# 37 Pour un autre enfantement (juin 2020)(Re)bonds est un magazine mensuel créé par Fanny Lancelin, journaliste installée dans le Cher. Son but : à travers, des portraits d'habitant.es du Berry, raconter des parcours alternatifs, des modes de vie où le respect des êtres vivants et de leur environnement tient une place centrale.http://www.rebonds.net/37pourunautreenfantement2023-05-11T19:02:39+02:00(Re)bonds.netJoomla! - Open Source Content ManagementAurélie raconte l'accouchement non assisté : « une expérience magique »2017-03-21T13:37:42+01:002017-03-21T13:37:42+01:00http://www.rebonds.net/37pourunautreenfantement/620-laccouchementnonassisteuneexperiencemagiqueSuper User<p><strong>En France, moins d'1 % des femmes enfantent en dehors d'un hôpital, et 9 sur 10 d'entre elles le font tout de même accompagnées par un médecin ou une sage-femme. Aurélie a fait un autre choix : celui de l'accouchement non accompagné (médicalement). Elle raconte ici cette expérience <em>« magique »</em>.</strong></p>
<p>Elle s'agenouille sur un petit coussin, allume une bougie et plante son regard bleu clair dans le mien, un léger sourire sur les lèvres. Ses cheveux sont déliés, ses mains légèrement brunies par la terre dans laquelle elle plantait, quelques instants plus tôt, des courgettes. Légèrement relevées, les manches de sa tunique blanche laissent entrevoir des tatouages multicolores qui couvrent sa peau. Autour d'elle, des livres, des instruments de musique, des pierres, des accessoires de méditation, des voilages multicolores...<br />Aurélie dégage à la fois force et douceur. Derrière le son clair de sa voix, une détermination qui semble à toute épreuve. A moins qu'elle n'ait été précisément forgée par les défis qu'elle a dû surmonter.<br />A 38 ans, elle est mère de trois enfants : Isaya, 11 ans ; Solal, 6 ans ; Sati, 3 ans et demi. Pour chacun de ses enfantements, elle a vécu une expérience singulière aux conséquences majeures dans sa vie. Non seulement elle a fini par choisir d'accoucher à domicile, mais sans accompagnement (médical).</p>
<p><span style="font-size: 14pt;"><strong><span style="color: #ff615d;">Se préparer à ne plus avoir peur<br /></span></strong></span></p>
<p><em>« Se préparer à un accouchement, c'est comme gravir l'Everest,</em> débute-t-elle. <em>Ça prend du temps et de l'énergie. Les neuf mois entiers devraient y être consacrés. Mais ici, comme pour la mort, il n'y a pas de réel accompagnement ou de préparation à la naissance. Nous sommes dépossédé·e·s : nous confions à quelqu'un d'autre ce moment si important de notre vie. »</em> Le gynécologue, le médecin, l'anesthésiste pour la péridurale, les infirmières, les sages-femmes...<br />La démarche d'Aurélie est globale : toute sa vie tend vers une réappropriation de son être. Sur le plan matériel, en se réappropriant par exemple son alimentation (en semant, cultivant, cueillant), son habitat (en auto-construisant) ou encore l'éducation de ses enfants (en participant activement à l'école parentale du Chêne Vert<span style="font-size: 8pt;"> (1)</span>)... Mais aussi sur le plan spirituel, en développant des connaissances sur son corps, son esprit, les relations qu'ils entretiennent et la manière dont ils sont reliés aux autres êtres vivants, aux autres forces de vie.</p>
<p><a href="http://www.rebonds.net/images/AAD/solal_et_isaya.jpg" class="jcepopup" data-mediabox="1" data-mediabox-title="Isaya et Solal (Photo : Aurélie P.-L.)."><img src="http://www.rebonds.net/images/AAD/solal_et_isaya.jpg" alt="solal et isaya" width="1000" height="750" style="border: 2px double #e2e2e2; display: block; margin-left: auto; margin-right: auto;" /></a><br />Lorsqu'elle évoque son manque de confiance dans la médecine, elle explique qu'on s'est acharné sur sa soeur, née sans rein. <em>« Aujourd'hui dans notre société, nous avons peur de la mort, peur de la maladie, peur de la vieillesse. Alors, nous confions notre sort aux médecins. »</em> Or, pour qu'une grossesse et un accouchement se passent bien, « naturellement », il faut évacuer la peur. Car les hormones qu'elle produit, notamment l'adrénaline, favorise les tensions et donc, les douleurs. <em>« Si on se met en stress au moment de l'accouchement, on se met en mode survie et donc, naturellement, on bloque le processus d'accouchement. Comme une biche qui met bas et qui perçoit la présence d'un prédateur : par l'adrénaline, elle bloquera le processus le temps de s'échapper. »</em></p>
<p>En même temps qu'Aurélie me parle, je me souviens avoir lu un passage à ce sujet dans le livre de Patrice Van Eersel, « Mettre au monde »<span style="font-size: 8pt;"> (2)</span>. L'auteur explique qu'en 1934, un médecin de campagne britannique, le Dr Read, énonça une théorie tirée de ses expériences, selon laquelle aucune fonction physiologique ne justifiait de douleurs insupportables durant l'accouchement pour une parturiente en bonne santé. Au contraire, on sait depuis que le corps sécrète à ce moment-là ses propres analgésiques, des endorphines. Selon lui, seules les peurs pouvaient expliquer des douleurs utérines hors-normes. <em>« Ces dernières engendrent, en effet, des réflexes de défense, qui se traduisent par des tensions neuromusculaires anormales de l'utérus. Read énonça donc : « Peur = tensions = douleur. » Autrement dit, dans le processus de l'accouchement, les facteurs émotionnels et subjectifs compteraient au moins autant que les données purement physiologiques. »</em></p>
<p><span style="color: #ff615d;"><strong><span style="font-size: 14pt;">« Je me suis sentie trahie »<br /></span></strong></span></p>
<p>Aurélie a décidé de ne pas avoir peur et son chemin de vie lui a permis d'acquérir la certitude qu'elle serait capable d'accoucher « différemment ». A l'âge de 15 ans, un accident qui la cloue sur un fauteuil roulant pendant six mois, puis les douleurs qui s'ensuivent, persistantes, l'encouragent à prendre en main la connaissance de son corps, via les médecines dites « alternatives », mais aussi la physique quantique. <em>« C'est l'observation de tes croyances dans une matérialité : l'esprit a un impact si fort sur la matière ! Si ton esprit pense qu'il y aura un problème pendant l'accouchement, alors il y en aura un. Il faut couper avec cette peur et c'est la préparation qui le permet. »</em></p>
<p>Lorsqu'en 2009, elle est enceinte de son premier enfant et alors qu'elle vit en Amérique du Sud, en Bolivie, elle se prépare à accoucher dans une hutte de sudation <span style="font-size: 8pt;">(3)</span>, accompagnée par une matrone colombienne, après une préparation en yoga pré-natal. Mais finalement, Marcelo, son compagnon de l'époque, souhaite aller en Europe. Elle accepte, et la voici à sept mois de grossesse, hébergée par sa mère, sans lieu pour accueillir l'enfant, ni sage-femme pour l'accompagner. Isaya naîtra donc à la maternité « Amie des Bébés » <span style="font-size: 8pt;">(4)</span> d'Avranches en Normandie. <em>« Là-bas, sont proposés de l'acupuncture, un accouchement dans l'eau, sur ballon, avec ta playlist si tu veux, dans la pénombre... c'est super et les équipes font preuve d'une grande gentillesse.»</em><br />Mais ? <em>« D'abord, le matin de l'accouchement, il a fallu faire une demi-heure de voiture. La fréquence des contractions associée aux vibrations de la route, c'est une vraie torture. Quand on pense qu'aujourd'hui, on ferme les maternités dans les campagnes pour les regrouper en immenses pôles, en forçant les femmes à faire ce type de trajets ! »</em> Tout est allé très vite : les premières contractions sont apparues à 7 heures et Isaya est née à 10 heures ! Pourtant, à la maternité, <em>« une jeune sage-femme m'a percé la poche des eaux, d'un petit geste sec, pour que ça aille plus vite. Résultat : des contractions plus douloureuses ! C'était intrusif et violent, je me suis sentie trahie. Pourquoi avoir fait ça, alors que tout se passait bien et que ça allait très vite ? Je ne sais pas... il fallait sans doute laisser la place à une autre femme ! »</em></p>
<p><span style="color: #ff615d;"><strong><span style="font-size: 14pt;">L'instinct mammifère</span></strong></span></p>
<p>Dans ce premier enfantement toutefois, Aurélie a entrevu à quel point elle s'était retrouvée connectée à ses <em>« forces primitives et primaires »</em>.<em> « Je me suis transformée en Louve, en Ourse...Tu ressens toutes les connections avec tous les mammifères. C'est pour moi un acte initiatique majeur. »</em> <br />Les mammifères... L'arrogance qui caractérise aujourd'hui notre espèce lui fait souvent oublier qu'elle appartient à cette grande famille. Je repense au livre « Mettre au monde » : un chapitre est consacré à Michel Odent, à l'origine obstétricien ayant pratiqué de nombreuses césariennes avant de changer complètement de point de vue et de pratiques. Dès les années 1970, il a défendu la thèse selon laquelle, naturellement, la femme accouche dans un état modifié de conscience. La partie de son cerveau créée en premier lors de sa propre gestation (les structures corticales primitives) sont suractivées, tandis que la partie qui gère le raisonnement logique (le néocortex) se met en veille. La moindre source de dérangement (comme les sollicitations à la maternité) la font sortir de cet état et abandonner ses instincts. Or, Michel Odent en est convaincu : on ne saurait apprendre à une femme à accoucher. Elle le sait d'instinct. Encore faut-il qu'on lui permette de l'écouter. Ce qu'il lui faut ? De l'intimité et de la confiance.</p>
<p><br /><a href="http://www.rebonds.net/images/AAD/yourte.jpg" class="jcepopup" data-mediabox="1" data-mediabox-title="La maison de la famille (Photo : Aurélie P.-L.)."><img src="http://www.rebonds.net/images/AAD/yourte.jpg" alt="yourte" width="1000" height="750" style="border: 2px double #e2e2e2; display: block; margin-left: auto; margin-right: auto;" /></a></p>
<p><strong><span style="font-size: 14pt; color: #ff615d;">L'arrivée de « celui qui fraie le chemin »<br /></span></strong></p>
<p>En 2014, Aurélie attend son deuxième enfant.<br />Alors qu'elle envisage déjà d'accoucher à domicile sans accompagnement, elle visite la maternité de Bourges avec Pierre, son compagnon. Les témoignages qu'elle a recueillis sont mauvais et la visite confirme ses craintes :<em> « On ne nous a parlé que de péridurale, d'obstétrique, d'anesthésie... »</em><br />Pour se préparer, le couple est suivi par deux médecins, dont un médecin accoucheur de Moulins et de deux sages-femmes, dont une spécialisée dans l'haptonomie <span style="font-size: 8pt;">(5)</span>.<em><span style="font-size: 10pt;"> « Le but est d'avoir un bon réseau, de bons conseils et le matériel adéquat pour le jour de l'accouchement : par exemple, le kit de naissance avec les clamps pour couper le cordon, la bouteille d'oxygène au cas où... »</span></em> Ils lisent également beaucoup, notamment sur ce que vit le bébé durant l'accouchement, et suivent deux stages de vipassana (une des techniques de méditation les plus anciennes venant d'Inde). C'est là que le prénom de Solal – <em>« celui qui fraie le chemin »</em> – leur est révélé : dans la pénombre de la pièce de méditation collective, un rayon de soleil perçant à travers une fenêtre se pose sur son ventre arrondi.<br /><em>« On avait confiance et on s'en nourrissait,</em> assure Aurélie pour décrire leur état d'esprit d'alors.<em> On ne laissait aucune faille se créer dans cette confiance, pour que la peur n'entre pas. »</em></p>
<p>Pratiquant la symptothermie <span style="font-size: 8pt;">(6)</span>, Aurélie connaît très précisément le terme de sa grossesse, et en informe ceux et celles qui la suivent. <em>« Ne jamais faire ça,</em> sourit-elle en secouant la tête.<em> Le jour du terme, la sage-femme m'a convoqué et m'a dit : « Si les contractions ne se sont pas déclenchées dans 48 heures, vous allez à l'hôpital.</em> <em>Alors que si on ne sait pas on a une semaine de battement avant le déclenchement. A la sortie du rendez-vous, je me suis effondrée en larmes. Tout ça pour ça ? Ça ne pouvait pas être possible ! Impossible de me calmer. Nous sommes quand même allés manger un morceau dans un restaurant, mais les larmes n'arrêtaient pas de couler. Ce n'était plus de la tristesse, c'était autre chose. J'ai capté que le travail était déjà en route ! A la piscine, les premières contractions sont arrivées. Alors, nous avons fait une demi-heure de route, mais pour rentrer chez nous. Ciao l'hôpital ! »</em></p>
<p>A cette époque, leur habitation est encore en cours de finitions. Pierre fait des allers-retours pour faire chauffer de l'eau pour un bain relaxant. Il administre à Aurélie les graines d'homéopathie, relève les heures des contractions et accompagne avec puissance et amour chacune d'elles, échange avec la sage-femme par téléphone qui se tient prête si besoin.<em> « Faire sa préparation avec une sage-femme, c'est très important pour la place du père. Par exemple, elle leur apprend à placer leurs mains sur notre sacrum lors des contractions, ce qui permet de diminuer les douleurs ou les points d'accu-pression à faire au moment de l'accouchement. »<a href="http://www.rebonds.net/images/AAD/solal.jpg" class="jcepopup" data-mediabox="1" data-mediabox-title="Solal (Photo : Aurélie P.-L.)."><img src="http://www.rebonds.net/images/AAD/solal.jpg" alt="solal" width="750" height="1000" style="border: 2px double #e2e2e2; display: block; margin-left: auto; margin-right: auto;" /></a></em></p>
<p>A genou, les coudes posés sur les accoudoirs du canapé, Aurélie médite. Elle sent qu'elle commence à avoir envie de pousser, fait pénétrer deux de ses doigts dans son vagin pour s'ausculter. Lorsqu'elle les retire, Pierre mesure la distance entre les deux doigts avec un décamètre : ouverture du col à 8. Le travail se poursuit. Ce simple moment est l'un des moments les plus magiques pour elle : sentir ce qui se passe dans son corps à ce moment précis. L'appropriation de son propre corps. <em>« Pas une lecture, un vécu ! »</em></p>
<p>La poche des eaux ne s'est pas percée. Bientôt, une véritable bulle sort du corps d'Aurélie et y reste suspendue. Pierre court avec ses bassines.<em> « On a beaucoup ri</em>, se souvient Aurélie. <em>On venait tout juste de faire le parquet ! »</em> Bientôt, elle sent la tête de son enfant. <em>« Il était là, mais mon périnée n'était pas prêt. Alors je lui ai parlé : Solal, s'il te plaît, laisse-moi encore quelques minutes, il faut que je me détende. C'est incroyable mais il est remonté, j'ai respiré profondément, et pris le temps de m'installer sur le côté gauche. Il est sorti, Pierre l'a attrapé sous les bras et me l'a tendu. Je l'ai mis directement au sein, emmitouflé dans une serviette propre et douillette. »</em> Environ quinze minutes plus tard, le cordon ombilical s'arrête de battre et Aurélie le coupe. <em>« Dans la relation fusionnelle mère-enfant, c'est important que ce soit la mère qui le fasse. »</em></p>
<p>Dans un dernier mouvement du périnée, elle expulse le placenta. <em>« Au bout d'une demi-heure, la sage-femme est arrivée et l'a examiné. Elle a pesé et mesuré Solal, et réalisé la déclaration de naissance. Il pesait 4 kilos. Elle m'a assuré qu'à l'hôpital, vu ma taille, j'aurai eu droit aux forceps. »</em><br />Aurélie ne souffre d'aucune déchirure et l'enfant se porte magnifiquement. Les parents réalisent soudain : <em>« On l'a fait! Il est vivant ! C'était magique. »</em><br />Il·le·s apprendont le lendemain que tou·te·s les voisin·ne·s s'étaient réuni·e·s pendant le travail, mû·e·s par une émotion forte. <em>« Il·le·s avaient allumé des bougies qu'il·le·s avaient déposées aux pieds des arbres autour de chez nous. Magique ! Je sens clairement qu'il·le·s nous ont accompagné·e·s en pensées, avec leurs coeurs, avec leur force et que nous n'étions pas seul·e·s pour accueillir Solal. Nous avons passé les jours qui ont suivi dans un bain d'hormones magique, dans une quiétude incomparable, un temps hors-temps. Nous étions chez nous, avec nos enfants, ensemble, à nous nourrir des bons légumes du jardin et d'amour. »</em></p>
<p><span style="font-size: 14pt;"><strong><span style="color: #ff615d;">Après le doute, la véracité<br /></span></strong></span></p>
<p><em></em>Deux ans plus tard, c'est Sati – « la véracité » – qui love au creux d'Aurélie. Le couple a fait appel à la même sage-femme. Mais lors d'un examen, un streptocoque (une bactérie qui peut provoquer des infections comme les septicémies et les méningites) est décelé. Revirement de la sage-femme qui refuse de poursuivre le suivi pour un accouchement non médicalisé. <em>« C'était extrêmement violent,</em> se rappelle Aurélie. <em>J'étais à 37 semaines de grossesse ! »</em> Le doute s'installe. Avec Pierre, elle visite la maternité de Vierzon. La sage-femme qui les accueille insiste pour l'ausculter et lui assure que la taille de son bébé penche en faveur d'une césarienne. Le doute s'immisce un peu plus encore.<br />A cause du streptocoque, elle le sait, la maternité qui l'accueillera la mettra sous antibiotiques.<em> « Même pas en rêve ! »</em> Sa détermination prend le dessus. Elle se soigne avec des remèdes naturels qu'elle s'administre dans le vagin et une semaine plus tard, le nouvel examen indique que la bactérie a disparu. Par ailleurs, une amie lui transmet le numéro d'une sage-femme spécialisée dans les accouchements à domicile : Rose Faugeras <em>(lire aussi les rubriques (Ré)acteurs et (Re)découvrir</em>). <em>« Elle m'a dit : vous savez le faire, vous l'avez déjà fait. Elle nous a redonné notre souveraineté. Ce coup de téléphone a été salvateur. »</em></p>
<p>Lorsque les premières contractions se font sentir, Rose est en visite dans le Cher auprès d'une autre maman. Elle propose de passer. <em>« Elle était féline, très discrète, douce, mais très présente avec beaucoup de force,</em> raconte Aurélie. <em>Sati est arrivée une demi-heure après. Pourtant, c'était quand même un peu frustrant : Rose a pris le relais de Pierre, il n'a pas eu la même place que la première fois. »</em> De même, Aurélie savait que Sati avait le cordon autour du cou. Dans un geste sûr, Rose l'a déroulé. Pierre a été ébahi par ce geste, très professionnel, mais<em> « nous aurions pu le faire, moins bien peut-être, mais nous savions quoi faire et avions ce qu'il fallait si besoin. Tu comprends ? Dès qu'il y a une personne extérieure, tu es dépossédée de ce qui se passe. »<a href="http://www.rebonds.net/images/AAD/satie.jpg" class="jcepopup" data-mediabox="1" data-mediabox-title="Satie (Photo : Aurélie P.-L.)."><img src="http://www.rebonds.net/images/AAD/satie.jpg" alt="satie" width="846" height="1000" style="border: 2px double #e2e2e2; display: block; margin-left: auto; margin-right: auto;" /></a></em></p>
<p>Pour autant, la présence de Rose a été très importante. <em>« Elle a été incroyablement attentionnée, prévenante, aimante. Elle m'a lavée, elle a pris soin de moi et de ma vulve endolorie. Elle a aidé Pierre à s'occuper du placenta pour faire un arbre de vie, puis à enlever les membranes. C'était une grande aide en plus, ça donnait de l'amplitude au moment. »</em> Finalement, la sage-femme ne repartira que le lendemain. Elle reviendra voir Sati deux ou trois fois.<br /><em>« Durant la nuit, le givre avait recouvert la campagne tout autour. Un autre moment magique, hors-temps. Nous sommes dès le lendemain, sortis tous ensemble nous promener dans ce décor féerique et avons profité de ces bains d'hormones à nouveau tous ensemble dans notre petit nid douillet, dans la yourte, qui avait accueilli ces deux petits êtres magnifiques. »</em></p>
<p><span style="font-size: 14pt;"><strong><span style="color: #ff615d;">Retrouver la magie<br /></span></strong></span></p>
<p><em></em>Aujourd'hui, la petite fille comme son frère vont très bien. Durant l'entretien, ils passent chacun leur tour faire montre de leur présence, avant que leur soeur aînée enjoigne sa mère à s'occuper d'elle et à aller manger.<br />Aurélie conclue : « Si j'avais à le refaire, je ne changerais rien. C'est tellement simple. Pourquoi a-t-on compliqué tout ça ? Tout le monde peut le faire, vraiment. »<br />Bien des barrières devront être levées pour développer cette pratique en France. Je quitte Aurélie et retourne à la lecture du livre de Patrice Van Eersel. Il y rappelle qu'historiquement, c'est surtout à partir du siècle des Lumières que le domaine de la natalité a été confisqué aux femmes, par la science et la médecine, détenues par les hommes. Un élément de plus dans la domination d'un sexe sur un autre.<em> « Dans le vaste mouvement de prise en charge du début de la vie par le complexe médico-scientifique, un facteur crucial a eu tendance à s'évaporer</em>, écrit Patrice Van Eersel. <em>Le sens du sacré, du rituel, de la fête transcendante, de la dimension cosmique à laquelle la procréation nous convie. »</em> La surmédicalisation crée un grand vide. Aux femmes d'aujourd'hui d'avoir, si elles le souhaitent comme Aurélie, la détermination d'emplir à nouveau l'enfantement de toute la magie qu'il mérite.</p>
<p><strong>Fanny Lancelin</strong></p>
<p><span style="font-size: 8pt;">(1) L'école du Chêne Vert est située à Bourges (Plaimpied-Givaudins) ; il s'agit d'un établissement privé hors contrat qui pratique les pédagogies dites « alternatives » telles que celles de Maria Montessori, par exemple. Lire aussi le numéro 20 de (Re)bonds intitulé « Une autre école est possible ».</span><br /><span style="font-size: 8pt;">(2) « Mettre au monde – enquête sur les mystères de la naissance », de Patrice Van Eersel (éditions Albin Michel). Lire aussi dans la rubrique (Ré)créations.</span><br /><span style="font-size: 8pt;">(3) Une hutte à sudation est un lieu de rituels importants dans la spiritualité amérindienne, notamment pour entrer en contact avec les esprits.</span><br /><span style="font-size: 8pt;">(4) Maternité Amie des Bébés : label accordé en France par l'IHAB (Initiative Hôpital Ami des Bébés), association lancée par l'Unicef et l'Onu. Les maternités qui s'en prévalent pratiquent des accouchements les plus physiologiques possibles, donc les moins médicalisés possibles.</span><br /><span style="font-size: 8pt;">(5) Haptonomie : science de la vie affective qui étudie les phénomènes propres aux contacts, essentiellement tactiles, dans les relations humaines. Ses applications concernent la vie entière et notamment, l'accompagnement pré et post natal, afin que les parents entrent pleinement en contact avec leur enfant.</span><br /><span style="font-size: 8pt;">(6) Symptothermie : méthode naturelle d'observation du cycle de la femme (observation des glaires et de la température du corps). Elle permet notamment de connaître son jour d'ovulation. Plus de renseignements sur <a href="https://symptothermie.com/">https://symptothermie.com/</a></span></p>
<div class="panel panel-primary">
<div class="panel-heading">
<h3 class="panel-title">Les conseils lectures d'Aurélie</h3>
</div>
<ul>
<li>« Accouchement, naissance, un chemin initiatique » de Martine Texier (éditions Le Souffle d'Or).</li>
<li>« Sorcières, sages-femmes et infirmières – une histoire des femmes soignantes » de Barbara Ehrenreich et Deirdre English, traduit par L. Lame (éditions Cambourakis).</li>
<li>« La femme multi-orgasmique » de Mantak Chia et Rachel Carlton Abrams, traduit par André Dommergues (Guy Trédaniel Editeur).</li>
<li>« Accouchement » de Bernadette De Gasquet (éditions Marabout).</li>
<li>« Yoga pour femme enceinte » de Rosalid Widdowson (éditions Marabout Family).</li>
</ul>
</div><p><strong>En France, moins d'1 % des femmes enfantent en dehors d'un hôpital, et 9 sur 10 d'entre elles le font tout de même accompagnées par un médecin ou une sage-femme. Aurélie a fait un autre choix : celui de l'accouchement non accompagné (médicalement). Elle raconte ici cette expérience <em>« magique »</em>.</strong></p>
<p>Elle s'agenouille sur un petit coussin, allume une bougie et plante son regard bleu clair dans le mien, un léger sourire sur les lèvres. Ses cheveux sont déliés, ses mains légèrement brunies par la terre dans laquelle elle plantait, quelques instants plus tôt, des courgettes. Légèrement relevées, les manches de sa tunique blanche laissent entrevoir des tatouages multicolores qui couvrent sa peau. Autour d'elle, des livres, des instruments de musique, des pierres, des accessoires de méditation, des voilages multicolores...<br />Aurélie dégage à la fois force et douceur. Derrière le son clair de sa voix, une détermination qui semble à toute épreuve. A moins qu'elle n'ait été précisément forgée par les défis qu'elle a dû surmonter.<br />A 38 ans, elle est mère de trois enfants : Isaya, 11 ans ; Solal, 6 ans ; Sati, 3 ans et demi. Pour chacun de ses enfantements, elle a vécu une expérience singulière aux conséquences majeures dans sa vie. Non seulement elle a fini par choisir d'accoucher à domicile, mais sans accompagnement (médical).</p>
<p><span style="font-size: 14pt;"><strong><span style="color: #ff615d;">Se préparer à ne plus avoir peur<br /></span></strong></span></p>
<p><em>« Se préparer à un accouchement, c'est comme gravir l'Everest,</em> débute-t-elle. <em>Ça prend du temps et de l'énergie. Les neuf mois entiers devraient y être consacrés. Mais ici, comme pour la mort, il n'y a pas de réel accompagnement ou de préparation à la naissance. Nous sommes dépossédé·e·s : nous confions à quelqu'un d'autre ce moment si important de notre vie. »</em> Le gynécologue, le médecin, l'anesthésiste pour la péridurale, les infirmières, les sages-femmes...<br />La démarche d'Aurélie est globale : toute sa vie tend vers une réappropriation de son être. Sur le plan matériel, en se réappropriant par exemple son alimentation (en semant, cultivant, cueillant), son habitat (en auto-construisant) ou encore l'éducation de ses enfants (en participant activement à l'école parentale du Chêne Vert<span style="font-size: 8pt;"> (1)</span>)... Mais aussi sur le plan spirituel, en développant des connaissances sur son corps, son esprit, les relations qu'ils entretiennent et la manière dont ils sont reliés aux autres êtres vivants, aux autres forces de vie.</p>
<p><a href="http://www.rebonds.net/images/AAD/solal_et_isaya.jpg" class="jcepopup" data-mediabox="1" data-mediabox-title="Isaya et Solal (Photo : Aurélie P.-L.)."><img src="http://www.rebonds.net/images/AAD/solal_et_isaya.jpg" alt="solal et isaya" width="1000" height="750" style="border: 2px double #e2e2e2; display: block; margin-left: auto; margin-right: auto;" /></a><br />Lorsqu'elle évoque son manque de confiance dans la médecine, elle explique qu'on s'est acharné sur sa soeur, née sans rein. <em>« Aujourd'hui dans notre société, nous avons peur de la mort, peur de la maladie, peur de la vieillesse. Alors, nous confions notre sort aux médecins. »</em> Or, pour qu'une grossesse et un accouchement se passent bien, « naturellement », il faut évacuer la peur. Car les hormones qu'elle produit, notamment l'adrénaline, favorise les tensions et donc, les douleurs. <em>« Si on se met en stress au moment de l'accouchement, on se met en mode survie et donc, naturellement, on bloque le processus d'accouchement. Comme une biche qui met bas et qui perçoit la présence d'un prédateur : par l'adrénaline, elle bloquera le processus le temps de s'échapper. »</em></p>
<p>En même temps qu'Aurélie me parle, je me souviens avoir lu un passage à ce sujet dans le livre de Patrice Van Eersel, « Mettre au monde »<span style="font-size: 8pt;"> (2)</span>. L'auteur explique qu'en 1934, un médecin de campagne britannique, le Dr Read, énonça une théorie tirée de ses expériences, selon laquelle aucune fonction physiologique ne justifiait de douleurs insupportables durant l'accouchement pour une parturiente en bonne santé. Au contraire, on sait depuis que le corps sécrète à ce moment-là ses propres analgésiques, des endorphines. Selon lui, seules les peurs pouvaient expliquer des douleurs utérines hors-normes. <em>« Ces dernières engendrent, en effet, des réflexes de défense, qui se traduisent par des tensions neuromusculaires anormales de l'utérus. Read énonça donc : « Peur = tensions = douleur. » Autrement dit, dans le processus de l'accouchement, les facteurs émotionnels et subjectifs compteraient au moins autant que les données purement physiologiques. »</em></p>
<p><span style="color: #ff615d;"><strong><span style="font-size: 14pt;">« Je me suis sentie trahie »<br /></span></strong></span></p>
<p>Aurélie a décidé de ne pas avoir peur et son chemin de vie lui a permis d'acquérir la certitude qu'elle serait capable d'accoucher « différemment ». A l'âge de 15 ans, un accident qui la cloue sur un fauteuil roulant pendant six mois, puis les douleurs qui s'ensuivent, persistantes, l'encouragent à prendre en main la connaissance de son corps, via les médecines dites « alternatives », mais aussi la physique quantique. <em>« C'est l'observation de tes croyances dans une matérialité : l'esprit a un impact si fort sur la matière ! Si ton esprit pense qu'il y aura un problème pendant l'accouchement, alors il y en aura un. Il faut couper avec cette peur et c'est la préparation qui le permet. »</em></p>
<p>Lorsqu'en 2009, elle est enceinte de son premier enfant et alors qu'elle vit en Amérique du Sud, en Bolivie, elle se prépare à accoucher dans une hutte de sudation <span style="font-size: 8pt;">(3)</span>, accompagnée par une matrone colombienne, après une préparation en yoga pré-natal. Mais finalement, Marcelo, son compagnon de l'époque, souhaite aller en Europe. Elle accepte, et la voici à sept mois de grossesse, hébergée par sa mère, sans lieu pour accueillir l'enfant, ni sage-femme pour l'accompagner. Isaya naîtra donc à la maternité « Amie des Bébés » <span style="font-size: 8pt;">(4)</span> d'Avranches en Normandie. <em>« Là-bas, sont proposés de l'acupuncture, un accouchement dans l'eau, sur ballon, avec ta playlist si tu veux, dans la pénombre... c'est super et les équipes font preuve d'une grande gentillesse.»</em><br />Mais ? <em>« D'abord, le matin de l'accouchement, il a fallu faire une demi-heure de voiture. La fréquence des contractions associée aux vibrations de la route, c'est une vraie torture. Quand on pense qu'aujourd'hui, on ferme les maternités dans les campagnes pour les regrouper en immenses pôles, en forçant les femmes à faire ce type de trajets ! »</em> Tout est allé très vite : les premières contractions sont apparues à 7 heures et Isaya est née à 10 heures ! Pourtant, à la maternité, <em>« une jeune sage-femme m'a percé la poche des eaux, d'un petit geste sec, pour que ça aille plus vite. Résultat : des contractions plus douloureuses ! C'était intrusif et violent, je me suis sentie trahie. Pourquoi avoir fait ça, alors que tout se passait bien et que ça allait très vite ? Je ne sais pas... il fallait sans doute laisser la place à une autre femme ! »</em></p>
<p><span style="color: #ff615d;"><strong><span style="font-size: 14pt;">L'instinct mammifère</span></strong></span></p>
<p>Dans ce premier enfantement toutefois, Aurélie a entrevu à quel point elle s'était retrouvée connectée à ses <em>« forces primitives et primaires »</em>.<em> « Je me suis transformée en Louve, en Ourse...Tu ressens toutes les connections avec tous les mammifères. C'est pour moi un acte initiatique majeur. »</em> <br />Les mammifères... L'arrogance qui caractérise aujourd'hui notre espèce lui fait souvent oublier qu'elle appartient à cette grande famille. Je repense au livre « Mettre au monde » : un chapitre est consacré à Michel Odent, à l'origine obstétricien ayant pratiqué de nombreuses césariennes avant de changer complètement de point de vue et de pratiques. Dès les années 1970, il a défendu la thèse selon laquelle, naturellement, la femme accouche dans un état modifié de conscience. La partie de son cerveau créée en premier lors de sa propre gestation (les structures corticales primitives) sont suractivées, tandis que la partie qui gère le raisonnement logique (le néocortex) se met en veille. La moindre source de dérangement (comme les sollicitations à la maternité) la font sortir de cet état et abandonner ses instincts. Or, Michel Odent en est convaincu : on ne saurait apprendre à une femme à accoucher. Elle le sait d'instinct. Encore faut-il qu'on lui permette de l'écouter. Ce qu'il lui faut ? De l'intimité et de la confiance.</p>
<p><br /><a href="http://www.rebonds.net/images/AAD/yourte.jpg" class="jcepopup" data-mediabox="1" data-mediabox-title="La maison de la famille (Photo : Aurélie P.-L.)."><img src="http://www.rebonds.net/images/AAD/yourte.jpg" alt="yourte" width="1000" height="750" style="border: 2px double #e2e2e2; display: block; margin-left: auto; margin-right: auto;" /></a></p>
<p><strong><span style="font-size: 14pt; color: #ff615d;">L'arrivée de « celui qui fraie le chemin »<br /></span></strong></p>
<p>En 2014, Aurélie attend son deuxième enfant.<br />Alors qu'elle envisage déjà d'accoucher à domicile sans accompagnement, elle visite la maternité de Bourges avec Pierre, son compagnon. Les témoignages qu'elle a recueillis sont mauvais et la visite confirme ses craintes :<em> « On ne nous a parlé que de péridurale, d'obstétrique, d'anesthésie... »</em><br />Pour se préparer, le couple est suivi par deux médecins, dont un médecin accoucheur de Moulins et de deux sages-femmes, dont une spécialisée dans l'haptonomie <span style="font-size: 8pt;">(5)</span>.<em><span style="font-size: 10pt;"> « Le but est d'avoir un bon réseau, de bons conseils et le matériel adéquat pour le jour de l'accouchement : par exemple, le kit de naissance avec les clamps pour couper le cordon, la bouteille d'oxygène au cas où... »</span></em> Ils lisent également beaucoup, notamment sur ce que vit le bébé durant l'accouchement, et suivent deux stages de vipassana (une des techniques de méditation les plus anciennes venant d'Inde). C'est là que le prénom de Solal – <em>« celui qui fraie le chemin »</em> – leur est révélé : dans la pénombre de la pièce de méditation collective, un rayon de soleil perçant à travers une fenêtre se pose sur son ventre arrondi.<br /><em>« On avait confiance et on s'en nourrissait,</em> assure Aurélie pour décrire leur état d'esprit d'alors.<em> On ne laissait aucune faille se créer dans cette confiance, pour que la peur n'entre pas. »</em></p>
<p>Pratiquant la symptothermie <span style="font-size: 8pt;">(6)</span>, Aurélie connaît très précisément le terme de sa grossesse, et en informe ceux et celles qui la suivent. <em>« Ne jamais faire ça,</em> sourit-elle en secouant la tête.<em> Le jour du terme, la sage-femme m'a convoqué et m'a dit : « Si les contractions ne se sont pas déclenchées dans 48 heures, vous allez à l'hôpital.</em> <em>Alors que si on ne sait pas on a une semaine de battement avant le déclenchement. A la sortie du rendez-vous, je me suis effondrée en larmes. Tout ça pour ça ? Ça ne pouvait pas être possible ! Impossible de me calmer. Nous sommes quand même allés manger un morceau dans un restaurant, mais les larmes n'arrêtaient pas de couler. Ce n'était plus de la tristesse, c'était autre chose. J'ai capté que le travail était déjà en route ! A la piscine, les premières contractions sont arrivées. Alors, nous avons fait une demi-heure de route, mais pour rentrer chez nous. Ciao l'hôpital ! »</em></p>
<p>A cette époque, leur habitation est encore en cours de finitions. Pierre fait des allers-retours pour faire chauffer de l'eau pour un bain relaxant. Il administre à Aurélie les graines d'homéopathie, relève les heures des contractions et accompagne avec puissance et amour chacune d'elles, échange avec la sage-femme par téléphone qui se tient prête si besoin.<em> « Faire sa préparation avec une sage-femme, c'est très important pour la place du père. Par exemple, elle leur apprend à placer leurs mains sur notre sacrum lors des contractions, ce qui permet de diminuer les douleurs ou les points d'accu-pression à faire au moment de l'accouchement. »<a href="http://www.rebonds.net/images/AAD/solal.jpg" class="jcepopup" data-mediabox="1" data-mediabox-title="Solal (Photo : Aurélie P.-L.)."><img src="http://www.rebonds.net/images/AAD/solal.jpg" alt="solal" width="750" height="1000" style="border: 2px double #e2e2e2; display: block; margin-left: auto; margin-right: auto;" /></a></em></p>
<p>A genou, les coudes posés sur les accoudoirs du canapé, Aurélie médite. Elle sent qu'elle commence à avoir envie de pousser, fait pénétrer deux de ses doigts dans son vagin pour s'ausculter. Lorsqu'elle les retire, Pierre mesure la distance entre les deux doigts avec un décamètre : ouverture du col à 8. Le travail se poursuit. Ce simple moment est l'un des moments les plus magiques pour elle : sentir ce qui se passe dans son corps à ce moment précis. L'appropriation de son propre corps. <em>« Pas une lecture, un vécu ! »</em></p>
<p>La poche des eaux ne s'est pas percée. Bientôt, une véritable bulle sort du corps d'Aurélie et y reste suspendue. Pierre court avec ses bassines.<em> « On a beaucoup ri</em>, se souvient Aurélie. <em>On venait tout juste de faire le parquet ! »</em> Bientôt, elle sent la tête de son enfant. <em>« Il était là, mais mon périnée n'était pas prêt. Alors je lui ai parlé : Solal, s'il te plaît, laisse-moi encore quelques minutes, il faut que je me détende. C'est incroyable mais il est remonté, j'ai respiré profondément, et pris le temps de m'installer sur le côté gauche. Il est sorti, Pierre l'a attrapé sous les bras et me l'a tendu. Je l'ai mis directement au sein, emmitouflé dans une serviette propre et douillette. »</em> Environ quinze minutes plus tard, le cordon ombilical s'arrête de battre et Aurélie le coupe. <em>« Dans la relation fusionnelle mère-enfant, c'est important que ce soit la mère qui le fasse. »</em></p>
