg" alt="la colonie" width="626" height="427" style="margin-left: 15px; border: 2px double #e2e2e2; float: right;" /></a><br />En 1900, un bâtiment fut construit pour les malades impotentes : il n'était plus question de les laisser dans les familles, quand les soins devenaient trop lourds. A partir de 1976, la colonie devint centre hospitalier spécialisé. En 2000, un Ehpad – USLD (5) pour les personnes en fin de vie fut ajouté et en 2004, une Maison d'Accueil Spécialisée (MAS) pour adolescent·es et adultes handicapé·es mentaux·les.</p>
<p>Mais revenons au XIXe siècle. Quelle était la vie d'un·e « aliéné·e tranquille » ? Il·les partagaient le quotidien de leur famille d'accueil, pouvaient se promener, lire, travailler. Il·les disposaient de leur temps librement, comme il·les l'entendaient. Dans le livret de présentation de la colonie en 1913, Juliette Rigondet a pu lire : <em>« Les pensionnaires ne sont obligées à aucun travail, mais elles sont sollicitées à s'occuper dans leur intérêt même. Le travail est rémunéré et doit l'être. Elles peuvent, lorsqu'elles habitent à Dun, travailler dans le centre [la colonie] […], et dans ce cas, elles touchent un pécule ; ou travailler chez les habitants, sans que ce soit nécessairement pour leur nourricière, qui les paient après avoir fixé avec elles leur salaire. Elles peuvent faire des ménages, tricoter, repasser, laver ; à la campagne, garder les animaux ou aider à divers travaux. »</em> Ceux de force sont interdits.</p>
<p>Les travailleur·ses n'étaient pas majoritaires (322 sur 983 patient·es en 1913), mais pour il·les, le travail représentait une forme de normalité et d'intégration essentielle à leur mieux être. Certes, il y eut quelques abus, notamment au niveau des salaires (à commencer par l'administration elle-même), mais lorsque le travail des patient·es fut interdit en 1990, beaucoup le regrettèrent. <em>« C'est dommage,</em> considère ainsi Juliette Rigondet. <em>Ça a fait des aliénés des mineurs. Ils touchent l'AAH (6), ils font des activités, ils sont dans l'occupationnel… ça les enferme dans un microcosme, entre patients. »</em><br /><em><em></em></em></p>
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<h3>Des liens sincères</h3>
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<p>Les enfermer. Encore. La société reprendrait-elle rapidement ces vieux réflexes de murs, de frontières ? Ou le décloisonnement de l'asile n'était-il qu'un leurre ?<br />Non, comme l'explique Juliette Rigondet, à Dun, l'asile – cette fois au sens premier du terme – est bien<em> « un ensemble de maisons disséminées dans la ville et les hameaux voisins, reliées autrefois à une simple infirmerie, aujourd'hui à un centre hospitalier et à ses services administratifs »</em>. Les patient·es ont un lieu à eux·les et <em>« une famille en plus de la leur »</em>. Les liens entre certain·es habitant·es du village et certain·es patient·es sont réels, <em>« des liens d'amitié, d'estime, d'affection réciproque ; parfois aussi, peut-être, d'amour, comme le font penser les informations, conservées dans les archives, sur les relations sexuelles régulières qui existèrent entre certains patients et des habitants de Dun ou ses environs »</em><span style="font-size: 8pt;"> (7)</span>.<a href="http://www.rebonds.net/images/DUN/carre_malades.jpeg" class="jcepopup" data-mediabox="1" data-mediabox-title="Le carré des malades, frontière entre les "civils" et les "aliénés" jusque dans la mort ? (photo : J. Rigondet)"><img src="http://www.rebonds.net/images/DUN/carre_malades.jpeg" alt="carre malades" width="495" height="372" style="margin-left: 15px; border: 2px double #e2e2e2; float: right;" /></a><br />Une transmission de savoirs est parfois possible comme l'exemple de cette patiente pianiste ou de ce féru de mathématiques qui donnaient des cours aux habitant·es…<br />Même si, au fil de ces 130 ans, tous les placements ne se déroulèrent pas idéalement et que certains durent même être fermés, des liens sont nés également entre familles d'accueil et patient·es, ou entre patient·es souvent placé·es à plusieurs. Juliette Rigondet raconte des histoires très touchantes dans ce sens.</p>
