# 35 Ecrire ensemble - épisode 4 (mai 2020) http://www.rebonds.net/35ecrireensembleepisode4 Thu, 11 May 2023 19:02:03 +0200 Joomla! - Open Source Content Management fr-fr Dérives autoritaires : ces remèdes pires que le mal... http://www.rebonds.net/35ecrireensembleepisode4/583-derivesautoritairescesremedespiresquelemal http://www.rebonds.net/35ecrireensembleepisode4/583-derivesautoritairescesremedespiresquelemal Il n'existe pas de précédent : l'état d'urgence sanitaire n'a jamais été décrété en France. Certains le présentent comme le seul rempart possible contre l'épidémie ; d'autres, comme un véritable laboratoire pour une société de contrôle. Une chose est sûre : il est le fruit d'un choix politique qui, s'il n'a pas (encore) prouvé son efficacité face à la crise, porte en son sein des dérives autoritaires bien visibles.

 

Dernière mise à jour : lundi 11 mai 2020

Depuis le 24 mars, nous vivons en état d'urgence sanitaire. Prévu initialement pour deux mois, il a été prolongé jusqu'au 10 juillet par le Parlement, ce samedi 9 mai. Mais à l'heure du déconfinement, la loi n'a toujours pas été promulguée... Elle devrait l'être dans la soirée. Un décret temporaire publié au Journal Officiel permet toutefois de faire appliquer les premières mesures : la fin des limitations des sorties du domicile, l'obligation du port du masque dans les transports en commun, la réouverture des commerces à condition du respect des gestes barrières et de la distanciation, et la limitation à dix personnes des rassemblements dans les lieux publics.

Le conseil constitutionnel a été saisi par 63 député·e·s des groupes socialiste, communiste, France Insoumise, Libertés et Territoires, ainsi que par le président du Sénat, Gérard Larcher (Les Républicains) pour s'assurer que cette prolongation est conforme à la Constitution française. Le conseil devrait rendre son avis ce soir.

Pour que cet état d'urgence sanitaire soit « moral » (puisqu'a priori, il est légal), il faut que la balance soit équilibrée : que les concessions faites par la population sur ses libertés fondamentales (se déplacer, se réunir, entreprendre...) soient suivies d'effets et, surtout, qu'elles soient limitées dans le temps.

Problème : comme le rappelle Amaury Bousquet, président de l'Observatoire de la justice pénale (2), l'histoire montre que les mesures d'exception finissent par s'installer dans la durée, « que la société s'en accommode placidement, que les individus s'habituent à moins de libertés ».
Ainsi, l'état d'urgence pour cause de terrorisme en vigueur entre 2015 et 2017 n'a jamais réellement pris fin : la plupart de ses mesures sont entrées dans le droit commun (par exemple : les préfets peuvent limiter les déplacements d'une personne sur de simples soupçons, sans l’intervention ou le contrôle d’un magistrat de l’ordre judiciaire. Ces mesures ont déjà permis d'empêcher des militant·e·s de participer à des manifestations...). L'exception est devenue la règle.code pénal

Autre problème : les ordonnances prises depuis le 26 mars modifient en profondeur des domaines de la loi où on ne les attendait pas, comme le droit du Travail ou le Code Pénal. Amaury Bousquet rappelle ainsi que les audiences peuvent désormais se tenir à huit clos et à juge unique ; la durée de détention provisoire peut être prolongée de trois à six mois selon la gravité des faits ; les avocat·e·s doivent assister les prévenu·e·s à distance ; mais en comparution immédiate, les prévenu·e·s doivent se défendre seul·e·s ! « Autant dire que le gouvernement vient de rayer le code de procédure pénal d'un trait de plume. »

L'avocate Hannelore Cayre est plus véhémente : dans une tribune intitulée « Qui es-tu, Nicole Belloubet (3), pour t'asseoir à ce point sur les libertés publiques ? » (4), elle fustige la prolongation des détentions provisoires et rappelle que l'ordonnance n'exempte pas les juges d'entendre les prévenu·e·s et de statuer après un débat contradictoire. Ce qui n'était plus le cas durant le confinement dans certaines juridictions (comme à Paris), faisant ainsi fi de la présomption d'innocence et du droit qu'a chacun·e de pouvoir se défendre. En même temps qu'il·les votaient la prolongation de l'état d'urgence sanitaire, les député·e·s ont mis fin à cette situation. Environ 21.000 détenu·e·s étaient concerné·e·s.

Un langage guerrier pour un État de plus en plus autoritaire

Mais comment faire pour que la population adhère sans concession à un régime d'état d'urgence strict, qui la confine, la contrôle, la punit, l'empêche – à défaut de l'avoir protégée correctement ? Le chef de l’État français a décidé de sortir l'artillerie. Nous serions en guerre. Il l'a dit, les yeux dans le prompteur, à 32 millions de téléspectateur·ice·s, le lundi 16 mars, en annonçant notamment le confinement. La peur est une arme redoutable.

François Vaillant et Marie Bohl, du Mouvement pour une Alternative Non-violente (5), réfutent les termes utilisés par Emmanuel Macron : « Napoléon et Clemenceau savaient déjà utiliser un langage guerrier pour cautionner un État de plus en plus autoritaire. Macron fait exactement la même chose. La rhétorique est semblable mais elle vient en temps de paix et heureusement, il n'y a ni ennemi à l'intérieur ni à l'extérieur. »
Le Covid-19 est un organisme vivant qui n'attaque pas les êtres humain·e·s dans une volonté de nuire, au contraire d'un·e belligérant·e.

« Les vraies guerres, la France les prépare et les entretient, par exemple en étant le 3e pays exportateur d'armes à l'étranger et en refusant de signer le TIAN (Traité d'Interdiction des Armes Nucléaires) », rappellent François Vaillant et Marie Bohl.
Dans le même esprit, le mardi 3 mars, l’État commandait pour plus de 3 millions d'euros de gaz lacrymogènes ; mais il a fallu attendre fin mars pour la commande de masques de protection pour les soignant·e·s…

Ce langage guerrier a pour but de provoquer, par le « choc » (d'une guerre imaginaire), l'adhésion de la population au confinement. Il s'agit aussi de la rassembler autour de l'idée d'union nationale : quiconque n'est pas derrière le gouvernement ne combat pas le virus et est donc un élément potentiellement dangereux pour la nation. En concentrant les esprits sur cette lutte, le gouvernement masque son impréparation et ses politiques de destruction des services publics qui se font désormais (encore plus) ressentir.

Incontestablement, le langage guerrier du président de la République justifie la présence massive des militaires et des policier·e·s dans l'espace public, presque vidé de ses habitant·e·s. Comme le souligne le journaliste Gaspard d'Allens (6), c'est un général, Richard Lizurey, qui a été nommé auprès d'Edouard Philippe pour évaluer la gestion interministérielle de la crise. Un homme déjà connu pour les expulsions sur la ZAD de Notre-Dame-des-Landes et la répression des Gilets Jaunes.

Des abus et violences policières

Dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, plus de 160.000 agents – gendarmes et policier·e·s – sont déployé·e·s ; plus d'un million de verbalisations enregistrées. Dès le 11 mai, s'ajouteront « les adjoints de sécurité, les gendarmes adjoints volontaires, les réservistes de la police et de la gendarmerie nationale ainsi que, et c'est important, les agents de sécurité assermentés dans les transports mais aussi les agents de service de l'autorité de la concurrence pour les commerces », a détaillé Edouard Philippe devant les député·e·s le 2 mai. Ils « pourront constater le non-respect des règles sanitaires et pourront le sanctionner ». Au-delà des verbalisations aux prétextes et à l'interprétation douteux, les abus, discriminations, brutalités et violences policières se multiplient, en particulier dans les quartiers populaires où la tension est déjà présente entre habitant·e·s et « forces de l'ordre ». Certaines associations s'interrogent sur la répartition des contrôles, notamment dans les territoires les plus pauvres. Les violences constatées ne le sont jamais sur des promeneur·se·s des beaux quartiers de Paris…
La période renforce l'arbitraire ; les militant·e·s associatif·ve·s ne peuvent se déplacer, ce qui limite les contre-pouvoirs.police 2673363 960 720

Pour pallier cette absence, la résistance tente tout de même de s'organiser : certaines victimes de tabassage osent porter plainte. L'Observatoire parisien des libertés publiques encourage à filmer les contrôles ; le collectif « Urgence notre police assassine » a créé une application qui enregistre directement la vidéo sur un serveur sécurisé, au cas où le téléphone serait confisqué. Un site Internet, « Verbalisé parce que » recueille les témoignages de verbalisations vécues comme abusives. (7)

Rappelons qu'en cas de récidive au règles de confinement, chacun·e d'entre nous encourt jusqu'à 3.750 euros d'amende et six mois de prison ferme. Des dizaines de personnes ont déjà été placées en garde à vue. Mesure jugée par les associations et juristes « disproportionnée, contre-productive et inconstitutionnelle ». L'avocat Arié Alimi regrette que l’État ait choisi un « surarmement pénal » au lieu « d'une réelle volonté d'apaisement et de pédagogie ». (6)

L'avènement de la techno-sécurité

C'est que la raison d'un tel déploiement de force n'est sans doute pas seulement de protéger la population d'elle-même. La crise permet de mener une expérience à grande échelle : celle de la techno-sécurité. « La pandémie donne une occasion rêvée au pouvoir de légitimer tout un tas de solutions qui paraissaient controversées et très sensibles. Elles peuvent désormais se déployer au grand jour », explique le sociologue Félix Tréguer, membre de la Quadrature du Net (8) dans Reporterre (6).

Quelles sont ces « solutions » ? Prenons les drones. Ils étaient déjà utilisés pour surveiller les manifestations et les migrant·e·s. Ils survolent désormais une quinzaine de villes un peu partout en France, pour diffuser par haut-parleurs les directives du gouvernement sur le confinement, mais aussi pour surveiller la population dans ses déplacements et, parfois, verbaliser des contrevenant·e·s. « Et le tout, dans un cadre juridique flou, voire inexistant », assurent les juristes de La Quadrature du Net. En effet, hormis deux arrêtés signés en 2015 sur les normes de conception des engins et sur leur utilisation (par exemple, en zone habitée), aucune règle spécifique en matière de pouvoir de police n'existe. Au contraire de la vidéo-surveillance ou des caméras-piétons, par exemple.
Plus préoccupant : les autorités délèguent souvent la gestion des drones à des sociétés privées qui promettent – sans qu'on sache si elles s'y tiennent – de ne pas filmer pour leur propre compte…
La Quadrature du Net dénonce également les dépenses importantes : « Alors que les services de santé sont exsangues, la police et ses partenaires privés profitent de la crise pour multiplier les investissements dans ce coûteux matériel. » (9)

Mais la mesure qui fait le plus débat est celle du « backtracking » ou traçage en français.
De quoi s'agit-il ? D'une application pour smartphone, téléchargeable à titre volontaire. Lorsque deux personnes équipées de ce système se croiseront à une distance rapprochée, le téléphone de l'une enregistrera les références du téléphone de l'autre, et vice-versa. Si, un jour, une de ces personnes est atteinte du Covid-19 et le déclare via l'application, toutes les personnes l'ayant croisée seront averties par un message. Elles devront se confiner pour briser la chaîne de contamination. Si des symptômes apparaissent déjà, elles pourront se faire tester.
Les données recueillies seraient anonymes ou, plus exactement, anonymisées car pour devenir anonymes, il faut d'abord qu'elles soient traitées...

L'application, baptisée StopCovid, s'inspire d'un dispositif mis en place en Corée du Sud. Un pays souvent cité en exemple (plutôt que la Chine) pour rassurer, puisqu'il s'agit d'un régime démocratique.
Est-ce que cela garantit l'absence de dérives ? Non. Car enfin, depuis les révélations du lanceur d'alerte Edward Snowden en 2013, on connaît la capacité technique des opérateurs de téléphonie à conserver les données personnelles de ses client·e·s, voire de les vendre et / ou de les mettre à disposition de certains Etats.

Traçage sans consentement : des entreprises déjà à l'œuvre

La question du volontariat et donc, du consentement de la population, est au cœur des débats. Depuis des années, Orange tente de fourguer son service « Flux Vision » aux villes et lieux touristiques, pour des statistiques : fréquentation, durée du séjour, provenance, chemins parcourus… L'opérateur se base sur le nombre de connexions enregistrées par les antennes-relais, mais aussi sur le traitement de données non anonymes, sans le consentement des utilisateur·ice·s de téléphones portables, ce qui est totalement illégal. La Quadrature du Net dénonce le fait que la CNIL (la Commission Nationale de l'Informatique et des Libertés) ferme les yeux lorsque ces pratiques concernent le tourisme, l'aménagement du territoire ou le trafic routier (10).

Orange, par l'intermédiaire de son PDG, Stéphane Richard, a fait savoir qu'il pouvait « recycler » son offre « Flux Vision » pour l'adapter à la crise actuelle. Le commissaire européen au marché intérieur, Thierry Breton, ancien dirigeant de France Télécom, plaide pour lui. Et voilà que des statistiques sur le nombre de Parisien·ne·s fuyant la capitale apparaissent comme par magie… Ainsi ouvert, le marché pourrait le rester après l'épidémie.iphone 500291 340

Au début du mois, la BBC a révélé que Google avait décidé de lever le secret sur les données de géolocalisation dans 130 pays, dont la France, notamment grâce à son service Google Maps. Cela permet d'avoir des détails sur les principaux endroits fréquentés par la population. Bien sûr, l'entreprise assure que dès que l'épidémie sera circonscrite, elle stoppera l'agrégation de ses données...

Mardi 28 avril, devant l'Assemblée nationale, le premier ministre, Edouard Philippe, a reconnu que les préoccupations en terme de libertés étaient fondées mais le débat prématuré compte tenu des incertitudes sur l'application Stop Covid. Il a assuré qu'un débat et un vote seraient organisés... mais lorsque l'application serait déjà prête !

Efficacité versus liberté ?

Avocat·e·s et militant·e·s dénoncent ce qu'il·le·s appellent le « techno-solutionnisme » : le gouvernement assure à la population que les solutions à la crise viendront des technologies et c'est pourquoi, il lui faut les accepter, même si elles mettent en péril ses libertés.
Pour l'Observatoire des libertés et du numérique, « il semble que le gouvernement tente de masquer ses manques et ses erreurs avec des outils technologiques présentés comme des solutions miracles. Et alors que leur efficacité n'a pas été démontrée, les dangers sur nos libertés sont, eux, bien réels. » (11)

L'efficacité. Même Yaël Braun-Pivet, présidente LREM de la commission des lois, en doute. Elle fait partie de ceux·les qui ont milité pour qu'un débat parlementaire voit le jour sur la question. Elle tient à ce que les trois conditions posées par la CNIL soient respectées : « La réponse doit être adéquate (utile pour traiter la crise), nécessaire (qu'il n'y ait pas d'alternative) et proportionnée (en application le temps de la crise sanitaire). » (12)
La Quadrature du Net veut y ajouter une condition technique et éthique : « la publication immédiate sous licence libre du code de l'application », pour un contrôle et une amélioration du dispositif par les citoyen·ne·s.

L'efficacité. Peut-elle seulement être au rendez-vous alors que 13 millions de Français n'utilisent pas de smartphones ? Que le système Bluetooth (qui permettrait aux téléphones des volontaires d'échanger leurs références) est loin de fonctionner partout correctement ? Et que dire de la défiance que ce type de dispositif risque de développer au sein de la population, ce qui la poussera à contourner les règles sanitaires ? Qu'en sera-t-il des personnes qui n'auront pas voulu télécharger l'application ; seront-elles considérées comme suspectes ; résisteront-elles à la pression sociale et morale ? Pour l'instant, le gouvernement semble avoir abandonné l'idée de Stop Covid telle qu'elle avait été initialement présentée, mais il existera bien un système de traçage mis en place par les brigades sanitaires.