<p>Dans un dernier mouvement du périnée, elle expulse le placenta. <em>« Au bout d'une demi-heure, la sage-femme est arrivée et l'a examiné. Elle a pesé et mesuré Solal, et réalisé la déclaration de naissance. Il pesait 4 kilos. Elle m'a assuré qu'à l'hôpital, vu ma taille, j'aurai eu droit aux forceps. »</em><br />Aurélie ne souffre d'aucune déchirure et l'enfant se porte magnifiquement. Les parents réalisent soudain : <em>« On l'a fait! Il est vivant ! C'était magique. »</em><br />Il·le·s apprendont le lendemain que tou·te·s les voisin·ne·s s'étaient réuni·e·s pendant le travail, mû·e·s par une émotion forte. <em>« Il·le·s avaient allumé des bougies qu'il·le·s avaient déposées aux pieds des arbres autour de chez nous. Magique ! Je sens clairement qu'il·le·s nous ont accompagné·e·s en pensées, avec leurs coeurs, avec leur force et que nous n'étions pas seul·e·s pour accueillir Solal. Nous avons passé les jours qui ont suivi dans un bain d'hormones magique, dans une quiétude incomparable, un temps hors-temps. Nous étions chez nous, avec nos enfants, ensemble, à nous nourrir des bons légumes du jardin et d'amour. »</em></p>
<p><span style="font-size: 14pt;"><strong><span style="color: #ff615d;">Après le doute, la véracité<br /></span></strong></span></p>
<p><em></em>Deux ans plus tard, c'est Sati – « la véracité » – qui love au creux d'Aurélie. Le couple a fait appel à la même sage-femme. Mais lors d'un examen, un streptocoque (une bactérie qui peut provoquer des infections comme les septicémies et les méningites) est décelé. Revirement de la sage-femme qui refuse de poursuivre le suivi pour un accouchement non médicalisé. <em>« C'était extrêmement violent,</em> se rappelle Aurélie. <em>J'étais à 37 semaines de grossesse ! »</em> Le doute s'installe. Avec Pierre, elle visite la maternité de Vierzon. La sage-femme qui les accueille insiste pour l'ausculter et lui assure que la taille de son bébé penche en faveur d'une césarienne. Le doute s'immisce un peu plus encore.<br />A cause du streptocoque, elle le sait, la maternité qui l'accueillera la mettra sous antibiotiques.<em> « Même pas en rêve ! »</em> Sa détermination prend le dessus. Elle se soigne avec des remèdes naturels qu'elle s'administre dans le vagin et une semaine plus tard, le nouvel examen indique que la bactérie a disparu. Par ailleurs, une amie lui transmet le numéro d'une sage-femme spécialisée dans les accouchements à domicile : Rose Faugeras <em>(lire aussi les rubriques (Ré)acteurs et (Re)découvrir</em>). <em>« Elle m'a dit : vous savez le faire, vous l'avez déjà fait. Elle nous a redonné notre souveraineté. Ce coup de téléphone a été salvateur. »</em></p>
<p>Lorsque les premières contractions se font sentir, Rose est en visite dans le Cher auprès d'une autre maman. Elle propose de passer. <em>« Elle était féline, très discrète, douce, mais très présente avec beaucoup de force,</em> raconte Aurélie. <em>Sati est arrivée une demi-heure après. Pourtant, c'était quand même un peu frustrant : Rose a pris le relais de Pierre, il n'a pas eu la même place que la première fois. »</em> De même, Aurélie savait que Sati avait le cordon autour du cou. Dans un geste sûr, Rose l'a déroulé. Pierre a été ébahi par ce geste, très professionnel, mais<em> « nous aurions pu le faire, moins bien peut-être, mais nous savions quoi faire et avions ce qu'il fallait si besoin. Tu comprends ? Dès qu'il y a une personne extérieure, tu es dépossédée de ce qui se passe. »<a href="http://www.rebonds.net/images/AAD/satie.jpg" class="jcepopup" data-mediabox="1" data-mediabox-title="Satie (Photo : Aurélie P.-L.)."><img src="http://www.rebonds.net/images/AAD/satie.jpg" alt="satie" width="846" height="1000" style="border: 2px double #e2e2e2; display: block; margin-left: auto; margin-right: auto;" /></a></em></p>
<p>Pour autant, la présence de Rose a été très importante. <em>« Elle a été incroyablement attentionnée, prévenante, aimante. Elle m'a lavée, elle a pris soin de moi et de ma vulve endolorie. Elle a aidé Pierre à s'occuper du placenta pour faire un arbre de vie, puis à enlever les membranes. C'était une grande aide en plus, ça donnait de l'amplitude au moment. »</em> Finalement, la sage-femme ne repartira que le lendemain. Elle reviendra voir Sati deux ou trois fois.<br /><em>« Durant la nuit, le givre avait recouvert la campagne tout autour. Un autre moment magique, hors-temps. Nous sommes dès le lendemain, sortis tous ensemble nous promener dans ce décor féerique et avons profité de ces bains d'hormones à nouveau tous ensemble dans notre petit nid douillet, dans la yourte, qui avait accueilli ces deux petits êtres magnifiques. »</em></p>
<p><span style="font-size: 14pt;"><strong><span style="color: #ff615d;">Retrouver la magie<br /></span></strong></span></p>
<p><em></em>Aujourd'hui, la petite fille comme son frère vont très bien. Durant l'entretien, ils passent chacun leur tour faire montre de leur présence, avant que leur soeur aînée enjoigne sa mère à s'occuper d'elle et à aller manger.<br />Aurélie conclue : « Si j'avais à le refaire, je ne changerais rien. C'est tellement simple. Pourquoi a-t-on compliqué tout ça ? Tout le monde peut le faire, vraiment. »<br />Bien des barrières devront être levées pour développer cette pratique en France. Je quitte Aurélie et retourne à la lecture du livre de Patrice Van Eersel. Il y rappelle qu'historiquement, c'est surtout à partir du siècle des Lumières que le domaine de la natalité a été confisqué aux femmes, par la science et la médecine, détenues par les hommes. Un élément de plus dans la domination d'un sexe sur un autre.<em> « Dans le vaste mouvement de prise en charge du début de la vie par le complexe médico-scientifique, un facteur crucial a eu tendance à s'évaporer</em>, écrit Patrice Van Eersel. <em>Le sens du sacré, du rituel, de la fête transcendante, de la dimension cosmique à laquelle la procréation nous convie. »</em> La surmédicalisation crée un grand vide. Aux femmes d'aujourd'hui d'avoir, si elles le souhaitent comme Aurélie, la détermination d'emplir à nouveau l'enfantement de toute la magie qu'il mérite.</p>
<p><strong>Fanny Lancelin</strong></p>
<p><span style="font-size: 8pt;">(1) L'école du Chêne Vert est située à Bourges (Plaimpied-Givaudins) ; il s'agit d'un établissement privé hors contrat qui pratique les pédagogies dites « alternatives » telles que celles de Maria Montessori, par exemple. Lire aussi le numéro 20 de (Re)bonds intitulé « Une autre école est possible ».</span><br /><span style="font-size: 8pt;">(2) « Mettre au monde – enquête sur les mystères de la naissance », de Patrice Van Eersel (éditions Albin Michel). Lire aussi dans la rubrique (Ré)créations.</span><br /><span style="font-size: 8pt;">(3) Une hutte à sudation est un lieu de rituels importants dans la spiritualité amérindienne, notamment pour entrer en contact avec les esprits.</span><br /><span style="font-size: 8pt;">(4) Maternité Amie des Bébés : label accordé en France par l'IHAB (Initiative Hôpital Ami des Bébés), association lancée par l'Unicef et l'Onu. Les maternités qui s'en prévalent pratiquent des accouchements les plus physiologiques possibles, donc les moins médicalisés possibles.</span><br /><span style="font-size: 8pt;">(5) Haptonomie : science de la vie affective qui étudie les phénomènes propres aux contacts, essentiellement tactiles, dans les relations humaines. Ses applications concernent la vie entière et notamment, l'accompagnement pré et post natal, afin que les parents entrent pleinement en contact avec leur enfant.</span><br /><span style="font-size: 8pt;">(6) Symptothermie : méthode naturelle d'observation du cycle de la femme (observation des glaires et de la température du corps). Elle permet notamment de connaître son jour d'ovulation. Plus de renseignements sur <a href="https://symptothermie.com/">https://symptothermie.com/</a></span></p>
<div class="panel panel-primary">
<div class="panel-heading">
<h3 class="panel-title">Les conseils lectures d'Aurélie</h3>
</div>
<ul>
<li>« Accouchement, naissance, un chemin initiatique » de Martine Texier (éditions Le Souffle d'Or).</li>
<li>« Sorcières, sages-femmes et infirmières – une histoire des femmes soignantes » de Barbara Ehrenreich et Deirdre English, traduit par L. Lame (éditions Cambourakis).</li>
<li>« La femme multi-orgasmique » de Mantak Chia et Rachel Carlton Abrams, traduit par André Dommergues (Guy Trédaniel Editeur).</li>
<li>« Accouchement » de Bernadette De Gasquet (éditions Marabout).</li>
<li>« Yoga pour femme enceinte » de Rosalid Widdowson (éditions Marabout Family).</li>
</ul>
</div>La naissance d'Enki2017-03-21T13:37:42+01:002017-03-21T13:37:42+01:00http://www.rebonds.net/37pourunautreenfantement/621-lanaissancedenkiSuper User<p><strong>David et Maryline vivent dans le Cher. Parents de deux garçons nés en maternité, il·le·s ont fait le choix, pour leur troisième enfant, de l'accouchement à domicile, accompagné·e·s par la sage-femme Rose Faugeras (<em>lire aussi la rubrique (Ré)acteurs</em>). Chacun·e leur tour, avec leurs regards et leurs mots, il·le·s racontent cette nuit inoubliable.</strong></p>
<p><strong> </strong></p>
<p><strong><span style="color: #fc615d;">_________________________________</span></strong></p>
<h3>Cette nuit où tu es né</h3>
<p><span style="font-size: 12pt;">David </span><strong><span style="font-family: georgia, palatino;"><span style="color: #fc615d;">______________________________</span></span></strong></p>
<p>Enki, mon fils, mon troisième enfant, mon troisième garçon. Quatre lettres, comme pour les prénoms de tes frères. Pas fait exprès pour les quatre lettres. Plus facile pour une grande prêtresse pour tirer les cartes au tarot ! Ton prénom, ça fait un moment qu'il tourne en boucle dans ma tête. Tu l'as soufflé avec insistance au creux de nos oreilles pendant ces dernières semaines. Voilà déjà trois semaines que tu es arrivé parmi nous. Ça y est, j'ai un peu dormi ! Je prends le temps de mettre par écrit ces moments intenses que tu m'as permis de vivre entre deux alertes orange de chute de neige.</p>
<p>Des récits de naissance, j'en ai beaucoup lus : forum, livres de témoignages, discussions. C'était un regret pour moi de ne pas avoir pu écrire ceux de tes frères, mais je n'étais pas prêt au moment de leur naissance. En parcourant ceux que certaines femmes ont laissés, j'ai souvent été ému aux larmes et elles m'ont donné envie de le faire à mon tour. Mais je ne pensais pas pouvoir raconter la naissance de tes frères après tout ce temps passé... Ton arrivée offre enfin la possibilité d'en écrire un avec, en prime, une naissance à la maison. Retour en arrière...</p>
<p>Depuis quelques semaines, les contractions se mettent en place, pas douloureuses, pas régulières ou pas assez longtemps. Tu dois naître pour le 28 janvier, date du terme officiel. Nous sommes le 22 et comme nous voulons que tu naisses à la maison, au chaud et au calme, dans notre cocon familial, Marilyne a pris rendez-vous avec notre médecin acupuncteur pour libérer d'éventuels blocages ou obstacles, afin que tu puisses nous rencontrer comme nous le souhaitons. La séance a lieu en milieu de matinée. Moi, je suis sur mon toit à planter des bardeaux. Charles Ingalls, lui, plantait des poteaux ; moi, des bardeaux, chacun son truc. Marilyne rentre vers midi, elle est fatiguée. Les contractions se mettent en place petit à petit, peut-être un peu plus fortes, mais surtout plus régulières que d'habitude.</p>
<p>Efficaces, ces petites aiguilles d’acupuncture ! Vers la fin de l'après-midi, je vais chercher tes frères à l'école, on se prépare pour le repas et le coucher. Les contractions sont toujours là. C'est pour ce soir ou pour demain ? Pré-travail ou début du travail ? Excite-toi pas, dis, excite-toi pas, rien ne presse. On a encore quelques jours devant nous. Marilyne monte lire l'histoire à tes frangins. Nouveauté : elle doit s'arrêter de lire entre deux contractions. Elles ont bien progressé en intensité. Elle redescend et tient notre sage-femme au courant de la situation par sms. Pas de panique, tout va bien. Les contractions sont encore trop espacées pour qu'elle vienne de suite. Elle nous demande de la tenir au courant d'ici une heure pour aviser. Elle habite tout de même à deux heures de route.</p>
<p><span style="color: #ff615d;"><strong><span style="font-size: 14pt;">Il faut de la chaleur, de l'amour, de la sérénité</span></strong></span></p>
<p>Il est 21 heures. Tes frangins sont couchés et dorment. Ta mère se met dans sa bulle et sur son ballon, elle gère bien les contractions. Je lui noue un drap à fleurs jaunes qu'on n'utilise jamais au dessus de la grosse poutre pour qu'elle puisse s'y suspendre si besoin (il y est toujours, 21 jours plus tard !). On remet les choses au clair ensemble : si, dans un moment d'égarement, lors de la phase de désespérance <span style="font-size: 8pt;">(1)</span> par exemple, elle me demande le transfert vers la maternité, alors qu'il n'y a pas de raison vitale à cela, je dois l'encourager, la soutenir pour que tu naisses ici, dans notre salon. Nous topons là.</p>
<p>Michel Odent <span style="font-size: 8pt;">(2)</span> a dit qu'il faut que la maman n'ait pas froid (25°C, c'est un minimum). Il faut de la chaleur, de l'amour, de la sérénité pour que les bonnes hormones finissant en « ine » se libèrent (d'accord, les mauvaises aussi, elles finissent en « ine »), et que le travail soit efficace. Dont acte : tu naîtras dans une ambiance chaleureuse ! Avec un savant chargement de chevrons issus de la vieille couverture de la grange, je peux obtenir la chaleur adéquate rapidement. Je mets une vieille lessiveuse pleine d'eau sur le poêle et c'est parti pour la fête ! J'hésite après coup à qualifier l'ambiance de saharienne ou de tropicale. Le thermomètre de Monsieur Galilée indique que j'ai dépassé les 24°C. Mais de combien ? Je ne sais pas mais j'ai chaud. Je suis torse-nu, un pantalon thaï et je ne peux plus rien enlever ! Je profite des quelques heures qui nous reste pour finir de creuser le morceau de buis qui devrait servir avec la membrane du placenta pour le tambourin.</p>
<p>Marilyne, elle, répare un pantalon de Loup <em>[l'aîné; ndlr]</em>, déchiré aux genoux. Elle n'aura pas le temps de faire plus d'une jambe. Aujourd'hui encore, la reprise dudit pantalon n'est toujours pas terminée. La musique que Marilyne souhaite, c'est la bande originale du film Himalaya. Ça contraste sévèrement avec la température ambiante mais je la lui passerai au moins quatre fois d'affilée avant d'abandonner une carrière de DJ pourtant prometteuse. Des bougies sont allumées partout dans la pièce. Tu en as une grosse rouge, spécialement pour toi, qui te servira pour tes anniversaires. On est bien, là, à cet instant, au calme, au chaud, à la lueur des bougies.</p>
<p><a href="http://www.rebonds.net/images/AAD/rose_maryline_enki.JPG" class="jcepopup" data-mediabox="1" data-mediabox-title="Maryline, Rose et Enki (Photo : David)."><img src="http://www.rebonds.net/images/AAD/rose_maryline_enki.JPG" alt="rose maryline enki" width="1000" height="664" style="border: 2px double #e2e2e2; display: block; margin-left: auto; margin-right: auto;" /></a></p>
<p>Je déplace les canapés et tables, et roule le tapis pour permettre à ta mère de circuler librement à pied ou en ballon devant le poêle. Elle continue de noter les contractions sur un petit carnet jusqu'à 21 h 42. A partir de là, je prends le relais parce qu'elles se rapprochent et s'intensifient nettement (entre 5 et 10 minutes). Ta mère ressent une grosse pesanteur sur le périnée. Elle va prendre une douche bien chaude pour se détendre vers 22 h 30. Cela n'arrête pas les contractions. Quand il en arrive une, elle s'arrête de bouger, souffle profondément, vocalise. Elle sort des sons qui viennent du fond des âges, très sourds (c'est guttural...). D'où sort-elle des sons pareils ? Elle pense à voix haute et se répète en boucle <em>« bouche molle, col mou, bouche molle, col mou »</em> (merci Julyff pour le livre et merci Carolinehen pour le pense-bête ! <span style="font-size: 8pt;">(3)</span>). Vers 23 h 15, Marilyne tient Rose, la sage-femme, au courant de l'évolution. Elle fait un petit somme avant de se mettre en route pour partir quand les contractions seront au moins espacées de cinq minutes.</p>
<p><span style="color: #ff615d;"><strong><span style="font-size: 14pt;">Je soutiens, je félicite, je bredouille...</span></strong></span></p>
<p>Petit à petit, la journée du 22 s'efface. C'est sûr, maintenant, tu seras du 23 janvier ! Les mouvements de bassin sur le ballon soulagent bien Marilyne. Elle gère comme une cheffe. Moi, je ne fais pas grand chose à part remettre du combustible et noter l'heure des contractions. D'ailleurs, ça commence à être un boulot à plein temps parce qu'elle en a de plus en plus. Le ballon n'est plus aussi efficace, alors elle se met à arpenter la pièce avec son bidon de big boss de fin de niveau (elle a arrêté de se peser à +16 kg). Quand une contraction arrive, elle se met face au mur, s'appuie dessus avec les mains, les bras levés, s'abaisse doucement en expirant au début, vocalisant vers la fin (voire en râlant). Je fais le malin, là, mais j'en menais pas large sur le coup. Serein, mais quand même.</p>
<p>Vers 1 h 19, je prends le relai téléphonique et j'envoie un texto à Rose. On y est : les contractions sont au max à cinq minutes d'écart et ça appuie encore plus fort sur le périnée. Elle répond dans la minute en disant qu'elle va bientôt prendre la route pour nous rejoindre.<br />Marilyne est dans sa bulle (j'ai noté à 1 h 39 : elle est complètement shootée). Je décide de monter la piscine d'accouchement, ne serait-ce que pour la soulager en attendant que Rose arrive. Je sais qu'il ne faut pas qu'elle y reste plus de 1 h 30 sinon, les contractions risquent de s'atténuer. Ça devrait le faire. Je déploie le bazar (heureusement que j'ai un peu étudié le contenu avant !). Je branche le gonfleur qui fait un boucan du diable. Dix minutes après, elle est gonflée et les enfants dorment toujours, bien... Reste à mettre l'eau. Encore dix minutes et Marilyne peut s'asseoir avec soulagement dans l'eau tiède. Le niveau montera jusqu'à 50 cm et je rajouterai régulièrement de l'eau chaude prise dans la lessiveuse mise sur le poêle. Quelle que soit la position de Marilyne, son bassin est toujours immergé et ça lui fait un bien fou. La douleur semble s'effacer et elle peut bien se reposer entre les contractions qui vont se succéder parfois toutes les deux minutes. A partir de 2 h 30, j'arrête de les noter parce qu'elles gagnent en puissance.</p>
<p>Marilyne alterne entre position assise sur un bord de la piscine, comateuse, et position à genoux, affalée contre le rebord opposé. Pour la première fois, elle commence vraiment à avoir mal. Il faut qu'elle s'ouvre pour que tu viennes. Je lui dis, je la soutiens, je la félicite, je bredouille quelques <em>« bouche molle, col mou »</em>. Je ne sais même pas si elle m'entend.</p>
<p><span style="color: #ff615d;"><strong><span style="font-size: 14pt;">Elle l'a fait et n'en revient pas !</span></strong></span></p>
<p>Vers 3 heures, les vocalisations se font de plus en plus fortes. Elle veut que je lui appuie sur le sacrum, ça lui fait du bien. J'appuie. Plus fort, qu'elle veut ! J'ai l'impression d'entendre le Père Albert insulter un rugbyman néo-zélandais. Qu'est-ce que t'attends ? Vas-y ! Mais appuie sur ce sacrum, nom de dieu ! Mors-moi l’œil ! Tu fais du macramé ou quoi ! J'appuie le plus fort possible et elle me repousse. Je dois me cramponner, m’arque-bouter contre un meuble pour la retenir. Quelle force ! Vers 3 h 20, Rose entre dans la pièce, toute discrète. Elle a un petit peu roulé vite (<em>« C'est à deux heures d'ici, je serai là dans une heure et demie... »</em>).</p>
<p>J'évacue Yuri dans la grange pour la fin du travail. Il s'était tenu tranquille jusqu'à présent mais, avec l’arrivée de Rose, il est excité et je ne veux pas avoir à gérer le chien en plus. Marilyne a peur que le travail ne soit pas suffisamment avancé mais Rose la rassure. Elle sait que Marilyne est proche de la fin du travail. Je monte voir les enfants qui sont maintenant parfaitement réveillés. J'y vais pour les rassurer. Loup est en train de bouquiner comme si de rien n'était : Maman est juste en train d'accoucher, rien d’extraordinaire, quoi ! Nino, lui, est surexcité parce qu'il a vu qu'il avait une piscine dans la maison, trop fort ! Je leur dis que c'est impressionnant que Maman crie comme ça, mais que c'est normal, que Rose est là, que tout va bien se passer, que tu seras bientôt parmi nous, que je viendrai les voir quand ce sera fini et qu'ils pourront descendre nous voir un peu plus tard, mais en attendant, il faut qu'ils soient cool.</p>
<p>Les contractions augmentent encore. C'est possible, ça ? Marilyne en a marre, elle est épuisée et nous lâche un <em>« Achevez-moi ! »</em> auquel Rose répond par un <em>« D'accord, mais on fera ça après l'accouchement ».</em> Phase de désespérance checked, on arrive bientôt au terminus ! Dans peu de temps, tu seras là, mon bonhomme. Je me place à la tête de Marilyne qui n'a plus de pause entre les contractions, Rose lui passe un gant d'eau fraîche sur le front, ce qui lui fait un bien fou. Je la caresse, l'encourage encore et toujours. Une contraction encore plus forte et je perds d'un coup 5/10e d'audition et ainsi que mes métacarpes gauches. Un larsen dans l'oreille gauche persistera quelques heures. J'ai l'impression d'être à côté de ma jument de trait qui hennit, ce qui reste une référence chez nous en terme de décibels.</p>
<p>Marilyne n'a pas la force de continuer. Elle ne peut pas sortir de la piscine. Tant pis, tu naîtras dans l'eau. Rose se place vers le bassin, je reste à la tête et je traduis ce qu'elle dit ou fait. C'est du direct, 5, 4, 3, paf, pastèque, la poche des eaux perce d'un coup et ta tête s'engage vers la sortie. En trois poussées, elle est passée. Une pause, le temps de dégager ton épaule et c'est l'expulsion de la savonnette. Rose t'attrape et te pose sur le dos de ta mère, toujours à quatre pattes dans la piscine. Tu as les yeux ouverts, tu regardes avec cette impression de sagesse que beaucoup d'autres ont décrit. Tu as bien l'attirail d'un pôti môssieu, pas de blague de dernière minute. Enki..., ça te va bien, ce prénom, tu avais raison. Tu es calme, serein, attentif. Il est 3 h 53. Tu cries un peu, mais pas trop longtemps. On aide Marilyne à se retourner pour qu'elle puisse te prendre dans ses bras. Je sens que ça me prend à la gorge, les yeux qui piquent, qui se mouillent. Elle l'a fait et elle n'en revient pas ! Moi non plus ! J'ai réussi à vous accompagner, elle et toi, au bout de cette merveilleuse aventure. On l'a fait !</p>
<p><span style="color: #ff615d;"><strong><span style="font-size: 14pt;">Un dessin magnifique</span></strong></span></p>
<p>Après cela, la chronologie devient assez floue. Le temps que vous restez dans l'eau elle et toi, je ne sais pas trop, un quart d'heure peut-être. Ensuite, il a fallu sortir de la piscine : enjamber un rebord de piscine, même de 60 centimètres seulement, quand on vient d'enfanter, qu'on a son nouveau-né dans les bras, et qu'il est toujours relié à soi par le cordon, et bien, c'est compliqué. Nous nous y mettons tous ensemble pour vous extirper de l'eau et nous vous couchons, elle sur le canapé, toi sur elle, en peau à peau, enveloppés dans une couverture peut-être. Je sais que je te mets le bonnet de lutin pour que tu ne prennes pas froid. Comment pourrait-on avoir froid ici ! Mis à part ce bonnet, tu resteras nu contre elle jusqu'au soir. Tu nous laisseras tranquille avec cet ostie de méconium jusqu'au lendemain. Le cordon bat encore pendant peut-être 20 minutes. Il est énorme, ce cordon ! Je sens ses pulsations dans ma main. c'est chouette ! Je le coupe, enfin, une fois que les battements ont cessé.</p>
<p>Une demi-heure après, peut-être, ta mère expulse le placenta. Les contractions sont moins fortes que celles pour ton expulsion mais les tranchées la surprennent dans leur puissance. Elles dureront plusieurs heures, diminuant progressivement en fréquence et en intensité dans la journée. Rose examine le placenta et le cordon, tout est OK. Elle procède aux prélèvements pour l'homéopathie <span style="font-size: 8pt;">(4). </span>Elle dispose le placenta et le cordon pour que nous en prenions l'empreinte. C'est vraiment magnifique comme dessin.</p>
<p><a href="http://www.rebonds.net/images/AAD/arbre_de_vie.JPG" class="jcepopup" data-mediabox="1" data-mediabox-title="L'arbre de vie (Photo : David et Maryline)."><img src="http://www.rebonds.net/images/AAD/arbre_de_vie.JPG" alt="arbre de vie" width="664" height="1000" style="border: 2px double #e2e2e2; display: block; margin-left: auto; margin-right: auto;" /></a></p>
<p><span style="font-size: 14pt; color: #ff615d;"><strong>La rencontre avec tes frères</strong></span></p>
<p>Marilyne nous regarde en train de faire cela avec toi qui tête déjà peut-être ? (Je ne sais plus, là, je suis paumé). Vient ensuite la réalisation du tambourin avec une membrane. Je prends le morceau de buis le plus réussi et place la membrane interne juste rincée dessus, le surplus est replié vers l'intérieur. Rose me dit qu'il y a du rab. J'en ai deux autres prêts sur lesquels on appose deux morceaux de la membrane externe. Un plus petit en buis et un en tilleul. L'odeur des membranes (du liquide amniotique ?) est très forte et imprègne bien les cerclages. Avec ton cordon, on fait un bâtonnet droit de trente centimètres et un espèce de nœud lâche qui te servira d'anneau de dentition une fois sec. Je mets l'ensemble à sécher sur le manteau de la cheminée sur du papier-cuisson. Le reste du placenta est mis en boîte et placé au congélateur en attendant d'être enfoui sous ton arbre de naissance.</p>
<p>On te pèse. Je lis 4,210 kg. A 4,2 kg, t'appelles plus ça un petit galet ! Le tout, avec juste une éraillure sur le périnée. Il doit être entre 5 et 6 heures. Je vais chercher tes frères pour qu'ils te rencontrent. Ils sont plus intéressés par la piscine...<br />Le temps de remplir le carnet de santé, de boire un truc chaud, de parfaire l'organisation du couchage, il ne doit pas être loin de 7 heures. Tes frangins sécheront l'école aujourd'hui. On est tous nazes et dormir un peu nous fera du bien. Je rentre le chien et un ou deux chats qui traînent devant la porte, et au lit. Je dors au pied du canapé sur un matelas. Rose a pris notre lit. Elle partira en début d'après-midi.</p>
<p><span style="font-size: 14pt; color: #ff615d;"><strong>Des moments d'une rare intensité</strong></span></p>
<p>Ce n'est que le lendemain que je me suis rendu compte que j'avais oublié de décrocher l'arbre à souhaits du blessing way pour le mettre à côté de ta mère pendant le travail. Il n'était cependant pas loin et sa présence dans la maison lui a fait du bien. Certains, proches amis et parents, nous ont accompagnés à distance, cette nuit où tu es né, et leurs pensées nous ont donné la force de te faire venir parmi nous. Toute ma gratitude est pour eux.</p>
<p>Après cette nuit, intense en émotions, épuisante aussi, nous avons tous trois pris rendez-vous chez un ostéopathe. Les choses se mettent en place petit à petit. Tu têtes bien, ton poids de naissance était repris le 7e jour. Ton frein de langue, trop fort, a été coupé. Maintenant, tu prends aussi bien le sein gauche que le droit et tu ne fais plus mal à ta mère en le prenant. On t'a passé en couches lavables que tu défonces allègrement. Tu cododotes entre nous deux. Tu te réveilles encore souvent (toutes les deux et trois heures), à cause de ces calisses de chien jaune de coliques, et c'est surtout ta mère qui parvient à te calmer, et à t'endormir à coups de sein. Que veux-tu, elle a des arguments de poids que je n'ai pas... Tes frères veulent te caresser, te faire des bisous, te porter. Tu commences à nous rendre nos sourires. Merci pour ce cadeau, merci pour ta venue, merci pour m'avoir permis de vivre ces moments d'une rare intensité.</p>
<p><span style="font-size: 8pt;">(1) Etape de l'accouchement durant laquelle la future mère est prise de panique intense quelques minutes avant l'expulsion.</span><br /><span style="font-size: 8pt;">(2) Obstétricien français mondialement reconnu pour ses recherches sur une maternité différente, allant à l'encontre des modalités de l'accouchement dans les pays industrialisés (Lire aussi la rubrique (Re)découvrir).</span><br /><span style="font-size: 8pt;">(3) Trélaün, Maïtie 2012 « J'accouche bientôt : Que faire de la douleur ? » Gap : Éd. le Souffle d'or, collection Naître et grandir, 230 p.</span><br /><span style="font-size: 8pt;">(4) L'isothérapie placentaire, réalisée à partir du placenta, sous forme de granules ou de teinture mère, sert à soigner les petits maux du quotidien du bébé et la mère.</span></p>
<p> </p>
<p><strong><span style="color: #fc615d;">_____________________________________________________________</span></strong></p>
<h3>Lettre à Enki : de ton arrivée à la lumière</h3>
<p><span style="font-size: 12pt;">Maryline </span><strong><span style="font-family: georgia, palatino;"><span style="color: #fc615d;">____________________________________________________</span></span></strong></p>
<p>22 janvier 2018 : nous sommes lundi, à six jours du terme. L’échéance se rapproche ; je suis la plupart du temps sereine, avec quelques fois des résurgences de doutes et de manque de confiance en moi.</p>
<p>J’ai accouché deux fois déjà auparavant. Des naissances qualifiées de normales et sans problème de la part du corps médical. Des accouchements volés et violents de mon point de vue.<br />Dès ma première grossesse, j’ai souhaité un accouchement le plus naturel et physiologique possible. Je me souviens avoir passé de longs mois à chercher une sage-femme pouvant m’accompagner à domicile. Mais il y a dix ans, aucune dans le secteur n’était installée et j’ai dû me résoudre à partir à la clinique, ne me sentant pas capable de tenter un ANA (Accouchement Non Assisté, pour lequel aucun personnel médical n'est présent). Une sage-femme libérale nous avait préparé de manière très instinctive par l’haptonomie et le yoga prénatal. Par la première, nous avons pu entrer en « dialogue » avec le bébé in utero à travers le toucher ; cette pratique permet d'impliquer intimement le papa. Par le yoga, nous avons intégré des postures facilitant la détente et le passage du bébé de manière physiologique.</p>
<p>J’ai donc été très en colère de m’entendre reprocher au moment de l’accouchement d’avoir des volontés inappropriées (comme mettre un coussin sous le sacrum afin de le libérer de la pression de la table d’accouchement et faciliter le passage du bébé dans cette position imposée, allongée sur le dos, la plus anti-physiologique qui soit !). Devant le manque total de soutien du corps médical, je m’étais résolue à prendre une péridurale dont je ne voulais pas. Et, à partir de là, je n’ai plus rien senti de la progression du bébé, des contractions et de la naissance. C’est en cela que j’ai toujours eu le sentiment d’avoir accepté, malgré ma volonté première, de m’être fait voler mon accouchement, de m’avoir soustrait mon pouvoir de femme et de mère.</p>
<p>Pour le deuxième, deux ans plus tard, toujours pas de sage-femme pouvant se déplacer : même clinique, mêmes contraintes avec, en prime, un gynécologue apparemment très pressé qui a accéléré la naissance, cassant au passage la clavicule gauche du bébé et lui vrillant la colonne vertébrale et le diaphragme qu’une ostéopathe mettra plusieurs séances à remettre en place.</p>
<p>Quand j’ai appris qu’une sage-femme de Creuse se déplaçait jusqu’ici en Berry, je me souviens avoir eu cette pensée de regret :<em> « ah, si seulement elle avait été là il y a quelques années … »</em>. Et, comme quoi, le corps prend le pas sur l’esprit quand il s’agit de réparer, tu t'es niché en moi quelques mois plus tard alors qu’un troisième enfant n’était vraiment pas, mais pas du tout, envisagé !! J’ai immédiatement appelé Rose Faugeras, sage-femme installée à Guéret en Creuse, à 2 h 30 de route. Le contact a tout de suite été facile, instinctif et simple. Je me souviens sortir du premier rendez-vous avec David en se faisant simultanément la réflexion que l’on portait les mêmes valeurs. La confiance s’était installée tout de suite. Nous nous sommes déplacé·e·s plusieurs fois, puis Rose est venue à la maison. On a discuté longuement de sa pratique, de nos souhaits, de nos craintes, de nos peurs, de nos aspirations. Elle a ce don exceptionnel de concilier professionnalisme rigoureux et pragmatique, et liberté du couple ; présence rassurante et discrétion. Si bien que ce 22 janvier, je suis prête de ces mois de préparation, de ces rêves si symboliques qui ont peuplé mes nuits, de la sensation de pouvoir enfin m’abandonner à l’intuition, à l’instinct mammifère dans ce cercle intime de mon chez moi, de David et de Rose.</p>
<p><span style="color: #fc615d;"><strong><span style="font-size: 14pt;">Rentrer dans une bulle</span></strong></span></p>
<p>Le stress d’un dépassement qui empêcherait l’Accouchement A Domicile (AAD) m’a fait prendre rendez-vous avec mon médecin pour qu’il me fasse une séance d’acupuncture.<br />La veille, tu t'es manifesté plus que d'habitude, ce qui m’a provoqué une insomnie à partir de 5 heures du matin. Je suis descendue, je me suis posée sur mon ballon et j'ai regardé le jour se lever. Tu t’es calmé ensuite.<br />Dans la salle d’attente, je ressens des contractions d’une nature différente de celles ressenties depuis un mois environ. Pour chacune, je te visualise et souffle lentement.<br />La séance d’acupuncture me fait du bien, je suis allongée sur le côté gauche. J’ai trois aiguilles dans le bas du dos et une dans chacun de mes mollets en face interne.<br />Je rentre à la maison, nous déjeunons tranquillement. Dans l’après-midi, je fais une sieste ; les contractions sont toujours présentes mais indolores et irrégulières. Toujours cette question lancinante : est-ce pour aujourd’hui ou pas ? …</p>
<p>Les enfants reviennent de l’école. On fait des parties de cartes jusqu’au dîner. Vers 19 heures, j’ai besoin de me lever lors des contractions, non pour soulager une douleur quasi inexistante, mais pour rentrer dans une bulle qui commence à prendre forme. J'ai compris le sens de cette « bulle » pour cet accouchement. Instinctivement, quand les conditions de pénombre, de silence et de chaleur sont réunies, elle se construit d'elle-même ; elle m'a permis de m'abstraire du temps et de l'espace afin de me connecter complètement à mon corps et aux signes qu'il m'envoyait.<br />Nous dînons et nous montons lire une histoire. Je préviens les enfants que j’ai des contractions et qu’il faudra peut-être que je m’interrompe quelques fois. Ce que je ferai à deux reprises pour faire quelques pas et respirer profondément. Ce n’est pas vraiment une histoire d’ailleurs, c’est une page du livre d’astronomie de Loup : « Qu’est-ce qu’une étoile ? ». Quelle belle entrée dans l’aventure ! Ils se couchent, rituel des bisous, câlins, bonne nuit.</p>
<p>Je redescends dans le salon, je n’ai absolument pas envie de dormir. J’ai envie de m’occuper les mains avec une activité qui me libère l’esprit. Loup ayant déchiré un de ses pantalons aux deux genoux, j’entreprends de le recoudre. Je me lève à chaque contraction pour marcher et respirer profondément. Pendant ce temps, David en profite pour finaliser un troisième cerclage de petit tambour destiné à accueillir tes membranes.</p>
<p><span style="color: #fc615d;"><strong><span style="font-size: 14pt;">Connexions sororales</span></strong></span></p>
<p>Premier message de connexion sororale, à ma sœur d’âme, loin dans ses montagnes :<em> « Message comme ça en passant … Je répare un pantalon de Loup pour … m’occuper entre des contractions à peu près toutes les 10 minutes … À suivre ou pas … »</em><br />La réponse ne tarde pas : <em>« Parfait ! Je laisse mon téléphone allumé … tu peux appeler si besoin, ou David … suis avec vous. »</em><br />La première jambe du pantalon est terminée, la seconde restera décousue jusqu’au … 23 février !<br />Il est 21 heures, j’envoie un sms à Rose :<em> « Je ne sais pas si je dois te tenir au courant des moindres changements … Les contractions ont l’air de se régulariser, à peu près toutes les 10 minutes pour les plus longues, avec quelques fois des plus courtes intercalées ».</em><br />Je n’ai plus envie de recoudre le pantalon, plus envie de m’occuper les mains. Ma bulle en formation m’appelle et je ressens l’envie de marcher, moins pour calmer l’intensité de la douleur que pour me centrer, voire méditer.<br />21 h 22, réponse de Rose : <em>« Ok ! Je te propose de voir si c’est un peu plus régulier et de voir aussi si les sensations s’accentuent ! Je suis tranquille ce soir, n’hésite pas si besoin !! »</em><br />Je marche, je marche, je fais du ballon, me lève lors des contractions. Est-ce le jour J ? Mon intuition me dit que oui, mon éternel manque de confiance en moi me dit que cela peut encore être un « faux-travail » …</p>
<p>Je ressens le besoin de me connecter à mes Sœurs du Berry : un cercle de femmes, amies pour certaines, avec lesquelles on partage ce sentiment que les pensées nous relient, nous portent, nous soutiennent, quand nous en avons besoin :<br /><em>« À mes amies lumineuses. Contractions presque régulières qui m’obligent à marcher et souffler, toutes les 10 minutes environ … »</em><br />Réponses rapides, les connexions sont établies ! : <br /><em>« C’est parti ?! Bon courage. Plein de force et de lâcher-prise, de douceur et de lumière. Mes pensées t’accompagnent dans cette aventure initiatique.»</em><br /><em> « Ohhh… Ok … Bon … J’allume des bougies et je reste attentive si besoin. Beau voyage. Je resterai près du téléphone toute la nuit si besoin. Souviens-toi à chaque instant que c’est un de tes rêves que tu réalises. Courage ma belle. »</em><br /><em>« Youhouuuuuu. Dernière ligne droite ma belle. Toutes mes pensées et surtout une belle rencontre. »</em><br /><em>« Merci pour le message ! Mes pensées t’accompagnent … détente, courage, acceptation de ce qui est. Ouvre-toi belle fleur ! Je t’embrasse. »</em><br />Quelle chance d’être entourée comme ça !! Toutes tes tatas connectées, en cercle énergétique autour de nous !!</p>
<p><span style="color: #fc615d;"><strong><span style="font-size: 14pt;">« Bouche molle, col mou »</span></strong></span></p>