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<h3>Vers une ouverture des frontières</h3>
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<p>Pour autant, des frontières perdurent. Celles du <em>« eux-et-nous »</em> bien décrites dans un des chapitres de l'ouvrage : les <em>« civils »</em> et les<em> « malades </em>» ; les « nourriciers » et les autres habitant·es du village ; les infirmier·es de l'hôpital et les infirmier·es visiteur·ses ; jusque dans la mort avec le carré des malades au cimetière… Aujourd'hui, le métier de famille d'accueil a beaucoup évolué et les patient·es sont accueilli·es dans des espaces indépendants, qui favorisent le confort, l'intimité, l'autonomie mais aussi un certain détachement dans les relations (lire aussi la rubrique (Re)visiter).<br /><em>« La frontière demeure entre les biens portants et les malades,</em> reconnaît Juliette Rigondet. <em>Même à Dun, il y a encore parfois des moqueries, du tutoiement, de la discrimination, une différence de traitement… Mais je crois que l'expérience a aussi rendu très ouverte une partie de la population et a créé une certaine tradition d'accueil. On l'a vu récemment avec l'accueil de jeunes migrants. »</em></p>
<p>A l'occasion de la sortie de son livre, lors d'une séance de présentation dans le village, une centaine de personnes lui ont fait part de leur émotion. <em>« Elles m'ont dit : « C'est notre histoire ». Pas seulement l'histoire des fous. Notre histoire. »</em><br /><br /><strong>Fanny Lancelin</strong></p>
<p><span style="font-size: 8pt;">(1) Juliette Rigondet, « Un village pour aliénés tranquilles », Fayard, Paris, 2019.<br />(2) Juliette Rigondet, « Le soin de la terre », Tallandier, Paris, 2016.<br />(3) Depuis le Moyen-Âge, des malades mentaux sont logés chez des habitant·es de la commune de Geel en Belgique. Il s'agissait au départ d'un pèlerinage autour de la légende de Dymphne, qui se transforma en colonie d’État, laïcisée, pour le traitement des affections mentales (lire aussi la rubrique (Re)visiter).<br />(4) No restraint : <em>« courant opposé à toute technique de contention comme la camisole, les chaînes, les barreaux aux fenêtres... »</em>, cf Juliette Rigondet, « Un village pour aliénés tranquilles », p.47, Fayard, Paris, 2019.<br />(5) Etablissement d'Hébergement pour Personnes Âgées Dépendantes et Unité de Soins de Longue Durée.<br />(6) Allocation pour Adultes Handicapé·es.<br />(7) Juliette Rigondet se base sur une étude réalisée par le docteur Masson, directeur de la colonie, sur la sexualité des patient·es réalisée en 1943 et 1948, dont il a livré les résultats dans les comptes rendus annuels envoyés à sa hiérarchie.</span></p>
<p> </p>
<div class="panel panel-primary">
<div class="panel-heading">
<h3 class="panel-title">Des photos de Sabine Weiss prises à Dun : à quand une exposition ?</h3>
</div>
<ul>
<li>La photographie publiée en couverture du livre de Juliette Rigondet, « Un village pour aliénés tranquilles », est l'œuvre de la célèbre photographe Sabine Weiss, tout comme une partie des illustrations à l'intérieur de l'ouvrage.<br />Née en Suisse en 1924, la photographe a travaillé avec Robert Doisneau. Ses images ont fait l'objet de nombreuses expositions à travers le monde et font partie de collections prestigieuses.<br />C'est en découvrant celle du centre Georges-Pompidou qu'une amie de Juliette Rigondet s'est aperçue que des photographies avaient été prises à Dun-sur-Auron ! <em>« Lorsque je suis allée voir sur place, par la plus grande des coïncidences, une rencontre était organisée pour le public avec Sabine Weiss,</em> raconte Juliette Rigondet.<em> J'ai pu lui parler de mon travail. Elle m'a très simplement invité chez elle pour voir les autres clichés. C'était un reportage qu'elle avait réalisé en 1954 sur la colonie mais qui n'a, finalement, jamais été publié. »</em><br />Depuis, Juliette Rigondet aimerait organiser une exposition dans le département du Cher, et en particulier à Dun-sur-Auron. Mais sa proposition ne semble pas reccueillir suffisamment d'échos au niveau local… Une telle exposition représenterait pourtant un événement majeur pour le territoire ! Alors... à quand cette exposition dans le Cher ?<br />Pour (re)découvrir le travail de Sabine Weiss : <a href="https://sabineweissphotographe.com">https://sabineweissphotographe.com</a></li>