Les détails figurent dans l'article 6 de la loi prorogeant l'état d'urgence sanitaire : « des données à caractère personnel concernant la santé relatives aux personnes atteintes par ce virus et aux personnes ayant été en contact avec elles peuvent être traitées et partagées, le cas échéant sans le consentement des personnes intéressées, dans le cadre d’un système d’information créé par décret en Conseil d’État et mis en œuvre par le ministre chargé de la santé » (13). Un tel partage existe déjà, par exemple pour la tuberculose. Mais les informations transmises alors par les médecins sont anonymes et la personne concernée prévenue. Aujourd'hui, il s'agit de fournir le nom et les coordonnées du / de la patient·e infecté·e par le Coronavirus, mais aussi des personnes entrées en contact avec lui.elle durant les dernières 48 heures, sans qu'aucun·e ne soit prévenu·e ! (14) Se posent bien entendu des questions sur le secret médical et la protection des données personnelles. Mais aussi de méthode : avant l'issu du débat parlementaire, des médecins avaient d'ores et déjà reçu un courrier provenant de la CPAM (Caisse Primaire de l'Assurance Maladie) les prévenant qu'il·le·s seraient sollicité·e·s pour un traçage non-anonyme de leurs patient·e·s.

Des mesures sont présentées comme des gardes-fous : la durée de conservation des données sera limitée à trois mois ; un droit d’opposition ou de rectification des personnes concernées est prévu (comment, puisqu'elles ne seront pas prévenues ?) ; l’impossibilité de mentionner d’autres éléments médicaux que ceux liés au coronavirus...

A quoi nous prépare ce sytème de santé ? La classe virtuelle, le télétravail, le « sans contact », le programme « Action publique 2022 » pour la dématérialisation des services publics… ?

« De manière générale, les défenseurs des libertés publiques dénoncent un discours qui transfert la responsabilité de la crise sur les individus et leur comportement », écrit Gaspard d'Allens. Il s'agit de culpabiliser les individus pour qu'il·les acceptent les mesures mises en place, y compris liberticides.
Sans organisation de résistance, la société de contrôle perdurera bien au-delà de l'épidémie. Il reste encore un peu de temps pour y réfléchir et agir.

Fanny Lancelin


(1) Le projet de loi d'urgence a été adopté par le Parlement, en commission mixte paritaire (composée de député·es et de sénateur·ices) le dimanche 22 mars dernier. Texte à retrouver sur le site du Sénat : https://www.senat.fr/leg/pjl19-388.html
(2) « Nous vivons dans un état d'urgence permanent », tribune parue le mercredi 1er avril 2020 dans Libération.
(3) Actuelle ministre de la Justice.
(4) Parue le mardi 31 mars 2020 dans Libération.
(5) « Nous ne sommes pas en guerre », article paru le mercredi 1er avril 2020 dans Reporterre.
(6) « Au nom du coronavirus, l’État met en place la société de contrôle », article paru le dimanche 6 avril 2020 dans Reporterre.
(7) https://n.survol.fr/n/verbalise-parce-que
(8) La Quadrature du Net est une association qui promeut et défend les libertés fondamentales dans l’environnement numérique. Elle lutte contre la censure et la surveillance, que celles-ci viennent des États ou des entreprises privées. Elle questionne la façon dont le numérique et la société s’influencent mutuellement. Elle œuvre pour un Internet libre, décentralisé et émancipateur. https://www.laquadrature.net/
(9) « Covid-19 : l'attaque des drones », article publié le mercredi 1er avril 2020 sur le site de la Quadrature du Net.
(10) « Orange recycle son service de géolocalisation pour la pandémie », article publié le samedi 28 mars 2020 sur le site de la Quadrature du Net.
(11) Communiqué du mercredi 8 avril 2020 à retrouver sur https://www.revolutionpermanente.fr/Communique-La-crise-sanitaire-ne-justifie-pas-d-imposer-les-technologies-de-surveillance
(12) « Aujourd'hui, j'ai des doutes sur l'efficacité » du tracking, article paru le vendredi 10 avril 2020 dans Libération.
(13) http://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/textes/l15b2908_texte-adopte-commission
(14) « Le suivi des malades après le 11 mai : quels enjeux éthiques ? », émission Le virus au carré sur France Inter du lundi 4 mai 2020 : https://www.franceinter.fr/emissions/le-virus-au-carre/le-virus-au-carre-04-mai-2020

À (re)lire

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# 35 Ecrire ensemble 4 Tue, 21 Mar 2017 13:37:42 +0100
« Pensements » à l'heure du confinement http://www.rebonds.net/35ecrireensembleepisode4/603-pensementsalheureduconfinement http://www.rebonds.net/35ecrireensembleepisode4/603-pensementsalheureduconfinement Michel Pinglaut est (entre autres engagements) fondateur du comité berrichon des amies et amis de la Commune de Paris-1871. Il a répondu à l'appel de (Re)bonds d'écrire ensemble, en déclinant chaque jour les inspirations proposées. Ses « pensements » mêlent avec malice inventaires, réflexions militantes, leçons d'histoire et de politique, souvenirs d'enfance, coups de gueule et envolées d'espoir...

 

Illustrations : collection Michel Pinglaut.

Le « je » du mercredi 18 mars.

Je pense à Rimbaud, l'homme aux semelles de vent, qui a propulsé sa carcasse de météore sur tant de chemins. Lui qui a vécu dans ces Ardennes du tout nouveau Grand Est, où il est âpre de vivre aujourd'hui. « Je est un autre », griffonnait-il dans la fièvre de l'air ardennais. « Je », le mot le plus employé dans son œuvre.
JE me confie à vous. En rebonds de Rimbaud. Savez-vous ce que représente ce 18 mars, pour moi ? J'aurais dû « monter » à Paris, pour une marche communarde annuelle. Le 18 mars ? C'est le début de la Commune, en 1871 (1). Nous la fêtons, en rires, coups de cœur et « pensements », des idéaux de ceux de Belleville, Montmartre, la Butte aux Cailles, des « ébénos » du faubourg Saint-Antoine, de tous les faubourgs gorgés de populo. J'ai souvent l'envie de léguer des inventaires à mes petits-fils, pour « débagouler » ce que furent mes soleils et mes cumulo-nimbus. Inventaires que je voudrais agréable à gueuler, comme les inventaires de Rabelais. Ce « pensement » me revient aujourd'hui.
Face à mon ordinateur, j'ai décidé d'ensiler un dossier « corona ». J'aligne tous les messages associatifs, familiaux – certains de Belgique et d'Italie – scientifiques, politiques, humoristiques… Encore un début d'inventaire. Je fais « pensement » de tous ceux que je ne peux plus côtoyer.

« L'horloge de ma vie s'est arrêtée tout à l'heure. JE ne suis plus au monde », c'est du Rimbaud. Voyelles : rouge. Ça y est, la Commune revient. En début de semaine, j'écrivais, par jeu verbal, que le coronadolphethiers-71 avait fait 30.000 massacrés, bien plus que le Covid-19. Rouge. La rougeole de mon enfance, qui est aussi plus contagieuse que le Covid-19.
Esprit buissonnier de maître d'école de campagne, qui emmenait les élèves aux champignons, aux sports scolaires, à la piscine, au ski, à Notre-Dame de Paris, à Sète, sur la tombe de Brassens… Inventaire. L'ordre est là. Autoritaire. Interdit de sortir. Je balance entre bons mots à inventer – j'adore l'humour et la bonne humeur – et « pensement »  sérieux.
Qui protège les SDF ?  Macron, détesté, devient chef de guerre, et se veut incontestable, avec miellerie pour ceux qu'il voulait amputer, mépriser, détruire, abandonner. Inventaire. Miellerie. Tiens, voilà encore la Commune. Dans ma tête, la communeuse bretonne Nathalie Le Mel. Le Mel ? Miel, en celte. Comment cette France qui vote brun peut-elle être généreuse aux humbles, douce aux faibles, respectueuse des hommes et des femmes qui veulent rester dignes ? France collective ou France individualiste ?  France animale ou digne ? Je veux encore rire chaleureux, je veux encore conter malice et bonheur.

Merci au coup de pied au cul que propose « Rebonds » pour que les je soient nous.
Oui, je vais écrire, moi qui sirote l'oralité.
Un dernier pensement. « Nos » hirondelles vont revenir dans l'hirondellière à elles – et aux mâles aussi – réservée. L'an dernier, c'était le 1er avril. Sacrées farceuses.

Le « je » du 20 mars.
« Fleurir ensemble ».1991 VILLABON LA CAMPAGNE 03

Ah bravo ! Moi qui attends les hirondelles, je n'ai pas réalisé, à mon réveil, que ce 20 mars est jour de printemps. C'est même jour de journée mondiale du bonheur, me rappelle la colombe de l'agenda du Mouvement de la Paix.
Et voilà que le courriel de (Re)bonds me « déberdine » en me remémorant le printemps, et, lance un « fleurir ensemble. » Hier, j'ai débagoulé les fleurs de notre jardin, comme l'a flemmardé « le sous-préfet aux champs ». Je clamais ce texte, sourire aux lèvres, dans les clubs de jeunes, en occultant la pensée réac' de Daudet (…).
Fleurir ensemble pour  Rimbaud, poète que j'ai découvert en classe de 3e du Cours Complémentaire de Saint-Florent. C'était « Ma bohème ». Depuis, Rimbaud ne me quitte plus, et, régulièrement, je vais pleurer au lavoir de Roche, près de la maison de la famille Rimbaud, rachetée par Patty Smith en Ardenne.
(...)

Rimbaud. « Ce qu'on dit au poëte (sic) à propos des fleurs. » (...) Claude Jeancolas, un de ses biographes, a examiné le bouquet de mots sur les fleurs. La fleur la plus citée est le lys. Quatorze fois, dont neuf dans « Ce qu'on dit... ». Dans ce poème, il dresse un inventaire : lys, œillet, amarante, myosotis, violettes, roses, lauriers, hélianthes (que nous nommons soleils en Berry), pâquerettes, açokas (fleurs de cet arbre sacré chez les Hindous), lilas, eucalyptus, romarin, manglier, garances, chardons, thyrses. Vous trouverez aussi « des fleurs qui soient des chaises ».  Etrange ! (...) « A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu. I pourpre, sang craché, rire des lèvres belles dans la colère ou les messes pénitentes. » Voyelles, couleurs de fleurs. Pour vous, amies, amis de (Re)bonds.
 Et j'attends mes hirondelles.

Le « je » du 21 mars, sans courrier, sans pluie.
« Je suis venu mettre à l'arrêt la machine dont vous ne trouvez pas le frein d'urgence. »

Me doutant que Fanny allait nous tendre les membres – pas touche, bon Diou, nous sommes en guerre – d'une phrase à partager, je jette un œil sur mon agenda pacifique. Journée internationale pour l'élimination de la discrimination raciale. D'actualité, non ? Et je reçois, le message – Ici, (Re)bonds, les ami.e.s parlent aux ami.e.s. Voilà notre message personnel – du monologue du virus (2). En théâtre amateur, j'avais réalisé « Les monologues du vagin ». 
Message : « Je suis venu mettre à l'arrêt la machine dont vous ne trouvez pas le frein d'urgence ». Ce ne sont pas « les sanglots longs des violons de l'automne bercent mon cœur d'une langueur monotone » pour annoncer l'espoir du Débarquement, mais un autre espoir d'arrivée.
Message plus que pamphlétaire, digne de penseurs ou de torcheurs de verbes comme Hugo, Rimbaud (toujours), Marx, Bourdieu… Plus élaboré que du Prévert. Au siècle dernier, l'équipe de « Hara-Kiri », père spirituel de « Charlie », avait lancé « on arrête tout et on réfléchit » de Gébé, ou « Stop crève » de Cavana qui voulait tuer la mort.
Le monologue du virus renverse l'équilibre des pensées. Virus, comme d'autres mots, n'instille que des visions négatives, péjoratives, peu recommandables, injurieuses. Larousse ne parle-t-il pas de virus révolutionnaire, au sens figuré ?!
Ici, Virus se présente comme un bon père de famille, qui nous conte l'Histoire, non pas, comme dit le lion, du côté du chasseur, mais de notre côté, le côté des humbles, des simples et pauvres décideurs de foyer, de famille. En 1968, nous jetions pavés contre la société de consommation. Virus nous éclaire : nos barricades n'ont pas tenu devant les tsunamis de l'économie libérale, capitaliste. Virus rappelle tout ce que nous lui devons. (…)

Oh oui, découvrez, sur les conseils de (Re)bonds, ce « monologue du virus », bien plus intense que mes pensements. Virus montre l'infime contre l'infâme. Le David contre les margoulins Goliaths, les arcandiers, comme dirait les berriaudes. Virus nous rend « absorculant » (néologisme rimbaldien). Absorculant ? Qui occupe fortement, qui s'empare de toutes les facultés de l'esprit.
Je m'adresse, toutefois, à mes amies et amis de l'art. La représentation dans les médias du coronavirus pour cause de vulgarisation, est-elle abstraite – une sphère et des minuscules pointes – ou terriblement concrète, réaliste, voire pompière (puisque ce mot est toléré) ? Y a-t-il de l'émotion, de l'élan créatif, du cri, dans ce schéma du corona ?
Mes hirondelles se faisant attendre, je termine encore par Rimbaud. « Je n'ai plus rien à te dire, la contemplostate de la nature m'absorculant tout entier. »

Le « je » du 22 mars par temps gris, sans pluie.
Etat d'urgence.

Que de chiffres en ce jour. Mais personne n'a idée de me citer « mouvement du 22 mars » de 1968. Fini le « ce n'est qu'un début, continuons le combat » ? Plus « motivés, motivés » ? Des chiffres et des dates : 19, ce Covid ; 3 avril 1955, c'est la guerre... d'Algérie, état d'urgence ; 13 novembre 2015, attentats, état d'urgence ; 1er mars 2020 : zut, rien à voir avec le coronavirus.
1er mars 2020, le Congrès argentin ouvre la voie à la légalisation de l'avortement. Merci aux féministes et progressistes qui luttent depuis 2015. Encore une affaire à suivre...

L'état d'urgence, disent les juristes, restreint les libertés pour des personnes soupçonnées de menacer l'ordre public. Je, nous, voilà : nous sommes un danger. Pas les avions civils et militaires, qui avant corona, déversaient les hideurs du kérosène ; pas les bateaux croisières qui confinaient les rémugles des friqué.e.s, avant de les déverser dans l'eaurigine de notre vie...

Etat d'urgence. Zieutez la loi (...). La loi enfile les verbes, comme la police enfile les menottes (cliché rebattu). Ma mère-grand n'enfilait que son fil dans le chas de l'aiguille pour « rac'moder » les chaussettes familiales.

Etat d'urgence ! Limiter, interdire, réquisitionner, perquisitionner, assigner à résidence... Quel drôle d'inventaire pas drôle du tout. Qui décide l'état d'urgence ? Ils sont peu. Comme les 1 % qui possèdent 99 % de notre vieux globe.

Et sur l'autre face de mes pensements, d'autres urgences : protéger les sacrifié·e·s du monde sanitaire, protéger les serviteurs d'Amazon, défendre le sort des intérimaires, anticiper la lutte contre la disparition des médias papiers, remédier, messieurs qu'on nomme grands, aux « pas assez ». Pas assez de moyens dans les hôpitaux, dans les écoles, pour les productions locales, pour les faits culturels démocratiques, pour les transports à remettre en place, dans un avenir qui se brouille de plus en plus.

Urgence, vous les assassins, qui avez fermé les lieux symboles de l'espace public. Urgence à s'occuper des travailleurs, plutôt que des entreprises. Urgence à ne pas masquer vos privilèges. Nos masques ne seront pas des baillons. Urgence à la Liberté. Urgence à l'Egalité. Urgence à la Fraternité. Pas de distanciation. Brecht aurait rigolé sur cette mise à distance. Au siècle dernier, les « mécarillos » s'affichaient comme la « distanciation quasi brechtienne de la quotidienneté ». Pédantisme de la consommation.
Pas d'état d'urgence pour encrasser nos libertés.