<p>David a poussé le canapé vers la cheminée, libérant de l’espace devant le poêle. Il commence à allumer des bougies, prépare tranquillement le nid, met la bande originale du film Himalaya qui m’apaise incroyablement. Il me demande si je souhaite qu’il monte la piscine, je lui réponds que, pour le moment, j’aime mieux garder l’espace pour marcher.<br />Je décide de prendre une douche pour voir si elle apaise les contractions. Elle me fait un bien fou ! Je laisse l’eau chaude couler sur mes épaules, mes reins, mon ventre. Je ferme les yeux, c’est bon ! Deux contractions pendant cette douche d’une dizaine de minutes. À la sortie, une autre …. Bon, ça n’a pas l’air de se calmer. Intuition/1, manque de confiance en moi/0.<br />23 h 16, message à Rose : <em>« Petit point d’avancement : douche chaude n’a pas arrêté les contractions qui reviennent toutes les 10 minutes max. Grosse pesanteur dans périnée/vessie/rectum. Tout est gérable pour le moment. »</em><br />Je suis encore sur mon ballon mais j’ai besoin de me lever et de m’appuyer sur la table pendant les contractions. Entre chacune, j’entreprends de dépoiler le tapis des poils du chien. Je le fais assise sur mon ballon, avec les orteils. Je ne sais pas pourquoi je fais ça. Ça fait rire David qui ramasse les tas de poils en bout de tapis. Le cocasse de la situation participe à l’indispensable détente nécessaire.</p>
<p>À un moment, le ballon ne me convient plus, il faut que je marche. Je tourne dans le salon autour du canapé, je ne parviens pas à garder les yeux ouverts. Je marche donc à l’aveugle et ça me fait du bien, épaississant les parois de ma bulle. David a allumé une dizaine de bougies, éteint la lumière. La pénombre, juste éclairée des bougies et des flammes du feu dans le poêle invite à la rêverie, au centrage, à la mise en bulle. Je retourne quelques fois sur le ballon. Mais non, il ne me convient vraiment plus. Il ne servira à présent que pour des massages du bas du dos, du bassin et des hanches que David me propose régulièrement. En sac à patates dessus, je goûte au massage/peeling aux senteurs de fleur d’oranger.</p>
<p>Et je reprends ma marche aveugle. Pendant les contractions, je m’appuie des deux mains sur le mur en argile. Le contact chaud de la terre est agréable. Je souffle, je fais la respiration de la vague, je répète ce qui sera mon mantra : « bouche molle, col mou ».<br />23 janvier, 1 h 19 : <em>« Contractions plus rapprochées (+/- 5 minutes), appuient fort sur le périnée. C’est David qui écrit, Marilyne n'a plus envie d’écrire et de parler. »</em><br />Je commence à perdre toute notion de réalité. Je parviens tout juste à dire à David de prévenir Rose que ça s’intensifie. À cette heure, les contractions commencent à être douloureuses et s’échelonnent toutes les 2/4 minutes.<br />1 h 20 : <em>« Ok ! Je prends la route ! Si besoin m’appeler. »</em></p>
<p>Je demande à David de monter la piscine car l’intensité des contractions s’amplifient nettement. Pendant ce temps, je continue de marcher dans ma bulle, je vocalise pendant les contractions, un Ôoooom qui vient des profondeurs.<br />2 h 28 : <em>« J’arrive dans une petite heure, j’espère que tout va bien ? »</em><br /><em>« Elle gère. Je remplis la piscine »</em><br /><em>« Super !! Elle peut aller dans l’eau dès que c’est prêt. »</em><br />J’ai découvert du sang en me déshabillant pour aller dans la piscine. Il ne m’inquiète pas, je sais à quoi cela correspond. Confirmation de Rose : <em>« OK. C’est le col qui continue à s’ouvrir. Pas de soucis. »</em></p>
<p><span style="color: #fc615d;"><strong><span style="font-size: 14pt;">La douleur est intense mais pas souffrance</span></strong></span></p>
<p>Depuis un moment, j’ai demandé à David de m’appuyer sur le sacrum pendant les contractions. La pression m’aide beaucoup, je pousse de mon côté, si bien que l’appui est vraiment fort.<br />La piscine est prête, j'entre dans l’eau. L’effet est immédiat au contact de la chaleur. Je pousse un soupir de soulagement. Je m’assieds, c’est vraiment agréable. Tout mon corps se détend. Une contraction passe. Je me dis que si l’eau les apaise ainsi, ça va être chouette ! Bon, ne rêvons pas : elles reprennent vite de plus belle. À chacune, je me mets à genoux, appuyée sur le rebord de la piscine et David appuie fort sur mon sacrum ; des sons graves sortent instinctivement de ma bouche. La douleur devient intense mais elle n’est pas souffrance.<br />On avait beaucoup parlé de cette différence avec Rose : la douleur est une sensation, un ressenti que l'on peut graduer sur une échelle de valeur pour juger si elle est supportable tandis que la souffrance est une émotion difficilement compatible avec un accouchement dans de bonnes conditions. Cela peut parfois conduire à demander un transfert vers l'hôpital. Non, là je ne souffre pas même si la douleur est très intense, à la limite du supportable : en aucun cas je ne voudrais être à un autre endroit !</p>
<p>Entre chaque contraction, je me rassieds dans l’eau et goûte à la détente en ne pensant pas à la prochaine. David rajoute de l’eau chaude régulièrement. Elle provient d’une grosse bassine en alu posée sur le poêle. Les yeux fermés, je sens les vagues de chaleur à chaque versement. J’essaie de me concentrer dessus pour apaiser la douleur, tout du moins la ressentir de manière plus lointaine.<br />Très vite, l’intensité des contractions augmente énormément et m’arrache de véritables cris de douleur que je ne peux pas retenir.</p>
<p>Je n’entends ni ne vois arriver Rose mais de ma bulle, je ressens sa présence pourtant très discrète. David me chuchote<em> « Rose est là »</em>. Effectivement, je la sens s’accroupir devant moi et poser sa main sur mon bras. Je parviens à lui dire entre deux contractions que je n’ose pas lui demander de m’examiner de peur que l’avancée du travail ne le soit pas autant que je l’espère. Elle me murmure qu’au vu de mon état, la fin est proche. Il est 3 h 20.</p>
<p>Les contractions se rapprochent jusqu’à se suivre, pour certaines, sans interruption. Cette absence de répit est le plus dur à supporter. Tout mon corps est contracté, je ne parviens plus à trouver de la détente. Mon mantra est oublié, ne fonctionnant peut-être plus ? Je perds pied littéralement et supplie du répit, pour reprendre des forces. David est collé à moi, je lui broie les bras, je lui hurle dans les oreilles. Lui, imperturbable me parle doucement, m’encourage, me soutient. Il est mon pilier, mon ancrage dans la réalité.</p>
<p>Rose, très discrètement, s’active dans la pièce pour préparer tout le nécessaire à ton arrivée. Peut-être fait-elle autre chose en fait, je ne sais trop, depuis ma bulle tout paraît lointain …</p>
<p><span style="color: #fc615d;"><strong><span style="font-size: 14pt;">Je me sens bien, entourée</span></strong></span></p>
<p>Je supplie du répit, je sens que ça appuie très fort sur le périnée et surtout le rectum. Rose me dit que la poche des eaux fait pression, c’est elle que je sens. Je pousse un peu et elle se rompt. Malgré l’eau qui m’entoure, je sens le liquide s’écouler entre mes jambes. Il s’ensuit une très légère détente puis je ressens l’envie de pousser. Rose me dit d’y aller. Mon corps pousse ou alors c'est toi et je hurle en même temps. Je sens une pression de dingue sur mon périnée. Tout mon bassin est sous pression, c’en est presque affolant mais la fin est proche, le moment, unique et intense, je me raccroche à ces pensées. David est toujours là et me parle. J’ai un éclair de lucidité qui m’empêche de mordre le rebord de la piscine (gonflable !) sur lequel je m’appuie et m’accroche.<br />Je sens Rose derrière moi, elle observe, palpe, discrètement. Elle m’encourage tout en me laissant vivre le moment centrée, pleinement, avec David. Elle a ce don d’être présente sans intervenir. C’est dur à expliquer mais c’est une attitude tout simplement parfaite ! Malgré la douleur sans équivalent, je me sens bien, entourée de ces deux êtres en qui j’ai toute confiance : David pour sa proximité, sa chaleur, ses mots, son amour ; Rose pour sa douceur, sa discrétion, ses compétences, sa bienveillance.</p>
<p>Pas un seul instant, je me dis que je ne serais pas dans cette épreuve si je n’avais pas fait ma rebelle en choisissant d’accoucher chez moi et en refusant l’hôpital et son cortège d’interventionnisme, de bruits, de lumière, d’analgésie et tutti quanti. Je suis dans mon cocon, mon chez moi, dans le naturel et l’animal, et ça n’a pas de prix !</p>
<p>Des cris émanent de mon corps comme jamais, ils viennent du ventre, ils sont puissants, c’est incroyable de parvenir à sortir un son pareil ! Il est complètement soustrait à ma volonté, il est sauvage et instinctif.</p>
<p>Trois contractions accompagnées de trois poussées sortent ta petite tête. La détente annoncée après est infime. Rose m’informe qu’il reste les épaules. Dans mon état second, je pensais les avoir passées déjà… Je ne vais pas y arriver, je n’ai plus de forces, du moins j’en ai l’impression, je lui dis dans un souffle. La contraction arrive, c’est le moment, le dernier, l’ultime effort et ce sera terminé. Je rassemble le peu de force qu’il me reste et je pousse en criant ne pensant même pas à mon pauvre périnée qui pourrait se déchirer sous l’intensité de la poussée, à moins que ce ne soit déjà fait … J’avoue que l’état structurel de cette zone est le cadet de mes soucis sur le moment. Une épaule se dégage et le reste de ton petit corps glisse hors de moi, dans l’eau chaude et amniotisée de la piscine. Il est 3 h 53.</p>
<p><a href="http://www.rebonds.net/images/AAD/enki.jpg" class="jcepopup" data-mediabox="1" data-mediabox-title="Enki (Photo : David et Maryline)."><img src="http://www.rebonds.net/images/AAD/enki.jpg" alt="enki" width="1000" height="600" style="border: 2px double #e2e2e2; display: block; margin-left: auto; margin-right: auto;" /></a></p>
<p><span style="color: #fc615d;"><strong><span style="font-size: 14pt;">Premiers regards</span></strong></span></p>
<p>Voilà, tu es né Enki, dans l’eau, ce 23 janvier 2018 entouré de tes parents et de Rose, notre merveilleuse sage-femme. La naissance aquatique n’était pas particulièrement prévue mais il m’était impossible de sortir de l’eau avant l’expulsion, tétanisée de douleur que j’étais. Je ne me suis d’ailleurs même pas posé la question depuis le monde parallèle où mon esprit s'était retiré.<br />Rose t’attrape par derrière moi car je suis toujours appuyée contre le rebord de la piscine. Elle te pose délicatement sur mon dos et te couvre d'une serviette chaude.<br />Arrive le premier moment où je dois reprendre mes esprits et retrouver la réalité de façon consciente : je dois bouger, pour me retourner et t’attraper pour te serrer dans mes bras, enfin !</p>
<p>J’y parviens et je m’assois dans le fond de la piscine. Rose te dépose dans mes bras. Et là, la réalité, le concret ressurgit d’un seul coup et m’apparaît, ma bulle explose. Je l’ai fait ! Je l’ai fait ! J’y suis arrivée ! Je répète ces phrases dont j’ai souvent rêvé depuis des mois et je peine à réaliser que je viens de concrétiser un rêve de plusieurs années. David est tout ému, il est dans mon dos, je suis appuyée contre lui, je crois bien qu’il pleure. Il me parle, me félicite.<br />Je te découvre à la faible lueur des bougies et des flammes du poêle : premiers regards.</p>
<p>Deuxième moment crucial de retour à la réalité : sortir de la piscine dont l’eau n’est plus très claire …. Là, tout de suite sur le moment, je ne vois pas comment y parvenir et je l’avoue à Rose et David. Ils m’aident. Ne pas marcher sur le cordon ombilical qui te relie toujours à moi, ne pas glisser, ne pas te lâcher. C’est bon, j’ai recouvré tous mes esprits, le néocortex refonctionne ! Je m’affale sur le canapé. Il doit être 4 heures du matin environ.</p>
<p>Tu es sur moi, calme, les yeux ouverts. Les contractions reprennent, certes moins fortes que celles de l’accouchement mais après une telle épreuve, elles ne sont pas les bienvenues. Et je ne me sens pas à l'aise telle que je suis positionnée car j’ai l’impression de ne pas avoir de force pour pousser et expulser le placenta. Au bout d’un moment, voyant mon état, Rose me propose d’appuyer doucement sur mon ventre mais je ne supporte pas la sensation. J’essaie une position différente : je pose mon pied droit sur ma cuisse gauche, dans une position que l’on pourrait qualifier de yoguique ! Je me sens beaucoup mieux car l’appui de ma jambe me donne la force de pousser. Rose rigole en me disant que je ressemble à une statue grecque !!<br />Je pousse deux ou trois fois et le placenta sort. Aaahhh ! Quelle délivrance !!! Ce moment porte bien son nom car après la naissance, je n’ai pas senti cette libération. Rose l’examine, nous le montre ainsi que les membranes. Elle réajuste les alèses sous moi. Il doit être 4 h 30.</p>
<p><span style="color: #fc615d;"><strong><span style="font-size: 14pt;">Un moment poétique, féerique</span></strong></span></p>
<p>Le reste de la nuit est un moment suspendu que j’aurais aimé voir durer encore longtemps. C’est la nuit, le salon est juste éclairé par les bougies et le feu du poêle. Je suis allongée dans mon canapé, tu es tout contre moi en peau à peau. Tu dors paisiblement après ta première tétée. Rose examine mon périnée à la lumière de sa lampe frontale ; juste une éraillure alors que 4 kg 210 sont passés par là. Y’a pas à dire, quand la physiologie est respectée … Pas de point nécessaire, parfait !</p>
<p>Rose nettoie tes membranes, nous les décrit et nous les montre, David l’assiste. Ils sont au pied du canapé, devant la piscine. Je les observe faire l’impression de ton arbre de vie avec ton placenta. Le rendu est magnifique, on dirait une peinture « sanguine » et pour le coup, elle porterait bien son nom !! Ils confectionnent les petits tambours avec tes membranes. Deux avec l'externe, un avec l'interne. Les cerclages élaborés par ton papa sont parfaits. Ils fabriquent aussi un anneau de dentition avec un morceau de ton cordon et ils prélèvent un échantillon de ton placenta pour l’envoyer au laboratoire allemand qui préparera les granules homéopathiques et la teinture mère (le placenta contient les cellules souches du bébé. On peut ainsi en préparer des remèdes qui pourront être utilisés lors de rhumes ou maladies). Ce moment est très poétique, féerique, le calme après la tempête, le repos des guerriers savouré après une épreuve intense en émotions ; l’un de mes plus beaux souvenirs de cette aventure inoubliable.</p>
<p>Ce que je retiens de mon accouchement à domicile, c'est que je me suis enfin laissée aller à être moi-même, malgré l'intensité et la douleur. Comme le dit merveilleusement bien Anne Douchet Morin, ancienne sage-femme à domicile et désormais thérapeute de l'intime,<em> « ce n'est pas parce que c'est dur et intense qu'il y a un problème »</em>. C'était ce que je pensais avant, cet accouchement m'a fait prendre conscience que ce n'était qu'une croyance.</p>
<p>Il est 5 h 30 du matin, on discute tous les trois. Rose m’examine régulièrement pour surveiller la rétraction utérine et les grands frères descendent voir leur petit frère. Je ne parviens pas à dormir, j’ai les yeux rivés sur toi, calé contre moi. On restera en peau à peau jusque dans la soirée.<br />Je vois le jour se lever dans la même position depuis plusieurs heures. Je suis toute ankylosée mais je n’ose bouger de crainte de te réveiller.</p>
<p>Bienvenue en ce monde Enki, bienvenue à la lumière !!! Et merci pour cette expérience chamanique !</p>
<p><strong>Maryline Salin</strong></p><p><strong>David et Maryline vivent dans le Cher. Parents de deux garçons nés en maternité, il·le·s ont fait le choix, pour leur troisième enfant, de l'accouchement à domicile, accompagné·e·s par la sage-femme Rose Faugeras (<em>lire aussi la rubrique (Ré)acteurs</em>). Chacun·e leur tour, avec leurs regards et leurs mots, il·le·s racontent cette nuit inoubliable.</strong></p>
<p><strong> </strong></p>
<p><strong><span style="color: #fc615d;">_________________________________</span></strong></p>
<h3>Cette nuit où tu es né</h3>
<p><span style="font-size: 12pt;">David </span><strong><span style="font-family: georgia, palatino;"><span style="color: #fc615d;">______________________________</span></span></strong></p>
<p>Enki, mon fils, mon troisième enfant, mon troisième garçon. Quatre lettres, comme pour les prénoms de tes frères. Pas fait exprès pour les quatre lettres. Plus facile pour une grande prêtresse pour tirer les cartes au tarot ! Ton prénom, ça fait un moment qu'il tourne en boucle dans ma tête. Tu l'as soufflé avec insistance au creux de nos oreilles pendant ces dernières semaines. Voilà déjà trois semaines que tu es arrivé parmi nous. Ça y est, j'ai un peu dormi ! Je prends le temps de mettre par écrit ces moments intenses que tu m'as permis de vivre entre deux alertes orange de chute de neige.</p>
<p>Des récits de naissance, j'en ai beaucoup lus : forum, livres de témoignages, discussions. C'était un regret pour moi de ne pas avoir pu écrire ceux de tes frères, mais je n'étais pas prêt au moment de leur naissance. En parcourant ceux que certaines femmes ont laissés, j'ai souvent été ému aux larmes et elles m'ont donné envie de le faire à mon tour. Mais je ne pensais pas pouvoir raconter la naissance de tes frères après tout ce temps passé... Ton arrivée offre enfin la possibilité d'en écrire un avec, en prime, une naissance à la maison. Retour en arrière...</p>
<p>Depuis quelques semaines, les contractions se mettent en place, pas douloureuses, pas régulières ou pas assez longtemps. Tu dois naître pour le 28 janvier, date du terme officiel. Nous sommes le 22 et comme nous voulons que tu naisses à la maison, au chaud et au calme, dans notre cocon familial, Marilyne a pris rendez-vous avec notre médecin acupuncteur pour libérer d'éventuels blocages ou obstacles, afin que tu puisses nous rencontrer comme nous le souhaitons. La séance a lieu en milieu de matinée. Moi, je suis sur mon toit à planter des bardeaux. Charles Ingalls, lui, plantait des poteaux ; moi, des bardeaux, chacun son truc. Marilyne rentre vers midi, elle est fatiguée. Les contractions se mettent en place petit à petit, peut-être un peu plus fortes, mais surtout plus régulières que d'habitude.</p>
<p>Efficaces, ces petites aiguilles d’acupuncture ! Vers la fin de l'après-midi, je vais chercher tes frères à l'école, on se prépare pour le repas et le coucher. Les contractions sont toujours là. C'est pour ce soir ou pour demain ? Pré-travail ou début du travail ? Excite-toi pas, dis, excite-toi pas, rien ne presse. On a encore quelques jours devant nous. Marilyne monte lire l'histoire à tes frangins. Nouveauté : elle doit s'arrêter de lire entre deux contractions. Elles ont bien progressé en intensité. Elle redescend et tient notre sage-femme au courant de la situation par sms. Pas de panique, tout va bien. Les contractions sont encore trop espacées pour qu'elle vienne de suite. Elle nous demande de la tenir au courant d'ici une heure pour aviser. Elle habite tout de même à deux heures de route.</p>
<p><span style="color: #ff615d;"><strong><span style="font-size: 14pt;">Il faut de la chaleur, de l'amour, de la sérénité</span></strong></span></p>
<p>Il est 21 heures. Tes frangins sont couchés et dorment. Ta mère se met dans sa bulle et sur son ballon, elle gère bien les contractions. Je lui noue un drap à fleurs jaunes qu'on n'utilise jamais au dessus de la grosse poutre pour qu'elle puisse s'y suspendre si besoin (il y est toujours, 21 jours plus tard !). On remet les choses au clair ensemble : si, dans un moment d'égarement, lors de la phase de désespérance <span style="font-size: 8pt;">(1)</span> par exemple, elle me demande le transfert vers la maternité, alors qu'il n'y a pas de raison vitale à cela, je dois l'encourager, la soutenir pour que tu naisses ici, dans notre salon. Nous topons là.</p>
<p>Michel Odent <span style="font-size: 8pt;">(2)</span> a dit qu'il faut que la maman n'ait pas froid (25°C, c'est un minimum). Il faut de la chaleur, de l'amour, de la sérénité pour que les bonnes hormones finissant en « ine » se libèrent (d'accord, les mauvaises aussi, elles finissent en « ine »), et que le travail soit efficace. Dont acte : tu naîtras dans une ambiance chaleureuse ! Avec un savant chargement de chevrons issus de la vieille couverture de la grange, je peux obtenir la chaleur adéquate rapidement. Je mets une vieille lessiveuse pleine d'eau sur le poêle et c'est parti pour la fête ! J'hésite après coup à qualifier l'ambiance de saharienne ou de tropicale. Le thermomètre de Monsieur Galilée indique que j'ai dépassé les 24°C. Mais de combien ? Je ne sais pas mais j'ai chaud. Je suis torse-nu, un pantalon thaï et je ne peux plus rien enlever ! Je profite des quelques heures qui nous reste pour finir de creuser le morceau de buis qui devrait servir avec la membrane du placenta pour le tambourin.</p>
<p>Marilyne, elle, répare un pantalon de Loup <em>[l'aîné; ndlr]</em>, déchiré aux genoux. Elle n'aura pas le temps de faire plus d'une jambe. Aujourd'hui encore, la reprise dudit pantalon n'est toujours pas terminée. La musique que Marilyne souhaite, c'est la bande originale du film Himalaya. Ça contraste sévèrement avec la température ambiante mais je la lui passerai au moins quatre fois d'affilée avant d'abandonner une carrière de DJ pourtant prometteuse. Des bougies sont allumées partout dans la pièce. Tu en as une grosse rouge, spécialement pour toi, qui te servira pour tes anniversaires. On est bien, là, à cet instant, au calme, au chaud, à la lueur des bougies.</p>
<p><a href="http://www.rebonds.net/images/AAD/rose_maryline_enki.JPG" class="jcepopup" data-mediabox="1" data-mediabox-title="Maryline, Rose et Enki (Photo : David)."><img src="http://www.rebonds.net/images/AAD/rose_maryline_enki.JPG" alt="rose maryline enki" width="1000" height="664" style="border: 2px double #e2e2e2; display: block; margin-left: auto; margin-right: auto;" /></a></p>
<p>Je déplace les canapés et tables, et roule le tapis pour permettre à ta mère de circuler librement à pied ou en ballon devant le poêle. Elle continue de noter les contractions sur un petit carnet jusqu'à 21 h 42. A partir de là, je prends le relais parce qu'elles se rapprochent et s'intensifient nettement (entre 5 et 10 minutes). Ta mère ressent une grosse pesanteur sur le périnée. Elle va prendre une douche bien chaude pour se détendre vers 22 h 30. Cela n'arrête pas les contractions. Quand il en arrive une, elle s'arrête de bouger, souffle profondément, vocalise. Elle sort des sons qui viennent du fond des âges, très sourds (c'est guttural...). D'où sort-elle des sons pareils ? Elle pense à voix haute et se répète en boucle <em>« bouche molle, col mou, bouche molle, col mou »</em> (merci Julyff pour le livre et merci Carolinehen pour le pense-bête ! <span style="font-size: 8pt;">(3)</span>). Vers 23 h 15, Marilyne tient Rose, la sage-femme, au courant de l'évolution. Elle fait un petit somme avant de se mettre en route pour partir quand les contractions seront au moins espacées de cinq minutes.</p>
<p><span style="color: #ff615d;"><strong><span style="font-size: 14pt;">Je soutiens, je félicite, je bredouille...</span></strong></span></p>
<p>Petit à petit, la journée du 22 s'efface. C'est sûr, maintenant, tu seras du 23 janvier ! Les mouvements de bassin sur le ballon soulagent bien Marilyne. Elle gère comme une cheffe. Moi, je ne fais pas grand chose à part remettre du combustible et noter l'heure des contractions. D'ailleurs, ça commence à être un boulot à plein temps parce qu'elle en a de plus en plus. Le ballon n'est plus aussi efficace, alors elle se met à arpenter la pièce avec son bidon de big boss de fin de niveau (elle a arrêté de se peser à +16 kg). Quand une contraction arrive, elle se met face au mur, s'appuie dessus avec les mains, les bras levés, s'abaisse doucement en expirant au début, vocalisant vers la fin (voire en râlant). Je fais le malin, là, mais j'en menais pas large sur le coup. Serein, mais quand même.</p>
<p>Vers 1 h 19, je prends le relai téléphonique et j'envoie un texto à Rose. On y est : les contractions sont au max à cinq minutes d'écart et ça appuie encore plus fort sur le périnée. Elle répond dans la minute en disant qu'elle va bientôt prendre la route pour nous rejoindre.<br />Marilyne est dans sa bulle (j'ai noté à 1 h 39 : elle est complètement shootée). Je décide de monter la piscine d'accouchement, ne serait-ce que pour la soulager en attendant que Rose arrive. Je sais qu'il ne faut pas qu'elle y reste plus de 1 h 30 sinon, les contractions risquent de s'atténuer. Ça devrait le faire. Je déploie le bazar (heureusement que j'ai un peu étudié le contenu avant !). Je branche le gonfleur qui fait un boucan du diable. Dix minutes après, elle est gonflée et les enfants dorment toujours, bien... Reste à mettre l'eau. Encore dix minutes et Marilyne peut s'asseoir avec soulagement dans l'eau tiède. Le niveau montera jusqu'à 50 cm et je rajouterai régulièrement de l'eau chaude prise dans la lessiveuse mise sur le poêle. Quelle que soit la position de Marilyne, son bassin est toujours immergé et ça lui fait un bien fou. La douleur semble s'effacer et elle peut bien se reposer entre les contractions qui vont se succéder parfois toutes les deux minutes. A partir de 2 h 30, j'arrête de les noter parce qu'elles gagnent en puissance.</p>
<p>Marilyne alterne entre position assise sur un bord de la piscine, comateuse, et position à genoux, affalée contre le rebord opposé. Pour la première fois, elle commence vraiment à avoir mal. Il faut qu'elle s'ouvre pour que tu viennes. Je lui dis, je la soutiens, je la félicite, je bredouille quelques <em>« bouche molle, col mou »</em>. Je ne sais même pas si elle m'entend.</p>
<p><span style="color: #ff615d;"><strong><span style="font-size: 14pt;">Elle l'a fait et n'en revient pas !</span></strong></span></p>
<p>Vers 3 heures, les vocalisations se font de plus en plus fortes. Elle veut que je lui appuie sur le sacrum, ça lui fait du bien. J'appuie. Plus fort, qu'elle veut ! J'ai l'impression d'entendre le Père Albert insulter un rugbyman néo-zélandais. Qu'est-ce que t'attends ? Vas-y ! Mais appuie sur ce sacrum, nom de dieu ! Mors-moi l’œil ! Tu fais du macramé ou quoi ! J'appuie le plus fort possible et elle me repousse. Je dois me cramponner, m’arque-bouter contre un meuble pour la retenir. Quelle force ! Vers 3 h 20, Rose entre dans la pièce, toute discrète. Elle a un petit peu roulé vite (<em>« C'est à deux heures d'ici, je serai là dans une heure et demie... »</em>).</p>
<p>J'évacue Yuri dans la grange pour la fin du travail. Il s'était tenu tranquille jusqu'à présent mais, avec l’arrivée de Rose, il est excité et je ne veux pas avoir à gérer le chien en plus. Marilyne a peur que le travail ne soit pas suffisamment avancé mais Rose la rassure. Elle sait que Marilyne est proche de la fin du travail. Je monte voir les enfants qui sont maintenant parfaitement réveillés. J'y vais pour les rassurer. Loup est en train de bouquiner comme si de rien n'était : Maman est juste en train d'accoucher, rien d’extraordinaire, quoi ! Nino, lui, est surexcité parce qu'il a vu qu'il avait une piscine dans la maison, trop fort ! Je leur dis que c'est impressionnant que Maman crie comme ça, mais que c'est normal, que Rose est là, que tout va bien se passer, que tu seras bientôt parmi nous, que je viendrai les voir quand ce sera fini et qu'ils pourront descendre nous voir un peu plus tard, mais en attendant, il faut qu'ils soient cool.</p>
<p>Les contractions augmentent encore. C'est possible, ça ? Marilyne en a marre, elle est épuisée et nous lâche un <em>« Achevez-moi ! »</em> auquel Rose répond par un <em>« D'accord, mais on fera ça après l'accouchement ».</em> Phase de désespérance checked, on arrive bientôt au terminus ! Dans peu de temps, tu seras là, mon bonhomme. Je me place à la tête de Marilyne qui n'a plus de pause entre les contractions, Rose lui passe un gant d'eau fraîche sur le front, ce qui lui fait un bien fou. Je la caresse, l'encourage encore et toujours. Une contraction encore plus forte et je perds d'un coup 5/10e d'audition et ainsi que mes métacarpes gauches. Un larsen dans l'oreille gauche persistera quelques heures. J'ai l'impression d'être à côté de ma jument de trait qui hennit, ce qui reste une référence chez nous en terme de décibels.</p>
<p>Marilyne n'a pas la force de continuer. Elle ne peut pas sortir de la piscine. Tant pis, tu naîtras dans l'eau. Rose se place vers le bassin, je reste à la tête et je traduis ce qu'elle dit ou fait. C'est du direct, 5, 4, 3, paf, pastèque, la poche des eaux perce d'un coup et ta tête s'engage vers la sortie. En trois poussées, elle est passée. Une pause, le temps de dégager ton épaule et c'est l'expulsion de la savonnette. Rose t'attrape et te pose sur le dos de ta mère, toujours à quatre pattes dans la piscine. Tu as les yeux ouverts, tu regardes avec cette impression de sagesse que beaucoup d'autres ont décrit. Tu as bien l'attirail d'un pôti môssieu, pas de blague de dernière minute. Enki..., ça te va bien, ce prénom, tu avais raison. Tu es calme, serein, attentif. Il est 3 h 53. Tu cries un peu, mais pas trop longtemps. On aide Marilyne à se retourner pour qu'elle puisse te prendre dans ses bras. Je sens que ça me prend à la gorge, les yeux qui piquent, qui se mouillent. Elle l'a fait et elle n'en revient pas ! Moi non plus ! J'ai réussi à vous accompagner, elle et toi, au bout de cette merveilleuse aventure. On l'a fait !</p>
<p><span style="color: #ff615d;"><strong><span style="font-size: 14pt;">Un dessin magnifique</span></strong></span></p>
<p>Après cela, la chronologie devient assez floue. Le temps que vous restez dans l'eau elle et toi, je ne sais pas trop, un quart d'heure peut-être. Ensuite, il a fallu sortir de la piscine : enjamber un rebord de piscine, même de 60 centimètres seulement, quand on vient d'enfanter, qu'on a son nouveau-né dans les bras, et qu'il est toujours relié à soi par le cordon, et bien, c'est compliqué. Nous nous y mettons tous ensemble pour vous extirper de l'eau et nous vous couchons, elle sur le canapé, toi sur elle, en peau à peau, enveloppés dans une couverture peut-être. Je sais que je te mets le bonnet de lutin pour que tu ne prennes pas froid. Comment pourrait-on avoir froid ici ! Mis à part ce bonnet, tu resteras nu contre elle jusqu'au soir. Tu nous laisseras tranquille avec cet ostie de méconium jusqu'au lendemain. Le cordon bat encore pendant peut-être 20 minutes. Il est énorme, ce cordon ! Je sens ses pulsations dans ma main. c'est chouette ! Je le coupe, enfin, une fois que les battements ont cessé.</p>
<p>Une demi-heure après, peut-être, ta mère expulse le placenta. Les contractions sont moins fortes que celles pour ton expulsion mais les tranchées la surprennent dans leur puissance. Elles dureront plusieurs heures, diminuant progressivement en fréquence et en intensité dans la journée. Rose examine le placenta et le cordon, tout est OK. Elle procède aux prélèvements pour l'homéopathie <span style="font-size: 8pt;">(4). </span>Elle dispose le placenta et le cordon pour que nous en prenions l'empreinte. C'est vraiment magnifique comme dessin.</p>
<p><a href="http://www.rebonds.net/images/AAD/arbre_de_vie.JPG" class="jcepopup" data-mediabox="1" data-mediabox-title="L'arbre de vie (Photo : David et Maryline)."><img src="http://www.rebonds.net/images/AAD/arbre_de_vie.JPG" alt="arbre de vie" width="664" height="1000" style="border: 2px double #e2e2e2; display: block; margin-left: auto; margin-right: auto;" /></a></p>
<p><span style="font-size: 14pt; color: #ff615d;"><strong>La rencontre avec tes frères</strong></span></p>
<p>Marilyne nous regarde en train de faire cela avec toi qui tête déjà peut-être ? (Je ne sais plus, là, je suis paumé). Vient ensuite la réalisation du tambourin avec une membrane. Je prends le morceau de buis le plus réussi et place la membrane interne juste rincée dessus, le surplus est replié vers l'intérieur. Rose me dit qu'il y a du rab. J'en ai deux autres prêts sur lesquels on appose deux morceaux de la membrane externe. Un plus petit en buis et un en tilleul. L'odeur des membranes (du liquide amniotique ?) est très forte et imprègne bien les cerclages. Avec ton cordon, on fait un bâtonnet droit de trente centimètres et un espèce de nœud lâche qui te servira d'anneau de dentition une fois sec. Je mets l'ensemble à sécher sur le manteau de la cheminée sur du papier-cuisson. Le reste du placenta est mis en boîte et placé au congélateur en attendant d'être enfoui sous ton arbre de naissance.</p>
<p>On te pèse. Je lis 4,210 kg. A 4,2 kg, t'appelles plus ça un petit galet ! Le tout, avec juste une éraillure sur le périnée. Il doit être entre 5 et 6 heures. Je vais chercher tes frères pour qu'ils te rencontrent. Ils sont plus intéressés par la piscine...<br />Le temps de remplir le carnet de santé, de boire un truc chaud, de parfaire l'organisation du couchage, il ne doit pas être loin de 7 heures. Tes frangins sécheront l'école aujourd'hui. On est tous nazes et dormir un peu nous fera du bien. Je rentre le chien et un ou deux chats qui traînent devant la porte, et au lit. Je dors au pied du canapé sur un matelas. Rose a pris notre lit. Elle partira en début d'après-midi.</p>
<p><span style="font-size: 14pt; color: #ff615d;"><strong>Des moments d'une rare intensité</strong></span></p>
<p>Ce n'est que le lendemain que je me suis rendu compte que j'avais oublié de décrocher l'arbre à souhaits du blessing way pour le mettre à côté de ta mère pendant le travail. Il n'était cependant pas loin et sa présence dans la maison lui a fait du bien. Certains, proches amis et parents, nous ont accompagnés à distance, cette nuit où tu es né, et leurs pensées nous ont donné la force de te faire venir parmi nous. Toute ma gratitude est pour eux.</p>
<p>Après cette nuit, intense en émotions, épuisante aussi, nous avons tous trois pris rendez-vous chez un ostéopathe. Les choses se mettent en place petit à petit. Tu têtes bien, ton poids de naissance était repris le 7e jour. Ton frein de langue, trop fort, a été coupé. Maintenant, tu prends aussi bien le sein gauche que le droit et tu ne fais plus mal à ta mère en le prenant. On t'a passé en couches lavables que tu défonces allègrement. Tu cododotes entre nous deux. Tu te réveilles encore souvent (toutes les deux et trois heures), à cause de ces calisses de chien jaune de coliques, et c'est surtout ta mère qui parvient à te calmer, et à t'endormir à coups de sein. Que veux-tu, elle a des arguments de poids que je n'ai pas... Tes frères veulent te caresser, te faire des bisous, te porter. Tu commences à nous rendre nos sourires. Merci pour ce cadeau, merci pour ta venue, merci pour m'avoir permis de vivre ces moments d'une rare intensité.</p>
<p><span style="font-size: 8pt;">(1) Etape de l'accouchement durant laquelle la future mère est prise de panique intense quelques minutes avant l'expulsion.</span><br /><span style="font-size: 8pt;">(2) Obstétricien français mondialement reconnu pour ses recherches sur une maternité différente, allant à l'encontre des modalités de l'accouchement dans les pays industrialisés (Lire aussi la rubrique (Re)découvrir).</span><br /><span style="font-size: 8pt;">(3) Trélaün, Maïtie 2012 « J'accouche bientôt : Que faire de la douleur ? » Gap : Éd. le Souffle d'or, collection Naître et grandir, 230 p.</span><br /><span style="font-size: 8pt;">(4) L'isothérapie placentaire, réalisée à partir du placenta, sous forme de granules ou de teinture mère, sert à soigner les petits maux du quotidien du bébé et la mère.</span></p>
<p> </p>
<p><strong><span style="color: #fc615d;">_____________________________________________________________</span></strong></p>
<h3>Lettre à Enki : de ton arrivée à la lumière</h3>
<p><span style="font-size: 12pt;">Maryline </span><strong><span style="font-family: georgia, palatino;"><span style="color: #fc615d;">____________________________________________________</span></span></strong></p>
<p>22 janvier 2018 : nous sommes lundi, à six jours du terme. L’échéance se rapproche ; je suis la plupart du temps sereine, avec quelques fois des résurgences de doutes et de manque de confiance en moi.</p>
<p>J’ai accouché deux fois déjà auparavant. Des naissances qualifiées de normales et sans problème de la part du corps médical. Des accouchements volés et violents de mon point de vue.<br />Dès ma première grossesse, j’ai souhaité un accouchement le plus naturel et physiologique possible. Je me souviens avoir passé de longs mois à chercher une sage-femme pouvant m’accompagner à domicile. Mais il y a dix ans, aucune dans le secteur n’était installée et j’ai dû me résoudre à partir à la clinique, ne me sentant pas capable de tenter un ANA (Accouchement Non Assisté, pour lequel aucun personnel médical n'est présent). Une sage-femme libérale nous avait préparé de manière très instinctive par l’haptonomie et le yoga prénatal. Par la première, nous avons pu entrer en « dialogue » avec le bébé in utero à travers le toucher ; cette pratique permet d'impliquer intimement le papa. Par le yoga, nous avons intégré des postures facilitant la détente et le passage du bébé de manière physiologique.</p>
<p>J’ai donc été très en colère de m’entendre reprocher au moment de l’accouchement d’avoir des volontés inappropriées (comme mettre un coussin sous le sacrum afin de le libérer de la pression de la table d’accouchement et faciliter le passage du bébé dans cette position imposée, allongée sur le dos, la plus anti-physiologique qui soit !). Devant le manque total de soutien du corps médical, je m’étais résolue à prendre une péridurale dont je ne voulais pas. Et, à partir de là, je n’ai plus rien senti de la progression du bébé, des contractions et de la naissance. C’est en cela que j’ai toujours eu le sentiment d’avoir accepté, malgré ma volonté première, de m’être fait voler mon accouchement, de m’avoir soustrait mon pouvoir de femme et de mère.</p>