</ul>
</div><p style="text-align: right;"><strong><em>« Les hommes construisent trop de murs et pas assez de ponts. »</em> Isaac Newton<br /></strong></p>
<p><span style="font-size: 18pt;">C</span>laude était-il fou ? <em>« Simplet »</em> ou <em>« niais »</em>, disait ma grand-mère, selon qu'il lui inspirait compassion ou agacement. Une chose est sûre : il était « différent » et vivait « ailleurs ».</p>
<p>Lorsqu'il entrait dans la salle à manger de mes grands-parents pour y prendre le goûter, l'ambiance changeait. On ne lui adressait pas la parole comme à un enfant, ni comme à un adulte mais comme à quelqu'un de spécial. Il me semblait qu'on prenait toujours mille précautions avec lui.<a href="http://www.rebonds.net/images/DUN/livre.jpeg" class="jcepopup" data-mediabox="1"><img src="http://www.rebonds.net/images/DUN/livre.jpeg" alt="livre" width="324" height="515" style="margin-left: 15px; border: 2px double #e2e2e2; float: right;" /></a><br />Claude me fascinait, à cause des histoires que j'avais entendues sur lui et, surtout, celles que mon esprit d'enfant avait inventées sur son passé. Aujourd'hui encore, je n'ai aucune idée de ce qui relève du vrai et du faux. Pour moi, il restera le neveu <em>« par alliance »</em> de ma grand-mère ; le jardinier analphabète d'un hospice pour séniles ; l'amoureux de la gentille Solange, tous deux vivant dans un foyer pour les doux-dingues de leur espèce.<br /><em>« Pourquoi la famille les a-t-elle abandonnés ? »</em>, ai-je demandé un jour.<em> « On s'occupe bien d'eux où ils sont »</em>, m'a répondu en substance ma grand-mère. Elle était femme de secrets, pas de tabous : nous pouvions parler de la contraception de Solange à table, mais pas des raisons pour lesquelles Claude n'était pas invité aux fêtes de famille...</p>
<p>Je n'ai jamais ressenti de la tristesse ou de la pitié au contact de Claude, mais un mur invisible nous séparait. Celui qui sépare les gens dits « normaux » et ceux dits « anormaux », « malades », « fous ».<br />J'ai toujours su que la différence n'était qu'une question de point de vue et de point de vie (celui qui nous façonne socialement). Depuis l'enfance, je cherchais ces autres qui n'étaient pas comme moi. Il était évident qu'il·les n'étaient pas né·es ainsi, mais qu'un évènement particulier, que leur famille ou que la société toute entière les avaient transformé·es. Certain·es reviendraient sûrement, un jour, à la norme ; il·les seraient « guéris ». D'autres n'y parviendraient ou ne le voudraient tout simplement pas.</p>
<p>Parfois, heureusement, les murs se fissurent. Des brèches s'ouvrent, des mains se serrent, des liens sont noués. Des frontières sont franchies, des mondes autrefois séparés se mélangent. Les cloisons tombent et, de chaque côté, les regards se croisent, ébahis de se trouver là, ensemble.<br />C'est l'histoire que raconte Juliette Rigondet, dans un ouvrage passionnant intitulé « Un village pour aliénés tranquilles » <span style="font-size: 8pt;">(1)</span>. Originaire du département du Cher, elle a été témoin d'une expérience insolite en France, méconnue, qui existe pourtant toujours : celui du décloisonnement de l'asile à l'échelle d'un village tout entier.</p>
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<h3>Faire sortir de l'ombre les souffrants</h3>