Il y aurait encore tant de faits à dire. Oui, dire notre fait. Merci (Re)bonds de prendre fait et cause. Causons, causons, à plein mots.
J'ai photographié mon jardin en fleurs pour envoler les clichés pour « mes cher·e·s confinés ». Pas d'hirondelles. Pourtant, le printemps est là. Urgence, mes belles.

Le « je » du 23 mars. Soleil.
« A robot is missing ».

La  journée s'ouvre bien. Merle et merlette sont d'attaque pour leur picore de rappel. Je fais pensement et avertis mon fils : « l'arrivée des hirondelles approche, 'faut qu'on aménage le vas-y-voir de l'atelier-rangement ». Et je petitdéjeune, avec mon pain grillé, sans sel, mais confituré. Cyril entre. « Y en a une ! » Et oui, en ce 23 mars, c'est l'arrivée de notre première. Comme d'habitude, cette éclaireuse prépare l'espace qu'elle va coloniser. Nous en serons les intrus, moins que locataires jusqu'à l'automne. Espoir d'un havre à la douzaine : l'an dernier, à partir du 1er avril, les pontes ont fait vivre jusqu'à onze voleurs-voleuses, strieurs d'espace.hirondelles

(...)

Salivons sur « A robot is missing » (3). Je suis nul en langue britannique. J'ai décroché mon bac, avec mention, malgré un 2 en anglais à l'écrit et un 3 à l'oral (à moins que ce ne soit l'inverse). Quand le Living Theatre (4) est venu à la Maison de la Culture de Bourges, éclairé par l'accueil généreux de Gabriel Monnet, je me souviens me pencher souvent vers Nicole : « Qu'est-ce qu'ils disent ? ». La seule phrase exemple dont j'ai souvenance, à l'école (CC et Ecole Normale, tout compris) et qui était à mémoriser est « vaccines and sérums are prepared in moderns laboratories ».  Avec ça, j'étais apte à débagouler english !

« A robot is missing » m'a permis de trouver astucieux de substituer vaccine, dans nos têtes. J'ai ouvert courriel avec mon cousin de Seine-et-Marne, défenseur de la culture bretonne et celte, pour parler de Strup X, de Percubaba... Il m'a répondu Bérurier Noir et plus encore Ramoneurs de menhirs. J'ai eu deux écoutes du clip-court-métrage, avec musique et sans son, comme les films muets projetés que m'emmenait voir papa Gaston les soirs de beau temps, sur la place de la République, à Saint-Florent. Je préfère en musique. Les musiques électro-acoustiques qui ont peuplé mes conduits auditifs me sont revenues en mémoire. J'ai eu les neurones actifs. J'avais des voix, des sons, des souffles, comme au temps du Groupe de Musique Expérimentale de Bourges (GMEB), assassiné par le show-biz et les politiciens. Où est-il, le temps où la musique d'attente du téléphone en mairie de Bourges était une création du GMEB ? Sous un maire communiste, complice.

Le clip-foutoir-sympa préconisé par Fanny m'a fait souvenance de Norman Maclaren et ses films – plaisir-des-sens, plaisir des-jeux. Maclaren qui peignait le son sur la pellicule argentique. 
Il est étonnant que dans tous les délires verbaux, les vomissures d'invraisemblance complotiste, les extraterrestres n'aient pas été évoqués. Le corona a l'air d'un ovni, presqu'en forme de soucoupe, comme dans le court-métrage. Le  « coronalien ». Ouf, pour l'instant, ce n'est pas dans les aboutissements des abrutissements. Pas d'alien en vue.
Vaccine.
Louise Michel emploie  dans ses lettres « aux Amis de France », de son exil inique au « Rocher calédonien » : « Notre Europe aura-t-elle sombré, et un continent nouveau sera-t-il rattaché par les coraux entre les milliers d'îles et d'atolls semés dans le grand océan. (...) Quels hommes seront là quand la science saura purifier l'air des germes infects, quand on les détruira dans les végétaux, comme dans tout animal par la VACCINE, la sève étant du sang.
Moi aussi, ô mes amis, j'aime la fleur du niaouli, moi aussi, je rêve longtemps en aspirant son parfum. » (Louise Michel, vers 1880).

Le « je » du 24 mars. Brrr, froid ce matin.
Libérés !

(...)

Aujourd'hui, le « pendant ce temps-là » dévoile un éléphant à roulettes, grandeur nature, portant masque facial, dans les rues d'une ville indienne, pour sensibiliser le public. Parade de cirque ?
Mon pensement : la piste ronde, comme le corona, piste de sciure ou de sable, à la rive duquel se serraient toutes les générations pour applaudir les numéros spéciaux, surprenants ou attendus, du bon vieux cirque de l'enfance. Clowns aspergés, ce qui rassurait l'enfant tout juste sorti du pipi au lit, ou le cérémonial bien réglé par les garçons de piste – je n'ai jamais vu de filles de piste – du ramassage du crottin des éléphants, rassurant encore le gamin qui n'était pas à l'abri d'un caca-culotte. « Bonjour les p'tits éléphants, vous aimez les clowns ? »

Mon inventaire-clowns : Popov, Dimitri, Grock, Zavatta, Pierre Etaix, Annie Fratellini et ses frangins, Jango Edwards, les Colombaïoni, Footit et Chocolat, Rhum et Kirsch, Virus et Corona... Maquillages et masques.
Des tas de deuils, ce jour, deuils remarqués parmi les anonymes qu'on ne peut honorer. Faute à la camarade du corona. Manu Dibango, qui avait encore des jours à musicaliser. Lucien Sève, le vieux lion marxiste, qui avait encore à philosopher et à agir pour un communisme pas mort. Corona virus. Uderzo, qui meurt d'une autre cause. Idéfix jioule de chagrin. Un ami connu du village d'à côté n'est plus.

(...)

Fanny souffle l'idée du jour : libérés. Libérez nos camarades ? Comme les cris de 68. Non, libérez les prisonniers pour assainir les prisons surbondées. Seuls, les braves gens encellulés qui ont eu des peines mineures ou qui ont eu (fayoté ?) une bonne conduite. Décision politique. Pression sur les magistrats, malgré la séparation constitutionnelle entre la justice et l'exécutif. Tiens, je vais vous placer le plus long mot de la langue de l'Hexagone et des colonies. Vous l'avez déjà placé dans une conversation?  Libérés anticonstitutionnellement ? N'y en a-t-il pas un autre de la novlangue ? Emmanuelmacronetédouardphilippement ?
Je suis pour la libération, même si l'environnement durable, renouvelable ou non, n'est pas à la pointe du progrès dans la pédagogie des prisons. Libérés sans bracelet. Libérés ! Ouf ! Mais qui est protégé ? Nous, eux ? Qui vont devoir affronter l'hostilité du monde des bestiaux anthropomorphes. Déjà que des honnêtes citoyens incendient les voitures immatriculées hors de leur sol. Prisonniers libérés, libres contre des incontrôlés irréfléchis. Sans compter que la chasse, la traque aux étrangers, même enfantins, continue.
Finalement, mauvaise journée, malgré mes fleurs, mes oiseaux et mes miens.
Je parle comme un adjudant, hein mon gaillard !

Le « je » du mercredi 25 mars. Soleil.
Défaire l'union, renouer des liens.

(…)

En plus du journal, quelques échos radio. Les fleuristes, qui font 80 % de leur gain au printemps, sont maisons closes (et non Clause). Quel à venir, pour eux, et tous ces métiers de petits bonheurs : coiffeur-coiffeuse, épicier, libraire, bistrot, fleuriste, artiste, artisan d'art, disquaire, céramiste, entomologiste, grainetier, quincaillier, imprimeur, maraîcher, cordonnier, ramoneur, apiculteur, serrurier, plombier, relieur, musicien, chanteur, acteur, verrier, tailleur de pierre, vendeur de bazar (tout à 1 €)... ? Reverrai-je encore à Villabon un rémouleur itinérant, comme l'an passé ?

On a vu ce que la société de consommation, (la société « cacapipitaliste » comme interpellait Mouna au Printemps de Bourges) a fait, dans sa marche. Beaucoup qui ont fait le choix du « travail au pays » vont crever, non pas du corona mais de la fièvre virus profitus. Disparition ! Comme les épiceries de quartier de ma ville natale,  comme les « riz pain sel » ou les « BOF » : beurre, œufs, fromage. Des musées vont-ils disparaître ? Il n'y a bien que Jeanine Berducat qui s'intéresse au semeur, au chiffonnier, au mécano, au laitier, au télégraphiste, au barbier, au tisserand, au cantonnier, à l'aubergiste de campagne... Moi qui aime tant les abats, je ne jouis plus de mamelles. La grippe aviaire a fait disparaître les tripiers. Quels métiers vont mourir aux champs ? Pas au champ d'honneur des politiciens complices de nombreux lobbies anti-bonheur.

(...)

C'est l'heure du bonheur Fanny. Aujourd'hui, pilote des hardiesses, elle livre notre bateau ivre, aux pensements du site « Dijoncter ». Oui, site coopératif et révolté. Allez lisez, nous interdirait Macron, généralcule d'une démocrature obsédante. Plein d'idées, ce texte de Dijoncter. Oui, le gouvernement parle de guerre pour mieux imposer les ordres du jour peu raisonnables. Il nous dicte : parlons guerre, pensons guerre, mangeons guerre, calculons guerre, respirons guerre, soyons guerre. Curieux que ce gouvernement parle guerre alors que de 1954 à 1962, d'autres gouvernants cachaient ce substantif et nous serinaient : opérations de maintien de l'ordre. 
Mes chers compatriotes (je n'ai pas remarqué si le prompteur macronien marquait le féminin), c'est ce que nous bavassent ceux qu'on nomme grands. Qui est capable de trouver le Peuple idéal ? Celui que cherche et espère « Dijoncter ». Ce Peuple qui, il y a quelques jours, a réélu des maires RN ? Ce peuple qui tremble, qui se terre, se confine de peur de la police, qui accepte l'armée comme ersatz des services publics ? Merci Dijoncter, merci Fanny de nous ouvrir un autre peuple en marche. Pas facile, mais nécessaire. Continuons les volontaires de 1793, en 2020.

Le « je » du 26 mars. Soleil.
Confinés mais pas silencieux

(...)

De tout temps, j'ai été arithméticien, mais là, trop de chiffres à maîtriser dans ces inventaires comptables de la « guerre ». (...) Nous évoquions le « Peuple », hier. Que pensez de ce sondage, issu du Peuple, qui fait remonter Macron dans les sondages, mais qui fait douter du gouvernement ? Macron. Miracle. Messie. Le Peuple t'M. Au moment des Gilets Jaunes, un sondage : quelle est votre chaîne télé préférée ? BFM TV !  Quelle est la chaîne  que vous jugez la moins crédible ? BMF TV (?!?).
Dans ma journée, j'attends Fanny, impatience au bout des doigts, pour écrire mon « je » du jour.

« Silence ». Belle idée de tendre des draps blancs. Pour moi, c'est efficace en ville, moins pertinent à la campagne. Quoique. A Villabon, en direction d'Etréchy (c'est-à-dire en dehors de l'axe Bourges-Fourchambault, où déambulent 2.000 véhicules par jour), chaque 1er mai, je hampe deux drapeaux : le rouge, celui du sang des travailleurs et le drapeau arc-en-ciel du Mouvement de la Paix. Parfois, un petit coup de klaxon, en complicité, signe que ça fonctionne. J'allais écrire ça marche, mais peu de macronistes marchent le 1er mai.

Oui, il n'y a rien de tel qu'un drap, symbole primal de la vie, pour communiquer. Ensuite, on peut décliner, sur cette page planche, surtout avec humour, des slogans-gifles pour protester contre les excès des mauvais gestes des décisions politicardes. Mais, tout blanc, c'est choc. Surtout si l'étendage est multiple. Le drapeau blanc n'est pas charitable, mais solidaire. Aussi fort qu'en le rêvant noir ou rouge comme ceux employés le plus souvent.

Silence ou Son. Une initiative récente a rassemblé des bravos pour saluer la tâche essentielle  du monde médical. On applaudit aussi devant le cercueil d'une femme ou d'un homme de scène.

Silence. C'est plus inquiétant. Mais, ce silence touche-t-il les décideurs du moment ? Pour qui ce silence est-il anxiogène ? Anxiogène. Mot en hausse exponentielle. Ce n'est plus inquiétant, peureux comme me confie une brave berriaude, grave, effrayant, tragique, alarmant, épouvantable. Non, non, c'est anxiogène. Allons-y d'un à-peu-près ignoble : où il y a de l'anxiogène, il n'y a pas de plaisir.
Je reviens sur silence ou gueuloir ? Silence ou cacophonie ? Cacaphonie diraient des plaisantins ou le regretté Mouna. Souvenez-vous des veuves argentines de la place de Mai et de leur casserole, instrument lui aussi symbole primal. Casseroles aussi dans des révoltes anti-coloniales, comme en Outre-Afrique, à la Réunion… Des casseroles, il y en a tant qui en ont au c..
Emu par le texte de « Dijoncter » qui dresse bilan de la santé, des prisons... Crier contre ces assassins des libertés, des lieux sociaux, des défenses populaires. Foutons-les en prison. Trop rares les enfermé·e·s, valets des banques et des lobbies. Justice populaire !

Rappelons-nous que la Commune est née de la décision des bourgeois de casser le moratoire des loyers. Pas de milliards pour les « grous » ! Moratoire pour les humbles. Peuple, la route est longue encore, mais pourquoi pas résistance en silence, pour des « lendemains qui chantent ».

Le « je » du 28 mars. Toujours beau temps.
Classe virtuelle.

(...)

Continuons les sondages : 63 %  pensent que le gouvernement n'en fait pas assez.  Quand ça va bien : vive le Président. Ça va mal : haro sur le gouvernement. Voilà comment on perfuse le citoyen, pour le maintien d'une démocrature présidentielle. Félix Pyat, Vierzonnais de 48, ne s'y était pas trompé, en refusant un Président pour la Constituante de la IIe République. Résultat : coup d'Etat de Napoléon le petit, le piètre.

(...)

Le mot rebonds de … (Re)bonds est aujourd'hui : classe virtuelle (5). Ben, v'là autre chose. Je n'aurais jamais imaginé ça quand j'étais élève maître à l'Ecole Normale de Bourges, ni à ma retraite, même si c'était dans les pensements, au début du XXIe siècle. L'inventaire des raisons données sur le site est positif, plus que globalement, pertinent, sérieux, prospectif, social, humain, économique, politique… Cette crise du corona nous fait mettre le doigt sur des mondes méconnus, oubliés et pourtant si douloureusement réels : le Quart Etat, plus mal loti que le Tiers-Etat, le lumpenprolétariat. Messieurs, qu'on nomme grands, baissez un peu la tête et regardez, comme les enseignants du manifeste l'ont fait. Eux, ils ont ça devant les yeux, car c'est leur réalité d'humains et non pas de technocrates insensibles qui se croient des visionnaires historiques, mais qui ne sont que des baziots prétentieux, à la Marie-Antoinette. On veut nous éblouir par une comète lumineuse, mais les valets-lobbiistes oublient que c'est du vent, du vide. Merci aux enseignants de bien nous peigner la queue de la comète, comme la traque des poux, et nous montrer ses dangers.

Très dangereuse , cette notion de classe virtuelle. L'Education Nationale n'est déjà pas belle à voir, par les destructions ministérielles. Au siècle dernier, nous parlions d'instructions officielles, pas de destructions, de démolitions. Bien d'avoir dans le texte de Paris-luttes.infos, une vision ultra sensible des difficultés sociales. Je pense, entre autres, au menace de féminicides des femmes confinées-cloîtrées, non pas dans le bonheur d'un Dieu, mais dans le danger d'un monstre bestial.
Tiens, au fait, dans les gestes essentiels : réouverture des librairies closes ! Et les boîtes à livres, pratiquons-les, approvisionnons-les, comme je fais pour les oiseaux de mon jardin. Ça, c'est pas du virtuel.
Mais, je ne veux pas être qu'un poète aux petits oiseaux…

Le « je » du 29 mars. Marde, le ciel est gris.
Bonne humeur.