<p>Pour le deuxième, deux ans plus tard, toujours pas de sage-femme pouvant se déplacer : même clinique, mêmes contraintes avec, en prime, un gynécologue apparemment très pressé qui a accéléré la naissance, cassant au passage la clavicule gauche du bébé et lui vrillant la colonne vertébrale et le diaphragme qu’une ostéopathe mettra plusieurs séances à remettre en place.</p>
<p>Quand j’ai appris qu’une sage-femme de Creuse se déplaçait jusqu’ici en Berry, je me souviens avoir eu cette pensée de regret :<em> « ah, si seulement elle avait été là il y a quelques années … »</em>. Et, comme quoi, le corps prend le pas sur l’esprit quand il s’agit de réparer, tu t'es niché en moi quelques mois plus tard alors qu’un troisième enfant n’était vraiment pas, mais pas du tout, envisagé !! J’ai immédiatement appelé Rose Faugeras, sage-femme installée à Guéret en Creuse, à 2 h 30 de route. Le contact a tout de suite été facile, instinctif et simple. Je me souviens sortir du premier rendez-vous avec David en se faisant simultanément la réflexion que l’on portait les mêmes valeurs. La confiance s’était installée tout de suite. Nous nous sommes déplacé·e·s plusieurs fois, puis Rose est venue à la maison. On a discuté longuement de sa pratique, de nos souhaits, de nos craintes, de nos peurs, de nos aspirations. Elle a ce don exceptionnel de concilier professionnalisme rigoureux et pragmatique, et liberté du couple ; présence rassurante et discrétion. Si bien que ce 22 janvier, je suis prête de ces mois de préparation, de ces rêves si symboliques qui ont peuplé mes nuits, de la sensation de pouvoir enfin m’abandonner à l’intuition, à l’instinct mammifère dans ce cercle intime de mon chez moi, de David et de Rose.</p>
<p><span style="color: #fc615d;"><strong><span style="font-size: 14pt;">Rentrer dans une bulle</span></strong></span></p>
<p>Le stress d’un dépassement qui empêcherait l’Accouchement A Domicile (AAD) m’a fait prendre rendez-vous avec mon médecin pour qu’il me fasse une séance d’acupuncture.<br />La veille, tu t'es manifesté plus que d'habitude, ce qui m’a provoqué une insomnie à partir de 5 heures du matin. Je suis descendue, je me suis posée sur mon ballon et j'ai regardé le jour se lever. Tu t’es calmé ensuite.<br />Dans la salle d’attente, je ressens des contractions d’une nature différente de celles ressenties depuis un mois environ. Pour chacune, je te visualise et souffle lentement.<br />La séance d’acupuncture me fait du bien, je suis allongée sur le côté gauche. J’ai trois aiguilles dans le bas du dos et une dans chacun de mes mollets en face interne.<br />Je rentre à la maison, nous déjeunons tranquillement. Dans l’après-midi, je fais une sieste ; les contractions sont toujours présentes mais indolores et irrégulières. Toujours cette question lancinante : est-ce pour aujourd’hui ou pas ? …</p>
<p>Les enfants reviennent de l’école. On fait des parties de cartes jusqu’au dîner. Vers 19 heures, j’ai besoin de me lever lors des contractions, non pour soulager une douleur quasi inexistante, mais pour rentrer dans une bulle qui commence à prendre forme. J'ai compris le sens de cette « bulle » pour cet accouchement. Instinctivement, quand les conditions de pénombre, de silence et de chaleur sont réunies, elle se construit d'elle-même ; elle m'a permis de m'abstraire du temps et de l'espace afin de me connecter complètement à mon corps et aux signes qu'il m'envoyait.<br />Nous dînons et nous montons lire une histoire. Je préviens les enfants que j’ai des contractions et qu’il faudra peut-être que je m’interrompe quelques fois. Ce que je ferai à deux reprises pour faire quelques pas et respirer profondément. Ce n’est pas vraiment une histoire d’ailleurs, c’est une page du livre d’astronomie de Loup : « Qu’est-ce qu’une étoile ? ». Quelle belle entrée dans l’aventure ! Ils se couchent, rituel des bisous, câlins, bonne nuit.</p>
<p>Je redescends dans le salon, je n’ai absolument pas envie de dormir. J’ai envie de m’occuper les mains avec une activité qui me libère l’esprit. Loup ayant déchiré un de ses pantalons aux deux genoux, j’entreprends de le recoudre. Je me lève à chaque contraction pour marcher et respirer profondément. Pendant ce temps, David en profite pour finaliser un troisième cerclage de petit tambour destiné à accueillir tes membranes.</p>
<p><span style="color: #fc615d;"><strong><span style="font-size: 14pt;">Connexions sororales</span></strong></span></p>
<p>Premier message de connexion sororale, à ma sœur d’âme, loin dans ses montagnes :<em> « Message comme ça en passant … Je répare un pantalon de Loup pour … m’occuper entre des contractions à peu près toutes les 10 minutes … À suivre ou pas … »</em><br />La réponse ne tarde pas : <em>« Parfait ! Je laisse mon téléphone allumé … tu peux appeler si besoin, ou David … suis avec vous. »</em><br />La première jambe du pantalon est terminée, la seconde restera décousue jusqu’au … 23 février !<br />Il est 21 heures, j’envoie un sms à Rose :<em> « Je ne sais pas si je dois te tenir au courant des moindres changements … Les contractions ont l’air de se régulariser, à peu près toutes les 10 minutes pour les plus longues, avec quelques fois des plus courtes intercalées ».</em><br />Je n’ai plus envie de recoudre le pantalon, plus envie de m’occuper les mains. Ma bulle en formation m’appelle et je ressens l’envie de marcher, moins pour calmer l’intensité de la douleur que pour me centrer, voire méditer.<br />21 h 22, réponse de Rose : <em>« Ok ! Je te propose de voir si c’est un peu plus régulier et de voir aussi si les sensations s’accentuent ! Je suis tranquille ce soir, n’hésite pas si besoin !! »</em><br />Je marche, je marche, je fais du ballon, me lève lors des contractions. Est-ce le jour J ? Mon intuition me dit que oui, mon éternel manque de confiance en moi me dit que cela peut encore être un « faux-travail » …</p>
<p>Je ressens le besoin de me connecter à mes Sœurs du Berry : un cercle de femmes, amies pour certaines, avec lesquelles on partage ce sentiment que les pensées nous relient, nous portent, nous soutiennent, quand nous en avons besoin :<br /><em>« À mes amies lumineuses. Contractions presque régulières qui m’obligent à marcher et souffler, toutes les 10 minutes environ … »</em><br />Réponses rapides, les connexions sont établies ! : <br /><em>« C’est parti ?! Bon courage. Plein de force et de lâcher-prise, de douceur et de lumière. Mes pensées t’accompagnent dans cette aventure initiatique.»</em><br /><em> « Ohhh… Ok … Bon … J’allume des bougies et je reste attentive si besoin. Beau voyage. Je resterai près du téléphone toute la nuit si besoin. Souviens-toi à chaque instant que c’est un de tes rêves que tu réalises. Courage ma belle. »</em><br /><em>« Youhouuuuuu. Dernière ligne droite ma belle. Toutes mes pensées et surtout une belle rencontre. »</em><br /><em>« Merci pour le message ! Mes pensées t’accompagnent … détente, courage, acceptation de ce qui est. Ouvre-toi belle fleur ! Je t’embrasse. »</em><br />Quelle chance d’être entourée comme ça !! Toutes tes tatas connectées, en cercle énergétique autour de nous !!</p>
<p><span style="color: #fc615d;"><strong><span style="font-size: 14pt;">« Bouche molle, col mou »</span></strong></span></p>
<p>David a poussé le canapé vers la cheminée, libérant de l’espace devant le poêle. Il commence à allumer des bougies, prépare tranquillement le nid, met la bande originale du film Himalaya qui m’apaise incroyablement. Il me demande si je souhaite qu’il monte la piscine, je lui réponds que, pour le moment, j’aime mieux garder l’espace pour marcher.<br />Je décide de prendre une douche pour voir si elle apaise les contractions. Elle me fait un bien fou ! Je laisse l’eau chaude couler sur mes épaules, mes reins, mon ventre. Je ferme les yeux, c’est bon ! Deux contractions pendant cette douche d’une dizaine de minutes. À la sortie, une autre …. Bon, ça n’a pas l’air de se calmer. Intuition/1, manque de confiance en moi/0.<br />23 h 16, message à Rose : <em>« Petit point d’avancement : douche chaude n’a pas arrêté les contractions qui reviennent toutes les 10 minutes max. Grosse pesanteur dans périnée/vessie/rectum. Tout est gérable pour le moment. »</em><br />Je suis encore sur mon ballon mais j’ai besoin de me lever et de m’appuyer sur la table pendant les contractions. Entre chacune, j’entreprends de dépoiler le tapis des poils du chien. Je le fais assise sur mon ballon, avec les orteils. Je ne sais pas pourquoi je fais ça. Ça fait rire David qui ramasse les tas de poils en bout de tapis. Le cocasse de la situation participe à l’indispensable détente nécessaire.</p>
<p>À un moment, le ballon ne me convient plus, il faut que je marche. Je tourne dans le salon autour du canapé, je ne parviens pas à garder les yeux ouverts. Je marche donc à l’aveugle et ça me fait du bien, épaississant les parois de ma bulle. David a allumé une dizaine de bougies, éteint la lumière. La pénombre, juste éclairée des bougies et des flammes du feu dans le poêle invite à la rêverie, au centrage, à la mise en bulle. Je retourne quelques fois sur le ballon. Mais non, il ne me convient vraiment plus. Il ne servira à présent que pour des massages du bas du dos, du bassin et des hanches que David me propose régulièrement. En sac à patates dessus, je goûte au massage/peeling aux senteurs de fleur d’oranger.</p>
<p>Et je reprends ma marche aveugle. Pendant les contractions, je m’appuie des deux mains sur le mur en argile. Le contact chaud de la terre est agréable. Je souffle, je fais la respiration de la vague, je répète ce qui sera mon mantra : « bouche molle, col mou ».<br />23 janvier, 1 h 19 : <em>« Contractions plus rapprochées (+/- 5 minutes), appuient fort sur le périnée. C’est David qui écrit, Marilyne n'a plus envie d’écrire et de parler. »</em><br />Je commence à perdre toute notion de réalité. Je parviens tout juste à dire à David de prévenir Rose que ça s’intensifie. À cette heure, les contractions commencent à être douloureuses et s’échelonnent toutes les 2/4 minutes.<br />1 h 20 : <em>« Ok ! Je prends la route ! Si besoin m’appeler. »</em></p>
<p>Je demande à David de monter la piscine car l’intensité des contractions s’amplifient nettement. Pendant ce temps, je continue de marcher dans ma bulle, je vocalise pendant les contractions, un Ôoooom qui vient des profondeurs.<br />2 h 28 : <em>« J’arrive dans une petite heure, j’espère que tout va bien ? »</em><br /><em>« Elle gère. Je remplis la piscine »</em><br /><em>« Super !! Elle peut aller dans l’eau dès que c’est prêt. »</em><br />J’ai découvert du sang en me déshabillant pour aller dans la piscine. Il ne m’inquiète pas, je sais à quoi cela correspond. Confirmation de Rose : <em>« OK. C’est le col qui continue à s’ouvrir. Pas de soucis. »</em></p>
<p><span style="color: #fc615d;"><strong><span style="font-size: 14pt;">La douleur est intense mais pas souffrance</span></strong></span></p>
<p>Depuis un moment, j’ai demandé à David de m’appuyer sur le sacrum pendant les contractions. La pression m’aide beaucoup, je pousse de mon côté, si bien que l’appui est vraiment fort.<br />La piscine est prête, j'entre dans l’eau. L’effet est immédiat au contact de la chaleur. Je pousse un soupir de soulagement. Je m’assieds, c’est vraiment agréable. Tout mon corps se détend. Une contraction passe. Je me dis que si l’eau les apaise ainsi, ça va être chouette ! Bon, ne rêvons pas : elles reprennent vite de plus belle. À chacune, je me mets à genoux, appuyée sur le rebord de la piscine et David appuie fort sur mon sacrum ; des sons graves sortent instinctivement de ma bouche. La douleur devient intense mais elle n’est pas souffrance.<br />On avait beaucoup parlé de cette différence avec Rose : la douleur est une sensation, un ressenti que l'on peut graduer sur une échelle de valeur pour juger si elle est supportable tandis que la souffrance est une émotion difficilement compatible avec un accouchement dans de bonnes conditions. Cela peut parfois conduire à demander un transfert vers l'hôpital. Non, là je ne souffre pas même si la douleur est très intense, à la limite du supportable : en aucun cas je ne voudrais être à un autre endroit !</p>
<p>Entre chaque contraction, je me rassieds dans l’eau et goûte à la détente en ne pensant pas à la prochaine. David rajoute de l’eau chaude régulièrement. Elle provient d’une grosse bassine en alu posée sur le poêle. Les yeux fermés, je sens les vagues de chaleur à chaque versement. J’essaie de me concentrer dessus pour apaiser la douleur, tout du moins la ressentir de manière plus lointaine.<br />Très vite, l’intensité des contractions augmente énormément et m’arrache de véritables cris de douleur que je ne peux pas retenir.</p>
<p>Je n’entends ni ne vois arriver Rose mais de ma bulle, je ressens sa présence pourtant très discrète. David me chuchote<em> « Rose est là »</em>. Effectivement, je la sens s’accroupir devant moi et poser sa main sur mon bras. Je parviens à lui dire entre deux contractions que je n’ose pas lui demander de m’examiner de peur que l’avancée du travail ne le soit pas autant que je l’espère. Elle me murmure qu’au vu de mon état, la fin est proche. Il est 3 h 20.</p>
<p>Les contractions se rapprochent jusqu’à se suivre, pour certaines, sans interruption. Cette absence de répit est le plus dur à supporter. Tout mon corps est contracté, je ne parviens plus à trouver de la détente. Mon mantra est oublié, ne fonctionnant peut-être plus ? Je perds pied littéralement et supplie du répit, pour reprendre des forces. David est collé à moi, je lui broie les bras, je lui hurle dans les oreilles. Lui, imperturbable me parle doucement, m’encourage, me soutient. Il est mon pilier, mon ancrage dans la réalité.</p>
<p>Rose, très discrètement, s’active dans la pièce pour préparer tout le nécessaire à ton arrivée. Peut-être fait-elle autre chose en fait, je ne sais trop, depuis ma bulle tout paraît lointain …</p>
<p><span style="color: #fc615d;"><strong><span style="font-size: 14pt;">Je me sens bien, entourée</span></strong></span></p>
<p>Je supplie du répit, je sens que ça appuie très fort sur le périnée et surtout le rectum. Rose me dit que la poche des eaux fait pression, c’est elle que je sens. Je pousse un peu et elle se rompt. Malgré l’eau qui m’entoure, je sens le liquide s’écouler entre mes jambes. Il s’ensuit une très légère détente puis je ressens l’envie de pousser. Rose me dit d’y aller. Mon corps pousse ou alors c'est toi et je hurle en même temps. Je sens une pression de dingue sur mon périnée. Tout mon bassin est sous pression, c’en est presque affolant mais la fin est proche, le moment, unique et intense, je me raccroche à ces pensées. David est toujours là et me parle. J’ai un éclair de lucidité qui m’empêche de mordre le rebord de la piscine (gonflable !) sur lequel je m’appuie et m’accroche.<br />Je sens Rose derrière moi, elle observe, palpe, discrètement. Elle m’encourage tout en me laissant vivre le moment centrée, pleinement, avec David. Elle a ce don d’être présente sans intervenir. C’est dur à expliquer mais c’est une attitude tout simplement parfaite ! Malgré la douleur sans équivalent, je me sens bien, entourée de ces deux êtres en qui j’ai toute confiance : David pour sa proximité, sa chaleur, ses mots, son amour ; Rose pour sa douceur, sa discrétion, ses compétences, sa bienveillance.</p>
<p>Pas un seul instant, je me dis que je ne serais pas dans cette épreuve si je n’avais pas fait ma rebelle en choisissant d’accoucher chez moi et en refusant l’hôpital et son cortège d’interventionnisme, de bruits, de lumière, d’analgésie et tutti quanti. Je suis dans mon cocon, mon chez moi, dans le naturel et l’animal, et ça n’a pas de prix !</p>
<p>Des cris émanent de mon corps comme jamais, ils viennent du ventre, ils sont puissants, c’est incroyable de parvenir à sortir un son pareil ! Il est complètement soustrait à ma volonté, il est sauvage et instinctif.</p>
<p>Trois contractions accompagnées de trois poussées sortent ta petite tête. La détente annoncée après est infime. Rose m’informe qu’il reste les épaules. Dans mon état second, je pensais les avoir passées déjà… Je ne vais pas y arriver, je n’ai plus de forces, du moins j’en ai l’impression, je lui dis dans un souffle. La contraction arrive, c’est le moment, le dernier, l’ultime effort et ce sera terminé. Je rassemble le peu de force qu’il me reste et je pousse en criant ne pensant même pas à mon pauvre périnée qui pourrait se déchirer sous l’intensité de la poussée, à moins que ce ne soit déjà fait … J’avoue que l’état structurel de cette zone est le cadet de mes soucis sur le moment. Une épaule se dégage et le reste de ton petit corps glisse hors de moi, dans l’eau chaude et amniotisée de la piscine. Il est 3 h 53.</p>
<p><a href="http://www.rebonds.net/images/AAD/enki.jpg" class="jcepopup" data-mediabox="1" data-mediabox-title="Enki (Photo : David et Maryline)."><img src="http://www.rebonds.net/images/AAD/enki.jpg" alt="enki" width="1000" height="600" style="border: 2px double #e2e2e2; display: block; margin-left: auto; margin-right: auto;" /></a></p>
<p><span style="color: #fc615d;"><strong><span style="font-size: 14pt;">Premiers regards</span></strong></span></p>
<p>Voilà, tu es né Enki, dans l’eau, ce 23 janvier 2018 entouré de tes parents et de Rose, notre merveilleuse sage-femme. La naissance aquatique n’était pas particulièrement prévue mais il m’était impossible de sortir de l’eau avant l’expulsion, tétanisée de douleur que j’étais. Je ne me suis d’ailleurs même pas posé la question depuis le monde parallèle où mon esprit s'était retiré.<br />Rose t’attrape par derrière moi car je suis toujours appuyée contre le rebord de la piscine. Elle te pose délicatement sur mon dos et te couvre d'une serviette chaude.<br />Arrive le premier moment où je dois reprendre mes esprits et retrouver la réalité de façon consciente : je dois bouger, pour me retourner et t’attraper pour te serrer dans mes bras, enfin !</p>
<p>J’y parviens et je m’assois dans le fond de la piscine. Rose te dépose dans mes bras. Et là, la réalité, le concret ressurgit d’un seul coup et m’apparaît, ma bulle explose. Je l’ai fait ! Je l’ai fait ! J’y suis arrivée ! Je répète ces phrases dont j’ai souvent rêvé depuis des mois et je peine à réaliser que je viens de concrétiser un rêve de plusieurs années. David est tout ému, il est dans mon dos, je suis appuyée contre lui, je crois bien qu’il pleure. Il me parle, me félicite.<br />Je te découvre à la faible lueur des bougies et des flammes du poêle : premiers regards.</p>
<p>Deuxième moment crucial de retour à la réalité : sortir de la piscine dont l’eau n’est plus très claire …. Là, tout de suite sur le moment, je ne vois pas comment y parvenir et je l’avoue à Rose et David. Ils m’aident. Ne pas marcher sur le cordon ombilical qui te relie toujours à moi, ne pas glisser, ne pas te lâcher. C’est bon, j’ai recouvré tous mes esprits, le néocortex refonctionne ! Je m’affale sur le canapé. Il doit être 4 heures du matin environ.</p>
<p>Tu es sur moi, calme, les yeux ouverts. Les contractions reprennent, certes moins fortes que celles de l’accouchement mais après une telle épreuve, elles ne sont pas les bienvenues. Et je ne me sens pas à l'aise telle que je suis positionnée car j’ai l’impression de ne pas avoir de force pour pousser et expulser le placenta. Au bout d’un moment, voyant mon état, Rose me propose d’appuyer doucement sur mon ventre mais je ne supporte pas la sensation. J’essaie une position différente : je pose mon pied droit sur ma cuisse gauche, dans une position que l’on pourrait qualifier de yoguique ! Je me sens beaucoup mieux car l’appui de ma jambe me donne la force de pousser. Rose rigole en me disant que je ressemble à une statue grecque !!<br />Je pousse deux ou trois fois et le placenta sort. Aaahhh ! Quelle délivrance !!! Ce moment porte bien son nom car après la naissance, je n’ai pas senti cette libération. Rose l’examine, nous le montre ainsi que les membranes. Elle réajuste les alèses sous moi. Il doit être 4 h 30.</p>
<p><span style="color: #fc615d;"><strong><span style="font-size: 14pt;">Un moment poétique, féerique</span></strong></span></p>
<p>Le reste de la nuit est un moment suspendu que j’aurais aimé voir durer encore longtemps. C’est la nuit, le salon est juste éclairé par les bougies et le feu du poêle. Je suis allongée dans mon canapé, tu es tout contre moi en peau à peau. Tu dors paisiblement après ta première tétée. Rose examine mon périnée à la lumière de sa lampe frontale ; juste une éraillure alors que 4 kg 210 sont passés par là. Y’a pas à dire, quand la physiologie est respectée … Pas de point nécessaire, parfait !</p>
<p>Rose nettoie tes membranes, nous les décrit et nous les montre, David l’assiste. Ils sont au pied du canapé, devant la piscine. Je les observe faire l’impression de ton arbre de vie avec ton placenta. Le rendu est magnifique, on dirait une peinture « sanguine » et pour le coup, elle porterait bien son nom !! Ils confectionnent les petits tambours avec tes membranes. Deux avec l'externe, un avec l'interne. Les cerclages élaborés par ton papa sont parfaits. Ils fabriquent aussi un anneau de dentition avec un morceau de ton cordon et ils prélèvent un échantillon de ton placenta pour l’envoyer au laboratoire allemand qui préparera les granules homéopathiques et la teinture mère (le placenta contient les cellules souches du bébé. On peut ainsi en préparer des remèdes qui pourront être utilisés lors de rhumes ou maladies). Ce moment est très poétique, féerique, le calme après la tempête, le repos des guerriers savouré après une épreuve intense en émotions ; l’un de mes plus beaux souvenirs de cette aventure inoubliable.</p>
<p>Ce que je retiens de mon accouchement à domicile, c'est que je me suis enfin laissée aller à être moi-même, malgré l'intensité et la douleur. Comme le dit merveilleusement bien Anne Douchet Morin, ancienne sage-femme à domicile et désormais thérapeute de l'intime,<em> « ce n'est pas parce que c'est dur et intense qu'il y a un problème »</em>. C'était ce que je pensais avant, cet accouchement m'a fait prendre conscience que ce n'était qu'une croyance.</p>
<p>Il est 5 h 30 du matin, on discute tous les trois. Rose m’examine régulièrement pour surveiller la rétraction utérine et les grands frères descendent voir leur petit frère. Je ne parviens pas à dormir, j’ai les yeux rivés sur toi, calé contre moi. On restera en peau à peau jusque dans la soirée.<br />Je vois le jour se lever dans la même position depuis plusieurs heures. Je suis toute ankylosée mais je n’ose bouger de crainte de te réveiller.</p>
<p>Bienvenue en ce monde Enki, bienvenue à la lumière !!! Et merci pour cette expérience chamanique !</p>
<p><strong>Maryline Salin</strong></p>Naître à la maison2017-03-21T13:37:42+01:002017-03-21T13:37:42+01:00http://www.rebonds.net/37pourunautreenfantement/623-naitrealamaisonSuper User<p><strong>Alice a mis ses deux petites filles au monde chez elle dans la chaleur de son foyer, en toute sécurité, entourée par ses proches, grâce à l'accompagnement global de deux sages-femmes libérales. Ces expériences ne sont pas arrivées par hasard : elles sont le prolongement d'un chemin de vie qui vise notamment à reconnecter le corps et l'esprit.</strong></p>
<p><strong> </strong></p>
<p>La venue de Coline puis celle de Leïla parmi nous furent à la fois intenses et sans douleur, très rapides et presque trop faciles. J'ai vécu la première comme un passage initiatique, tandis que pour la deuxième, j'ai l'impression que cette enfant s'est mise au monde toute seule, sans que j'aie rien fait.<br />Lorsqu'on me demande quelle préparation j'ai suivie, je rappelle que ces expériences découlent aussi, selon moi, d'un long parcours initiatique entamé lorsque j'avais 30 ans. Alors utilisatrice de la pilule depuis 15 ans, j'avais décidé de me débarrasser de la chimie qui altérait mes cycles pour retrouver mon corps, me reconnecter à moi-même, à mon instinct et mon intuition. Lors des cinq années suivantes, j'ai « travaillé » sur moi, expérimentant la kinésiologie, le yoga, les cercles de femmes, le voyage au tambour chamanique, les constellations familiales, la perception des énergies qui nous entourent et nous habitent, pour finalement m'approprier mes cycles, mes corps, mon histoire, ma vie.</p>
<p>Tout a commencé par des retrouvailles, celles entre mon mental et mon corps. Me visualisant comme coupée en deux, j'ai décidé de cesser de considérer mon corps comme un vaisseau pour mon mental, et j'ai tenté de « redescendre » dans mon corps, de réunifier ces deux parties de moi. De manière active, avec la pratique du yoga (dont la racine sanskrite « jug » signifie « unir »), dont je pensais qu'elle m'apporterait de la souplesse et de la fermeté musculaire, mais qui m'a offert la possibilité de lâcher : relâcher les tensions musculaires, lâcher le mental, lâcher prise, dans la méditation et le souffle. De manière passive avec la kinésiologie, où la thérapeute va chercher dans le corps, des tensions psychiques liées à des traumatismes conservées dans les muscles, et « dénoue » la situation à la fois dans la matière et dans l'inconscient.</p>
<p><a href="http://www.rebonds.net/images/AAD/Alice-8.jpg" class="jcepopup" data-mediabox="1" data-mediabox-title="Alice (Photo : Lisa Derevycka)."><img src="http://www.rebonds.net/images/AAD/Alice-8.jpg" alt="Alice 8" width="1000" height="1498" style="border: 2px double #e2e2e2; display: block; margin-left: auto; margin-right: auto;" /></a></p>
<p>J'avais déjà effectué une thérapie à l'âge de 20 ans, alors que mon grand-père était en train de mourir, mais je sentais qu'ayant déjà abordé le problème avec le travail sur le conscient, il me fallait à présent débarquer sur les rives inconnues de l'inconscient. Une soudaine vitalité accrue, quelques rencontres décisives, et de longs et nombreux partages m'ont permis de découvrir des façons de se soigner non conventionnelles et d'oser les explorer.</p>
<p>Les cercles de femmes, puissant outil de partage et de libération consistent, pour ceux auxquels je participe (ouverts à toutes et autogérés), principalement en des cercles de parole : la prise de parole est manifestée par un bâton ou une plume, qui passe de femme en femme dans le sens horaire. Chacune à son tour peut parler, en prenant le temps qu'elle veut, pleurer, crier, rire, se taire, hésiter. Chacune prend la parole en son nom et non pas pour répondre, donner conseil à une autre ou tenter de trouver une solution. Toutes sont dans une écoute bienveillante et sans jugement (pour soi-même ou pour les autres) et rien de ce qui est dit dans le cercle n'en sort. Le cercle s'ouvre et se ferme, de différentes manières, afin de marquer le fait qu'il s'agit d'un temps qu'on s'accorde et qu'on accorde aux autres, un temps en dehors du temps, afin de placer sa conscience dans l'écoute et dans le partage. Le fait que la parole circule, sans réponse directe, induit la nécessité de prendre le temps de dire les choses justes et permet de mûrir ce que l'on choisit d'exprimer. On s'aperçoit souvent que les mots, les témoignages, les expériences des unes et les ressentis des autres résonnent en nous, nous parlent aussi de nous. C'est poignant, bouleversant et porteur. Il y a bien des fois où on apporte avec soi son insécurité, et certains cercles tanguent et se déséquilibrent. D'autres sont purs, fluides, simples et chaleureux. Ils sont en tout cas pour moi d'une nécessité presque vitale depuis bientôt six années. Ils me permettent de libérer des tensions, de déposer des fardeaux, de regagner en bien-être, en vitalité, de me remplir d'énergie.</p>
<p>Un certain nombre de femmes participant aux cercles donnent de l'importance à ce que l'on appelle le féminin sacré : se reconnecter à sa féminité, notamment à travers son cycle menstruel (dans quelle phase on se situe, comment on la vit), lui redonner la valeur qu'elle mérite mais qu'on lui accorde rarement.<br />Un certain nombre de femmes également possèdent des tambours chamaniques dont les vibrations, parfois accompagnées de chants, permettent avant tout de lâcher le mental, mais aussi parfois de partir en transe, d'accéder à un état modifié de conscience, d'entamer un voyage.<br />Ces voyages au tambour, je les ai expérimentés la plupart du temps encadrés et guidés par une chamane, mais parfois aussi de manière spontanée. Ils sont encore une autre façon d'explorer des pans de la psyché difficilement atteignables autrement, et donnent lieu à des visions, dans un état proche de l'hypnose me semble-t-il, où le conscient et l'inconscient s'entremêlent, s'unissent pour travailler ensemble.</p>
<p>J'avais déjà découvert et ressenti l'existence des énergies qui nous environnent et nous traversent, qu'on les appellent « qi » en médecine chinoise, « ki » au Japon ou « prana » en Inde. Elles circulent à travers nos méridiens, nos chakras, nos corps subtils. J'avais également pris conscience que mon alimentation pouvait être la meilleure et la plus simple des médecines, puisqu'elle intervient en amont. Et si « je suis ce que je mange », comme le propose la macrobiotique, je pouvais choisir de ne plus m'empoisonner, mais de cuisiner des aliments simples, récoltés ou achetés autour de chez moi, dans mon jardin, au bord du chemin, sur l'étal du marché ou chez le producteur.</p>
<p>Puis j'ai été amenée, par des lectures et quelques nouvelles rencontres, à découvrir la psychogénéalogie aussi appelée analyse transgénérationnelle. J'ai eu l'occasion, à plusieurs reprises, d'expérimenter les constellations familiales. Cette méthode, tenant à la fois du théâtre et de la thérapie de groupe, consiste à réunir plusieurs personnes, guidées par une thérapeute, qui vont à tour de rôle « poser » leur constellation. Ainsi, après un entretien préalable où le « constellant » explique à la thérapeute sa problématique, sa généalogie et son parcours de vie, ils déterminent ensemble un objectif. En partant de là où il en est, il décide et écrit sur un papier là où il voudrait être. Puis, sans rien révéler de cet entretien au reste de l'assistance, la thérapeute lui demande de choisir parmi les autres personnes quelqu'un pour représenter son père, sa mère, sa sœur, son objectif, et un obstacle, par exemple. Une fois de plus, il faut réussir à se détacher du mental et laisser agir le corps : ne pas trop réfléchir et laisser ses pas se diriger vers telle ou telle personne qu'elle va placer dans l'espace. Puis le « constellant » va s'asseoir et ce sont les personnes désignées, les « représentants » qui vont agir. La thérapeute va aller les voir à tour de rôle et leur demander comment ils se sentent, dans cette position, à cette place. Ce seront peut-être au départ juste des ressentis, puis des paroles fusent, des confrontations vont naître, et un schéma familial va se mettre en place, et dans le meilleur des cas, se dénouer.</p>
<p>Personnellement, j'ai vécu la première expérience de constellation familiale comme une expérience magique ; j'ai d'abord été appelée comme représentante dans un schéma familial qui s'apparentait fortement au mien. Puis, j'ai pu placer ma propre généalogie et sont sorties de la bouche des participants des choses stupéfiantes, que je n'avais même pas racontées à la thérapeute.</p>
<p>Qu'il s'agisse d'une puissante mise en réseau de nos cerveaux et de nos psychés respectives, ou d'une connexion aux ancêtres comme le propose la thérapeute, il est certain que quelque chose d'inhabituel se produit. Et comme pour la kinésiologie, si je ne comprends pas le comment du pourquoi, j'en ressens et j'en mesure les effets. Dans ce cas aussi, sans que l'on intervienne consciemment, le résultat est un « dénouement » d'une situation, d'une problématique ancrée cette fois-ci non plus dans le corps mais dans l'inconscient familial, dans le transgénérationnel. Cela permet parfois de comprendre et de gérer des traumatismes liés à des incestes, des adultères, à la guerre, des tabous, des non-dits transmis de génération en génération, qui ne nous appartiennent pas mais dont on porte le fardeau malgré nous. Et la particularité de cette méthode fait que l'on peut voir une situation, un conflit se régler, ce qui serait sans doute impossible dans la « vraie vie » puisque parfois, les personnes représentées n'existent plus, ou ne sont plus en contact. <br />Il a en tout cas été un des facteurs qui m'ont conduit à considérer non seulement mon corps, mais aussi ma psyché, et mes liens transgénérationnels, (et pourquoi pas mes vies antérieures ?) comme faisant partie d'un tout, et qui constituent mon être dans sa globalité et dans son impermanence. Ils m'ont permis entre autres, de vivre mes deux grossesses et mes deux accouchements en pleine conscience et de manière épanouissante.</p>
<p>Intenses et gros changements de vie qui ont fait bouger les lignes non seulement chez moi mais aussi chez tous ceux qui m'entourent, comme les gouttes de pluie tombant dans la mare font des ronds qui se diffusent et finissent par se toucher, s'interpénétrer. <br />Voilà pourquoi depuis je n'hésite pas à partager mon vécu, mon expérience. Voilà pourquoi je livre ici une partie de mon histoire.</p>
<p><strong><span style="color: #fc615d;">_______________________________________________</span></strong></p>
<h3>Ce jour pas comme les autres</h3>
<p><span style="font-size: 12pt;"></span><strong><span style="font-family: georgia, palatino;"><span style="color: #fc615d;">_______________________________________________</span></span></strong></p>
<p>Ma première fille est née le jour de Samhain, jour des premières gelées, et dans un soleil radieux. Je souhaite à toute femme l'accouchement que j'ai vécu ce jour-là : grâce au chemin intérieur et extérieur que j'ai parcouru depuis quelques années, grâce aux personnes qui m'entourent et me soutiennent et, surtout, grâce aux personnes qui m'ont accompagnées, mon conjoint et notre sage-femme, j'ai vécu un accouchement rapide, peu douloureux, lumineux et confiant.</p>
<p>Petit récit de ce jour pas comme les autres...</p>
<p>Vers 7 heures, je m'éveille et m'étire dans mon lit. Je sens (« j'entends » presque) quelque chose qui craque et qui se rompt. Puis, en me levant, un liquide coule sur mes jambes. Mais je crois encore à une fuite urinaire et pour cause : je suis à 37 semaines d'aménorrhée, mon bébé ne devrait pas arriver avant trois semaines ! Je file aux toilettes mais le liquide continue à couler, peu mais régulièrement. Je décide de prendre une douche avant de prendre une décision. Ce n'est pas possible que j'accouche aujourd'hui. Aujourd'hui, je dois aller former ma remplaçante qui doit prendre le relais dans ma boutique jusqu'à la fin de l'année !<br />Je dois pourtant me rendre à l'évidence : je suis en train de perdre les eaux... il est à peu près 7 h 30. Je file à l'étage réveiller mon amoureux qui s'éveille à la première mention de son nom après une courte nuit de 4 heures (nous avons fêté mon anniversaire la veille). Il a senti au ton de ma voix et à mon allure dans les escaliers que quelque chose se trame. <em>« Je crois que la poche des eaux est fissurée. Comme les sages-femmes nous l'ont expliqué, ça coule petit à petit, comme une fuite. »</em><br />Aussitôt sur le pont, mon compagnon descend se préparer un café pendant que je retourne aux toilettes afin d'être sûre de moi avant de prévenir les sages-femmes. <em>« Tu les appelles ? Tu sais laquelle est de garde cette semaine ? »</em> Non. Je leur envoie un texto à toutes les deux à 7 h 40. Bref échange de messages avant qu'elles s'organisent. À 8 h, l'une d'elles me rappelle : <em>« Tu as des contractions ? »</em> <em>« Non je ne crois pas encore ou en tout cas, elles ne sont pas douloureuses »</em> <em>« Bon, je me mets en route maintenant quand-même, je suis un peu plus loin que d'habitude, j'en ai pour trois heures. On se tient au courant par textos. »</em> En raccrochant une grosse contraction fait couler plein d'eau d'un seul coup. Plus de doute : on y est. Il est 8h30.</p>
<p><span style="color: #ff615d;"><strong><span style="font-size: 14pt;">Un papa formidable, épatant, précieux<br /></span></strong></span></p>
<p>Au début je pense encore pouvoir faire des choses : un petit déjeuner, un coup de fil... mais bien vite, les contractions se rapprochent. À 9 h, elles se produisent toutes les cinq minutes environ : le vrai travail a déjà commencé. Moi, je ne me rends compte de rien, mais pour mon conjoint, c'est le branle-bas de combat. Pendant plusieurs heures, il va tout gérer : téléphoner à ma remplaçante au travail, transformer le salon en salle d'accouchement, booster le poêle pour s'approcher des 25 degrés, trouver quelqu'un pour aller récupérer le clamp ombilical commandé à la pharmacie (dernier élément de la liste de naissance dressée par les sage-femmes)... Heureusement, il a commencé par se prendre un temps pour lui dehors avec un petit café, comme pour mieux se préparer pour la suite. Au fil des heures, cet homme va se révéler à mes yeux, plus formidable, épatant, précieux, que je ne l'avais imaginé.</p>
<p>Il était pourtant plus que frileux, voire pas convaincu (ou simplement effrayé par les risques pour moi et le bébé) quant à ce choix d'accoucher à la maison. Moi-même, avant d'être enceinte, ne m'étais jamais projetée dans ce type de démarche. Je ne voulais d'ailleurs pas entendre parler de « projet » de naissance. La chose me paraissait superficielle, déconnectée de la réalité, pas authentique. Je connaissais en outre quelques personnes qui avaient accouché chez elles, dont une amie qui m'avait dit à l'époque :<em> « il faut beaucoup se préparer ».</em> Et ces mots n'étaient pas pour me plaire. Je me disais alors : <em>« pas question de m'entraîner comme pour un marathon, de consulter livres, spécialistes pour tout apprendre de l'enfantement »</em>. Il faut dire que cette amie avait donné naissance à deux de ses enfants seuls avec son conjoint, dans leur yourte. Ils avaient dû parer à toute éventualité, acquérir bouteille d'oxygène et connaissances techniques. Mais leur témoignage rendait compte d'une expérience lumineuse, fluide, chaleureuse. Ce couple, et d'autres, ont ouvert la voie.</p>