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<p>En attendant Juliette Rigondet à l'étage d'une petite brasserie parisienne, j'essaie de me souvenir. Il y a quelques années, j'animais des ateliers d'éducation aux médias au collège de Dun-sur-Auron, dans le Cher. Avais-je alors remarqué quelque chose qui aurait pu me mettre sur la voie ? Non, absolument rien n'indiquait que sur les 4.000 habitant·es du village, 10 % étaient des « patient·es » atteint·es de troubles psychiatriques et qu'une majorité vivait librement. Hors des murs... de l'hôpital ou d'un quelconque centre de soins.<a href="http://www.rebonds.net/images/DUN/Grande_rue_1900.jpg" class="jcepopup" data-mediabox="1" data-mediabox-title="La Grande Rue de Dun en 1900 (collection : J-R. Moreau)."><img src="http://www.rebonds.net/images/DUN/Grande_rue_1900.jpg" alt="Grande rue 1900" width="542" height="344" style="margin-left: 15px; border: 2px double #e2e2e2; float: right;" /></a><br /><em>« Quand on atteint Dun par la route en provenance de Bourges – le plus grand axe, bordé de mini-haies et d'arbustes soignés – une succession de panneaux mentionnent « la ville fleurie », la « cité médiévale », son marché, son « complexe sportif », la « cité artisanale », sa salle des fêtes… Aucun, cependant, n'annonce l'hôpital psychiatrique »</em>, écrit Juliette Rigondet. Ce qui est pudiquement appelé centre hospitalier spécialisé s'étend, en plein cœur du village, sur sept hectares. Pourtant, celui ou celle qui ne vit pas ici, peut passer près de ses murs sans y prêter attention.</p>
<p>C'est lorsqu'on prend le temps de s'attabler à une terrasse de café ou de parcourir les rues du bourg, qu'on peut apercevoir les silhouettes de ces hommes et de ces femmes, pour certain·es à la démarche ou à la physionomie singulières. Des « patients permanents », comme on les appelle aujourd'hui, « les pensionnaires », « petits fous » ou « aliénés » comme on le disait autrefois. Il·les aujourd'hui sont 400, dont environ 230 vivent en familles d'accueil, héritiers de l'expérience d'une « colonie » fondée au XIXe siècle. Une colonie ? Des familles accueillant des malades mentaux chez elles, rattachées à un centre de soins.</p>
<p><em>« Lorsqu'on habite à Dun et aux alentours, on croit très bien connaître cette histoire »</em>, m'explique Juliette Rigondet. Elle-même, qui est née et a grandi dans une ferme là-bas, s'est laissée surprendre au fil de ses recherches par des événements, des personnages, des réalités… Elle souhaitait <em>« faire sortir de l'ombre et de l'oubli les souffrants »</em> et <em>« rendre hommage »</em> à ceux et celles qui ont parfois joué des rôles importants auprès des habitant·es.<br />Son ouvrage est également un formidable témoignage historique à la fois du mouvement psychiatrique en France, et du mouvement antialiéniste qui influença la recherche d'alternatives à l'enfermement, dont Dun est un exemple concret.</p>
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<h3>Une enquête historique et journalistique</h3>
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<p>Mais qui eut cette idée d'accueil familial et comment fut-elle mise en place ? Qui étaient réellement ces « aliéné·es » ? D'où venaient-il·les ? Pourquoi l'expérience a-t-elle si bien fonctionné ici, dans le Centre de la France ?<a href="http://www.rebonds.net/images/DUN/Juliette_rigondet.jpeg" class="jcepopup" data-mediabox="1" data-mediabox-title="Juliette Rigondet a vécu son enfance à Dun et y retourne régulièrement voir sa famille."><img src="http://www.rebonds.net/images/DUN/Juliette_rigondet.jpeg" alt="Juliette rigondet" width="318" height="442" style="margin-left: 15px; border: 2px double #e2e2e2; float: right;" /></a><em></em></p>
<p>Juliette Rigondet a travaillé sur le sujet durant trois ans.<br />Journaliste pendant quinze ans pour la revue « Histoire », elle a pris son indépendance en 2015 pour se consacrer à <em>« une activité plus littéraire »</em>. Elle a publié un premier ouvrage, « Le soin de la terre » <span style="font-size: 8pt;">(2)</span>, racontant l'histoire de son frère sur la ferme familiale. Parallèlement, elle a commencé à animer des ateliers d'écriture.<br /><em>« J'ai alors rencontré Sophie Hogg, éditrice chez Fayard, qui cherchait des sujets « en marge ». Dès le premier rendez-vous, elle a été d'accord pour un récit de l'expérience à Dun. J'ai eu la chance de bénéficier d'un contrat. »</em></p>