(...)

Gardons notre bonne humeur. J'ai un grand choix d'amitiés pour mes courriels.
Celles et ceux qui gardent la tête froide et proposent des luttes, des réactions, des projets.
Ceux qui prennent des nouvelles et en donnent. Tiens, lors des sorties pour achats essentiels, j'ai remarqué un meilleur respect, moins de taiseuses et de taiseux, juste un petit mot, qui n'est pas un gros mot, mais qui est grand d'humanité, des sourires devinés sous les rares masques (les yeux sourient) ou les cache-cols.
Ceux qui veulent que diffusion ne soit pas affirmation béate, béni-oui-ouitude, qui commentent les envois ; ah, les finauds et les affûtés.
Ceux qui offrent textes, pensées, relectures ou re-visions...
Ceux qui transmettent l'humour, pour le moral, la bonne humeur, pour un esprit à ne pas endormir. Humour par le dessin, l'histoire drôle, la vidéo courte mais bonne, comme celle du nain aux 40 enfants, la chanson directe ou détournée, et aussi les téléphonies, pour trouver un fil d'union. (...)

Le « je » du 30 mars. Soleil, mais frisquet. Ça bouffe !
Astrologie atypique.

(…)

Bonne humeur ? Non, je songe, chaque jour, aux femmes maltraitées, torturées, violentées, confinées en rudesse et en sadisme. Pensement pour les petit·e·s, encore bien moins loti·e·s que leur maman. Me reviennent quelques cas – rares heureusement – de mes élèves que je découvrais, couverts de coups, sous le fascisme ordinaire du père alcoolo, précaire, brute, animal, primate. Un salaud qui obligeait son fils à partir à vélo à Avord, par temps hostiles, pour économiser le paiement du car et de la cantine, pour une plus importante beuverie paternelle. J'avais des menaces, car j'avais alerté l'assistante sociale. Un autre cas, révélé à la piscine, où, avec le maître-nageur, nous avions découvert un petit corps couvert de bleus. « Qui t'as fait ça ?
- Personne, je suis tombé, en grimpant sur un arbre ». Pas dupes, nous étions. Nouveau signalement...

Gravité. Voir que les salariés, les vieux (puisqu'il faut les appeler par ce nom, comme écrit La Fontaine), les humbles aux avant-postes des dégâts de « la guerre » soient sacrifié·e·s au détriment des armadas d'actionnaires, à l'arrière bénéfique, comme en 14. Il faut que l'arrière tienne, même s'il faut sacrifier la piétaille. Combien de Nivelle, massacreur de Poilus, nous donnent des leçons de non-savoir-vivre, en ce printemps !

Le moment de regarder son horoscope ?
Oui, quelle surprise de découvrir que l'idée du jour de (Re)bonds est l'astrologie. Je suis un ignare sur ce thème. Je serai bon dernier au « Jeu des 1.000 euros » ou « Questions pour un champion » si on me questionnait. Figurez-vous que je suis Cancer (faut-il mettre une majuscule à ces signes ?). Quand j'étais jeune, pour m'amuser, je regardais l'horoscope quand j'avais à flirter ; mais, je comptais plus sur mes qualités de beau jeune homme lettré pour séduire, que sur les conseils du coin cancer du BR (Berry Républicain). Quand, plus tard, je devins correspondant local, j'ai eu la confidence d'un journaliste pro. « Tu sais, je ne m'embête pas pour cette rubrique, je prends un vieux Berry d'il y a dix ans, aux archives du journal, et envoyez, c'est pesé ! ... Je n'ai jamais eu de réclamation. » 
Moi, j'aurais pu.

(…)

Voilà, mon compagnonnage avec l'astrologie, que je confie à vous, mes poissons, gémeaux, balances, sagittaires, capricornes et… vierges. Remarquez qu'il n'y a pas de lionnes, ni de génisses, ni de brebis dans les signes sexistes de la carte du ciel.
Mais, j'ai beaucoup apprécié l'horoscope de Rob Brezsny dans le « Courrier International ». Style alerte et imagé. (...)

Le « je » du 31 mars. Soleil.
Les autres.

(...)

Fanny, dans son (Re)bonds, pense « aux autres ». Quels sont les salauds (je garde le masculin) qui n'y pensent pas. Les collectionneurs de PQ ? C'est vrai que l'individualisme a labouré profond ces dernières années. Les autoroutes du moi font recette. Moi, mon « je » singulier est toujours resté pluriel. Il existe un jeu télévisé sur France 3 : « personne n'y avait pensé » (que j'aime bien ). Alors, ce serait les égoïstes qui seraient vainqueurs ! Car le but du jeu est d'être meilleur qu'un panel de cent Français. Oui, les gens pensent aux soignants, à tout le corps médical, à Raoult, aux éboueurs (un petit signe ne leur a pas fait de mal), à tous les commerçants, utiles ou fermés, aux caissières... Est-ce qu'on applaudit les SDF (ils n'écoutent pas, c'est certain, la chanson d'Allain Leprest), les migrants… ? Merci Fanny, de nous avoir uppercuter cette photo, honteuse pour notre monde, de ce père et son fils. (6)

(...)

Les autres.
Scandaleux que France 2 déprogramme l'émission prévue sur les féminicides. Disparus les féminicides ? Poisson d'avril les féminicides ? Horreur, si parmi le monde du XXIe siècle, on gagne au jeu du jamais pensé. Qui sera vainqueur : les instincts, les pulsions, l'aveuglement ou la raison, les sentiments (pas les grands sentiments de la chanson de Béart), les sentiments simples du meilleur monde à (re)créer avec les autres ? Tiens, les gouvernants, la justice, viennent de s'apercevoir que le brésilien, premier de la classe, Bolsonaro (presque une anagramme de corona) n'est pas un gentil garçon. Les bourgeois brésiliens pensent-ils aux indigènes d'Amazonie, hommes fiers et dignes de leur existence ?
Il n'y a plus de terres inconnues, sur l'atlas de notre planète, dit-on. Amies, amis, dans votre confinement, cherchez sur un livre de géographie, un atlas, dans un bon vieux Larousse, sur Wikipédia, sur un plan de la banlieue de Paris, de Los Angelès, les zones blanches de populations en détresse, à l'abandon, laissées par l'indifférence de nos pensements. Dans certains cas, vous découvrirez que « personne n'y avait pensé ».

Le « je » du 1er avril. Matin soleil. Soleil et chair, d'Arthur (Rimbaud, bien sûr, pas l'animateur télé).
Poisson.

Fanny, je me fiche de l'origine du 1er avril (je penche pour le changement de date de Charles IX), mais ce qui me navre, c'est que cette tradition se perd. Non aux traditions moyenâgeuses qui ont du mal à s'évaporer, telles que le bizutage, le mariage forcé, l'excision, l'alcool aux enfants (ça fait pousser la moustache), l'ambiance en cuisine des grands restaurants, les animaux du cirque, la tauromachie (pas facile à éliminer dans le sud), le femme-objet, le harcèlement (c'est la force ancestrale de la nature), le racisme...CPA POISSON DAVRIL 03
Mais le 1er avril traditionnel ! Plus d'articles dans les journaux. Au siècle dernier, les rédactions locales du BR rivalisaient d'imagination (Vierzon, Saint-Amand, Sancerre, même les correspondants s'y mettaient). La rédaction sportive n'était pas la dernière. Je me souviens du changement de tactique proposé par l'entraîneur de FCBourges : tous les 11 joueurs, côte à côte, sur la ligne de but, pour faire un mur impénétrable.
C'était la chasse à la fausse nouvelle, le matin du 1er avril. Correspondant du Berry à Graçay, j'avais carte blanche pour un poisson. J'ai donc inventé une mini-tornade qui s'était élevée dans le ciel graçayais, provoquée par la forme du clocher tors de l'église de Saint-Outrille, village contigu. L'« aterbou » (comme s'en délecte les patoisants) avait arraché le coq (le jau), qui avait plané et s'était planté dans le jardin du presbytère. Je fus le  roi d'un jour en ce 1er avril.
Je me souviens que l'Humanité avait annoncé que Robert Hue (ancien secrétaire général du Parti Communiste) reviendrait à ses activités de jeunesse, en donnant un concert rock, place du colonel Fabien. Je me souviens des journées radios pendant lesquelles les chroniqueurs justifiaient une fausse info. L'obligation d'une deuxième roue de secours, par exemple.
Pourquoi cette disparition lente, alors que les élections de misses perdurent ?
Il est vrai que le populaire est moins d'actualité que le populisme. Combien de pratiques communautaires ont-elles disparu depuis les villes franches et les droits de la pluralité du XVIIIe siècle, arrachés par nos aïeux ?
Où est passé le bonhomme Janvier de mon enfance, plus important, alors, que le père Noël ? C'était le bonhomme Janvier qui portait les cadeaux !
Repêchons le 1er avril.

Savez-vous que je possède 8.000 et une (je ne sais) cartes postales fantaisies du 1er avril ? Elément déclencheur : la mort de ma tante Lucie, couturière célibataire, à qui ses amies envoyaient des cartes humoristiques sur la mode, sur le mariage. En héritage, mon père et mon oncle me firent cadeau de la collection. Mais, c'était surtout les cartes de Saint-Florent qui m'ont intéressé en premier, puis les écoles du Cher (normal pour un maît' d'école), puis Sarah Bernhardt (normal, pour un comédien amateur). Je fouinais, chinais les brocantes, les bourses et les salons de vieux papiers. Plus mes collections s'étoffaient, plus mes trouvailles étaient rares. J'ai donc décidé de faire les cartes fantaisies illustrées. Quoi choisir ? Le 1er mai, pour mon militantisme ? Peu de variétés dans les bouquets de muguet. Les fleurs, les animaux, les gamins en graine de choux, Pâques, les histoires de Saint-Saulge ?
Bon sang, mais c'est bien sûr, il y en a de pleins bacs chez les vendeurs ! Je suis un gars de bonne humeur. Les poissons d'avril !
Je les ai donc classés par catégorie. Avec pour chaque carte un poisson, au moins. Les femmes seules, les hommes seuls, les couples, les gamins, les variétés de poissons, les situations, les animaux (autres que les poissons), les pensées et devises fantaisistes... Certaines cartes se conjuguaient par série de six ou huit, suivant les mêmes personnages, le même cadre. Certaines sont plus particulières. La tante Lucie, vieille fille (pardon tata de ce terme limite), en avait reçu d'inspiration coquine. Les brochets élancés font de bons symboles érotiques. Les cartes anti-allemandes, rares avec des poissons, sont une des fiertés de ma collection. Tiens, sur une, on voit les soldats pêchant avec des casques à pointe : mais les poissons (leurs nageoires et leurs queues sont françaises, nom de Dieu) ne mordaient pas, rigolards des échecs allemands qui ne pêchaient que vieux godillots.

Pourquoi, bien avant les SMS, les cartes de poisson d'avril ont-elles disparu ? Pognon. Un seul jour par an, est-ce rentable ? Et pourtant, dans le temps, comme on dit, cela s'achetait par milliers, voire par millions. Et ne comptez pas sur une idée Coca-cola pour créer de faux besoins de poisson-carte en ce XXIe siècle. Le 1er avril ne paye plus. Un désastre humoristique. Aujourd'hui, qui a fait un poisson d'avril ? Oui, je sais, ce n'est pas la fête. Mais, dans nos confinements, nous lâchons, nous échangeons des dessins, de bons mots sur le corona, le papier Q et les masques... Pauvre poisson.
Et pourtant, des poissons d'avril, nous en subissons à pleines soutes et à pleines épuisettes, et pas seulement, le 1er de ce mois, jour unique. Les « fake-news », vous connaissez ?

Le « je » du 2 avril. Soleil encore.
Colère.

(...)

Dans l'Humanité, je suis attentif à la chronique quotidienne : « ils n'ont pas honte ». Rubrique à scandale, qui n'a rien à voir avec les peines de cœur des monarques déchus ou des régnants galvaudeux. En ce 2 avril, le scandale touchait l'achat des serviettes hygiéniques, pas vitales. Pas vitales ? « Un flic m'a arrêtée, car je suis sortie acheter des serviettes hygiéniques : ce n'est pas vital ! qu'il a dit. Des gens qui font la queue sur 50 mètres pour des clopes , c'est ok, mais une nana (sic) qui veut acheter des tampons, c'est un scandale ? » Amende de 135 € ! En plus, les flics lui ont fait la morale ! PV aussi pour avoir voulu un test de grossesse ! Le collectif, que j'aime bien, « les Georgette Sand » a interpellé la Secrétaire d'Etat. Plus de 100.000 PV ont déjà été dressés pour infraction au confinement. Confiné = vache à lait.

Comment ne pas être en colère ? Aragon, dans la Résistance signait ses poèmes : François la colère. Notre Arthur Rimbaud remarque un roman de 1871, « La colère d'un franc-tireur », dans une lettre d'avril 71.

J'aime, vous le savez les inventaires. J'ai soulevé (il faut bien faire de l'exercice) mon lourd Robert. J'ai cherché les verbes, car pour dire sa colère, il faut qu'elle soit action. Bisquer (bisque bisque rage est-il suffisant ?), fumer, fulminer, mousser, rager, râler, bougonner (ça, ça doit être quand on est confiné, mais ça ne suffit pas au grand air, dans la rue, dans les ronds-points), crier (le Cri du Peuple), injurier, jurer (Nom de Dieu, la colère est un des sept péchés capitaux), pester (employer un nom de fléau contre les grands, c'est intéressant), éclater pour s'éclater, s'emporter, se courroucer (ça sent la tragédie classique), s'élever contre, s'emballer, s'énerver, se fâcher, s'impatienter (oh oui alors), s'irriter et en fin de liste, c'est significatif dans ce dictionnaire du bon usage bourgeois, enfin, se REVOLTER (c'est moi, bien sûr, les majuscules).michel

Demain, les amies et amis, je vais au marché de Baugy. Si l'on m'arrête, je demanderais quel article de loi – nul n'est censé ignorer la loi, qui plus est, le gendarme – quel est l'article du code qui s'applique à la non observance du confinement, et, j'emploierais – il est pourtant pas facile à utiliser sur un marché ce terme : n'êtes-vous pas en train d'agir anticonstitutionnellement ? C'est plus fort que le mot de Cambronne. Je rajouterai cet uppercut verbal : vous savez qu'en Belgique, des législateurs et des avocats ont fait annuler tous les PV. Ce n'est pas dans la Constitution belge, la notion de confinement. PV = anticonstitutionnel.
Amies, amis, si nous lancions nos leaders d'opinion, attachés à la défense des libertés sur ce sujet.
A des demains de colère. Et ça sera pas simple.

Le « je » du 3 avril. Gris, avec un espoir de bleu horizon.
Garder la flamme.

(...)

J'aime bien la piste explorée par (Re)bonds, je la retrouve dans les propositions du Parti Communiste. Gardez du souffle pour la survie des tisons, nourrisseurs de flammes. Flammes historiques : qu'ont fait les Gaulois ? Les Russes face à Napoléon ? Les Communards ? Les Résistants ? Flammes de résistance de plus jamais l'Enfer, sur Terre. Je me souviens de la pièce de Maïakovski. Un forgeron disait à un religieux : « votre Enfer ne me fait pas peur, je le connais sur Terre ».
Résistons. Enflammons-nous à nos fenêtres, même si sur nos routes rurales, il y a moins de passant·e·s citoyen·ne·s qu'en ville.
Je vous parlais des messages. L'unanimisme des liens populaires ne fait pas oublier le passé récent de ceux qui pensent extrême droite (je reçois de l'humour limite, raciste à fleur de courriel) et la lutte du populaire contre le populisme (une belle fable de La Fontaine à inventer). Surtout que la ville natale du fabuliste, pilier des récitations de l'école publique, est aux mains étrangleuses de liberté, aux gants bleu marine et bruns.