<p><span style="font-size: 14pt;"><span style="color: #ff615d;"><strong>Deux rencontres, deux personnalités, deux forces</strong></span><br /></span></p>
<p>Lorsque j'ai appris que j'étais enceinte et que nous avons décidé d'accueillir cette étincelle de vie qui se manifestait en moi, tout a changé. La lecture de divers ouvrages me permit de me rendre compte que j'avais un avis pour le moins critique sur la surmédicalisation assez répandue de cet acte lorsqu'il est pratiqué en hôpital ou en clinique. Le témoignage d'amies ayant accouché dans les maternités du coin confirma mon point de vue : je n'avais nullement envie que cet être, dès sa venue sur Terre, vive le traumatisme d'une péridurale, de tuyaux enfoncés dans le nez, de « soins » lui retirant toutes les protections fabriquées naturellement. J'étais en fin de compte fermement convaincue qu'un bon environnement, matériel, physique et psychique était ce qui permettait le mieux un accouchement sans complications. Matériel, c'est-à-dire un environnement chaleureux, doux, rassurant, un cocon intime, sans source de stress ; physique, en ce qui concerne la grossesse en elle-même, qui doit être physiologique et non pathologique ; et pour l'environnement psychique, peut-être le plus important, il s'agit d'avoir évacué toutes les peurs, les angoisses, les stress pour pouvoir se laisser aller, lâcher prise, laisser venir ce qui vient. Pour moi, cela se résumait à des peurs très pragmatiques que j'ai libérées en en faisant part aux personnes concernées, acte courageux mais ô combien libérateur.</p>
<p>Je savais surtout qu'une alternative était possible : deux sages-femmes libérales pratiquant l'accouchement à domicile et très motivées acceptaient de se déplacer à plus de deux heures de chez elles pour accompagner les futurs parents. C'était pour moi une question de confiance : je faisais moins confiance à la technologie, la chimie industrielle, et à un système de santé déshumanisé à mon sens autant envers les patients que ses praticiens, qu'à des mains expertes, respectueuses et averties des cycles naturels, des capacités du corps de la femme, de la force des émotions et des sensations. J'avais aussi et surtout confiance en moi et en mon bébé, comme si je savais que tout allait bien se passer, comme si j'avais la foi ; je sentais la puissance de mon corps.<br />Nous sommes tout de même allés visiter une maternité afin d'observer, de connaître toutes les possibilités que nous avions, dépasser la peur de l'inconnu par la rencontre. Et nous sommes allés voir les sages-femmes.</p>
<p><a href="http://www.rebonds.net/images/AAD/dessin_alince_1.jpg" class="jcepopup" data-mediabox="1" data-mediabox-title="Dessin : Alice F."><img src="http://www.rebonds.net/images/AAD/dessin_alince_1.jpg" alt="dessin alince 1" width="506" height="564" style="border: 2px double #e2e2e2; display: block; margin-left: auto; margin-right: auto;" /></a></p>
<p>Deux rencontres, deux personnalités, deux forces. De la puissance chez l'une et de la douceur chez l'autre, mais une écoute et des compétences manifestes qui ont gagné notre confiance.<br />Ce mot est essentiel : elles avaient autant besoin d'avoir confiance en nous que nous en elles. Et pour moi, la préparation à l'accouchement semble se résumer (mais non se réduire) à des rendez-vous où nous discutions ensemble. D'abord, pour se connaître, comprendre d'où venait notre décision, sur quoi elle reposait. Puis, pour nous expliquer par le menu comment se déroulait physiologiquement un accouchement, étape par étape, en gardant bien sûr à l'esprit que dans la vie, rien n'est comme dans les livres.</p>
<p><span style="color: #ff615d;"><strong><span style="font-size: 14pt;">Je visualise une porte pour le bébé : c'est par là...<br /></span></strong></span></p>
<p>Par exemple, bien que les sage-femmes nous aient dit à plusieurs reprises que pour un premier accouchement, on aurait du temps (parfois jusqu'à six ou sept heures de travail), je crois que nous avons tous senti assez vite ce jour-là que ce serait rapide. Après coup, notre sage-femme m'a appris qu'elle avait passé une bonne partie de son trajet à serrer les fesses en m'enjoignant mentalement de l'attendre ! J'ai commencé tranquillement à gérer mes contractions dans mon canapé, sur mon ballon de yoga, suspendue à une chaise ou à quatre pattes sur les couches de tapis disposées généreusement par mon amoureux, en communiquant régulièrement par textos (très pratique pour ne pas paniquer devant un saignement - <em>« le col bouge, c'est très bien ! »</em> - ou pour confirmer la perte du bouchon muqueux). Vers 10 h 45, je m'interroge : le bébé ne va-t-il pas arriver avant la sage-femme ? Les contractions de plus en plus fortes se rapprochent et je sens mon bassin bouger sous la pression du bébé.</p>
<p>Je fais appel à mon compagnon pour qu'il accompagne la douleur en massant le bas du dos et en appuyant fortement sur le sacrum afin de contenir les vibrations du bassin. Il m'annonce que la sage-femme n'en a plus que pour une heure. Une heure, ça va, je peux gérer. Je commence à avoir vraiment chaud et je me déshabille pour être plus à l'aise. Je continue à faire des aller-retours aux toilettes entre chaque contraction puis se produit un premier réflexe d'expulsion : je crie. Entendons-nous bien, dès le début, j'ai vocalisé : de beaux et profonds sons graves montent en moi pour accompagner, transcender la douleur. Mais là, c'est différent. J'ai reconnu le cri rauque et puissant de femme sauvage décrit par les sages-femmes. Le bébé vient !</p>
<p>Quelques minutes plus tard, mon conjoint m'annonce que la sage-femme est là. Il ne perd pas son sang-froid mais m'a avoué ensuite qu'en voyant alors l'expression sur mon visage, il a senti qu'il avait peut-être commis une erreur : je ressens son arrivée comme un véritable soulagement et me relâche, alors qu'il va lui falloir un peu plus de temps pour être prête. Elle vient en fait seulement de se garer devant la maison !<br />Il est approximativement 11 h 30. Elle va avoir à peine le temps de se préparer, de donner quelques indications au futur papa : <em>« il faut une bassine d'eau, un gant. Bon, installe-toi derrière elle, là ».</em> Elle assemble un petit tabouret d'accouchement en forme de fer à cheval et me voilà accroupie, dans la lumière du soleil, mon amour dans le dos qui, gagné par l'émotion, pleure à chaudes larmes, ma main cramponnée à la sienne et mes yeux plongés dans les yeux bleus de la sage-femme. Elle me guide de sa voix douce :<em> « repose-toi entre chaque poussée ». </em>Elle prend soin de moi en me nettoyant, en appliquant un gant d'eau chaude sur mon périnée pour le détendre. J'ai un bref moment de désespérance, ce moment de peur et d'angoisse intense, où je sens ce qui se trame et vraiment, ce n'est pas possible, ça ne va jamais passer ! Puis, je me remémore les conseils précieux de ma prof de yoga : la seule solution est de se détendre et de relâcher le périnée. Si j'ai peur et que je me contracte, c'est sûr que je vais souffrir... Au même moment, je visualise une porte blanche, lumineuse pour le bébé : c'est par là...</p>
<p><span style="font-size: 14pt;"><span style="color: #ff615d;"><strong>J'ai fait un cadeau à cette personne : une naissance harmonieuse</strong></span><br /></span></p>
<p>Encore quelques poussées et mon enfant apparaît, tout en longueur, le crâne déformé, recouvert du vernix blanc et de sang. J'éprouve à la fois de l'incrédulité (comment tenait-il dans mon ventre ?) et beaucoup de fierté : j'y suis arrivée, je l'ai fait !<br />Puis je cherche des yeux la vulve ou le pénis : c'est une fille ! L'émotion m'étreint : <em>« on a une fille » </em>! On l'enveloppe dans une serviette chaude et hop, contre ma peau.</p>
<p><a href="http://www.rebonds.net/images/AAD/coline.JPG" class="jcepopup" data-mediabox="1" data-mediabox-title="Coline (photo : Alice F.)."><img src="http://www.rebonds.net/images/AAD/coline.JPG" alt="coline" width="1000" height="750" style="border: 2px double #e2e2e2; display: block; margin-left: auto; margin-right: auto;" /></a><br />Les heures suivantes sont consacrées à se restaurer (nous n'avons rien mangé depuis le réveil), à la première tétée, à la délivrance et aux soins de la maman : deux points de suture pour deux micro-déchirures sur les lèvres (traitées ensuite avec des cataplasmes à l'argile verte et à l'eau florale d'hélicryse). Pour le bébé, rien. On laisse le cordon battre jusqu'au bout et on ne lave pas l'enfant : le vernix sera rapidement absorbé par la peau. Je m'occupe de couper le cordon, effectuant là un geste éminemment symbolique : c'est moi qui matérialise la séparation entre ma fille et moi.<br />Je suis très heureuse d'avoir pu offrir ce que je considère comme un cadeau à cette personne : une naissance harmonieuse et pleine de douceur. D'un autre côté, ce petit être décidé et fonceur, en arrivant un peu en avance, nous a peut-être épargné une attente et une montée d'angoisse. Sa venue au monde en quelques heures et avec des douleurs très supportables (du même acabit que celles que j'ai appris à gérer lors de mes lunes, ou en me faisant tatouer), est pour moi un véritable présent.<br />Après cette venue au monde presque magique, viennent le bonheur des premières découvertes et les difficultés inhérentes à l'apprentissage d'être parent. Coline imprègne notre vie de joie, de vivacité, d'espièglerie, d'intelligence fine, de rires et de pleurs intenses.</p>
<p><strong><span style="color: #fc615d;">_______________________________________________</span></strong></p>
<h3>Renaître à moi-même</h3>
<p><strong><span style="font-family: georgia, palatino;"><span style="color: #fc615d;">_______________________________________________</span></span></strong><span style="color: #ff615d;"><span style="font-size: 14pt;"></span></span></p>
<p>Deux ans ont passé et voilà qu'un nouvel être pointe le bout de son embryon, alors qu'on ne s'y attendait pas encore... L'acceptation de cette deuxième grossesse sera beaucoup plus difficile et va me demander de remettre en cause bien des choses dans ma vie, de bouleverser mes habitudes. Mieux, elle m'offre l'occasion de changer, de mourir à certaines choses, pour renaître à moi-même.</p>
<p>Dès le début, ces deux grossesses et ces deux venues au mondes, ces deux enfants s'avèrent bien différentes. Alors que je me sentais très en confiance lors de la première, j'ai l'impression que le doute et l'angoisse ont habité ces quelques huit mois de grossesse. Pas tant au niveau pratique puisque je me sens suffisamment en confiance pour éventuellement donner naissance en maternité : nous avons en effet appris en début d'année que les deux sages-femmes qui nous avaient suivies sont mises en causes dans deux accouchements ayant nécessité un transfert à l'hôpital, et ne font plus d'accouchement à domicile<em> (lire en encadré et la rubrique (Ré)acteurs</em>).</p>
<p>Mais ayant déjà accouché une fois, je pense connaître mon corps suffisamment et reconnaître les signes, les sensations qui me permettront d'orienter le corps médical vers un accouchement qui me convient. L'accouchement non accompagné (ANA) me fait encore trop peur, et mon conjoint ne serait pas d'accord non plus. C'est plus la finalité, le fait d'avoir deux enfants, de devoir partager mon cœur de mère en deux, l'impression de trahir chaque enfant en accordant (trop ?) d'attention à l'autre qui m'angoisse au plus haut point. C'est sur ce point-là que je vais travailler pour évacuer la peur, me renseigner, demander à tous les parents que je rencontre comment ils ont fait. La plupart du temps, j'entends : <em>« deux enfants rapprochés ? Tu vas voir, ça va être génial, un peu sport au début, mais ça va passer... »</em>. Ce qui n'est pas fait pour me rassurer. Je me doute bien que le <em>« un peu sport au début »</em> recouvre une toute autre réalité. Mais ce qui arrive est sans doute juste, à nous de nous adapter...</p>
<p><span style="font-size: 14pt;"><span style="color: #ff615d;"><strong>Connaissance du corps et intuition</strong></span><br /></span></p>
<p>Et puis un jour, sur le conseil d'une amie, j'appelle quand même la sage-femme, au-moins pour lui demander des conseils. Elle m'apprend alors que malgré son instruction judiciaire, elle reste en capacité d'exercer et pourra nous accompagner jusqu'à l'accouchement. C'est la cerise sur le gâteau, le bonus de cette grossesse : je vais pouvoir de nouveau accoucher chez nous ! Je vais pouvoir de nouveau être entourée de sa douceur et de sa force, de sa guidance et de son enseignement. Sur les deux sages-femmes qui m'avaient suivie pour la première grossesse, elle seule est encore en exercice près de chez nous. Sa collègue, qui nous avait accouché alors, a déménagé. Je ressens comme une chance d'expérimenter un accouchement avec cette deuxième personne.</p>
<p>L'accompagnement passe à nouveau par beaucoup d'échanges : mais comme on se connaît déjà, on a juste à affiner des ressentis, à préciser des sensations ou des bouleversements. Une fois de plus, le psychique est autant concerné que le physiologique : par exemple, la perte d'un caillot de sang me permet de me rendre compte à quel point je tiens à cet enfant et, sur les conseils de la sage-femme, je prends un peu de repos et commence à lever le pied pour prendre soin de moi et de lui ou elle. L'intuition intervient beaucoup également : ainsi, au fur et à mesure que les mois avancent, la sage-femme et moi-même nous accordons sur le fait que le ou la bébé devrait arriver en avance et vite. C'est aussi sa connaissance du corps des femmes, notre connaissance du mien en particulier, et ma première expérience en tant que parturiente qui nous permettent d'en arriver à cette conclusion : Coline était arrivée trois semaines en avance ; comme précédemment les ligaments sont très lâches et la matrice est prête à enfanter dès la fin de l'année, ce qui me fait même craindre d'accoucher prématurément. <br />C'est ce qui marquera d'ailleurs la fin de ma grossesse : je compte les jours jusqu'à la fin de la 37e semaine d'aménorrhée à partir de laquelle je peux enfin accoucher à la maison, sans risque pour moi ou l'enfant. Et si les pronostics vont bon train, je sens que cet.te enfant ne va plus tarder à pointer le bout de son nez...</p>
<p><span style="font-size: 14pt;"><span style="color: #ff615d;"><strong>« Si tu viens, viens franchement... »</strong></span><br /></span></p>
<p>Voici le récit de sa naissance, arrivée si vite que l'AAD (Accouchement A Domicile) s'est presque transformé en ANA (Accouchement Non Assisté)...<br />En effet, vendredi 3 janvier, après un massage du bassin surprise par une amie la veille et une séance de photos intensive le matin-même, je ressens dans la soirée plusieurs contractions mais je ne m'inquiète pas tellement et me dis que j'ai trop tiré sur la corde. Après un peu de repos, ça ira mieux... <br />Pourtant, je suis réveillée à 4 h 35 par un mouvement du bébé qui fait craquer mon bassin (comme un tremblement de terre intérieur) et couler un peu de liquide. Je fais juste<em> « ho, ho »,</em> étonnée par la sensation, mais cela réveille aussitôt mon conjoint. Je vais vérifier si le liquide continue de couler mais, plus rien... Je retourne me coucher et attend la suite. Une autre contraction refait couler un peu de liquide : cette fois, ça y est, on peut prévenir la sage-femme.</p>
<p>Nous commençons doucement à nous préparer : booster le poêle pour augmenter la température de la pièce, sortir les tapis à disposer par terre, vérifier qu'il ne manque rien...<br />Comme la première fois, chaque contraction s'accompagne d'un aller-retour aux toilettes pour évacuer des selles liquides, signe de l'arrivée du bébé (à tel point que certains parents les ont appelées les « sentinelles »). Mais les contractions sont très douces, peu douloureuses, et je les accompagne en bougeant le bassin. Je me sens tranquille, sereine. Un peu coupable aussi, même si je n'y suis pour rien : <em>« désolée,</em> dis-je à mon chéri,<em> ça remet en cause tout le planning du week-end qui devait être consacré au montage du plancher de la yourte ».</em> Lui me rassure tout de suite : <em>« tout va bien, le bébé vient quand il veut, à nous de nous adapter, il n'y a pas de problème ».</em> Je me souviens d'avoir, à ce moment-là, dit au bébé quelque chose comme : <em>« bon si tu viens, viens franchement, ne fais pas semblant »</em>.</p>
<p>Je m'occupe alors d'installer l'écharpe de portage pour me suspendre, tandis que mon amour va récupérer des affaires à l'étage, et en profite pour réveiller ma mère (je lui avais demandé de l'aide pour les dernières semaines de grossesse, en me disant qu'elle serait là si besoin, le jour de l'accouchement, pour s'occuper de la grande sœur, âgée de 2 ans et 2 mois). Ma mère descend, m'embrasse, assez émue, et je note dans un carnet l'heure de la dernière contraction pour voir si elles se rapprochent. Il est 5 h 15, je n'aurai pas le temps d'en noter d'autres...</p>
<p><span style="color: #ff615d;"><strong><span style="font-size: 14pt;">Une décharge de bonheur et de plaisir<br /></span></strong></span></p>
<p>La prochaine m'emmène une fois de plus aux toilettes et là, d'un seul coup, c'est l'expulsion : je sens la tête du bébé qui sort ! Je crie :<em> « c'est maintenant ! Le bébé arrive ! »</em> Je pousse un rugissement qui réveille ma fille. Je demande des serviettes à mettre par terre, puis ma mère file à l'étage s'occuper de la grande qui pleure, tandis que mon amoureux me prévient qu'il appelle les pompiers, puisque la sage-femme n'aura pas le temps d'arriver.</p>
<p><a href="http://www.rebonds.net/images/AAD/dessin_alice_2.jpg" class="jcepopup" data-mediabox="1" data-mediabox-title="Dessin : Alice F."><img src="http://www.rebonds.net/images/AAD/dessin_alice_2.jpg" alt="dessin alice 2" width="592" height="543" style="border: 2px double #e2e2e2; display: block; margin-left: auto; margin-right: auto;" /></a><br />Moi, pendant ce temps, j'ai réussi à descendre des toilettes et je suis à genoux, la tête du bébé dans mes mains. Je sens sa bouche, ses yeux, son nez, et soudain je panique : <em>« il ne bouge pas ! Le bébé ne respire pas ! » </em>Je pense qu'il est mort, mais je me dis que vivant ou mort, il faut bien qu'il sorte... Je précise que tout ça se passe en quelques secondes, mais l'adrénaline permet de distinguer chaque moment comme s'il s'étirait.<br />Ma main sur sa tête accompagne le mouvement de rotation qui permet à ma petite fille de sortir et je l'accueille entre mes mains, très émue. Elle a des cheveux bruns, comme moi à ma naissance !! Lovée en boule dans mes mains, elle ouvre les yeux et pleure : tout va bien, elle respire ! Il est 5 h 23, soit 50 minutes (et environ 5 contractions) depuis les prémices...<br />J'entends ma grande fille qui dit « oh bébé est là ». Une décharge de plaisir et de bonheur m'envahit ! Mon conjoint annonce aux pompiers : <em>« le bébé est là ». </em>Lorsqu'il a raccroché, je lui demande de l'aide pour retirer mon t-shirt (je ne sais même plus comment on a fait) ; je veux vite la coller contre moi pour la réchauffer.</p>
<p><span style="font-size: 14pt; color: #ff615d;"><strong>L'arrivée des pompiers et des médecins<br /></strong></span></p>
<p>Puis, je vais me poser dans le salon en annonçant à ma mère qu'elles peuvent descendre. J'ai tellement envie de partager ça avec elles aussi !<br />Et là les pompiers arrivent, c'est le branle-bas de combat dans la maison, qui va être envahie de monde : d'abord, trois pompiers qui me posent une horrible couverture de survie et veulent tout de suite couper le cordon. J'ai beau leur dire que je veux attendre qu'il cesse de battre, je crois qu'ils ne m'entendent même pas... Mon conjoint, qui se sentait prêt cette fois à s'en occuper, n'en aura pas l'occasion.</p>
<p>Une infirmière pompier me pose plein de questions et surtout si je vais bien, plusieurs fois. Moi, je suis dans une bulle de sérénité et de décharge puissante d'hormones, complètement stone, et ma fille a trouvé mon sein, donc oui, tout va bien. J'ai même abandonné l'histoire du cordon et, lucide, je préfère me préparer pour des batailles plus importantes. J'apprends en effet que les médecins du SMUR arrivent et j'entends parler de transfert. Je demande à l'infirmière : <em>« qui va s'occuper du placenta ? ». </em>Je lui précise qu'il était prévu d'accoucher à la maison, avec une sage-femme, qu'on l'a déjà fait pour la première, et qu'on voudrait si possible rester à la maison. Mais eux ne sont pas en mesure de décider, ce sont les médecins qui vont prendre le relais maintenant.<br />Et ils arrivent, en blouses blanches, après les uniformes noir et argent des pompiers. Un homme et deux femmes, une toute jeune très souriante et une plus âgée et un peu plus stricte, ou stressée. C'est elle qui prend les choses en main et me demande de m'allonger pour expulser le placenta, en m'appuyant sur le ventre tout en me demandant si j'ai des contractions. Je n'en ai pas, mais je suis très mal installée et sens vite que rien ne va sortir comme ça. Je leur demande de me laisser m'accroupir et en tirant un peu sur le cordon, le placenta sort tout de suite. Elle vérifie que tout est là et demande à sa collègue un sac poubelle. Je leur dis alors que je souhaite le garder et prenant les choses en main, je demande au papa une bassine. Interloquées, elles s'interrogent du regard, et puis : <em>« oui, c'est à vous, vous pouvez le garder ».</em></p>
<p>Les pompiers leur font part de notre volonté de rester chez nous. Après quelques pourparlers, le médecin finit par lancer sur un ton rigolard : <em>« de toute façon, on ne va pas vous menotter pour vous forcer à y aller ! »</em> Ouf, ça détend l'atmosphère. Après un coup de fil à la maternité qui nous enjoint de venir faire une visite de contrôle dans les deux jours, et après nous avoir demandé cinq ou six fois si la sage-femme allait bien venir, tout ce petit monde remballe ses affaires et revient nous saluer avant de partir (les pompiers surtout étaient tout heureux : on a dû faire causer dans les chaumières !!).</p>
<p>On se retrouve alors en famille, les uns au petit dèj', Bébé et moi bien au chaud dans nos draps, enfin au calme, mesurant la chance d'avoir pu rester chez nous.</p>
<p><a href="http://www.rebonds.net/images/AAD/rencontre.JPG" class="jcepopup" data-mediabox="1" data-mediabox-title="Coline et Leïla (Photo : Alice F)."><img src="http://www.rebonds.net/images/AAD/rencontre.JPG" alt="rencontre" width="1000" height="1333" style="border: 2px double #e2e2e2; display: block; margin-left: auto; margin-right: auto;" /></a></p>
<p><br />La sage-femme, qui n'a finalement même pas eu le temps de partir, arrivera plus tard dans la journée pour nous aider dans les premiers soins à la mère et à l'enfant. Dans les quelques temps calmes volés dans la journée, nous arriverons à nous poser avec mon amoureux, pour choisir un prénom à cette toute petite (49 centimètres, 2,890 kg) arrivée comme un bouchon de champagne sur le seuil des toilettes le samedi 4 janvier à 5 h 23.<br />Heureusement, nous n'en étions pas au premier accouchement à domicile, et ayant senti qu'il serait rapide (col souple et bassin hyperlaxe lors des derniers examens), la sage-femme et moi avions bien potassé la possibilité d'avoir à accueillir seule le bébé. Personnellement, seule la délivrance m'angoissait, ne sachant pas reconnaître un placenta entier, le risque d'hémorragie me faisait peur. Je pense que mon conjoint a bien fait d'appeler les pompiers, au cas où quelque chose se serait mal passé. On aurait pu être transférées rapidement à l'hôpital à 25 minutes de chez nous.<br />On se sent à la fois chanceux que tout se soit bien passé, sans douleur et sans heurts, mais on a aussi le sentiment de ne pas avoir vraiment vécu cet accouchement, pris que nous étions par le pragmatisme du moment. Preuve une fois encore, que tout ne se passe pas toujours comme on l'avait prévu...</p>
<p><strong>Retrouvez les témoignages précédents de David et Maryline : <a href="http://www.rebonds.net/37pourunautreenfantement/621-lanaissancedenki">http://rebonds.net/37pourunautreenfantement/621-lanaissancedenki</a> </strong></p>
<div class="panel panel-primary">
<div class="panel-heading">
<h3 class="panel-title">Un acte avec une portée politique</h3>
</div>
<ul>
<li>Alice s'exprime sur la radiation de la sage-femme Rose Faugeras (<em>lire aussi la rubrique (Ré)acteurs</em>). <em>«</em> J'avoue qu'au départ cela m'a peu touché, je ne me sentais pas concernée et, surtout, je ne pensais pas qu'elle pouvait être mise en cause. Je la trouvais si professionnelle et si attachante, rayonnante. Rien de mal ne pouvait lui arriver, puisqu'elle ne pouvait faire que du bien. Je savais qu'elle ne prenait plus de nouvelles patientes, étant surchargée de boulot. Et puis, les rumeurs circulant par des amies l'ayant vue en consultation ou l'ayant contactée pour un AAD, m'ont appris qu'elle ne faisait plus d'accompagnement global, que du suivi de grossesse ou gynécologique. Aussi, lorsque j'ai su que j'étais enceinte d'un deuxième enfant, ai-je tout de suite évacué l'idée d'un AAD de mon esprit. Mais comme je me posais des questions sur mon début de grossesse, j'ai fini par la contacter tout de même. C'est ainsi que j'en ai su davantage sur sa situation : elle était mise en cause par l'ARS (Agence Régionale de Santé) et l'Ordre des sages-femmes, dans une affaire où il n'y avait pas eu d'erreurs, où les mamans et les bébés allaient bien. Cela paraissait absurde. Nous avons beaucoup discuté de tout ça au fil des mois, pour nous rassurer les uns les autres, savoir où nous en étions par rapport à tout ça (la confiance mutuelle tellement importante). Et de la même manière qu'on savait qu'elle ne nous lâcherait pas, nous l'avons toujours soutenue, mon conjoint et moi. Elle nous a toujours paru forte et positive, même si fatiguée et abattue, et nous lui avons toujours assuré que nous étions avec elle, à ses côtés.<br />Cette affaire, et tant d'autres, m'ont donné envie de m'engager : j'ai adhéré aux différentes associations de défense de l'AAD et des professionnelles le pratiquant. Plus je me renseignais, plus je me disais combien cet acte avait une portée politique : il s'agit d'un droit, bafoué par méconnaissance, par des peurs irrationnelles, et pour aller plus loin, par une mainmise patriarcale de la médecine, des médecins, de l'hôpital géré comme une entreprise, sur le corps et le ressenti des femmes.<br />Le verdict est finalement tombé quelques jours après la naissance de Leïla... Radiée ! Je n'arrivais pas à y croire, j'étais estomaquée, sans voix. Je lui ai aussitôt envoyé un message lui disant combien j'étais triste pour elle. Quand j'en ai parlé à mon conjoint, c'est la colère qui nous a animés. Quelle injustice ! Quelle absurdité ! Alors même que dans les hôpitaux le personnel est débordé et les patientes sont parfois livrées à elles-mêmes voire maltraitées ; alors même que toute la technologie médicale n'empêche pas des bébés et des femmes de mourir, parfois par négligence, parfois par incompétence et parfois par hasard et par malheur, comme partout, on empêche une femme compétente, douce et chaleureuse d'accompagner des parents dans la mise au monde de leur enfant, dans la joie, l'apaisement et la sécurité. Mais elle tient bon, et nous la soutiendrons de toutes nos forces et par tous les moyens à notre disposition, jusqu'au bout.<br />Plus que jamais, je veux témoigner, partager mon expérience auprès des personnes qui pensent que l'accouchement, c'est à l'hôpital avec une péri, que nous sommes fous et inconscients, que nous nous mettons en danger, nous et nos bébés, que <em>« la souffrance, c'est tendance » </em>(<a href="https://charliehebdo.fr/2020/06/societe/accouchement-la-souffrance-cest-tendance-2/">https://charliehebdo.fr/2020/06/societe/accouchement-la-souffrance-cest-tendance-2/</a>). Accoucher chez soi sans douleur et sans sur-médicalisation, c'est possible ! Bien accompagnée, avec un.e professionnel.le dans de bonnes conditions, ce n'est pas dangereux.<br />Pour finir j'ajouterai en manière de punchlines :<br />Accoucher chez moi, c'est mon droit, c'est mon choix.<br />Le risque zéro n'existe pas.<br />Pourquoi irais-je à l'hôpital pour accoucher ? Je ne suis pas malade !</li>
</ul>
</div><p><strong>Alice a mis ses deux petites filles au monde chez elle dans la chaleur de son foyer, en toute sécurité, entourée par ses proches, grâce à l'accompagnement global de deux sages-femmes libérales. Ces expériences ne sont pas arrivées par hasard : elles sont le prolongement d'un chemin de vie qui vise notamment à reconnecter le corps et l'esprit.</strong></p>
<p><strong> </strong></p>
<p>La venue de Coline puis celle de Leïla parmi nous furent à la fois intenses et sans douleur, très rapides et presque trop faciles. J'ai vécu la première comme un passage initiatique, tandis que pour la deuxième, j'ai l'impression que cette enfant s'est mise au monde toute seule, sans que j'aie rien fait.<br />Lorsqu'on me demande quelle préparation j'ai suivie, je rappelle que ces expériences découlent aussi, selon moi, d'un long parcours initiatique entamé lorsque j'avais 30 ans. Alors utilisatrice de la pilule depuis 15 ans, j'avais décidé de me débarrasser de la chimie qui altérait mes cycles pour retrouver mon corps, me reconnecter à moi-même, à mon instinct et mon intuition. Lors des cinq années suivantes, j'ai « travaillé » sur moi, expérimentant la kinésiologie, le yoga, les cercles de femmes, le voyage au tambour chamanique, les constellations familiales, la perception des énergies qui nous entourent et nous habitent, pour finalement m'approprier mes cycles, mes corps, mon histoire, ma vie.</p>
<p>Tout a commencé par des retrouvailles, celles entre mon mental et mon corps. Me visualisant comme coupée en deux, j'ai décidé de cesser de considérer mon corps comme un vaisseau pour mon mental, et j'ai tenté de « redescendre » dans mon corps, de réunifier ces deux parties de moi. De manière active, avec la pratique du yoga (dont la racine sanskrite « jug » signifie « unir »), dont je pensais qu'elle m'apporterait de la souplesse et de la fermeté musculaire, mais qui m'a offert la possibilité de lâcher : relâcher les tensions musculaires, lâcher le mental, lâcher prise, dans la méditation et le souffle. De manière passive avec la kinésiologie, où la thérapeute va chercher dans le corps, des tensions psychiques liées à des traumatismes conservées dans les muscles, et « dénoue » la situation à la fois dans la matière et dans l'inconscient.</p>
<p><a href="http://www.rebonds.net/images/AAD/Alice-8.jpg" class="jcepopup" data-mediabox="1" data-mediabox-title="Alice (Photo : Lisa Derevycka)."><img src="http://www.rebonds.net/images/AAD/Alice-8.jpg" alt="Alice 8" width="1000" height="1498" style="border: 2px double #e2e2e2; display: block; margin-left: auto; margin-right: auto;" /></a></p>
<p>J'avais déjà effectué une thérapie à l'âge de 20 ans, alors que mon grand-père était en train de mourir, mais je sentais qu'ayant déjà abordé le problème avec le travail sur le conscient, il me fallait à présent débarquer sur les rives inconnues de l'inconscient. Une soudaine vitalité accrue, quelques rencontres décisives, et de longs et nombreux partages m'ont permis de découvrir des façons de se soigner non conventionnelles et d'oser les explorer.</p>
<p>Les cercles de femmes, puissant outil de partage et de libération consistent, pour ceux auxquels je participe (ouverts à toutes et autogérés), principalement en des cercles de parole : la prise de parole est manifestée par un bâton ou une plume, qui passe de femme en femme dans le sens horaire. Chacune à son tour peut parler, en prenant le temps qu'elle veut, pleurer, crier, rire, se taire, hésiter. Chacune prend la parole en son nom et non pas pour répondre, donner conseil à une autre ou tenter de trouver une solution. Toutes sont dans une écoute bienveillante et sans jugement (pour soi-même ou pour les autres) et rien de ce qui est dit dans le cercle n'en sort. Le cercle s'ouvre et se ferme, de différentes manières, afin de marquer le fait qu'il s'agit d'un temps qu'on s'accorde et qu'on accorde aux autres, un temps en dehors du temps, afin de placer sa conscience dans l'écoute et dans le partage. Le fait que la parole circule, sans réponse directe, induit la nécessité de prendre le temps de dire les choses justes et permet de mûrir ce que l'on choisit d'exprimer. On s'aperçoit souvent que les mots, les témoignages, les expériences des unes et les ressentis des autres résonnent en nous, nous parlent aussi de nous. C'est poignant, bouleversant et porteur. Il y a bien des fois où on apporte avec soi son insécurité, et certains cercles tanguent et se déséquilibrent. D'autres sont purs, fluides, simples et chaleureux. Ils sont en tout cas pour moi d'une nécessité presque vitale depuis bientôt six années. Ils me permettent de libérer des tensions, de déposer des fardeaux, de regagner en bien-être, en vitalité, de me remplir d'énergie.</p>
<p>Un certain nombre de femmes participant aux cercles donnent de l'importance à ce que l'on appelle le féminin sacré : se reconnecter à sa féminité, notamment à travers son cycle menstruel (dans quelle phase on se situe, comment on la vit), lui redonner la valeur qu'elle mérite mais qu'on lui accorde rarement.<br />Un certain nombre de femmes également possèdent des tambours chamaniques dont les vibrations, parfois accompagnées de chants, permettent avant tout de lâcher le mental, mais aussi parfois de partir en transe, d'accéder à un état modifié de conscience, d'entamer un voyage.<br />Ces voyages au tambour, je les ai expérimentés la plupart du temps encadrés et guidés par une chamane, mais parfois aussi de manière spontanée. Ils sont encore une autre façon d'explorer des pans de la psyché difficilement atteignables autrement, et donnent lieu à des visions, dans un état proche de l'hypnose me semble-t-il, où le conscient et l'inconscient s'entremêlent, s'unissent pour travailler ensemble.</p>
<p>J'avais déjà découvert et ressenti l'existence des énergies qui nous environnent et nous traversent, qu'on les appellent « qi » en médecine chinoise, « ki » au Japon ou « prana » en Inde. Elles circulent à travers nos méridiens, nos chakras, nos corps subtils. J'avais également pris conscience que mon alimentation pouvait être la meilleure et la plus simple des médecines, puisqu'elle intervient en amont. Et si « je suis ce que je mange », comme le propose la macrobiotique, je pouvais choisir de ne plus m'empoisonner, mais de cuisiner des aliments simples, récoltés ou achetés autour de chez moi, dans mon jardin, au bord du chemin, sur l'étal du marché ou chez le producteur.</p>
<p>Puis j'ai été amenée, par des lectures et quelques nouvelles rencontres, à découvrir la psychogénéalogie aussi appelée analyse transgénérationnelle. J'ai eu l'occasion, à plusieurs reprises, d'expérimenter les constellations familiales. Cette méthode, tenant à la fois du théâtre et de la thérapie de groupe, consiste à réunir plusieurs personnes, guidées par une thérapeute, qui vont à tour de rôle « poser » leur constellation. Ainsi, après un entretien préalable où le « constellant » explique à la thérapeute sa problématique, sa généalogie et son parcours de vie, ils déterminent ensemble un objectif. En partant de là où il en est, il décide et écrit sur un papier là où il voudrait être. Puis, sans rien révéler de cet entretien au reste de l'assistance, la thérapeute lui demande de choisir parmi les autres personnes quelqu'un pour représenter son père, sa mère, sa sœur, son objectif, et un obstacle, par exemple. Une fois de plus, il faut réussir à se détacher du mental et laisser agir le corps : ne pas trop réfléchir et laisser ses pas se diriger vers telle ou telle personne qu'elle va placer dans l'espace. Puis le « constellant » va s'asseoir et ce sont les personnes désignées, les « représentants » qui vont agir. La thérapeute va aller les voir à tour de rôle et leur demander comment ils se sentent, dans cette position, à cette place. Ce seront peut-être au départ juste des ressentis, puis des paroles fusent, des confrontations vont naître, et un schéma familial va se mettre en place, et dans le meilleur des cas, se dénouer.</p>
<p>Personnellement, j'ai vécu la première expérience de constellation familiale comme une expérience magique ; j'ai d'abord été appelée comme représentante dans un schéma familial qui s'apparentait fortement au mien. Puis, j'ai pu placer ma propre généalogie et sont sorties de la bouche des participants des choses stupéfiantes, que je n'avais même pas racontées à la thérapeute.</p>
<p>Qu'il s'agisse d'une puissante mise en réseau de nos cerveaux et de nos psychés respectives, ou d'une connexion aux ancêtres comme le propose la thérapeute, il est certain que quelque chose d'inhabituel se produit. Et comme pour la kinésiologie, si je ne comprends pas le comment du pourquoi, j'en ressens et j'en mesure les effets. Dans ce cas aussi, sans que l'on intervienne consciemment, le résultat est un « dénouement » d'une situation, d'une problématique ancrée cette fois-ci non plus dans le corps mais dans l'inconscient familial, dans le transgénérationnel. Cela permet parfois de comprendre et de gérer des traumatismes liés à des incestes, des adultères, à la guerre, des tabous, des non-dits transmis de génération en génération, qui ne nous appartiennent pas mais dont on porte le fardeau malgré nous. Et la particularité de cette méthode fait que l'on peut voir une situation, un conflit se régler, ce qui serait sans doute impossible dans la « vraie vie » puisque parfois, les personnes représentées n'existent plus, ou ne sont plus en contact. <br />Il a en tout cas été un des facteurs qui m'ont conduit à considérer non seulement mon corps, mais aussi ma psyché, et mes liens transgénérationnels, (et pourquoi pas mes vies antérieures ?) comme faisant partie d'un tout, et qui constituent mon être dans sa globalité et dans son impermanence. Ils m'ont permis entre autres, de vivre mes deux grossesses et mes deux accouchements en pleine conscience et de manière épanouissante.</p>