<p>Les recherches historiques sont proches de l'enquête journalistique : il s'agit de se rendre sur place, de consulter des documents, d'interroger des témoins directs ou indirects, de croiser et vérifier les informations, de choisir un angle pour raconter son histoire…<br />Mais, Juliette Rigondet l'avoue,<em> « les débuts ont été vertigineux »</em>. Après avoir reçu l'accord de la direction, elle a pu consulter les archives du centre hospitalier spécialisé de Dun.<em> « Quand je suis entrée pour la première fois dans une des salles… Il y avait tant et tant de dossiers ! Vraiment, c'était vertigineux ! »</em><br />Elle a d'abord parcouru ceux des patient·es au hasard, puis a fait un choix en fonction de dates importantes : les débuts de l'expérience, les pics de fréquentation de la colonie, les guerres, l'évolution des méthodes psychiatriques…<br />Autre source d'informations conséquente : les archives administratives de la colonie, qu'elle a pu consulter jusqu'en 1950, et les rapports annuels des médecins.<br />Elle a réalisé des entretiens avec des habitant·es, par exemple avec Pierre Goyon, historien local, dont les parents ont reçu autrefois des patient·es. Elle a aussi interrogé deux familles d'accueil en activité aujourd'hui.<br />C'est « à la fin » qu'elle a rencontré des patients :<em> « Je crois que j'étais intimidée,</em> sourit-elle. <em>J'avais peur d'être intrusive. »</em></p>
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<h3>Contre l'univers infernal des asiles</h3>
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<p>Ces patient·es de Dun en 2020 ont hérité d'un mode de soins qui est né aux débuts des années 1890, il y a donc 130 ans.<br />A l'origine, la loi dite « des aliénés », votée en 1838, qui provoqua l'effet inverse de celui escompté : la saturation des asiles parisiens. Cette loi prévoyait une meilleure prise en charge des malades mentaux, mais étendait aussi cette qualification à des malades jugés alors « déments inoffensifs ».<a href="http://www.rebonds.net/images/DUN/lettre_Virgnie_p_1.jpg" class="jcepopup" data-mediabox="1" data-mediabox-title="Parmi les nombreux documents consultés par Juliette Rigondet, des lettres de patientes."><img src="http://www.rebonds.net/images/DUN/lettre_Virgnie_p_1.jpg" alt="lettre Virgnie p 1" width="322" height="462" style="margin-left: 15px; border: 2px double #e2e2e2; float: right;" /></a><br />Pourquoi ? Pour répondre à un phénomène lié au développement de l'industrialisation : tou·tes les membres d'une même famille travaillaient pour survivre. Il ne leur était plus possible d'accorder du temps à leurs parents malades.</p>
<p>Deux types d'internement étaient prévus par la loi : le placement « volontaire », à l'initiative des familles et appuyé par un certificat médical ; et le placement « d'office » par les autorités.<br />Le nombre de malades placé·es dans les asiles ne cessa d'augmenter. D'autant que l'obligation faite aux départements de construire des structures spécialisées n'était pas respectée partout. Celles des centres urbains étaient bondées. <em>« Autrefois synonyme de refuge, le mot asile évoquait, en cette fin de siècle, un univers infernal,</em> écrit Juliette Rigondet. <em>L'enfermement et les traitements qui y étaient infligés (camisoles, liens aux poignets et aux chevilles, réclusion en cellule, bains froids de plusieurs heures, seaux d'eau jetés au visage…) relevaient plus souvent d'un centre pénitentiaire où l'on contraignait, soumettait, punissait et maintenait quiconque hors d'état de nuire, que d'un lieu de soins. »</em><br />Avec l'augmentation des placements d'office, il s'agissait de mettre derrière les murs non plus seulements les « fous », mais les gêneurs, les subversifs, ceux.les qui dérangeaient l'ordre établi.</p>
<p>Autre fait marquant : les malades, curables ou non, étaient mélangé·es. Une spécificité française. Une aberration pour nombre de médecins aliénistes qui s'inspiraient notamment des résultats observés chez les anglo-saxons. Ceux-ci séparaient les malades selon leurs pathologies et obtenaient davantage de guérisons que leurs homologues français.</p>