Inventaire pour enflammer nos colères : surveillance généralisée (Le BR va-t-il glisser sur la même planche pourrie que son ancêtre La Dépêche du Berry en titrant sur les drones espions policiers ?) ; surveillance qui va persister et devenir habitude ? (trois pages et la Une de l'Huma) ; dérèglement international, flou et contradiction des gouvernants, de France, de Navarre et de la Terre ; sélectivité future des aides, sélectivité des traitements sanitaires (les vieux, qui ont fait l'histoire, éliminés sans remord ?) ; licenciement des travailleurs en retrait ; rechute des crédits recherche, après la sortie du corona ? Brutalités policières maintenues, le droit aux vacances, le bac et l'Université, levée des loyers et des crédits ? (La Commune de 1871 l'a fait !!) ; classement des nécessités ; poids des lobbies ; les droits d'auteur, les intermittents, les artistes, les associations, les bénévoles... Gardons la flamme, comme (Re)bonds.

Le « je » des Rameaux.
Comptage.

Mes amis libres penseurs (et les libres penseuses aussi) vont me reprocher, amicalement, puisque ce sont des ami.e.s, de faire allusion à une fête religieuse. Je rectifie donc : le « je » du 5 avril.
Ce matin, voyage de première nécessité à la Maison de la presse de Nérondes. J'y retrouve « Charlie ». A cette heure, je n'ai pas fini de le lire. Mais la couverture est encore géniale : « RIRE, le médicament qui va vous sauver ». Dessin de Riss, avec un patient sur un lit, sous respiration artificielle. Si le dessin s'arrêtait là, bof, c'est une bonne philosophie, rire, mais... Mais le patient a une trompette dans le troufignon, bien découvert, et la trompette pète et trompette. Vous connaissez, certainement, cette comptine que, gamin, on lâche pour s'affirmer : « le garde-champêtre qui pue, qui pète, qui prend son cul (appelons un chat, un chat, et un derche, un cul) pour une trompette. » Encore à la hauteur, ce « Charlie ». Il rame haut !

Fanny, je n'ai pas eu le temps de relire Mafalda, notre lecture habituelle du siècle dernier. Je ne sais pas si nous avons la collection complète, car c'était une BD, que l'on offrait volontiers aux ami·e·s, au début de sa parution. Génial et courageux Quino, qui par le rire, lui aussi, luttait contre le régime des généraux argentins. J'espère que Mafalda a servi de phare à plein de femmes, et d'hommes aussi.

(...)

Le « je » du 6 avril.
Obsession.

Je grimpe au grenier où s'étaient entassés des livres, lettres, articles de journaux découpés pour être réutilisés, selon l'actualité à venir. Don du ciel ? Je retrouve ma photo de communion, annotée par mon écriture d'adolescent, à la signature toute simple soulignée par la courbure d'un simple trait. Un graphologue me raconterait certainement mon évolution psychologique. Trouverait-il que le premier du catéchisme, pour la célébration de la communion solennelle, en 1957, a transformé sa signature d'une façon diabolique ? J'ai aussi retrouvé du même coup, deux images de communion de mon père Gaston du 14 juin 1914. Même tenue ? Puisque j'avais un costume deux pièces, avec le brassard, qui (miracle ?) a survécu à l'incendie de la maison en 2003. J'écris même tenue, car l'image de papa Gaston montre un même costume, un cierge identique et le brassard blanc. Supplément d'âme, deux rajouts dorés : un ciboire et la colombe du Saint-Esprit. Une chose est sûre : nous avions le même missel, puisque mon père a tenu à me le confier pour le 23 juin 1957. Ce livre me plaisait, car son cuir était souple et agréable au toucher. A l'intérieur, chaque jour de la semaine reproduisait un épisode de la vie de Jeanne d'Arc. Ce missel n'est plus là, ma mère l'a vendu, dans un moment de déprime, à un bouquiniste. Je le regrette un peu, non comme un objet de foi (je ne m'en serai jamais resservi), mais en souvenir ému de mon père, forcé, comme fils du jardinier du château de Saint-Florent, de fréquenter « l'école des Sœurs », en maternelle. Mais, il a eu son Brevet Supérieur au CC public de Saint-Florent et est devenu à la fin de sa vie lecteur de l'Humanité-Dimanche et président des délégués (laïcs) de l'Education Nationale.
Moi, je serai insensible aux pratiques spirituelles qui se pointent en ces jours confinés et « guerriers » (bénédictions et autres gestes religieux douteux et improbables). Je reste un matérialiste, même si la science qui fut souhaitée par les progressistes amena l'atome et le pillage énergétique.

Je n'ai pas retrouvé que des souvenirs pieux, j'ai « désédimenté » de mes piles de documents, notes sur la Commune ou parler local berrichon. J'ai retrouvé notamment un petit livret que je cherchais partout sur le parler giennois. Neuf communes du Loiret au sud de Saint-Gondon sont berrichonnes : preuve, Cernoy-en-Berry.
J'ai débusqué un autre petit livre « Salut et liberté » (lui aussi perdu de vue, sans faire d'émission télé), au sous-titre surprenant et gouleyant : regards croisés sur Saint-Just et Rimbaud. L'auteur évoque jeunesse, Paris, démocratie, guerre, monde faux, révolution, insurrection, salut et liberté, silence, adieu... Hein, surprenant et salivant ! Ma table de chevet devrait devenir table de salle à manger de taverne, pour loger tous mes désirs de relecture. Merci coronavirus ? Merci chinois et pangolins ?

Ai-je des obsessions ? En tout cas, pas celle du rangement. Nicole me le rappelle souvent. « C'est comme à la Mac Sennett's ! » Souvenir de notre premier logement de fonction à Graçay que je partageais avec mon co-locataire (gratuit), mon complice de promotion, Jean-Paul Lescot, fin usager du parler anglo-saxon. Façon de désigner ce havre où nous menions vie culturelle, politique, sensuelle mouvementée...
Je considère que je n'ai pas de TOC. Est-ce la vie du terroir qui veut ça, ce profit de bonheur d'une civilisation lente qui peut résister, plus ou moins, à tant de déferlements ?

(...)

Le « je » du 7, et non le jeudi 7, ni le jeu du set.
Relance.

(...)

Les ami·e·s, j'ai peur du mot du jour : relance. Qui va relancer ? Nous, le Tiers-Etat ? Avec quels outils de travail, puisque certains vont disparaître, comme ont disparu les tripiers après la grippe aviaire ? Tragédie classique ? Les dieux sont remplacés par des humains, mais quels hommes : les politiques, les « acteurs » économiques ou les citoyens du Tiers-Etat du XXIe siècle ?
J'ai peur de la relance qui laissera sur place ceux qui sont déjà dans l'Enfer de l'insécurité de vie. De grands tribunaux puniront quelques zigotos politiciens, mais déjà les 1 % qui possèdent 99 % sauront vite leur trouver des valets-remplaçants-fantoches. Je souhaite fort, vive l'utopie des humbles, que des choses sont à tresser ensemble. Serons-nous assez forts ?

(...)

Le « je » du 8 avril.
Un jour après.

(…)

Je veux garder la presse papier, même si elle me noircit les doigts. Je retrouve dans « l'Huma » nos sujets d'actualité et les propositions des jours d'après. Depuis lundi, le journal, que l'on ne peut plus vendre le dimanche, en ce moment, donne parole aux politiques pour « le jour d'après » (ce poids du mot qui semble faire majorité). A vous, Génération. S (G. Balas), le populaire NPA (O. Besancenot) et aujourd'hui, la France Insoumise (A. Quatennens). Des tas de propositions... A suivre, demain, et le jour d'après, et le jour d'après, d'autres idées. Mais ne trainons pas : les ursidés, les squales, les vautours, les pieuvres, les capitalovirus ne veulent pas d'une nouvelle nuit du 4 août, ni d'un corona en forme de rond-point. Souvenance d'un 1er avril passé : le BR avait monté le château d'eau conique de Bourges sur un rond-point. Sérieusement, les ronds-points peuvent redevenir des châteaux-forts forts ! Des donjons verts et arc-en-ciel. michel manif
Déjà, on veut saigner les petits pour le jour d'après. Messieurs, et quelques garces, commencent à instiller l'idée de grande charité patriarcale, où... les petits seront vampirisés, que vous ne partirez pas en vacances, alors que les jets privés sont près pour les idylliques Tropiques.

(...).

Le « je » du « je dis neuf ».
Force.

Quoi de neuf ? Un de mes élèves me rappelle régulièrement mon exigence drôlatique (je continue avec mon petit-fils) de poser cette question incongrue : « Sept fois neuf ? ». En pédagogue averti,  je savais la singularité de la question, car 7 x 9 est le problème le plus ardu des tables. Et mon élève, avec prudence, me répondait : « que du vieux ! ». Pour lui, vous l'avez compris, il bottait en touche, ce qui lui permettait de réfléchir plus longuement à la réponse souhaitée.

(...)

Tiens, nous voilà arrivé·e·s aux cueillettes suggérées par Fanny. Parmi toutes, vue, toucher, goût me font privilégier les récoltes de cerises. Tiens, au temps du catéchisme, je n'ai même pas confessé ce péché capital, la gourmandise, au curé Trompat. Cerises, cœurs, bigarreaux (bigarré signifie coloré de deux couleurs), tout est bon pour mes papilles. A 74 ans, je suis toujours adepte de la secte des dégustateurs de confiture de cerises – griottes – à chaque petit déjeuner.
Gourmand, mais aussi voleur. Vlan ! Un deuxième péché capital à reconnaître. Gamin, rue Jean Baffier, dans les hauts de Saint-Florent, dans le quartier de la gare, à la saison. Le jeudi ou après 16 h 30, avec mon copain voisin, Jackie, nous allions , fort directement, dans les vergers voisins. Nous nous faisions discrets, avec toutefois, un alibi, nous emportions un ballon, et paf, cet objet inanimé se retrouvait une âme de vagabond, et franchissait les barrières. Point de gestes barrières, en notre enfance, même si le maître d'école, en leçon de morale ou de sciences, nous ordonnait de mettre la main devant notre bouche pour tousser. Nous sautions allégrement les grillages ou passions entre les fils de fer pour... grimper aux cerisiers. Maman Denise ne m'a jamais grondé pour mes poches sales, parfois dégoulinantes de jus, au retour.
Face, à nos deux maisons, celle de Jackie et la mienne, il y avait un petit terrain en pelouse, non exploité par les divers locataires successifs. Dans ce mini pré, un magnifique bigarreautier. Son pied servait aussi d'un des poteaux de but de nos parties de ballon.

Le foot, c'était quand les cerises n'étaient pas venues. Mais, à la saison, nous étions champions de l'escalade. C'était le temps des conquérants de l'impossible (Maurice Herzog, sir Hillary et le sherpa Tensing, Gaston Rebuffat... le temps de mes lectures de Frison-Roche). Nous étions de joyeux zigs à la Herzog. Ce vieux cerisier a gardé longtemps les traces de nos chaussures. J'ai eu un coup de cafard, quand il a été abattu pour bâtir. Je l'ai en tête, Jackie, devenu Vierzonnais, sûrement aussi, mais je n'ai pas retrouvé de photos, où il aurait pu être.
Dernier souvenir de chapardage gourmand et de vol crapuleux. Le vieux bigarreautier ne nous suffisait pas. De l'autre côté de la rue, était l'atelier d'un menuisier-charpentier, mais qui habitait dans le centre de Saint-Florent. Je pense qu'il était Compagnon du Tour de France, réflexion faite plus tard en repensant à ses pratiques et habits (le fameux pantalon de velours). Nous avons donc « emprunté », en son absence, quelques pendants d'oreilles, comme chante Clément. Mais le malin s'était aperçu de notre forfait. Il m'appelle. Jackie était à mes côtés. Je ne voulais pas m'approcher, car j'avais deviné sa volonté. Il insiste dans son appel. Je persiste aussi en restant à l'écart. Mais ce Judas de Jackie me pousse en avant et le père charpentier m'attrape. Nous les enfants, nous ajoutions le père au nom de famille. Il s'agissait là du père Untel. Ah, la poigne. Il m'a fait la leçon, et comme c'était un brave homme, qui certainement craignait plus pour nous, une chute fracassante que la perte de ses cerises, l'affaire s'arrêta là. Plus de raid chez le charpentier, mais ce sont les autres vergers qui reçurent notre visite.

Le « je » du vendredi dix.
La fin ?

Ce matin, au marché de Baugy, une brigade, je n'irai pas jusqu'à dire milice, d'élus et de citoyens à brassards arpentaient le marché. Je ne vois pas leur utilité, mais, comme ils·elles sont connu·e·s comme notables, les gens engageaient courte conversation, à distance barrière, à vue de pif. Mon copain curé costa-ricain était de la bande. Si les (costa)ricains n'étaient pas là, nous serions tous en... barbarie, car les messes sages ne se feraient plus, à Baugy.
« Comment vas-tu camarade ? criais-je vers lui, en ajoutant le lever de main qui veut dire fraternité, dans toutes les ethnies. C'est dur Pâques, cette année ! » Il acquiesça. J'enchaînais sur le scandale des non-hommages aux morts. Il me dit qu'il officie, mais en intimité, pour les familles. Comme à l'accoutumée – c'est son idée nouvelle de croyant convaincu – quand je repars vers Villabon, je constate que le porche de l'église est entr'ouvert, lieu d'accueil.

(...)

Un dernier amusement. Il y a quelques mois, j'ai réécrit une des chansonnettes de mon enfance : « Promenons-nous dans les bois », en parler local berrichon. Je me lance pour la version confinée du moment.

(Chantons et dansons) :
« Promenons-nous dans les bois
tandis que le loup n'y est pas.
Si le loup y était, il nous mangerait.
(Parlons) : Loup, y es-tu ? Que fais-tu ? M'entends-tu ? (vous pouvez aussi dire : Macron, y es-tu ?...)
(Réponse parlée du loup) : Non, Je quitte mon canapé ! 

Promenons-nous ...
(Parlons) : Loup, y es-tu?...
Le loup: Non, je quitte mon pyjama ! 

Promenons-nous...
Loup, y es-tu ?...
Le loup : Non, j'utilise mon PQ !

Promenons-nous...
Loup, y es-tu ?
- Non, j'éteins BFM-TV !

Promenons-nous...
Loup, y es-tu ?
- Non, je laisse mon télé-travail !

Promenons-nous...
Loup, y es-tu ?
- Non, je mets mes gants !

Promenons-nous...
Loup, y es-tu ?…
- Non, je mets du gel !

Promenons-nous...
Loup, y es-tu ?...
- Non, je remplis mon autorisation de sortie !

Promenons-nous...
Loup, y es-tu ?...
- Non, je mets mon masque ! 

Promenons-nous...
Loup, y es-tu ?
- Non, je déverrouille ma porte ! (Il est fini le temps où on tirait sur la chevillette ou la bobinette...)

Promenons-nous...
Loup, y es-tu ?
- Ouiiii !
Je prends mon covid-19 (plus efficace qu'un 6.35 ou qu'un calibre 12) !

Tous : Sauvons-nous !
Le loup : Je suis le loup
Je suis le loup qui te touchera. »

La chanson se termine bien, cependant. La biche intervient et chante :
« Je suis biche, je suis biche qui te défendra ! »

Mais vous pouvez terminer sur la même idée, par un bouquet final :
« Je suis Raoult. Je suis Raoult qui te défendra. »

Je suis heureux de terminer les jours (Re)bonds en danse et chanson.