<p>Intenses et gros changements de vie qui ont fait bouger les lignes non seulement chez moi mais aussi chez tous ceux qui m'entourent, comme les gouttes de pluie tombant dans la mare font des ronds qui se diffusent et finissent par se toucher, s'interpénétrer. <br />Voilà pourquoi depuis je n'hésite pas à partager mon vécu, mon expérience. Voilà pourquoi je livre ici une partie de mon histoire.</p>
<p><strong><span style="color: #fc615d;">_______________________________________________</span></strong></p>
<h3>Ce jour pas comme les autres</h3>
<p><span style="font-size: 12pt;"></span><strong><span style="font-family: georgia, palatino;"><span style="color: #fc615d;">_______________________________________________</span></span></strong></p>
<p>Ma première fille est née le jour de Samhain, jour des premières gelées, et dans un soleil radieux. Je souhaite à toute femme l'accouchement que j'ai vécu ce jour-là : grâce au chemin intérieur et extérieur que j'ai parcouru depuis quelques années, grâce aux personnes qui m'entourent et me soutiennent et, surtout, grâce aux personnes qui m'ont accompagnées, mon conjoint et notre sage-femme, j'ai vécu un accouchement rapide, peu douloureux, lumineux et confiant.</p>
<p>Petit récit de ce jour pas comme les autres...</p>
<p>Vers 7 heures, je m'éveille et m'étire dans mon lit. Je sens (« j'entends » presque) quelque chose qui craque et qui se rompt. Puis, en me levant, un liquide coule sur mes jambes. Mais je crois encore à une fuite urinaire et pour cause : je suis à 37 semaines d'aménorrhée, mon bébé ne devrait pas arriver avant trois semaines ! Je file aux toilettes mais le liquide continue à couler, peu mais régulièrement. Je décide de prendre une douche avant de prendre une décision. Ce n'est pas possible que j'accouche aujourd'hui. Aujourd'hui, je dois aller former ma remplaçante qui doit prendre le relais dans ma boutique jusqu'à la fin de l'année !<br />Je dois pourtant me rendre à l'évidence : je suis en train de perdre les eaux... il est à peu près 7 h 30. Je file à l'étage réveiller mon amoureux qui s'éveille à la première mention de son nom après une courte nuit de 4 heures (nous avons fêté mon anniversaire la veille). Il a senti au ton de ma voix et à mon allure dans les escaliers que quelque chose se trame. <em>« Je crois que la poche des eaux est fissurée. Comme les sages-femmes nous l'ont expliqué, ça coule petit à petit, comme une fuite. »</em><br />Aussitôt sur le pont, mon compagnon descend se préparer un café pendant que je retourne aux toilettes afin d'être sûre de moi avant de prévenir les sages-femmes. <em>« Tu les appelles ? Tu sais laquelle est de garde cette semaine ? »</em> Non. Je leur envoie un texto à toutes les deux à 7 h 40. Bref échange de messages avant qu'elles s'organisent. À 8 h, l'une d'elles me rappelle : <em>« Tu as des contractions ? »</em> <em>« Non je ne crois pas encore ou en tout cas, elles ne sont pas douloureuses »</em> <em>« Bon, je me mets en route maintenant quand-même, je suis un peu plus loin que d'habitude, j'en ai pour trois heures. On se tient au courant par textos. »</em> En raccrochant une grosse contraction fait couler plein d'eau d'un seul coup. Plus de doute : on y est. Il est 8h30.</p>
<p><span style="color: #ff615d;"><strong><span style="font-size: 14pt;">Un papa formidable, épatant, précieux<br /></span></strong></span></p>
<p>Au début je pense encore pouvoir faire des choses : un petit déjeuner, un coup de fil... mais bien vite, les contractions se rapprochent. À 9 h, elles se produisent toutes les cinq minutes environ : le vrai travail a déjà commencé. Moi, je ne me rends compte de rien, mais pour mon conjoint, c'est le branle-bas de combat. Pendant plusieurs heures, il va tout gérer : téléphoner à ma remplaçante au travail, transformer le salon en salle d'accouchement, booster le poêle pour s'approcher des 25 degrés, trouver quelqu'un pour aller récupérer le clamp ombilical commandé à la pharmacie (dernier élément de la liste de naissance dressée par les sage-femmes)... Heureusement, il a commencé par se prendre un temps pour lui dehors avec un petit café, comme pour mieux se préparer pour la suite. Au fil des heures, cet homme va se révéler à mes yeux, plus formidable, épatant, précieux, que je ne l'avais imaginé.</p>
<p>Il était pourtant plus que frileux, voire pas convaincu (ou simplement effrayé par les risques pour moi et le bébé) quant à ce choix d'accoucher à la maison. Moi-même, avant d'être enceinte, ne m'étais jamais projetée dans ce type de démarche. Je ne voulais d'ailleurs pas entendre parler de « projet » de naissance. La chose me paraissait superficielle, déconnectée de la réalité, pas authentique. Je connaissais en outre quelques personnes qui avaient accouché chez elles, dont une amie qui m'avait dit à l'époque :<em> « il faut beaucoup se préparer ».</em> Et ces mots n'étaient pas pour me plaire. Je me disais alors : <em>« pas question de m'entraîner comme pour un marathon, de consulter livres, spécialistes pour tout apprendre de l'enfantement »</em>. Il faut dire que cette amie avait donné naissance à deux de ses enfants seuls avec son conjoint, dans leur yourte. Ils avaient dû parer à toute éventualité, acquérir bouteille d'oxygène et connaissances techniques. Mais leur témoignage rendait compte d'une expérience lumineuse, fluide, chaleureuse. Ce couple, et d'autres, ont ouvert la voie.</p>
<p><span style="font-size: 14pt;"><span style="color: #ff615d;"><strong>Deux rencontres, deux personnalités, deux forces</strong></span><br /></span></p>
<p>Lorsque j'ai appris que j'étais enceinte et que nous avons décidé d'accueillir cette étincelle de vie qui se manifestait en moi, tout a changé. La lecture de divers ouvrages me permit de me rendre compte que j'avais un avis pour le moins critique sur la surmédicalisation assez répandue de cet acte lorsqu'il est pratiqué en hôpital ou en clinique. Le témoignage d'amies ayant accouché dans les maternités du coin confirma mon point de vue : je n'avais nullement envie que cet être, dès sa venue sur Terre, vive le traumatisme d'une péridurale, de tuyaux enfoncés dans le nez, de « soins » lui retirant toutes les protections fabriquées naturellement. J'étais en fin de compte fermement convaincue qu'un bon environnement, matériel, physique et psychique était ce qui permettait le mieux un accouchement sans complications. Matériel, c'est-à-dire un environnement chaleureux, doux, rassurant, un cocon intime, sans source de stress ; physique, en ce qui concerne la grossesse en elle-même, qui doit être physiologique et non pathologique ; et pour l'environnement psychique, peut-être le plus important, il s'agit d'avoir évacué toutes les peurs, les angoisses, les stress pour pouvoir se laisser aller, lâcher prise, laisser venir ce qui vient. Pour moi, cela se résumait à des peurs très pragmatiques que j'ai libérées en en faisant part aux personnes concernées, acte courageux mais ô combien libérateur.</p>
<p>Je savais surtout qu'une alternative était possible : deux sages-femmes libérales pratiquant l'accouchement à domicile et très motivées acceptaient de se déplacer à plus de deux heures de chez elles pour accompagner les futurs parents. C'était pour moi une question de confiance : je faisais moins confiance à la technologie, la chimie industrielle, et à un système de santé déshumanisé à mon sens autant envers les patients que ses praticiens, qu'à des mains expertes, respectueuses et averties des cycles naturels, des capacités du corps de la femme, de la force des émotions et des sensations. J'avais aussi et surtout confiance en moi et en mon bébé, comme si je savais que tout allait bien se passer, comme si j'avais la foi ; je sentais la puissance de mon corps.<br />Nous sommes tout de même allés visiter une maternité afin d'observer, de connaître toutes les possibilités que nous avions, dépasser la peur de l'inconnu par la rencontre. Et nous sommes allés voir les sages-femmes.</p>
<p><a href="http://www.rebonds.net/images/AAD/dessin_alince_1.jpg" class="jcepopup" data-mediabox="1" data-mediabox-title="Dessin : Alice F."><img src="http://www.rebonds.net/images/AAD/dessin_alince_1.jpg" alt="dessin alince 1" width="506" height="564" style="border: 2px double #e2e2e2; display: block; margin-left: auto; margin-right: auto;" /></a></p>
<p>Deux rencontres, deux personnalités, deux forces. De la puissance chez l'une et de la douceur chez l'autre, mais une écoute et des compétences manifestes qui ont gagné notre confiance.<br />Ce mot est essentiel : elles avaient autant besoin d'avoir confiance en nous que nous en elles. Et pour moi, la préparation à l'accouchement semble se résumer (mais non se réduire) à des rendez-vous où nous discutions ensemble. D'abord, pour se connaître, comprendre d'où venait notre décision, sur quoi elle reposait. Puis, pour nous expliquer par le menu comment se déroulait physiologiquement un accouchement, étape par étape, en gardant bien sûr à l'esprit que dans la vie, rien n'est comme dans les livres.</p>
<p><span style="color: #ff615d;"><strong><span style="font-size: 14pt;">Je visualise une porte pour le bébé : c'est par là...<br /></span></strong></span></p>
<p>Par exemple, bien que les sage-femmes nous aient dit à plusieurs reprises que pour un premier accouchement, on aurait du temps (parfois jusqu'à six ou sept heures de travail), je crois que nous avons tous senti assez vite ce jour-là que ce serait rapide. Après coup, notre sage-femme m'a appris qu'elle avait passé une bonne partie de son trajet à serrer les fesses en m'enjoignant mentalement de l'attendre ! J'ai commencé tranquillement à gérer mes contractions dans mon canapé, sur mon ballon de yoga, suspendue à une chaise ou à quatre pattes sur les couches de tapis disposées généreusement par mon amoureux, en communiquant régulièrement par textos (très pratique pour ne pas paniquer devant un saignement - <em>« le col bouge, c'est très bien ! »</em> - ou pour confirmer la perte du bouchon muqueux). Vers 10 h 45, je m'interroge : le bébé ne va-t-il pas arriver avant la sage-femme ? Les contractions de plus en plus fortes se rapprochent et je sens mon bassin bouger sous la pression du bébé.</p>
<p>Je fais appel à mon compagnon pour qu'il accompagne la douleur en massant le bas du dos et en appuyant fortement sur le sacrum afin de contenir les vibrations du bassin. Il m'annonce que la sage-femme n'en a plus que pour une heure. Une heure, ça va, je peux gérer. Je commence à avoir vraiment chaud et je me déshabille pour être plus à l'aise. Je continue à faire des aller-retours aux toilettes entre chaque contraction puis se produit un premier réflexe d'expulsion : je crie. Entendons-nous bien, dès le début, j'ai vocalisé : de beaux et profonds sons graves montent en moi pour accompagner, transcender la douleur. Mais là, c'est différent. J'ai reconnu le cri rauque et puissant de femme sauvage décrit par les sages-femmes. Le bébé vient !</p>
<p>Quelques minutes plus tard, mon conjoint m'annonce que la sage-femme est là. Il ne perd pas son sang-froid mais m'a avoué ensuite qu'en voyant alors l'expression sur mon visage, il a senti qu'il avait peut-être commis une erreur : je ressens son arrivée comme un véritable soulagement et me relâche, alors qu'il va lui falloir un peu plus de temps pour être prête. Elle vient en fait seulement de se garer devant la maison !<br />Il est approximativement 11 h 30. Elle va avoir à peine le temps de se préparer, de donner quelques indications au futur papa : <em>« il faut une bassine d'eau, un gant. Bon, installe-toi derrière elle, là ».</em> Elle assemble un petit tabouret d'accouchement en forme de fer à cheval et me voilà accroupie, dans la lumière du soleil, mon amour dans le dos qui, gagné par l'émotion, pleure à chaudes larmes, ma main cramponnée à la sienne et mes yeux plongés dans les yeux bleus de la sage-femme. Elle me guide de sa voix douce :<em> « repose-toi entre chaque poussée ». </em>Elle prend soin de moi en me nettoyant, en appliquant un gant d'eau chaude sur mon périnée pour le détendre. J'ai un bref moment de désespérance, ce moment de peur et d'angoisse intense, où je sens ce qui se trame et vraiment, ce n'est pas possible, ça ne va jamais passer ! Puis, je me remémore les conseils précieux de ma prof de yoga : la seule solution est de se détendre et de relâcher le périnée. Si j'ai peur et que je me contracte, c'est sûr que je vais souffrir... Au même moment, je visualise une porte blanche, lumineuse pour le bébé : c'est par là...</p>
<p><span style="font-size: 14pt;"><span style="color: #ff615d;"><strong>J'ai fait un cadeau à cette personne : une naissance harmonieuse</strong></span><br /></span></p>
<p>Encore quelques poussées et mon enfant apparaît, tout en longueur, le crâne déformé, recouvert du vernix blanc et de sang. J'éprouve à la fois de l'incrédulité (comment tenait-il dans mon ventre ?) et beaucoup de fierté : j'y suis arrivée, je l'ai fait !<br />Puis je cherche des yeux la vulve ou le pénis : c'est une fille ! L'émotion m'étreint : <em>« on a une fille » </em>! On l'enveloppe dans une serviette chaude et hop, contre ma peau.</p>
<p><a href="http://www.rebonds.net/images/AAD/coline.JPG" class="jcepopup" data-mediabox="1" data-mediabox-title="Coline (photo : Alice F.)."><img src="http://www.rebonds.net/images/AAD/coline.JPG" alt="coline" width="1000" height="750" style="border: 2px double #e2e2e2; display: block; margin-left: auto; margin-right: auto;" /></a><br />Les heures suivantes sont consacrées à se restaurer (nous n'avons rien mangé depuis le réveil), à la première tétée, à la délivrance et aux soins de la maman : deux points de suture pour deux micro-déchirures sur les lèvres (traitées ensuite avec des cataplasmes à l'argile verte et à l'eau florale d'hélicryse). Pour le bébé, rien. On laisse le cordon battre jusqu'au bout et on ne lave pas l'enfant : le vernix sera rapidement absorbé par la peau. Je m'occupe de couper le cordon, effectuant là un geste éminemment symbolique : c'est moi qui matérialise la séparation entre ma fille et moi.<br />Je suis très heureuse d'avoir pu offrir ce que je considère comme un cadeau à cette personne : une naissance harmonieuse et pleine de douceur. D'un autre côté, ce petit être décidé et fonceur, en arrivant un peu en avance, nous a peut-être épargné une attente et une montée d'angoisse. Sa venue au monde en quelques heures et avec des douleurs très supportables (du même acabit que celles que j'ai appris à gérer lors de mes lunes, ou en me faisant tatouer), est pour moi un véritable présent.<br />Après cette venue au monde presque magique, viennent le bonheur des premières découvertes et les difficultés inhérentes à l'apprentissage d'être parent. Coline imprègne notre vie de joie, de vivacité, d'espièglerie, d'intelligence fine, de rires et de pleurs intenses.</p>
<p><strong><span style="color: #fc615d;">_______________________________________________</span></strong></p>
<h3>Renaître à moi-même</h3>
<p><strong><span style="font-family: georgia, palatino;"><span style="color: #fc615d;">_______________________________________________</span></span></strong><span style="color: #ff615d;"><span style="font-size: 14pt;"></span></span></p>
<p>Deux ans ont passé et voilà qu'un nouvel être pointe le bout de son embryon, alors qu'on ne s'y attendait pas encore... L'acceptation de cette deuxième grossesse sera beaucoup plus difficile et va me demander de remettre en cause bien des choses dans ma vie, de bouleverser mes habitudes. Mieux, elle m'offre l'occasion de changer, de mourir à certaines choses, pour renaître à moi-même.</p>
<p>Dès le début, ces deux grossesses et ces deux venues au mondes, ces deux enfants s'avèrent bien différentes. Alors que je me sentais très en confiance lors de la première, j'ai l'impression que le doute et l'angoisse ont habité ces quelques huit mois de grossesse. Pas tant au niveau pratique puisque je me sens suffisamment en confiance pour éventuellement donner naissance en maternité : nous avons en effet appris en début d'année que les deux sages-femmes qui nous avaient suivies sont mises en causes dans deux accouchements ayant nécessité un transfert à l'hôpital, et ne font plus d'accouchement à domicile<em> (lire en encadré et la rubrique (Ré)acteurs</em>).</p>
<p>Mais ayant déjà accouché une fois, je pense connaître mon corps suffisamment et reconnaître les signes, les sensations qui me permettront d'orienter le corps médical vers un accouchement qui me convient. L'accouchement non accompagné (ANA) me fait encore trop peur, et mon conjoint ne serait pas d'accord non plus. C'est plus la finalité, le fait d'avoir deux enfants, de devoir partager mon cœur de mère en deux, l'impression de trahir chaque enfant en accordant (trop ?) d'attention à l'autre qui m'angoisse au plus haut point. C'est sur ce point-là que je vais travailler pour évacuer la peur, me renseigner, demander à tous les parents que je rencontre comment ils ont fait. La plupart du temps, j'entends : <em>« deux enfants rapprochés ? Tu vas voir, ça va être génial, un peu sport au début, mais ça va passer... »</em>. Ce qui n'est pas fait pour me rassurer. Je me doute bien que le <em>« un peu sport au début »</em> recouvre une toute autre réalité. Mais ce qui arrive est sans doute juste, à nous de nous adapter...</p>
<p><span style="font-size: 14pt;"><span style="color: #ff615d;"><strong>Connaissance du corps et intuition</strong></span><br /></span></p>
<p>Et puis un jour, sur le conseil d'une amie, j'appelle quand même la sage-femme, au-moins pour lui demander des conseils. Elle m'apprend alors que malgré son instruction judiciaire, elle reste en capacité d'exercer et pourra nous accompagner jusqu'à l'accouchement. C'est la cerise sur le gâteau, le bonus de cette grossesse : je vais pouvoir de nouveau accoucher chez nous ! Je vais pouvoir de nouveau être entourée de sa douceur et de sa force, de sa guidance et de son enseignement. Sur les deux sages-femmes qui m'avaient suivie pour la première grossesse, elle seule est encore en exercice près de chez nous. Sa collègue, qui nous avait accouché alors, a déménagé. Je ressens comme une chance d'expérimenter un accouchement avec cette deuxième personne.</p>
<p>L'accompagnement passe à nouveau par beaucoup d'échanges : mais comme on se connaît déjà, on a juste à affiner des ressentis, à préciser des sensations ou des bouleversements. Une fois de plus, le psychique est autant concerné que le physiologique : par exemple, la perte d'un caillot de sang me permet de me rendre compte à quel point je tiens à cet enfant et, sur les conseils de la sage-femme, je prends un peu de repos et commence à lever le pied pour prendre soin de moi et de lui ou elle. L'intuition intervient beaucoup également : ainsi, au fur et à mesure que les mois avancent, la sage-femme et moi-même nous accordons sur le fait que le ou la bébé devrait arriver en avance et vite. C'est aussi sa connaissance du corps des femmes, notre connaissance du mien en particulier, et ma première expérience en tant que parturiente qui nous permettent d'en arriver à cette conclusion : Coline était arrivée trois semaines en avance ; comme précédemment les ligaments sont très lâches et la matrice est prête à enfanter dès la fin de l'année, ce qui me fait même craindre d'accoucher prématurément. <br />C'est ce qui marquera d'ailleurs la fin de ma grossesse : je compte les jours jusqu'à la fin de la 37e semaine d'aménorrhée à partir de laquelle je peux enfin accoucher à la maison, sans risque pour moi ou l'enfant. Et si les pronostics vont bon train, je sens que cet.te enfant ne va plus tarder à pointer le bout de son nez...</p>
<p><span style="font-size: 14pt;"><span style="color: #ff615d;"><strong>« Si tu viens, viens franchement... »</strong></span><br /></span></p>
<p>Voici le récit de sa naissance, arrivée si vite que l'AAD (Accouchement A Domicile) s'est presque transformé en ANA (Accouchement Non Assisté)...<br />En effet, vendredi 3 janvier, après un massage du bassin surprise par une amie la veille et une séance de photos intensive le matin-même, je ressens dans la soirée plusieurs contractions mais je ne m'inquiète pas tellement et me dis que j'ai trop tiré sur la corde. Après un peu de repos, ça ira mieux... <br />Pourtant, je suis réveillée à 4 h 35 par un mouvement du bébé qui fait craquer mon bassin (comme un tremblement de terre intérieur) et couler un peu de liquide. Je fais juste<em> « ho, ho »,</em> étonnée par la sensation, mais cela réveille aussitôt mon conjoint. Je vais vérifier si le liquide continue de couler mais, plus rien... Je retourne me coucher et attend la suite. Une autre contraction refait couler un peu de liquide : cette fois, ça y est, on peut prévenir la sage-femme.</p>
<p>Nous commençons doucement à nous préparer : booster le poêle pour augmenter la température de la pièce, sortir les tapis à disposer par terre, vérifier qu'il ne manque rien...<br />Comme la première fois, chaque contraction s'accompagne d'un aller-retour aux toilettes pour évacuer des selles liquides, signe de l'arrivée du bébé (à tel point que certains parents les ont appelées les « sentinelles »). Mais les contractions sont très douces, peu douloureuses, et je les accompagne en bougeant le bassin. Je me sens tranquille, sereine. Un peu coupable aussi, même si je n'y suis pour rien : <em>« désolée,</em> dis-je à mon chéri,<em> ça remet en cause tout le planning du week-end qui devait être consacré au montage du plancher de la yourte ».</em> Lui me rassure tout de suite : <em>« tout va bien, le bébé vient quand il veut, à nous de nous adapter, il n'y a pas de problème ».</em> Je me souviens d'avoir, à ce moment-là, dit au bébé quelque chose comme : <em>« bon si tu viens, viens franchement, ne fais pas semblant »</em>.</p>
<p>Je m'occupe alors d'installer l'écharpe de portage pour me suspendre, tandis que mon amour va récupérer des affaires à l'étage, et en profite pour réveiller ma mère (je lui avais demandé de l'aide pour les dernières semaines de grossesse, en me disant qu'elle serait là si besoin, le jour de l'accouchement, pour s'occuper de la grande sœur, âgée de 2 ans et 2 mois). Ma mère descend, m'embrasse, assez émue, et je note dans un carnet l'heure de la dernière contraction pour voir si elles se rapprochent. Il est 5 h 15, je n'aurai pas le temps d'en noter d'autres...</p>
<p><span style="color: #ff615d;"><strong><span style="font-size: 14pt;">Une décharge de bonheur et de plaisir<br /></span></strong></span></p>
<p>La prochaine m'emmène une fois de plus aux toilettes et là, d'un seul coup, c'est l'expulsion : je sens la tête du bébé qui sort ! Je crie :<em> « c'est maintenant ! Le bébé arrive ! »</em> Je pousse un rugissement qui réveille ma fille. Je demande des serviettes à mettre par terre, puis ma mère file à l'étage s'occuper de la grande qui pleure, tandis que mon amoureux me prévient qu'il appelle les pompiers, puisque la sage-femme n'aura pas le temps d'arriver.</p>
<p><a href="http://www.rebonds.net/images/AAD/dessin_alice_2.jpg" class="jcepopup" data-mediabox="1" data-mediabox-title="Dessin : Alice F."><img src="http://www.rebonds.net/images/AAD/dessin_alice_2.jpg" alt="dessin alice 2" width="592" height="543" style="border: 2px double #e2e2e2; display: block; margin-left: auto; margin-right: auto;" /></a><br />Moi, pendant ce temps, j'ai réussi à descendre des toilettes et je suis à genoux, la tête du bébé dans mes mains. Je sens sa bouche, ses yeux, son nez, et soudain je panique : <em>« il ne bouge pas ! Le bébé ne respire pas ! » </em>Je pense qu'il est mort, mais je me dis que vivant ou mort, il faut bien qu'il sorte... Je précise que tout ça se passe en quelques secondes, mais l'adrénaline permet de distinguer chaque moment comme s'il s'étirait.<br />Ma main sur sa tête accompagne le mouvement de rotation qui permet à ma petite fille de sortir et je l'accueille entre mes mains, très émue. Elle a des cheveux bruns, comme moi à ma naissance !! Lovée en boule dans mes mains, elle ouvre les yeux et pleure : tout va bien, elle respire ! Il est 5 h 23, soit 50 minutes (et environ 5 contractions) depuis les prémices...<br />J'entends ma grande fille qui dit « oh bébé est là ». Une décharge de plaisir et de bonheur m'envahit ! Mon conjoint annonce aux pompiers : <em>« le bébé est là ». </em>Lorsqu'il a raccroché, je lui demande de l'aide pour retirer mon t-shirt (je ne sais même plus comment on a fait) ; je veux vite la coller contre moi pour la réchauffer.</p>
<p><span style="font-size: 14pt; color: #ff615d;"><strong>L'arrivée des pompiers et des médecins<br /></strong></span></p>
<p>Puis, je vais me poser dans le salon en annonçant à ma mère qu'elles peuvent descendre. J'ai tellement envie de partager ça avec elles aussi !<br />Et là les pompiers arrivent, c'est le branle-bas de combat dans la maison, qui va être envahie de monde : d'abord, trois pompiers qui me posent une horrible couverture de survie et veulent tout de suite couper le cordon. J'ai beau leur dire que je veux attendre qu'il cesse de battre, je crois qu'ils ne m'entendent même pas... Mon conjoint, qui se sentait prêt cette fois à s'en occuper, n'en aura pas l'occasion.</p>
<p>Une infirmière pompier me pose plein de questions et surtout si je vais bien, plusieurs fois. Moi, je suis dans une bulle de sérénité et de décharge puissante d'hormones, complètement stone, et ma fille a trouvé mon sein, donc oui, tout va bien. J'ai même abandonné l'histoire du cordon et, lucide, je préfère me préparer pour des batailles plus importantes. J'apprends en effet que les médecins du SMUR arrivent et j'entends parler de transfert. Je demande à l'infirmière : <em>« qui va s'occuper du placenta ? ». </em>Je lui précise qu'il était prévu d'accoucher à la maison, avec une sage-femme, qu'on l'a déjà fait pour la première, et qu'on voudrait si possible rester à la maison. Mais eux ne sont pas en mesure de décider, ce sont les médecins qui vont prendre le relais maintenant.<br />Et ils arrivent, en blouses blanches, après les uniformes noir et argent des pompiers. Un homme et deux femmes, une toute jeune très souriante et une plus âgée et un peu plus stricte, ou stressée. C'est elle qui prend les choses en main et me demande de m'allonger pour expulser le placenta, en m'appuyant sur le ventre tout en me demandant si j'ai des contractions. Je n'en ai pas, mais je suis très mal installée et sens vite que rien ne va sortir comme ça. Je leur demande de me laisser m'accroupir et en tirant un peu sur le cordon, le placenta sort tout de suite. Elle vérifie que tout est là et demande à sa collègue un sac poubelle. Je leur dis alors que je souhaite le garder et prenant les choses en main, je demande au papa une bassine. Interloquées, elles s'interrogent du regard, et puis : <em>« oui, c'est à vous, vous pouvez le garder ».</em></p>
<p>Les pompiers leur font part de notre volonté de rester chez nous. Après quelques pourparlers, le médecin finit par lancer sur un ton rigolard : <em>« de toute façon, on ne va pas vous menotter pour vous forcer à y aller ! »</em> Ouf, ça détend l'atmosphère. Après un coup de fil à la maternité qui nous enjoint de venir faire une visite de contrôle dans les deux jours, et après nous avoir demandé cinq ou six fois si la sage-femme allait bien venir, tout ce petit monde remballe ses affaires et revient nous saluer avant de partir (les pompiers surtout étaient tout heureux : on a dû faire causer dans les chaumières !!).</p>
<p>On se retrouve alors en famille, les uns au petit dèj', Bébé et moi bien au chaud dans nos draps, enfin au calme, mesurant la chance d'avoir pu rester chez nous.</p>
<p><a href="http://www.rebonds.net/images/AAD/rencontre.JPG" class="jcepopup" data-mediabox="1" data-mediabox-title="Coline et Leïla (Photo : Alice F)."><img src="http://www.rebonds.net/images/AAD/rencontre.JPG" alt="rencontre" width="1000" height="1333" style="border: 2px double #e2e2e2; display: block; margin-left: auto; margin-right: auto;" /></a></p>
<p><br />La sage-femme, qui n'a finalement même pas eu le temps de partir, arrivera plus tard dans la journée pour nous aider dans les premiers soins à la mère et à l'enfant. Dans les quelques temps calmes volés dans la journée, nous arriverons à nous poser avec mon amoureux, pour choisir un prénom à cette toute petite (49 centimètres, 2,890 kg) arrivée comme un bouchon de champagne sur le seuil des toilettes le samedi 4 janvier à 5 h 23.<br />Heureusement, nous n'en étions pas au premier accouchement à domicile, et ayant senti qu'il serait rapide (col souple et bassin hyperlaxe lors des derniers examens), la sage-femme et moi avions bien potassé la possibilité d'avoir à accueillir seule le bébé. Personnellement, seule la délivrance m'angoissait, ne sachant pas reconnaître un placenta entier, le risque d'hémorragie me faisait peur. Je pense que mon conjoint a bien fait d'appeler les pompiers, au cas où quelque chose se serait mal passé. On aurait pu être transférées rapidement à l'hôpital à 25 minutes de chez nous.<br />On se sent à la fois chanceux que tout se soit bien passé, sans douleur et sans heurts, mais on a aussi le sentiment de ne pas avoir vraiment vécu cet accouchement, pris que nous étions par le pragmatisme du moment. Preuve une fois encore, que tout ne se passe pas toujours comme on l'avait prévu...</p>
<p><strong>Retrouvez les témoignages précédents de David et Maryline : <a href="http://www.rebonds.net/37pourunautreenfantement/621-lanaissancedenki">http://rebonds.net/37pourunautreenfantement/621-lanaissancedenki</a> </strong></p>
<div class="panel panel-primary">
<div class="panel-heading">
<h3 class="panel-title">Un acte avec une portée politique</h3>
</div>
<ul>
<li>Alice s'exprime sur la radiation de la sage-femme Rose Faugeras (<em>lire aussi la rubrique (Ré)acteurs</em>). <em>«</em> J'avoue qu'au départ cela m'a peu touché, je ne me sentais pas concernée et, surtout, je ne pensais pas qu'elle pouvait être mise en cause. Je la trouvais si professionnelle et si attachante, rayonnante. Rien de mal ne pouvait lui arriver, puisqu'elle ne pouvait faire que du bien. Je savais qu'elle ne prenait plus de nouvelles patientes, étant surchargée de boulot. Et puis, les rumeurs circulant par des amies l'ayant vue en consultation ou l'ayant contactée pour un AAD, m'ont appris qu'elle ne faisait plus d'accompagnement global, que du suivi de grossesse ou gynécologique. Aussi, lorsque j'ai su que j'étais enceinte d'un deuxième enfant, ai-je tout de suite évacué l'idée d'un AAD de mon esprit. Mais comme je me posais des questions sur mon début de grossesse, j'ai fini par la contacter tout de même. C'est ainsi que j'en ai su davantage sur sa situation : elle était mise en cause par l'ARS (Agence Régionale de Santé) et l'Ordre des sages-femmes, dans une affaire où il n'y avait pas eu d'erreurs, où les mamans et les bébés allaient bien. Cela paraissait absurde. Nous avons beaucoup discuté de tout ça au fil des mois, pour nous rassurer les uns les autres, savoir où nous en étions par rapport à tout ça (la confiance mutuelle tellement importante). Et de la même manière qu'on savait qu'elle ne nous lâcherait pas, nous l'avons toujours soutenue, mon conjoint et moi. Elle nous a toujours paru forte et positive, même si fatiguée et abattue, et nous lui avons toujours assuré que nous étions avec elle, à ses côtés.<br />Cette affaire, et tant d'autres, m'ont donné envie de m'engager : j'ai adhéré aux différentes associations de défense de l'AAD et des professionnelles le pratiquant. Plus je me renseignais, plus je me disais combien cet acte avait une portée politique : il s'agit d'un droit, bafoué par méconnaissance, par des peurs irrationnelles, et pour aller plus loin, par une mainmise patriarcale de la médecine, des médecins, de l'hôpital géré comme une entreprise, sur le corps et le ressenti des femmes.<br />Le verdict est finalement tombé quelques jours après la naissance de Leïla... Radiée ! Je n'arrivais pas à y croire, j'étais estomaquée, sans voix. Je lui ai aussitôt envoyé un message lui disant combien j'étais triste pour elle. Quand j'en ai parlé à mon conjoint, c'est la colère qui nous a animés. Quelle injustice ! Quelle absurdité ! Alors même que dans les hôpitaux le personnel est débordé et les patientes sont parfois livrées à elles-mêmes voire maltraitées ; alors même que toute la technologie médicale n'empêche pas des bébés et des femmes de mourir, parfois par négligence, parfois par incompétence et parfois par hasard et par malheur, comme partout, on empêche une femme compétente, douce et chaleureuse d'accompagner des parents dans la mise au monde de leur enfant, dans la joie, l'apaisement et la sécurité. Mais elle tient bon, et nous la soutiendrons de toutes nos forces et par tous les moyens à notre disposition, jusqu'au bout.<br />Plus que jamais, je veux témoigner, partager mon expérience auprès des personnes qui pensent que l'accouchement, c'est à l'hôpital avec une péri, que nous sommes fous et inconscients, que nous nous mettons en danger, nous et nos bébés, que <em>« la souffrance, c'est tendance » </em>(<a href="https://charliehebdo.fr/2020/06/societe/accouchement-la-souffrance-cest-tendance-2/">https://charliehebdo.fr/2020/06/societe/accouchement-la-souffrance-cest-tendance-2/</a>). Accoucher chez soi sans douleur et sans sur-médicalisation, c'est possible ! Bien accompagnée, avec un.e professionnel.le dans de bonnes conditions, ce n'est pas dangereux.<br />Pour finir j'ajouterai en manière de punchlines :<br />Accoucher chez moi, c'est mon droit, c'est mon choix.<br />Le risque zéro n'existe pas.<br />Pourquoi irais-je à l'hôpital pour accoucher ? Je ne suis pas malade !</li>
</ul>
</div>Accoucher à domicile : un droit difficile à vivre en France2017-03-21T12:54:42+01:002017-03-21T12:54:42+01:00http://www.rebonds.net/37pourunautreenfantement/622-accoucheradomicileundroitdifficileavivreenfranceSuper User<p>J'ai fait le choix de ne pas enfanter. Ce choix n'est pas arrivé comme ça, en se levant un beau matin. Il est né d'une intuition, s'est affirmé au creux de profondes convictions, et s'est enraciné tranquillement mais fermement. Parce qu'il est le fruit d'une longue réflexion, je suis sereine. Je sais que je ne regretterai pas...</p>
<p><a href="http://www.rebonds.net/images/AAD/creativity-4913118_960_720.jpg" class="jcepopup" data-mediabox="1" data-mediabox-title="Illustration : Cdd20."><img src="http://www.rebonds.net/images/AAD/creativity-4913118_960_720.jpg" alt="creativity 4913118 960 720" width="509" height="720" style="border: 2px double #e2e2e2; float: right;" /></a><br />Bien sûr, tout au long de ma vie de femme, j'ai dû faire face à de multiples injonctions sociales. Aux remarques du type <em>« Tu dis ça parce que tu es encore jeune »</em>, ont succédé les <em>« Peut-être que tu n'as pas trouvé la bonne personne »</em>, remplacées aujourd'hui par des <em>« Tu es trop radicale ! »</em>. Je vais bientôt passer l'âge limite, j'ai eu le père parfait pendant plus de vingt ans sous la main et je ne serai jamais assez radicale à mon goût…</p>
<p>Une femme qui refuse d'enfanter. Que peut-elle bien être, aux yeux du monde ? Que peut-elle bien représenter aux yeux de toutes celles qui font le choix inverse : celui d'accueillir une autre vie en leur chair, de se dédoubler, pour finalement mettre au monde un nouvel être ?</p>
<p>Synchronicité. La même semaine au cours de laquelle ma gynécologue me demanda pour la énième fois si vraiment j'étais bien certaine de mon choix – parce que la date limite d'utilisation de mon utérus approchait semble-t-il ! – je reçus un e-mail qui me fit l'effet d'un signe. Aurélie <span style="font-size: 8pt;">(1)</span> m'envoyait un compte rendu d'une réunion visant à organiser le soutien de Rose Faugeras, sage-femme accompagnant l'Accouchement A Domicile (AAD), radiée de son ordre professionnel. <em>« Un prochain sujet pour (Re)bonds ? »</em> me suggérait-elle.<br />Quelques jours plus tard, une autre amie, Alice, me proposait d'apporter son témoignage sur les deux AAD qu'elle avait vécues <span style="font-size: 8pt;">(2)</span>.</p>
<p>Ces femmes qui avaient fait le choix d'enfanter, d'une manière devenue si peu commune qu'elle en devenait suspecte, se tournaient vers moi, qui avait fait le choix de ne pas enfanter, pour transmettre leur message. Comment pourrais-je transcrire leurs désirs, leurs attentes, leurs sentiments ?<br />Certes, être journaliste, c'est être avant tout un·e passeur·se. Il n'est pas besoin de vivre réellement chaque expérience que l'on relate. Mais le sujet s'était présenté à un tel moment que je ne pouvais éluder la question. Qu'est-ce qui, dans ce sujet, me toucherait particulièrement, au point que je pourrais le défendre ?</p>
<p>Le libre choix. L'autonomie. Le droit de chacun·e à disposer de son corps. Le droit des femmes en particulier à ne plus être dépossédées de leurs responsabilités. Le pouvoir de dire : <em>« Je suis prête. J'ai fait un long chemin pour arriver là. Je sais. J'assume. »</em><br />C'est ce chemin-là que nous partageons, et sur lequel nous retrouvons toutes les personnes qui luttent pour que soient vécus et respectés pleinement ces droits. Parmi elles, il y a Rose Faugeras.</p>
<p><strong><span style="color: #fc615d;">_______________________________________________________</span></strong></p>
<h3>Une pratique qui suscite la méfiance</h3>
<p><span style="font-size: 12pt; color: #ff615d;"><strong>___________________________________________</strong></span><span style="font-family: georgia, palatino;"><span style="color: #fc615d;"></span></span></p>