<p>Le docteur Auguste Marie, jeune interne en psychiatrie à l'hôpital Sainte-Anne à Paris, était de ceux qui cherchaient des alternatives. Son but : faire sortir de l'asile les incurables, considéré·es non dangereux·ses, pour laisser la place à ceux·lles qui avaient une chance de guérir. Il s'inspira de la colonie de Geel en Belgique <span style="font-size: 8pt;">(3)</span>, ainsi que du modèle écossais du no restraint <span style="font-size: 8pt;">(4)</span> pour mener un essai de colonie en France (lire aussi la rubrique (Re)visiter).</p>
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<h3>D'ouvrier·es à nourricier·es</h3>
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<p>Le Conseil général de la Seine donna son accord en juillet 1892. Deux ans plus tôt, il avait lancé un appel aux départements situés non loin de Paris. Le Cher, l'Allier, la Creuse et l'Orne y avaient répondu positivement.<br />A l'époque, le monde rural était touché par la diminution des salaires, le chômage et l'exode rural. Les habitant·es du Cher subissaient plus particulièrement une crise économique liée au phylloxéra, qui avait détruit les vignes, et la fermerture de certaines industries.<a href="http://www.rebonds.net/images/DUN/gare.jpg" class="jcepopup" data-mediabox="1" data-mediabox-title="La gare, par où arrivaient généralement les patient·es (collection : J-R. Moreau)."><img src="http://www.rebonds.net/images/DUN/gare.jpg" alt="gare" width="526" height="325" style="margin-left: 15px; border: 2px double #e2e2e2; float: right;" /></a> L'accueil des malades représentaient un apport financier non négligeable aux premiers<em> « nourriciers »</em>, <em>« des gens simples et généralement pauvres »</em>, <em>« des ouvriers en somme, mais de la campagne »</em>, comme le souligne Juliette Rigondet.<br />Dun-sur-Auron fut retenue pour ses voies de communication centrales, sa situation en plein cœur de la campagne, mais aussi pour son dynamisme et ses commerces. On comptait sur les habitant·es de cette petite ville pour offrir un cadre sécurisant aux malades.</p>
<p>Une quarantaine de familles se portèrent immédiatement volontaires. D'agriculteur·ices à aubergistes, en passant par épicier·es ou bûcherons, il·les devinrent « nourricier·es » et « infirmiers visiteurs ». Il·le·s ne recevaient pas de formation, mais subisssaient une enquête, un examen du logis et un entretien avec des infirmiers visiteurs, qui passaient régulièrement et à l'improviste pour veiller aux intérêts du malade.</p>
<p>La première année, 73 patientes arrivèrent à Dun. Il devait s'agir de vieillardes, dites « arriérées » ou « débiles » mentales, des alcooliques chroniques, épileptiques, dépressives ou mélancoliques. Elles devaient être sociables, calmes et non délirantes. Mais dans les faits, elles pouvaient aussi souffrir de psychoses chroniques, de schizophrénie, de tendances suicidaires, de délires de la persécution… Il y eut aussi des hommes, notamment pour répondre aux besoins logistiques de la colonie.<br />Rapidement, le nombre de malades et donc de nourricier·es augmenta. Il y eut jusqu'à 1.500 patient·es (pour environ 5.000 villageois·es), en 1939.</p>
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<h3>Disposer de son temps librement</h3>
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<p>En 1892, le docteur Auguste Marie s'installa à Dun. Son appartement de fonction était situé dans une maison du bourg. Progressivement, furent aménagés d'autres espaces, logistiques et médicaux, puis d'autres maisons et enfin, des constructions neuves. Il fallait pouvoir accueillir les malades en crise, stocker les médicaments, réunir et former les infirmiers, loger le personnel…<a href="http://www.rebonds.net/images/DUN/la_colonie.jpeg" class="jcepopup" data-mediabox="1" data-mediabox-title="Le pavillon Leroux construit en 1900, au style architectural typique des bâtiments de la colonie (collection : J-R. Moreau)."><img src="http://www.rebonds.net/images/DUN/la_colonie.jpeg" alt="la colonie" width="626" height="427" style="margin-left: 15px; border: 2px double #e2e2e2; float: right;" /></a><br />En 1900, un bâtiment fut construit pour les malades impotentes : il n'était plus question de les laisser dans les familles, quand les soins devenaient trop lourds. A partir de 1976, la colonie devint centre hospitalier spécialisé. En 2000, un Ehpad – USLD (5) pour les personnes en fin de vie fut ajouté et en 2004, une Maison d'Accueil Spécialisée (MAS) pour adolescent·es et adultes handicapé·es mentaux·les.</p>