(1) Lire aussi le numéro 4 de (Re)bonds : http://rebonds.net/4-la-commune-a-la-vie-a-la-scene
(2) Article paru dans la revue Lundi Matin le 21 mars 2020 : https://lundi.am/Monologue-du-virus.
(3) Proposition d'Ecrire ensemble de (Re)bonds, inspirée par le titre du groupe StrupX : https://www.dailymotion.com/video/x2ixuk
(4) Le Living Theatre est une troupe de théâtre expérimental libertaire créée en 1947 à New York par Judith Malina et Julian Beck.
(5) https://paris-luttes.info/appel-a-nos-collegues-du-premier-13653
(6) https://www.courrierinternational.com/diaporama/photographie-la-semaine-en-images-du-6-au-13-mars#&gid=1&pid=5

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# 35 Ecrire ensemble 4 Tue, 21 Mar 2017 13:37:42 +0100
Ecrire ensemble... ce qui nous traverse http://www.rebonds.net/35ecrireensembleepisode4/604-ecrireensemblecequinoustraverse http://www.rebonds.net/35ecrireensembleepisode4/604-ecrireensemblecequinoustraverse Suite et fin des contributions partagées dans le cadre de l'appel à Ecrire ensemble lancé par (Re)bonds le mardi 17 mars 2020.

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Nous dessinerons des montagnes sur les murs

Chloé (Illustration : Michi S.) - Lille ____________________________________________________________________

 

Samedi 21 mars 2020

Il est 11 heures. Je sors péniblement du sommeil. Miléna a déjà effectué ses allées et venues vers la salle de bain. Le réveil a sonné depuis une heure, pourtant je suis toujours là, étendue dans mon lit, sous mes draps, la tête lourde. Je penche le bras vers le sol pour atteindre le livre ; je m’en saisis. J’appuie au passage sur les télécommandes des volets. Ils s’enroulent, se redressent, font percer la lumière dans mon alcôve. Il fait beau, c’est le printemps. Je peine à sortir de mes rêves agités. Je tourne la tête, commence la lecture.mountains 1412683 340

Je me rappelle des autres : « finalement, le confinement j’aime bien ; je dessine, je filme, je fais des photos ! ». Et toutes d’approuver. Seulement moi, sur la réserve. Prise entre quatre murs avec mes questionnements qui ne s’échappent pas par la fente du velux. J’ai beau regarder le ciel, je n’ai pas de réponses. Je me rappelle leurs voix doucereuses au téléphone, « et toi Chloé ça va ? tu fais quoi ? », interrompant le faux mutisme dans lequel je me trouvais. Elles trois s’amusant, blaguant, raillant, de l’autre côté de la caméra. Elles riant à leurs gestes, elles quatre complices, et moi muette souriante. Cette requête toujours la même, celle du « ça va », et ma réponse, fausse, ne disant rien sur mon état. « T’es déprimée ? », quel raccourci. Elles m’ennuient déjà, j’ai rien à leur dire. Je quitte la conférence. De toute façon, Arma, elle ne m’aime pas. Elles m’ennuient ces filles parfaites, s’accommodant de tout, et moi je suis à me lamenter et à ne rien faire de mes journées. Je suis dans mon lit, je regarde le soleil, mon ordinateur. Mes yeux fatigués, la flemme de travailler. Oui, ma créativité pourrait être stimulée. Mais je ne m’ennuie pas, non. C’est pas de l’ennui, c’est autre chose de pernicieux. J’aime m’ennuyer de manière volontaire, quand je n’ai rien à faire. Mais là, c’est l’échec de réaliser la montagne d’attentes qui gît sur mon bureau, qui pourrit et qui n’avance pas. Tout pourrit ici. Mes neurones, mon corps, mes envies, mon cœur. Quelques fulgurances dans la journée égaient mon âme, mais l’enfermement me réduit à néant la plupart du temps.

11 heures, l’heure du café. De la veille restent des paquets de gâteaux salés. Le torchon sur le lampadaire, pour faire de la lumière tamisée. La cuisine en désordre. Les feuilles de papier s’amoncelant sur le sol, ne demandant pas à être rangées. Le soleil donne ses rayons. Les voisins sont en robes de chambre. Ils ne tarderont pas à ouvrir leur porte-fenêtre. Leur terrasse est exposée sud-ouest, à n’en pas douter. Le soleil vient plutôt le matin. Je me demande ce que je vais faire. Je tranche une orange, j’écaille sa peau, j’en laisse une moitié pour Miléna. On échange sur la nuit, sur ce qu’elle est en train de faire, sur le soleil du dehors, sur les gens confinés. On n’écoute plus trop la radio. La porte d’entrée claque à cause des courants d’air. L’après-midi on danse un jour sur deux, sinon le voisin du dessous se plaint. On s’échappe parfois, grâce aux autorisations.
Sinon, la journée commence toujours comme ça : je suis réveillée, Miléna lance un « Hola ! » enjoué dans la maison. Je lui réponds un peu plus calmement ; elle ouvre les volets, la fenêtre, commente l’attitude des voisins, monte l’escalier, m’enlace, demande ce que je lis, va dans la salle de bain, fait quelques blagues, rigole, regarde par-dessus le velux, sourit du soleil, dit « ça motive ! », rentre la tête, descend les escaliers, se sert des céréales, verse le lait. J’entends seulement les grincements des placards, mais je sais quel geste elle esquisse. Le délicat repos du bol sur le plan de travail. Sa minutie, toujours. La cuillère qui tinte contre le bol. Le croquement du chocolat. Encore. Entrecoupé des cascades de voitures en périphérie. Un flux doux comme un cours d’eau. Presque comme à la montagne. C’est vrai qu’on pourrait se croire dans un chalet avec cette hauteur et ce bois. On peut imaginer les montagnes. Après tout, quand on oublie où l’on est, tout peut être réinventé. C’est décidé, nous vivrons dans un chalet. Nous dessinerons des montagnes sur les murs et des rivières dans le creux de notre oreille.

 

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Désertons !

Journal de Marion R. - Paris ___________

 

Monsieur le président, je vous fais une lettre...

« Monsieur le président, je vous fais une lettre que vous lirez peut-être si vous avez le temps. Je viens de recevoir mes papiers militaires pour partir à la guerre, avant mercredi soir. » (1)

Une guerre, il paraît que c'est là que nous en sommes.

« Monsieur le président, je ne veux pas la faire, je ne suis pas sur Terre pour tuer des pauvres gens. »

Et qui devons-nous tuer exactement ? Parce qu'une guerre, il me semble bien que c'est un conflit armé dans lequel nous envoyons des gens se battre, tuer et mourir.

« C'est pas pour vous fâcher, il faut que je vous dise, ma décision est prise, je m'en vais déserter. »

Déserter, désertons oui ! Cette rhétorique absurde qui veut faire de soldats des soignant·e·s dont le but est bien contraire, sauver et guérir. Alors oui, désertons et les mensonges d'Etat et la rhétorique qui veut nous faire croire que nous sommes attaqués par une armée armée ; oui, refusons cette rhétorique qui prône la violence et le combat, plutôt que la mise en place de moyens réels permettant de lutter efficacement, non contre une armée ennemie mais contre un virus. Les mots sont importants et, au sommet d'un Etat, ne peuvent être choisis au hasard. Il s'agit d'un acte délibéré, et délétère, ce qui rend l'Etat délétère, et un Etat délétère ne peut espérer longtemps un peuple discipliné et passif, peu importe les efforts qui pourraient être faits pour se racheter.
Et en choisissant quelques mots, il faut vous dire de vous méfier, que ce qui gronde dans les esprits n'est ni nouveau, ni innocent, et l'huile que vous jetez dessus risque bien de finir en brasier...

« Monsieur le président, si vous me poursuivez, prévenez vos gendarmes que je n'aurais pas d'armes, et qu'ils pourront tirer. »

Le temps qui nous est disposé ne sera pas vain. Et le réveil risque d'être prometteur, et inattendu comme tout réveil.
Désertons, tou·te·s ensemble !

22 mars 2020, un dimanche, 15 h 56
Silence

Le silence, c'est lui qui depuis que tout cela a commencé m'interroge. Que va-t-il devenir ? Il risque de retrouver une place qu'il n'a pas eu depuis longtemps, le vivra-t-il bien ? Et nous, le vivrons-nous bien ?
Le silence a toujours quelque chose de savoureux dans ces mondes où il se fait de plus en plus rare, où il est si peu écouté. Le bruit permanent des vies qui fourmillent est devenu le bruit de fond de nos contrées. Voitures, avions, camions, musiques, portes, pas, chuchotements, discussions, cris, chants, animaux, chiens, chats, humains, tout ce qui nous entoure produit du bruit, et ce bruit, nous nous sommes pour beaucoup habitués à sa présence ; le silence ne règne pas souvent et quand il survient, il angoisse, il surprend, il est souvent dur à savourer. Il est plus présent à la campagne. Que vont advenir tous ces habitants et habitantes des villes quand soudain le bruit de celle-ci va s'affesser, et laisser place à un silence nouveau ?
Les circonstances de son apparition, que nous vivions en ville ou à la campagne, le rend probablement angoissant ; signifiant l'arrêt forcé d'une partie de la vie, il s'impose comme une chape de plomb sur nos existences.
Je pense que c'est une expérience qui peut beaucoup apporter, de l'écouter, de l'entendre puis de l'apprivoiser. Je pense qu'il peut nous aider à nous recentrer, il peut servir à repenser ce que nous sommes, et pourquoi faisons-nous autant de bruit alors qu'il est si agréable de l'écouter ; et il n'est pas forcément vide – il l'est rarement – le silence ici se remplit simplement de la nature qui nous entoure et que nous avons tendance à oublier. Le vent, le chant des oiseaux, la pluie, tous les petits bruits des animaux grouillants.
Alors au bout de vingt-et-un jours de ces retrouvailles surprises, je trouve qu'il faudra nous en souvenir et ne pas replonger dans le vacarme infernale que nous produisons sans savoir pourquoi.

1er avril 2020

Poisson marion

Comptage

Compter, les malades, les morts, les vivants.
Compter, ce qui nous est pris, ce qui nous est donné.
Compter les animaux.
Compter les années.
Compter les jours.
Compter les mailles.
Compter le temps qui nous sépare, des autres, de nos désirs.
Compter le temps qui passe, et nous rapproche, des autres, de nos désirs, du reste du monde.
Compter en attendant de retrouver le reste du monde.
Compter pour ça, cela semblait absurde !
Les autres étaient toujours là, à portée de mains, de clics, de moyens de transports, jamais vraiment loin.
Et aujourd'hui, iels sont à un palier, un trottoir, une rue, et c'est déjà trop loin.
Iels sont toujours à un clic, et ce clic n'a plus le même goût.
Avant il était une possibilité de contact, maintenant il EST la possibilité de contact.
Alors, combien de temps ?
Nous ne savons pas. Alors, il ne nous reste qu'une chose rassurante et pérenne, compter.
Comptons !

Le 6 avril, un lundi, 11 h 08
Obsession

Routine
Chemin d'habitudes qui rassure,
Du lever au coucher, les gestes identiques.
Construire la même rengaine,
Le matin : se lever de ce pied
Préparer son petit-déjeuner,
Manger,
Préparer sa journée,
Se préparer.
La journée passe,
Remplir toutes ces tâches,
Cocher toutes les cases de la liste
Papier ou mentale.
Une pause en milieu de journée,
A nouveau, manger,
Reprendre la suite de la journée,
Remplir toutes ces tâches,
Cocher toutes les cases de la liste
Papier ou mentale.
Le soir : fonctionner à l'envers,
Repenser sa journée,
Préparer le dîner,
Manger,
Se dépréparer,
Se coucher de ce pied.
Du coucher au lever, les gestes identiques.
Chemin d'habitudes qui rassure,
Routine.

Frôler l'obsession,
Dangereuse, et qui guette...
Toujours prête à bondir pour envahir le quotidien.
La routine est saine, rassurante.
L'obsession est envahissante, contraignante.
Surveiller la fine ligne qui les sépare et funambuler dessus pour se sauver.
Frôler l'obsession,
Toujours et uniquement la frôler.

Le jour d'après...

Dans la littérature ou les fictions, cela augure rarement quelque chose de bon. Le jour d'après suit une catastrophe climatique, écologique, sanitaire, guerrière ; je ne crois pas l'avoir déjà vu suivre une avancée bénéfique. Le jour d'après sonne grave, après il faut reconstruire. Il faut « profiter » de cette chance pour renaître et ne pas reproduire les erreurs passées ; mais ça, c'est à long terme ; à court terme le jour d'après est bien plus pragmatique, retrouver les gens que nous aimons, profiter de la vie, absorber le calme enfin revenu, se détendre ; le jour d'après doit être motif d'espoir et d'apaisement et ce, même s'il faut repartir arpenter d'ardus sentiers juste après. Juste après le jour d'après.

Et que se passe-t-il le jour après le jour d'après ?
Et que se passe-t-il le jour avant le jour d'après ?

Après le jour d'après, les sursauts reprennent et il faut repartir, construire !

Mais le jour d'avant ?
Avait-il déjà un goût particulier laissant présager le jour d'après, ou était-il similaire à tous les jours d'avant ne laissant pas présager de l'arrivée du jour d'après ?
Quand le jour d'après arrivera, nous rendrons-nous compte de son arrivée le jour d'avant, ou serons-nous devant le fait accompli que nous sommes le jour d'après ?
Et si nous l'avons rêvé tous les jours d'avant et qu'il arrive sans prévenir, pourrons-nous quand même faire tout ce que nous voulions ce jour d'après ?

(1) Extrait de la chanson « Le Déserteur » de Boris Vian - inspiration proposée le jeudi 19 mars par (Re)bonds dans le cadre de l'appel à Ecrire ensemble.

 

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Appel intérieur

Félix et Marie - Cher (Illustration : Cdd20) _____________

 

Félix : le jour d'après

Continuité ou renaissance ? Attachements ou arrachement ?
Certes, le jour d'après, il arrivera des choses importantes, des préoccupations diverses à régler.
Ce, juste pour faire ce qu'il faut, pour tenir son rang, répondre à ses obligations et responsabilités, assurer la maintenance de ses moyens matériels, se soucier de sa santé et de celle de ses proches, assurer son équilibre financier, sa logistique.
Voire, faire face à des attaques, des oppositions, des conflits, des « accidents », des pertes.
Gérer les rendez-vous, le planning, les délais, les contretemps, les pannes, les absences, les sollicitations, peut-être de nouvelles obligations, de nouvelles règles du jeu.
Préserver son image, sa position, son intégration dans la société et dans ses groupes d'appartenance.
Que d'autres choses encore ?! Les soucis de et pour nos proches.