<p>Rose Faugeras est sage-femme libérale à Guéret dans la Creuse, dans la région de Nouvelle Aquitaine. De 2014 à 2019, elle a pratiqué l'accompagnement de l'accouchement à domicile. Malgré la distance géographique, elle a notamment assisté des familles vivant dans le Cher, comme celles de Maryline, Aurélie, Alice et Pauline (<em>qui témoignent dans les rubriques (Re)découvrir, (Re)visiter et (Re)vue</em>). Mais depuis le mois de mai, elle a décidé de suspendre toutes ses activités professionnelles.</p>
<p>Rose se trouve dans une situation délicate, pour ne pas dire douloureuse. Elle n'est pas la seule, mais son exemple illustre bien les obstacles que les femmes doivent aujourd'hui surmonter pour exercer leur droit à enfanter comme elles l'entendent.<br />En 2019, Rose a fait l'objet d'une plainte de l'ARS (Agence Régionale de Santé) suite à un problème infectieux rencontré par deux patientes aux lendemains de leurs accouchements. Orientées par la sage-femme vers l'hôpital, elles ont été soignées et ne présentent aucune séquelle, ni leurs bébés. <br />Le 3 décembre 2019, Rose a été convoquée devant la chambre disciplinaire interrégionale des sages-femmes du tribunal ordinal à Toulouse, qui lui reprochait un retard dans sa prise en charge. Verdict brutal en janvier 2020 : radiation à vie.</p>
<p>Spontanément, ses patientes ont constitué une association pour la défendre <span style="font-size: 8pt;">(3).</span> Pour elles, le problème infectieux – rencontré également lors d'accouchements à l'hôpital – est une bonne aubaine pour les autorités. <em>« Bien que l'Accouchement À Domicile (AAD) soit autorisé et encadré par la charte de l'association des sages-femmes libérales, en pratique, l'AAD suscite méfiance et rejet d'une partie du corps médical et des instances de pouvoir : ces trois derniers mois, déjà quatre sages-femmes ont été jugées »</em>, écrivent-elles dans une pétition lancée pour la réintégration de Rose.</p>
<p>Celle-ci a décidé de faire appel, ce qui suspend le verdict. La prochaine étape se passera devant la chambre disciplinaire ordinale nationale à Paris. La sage-femme est prête à aller jusqu'au Conseil d’État voire la Cour Européenne. C'est d'ailleurs pour conserver force et énergie qu'elle a décidé de stopper ses activités professionnelles, alors qu'elle aurait tout à fait le droit d'exercer jusqu'au prochain jugement (dont la date n'est pas encore connue).<a href="http://www.rebonds.net/images/AAD/disease-4051342_960_720.jpg" class="jcepopup" data-mediabox="1" data-mediabox-title="Illustration : Cdd20."><img src="http://www.rebonds.net/images/AAD/disease-4051342_960_720.jpg" alt="disease 4051342 960 720" width="508" height="720" style="border: 2px double #e2e2e2; float: right;" /></a><br />Exercer avec cette épée de Damoclès au-dessus de la tête était trop difficile, m'explique-t-elle dans un échange par mail :<em> « Je me sens en insécurité. C'est pourquoi j'ai choisi de faire une pause dans les suivis des AAD durant cette période et maintenant, de faire une pause professionnelle afin de rester dans de bonnes conditions physiques et mentales dans mes suivis. Je n'ai pas envie de vivre cette situation en permanence et que ça déteigne sur mes patientes. Je suis aussi très affectée et triste de notre situation francaise. Je me pose de multiples questions sur la reconnaissance et la légitimité des compétences de la sage-femme dans notre pays. Heureusement que toutes mes patientes m'apportent un immense soutien, ça me touche beaucoup. »</em></p>
<p>La situation française… quelle est-elle ? Pourquoi l'AAD est-elle si décriée, alors que les pays scandinaves, le Québec, la Suisse ou encore la Belgique le plébiscitent ? Quels freins (sanitaires, matériels, financiers, culturels) empêchent cette pratique de se développer ? Quels paradoxes soulèvent-ils ?</p>
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<h3>Le rôle central des matrones</h3>
<p><span style="font-size: 12pt; color: #ff615d;"><strong>___________________________________</strong></span><span style="font-family: georgia, palatino;"><span style="color: #fc615d;"></span></span></p>
<p>Peut-être l'avons-nous oublié mais longtemps, en France, les femmes accouchèrent chez elles. Jusqu'au XVIIIe siècle, en fait. <em>« Evénement hors du commun malgré sa fréquence, l’accouchement, tout comme la mort, se passe là où vit au jour le jour et depuis des années une lignée familiale, dont le destin s’identifie à une maison, à un village, dont on fait partie et d’où l’on ne bouge guère »</em>, écrit Marie-France Morel, historienne et présidente de la Société d'histoire de la naissance<span style="font-size: 8pt;"> (4)</span>. Les accouchements se déroulent alors au creux du foyer, dans la salle où se trouve le poêle, dans une atmosphère calfeutrée. Chez les plus pauvres, on choisit parfois l'étable pour profiter du foin et de la chaleur des animaux.<br />Les femmes peuvent enfanter seules ou, majoritairement, accompagnées d'autres femmes : <em>« au centre, la matrone (appelée « la femme qui aide », ou la « mère mitaine », ou la « bonne mère ») est bien connue de tout le village ; elle est en général âgée, et donc disponible ; elle a appris son métier sur le tas, sans étudier. Souvent fille ou nièce de matrone, il lui a suffi de réussir quelques accouchements pour avoir la confiance des villageoises ; elle ne sait en général ni lire ni écrire, et le curé qui surveille ses compétences ne lui demande que de savoir réciter les formules du baptême, au cas où elle devrait ondoyer un nouveau-né mal en point »</em>, explique Marie-France Morel. Autour de la matrone, les parentes, amies, voisines qui préparent le lit, les linges, le feu, le fil… Elles partagent leurs conseils, tentent d'apaiser la parturiente<span style="font-size: 8pt;"> (5),</span> s'occupent du bébé lorsqu'il sort. Les jeunes filles qui ne sont pas encore mères, les enfants et les hommes ne sont en principe pas admis·es. Excepté le père, qui est même invité à intervenir en cas de difficulté. Mais l'accouchement est avant tout une affaire de femmes. Comment pourrait-il en être autrement ?</p>
<p>A l'époque, <em>« seules les pauvresses ou les filles mères, qui n’ont nulle part où aller, accouchent à l’hôpital, qui n’est pas un établissement de soins, mais un lieu d’assistance, où l’on recueille les malades pauvres ; on y meurt beaucoup plus qu’ailleurs, à cause de l’entassement et de la contagion des « fièvres » qu’on ne sait pas maîtriser. En temps ordinaire, 10 % des accouchées meurent, mais, à certains moments, la mort en emporte plus de la moitié »</em>, souligne Marie-France Morel. A domicile aussi, les risques sont importants : on estime alors entre 1 et 2 % les femmes qui meurent en couches ou des suites de leur accouchement.</p>
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<h3>Une dépendance vis-à-vis des hommes et de la médecine</h3>
<p><span style="font-size: 12pt; color: #ff615d;"><strong>____________________________________________________________________</strong></span></p>
<p>A partir du XVIIe siècle, des accoucheurs, hommes donc, font progressivement leur apparition, d'abord dans les milieux de la noblesse : il s'agit souvent de chirurgiens qui vont bientôt établir des traités d'obstétrique. Au départ réticentes, les familles font de plus en plus souvent appel à eux, y compris pour des accouchements sans difficultés, « au cas où ». La présence de ces hommes change considérablement les pratiques de la naissance : ils font sortir toutes celles qui entouraient autrefois la parturiente, au prétexte qu'il lui faut du calme et de l'air.<em> « Il lui impose aussi la position la plus commode pour lui et la plus dépendante pour elle, en la faisant coucher sur le dos, ce qui est une gêne par rapport à la liberté des anciennes postures</em>, écrit Marie-France Morel. <em>Dans l’obstétrique savante du XVIIIe siècle, seule la position allongée sur le dos est convenable ; les autres positions sont condamnées au nom de la décence, car elles « répugnent à l’humanité » ; la femme qui les pratique peut être comparée à une bête ! »</em><br />On sait aujourd'hui que cette position est une ineptie. Naturellement, pour maîtriser la douleur, la plupart des femmes choisiraient d'accoucher debout, à quatre pattes ou sur le côté.</p>
<p>Les accoucheurs sont munis d'appareils « modernes » comme les leviers et les forceps, qui sont le privilège exclusif des hommes, médecins ou chirurgiens, puisque matrones et sages-femmes, même instruites, n’ont pas le droit de s’en servir.<em> « Grâce à la pratique instrumentale, l’accouchement cesse d’apparaître comme un acte naturel : il nécessite le recours à un homme de l’art, à la fois savant et fort. C’est un premier pas vers la médicalisation de la naissance. »</em></p>
<p>A la campagne cependant, les matrones assurent toujours l'essentiel des accouchements. Mais elles sont bientôt les victimes de plaintes de la part des médecins : ils accusent leur ignorance de faire périr trop de mères et d'enfants. A partir de 1760, le pouvoir royal leur donne une formation : des cours itinérants sont organisés, notamment par la célèbre maîtresse sage-femme Angélique du Coudray <em>(lire aussi la rubrique (Ré)créations</em>). Des chirurgiens-accoucheurs lui succèdent et forment ainsi environ 12.000 sages-femmes.<br />Au XIXe siècle, elles doivent suivre des cours théoriques dans les facultés de médecine ou les hôpitaux. Les accouchements ont encore largement lieu à la maison : <em>« Les hôpitaux restent encore des lieux effrayants qui n’accueillent que les filles mères ou les pauvresses. Les naissances y sont bien plus dangereuses qu’à domicile. »</em></p>
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<h3>Faire taire la douleur</h3>
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<p>A partir des années 1840, la médecine occidentale découvre le pouvoir des drogues anesthésiantes. Dans les pays anglo-saxons, les femmes sont de plus en plus nombreuses à demander à « faire taire la douleur ».<em> « Mais, paradoxalement, cette volonté des femmes d’abolir la douleur les conduit à dépendre plus exclusivement du médecin : car les sages-femmes, même les mieux formées, ne peuvent administrer les drogues, pas plus qu’elles ne sont autorisées à se servir des instruments. Seuls les hommes médecins savent doser les analgésiques et détiennent ainsi la possibilité d’un bon accouchement, sans douleur. Il faut donc recourir de plus en plus à eux, avec tout ce que cela implique de distance prise par rapport à l’ancienne sociabilité féminine de la chambre d’accouchement. »</em> Dans le même temps, le médecin attire de plus en plus ses clientes vers l’hôpital qui tend à devenir un véritable espace de soins.<a href="http://www.rebonds.net/images/AAD/caricature-5123406_960_720.jpg" class="jcepopup" data-mediabox="1" data-mediabox-title="Illustration : Cdd20."><img src="http://www.rebonds.net/images/AAD/caricature-5123406_960_720.jpg" alt="caricature 5123406 960 720" width="720" height="720" style="border: 2px double #e2e2e2; float: right;" /></a></p>
<p>En France, ce sont les années 1920-1930 qui marquent l'essor de l'accouchement à l'hôpital, surtout en milieu urbain. Marie-France Morel retient deux raisons : l'encouragement de l’État par des aides couvrant les frais d'accouchement (pour faire face à la dénatalité) ; la transformation de l'hôpital en <em>« haut lieu de technicité »</em> avec des services dédiés à la naissance. A la campagne, l'accouchement à domicile reste majoritaire jusqu'à la fin de la Seconde Guerre mondiale.<em> « À partir de 1952, l’évolution s’accélère : la majorité des accouchements ont lieu désormais en milieu hospitalier (53 % en 1952, 85 % en 1962). »</em><br />Mais, parallèlement, une autre mutation est en cours : <em>« à l’initiative du docteur Fernand Lamaze (1890-1957), accoucheur à Paris à la Polyclinique des métallurgistes (rue des Bluets), est mise au point une méthode d’accouchement « sans douleur », inspirée des recherches de médecins soviétiques »</em>. Il s'agit d'une <em>« préparation psychique et physique agissant sur l’anxiété »</em>. En 1952, 500 accouchements de ce type sont réalisés. Bien sûr, la méthode a ses détracteurs mais à force de luttes, des associations de femmes notamment, obtiennent que les séances de préparation soient remboursées par la Sécurité sociale. Même le Pape de l'époque (Pie XII) donne sa bénédiction à cette méthode, levant les objections des plus fondamentalistes des Chrétiens attachés au <em>« Tu enfanteras dans la douleur »</em>...</p>
<p>Marie-France Morel conclut :<em> « Le lieu où la femme accouche et où naît son enfant est bien plus qu’un simple espace de soins. Il participe à la symbolique et au mystère qui sont au cœur de toute naissance humaine. Il conditionne un certain nombre de gestes, d’attitudes et différentes formes de sociabilité. Autrefois, près de la cheminée familière, l’accouchée était accompagnée et rassurée dans son travail et ses douleurs par les femmes de sa communauté ; cette aide à la fois charnelle et morale était capitale, elle permettait de surmonter l’angoisse de mort qui entoure inévitablement chaque venue au monde. »</em> L'historienne n'est pas nostalgique du <em>« bon vieux temps »</em> mais<em> « force est de constater que la chaleur amicale et sécurisante des anciens accouchements à la maison s’est perdue avec le passage à l’hôpital : le lieu anonyme et aseptisé, le face-à-face distant avec un personnel inconnu et interchangeable, l’interventionnisme médical de plus en plus pesant sont peu faits pour rassurer »</em>.</p>
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<h3>Une technicisation de la naissance contestée</h3>
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<p>C'est sans doute pourquoi, les demandes d'accouchements assistés à domicile progressent. Les usager·e·s prennent désormais une place importante dans le champ de la santé et sont de plus en plus critiques sur la relation asymétrique médecin-patient·e. De même, <em>« la technicisation de la naissance »</em> est aujourd’hui contestée. <em>« De nombreux travaux montrent en effet que la plupart de[s] interventions (rupture de la poche des eaux, administration d’hormones accélérant le travail, monitoring en continu, épisiotomie, césarienne, etc.) ne présentent pas d’avantages décisifs et, à l’inverse, entraînent des conséquences négatives sur la santé de la mère et de l’enfan</em>t, écrivent les membres de l'Association Professionnelle pour l'AAD <span style="font-size: 8pt;">(6)</span>. <em>Cela commence à être reconnu en France, mais notre pays présente un retard d’environ trente ans par rapport aux nord américains et nord européens par exemple. »<a href="http://www.rebonds.net/images/AAD/fantasy-4063615_960_720.jpg" class="jcepopup" data-mediabox="1" data-mediabox-title="Illustration : Cdd20."><img src="http://www.rebonds.net/images/AAD/fantasy-4063615_960_720.jpg" alt="fantasy 4063615 960 720" width="720" height="720" style="border: 2px double #e2e2e2; float: right;" /></a></em></p>
<p>Les accouchements assistés à domicile n’ont plus rien à voir avec ceux pratiqués avant l’apparition des antibiotiques, des ocytociques et des techniques obstétricales modernes. Et en France, les sages-femmes accompagnant les naissances à domicile ne sont plus les matrones d'autrefois : elles suivent la même formation qu'une sage-femme hospitalière. Elles n'acceptent ce type d'accouchements que pour les femmes dites à bas risques et, en cas de complications, elles les orientent vers l'hôpital le plus proche. Elles adressent leurs patientes en maternité pour une consultation pré-anesthésie et la grande majorité pour une ouverture de dossier obstétrical.<br />Elles disposent de matériel pour effectuer une surveillance du bien être fœtal (cardiotocographe et doppler fœtal), de médicaments d’urgence, de sets permettant la pose de voies veineuses périphériques à la mère... La plupart sont aussi équipées pour stabiliser une urgence vitale chez la mère (hémorragie post partum principalement) ou l’enfant (détresses respiratoires).</p>
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<h3>« Soif de liberté »</h3>
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<p>Quel parcours a suivi Rose Faugeras ? Son envie de devenir sage-femme est apparue en Terminale : elle souhaitait comprendre le fonctionnement du corps humain, tout en apportant une aide à des personnes en ayant besoin. Elle était également sensible à la place des femmes dans la société, aux idées du féminisme ou encore au « self help » <span style="font-size: 8pt;">(7)</span>... Entrée à la faculté de médecine de Limoges, elle a ensuite été admise en école de sage-femme. Durant quatre ans, elle a suivi des cours théoriques, pratiques, ainsi que des stages. Une fois son diplôme en poche, elle a assuré des remplacements d'une consœur libérale assistant des AAD, ce qui lui a servi de <em>« compagnonnage »</em>. Elle a ensuite ouvert son propre cabinet à Guéret.</p>
<p>Pendant ses études, elle n'a quasiment jamais entendu parler de l'AAD. <em>« C'était réduit à des bruits de couloir</em>, se souvient-elle. <em>C'était bien décrié. En tant qu'élève, on sentait qu'il valait mieux ne pas aborder le sujet... »</em> Elle connaissait cette pratique par ses parents :<em> « Je savais que l'AAD faisait partie des droits de la femme. C'est par les récits d'accouchement de ma mère, qui a choisi d'accoucher dans une clinique de Châteauroux, avec des valeurs qu'elle recherchait <span style="font-size: 8pt;">(8)</span>, que j'ai appris quels sont les choix qu'une femme peut faire pour mettre au monde. Ensuite, j'ai vu des reportages ; puis j'ai toujours été entourée d'ami·e·s né·e·s à la maison sans que ce soit un débat. »</em></p>
<p>Pourquoi n'a-t-elle pas souhaité travailler dans une structure comme une maternité ? <em>« J'ai soif de liberté. J'avais en tête tla façon dont je souhaitais agencer mon espace professionnel, le matériel à utiliser. Je voulais moi-même choisir mes conditions de travail. Avoir une bibliothèque à disposition des patientes, un espace thé / café pour la salle d'attente, utiliser des matériaux et produits écologiques, qu'il y ait aussi de l'art (tableau, sculpture...) Je souhaitais que mon lieu de travail soit adapté à un espace où j'aime prendre du temps... »</em></p>
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<h3>Un besoin d'accompagnement croissant</h3>
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<p>Comme toute sage-femme libérale, le travail de Rose consiste à informer et préparer ses patientes, à les rencontrer tous les mois jusqu'à la naissance, puis à continuer le suivi jusqu'au post partum.<em> « Ce sont des temps médicaux et de discussion où le couple peut formuler et clarifier ses propres projets de naissance. »</em> Elle a ainsi répondu à de nombreuses demandes d'accompagnement en AAD. En France, certaines sont parfois non satisfaites, du fait du peu de sages-femmes à les proposer. <em>« Cet accompagnement représente pour moi un idéal, un aboutissement en périnatalité, et une création d'équipe entre soignant·e et patiente adaptée et adaptable aux besoins et demandes des patientes et familles »</em>, souligne Rose.</p>
<p>L'AAD représentait 20 % de son activité, soit une à deux naissances par semaine<em>. « Mes horaires de travail sont très importants : il m'est arrivé de travailler six-sept jours par semaine, entre 10 et 12 heures par jour, avec de temps en temps un départ dans la nuit, ou les week-ends et jours fériés. J'ai vu un besoin croissant et une demande de plus en plus importante des femmes. J'allais jusqu'à deux heures de route autour de Guéret, puis j'ai commencé à réduire mon secteur, puis à refuser des demandes car je ne pouvais pas plus... »</em> La suspension de son activité signifie une difficulté supplémentaire pour l'unique consœur qui pratique aussi l'AAD sur son secteur, déjà sous-doté médicalement.<a href="http://www.rebonds.net/images/AAD/fantasy-4058352_960_720.jpg" class="jcepopup" data-mediabox="1" data-mediabox-title="Illustration : Cdd20."><img src="http://www.rebonds.net/images/AAD/fantasy-4058352_960_720.jpg" alt="fantasy 4058352 960 720" width="720" height="720" style="border: 2px double #e2e2e2; float: right;" /></a></p>
<p>Après cinq ans de pratique et des relations <em>« courtoises »</em> avec l'ARS, la plainte est tombée comme un couperet.<em> « Je ne m'attendais pas du tout à ça. Je me sens victime de violence institutionnelle. Je ressens un abus de pouvoir, une non volonté de comprendre. Je me sens vraiment jugée sans preuves. »</em> Comment expliquer cette position ? Au-delà de son cas particulier, pourquoi les autorités n'encouragent-elles pas l'AAD, alors qu'elles encouragent l'hospitalisation et le maintien à domicile (rappelons que ni la maternité ni l'accouchement ne sont des maladies…) ? <em>« Je n'ai pas encore toutes les clés de compréhension. C'est trop récent de mon côté et je n'ai pas assez de recul sur la situation,</em> répond Rose. <em>Ce que je vois et constate c'est que les droits de la femme sont bafoués. Il est très difficile pour une femme ayant un projet d'AAD de le mener à bien sereinement. La liberté de choisir le lieu de naissance est très contraint ; à mon sens, l'offre de soins n'est donc ni complète ni adaptée aux compétences de la sage-femme actuellement. »</em></p>
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<h3>Un droit en faveur du libre choix</h3>
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<p>Le droit. Que dit-il, en France ? Aucune loi n'interdit d'accoucher seule ou n'impose de lieu pour ce faire. En revanche, le code de la Santé publique plaide pour une information complète et loyale. Pourtant, Rose assure que 90 % des couples qu'elle a rencontrés avaient beaucoup de difficultés à obtenir des informations sur l'AAD.<em> « Cela ne fait pas partie de l'offre de soins. La plupart de mes collègues libérales, hospitalières, gynécologues et médecins ont tendance à désapprouver la demande des couples et à ne pas orienter vers un·e professionnel·le médical·e qui propose ce suivi… Généralement, les couples me contactaient grâce à leur réseau et leurs connaissances. »</em></p>
<p>Au niveau européen, le Parlement recommande plusieurs mesures afin d’intégrer l’accouchement à domicile au système de soin. La Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) affirme<em> « le droit de la vie privée des parents de choisir le lieu de naissance, dont le domicile »</em> et déclare que<em> « les Etats membres de l’Union européenne ont un devoir d’action, c’est-à-dire qu’ils doivent prévoir une législation mettant en œuvre les moyens suffisants pour exercer cette liberté »</em>. Mais la France n'a pas signé la charte…</p>
<p>Au niveau international, l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) a publié un guide pratique intitulé « Les soins liés à un accouchement normal », qui précise notamment l'importance du respect du choix éclairé de la femme quant au lieu de la naissance. De plus, en 2007, lors d'une conférence réunissant une soixantaine de pays, l’OMS a formulé des recommandations dont l'une d'elles rappelle : <em>« Les éventuels systèmes parallèles de soins périnataux (que représentent par exemple les accoucheuses traditionnelles) doivent cohabiter avec le système officiel, et leur collaboration doit être maintenue au bénéfice de la mère. De telles relations, si elles sont établies sans aucune tentative de domination d’un système sur l’autre, peuvent être très fructueuses. »</em></p>
<p>Du côté des sages-femmes, leur code de déontologie reprend des articles du code de la Santé publique <span style="font-size: 8pt;">(9),</span> notamment ceux qui définissent leur champ de compétences.<em> « L’ensemble de ces compétences permet aux sages-femmes françaises d’assurer la surveillance d’une naissance et d’agir de manière adaptée en cas de complications. Il n’est fait aucune mention de lieu d’exercice ou d’interdiction de pratiquer à domicile »</em>, rappelle l'Association Professionnelle pour l'AAD.</p>
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<h3>Pas de risque supplémentaire à domicile</h3>
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<p>Alors ? Qu'est-ce qui bloque ? Le risque de complications médicales ? Des recherches ont montré que pour des accouchements dont les conditions sont comparables et pour une population sélectionnée à bas risques, les taux de mortalité et de morbidité périnatales sont égaux à domicile et à l'hôpital, voire légèrement inférieurs à domicile <span style="font-size: 8pt;">(10)</span>. Réalisées à l'échelle internationale, ces recherches concluent que l'accouchement à l'hôpital ne peut se justifier sur la base de la sécurité.<br />En 2012, le conseil national de l'ordre des sages-femmes lui-même faisait référence à des études menées ,'année précédente pour affirmer que <em>« d’autres lieux d’accouchement que l’hôpital ne présentent pas un sur-risque pour les femmes et les nouveau-nés »</em><span style="font-size: 8pt;"> (11)</span>.</p>
<p>En France, comme dans l'ensemble des pays industrialisés, les AAD représentent moins de 1 % de l'ensemble des accouchements. Mais certains Etats font le choix de l'encourager comme les Pays-Bas où la proportion atteint 31 % ou encore l'Angleterre où, depuis 2014, le NICE (National Institute for health and Care Excellence) recommande l'accouchement à domicile pour les femmes en bonne santé.</p>
<p>Le principal « problème » ne viendrait-il pas de la gestion de la douleur ? Ou de l'image que chacun·e d'entre nous en avons ? Comment l'aborder sans la technique, la médecine, la péridurale ?<br /><em>« Tu enfanteras dans la douleur »</em>, aurait dit le dieu chrétien à la première femme, Eve, en punition pour avoir croqué dans le fruit défendu de la connaissance (et en avoir fait profiter le pauvre Adam). Dans son ouvrage intitulé « Mettre au monde »<span style="font-size: 8pt;"> (12)</span>, le journaliste et auteur Patrice Van Eersel rappelle la position de Françoise Dolto, célèbre pédopsychiatre et psychanalyste française, à ce sujet : <em>« Il faut savoir que l'accouchement échappe à toute logique. C'est un état magique et c'est un instant archaïque. Le corps se divise en deux sans mourir. Et tout de suite, la mère et l'enfant ont besoin l'un de l'autre. Pour se consoler. Elle d'avoir perdu son œuf, lui son placenta. Et c'est cela, la fameuse douleur du « Tu enfanteras dans la douleur ». C'est la séparation. C'est l'angoisse de la division du corps, ce n'est pas l'accouchement et ses contractions. « Tu enfanteras dans la douleur » a un sens beaucoup plus général. L'enfant va petit à petit prendre son autonomie. C'est à la succession de ces séparations que faisait allusion la malédiction divine. »</em> <span style="font-size: 8pt;">(13)</span></p>
<p>Bien sûr, les douleurs de l'enfantement ne sont pas des illusions. La médecine occidentale y répond aujourd'hui quasi systématiquement par la péridurale : 90 % des femmes françaises accouchent sous cet anesthésique. D'autres voies sont possibles. Considérant que les douleurs étaient principalement causées par la peur et donc, par des tensions empêchant le corps de faire sereinement son œuvre, des méthodes se sont concentrées sur deux axes : la connaissance du corps de la femme par la femme elle-même ; et des conditions d'accouchement les plus naturelles et rassurantes possibles (accouchement dans la pénombre et le calme, place de la compagne ou du compagnon…).</p>
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<h3>La préparation, rempart contre la peur</h3>
<p><span style="font-size: 12pt; color: #ff615d;"><strong>______________________________________________</strong></span></p>
<p>La plupart de ces méthodes se sont particulièrement intéressées au périnée, organe au rôle prépondérant durant l'accouchement, mais aussi plus généralement dans la sexualité (les deux étant intrinsèquement liés). <a href="http://www.rebonds.net/images/AAD/creativity-4912479_960_720.jpg" class="jcepopup" data-mediabox="1" data-mediabox-title="Illustration : Cdd20."><img src="http://www.rebonds.net/images/AAD/creativity-4912479_960_720.jpg" alt="creativity 4912479 960 720" width="405" height="720" style="border: 2px double #e2e2e2; float: right;" /></a><em>« L'héritage puritain des Occidentaux, associé à la vie sédentaire et au confort, nous a gravement coupé de nos corps et de nos sexes, qui nous demeurent largement inconnus malgré la « libération » sexuelle »</em>, écrit Patrice Van Eersel. Partout dans le monde, des sages-femmes apprennent aux femmes à explorer et entraîner leurs corps pour mieux en ressentir les mécanismes. Lorsque le vagin est musculairement fort, il laisse passer le bébé sans douleurs <em>« crucifiantes »</em>.</p>
<p>C'est pourquoi, la préparation à l'accouchement ne devrait pas se limiter à quelques heures. Selon le professeur René Frydman<span style="font-size: 8pt;"> (14)</span>, pour être le mieux vécu possible, un accouchement doit être conscientisé ; la femme a près de neuf mois pour s'y préparer pleinement. Pourtant, la perspective de la péridurale lui enlèverait cet investissement. <em>« Plus la médecine se fait interventionniste au moment de l'accouchement, plus elle devrait convaincre les femmes de « conscientiser » l'ensemble de leur grossesse, c'est-à-dire par exemple et en particulier, de s'impliquer dans une méthode de préparation sérieuse et profonde dès qu'elles se savent enceintes. Malheureusement, c'est souvent l'inverse qui se produit : délivrées de la peur de vivre un accouchement douloureux, un certain nombre (et peut-être un nombre certain) de femmes se déssaisissent en quelque sorte de toute une part de leur grossesse, qu'elles confient à autrui, aux blouses blanches, aux spécialistes. Le progrès technique se solde alors par un anti-progrès humain, une déresponsabilisation de la personne. »</em> <span style="font-size: 8pt;">(15)</span><br />Ce que propose Frydman ? Que l'offre de la péridurale soit conditionnée à un engagement de la part des femmes à se préparer intensément. Le professeur remarque alors que parmi toutes celles qui ont joué le jeu, <em>« un certain nombre finit par atteindre une telle confiance en elles-mêmes que finalement elles renoncent à l'anesthésie péridurale pourtant tant désirée au début, pour vivre l'ensemble de l'aventure avec leur forces propres – ce qui leur donne ensuite une confiance encore plus grande à vivre de manière autonome, leur accouchement leur ayant véritablement servi d'initiation »</em>.</p>
<p><strong><span style="color: #fc615d;">______________________________________________________________</span></strong></p>
<h3>Des associations et des fonds de soutien</h3>
<p><span style="font-size: 12pt; color: #ff615d;"><strong>_________________________________________________</strong></span></p>
<p>Le choix du lieu d'un accouchement et de l'accompagnant·e est aussi, pour la femme qui s'apprête à enfanter, affaire de confiance. Ce choix doit être éclairé et non influencé par d'obscures a priori, conventions sociales, lobbies.<br />Le travail des sages-femmes, qui répond à un réel besoin, ne doit pas être entravé. Depuis 2002, la loi Kouchner les oblige à se doter d'une responsabilité civile professionnelle spécifique. Les compagnies d'assurance en ont profité pour monter les primes jusqu'à 25.000 euros par an ! L'enquête de l'Association Professionnelle de l'AAD réalisée en 2018 (<em>lire les détails ci-dessous</em>) a montré que les motifs de cessation d'activité sont liés à cette problématique, mais aussi aux pressions de la part d’autres professionnels, à la couverture insuffisante du territoire par les sages-femmes AAD engendrant des conditions de travail épuisantes et stressantes, et l’isolement.</p>
<p>La période que nous venons de vivre nous prouve que personne ne gagne à ce que les professionel·le·s du soin désertent des pans entiers de notre pays.</p>
<p>La résistance s'organise. Associations et collectifs de soutien à l'AAD se constituent. Ils réunissent familles, parents, professionnel·le·s mais aussi citoyen·nes désireux·ses de défendre le droit d'accoucher librement. Un fonds de soutien a vu le jour pour les sages-femmes qui, comme Rose Faugeras, font l'objet de plaintes considérées comme abusives. Pour que cesse l'hégémonie de la médicalisation et que chacun·e reprenne le pouvoir sur ce qui lui appartient : sa volonté et son corps.<br /><br /><strong>Fanny Lancelin</strong></p>
<p><span style="font-size: 8pt;"></span><span style="font-size: 8pt;">(1) Lire aussi la rubrique (Re)découvrir.<br />(2) A suivre dans la rubrique (Re)visiter le 30 juin 2020.<br />(3) <a href="http://www.associationdedefensederose.fr/">http://www.associationdedefensederose.fr/</a><br />(4) « Histoire de la naissance en France : XVIIe - XXe siècle » de Marie-France Morel, article paru dans la revue ADSP de décembre 2007-mars 2008 : <a href="https://www.hcsp.fr/Explore.cgi/Telecharger?NomFichier=ad612228.pdf">https://www.hcsp.fr/Explore.cgi/Telecharger?NomFichier=ad612228.pdf</a><br />(5) Terme qui désigne la femme accouchant.<br />(6) Association Professionnelle de l'AAD : <a href="http://www.apaad.fr/aad-en-france/">http://www.apaad.fr/aad-en-france/</a><br />(7) Self-help ou self-care : principe d'autonomie dans le soin.<br />(8) Clinique de Châteauroux : <a href="https://www.ch-chateauroux-leblanc.fr/categorie-offresoinsch/7/maternite-femme-mere-enfant">https://www.ch-chateauroux-leblanc.fr/categorie-offresoinsch/7/maternite-femme-mere-enfant</a><br />(9) Articles R.4127-306 et R.4127-318 du Code de la Santé publique.<br />(10) Peat, Marwick, Stevenson & Kellog, 1991 ; Janssen, Holt, Myers, 1994 ; Olsen, 1997 ; B.C. Home Birth Demonstration Project, 2000. Source : <a href="http://www.apaad.fr/aad-en-france/">http://www.apaad.fr/aad-en-france/</a><br />(11) « Perinatal and Maternal outcomes by planed place of birth for healthy women with low risk pregnancies : the Birthplace in England national prospective cohort study – BMJ 2011 » et « Planned Home compared with planned hospital birth in the Netherlands – Obstetrics and Gynecology Vol. 118, N°5, November 2011 » cités dans Contact Sages-femmes (numéro 30, février 2012). Source : <a href="http://www.apaad.fr/aad-en-france/">http://www.apaad.fr/aad-en-france/</a><br />(12) « Mettre au monde – enquête sur les mystères de la naissance » de Patrice Van Eersel (éditions Albin Michel). Lire aussi la rubrique (Ré)créations.<br />(13) p.54, « Mettre au monde – enquête sur les mystères de la naissance » de Patrice Van Eersel (éditions Albin Michel).<br />(14) René Frydman : obstétricien, gynécologue des hôpitaux de Paris et enseignant. Il est notamment célèbre pour avoir participé à la naissance du premier bébé-éprouvette français.<br />(15) p.90, « Mettre au monde – enquête sur les mystères de la naissance » de Patrice Van Eersel (éditions Albin Michel).</span></p>
<p> </p>
<div class="panel panel-primary">
<div class="panel-heading">
<h3 class="panel-title">Une enquête précise sur l'AAD</h3>
</div>
<ul>
<li>En 2018, l'Association Professionnelle de l'Accouchement Accompagné A Domicile (APAAD) a réalisé un état des lieux de la pratique en France :<br />- l'AAD représente aujourd'hui 2.000 naissances par an soit 0,25 % des naissances ;<br />- en 2018, 88 sages-femmes étaient identifiées sur le territoire comme pratiquant l'AAD ; elles étaient 122 sur les cinq dernières années ;<br />- elles avaient accompagné 1.347 femmes (ce qui comprend les femmes ayant commencé à accoucher à domicile et celles ayant entièrement accouché à domicile) ;<br />- la couverture du territoire est très inégale laissant place à de larges territoires non couverts par les sages-femmes AAD. Les secteurs où les conditions de collaboration avec les hôpitaux sont favorables sont mieux couverts. Les régions les mieux dotées se situent à l'ouest, en région parisienne et dans le sud ;<br />- l’âge moyen de la population AAD est de 32 ans ; celle-ci est donc plus âgée que la population générale accouchante dont l’âge moyen était de 30,5 ans en 2016 ;<br />- pour 34 % des femmes, il s’agissait du premier accouchement et pour 35 % du second enfant ;<br />- 84,6 % des femmes de la population étudiée étaient classées à bas risque strict, qu’il s’agisse des antécédents ou du déroulement de la grossesse ;<br />- la part de femmes ayant accouché la semaine du terme théorique est largement plus importante que dans la population générale. Il en est de même pour la part de femmes ayant dépassé le terme. L’absence de déclenchement artificiel du travail et la sélection des patientes expliquent ces résultats ;<br />- 12,7 % des accouchements ont nécessité un transfert per-partum que ce soit du fait d’une anomalie du travail ou afin de bénéficier d’une méthode d’analgésie médicamenteuse ;<br />- toutes les femmes ayant accouché à domicile ont accouché par voie basse non instrumentale ;<br />- 96,6 % des femmes ayant effectivement accouché à domicile ont présenté une délivrance normale et complète ;<br />- parmi les femmes ayant accouché à domicile, 65,4 % ont un périnée intact suite à l’accouchement, 33,7 % présentaient une déchirure du premier ou du second degré et seules 0,2 % une déchirure complète. Aucune n’a présenté de déchirure complète compliquée. Seulement 0,3 % des femmes a subi une épisiotomie. Parmi les femmes ayant présenté une déchirure périnéale, 53 % des cas n’ont pas nécessité de suture. Des résultats bien meilleurs que dans les accouchements hospitaliers ;<br />- dans le cadre de cette enquête, les femmes AAD sont en proportion 3,5 fois moins nombreuses que la population générale et 5,5 fois moins nombreuses que la population bas risque hospitalière à avoir développé une hémorragie du post-partum sévère ; <br />- l’ensemble des enfants nés à domicile sont nés vivants.<br /><br />L'intégralité des résultats de l'enquête est à retrouver sur <a href="http://www.apaad.fr/wp-content/uploads/2019/09/ETAT-des-LIEUX-AAD-FRANCE-2018.pdf">http://www.apaad.fr/wp-content/uploads/2019/09/ETAT-des-LIEUX-AAD-FRANCE-2018.pdf</a></li>
</ul>
</div><p>J'ai fait le choix de ne pas enfanter. Ce choix n'est pas arrivé comme ça, en se levant un beau matin. Il est né d'une intuition, s'est affirmé au creux de profondes convictions, et s'est enraciné tranquillement mais fermement. Parce qu'il est le fruit d'une longue réflexion, je suis sereine. Je sais que je ne regretterai pas...</p>