<p>Mais revenons au XIXe siècle. Quelle était la vie d'un·e « aliéné·e tranquille » ? Il·les partagaient le quotidien de leur famille d'accueil, pouvaient se promener, lire, travailler. Il·les disposaient de leur temps librement, comme il·les l'entendaient. Dans le livret de présentation de la colonie en 1913, Juliette Rigondet a pu lire : <em>« Les pensionnaires ne sont obligées à aucun travail, mais elles sont sollicitées à s'occuper dans leur intérêt même. Le travail est rémunéré et doit l'être. Elles peuvent, lorsqu'elles habitent à Dun, travailler dans le centre [la colonie] […], et dans ce cas, elles touchent un pécule ; ou travailler chez les habitants, sans que ce soit nécessairement pour leur nourricière, qui les paient après avoir fixé avec elles leur salaire. Elles peuvent faire des ménages, tricoter, repasser, laver ; à la campagne, garder les animaux ou aider à divers travaux. »</em> Ceux de force sont interdits.</p>
<p>Les travailleur·ses n'étaient pas majoritaires (322 sur 983 patient·es en 1913), mais pour il·les, le travail représentait une forme de normalité et d'intégration essentielle à leur mieux être. Certes, il y eut quelques abus, notamment au niveau des salaires (à commencer par l'administration elle-même), mais lorsque le travail des patient·es fut interdit en 1990, beaucoup le regrettèrent. <em>« C'est dommage,</em> considère ainsi Juliette Rigondet. <em>Ça a fait des aliénés des mineurs. Ils touchent l'AAH (6), ils font des activités, ils sont dans l'occupationnel… ça les enferme dans un microcosme, entre patients. »</em><br /><em><em></em></em></p>
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<h3>Des liens sincères</h3>
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<p>Les enfermer. Encore. La société reprendrait-elle rapidement ces vieux réflexes de murs, de frontières ? Ou le décloisonnement de l'asile n'était-il qu'un leurre ?<br />Non, comme l'explique Juliette Rigondet, à Dun, l'asile – cette fois au sens premier du terme – est bien<em> « un ensemble de maisons disséminées dans la ville et les hameaux voisins, reliées autrefois à une simple infirmerie, aujourd'hui à un centre hospitalier et à ses services administratifs »</em>. Les patient·es ont un lieu à eux·les et <em>« une famille en plus de la leur »</em>. Les liens entre certain·es habitant·es du village et certain·es patient·es sont réels, <em>« des liens d'amitié, d'estime, d'affection réciproque ; parfois aussi, peut-être, d'amour, comme le font penser les informations, conservées dans les archives, sur les relations sexuelles régulières qui existèrent entre certains patients et des habitants de Dun ou ses environs »</em><span style="font-size: 8pt;"> (7)</span>.<a href="http://www.rebonds.net/images/DUN/carre_malades.jpeg" class="jcepopup" data-mediabox="1" data-mediabox-title="Le carré des malades, frontière entre les "civils" et les "aliénés" jusque dans la mort ? (photo : J. Rigondet)"><img src="http://www.rebonds.net/images/DUN/carre_malades.jpeg" alt="carre malades" width="495" height="372" style="margin-left: 15px; border: 2px double #e2e2e2; float: right;" /></a><br />Une transmission de savoirs est parfois possible comme l'exemple de cette patiente pianiste ou de ce féru de mathématiques qui donnaient des cours aux habitant·es…<br />Même si, au fil de ces 130 ans, tous les placements ne se déroulèrent pas idéalement et que certains durent même être fermés, des liens sont nés également entre familles d'accueil et patient·es, ou entre patient·es souvent placé·es à plusieurs. Juliette Rigondet raconte des histoires très touchantes dans ce sens.</p>
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<h3>Vers une ouverture des frontières</h3>