Mais, dans tout ce flot ininterrompu, quel(s) projet(s) de vie, quelle réalisation de soi ?
Quelles sont mes demandes, mon aspiration profonde, mes désirs et mes espoirs, et même, mes rêves et mes fantasmes ?
Sont-ils réalistes, en adéquation avec mon âge, mes capacités, mes moyens matériels, intellectuels et émotionnels, mon réseau relationnel ?
Quelle passion m'anime ?
Quel budget en temps et en énergie puis-je consacrer à cette aspiration ?
Cette passion, disons la réalisation de soi, est-elle présente à chaque instant ou n'apparaît-elle que par à-coups, par hasard, de façon sporadique de sorte qu'on y pense et puis qu'on l'oublie ?
Par quel chemin, quelle voie, par quelle stratégie, dans quel contexte puis-je lui faire prendre corps ?
Est-ce que je ressens une excitation, une impérieuse soif de lui donner vie ou est-ce simplement une idée de magazine ?
Et puis d'abord, de quoi est-ce que je me nourris ? Qu'est-ce que ça entretient en moi ?caricature 5123404 340

J'écoute telle radio plutôt que d'autres, je lis tel périodique et surtout pas certains, je vais à tels spectacles mais pas aux autres. Bref, je consomme et m'abreuve de tels courants que la société diffuse et non d'autres.
Ainsi va mon attachement à des habitudes de pensée, d'affinités que j'estime en adéquation avec moi.
Mais avec quelle part de moi ? Celle qui souhaite continuer dans le confort et le réconfort habituel ou celle qui aspire secrètement à une renaissance ?
Cette aspiration profonde nécessite un travail de discernement.
Toute mon adhésion dans la continuité de ma relation au monde, qui me colle à la peau, est-elle en phase avec ce à quoi j'aspire au fond de moi ?
Les centaines d'émissions que j'ai écoutées, les centaines d'articles que j'ai lus, tous les spectacles auxquels j'ai participé, les milliers d'échanges téléphoniques que j'ai tenus ont-ils nourri l'accroissement de mon être ?
Quel critère pour juger de l'adéquation entre ce que je vis et comment je le vis, et ce à quoi j'aspire ?
Ressentir de la joie, et, plus que du bien-être (qui est juste synonyme de quiétude homéostatique), ressentir un surcroît de confiance, de puissance de son être, d'amour de la vie, de générosité et d'élégance dans son rapport aux autres, de l'optimisme à voir que les choses vont dans le bon sens.
Nulle attente de je-ne-sais quelle bonne fortune, de quelque opportunité.
Non, c'est dans le flot même du quotidien que je vis que le travail commence.
Changer son regard ou, plutôt, s'observer vivre cette vie habituelle, en discerner les ressorts.
Le travail sur soi comme un formidable lieu d'embellissement de son être, de sa vie.
Avec bienveillance, joie et excitation. Une concentration aussi prenante que celle ressentie avec un jeu vidéo, où l'on se réjouit d'avoir neutralisé ce qui nuit, d'avoir surmonté une épreuve, d'avoir franchi une étape.

Et si cet appel intérieur ne nous parle pas ou nous importune, au moins vivre et non juste survivre, aimer et non haïr.

Marie : réponse

Quelle justesse ce texte, pour mon être en devenir, qui patiente jour après jour en levant son petit bras frêle et insistant et qui, de sa voix fine et cristalline, me dit chaque jour avec une constance infinie : « Et moi, et moi, et moi, te souviens-tu que je suis là ? »

Ce confinement, pour le prendre sur mes genoux, l'envelopper de ma tendresse, et lui parler doucement. Pour lui dire que cette fois, je l'entends, et que je sais qu'il est juste qu'il ait sa place, au milieu de toutes ces parts de moi, cacophoniques, qui dirigent et tranchent chacune leur tour, en poussant des coudes, à qui parlera le plus fort, à qui tiendra la barre.

STOP !

Il est temps de s'asseoir tous ensemble, d'apprendre à s'écouter pour la première fois, de trouver des stratégies communes, après avoir mesuré ô combien précieuses et légitimes sont les attentes de chacun.

Et là, s'ouvre un autre champ de conscience, une sérénité naissante, un point de lumière qui peu à peu émerge et embrasse dans ses rayons chauds et bienveillants tous ces petits êtres turbulents qui ont enfin trouvé un peu de paix et d'accord mutuel.

C'est un petit bout de chemin, savoureux s'il en est.

 

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Si tu sais toujours rêver

Journal de Chiara S. (Illustrations : Marilù Trapani.)  - Cher _________________

 

Mercredi 18 mars 2020

Depuis deux jours, D. essaie d'écrire un morceau, mais il tourne en boucle.
Il s’énerve, il n'arrive à rien.

La quarantaine a commencé en Chine, fin janvier.
Au même moment, je devais quitter ma famille en Italie, après la période des vacances de Noël, comme chaque année, et je me préparais à ma « quarantaine française » qui se répète depuis 12 ans, depuis que j'ai quitté mon pays pour les études et le travail, mais aussi, aujourd'hui, pour le bien-être, les amis, la mentalité, pour regarder le monde avec d'autres yeux...

Ou alors, notre quarantaine a commencé quand mes parents ont dû s’enfermer à la maison, car chez eux, ça a commencé plus tôt… Les réseaux sociaux qui me permettent de garder le lien avec eux débordaient de nouvelles, de réactions, de blagues autour du virus. Je me sentais déjà dans un état d’inquiétude, pour eux et pour le monde, un monde qui allait perdre ses vieux, les derniers qui ont vécu les camps d'extermination et la montée des fascismes, toute cette mémoire écrasée d'un coup...
Et pourtant, cela ne m'a pas empêché de serrer la main et d'embrasser les gens, une façon de se renforcer bêtement les uns les autres, comme pour dire :
« figure toi »
« non mais enfin »
« moi je vais bien »
« n'aies pas peur de moi »
Nous avons toutes et tous drôlement besoin les uns des autres. 

Certes, notre quarantaine a commencé samedi, quand R. a su qu'elle était positive.
Le virus est arrivé ici, depuis la télé italienne, il s'est projeté en pleine campagne, là où on pensait que jamais il n'aurait pu se pointer… et pourquoi pas ?
Moi et D. ne savons pas, ne sommes pas éligibles au test, du coup on attend sagement quatorze jours, et on croise les doigts. Le président a dit qu'il faut aller voter dimanche pour les élections municipales, que la situation est sous contrôle et que toutes les mesures nécessaires seront prises afin que le vote se déroule sans danger aucun. Mais enfin, ce n'est pas complètement débile ?
Finalement, nous sommes toutes et tous potentiellement positifs ; juste, on ne le sait pas, et probablement, on ne le saura jamais. « Le virus peut être en toi et tu peux ne pas avoir de symptômes » : ma sœur connaît déjà par cœur tous les sites Internet où tu peux avoir les informations les plus exactes, elle a deux semaines d'avance d'ailleurs.

Enfin, ce qui est sûr, c'est que notre quarantaine n'a pas commencé le 17 mars, désolée le gouvernement. Je mesure l'ampleur de ce qui se passe depuis un certain temps, et cela va bien au-delà de vos « mesures ».

*************la bella

Qu'est ce qu'une quarantaine ? Un confinement ?
Une limitation de tes libertés, me dit un ami, qui ne supporte pas cela.
Se donner des limites, des règles. Ne pas pouvoir faire ce que l'on veut.
Mais, je pense, notre vie est continuellement bornée, limitée, contrôlée. Quel sens cela peut-il avoir d'être confinés, dans un monde qui t'impose déjà tout ?
En réfléchissant mieux, je m’aperçois que si notre espace et nos déplacements sont limités, notre temps peut changer.
Je réponds à mon ami que, peut-être, c'est une occasion.
Une occasion de nous soustraire aux habitudes qui nous enferment dans un rythme, toujours le même, et de regarder le monde avec d'autres yeux. Un autre rythme : pas celui imposé par l’extérieur, mais notre rythme intérieur, propre à chacun. C'est ce que j'ai pu expérimenter en venant vivre à la campagne après mes premières trente années vécues entre Rome et Paris, deux grande villes extraordinaires, qui peuvent entièrement t'avaler dans leurs rythmes frénétiques, leur boulimie de propositions, leur asphyxie de trouver un boulot...

C'est très beau. De regarder le printemps qui pousse, de suivre un papillon du regard.
Et même moi, qui vit déjà à la campagne depuis presque dix ans, moi qui ai déjà appris plein de choses, en étant plus en relation avec le « vivant » – apprécier le vrai goût des légumes, mettre les mains dans la terre, se rapprocher à petits pas de l'autonomie alimentaire, prendre le temps de balader les chiens, écouter un autre individu sans lui couper la parole et bénéficer de la même attention en retour – je suis extrêmement surprise de ce temps suspendu.
C'est vrai, nous pouvons occuper ce temps de mille manière possibles, mais cela reste une parenthèse, qui n'a pas le même goût de la vie que tous les jours.  
Car nous ne savons pas, réellement aujourd'hui, si demain nous pourrons profiter autant de ce monde, et de ceux et celles qui l'habitent.

C'est un peu comme cette musique que D. n'arrive pas à composer.
Pour le moment, il faut accepter et espérer qu'une nouvelle façon de regarder le monde apparaisse.
Ses accords ont déjà l'air moins coincé.

Vendredi 20 mars 2020

Dans le temps suspendu, j'ai décidé de m'occuper de mon jardin.
C'est assez symbolique, mais aussi absolument concret.
J'ai soigné pendant des années le jardin des autres, et cela m'a appris plein de choses. Aujourd'hui, je suis obligée de m'occuper du mien. Littéralement : je coupe les branches mortes, je les amasse sur un tas, je prends les plus grosses pour me faire du bois de chauffage pour l'hiver. Je coupe l'herbe, le printemps commence à se faire large et des touffes de plus en plus denses apparaissent ici et là, avec les primevères, les jonquilles, les premières orties, le pissenlit… tous ces mots que j'ai appris dans une langue étrangère, les mots de la campagne et de comment en prendre soin, des mots que je dois faire l'effort de retrouver dans ma langue maternelle, si tant est que je les connaisse… tout n'est pas mauvais dans une quarantaine.
Prendre soin, de soi, de son environnement, habiter vraiment un espace, se l'approprier, y passer du temps, s'affectionner, se sentir un ensemble, une partie de l'écosystème. Se soigner, des douleurs récentes et des plus anciennes et profondes, prendre ce temps pour guérir, tout cela serait déjà tellement précieux.

Certains disent que les gens qui habitent à la campagne sont des privilégiés aujourd'hui.
C'est incroyable comme le point de vue change vite. Hier, on était juste coupés de tout (transports, loisirs, etc.) ; aujourd'hui, le fait d'avoir un jardin change tout.
J'ai toujours pensé que mon temps dans les villes s'était épuisé, que j'avais physiquement besoin de vivre plus proche de ce qu'on appelle la « nature ». Comme si l'air me manquait, j'avais besoin de quelque chose que je n'avais jamais vécu auparavant. Et pourtant… mes meilleurs souvenirs sont liés à des espaces naturels et où je sens mon corps en vie.
Je vous propose un exercice : pensez le lieu magique de votre enfance.
Pour moi, c'est évidemment la Sicile, où j'allais passer l'été, la maison entre la mer et la colline, les heures passées dans l'eau de mer, la canicule, les faux repas préparés avec des feuilles de plantes grasses écrasées, et les vrais repas enveloppés de l'odeur délicieuse des aubergines frites, la fausse sieste qui se transforme en une méditation à l'ombre des pins maritimes en écoutant les cigales....
Souvenirs doux et extraordinaires, inoubliables.

Quand j'ai habité Milan, entre 0 et 6 ans, lors d'une promenade au printemps, où j'avais probablement 5 ans, une horde de fourmis est monté sur mon bras, alors que j'approchais ma main d'un coquelicot éclos. J'en garde un souvenir vif et terrifié : le noir des fourmis et du pistil du coquelicot, qui me fascine et me confond, car c'est bien de là que la multitude avançait sans que je m'en aperçoive ; le rouge des pétales, un soleil froid et un ciel blanc, toujours gris blanc.   
Ou encore, quand j'habitais à Rome, et que j'allais à l'école ou au collège – les deux bâtiment bâtiments étant côte à côte – je traversais à pied le parc en face de mon immeuble. En pleine ville – même si c'était une banlieue – je traversais un vrai petit bois, sûrement bien plus ancien que nos enclos bétonnés, et par endroit la vision de ces immenses immeubles à dix étages était complètement éclipsée par le feuillage. Je sentais mon corps transpirer pendant le printemps et mes chaussures se remplissaient de terre à chaque passage (ce qui suscitait la colère de ma mère, car j'en mettais partout dans notre appartement). J'ai fait ce trajet d'environ vingt minutes tous les jours, de 8 à 13 ans, puis j'ai complètement changé de décor pour le lycée.  
Mais cette nature résiste malgré le béton, pousse dans tous les sens chaque année, se débat et est là, encore aujourd'hui, maintenant que j'ai 38 ans : ce parc est toujours là. Les corbeaux ont laissé (un peu de) place à une espèce de perroquets vert fluo que les légendes métropolitaines disent être une espèce en cage qui s'est reproduite farouchement ces dernières années, suite à des fuites de cage, et qui a décidé de s'installer à Rome, toujours à cause du réchauffement climatique. Je les comprends.
J'adore me perdre dans ces souvenirs d'enfance et de nature.
Une copine m'a dit que ça lui arrivait souvent, de penser à la naissance de ses enfants ou à d'autres souvenirs qui lui donnent du plaisir en ce moment suspendu.

J'ai toujours observé la nature de loin et de près, ça m'a toujours fasciné, mais je ne me suis jamais sentie vraiment comme si j'en faisais partie. Depuis que je vis à la campagne, quelque chose a commencé à changer en moi. Aujourd'hui, je prends soin de mon jardin, pour de vrai, pour la première fois peut-être. Qu’on le veuille ou non, nous sommes cette nature nous aussi. Quand est-ce qu'on arrêtera de s'autodétruire ?

Samedi 21 mars 2020

Aujourd'hui, premier jour de printemps, je prépare des pizzas maison.
Le rythme de ce temps suspendu est établi par plusieurs éléments, tous plus ou moins liés au soin.

Quand je me lève le matin, je vérifie mon état de santé. Une petite toux nerveuse m'accompagne presque depuis une semaine et en fonction du jour, je me sens plus ou moins angoissée. Je le sens par ma respiration : si j'arrive à prendre une inspiration profonde sans effort, ça va, sinon ça ne va pas. Je sais que la peur est complètement irrationnelle, et j'essaie de faire des choses pour me distraire et me soigner à ma façon.viso

Un autre moment qui cadence ces journées est le repas : on dit que l' « on est ce que l'on mange », alors j'essaie de bien manger et de faire bien manger D. et R. Nous avons la chance de nous approvisionner chez des amis maraîchers (on est toujours des privilégiés, au-delà du miroir).
J'ai toujours bien aimé manger, cuisiner et choisir des recettes avec soin. Équilibrer les menus et le faire en respectant les envies de ceux et celles autour de moi. C'est très fatigant mais très enrichissant aussi, c'est une manière d'entrer en empathie avec les gens sans parler, et en même temps, de créer un compromis qui puisse convenir à tout le monde.
Pendant que je cuisine, je pense à tous ces éléments qui fondent, qui restent crus, les saveurs qui se mélangent, les particules qui se rencontrent ou se repoussent, les textures différentes, j’expérimente un peu, j'essaye de ne rien jeter. Et je pense à qui va le manger. Je n'ai pas toujours le temps de me dédier à cette pratique comme je voudrais, mais là, c'est enfin possible.  
Ma mère me demande : « Pourquoi tu n'ouvres pas un restaurant ? ». Je lui ai toujours répondu que je ne peux cuisiner que pour des gens qui le méritent. En cela je veux dire, pour des gens qui ne viennent pas « consommer » un repas, mais qui viennent entrer en relation avec moi.  
Peut-être qu'un jour, on fera des restaurants chez les gens, en restant un peu de temps avant et après le repas pour les connaître, et que cela ne s'appellera plus « restaurant » mais le « rituel magique de se nourrir les uns des autres »....
R. cuisine aussi très bien, mais en ce moment, elle n'a pas très envie de le faire. Je lui ai dit « pas de problème je m'en occupe » et cela me donne beaucoup de plaisir, car tout contact nous est impossible. Alors, je prépare une assiette pour elle et la dépose en face de sa porte, sur un tabouret que nous avons laissé exprès. Tous les jours, deux fois par jour, depuis une semaine déjà. Au début, elle n'avait pas très faim, mais petit à petit, elle reprend des forces. Elle est contente, surtout de l'amour qu'il y a dans ces assiettes, je pense.  