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<p>Pour autant, des frontières perdurent. Celles du <em>« eux-et-nous »</em> bien décrites dans un des chapitres de l'ouvrage : les <em>« civils »</em> et les<em> « malades </em>» ; les « nourriciers » et les autres habitant·es du village ; les infirmier·es de l'hôpital et les infirmier·es visiteur·ses ; jusque dans la mort avec le carré des malades au cimetière… Aujourd'hui, le métier de famille d'accueil a beaucoup évolué et les patient·es sont accueilli·es dans des espaces indépendants, qui favorisent le confort, l'intimité, l'autonomie mais aussi un certain détachement dans les relations (lire aussi la rubrique (Re)visiter).<br /><em>« La frontière demeure entre les biens portants et les malades,</em> reconnaît Juliette Rigondet. <em>Même à Dun, il y a encore parfois des moqueries, du tutoiement, de la discrimination, une différence de traitement… Mais je crois que l'expérience a aussi rendu très ouverte une partie de la population et a créé une certaine tradition d'accueil. On l'a vu récemment avec l'accueil de jeunes migrants. »</em></p>
<p>A l'occasion de la sortie de son livre, lors d'une séance de présentation dans le village, une centaine de personnes lui ont fait part de leur émotion. <em>« Elles m'ont dit : « C'est notre histoire ». Pas seulement l'histoire des fous. Notre histoire. »</em><br /><br /><strong>Fanny Lancelin</strong></p>
<p><span style="font-size: 8pt;">(1) Juliette Rigondet, « Un village pour aliénés tranquilles », Fayard, Paris, 2019.<br />(2) Juliette Rigondet, « Le soin de la terre », Tallandier, Paris, 2016.<br />(3) Depuis le Moyen-Âge, des malades mentaux sont logés chez des habitant·es de la commune de Geel en Belgique. Il s'agissait au départ d'un pèlerinage autour de la légende de Dymphne, qui se transforma en colonie d’État, laïcisée, pour le traitement des affections mentales (lire aussi la rubrique (Re)visiter).<br />(4) No restraint : <em>« courant opposé à toute technique de contention comme la camisole, les chaînes, les barreaux aux fenêtres... »</em>, cf Juliette Rigondet, « Un village pour aliénés tranquilles », p.47, Fayard, Paris, 2019.<br />(5) Etablissement d'Hébergement pour Personnes Âgées Dépendantes et Unité de Soins de Longue Durée.<br />(6) Allocation pour Adultes Handicapé·es.<br />(7) Juliette Rigondet se base sur une étude réalisée par le docteur Masson, directeur de la colonie, sur la sexualité des patient·es réalisée en 1943 et 1948, dont il a livré les résultats dans les comptes rendus annuels envoyés à sa hiérarchie.</span></p>
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<h3 class="panel-title">Des photos de Sabine Weiss prises à Dun : à quand une exposition ?</h3>
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<li>La photographie publiée en couverture du livre de Juliette Rigondet, « Un village pour aliénés tranquilles », est l'œuvre de la célèbre photographe Sabine Weiss, tout comme une partie des illustrations à l'intérieur de l'ouvrage.<br />Née en Suisse en 1924, la photographe a travaillé avec Robert Doisneau. Ses images ont fait l'objet de nombreuses expositions à travers le monde et font partie de collections prestigieuses.<br />C'est en découvrant celle du centre Georges-Pompidou qu'une amie de Juliette Rigondet s'est aperçue que des photographies avaient été prises à Dun-sur-Auron ! <em>« Lorsque je suis allée voir sur place, par la plus grande des coïncidences, une rencontre était organisée pour le public avec Sabine Weiss,</em> raconte Juliette Rigondet.<em> J'ai pu lui parler de mon travail. Elle m'a très simplement invité chez elle pour voir les autres clichés. C'était un reportage qu'elle avait réalisé en 1954 sur la colonie mais qui n'a, finalement, jamais été publié. »</em><br />Depuis, Juliette Rigondet aimerait organiser une exposition dans le département du Cher, et en particulier à Dun-sur-Auron. Mais sa proposition ne semble pas reccueillir suffisamment d'échos au niveau local… Une telle exposition représenterait pourtant un événement majeur pour le territoire ! Alors... à quand cette exposition dans le Cher ?<br />Pour (re)découvrir le travail de Sabine Weiss : <a href="https://sabineweissphotographe.com">https://sabineweissphotographe.com</a></li>
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