**************

J'ai écouté une émission qui a duré plusieurs heures enregistrée en Italie dans laquelle plusieurs philosophes et autres personnalités du milieu scientifique et culturel se sont retrouvés pour discuter, chacun depuis son confinement, de sujets concernant cet état d'urgence que nous sommes en train de vivre (ou de subir). L'émission s’appelle « Prenons-la avec philosophie », qui en italien, dans le langage courant, est une manière de dire « prenons-cela à la légère ». Mais cela signifie aussi essayer de comprendre simplement ce qui nous arrive au niveau individuel et collectif, et pour cela, utiliser la philosophie comme une malette d'outils pratiques, très concrets, qui peuvent nous aider à codifier ce moment historique.
Ils ont évoqué le retour des animaux dans les villes, les poissons à Venise, les dauphins à Cagliari.
La polarisation entre ville et tout ce qui est « en dehors » revient systématiquement. Ils disent que les villes ont été conçues de plus en plus en excluant le vivant, qui est donc relégué à la forêt (l'étymologie latine du mot foret est foris, dehors. Placidus connaissait déjà l'adjectif forasticus, extérieur ; et cet adjectif subsiste dans l'italien forastico, le sicilien furestico, le provençal foresgue, sauvage, rude, rétif ; l'italien forestiere a le sens d'étranger, d'homme du dehors. Sur ce modèle, le bas-latin a formé forestare, mettre dehors, bannir.) 

Deux choses m'ont surprise : la vitesse avec laquelle les animaux reviennent peupler des zones que l'homme dominait ; et que ce soit l'organisme vivant le plus petit au monde qui en ait chassé l'homme, au moins temporairement. On dirait que les autres vivants n'attendaient que ça, qu'on se barre.
Si nous étions encore là après cette pandémie, nous devrions choisir quel impact nous voulons avoir sur cette planète. Si nous voulons de nouveau faire semblant de ne pas en faire partie et ignorer tout ce qu'on sait, ou commencer peut-être à être un peu moins présents, moins s'imposer avec tous nos comportements. Un peu moins concentrés entre humains, et un peu plus mélangés avec le vivant, les animaux, la terre, l'air… regarder notre écosystème du point de vue de cet écureuil qui sort de son nid quand il y a du silence. Re-devenir terrestres.

Dimanche 22 mars 2020

J'ai lu aujourd'hui cette phrase : « À la guerre, nous opposons le soin, de nos proches jusqu’aux peuples du monde entier et au vivant. En France, comme dans les autres pays, nous allons tenir ensemble pour faire face à l’épidémie. Nous allons transformer l’isolement imposé en immense élan d’auto-organisation et de solidarité collective ». Elle est tirée d'une pétition présente sur une plate-forme qui recense des initiatives d'entraide développées de manière indépendante sur le territoire français ; la pétition invite à renforcer la solidarité et l'auto-organisation face à la pandémie (1).

Je déteste ce langage guerrier qui nous est proposé.
Je trouve qu'il nous met dans une mauvaise attitude, comme s'il y avait un ennemi, extérieur et invisible.
Durant la Seconde Guerre mondiale, mon grand-père avait un ennemi, pas nous. Lui me racontait qu'il était obligé de manger des épluchures de patates, moi dans 30 ans je pourrais raconter que j'étais à la maison et je faisais les courses sur Internet. Oui des gens meurent, beaucoup et seuls, mais il faut arrêter de dire qu'il y a un ennemi. Car c'est nous-mêmes qui avons provoqué cette situation, avec nos comportements irresponsables vis-à-vis de nos proches et de cette planète.
Je crois profondément en ces deux choses : auto-organisation et solidarité. Les choix que nous allons prendre après cette pandémie seront cruciaux pour notre avenir, exactement comme avant, mais peut-être avec un peu plus de conscience.

Jeudi 26 mars 2020

Je me sens bizarre. Depuis quelque jours, je ne pense qu'aux travaux de jardin, comme s'il n'y avait rien d'autre. Je suis obsédée par le fait d'avoir un but. Je n'arrive pas à me concentrer sur le plaisir. Le plaisir de faire quelque chose, l'acte même, les gestes. Le problème est que, avant le confinement, j'avais aussi un problème dans ce sens. Je ne savais plus pourquoi j'avais dédié les dernières années de ma vie à fond dans un projet qui a l'air de ne pas aboutir. Comme si je ne voyais pas. D. me dit : « mais enfin, tu étais heureuse pendant que tu faisais tout cela ! » Oui, je l'étais, je pense. Mais aujourd'hui, je n'arrive pas à m'en rappeler. Du coup, je remplis boulimiquement mes journées pour ne pas sentir ce vide.

Ce matin, J-L. a tiré son tarot pour moi : le 5 d'épées au milieu, le Char en haut, l'As de damier à gauche, le Monde à droite et l’Hermite en bas. Cette croix magique indique que j'ai tous les outils pour entreprendre un chemin de connaissance du monde, même si ce n'est qu'à l'intérieur de moi-même, ce chemin est éclairé. J-L. me dit que, selon lui, je suis quelqu'un qui est capable de mener de grosses entreprises.
Je voudrais avoir cette lumière en moi, c'est peut-être pour ça que je veux passer autant de temps au soleil. Il est si chaud et si beau en ce moment, on dirait qu'il n'a jamais fait aussi beau et aussi longtemps par ici.

Jeudi 2 avril 2020

La Colère.
Nous nous demandons si la colère qui émerge lors de ce confinement,

la même colère des Nuits Debout, des Gilets Jaunes, des manifestants de toute sorte,
la colère des personnes dont l’État a sous-estimé la valeur pour donner toujours plus d'importance à l'économie et au profit,
toute la colère aujourd'hui enfermée dans les maisons, obligée de se limiter à des affiches sur les balcons, qui fermente avec le printemps et le soleil qui réchauffe les pieds et le cœur,
toute la colère du monde oublié,
toute cette colère qui n'attend que de sortir et envahir les rues, les cœurs et les oreilles, encore et encore,

toute cette colère,
nous nous demandons si elle sera encore là, après.

Je pense que oui, elle sera toujours là.
Mais je me demande combien d'entre nous arriveront à la canaliser dans un projet de vie alternatif. Pour certains d'entre nous, un parcours de décroissance avait commencé, persuadés que nous étions déjà en train de vivre dans les ruines d'un système en décomposition. Pour d'autres, il n'y avait que des questionnements, comme si franchir le pas vers un autre mode de vie pouvait encore attendre une autre génération, comme si les petites conquêtes que nous avions tant désirées (ou qu'on nous a fait désirer) – le travail, la maison, une stabilité économique – pouvaient vraiment durer encore un peu. Comme ce réveil que tu n'as pas envie d'entendre le matin. Ça fait des années déjà que l'on dit que « de toute façon, il n'y aura pas de retraite pour nous ». Et bien voilà ça y est, on y est.fuso

Hier, D. a eu une conversation animée avec son cousin et d'autres amis italiens à ce sujet. Les employeurs demandent souvent aux salariés de prendre leurs jours de congés en ce moment, autrement ils sont mis au chômage technique. Par solidarité avec certains collègues qui ne pourraient pas tenir avec un salaire écourté, le cousin de D. se dit prêt à accepter le chantage de son entreprise, et renoncer donc à ses congés. Et cela n'est qu'un exemple, d'une situation presque banale. Au lieu de s'unir pour que les droits des travailleurs soient respectés, beaucoup préfèrent tenir bon par peur de perdre le peu de garanties qu'ils ont. « On nous tient par le cou !!! » hurle D. désespéré.
Je pense que pour ces personnes, qui m'écoutent une fois par an parler d'autonomie alimentaire, de se faire un potager et de sortir de l’économie, c'est vraiment très difficile d'imaginer qu'eux-mêmes peuvent faire la différence, avec leur comportement, s'ils arrêtaient de se percevoir comme des individus et s'ils se considéraient enfin comme un groupe, un collectif, un peuple. Tu finis par croire que le prochain gouvernement fera mieux, et tu continues à te faire guider. Plutôt que de devenir actif, tu restes passif. Tu n'as pas confiance en toi, ton pouvoir de changer à toute échelle, on te l'a volé.   

Quand j'ai décidé de quitter l'Italie, je l'ai fait parce que j'avais passé un mois à Paris avec ma cousine et d'un coup, j'ai vu que les choses pouvaient fonctionner différemment. Et cette différence, ce sont les gens qui la construisent. Quand tu restes enfermé dans ton cocon, tu ne sais pas jusqu'à quel point tu peux changer les choses. Parfois, nous avons besoin d'un choc, d'un voyage, de voir que « ailleurs, ça se passe différemment » juste pour nous rappeler que rien n'est acquis et que tout se conquiert, jour après jour. Aller vivre dans un pays étranger t'oblige à faire cela, car tout est nouveau et tu as besoin de prendre tes marques, c'est une question de survie.
J'espère que ce confinement sera un peu comme un voyage à l’étranger : qu'il nous redonnera de l’énergie pour lutter, qu'il nous permettera de regarder notre situation et le monde avec d'autres yeux, qu'il nous donnera de l’inconscience, de la joie et de la colère… nous avons tous et toutes un grand besoin de nous retrouver ensemble et faire front autour de ces valeurs.

Vendredi 3 avril 2020

« Mes amis sont tous des étrangers, parlent tous des langues différentes, et ils aiment davantage ce qui leur est étranger que ce qu'il leur est coutumier. »
J'écoute le journal de confinement de Wajdi Mouawad et, à un moment donné, il dit cette phrase, qui m'interpelle.
Aimer davantage ce qui est étranger : cela est très puissant. C'est ce qui te fait regarder le monde avec d'autres yeux, qui te fait redécouvrir tout comme un enfant qui découvre le monde ; ça te ramène à cet âge d'émerveillement et d'inconscience, à tes parents jeunes, à un état qui n'est pas plat mais qui est en devenir perpétuel... dans cette peau neuve, tu peux de nouveau apprécier « ce qui est coutumier », tu en vois des aspects nouveaux et insoupçonnés.
Ne pas s’arrêter à ce qui est « coutumier », ne pas le prendre pour acquis et penser que c'est le seul chemin possible. C'est aussi en cela que je me retrouve, cette pensée me sauve comme si j'étais en manque d’oxygène. C'est cela qui m'a toujours guidé.

Ma mère était illustratrice et mon père ingénieur. Presque deux opposés. Le parcours de ma mère m'a toujours fasciné, j'ai toujours aimé me perdre dans ses dessins. Elle suivait des cours du soir à l'institut européen du design lorsqu’on a habité Milan, et moi je l'accompagnais à l'âge de 3 ou 4 ans car elle ne pouvait pas me laisser seule et mon père rentrait tard du travail. Je m’asseyais à un bureau et je dessinais, moi aussi. Ma mère m'a confié récemment qu'elle était rassurée par ma présence, elle ne devait pas faire la route le soir toute seule.
Puis ma mère a arrêté de dessiner car elle avait du mal à trouver du boulot, elle était mal payée et sous-estimée pour son travail. Elle a voulu s'occuper plus de moi et puis de ma sœur.
En ce qui me concerne, je n'ai pas choisi un parcours qui me donnait accès à un « poste sûr ». Un peu comme elle, j'ai voulu suivre une passion, je ne pouvais pas faire autrement. J'ai suivi mes instincts et mes rêves, toujours, sans à aucun moment me demander si cela m'aurait donné un poste de travail. Je pense que, même si ma mère a abandonné les crayons et l’aquarelle, elle m'a donné envie de suivre mes passions, elle les a toujours encouragées.

Ne pas faire coutume.
Et pourtant, je sais combien il est facile de tomber là-dedans, comme dans un vortex qui te dit « pour réussir dans la vie, il faut faire ceci, cela », comme un sortilège qui t'incite à être ce que tu n'es pas.
Mais, à l'heure actuelle, ne serait-ce pas plus prolifique, plus utile, de se relier avec ses rêves, de se nourrir de cette imagination débordante qui est présente dans les arts ?
Pour imaginer d'autres possibles, pour les imaginer avec ou sans nous, au-delà de nous-mêmes, pour rester attirés par ce qui est étranger.
Quand le « poste sûr » n'existe plus, si tu sais rêver, tu as toujours une ressource.

(1)  https://covid-entraide.fr/signe-la-petition-pour-lentraide/?fbclid=IwAR2mGYTLDA5QlbtW-KVEgrBzgULt9qZ7PdWDBUbh7fw_NtkC0xACFnvRNJ0

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Silence

Catherine B.  - Nièvre _________________

 

Mardi 17 mars 2020

En reprenant pied avec le monde après une nuit de sommeil, mon premier réflexe est de « sentir » le jour nouveau. Fenêtre ouverte, narines au vent, je hume l'air du matin. Attitude animale qui me permet d'entrevoir ce que sera aujourd'hui.
De l'étage, j'embrasse mon jardin d'un regard. Il fait beau. La journée sera douce. La végétation revitalisée m'offre l'énergie d'un printemps précoce.
Mardi, je suis restée à la fenêtre plus longtemps que d'habitude ; justement parce que quelque chose n'était pas comme d'habitude...
Stupéfaction : SILENCE
Pas un bruit ce matin. Gommées, les voitures qui sillonnent la ville. Gommé le ronronnement incessant des usines et chantiers. Gommé le bourdonnement du trafic autoroutier. Gommé le crissement des trains atteignant la gare. Gommés les voix humaines et les Iphones crachant du rap sur le trottoir...
Stupéfaction : SILENCE
Le confinement ordonné par l'Etat et la brusque baisse d'activité ont d'étranges répercussions. La dimension sonore de mon environnement s'est radicalement réorientée vers « son essentiel » : le chant des oiseaux. Délice et angoisse à la fois.
Pendant quelques semaines, la nature va respirer (presque) à pleins poumons. L'ambiance deviendra encore plus incroyablement ouverte, libre.
Quel violent parallèle ; quelle redoutable leçon : la nature respire mieux alors que les hommes meurent d'asphyxie dans les hôpitaux.
Attention : un grain de sable a mis le monde à genou.

 

 

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Projet de vie

Isabelle T. - Bourges (Cher) _________________

 

Mercredi 18 mars 2020

En temps normal, nous avons un projet de vie. Aujourd'hui, nous vivons sans projet, au jour le jour, dans l'instant présent. Une expérience d'un autre temps qui passe, bien étrange...
Chamboulement de nos habitudes, de nos repères et de nos certitudes (pour celles et ceux qui en ont).
Bouleversement dans nos relations sociales, dans notre relation à l'autre, distance « de sécurité » oblige...
Et après ? Nécessité peut-être de repenser notre modèle de société, bien malmené par les temps qui courent…

 

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Espace pour jouer

Marie-Dominique F. - Cher _________________

 

Dimanche 22 mars 2020 – Etat d'urgencecartoon 5123447 340

Calamité prévisible
Atteinte grave à l’intime
Civilisation enrégimentée
La loi et l’ordre pour les psychorigides
Territoires autorisés limités
Restrictions autoritaires
Un cas particulier : le métropolitain
La croissance est partie en volutes
La liberté s’accommode mal de la police.
Pouvoir rendre publique la colère !

Lundi 23 mars 2020 - « A robot is missing »

Ils sont venus spécialement pour faire le point
Urgence de base
Besoins satisfaits trop tard
Ils mettent tous leurs efforts à faire de l’effet
Ravalez votre superbe
Trouvez le voleur volant dans les voiles
Freinez la consommation
Retour des robots
Machines extra-terrestres

Manque d’espace pour jouer

 

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Promesse

MSPGC - Cher ___________

Mercredi 8 avril 2020

J'en ai assez de ce confinement
Je commence à craquer sérieusement
Chaque minute prend son temps
Je trouve ça désespérant

Je rêve de mon volant
Les chevaux rugissants
Les cheveux aux vents
Mon « clopiot » aux dents

La beauté de ce printemps
Tous ces arbres verdoyants
M'appellent dès le levant
A caresser leur tronc puissant

Allégresse d'une caresse
Sur mon corps en détresse
Assez dans sa jeunesse
Pour renoncer à cette promesse

Promesse d'un corps en liesse
Ouvrant les portes de l'ivresse
Déchaînant la tigresse
Réveillant la diablesse

Au diable les confesses
Et toute autre pécheresse
Désir et plaisir d'ogresses
Honorent la sève enchanteresse

Maintenir son corps en laisse
Comme son véhicule qu'on délaisse
C'est bien la pire des prouesses
Que la vie nous adresse

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# 35 Ecrire ensemble 4 Tue, 21 Mar 2017 12:54:42 +0100