<p><a href="http://www.rebonds.net/images/AAD/creativity-4913118_960_720.jpg" class="jcepopup" data-mediabox="1" data-mediabox-title="Illustration : Cdd20."><img src="http://www.rebonds.net/images/AAD/creativity-4913118_960_720.jpg" alt="creativity 4913118 960 720" width="509" height="720" style="border: 2px double #e2e2e2; float: right;" /></a><br />Bien sûr, tout au long de ma vie de femme, j'ai dû faire face à de multiples injonctions sociales. Aux remarques du type <em>« Tu dis ça parce que tu es encore jeune »</em>, ont succédé les <em>« Peut-être que tu n'as pas trouvé la bonne personne »</em>, remplacées aujourd'hui par des <em>« Tu es trop radicale ! »</em>. Je vais bientôt passer l'âge limite, j'ai eu le père parfait pendant plus de vingt ans sous la main et je ne serai jamais assez radicale à mon goût…</p>
<p>Une femme qui refuse d'enfanter. Que peut-elle bien être, aux yeux du monde ? Que peut-elle bien représenter aux yeux de toutes celles qui font le choix inverse : celui d'accueillir une autre vie en leur chair, de se dédoubler, pour finalement mettre au monde un nouvel être ?</p>
<p>Synchronicité. La même semaine au cours de laquelle ma gynécologue me demanda pour la énième fois si vraiment j'étais bien certaine de mon choix – parce que la date limite d'utilisation de mon utérus approchait semble-t-il ! – je reçus un e-mail qui me fit l'effet d'un signe. Aurélie <span style="font-size: 8pt;">(1)</span> m'envoyait un compte rendu d'une réunion visant à organiser le soutien de Rose Faugeras, sage-femme accompagnant l'Accouchement A Domicile (AAD), radiée de son ordre professionnel. <em>« Un prochain sujet pour (Re)bonds ? »</em> me suggérait-elle.<br />Quelques jours plus tard, une autre amie, Alice, me proposait d'apporter son témoignage sur les deux AAD qu'elle avait vécues <span style="font-size: 8pt;">(2)</span>.</p>
<p>Ces femmes qui avaient fait le choix d'enfanter, d'une manière devenue si peu commune qu'elle en devenait suspecte, se tournaient vers moi, qui avait fait le choix de ne pas enfanter, pour transmettre leur message. Comment pourrais-je transcrire leurs désirs, leurs attentes, leurs sentiments ?<br />Certes, être journaliste, c'est être avant tout un·e passeur·se. Il n'est pas besoin de vivre réellement chaque expérience que l'on relate. Mais le sujet s'était présenté à un tel moment que je ne pouvais éluder la question. Qu'est-ce qui, dans ce sujet, me toucherait particulièrement, au point que je pourrais le défendre ?</p>
<p>Le libre choix. L'autonomie. Le droit de chacun·e à disposer de son corps. Le droit des femmes en particulier à ne plus être dépossédées de leurs responsabilités. Le pouvoir de dire : <em>« Je suis prête. J'ai fait un long chemin pour arriver là. Je sais. J'assume. »</em><br />C'est ce chemin-là que nous partageons, et sur lequel nous retrouvons toutes les personnes qui luttent pour que soient vécus et respectés pleinement ces droits. Parmi elles, il y a Rose Faugeras.</p>
<p><strong><span style="color: #fc615d;">_______________________________________________________</span></strong></p>
<h3>Une pratique qui suscite la méfiance</h3>
<p><span style="font-size: 12pt; color: #ff615d;"><strong>___________________________________________</strong></span><span style="font-family: georgia, palatino;"><span style="color: #fc615d;"></span></span></p>
<p>Rose Faugeras est sage-femme libérale à Guéret dans la Creuse, dans la région de Nouvelle Aquitaine. De 2014 à 2019, elle a pratiqué l'accompagnement de l'accouchement à domicile. Malgré la distance géographique, elle a notamment assisté des familles vivant dans le Cher, comme celles de Maryline, Aurélie, Alice et Pauline (<em>qui témoignent dans les rubriques (Re)découvrir, (Re)visiter et (Re)vue</em>). Mais depuis le mois de mai, elle a décidé de suspendre toutes ses activités professionnelles.</p>
<p>Rose se trouve dans une situation délicate, pour ne pas dire douloureuse. Elle n'est pas la seule, mais son exemple illustre bien les obstacles que les femmes doivent aujourd'hui surmonter pour exercer leur droit à enfanter comme elles l'entendent.<br />En 2019, Rose a fait l'objet d'une plainte de l'ARS (Agence Régionale de Santé) suite à un problème infectieux rencontré par deux patientes aux lendemains de leurs accouchements. Orientées par la sage-femme vers l'hôpital, elles ont été soignées et ne présentent aucune séquelle, ni leurs bébés. <br />Le 3 décembre 2019, Rose a été convoquée devant la chambre disciplinaire interrégionale des sages-femmes du tribunal ordinal à Toulouse, qui lui reprochait un retard dans sa prise en charge. Verdict brutal en janvier 2020 : radiation à vie.</p>
<p>Spontanément, ses patientes ont constitué une association pour la défendre <span style="font-size: 8pt;">(3).</span> Pour elles, le problème infectieux – rencontré également lors d'accouchements à l'hôpital – est une bonne aubaine pour les autorités. <em>« Bien que l'Accouchement À Domicile (AAD) soit autorisé et encadré par la charte de l'association des sages-femmes libérales, en pratique, l'AAD suscite méfiance et rejet d'une partie du corps médical et des instances de pouvoir : ces trois derniers mois, déjà quatre sages-femmes ont été jugées »</em>, écrivent-elles dans une pétition lancée pour la réintégration de Rose.</p>
<p>Celle-ci a décidé de faire appel, ce qui suspend le verdict. La prochaine étape se passera devant la chambre disciplinaire ordinale nationale à Paris. La sage-femme est prête à aller jusqu'au Conseil d’État voire la Cour Européenne. C'est d'ailleurs pour conserver force et énergie qu'elle a décidé de stopper ses activités professionnelles, alors qu'elle aurait tout à fait le droit d'exercer jusqu'au prochain jugement (dont la date n'est pas encore connue).<a href="http://www.rebonds.net/images/AAD/disease-4051342_960_720.jpg" class="jcepopup" data-mediabox="1" data-mediabox-title="Illustration : Cdd20."><img src="http://www.rebonds.net/images/AAD/disease-4051342_960_720.jpg" alt="disease 4051342 960 720" width="508" height="720" style="border: 2px double #e2e2e2; float: right;" /></a><br />Exercer avec cette épée de Damoclès au-dessus de la tête était trop difficile, m'explique-t-elle dans un échange par mail :<em> « Je me sens en insécurité. C'est pourquoi j'ai choisi de faire une pause dans les suivis des AAD durant cette période et maintenant, de faire une pause professionnelle afin de rester dans de bonnes conditions physiques et mentales dans mes suivis. Je n'ai pas envie de vivre cette situation en permanence et que ça déteigne sur mes patientes. Je suis aussi très affectée et triste de notre situation francaise. Je me pose de multiples questions sur la reconnaissance et la légitimité des compétences de la sage-femme dans notre pays. Heureusement que toutes mes patientes m'apportent un immense soutien, ça me touche beaucoup. »</em></p>
<p>La situation française… quelle est-elle ? Pourquoi l'AAD est-elle si décriée, alors que les pays scandinaves, le Québec, la Suisse ou encore la Belgique le plébiscitent ? Quels freins (sanitaires, matériels, financiers, culturels) empêchent cette pratique de se développer ? Quels paradoxes soulèvent-ils ?</p>
<p><strong><span style="color: #fc615d;">____________________________________________</span></strong></p>
<h3>Le rôle central des matrones</h3>
<p><span style="font-size: 12pt; color: #ff615d;"><strong>___________________________________</strong></span><span style="font-family: georgia, palatino;"><span style="color: #fc615d;"></span></span></p>
<p>Peut-être l'avons-nous oublié mais longtemps, en France, les femmes accouchèrent chez elles. Jusqu'au XVIIIe siècle, en fait. <em>« Evénement hors du commun malgré sa fréquence, l’accouchement, tout comme la mort, se passe là où vit au jour le jour et depuis des années une lignée familiale, dont le destin s’identifie à une maison, à un village, dont on fait partie et d’où l’on ne bouge guère »</em>, écrit Marie-France Morel, historienne et présidente de la Société d'histoire de la naissance<span style="font-size: 8pt;"> (4)</span>. Les accouchements se déroulent alors au creux du foyer, dans la salle où se trouve le poêle, dans une atmosphère calfeutrée. Chez les plus pauvres, on choisit parfois l'étable pour profiter du foin et de la chaleur des animaux.<br />Les femmes peuvent enfanter seules ou, majoritairement, accompagnées d'autres femmes : <em>« au centre, la matrone (appelée « la femme qui aide », ou la « mère mitaine », ou la « bonne mère ») est bien connue de tout le village ; elle est en général âgée, et donc disponible ; elle a appris son métier sur le tas, sans étudier. Souvent fille ou nièce de matrone, il lui a suffi de réussir quelques accouchements pour avoir la confiance des villageoises ; elle ne sait en général ni lire ni écrire, et le curé qui surveille ses compétences ne lui demande que de savoir réciter les formules du baptême, au cas où elle devrait ondoyer un nouveau-né mal en point »</em>, explique Marie-France Morel. Autour de la matrone, les parentes, amies, voisines qui préparent le lit, les linges, le feu, le fil… Elles partagent leurs conseils, tentent d'apaiser la parturiente<span style="font-size: 8pt;"> (5),</span> s'occupent du bébé lorsqu'il sort. Les jeunes filles qui ne sont pas encore mères, les enfants et les hommes ne sont en principe pas admis·es. Excepté le père, qui est même invité à intervenir en cas de difficulté. Mais l'accouchement est avant tout une affaire de femmes. Comment pourrait-il en être autrement ?</p>
<p>A l'époque, <em>« seules les pauvresses ou les filles mères, qui n’ont nulle part où aller, accouchent à l’hôpital, qui n’est pas un établissement de soins, mais un lieu d’assistance, où l’on recueille les malades pauvres ; on y meurt beaucoup plus qu’ailleurs, à cause de l’entassement et de la contagion des « fièvres » qu’on ne sait pas maîtriser. En temps ordinaire, 10 % des accouchées meurent, mais, à certains moments, la mort en emporte plus de la moitié »</em>, souligne Marie-France Morel. A domicile aussi, les risques sont importants : on estime alors entre 1 et 2 % les femmes qui meurent en couches ou des suites de leur accouchement.</p>
<p><strong><span style="color: #fc615d;">_______________________________________________________________________________________</span></strong></p>
<h3>Une dépendance vis-à-vis des hommes et de la médecine</h3>
<p><span style="font-size: 12pt; color: #ff615d;"><strong>____________________________________________________________________</strong></span></p>
<p>A partir du XVIIe siècle, des accoucheurs, hommes donc, font progressivement leur apparition, d'abord dans les milieux de la noblesse : il s'agit souvent de chirurgiens qui vont bientôt établir des traités d'obstétrique. Au départ réticentes, les familles font de plus en plus souvent appel à eux, y compris pour des accouchements sans difficultés, « au cas où ». La présence de ces hommes change considérablement les pratiques de la naissance : ils font sortir toutes celles qui entouraient autrefois la parturiente, au prétexte qu'il lui faut du calme et de l'air.<em> « Il lui impose aussi la position la plus commode pour lui et la plus dépendante pour elle, en la faisant coucher sur le dos, ce qui est une gêne par rapport à la liberté des anciennes postures</em>, écrit Marie-France Morel. <em>Dans l’obstétrique savante du XVIIIe siècle, seule la position allongée sur le dos est convenable ; les autres positions sont condamnées au nom de la décence, car elles « répugnent à l’humanité » ; la femme qui les pratique peut être comparée à une bête ! »</em><br />On sait aujourd'hui que cette position est une ineptie. Naturellement, pour maîtriser la douleur, la plupart des femmes choisiraient d'accoucher debout, à quatre pattes ou sur le côté.</p>
<p>Les accoucheurs sont munis d'appareils « modernes » comme les leviers et les forceps, qui sont le privilège exclusif des hommes, médecins ou chirurgiens, puisque matrones et sages-femmes, même instruites, n’ont pas le droit de s’en servir.<em> « Grâce à la pratique instrumentale, l’accouchement cesse d’apparaître comme un acte naturel : il nécessite le recours à un homme de l’art, à la fois savant et fort. C’est un premier pas vers la médicalisation de la naissance. »</em></p>
<p>A la campagne cependant, les matrones assurent toujours l'essentiel des accouchements. Mais elles sont bientôt les victimes de plaintes de la part des médecins : ils accusent leur ignorance de faire périr trop de mères et d'enfants. A partir de 1760, le pouvoir royal leur donne une formation : des cours itinérants sont organisés, notamment par la célèbre maîtresse sage-femme Angélique du Coudray <em>(lire aussi la rubrique (Ré)créations</em>). Des chirurgiens-accoucheurs lui succèdent et forment ainsi environ 12.000 sages-femmes.<br />Au XIXe siècle, elles doivent suivre des cours théoriques dans les facultés de médecine ou les hôpitaux. Les accouchements ont encore largement lieu à la maison : <em>« Les hôpitaux restent encore des lieux effrayants qui n’accueillent que les filles mères ou les pauvresses. Les naissances y sont bien plus dangereuses qu’à domicile. »</em></p>
<p><strong><span style="color: #fc615d;">_________________________________</span></strong></p>
<h3>Faire taire la douleur</h3>
<p><span style="font-size: 12pt; color: #ff615d;"><strong>__________________________</strong></span></p>
<p>A partir des années 1840, la médecine occidentale découvre le pouvoir des drogues anesthésiantes. Dans les pays anglo-saxons, les femmes sont de plus en plus nombreuses à demander à « faire taire la douleur ».<em> « Mais, paradoxalement, cette volonté des femmes d’abolir la douleur les conduit à dépendre plus exclusivement du médecin : car les sages-femmes, même les mieux formées, ne peuvent administrer les drogues, pas plus qu’elles ne sont autorisées à se servir des instruments. Seuls les hommes médecins savent doser les analgésiques et détiennent ainsi la possibilité d’un bon accouchement, sans douleur. Il faut donc recourir de plus en plus à eux, avec tout ce que cela implique de distance prise par rapport à l’ancienne sociabilité féminine de la chambre d’accouchement. »</em> Dans le même temps, le médecin attire de plus en plus ses clientes vers l’hôpital qui tend à devenir un véritable espace de soins.<a href="http://www.rebonds.net/images/AAD/caricature-5123406_960_720.jpg" class="jcepopup" data-mediabox="1" data-mediabox-title="Illustration : Cdd20."><img src="http://www.rebonds.net/images/AAD/caricature-5123406_960_720.jpg" alt="caricature 5123406 960 720" width="720" height="720" style="border: 2px double #e2e2e2; float: right;" /></a></p>
<p>En France, ce sont les années 1920-1930 qui marquent l'essor de l'accouchement à l'hôpital, surtout en milieu urbain. Marie-France Morel retient deux raisons : l'encouragement de l’État par des aides couvrant les frais d'accouchement (pour faire face à la dénatalité) ; la transformation de l'hôpital en <em>« haut lieu de technicité »</em> avec des services dédiés à la naissance. A la campagne, l'accouchement à domicile reste majoritaire jusqu'à la fin de la Seconde Guerre mondiale.<em> « À partir de 1952, l’évolution s’accélère : la majorité des accouchements ont lieu désormais en milieu hospitalier (53 % en 1952, 85 % en 1962). »</em><br />Mais, parallèlement, une autre mutation est en cours : <em>« à l’initiative du docteur Fernand Lamaze (1890-1957), accoucheur à Paris à la Polyclinique des métallurgistes (rue des Bluets), est mise au point une méthode d’accouchement « sans douleur », inspirée des recherches de médecins soviétiques »</em>. Il s'agit d'une <em>« préparation psychique et physique agissant sur l’anxiété »</em>. En 1952, 500 accouchements de ce type sont réalisés. Bien sûr, la méthode a ses détracteurs mais à force de luttes, des associations de femmes notamment, obtiennent que les séances de préparation soient remboursées par la Sécurité sociale. Même le Pape de l'époque (Pie XII) donne sa bénédiction à cette méthode, levant les objections des plus fondamentalistes des Chrétiens attachés au <em>« Tu enfanteras dans la douleur »</em>...</p>
<p>Marie-France Morel conclut :<em> « Le lieu où la femme accouche et où naît son enfant est bien plus qu’un simple espace de soins. Il participe à la symbolique et au mystère qui sont au cœur de toute naissance humaine. Il conditionne un certain nombre de gestes, d’attitudes et différentes formes de sociabilité. Autrefois, près de la cheminée familière, l’accouchée était accompagnée et rassurée dans son travail et ses douleurs par les femmes de sa communauté ; cette aide à la fois charnelle et morale était capitale, elle permettait de surmonter l’angoisse de mort qui entoure inévitablement chaque venue au monde. »</em> L'historienne n'est pas nostalgique du <em>« bon vieux temps »</em> mais<em> « force est de constater que la chaleur amicale et sécurisante des anciens accouchements à la maison s’est perdue avec le passage à l’hôpital : le lieu anonyme et aseptisé, le face-à-face distant avec un personnel inconnu et interchangeable, l’interventionnisme médical de plus en plus pesant sont peu faits pour rassurer »</em>.</p>
<p><strong><span style="color: #fc615d;">___________________________________________________________________</span></strong></p>
<h3>Une technicisation de la naissance contestée</h3>
<p><span style="font-size: 12pt; color: #ff615d;"><strong>_____________________________________________________</strong></span></p>
<p>C'est sans doute pourquoi, les demandes d'accouchements assistés à domicile progressent. Les usager·e·s prennent désormais une place importante dans le champ de la santé et sont de plus en plus critiques sur la relation asymétrique médecin-patient·e. De même, <em>« la technicisation de la naissance »</em> est aujourd’hui contestée. <em>« De nombreux travaux montrent en effet que la plupart de[s] interventions (rupture de la poche des eaux, administration d’hormones accélérant le travail, monitoring en continu, épisiotomie, césarienne, etc.) ne présentent pas d’avantages décisifs et, à l’inverse, entraînent des conséquences négatives sur la santé de la mère et de l’enfan</em>t, écrivent les membres de l'Association Professionnelle pour l'AAD <span style="font-size: 8pt;">(6)</span>. <em>Cela commence à être reconnu en France, mais notre pays présente un retard d’environ trente ans par rapport aux nord américains et nord européens par exemple. »<a href="http://www.rebonds.net/images/AAD/fantasy-4063615_960_720.jpg" class="jcepopup" data-mediabox="1" data-mediabox-title="Illustration : Cdd20."><img src="http://www.rebonds.net/images/AAD/fantasy-4063615_960_720.jpg" alt="fantasy 4063615 960 720" width="720" height="720" style="border: 2px double #e2e2e2; float: right;" /></a></em></p>
<p>Les accouchements assistés à domicile n’ont plus rien à voir avec ceux pratiqués avant l’apparition des antibiotiques, des ocytociques et des techniques obstétricales modernes. Et en France, les sages-femmes accompagnant les naissances à domicile ne sont plus les matrones d'autrefois : elles suivent la même formation qu'une sage-femme hospitalière. Elles n'acceptent ce type d'accouchements que pour les femmes dites à bas risques et, en cas de complications, elles les orientent vers l'hôpital le plus proche. Elles adressent leurs patientes en maternité pour une consultation pré-anesthésie et la grande majorité pour une ouverture de dossier obstétrical.<br />Elles disposent de matériel pour effectuer une surveillance du bien être fœtal (cardiotocographe et doppler fœtal), de médicaments d’urgence, de sets permettant la pose de voies veineuses périphériques à la mère... La plupart sont aussi équipées pour stabiliser une urgence vitale chez la mère (hémorragie post partum principalement) ou l’enfant (détresses respiratoires).</p>
<p><strong><span style="color: #fc615d;">____________________________</span></strong></p>
<h3>« Soif de liberté »</h3>
<p><span style="font-size: 12pt; color: #ff615d;"><strong>______________________</strong></span></p>
<p>Quel parcours a suivi Rose Faugeras ? Son envie de devenir sage-femme est apparue en Terminale : elle souhaitait comprendre le fonctionnement du corps humain, tout en apportant une aide à des personnes en ayant besoin. Elle était également sensible à la place des femmes dans la société, aux idées du féminisme ou encore au « self help » <span style="font-size: 8pt;">(7)</span>... Entrée à la faculté de médecine de Limoges, elle a ensuite été admise en école de sage-femme. Durant quatre ans, elle a suivi des cours théoriques, pratiques, ainsi que des stages. Une fois son diplôme en poche, elle a assuré des remplacements d'une consœur libérale assistant des AAD, ce qui lui a servi de <em>« compagnonnage »</em>. Elle a ensuite ouvert son propre cabinet à Guéret.</p>
<p>Pendant ses études, elle n'a quasiment jamais entendu parler de l'AAD. <em>« C'était réduit à des bruits de couloir</em>, se souvient-elle. <em>C'était bien décrié. En tant qu'élève, on sentait qu'il valait mieux ne pas aborder le sujet... »</em> Elle connaissait cette pratique par ses parents :<em> « Je savais que l'AAD faisait partie des droits de la femme. C'est par les récits d'accouchement de ma mère, qui a choisi d'accoucher dans une clinique de Châteauroux, avec des valeurs qu'elle recherchait <span style="font-size: 8pt;">(8)</span>, que j'ai appris quels sont les choix qu'une femme peut faire pour mettre au monde. Ensuite, j'ai vu des reportages ; puis j'ai toujours été entourée d'ami·e·s né·e·s à la maison sans que ce soit un débat. »</em></p>
<p>Pourquoi n'a-t-elle pas souhaité travailler dans une structure comme une maternité ? <em>« J'ai soif de liberté. J'avais en tête tla façon dont je souhaitais agencer mon espace professionnel, le matériel à utiliser. Je voulais moi-même choisir mes conditions de travail. Avoir une bibliothèque à disposition des patientes, un espace thé / café pour la salle d'attente, utiliser des matériaux et produits écologiques, qu'il y ait aussi de l'art (tableau, sculpture...) Je souhaitais que mon lieu de travail soit adapté à un espace où j'aime prendre du temps... »</em></p>
<p><strong><span style="color: #fc615d;">_____________________________________________________________</span></strong></p>
<h3>Un besoin d'accompagnement croissant</h3>
<p><span style="font-size: 12pt; color: #ff615d;"><strong>________________________________________________</strong></span></p>
<p>Comme toute sage-femme libérale, le travail de Rose consiste à informer et préparer ses patientes, à les rencontrer tous les mois jusqu'à la naissance, puis à continuer le suivi jusqu'au post partum.<em> « Ce sont des temps médicaux et de discussion où le couple peut formuler et clarifier ses propres projets de naissance. »</em> Elle a ainsi répondu à de nombreuses demandes d'accompagnement en AAD. En France, certaines sont parfois non satisfaites, du fait du peu de sages-femmes à les proposer. <em>« Cet accompagnement représente pour moi un idéal, un aboutissement en périnatalité, et une création d'équipe entre soignant·e et patiente adaptée et adaptable aux besoins et demandes des patientes et familles »</em>, souligne Rose.</p>
<p>L'AAD représentait 20 % de son activité, soit une à deux naissances par semaine<em>. « Mes horaires de travail sont très importants : il m'est arrivé de travailler six-sept jours par semaine, entre 10 et 12 heures par jour, avec de temps en temps un départ dans la nuit, ou les week-ends et jours fériés. J'ai vu un besoin croissant et une demande de plus en plus importante des femmes. J'allais jusqu'à deux heures de route autour de Guéret, puis j'ai commencé à réduire mon secteur, puis à refuser des demandes car je ne pouvais pas plus... »</em> La suspension de son activité signifie une difficulté supplémentaire pour l'unique consœur qui pratique aussi l'AAD sur son secteur, déjà sous-doté médicalement.<a href="http://www.rebonds.net/images/AAD/fantasy-4058352_960_720.jpg" class="jcepopup" data-mediabox="1" data-mediabox-title="Illustration : Cdd20."><img src="http://www.rebonds.net/images/AAD/fantasy-4058352_960_720.jpg" alt="fantasy 4058352 960 720" width="720" height="720" style="border: 2px double #e2e2e2; float: right;" /></a></p>
<p>Après cinq ans de pratique et des relations <em>« courtoises »</em> avec l'ARS, la plainte est tombée comme un couperet.<em> « Je ne m'attendais pas du tout à ça. Je me sens victime de violence institutionnelle. Je ressens un abus de pouvoir, une non volonté de comprendre. Je me sens vraiment jugée sans preuves. »</em> Comment expliquer cette position ? Au-delà de son cas particulier, pourquoi les autorités n'encouragent-elles pas l'AAD, alors qu'elles encouragent l'hospitalisation et le maintien à domicile (rappelons que ni la maternité ni l'accouchement ne sont des maladies…) ? <em>« Je n'ai pas encore toutes les clés de compréhension. C'est trop récent de mon côté et je n'ai pas assez de recul sur la situation,</em> répond Rose. <em>Ce que je vois et constate c'est que les droits de la femme sont bafoués. Il est très difficile pour une femme ayant un projet d'AAD de le mener à bien sereinement. La liberté de choisir le lieu de naissance est très contraint ; à mon sens, l'offre de soins n'est donc ni complète ni adaptée aux compétences de la sage-femme actuellement. »</em></p>
<p><strong><span style="color: #fc615d;">________________________________________________</span></strong></p>
<h3>Un droit en faveur du libre choix</h3>
<p><span style="font-size: 12pt; color: #ff615d;"><strong>______________________________________</strong></span></p>
<p>Le droit. Que dit-il, en France ? Aucune loi n'interdit d'accoucher seule ou n'impose de lieu pour ce faire. En revanche, le code de la Santé publique plaide pour une information complète et loyale. Pourtant, Rose assure que 90 % des couples qu'elle a rencontrés avaient beaucoup de difficultés à obtenir des informations sur l'AAD.<em> « Cela ne fait pas partie de l'offre de soins. La plupart de mes collègues libérales, hospitalières, gynécologues et médecins ont tendance à désapprouver la demande des couples et à ne pas orienter vers un·e professionnel·le médical·e qui propose ce suivi… Généralement, les couples me contactaient grâce à leur réseau et leurs connaissances. »</em></p>
<p>Au niveau européen, le Parlement recommande plusieurs mesures afin d’intégrer l’accouchement à domicile au système de soin. La Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) affirme<em> « le droit de la vie privée des parents de choisir le lieu de naissance, dont le domicile »</em> et déclare que<em> « les Etats membres de l’Union européenne ont un devoir d’action, c’est-à-dire qu’ils doivent prévoir une législation mettant en œuvre les moyens suffisants pour exercer cette liberté »</em>. Mais la France n'a pas signé la charte…</p>
<p>Au niveau international, l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) a publié un guide pratique intitulé « Les soins liés à un accouchement normal », qui précise notamment l'importance du respect du choix éclairé de la femme quant au lieu de la naissance. De plus, en 2007, lors d'une conférence réunissant une soixantaine de pays, l’OMS a formulé des recommandations dont l'une d'elles rappelle : <em>« Les éventuels systèmes parallèles de soins périnataux (que représentent par exemple les accoucheuses traditionnelles) doivent cohabiter avec le système officiel, et leur collaboration doit être maintenue au bénéfice de la mère. De telles relations, si elles sont établies sans aucune tentative de domination d’un système sur l’autre, peuvent être très fructueuses. »</em></p>
<p>Du côté des sages-femmes, leur code de déontologie reprend des articles du code de la Santé publique <span style="font-size: 8pt;">(9),</span> notamment ceux qui définissent leur champ de compétences.<em> « L’ensemble de ces compétences permet aux sages-femmes françaises d’assurer la surveillance d’une naissance et d’agir de manière adaptée en cas de complications. Il n’est fait aucune mention de lieu d’exercice ou d’interdiction de pratiquer à domicile »</em>, rappelle l'Association Professionnelle pour l'AAD.</p>
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<h3>Pas de risque supplémentaire à domicile</h3>
<p><span style="font-size: 12pt; color: #ff615d;"><strong>________________________________________________</strong></span></p>
<p>Alors ? Qu'est-ce qui bloque ? Le risque de complications médicales ? Des recherches ont montré que pour des accouchements dont les conditions sont comparables et pour une population sélectionnée à bas risques, les taux de mortalité et de morbidité périnatales sont égaux à domicile et à l'hôpital, voire légèrement inférieurs à domicile <span style="font-size: 8pt;">(10)</span>. Réalisées à l'échelle internationale, ces recherches concluent que l'accouchement à l'hôpital ne peut se justifier sur la base de la sécurité.<br />En 2012, le conseil national de l'ordre des sages-femmes lui-même faisait référence à des études menées ,'année précédente pour affirmer que <em>« d’autres lieux d’accouchement que l’hôpital ne présentent pas un sur-risque pour les femmes et les nouveau-nés »</em><span style="font-size: 8pt;"> (11)</span>.</p>
<p>En France, comme dans l'ensemble des pays industrialisés, les AAD représentent moins de 1 % de l'ensemble des accouchements. Mais certains Etats font le choix de l'encourager comme les Pays-Bas où la proportion atteint 31 % ou encore l'Angleterre où, depuis 2014, le NICE (National Institute for health and Care Excellence) recommande l'accouchement à domicile pour les femmes en bonne santé.</p>
<p>Le principal « problème » ne viendrait-il pas de la gestion de la douleur ? Ou de l'image que chacun·e d'entre nous en avons ? Comment l'aborder sans la technique, la médecine, la péridurale ?<br /><em>« Tu enfanteras dans la douleur »</em>, aurait dit le dieu chrétien à la première femme, Eve, en punition pour avoir croqué dans le fruit défendu de la connaissance (et en avoir fait profiter le pauvre Adam). Dans son ouvrage intitulé « Mettre au monde »<span style="font-size: 8pt;"> (12)</span>, le journaliste et auteur Patrice Van Eersel rappelle la position de Françoise Dolto, célèbre pédopsychiatre et psychanalyste française, à ce sujet : <em>« Il faut savoir que l'accouchement échappe à toute logique. C'est un état magique et c'est un instant archaïque. Le corps se divise en deux sans mourir. Et tout de suite, la mère et l'enfant ont besoin l'un de l'autre. Pour se consoler. Elle d'avoir perdu son œuf, lui son placenta. Et c'est cela, la fameuse douleur du « Tu enfanteras dans la douleur ». C'est la séparation. C'est l'angoisse de la division du corps, ce n'est pas l'accouchement et ses contractions. « Tu enfanteras dans la douleur » a un sens beaucoup plus général. L'enfant va petit à petit prendre son autonomie. C'est à la succession de ces séparations que faisait allusion la malédiction divine. »</em> <span style="font-size: 8pt;">(13)</span></p>
<p>Bien sûr, les douleurs de l'enfantement ne sont pas des illusions. La médecine occidentale y répond aujourd'hui quasi systématiquement par la péridurale : 90 % des femmes françaises accouchent sous cet anesthésique. D'autres voies sont possibles. Considérant que les douleurs étaient principalement causées par la peur et donc, par des tensions empêchant le corps de faire sereinement son œuvre, des méthodes se sont concentrées sur deux axes : la connaissance du corps de la femme par la femme elle-même ; et des conditions d'accouchement les plus naturelles et rassurantes possibles (accouchement dans la pénombre et le calme, place de la compagne ou du compagnon…).</p>
<p><strong><span style="color: #fc615d;">__________________________________________________________</span></strong></p>
<h3>La préparation, rempart contre la peur</h3>
<p><span style="font-size: 12pt; color: #ff615d;"><strong>______________________________________________</strong></span></p>
<p>La plupart de ces méthodes se sont particulièrement intéressées au périnée, organe au rôle prépondérant durant l'accouchement, mais aussi plus généralement dans la sexualité (les deux étant intrinsèquement liés). <a href="http://www.rebonds.net/images/AAD/creativity-4912479_960_720.jpg" class="jcepopup" data-mediabox="1" data-mediabox-title="Illustration : Cdd20."><img src="http://www.rebonds.net/images/AAD/creativity-4912479_960_720.jpg" alt="creativity 4912479 960 720" width="405" height="720" style="border: 2px double #e2e2e2; float: right;" /></a><em>« L'héritage puritain des Occidentaux, associé à la vie sédentaire et au confort, nous a gravement coupé de nos corps et de nos sexes, qui nous demeurent largement inconnus malgré la « libération » sexuelle »</em>, écrit Patrice Van Eersel. Partout dans le monde, des sages-femmes apprennent aux femmes à explorer et entraîner leurs corps pour mieux en ressentir les mécanismes. Lorsque le vagin est musculairement fort, il laisse passer le bébé sans douleurs <em>« crucifiantes »</em>.</p>
<p>C'est pourquoi, la préparation à l'accouchement ne devrait pas se limiter à quelques heures. Selon le professeur René Frydman<span style="font-size: 8pt;"> (14)</span>, pour être le mieux vécu possible, un accouchement doit être conscientisé ; la femme a près de neuf mois pour s'y préparer pleinement. Pourtant, la perspective de la péridurale lui enlèverait cet investissement. <em>« Plus la médecine se fait interventionniste au moment de l'accouchement, plus elle devrait convaincre les femmes de « conscientiser » l'ensemble de leur grossesse, c'est-à-dire par exemple et en particulier, de s'impliquer dans une méthode de préparation sérieuse et profonde dès qu'elles se savent enceintes. Malheureusement, c'est souvent l'inverse qui se produit : délivrées de la peur de vivre un accouchement douloureux, un certain nombre (et peut-être un nombre certain) de femmes se déssaisissent en quelque sorte de toute une part de leur grossesse, qu'elles confient à autrui, aux blouses blanches, aux spécialistes. Le progrès technique se solde alors par un anti-progrès humain, une déresponsabilisation de la personne. »</em> <span style="font-size: 8pt;">(15)</span><br />Ce que propose Frydman ? Que l'offre de la péridurale soit conditionnée à un engagement de la part des femmes à se préparer intensément. Le professeur remarque alors que parmi toutes celles qui ont joué le jeu, <em>« un certain nombre finit par atteindre une telle confiance en elles-mêmes que finalement elles renoncent à l'anesthésie péridurale pourtant tant désirée au début, pour vivre l'ensemble de l'aventure avec leur forces propres – ce qui leur donne ensuite une confiance encore plus grande à vivre de manière autonome, leur accouchement leur ayant véritablement servi d'initiation »</em>.</p>
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<h3>Des associations et des fonds de soutien</h3>
<p><span style="font-size: 12pt; color: #ff615d;"><strong>_________________________________________________</strong></span></p>
<p>Le choix du lieu d'un accouchement et de l'accompagnant·e est aussi, pour la femme qui s'apprête à enfanter, affaire de confiance. Ce choix doit être éclairé et non influencé par d'obscures a priori, conventions sociales, lobbies.<br />Le travail des sages-femmes, qui répond à un réel besoin, ne doit pas être entravé. Depuis 2002, la loi Kouchner les oblige à se doter d'une responsabilité civile professionnelle spécifique. Les compagnies d'assurance en ont profité pour monter les primes jusqu'à 25.000 euros par an ! L'enquête de l'Association Professionnelle de l'AAD réalisée en 2018 (<em>lire les détails ci-dessous</em>) a montré que les motifs de cessation d'activité sont liés à cette problématique, mais aussi aux pressions de la part d’autres professionnels, à la couverture insuffisante du territoire par les sages-femmes AAD engendrant des conditions de travail épuisantes et stressantes, et l’isolement.</p>
<p>La période que nous venons de vivre nous prouve que personne ne gagne à ce que les professionel·le·s du soin désertent des pans entiers de notre pays.</p>
<p>La résistance s'organise. Associations et collectifs de soutien à l'AAD se constituent. Ils réunissent familles, parents, professionnel·le·s mais aussi citoyen·nes désireux·ses de défendre le droit d'accoucher librement. Un fonds de soutien a vu le jour pour les sages-femmes qui, comme Rose Faugeras, font l'objet de plaintes considérées comme abusives. Pour que cesse l'hégémonie de la médicalisation et que chacun·e reprenne le pouvoir sur ce qui lui appartient : sa volonté et son corps.<br /><br /><strong>Fanny Lancelin</strong></p>
<p><span style="font-size: 8pt;"></span><span style="font-size: 8pt;">(1) Lire aussi la rubrique (Re)découvrir.<br />(2) A suivre dans la rubrique (Re)visiter le 30 juin 2020.<br />(3) <a href="http://www.associationdedefensederose.fr/">http://www.associationdedefensederose.fr/</a><br />(4) « Histoire de la naissance en France : XVIIe - XXe siècle » de Marie-France Morel, article paru dans la revue ADSP de décembre 2007-mars 2008 : <a href="https://www.hcsp.fr/Explore.cgi/Telecharger?NomFichier=ad612228.pdf">https://www.hcsp.fr/Explore.cgi/Telecharger?NomFichier=ad612228.pdf</a><br />(5) Terme qui désigne la femme accouchant.<br />(6) Association Professionnelle de l'AAD : <a href="http://www.apaad.fr/aad-en-france/">http://www.apaad.fr/aad-en-france/</a><br />(7) Self-help ou self-care : principe d'autonomie dans le soin.<br />(8) Clinique de Châteauroux : <a href="https://www.ch-chateauroux-leblanc.fr/categorie-offresoinsch/7/maternite-femme-mere-enfant">https://www.ch-chateauroux-leblanc.fr/categorie-offresoinsch/7/maternite-femme-mere-enfant</a><br />(9) Articles R.4127-306 et R.4127-318 du Code de la Santé publique.<br />(10) Peat, Marwick, Stevenson & Kellog, 1991 ; Janssen, Holt, Myers, 1994 ; Olsen, 1997 ; B.C. Home Birth Demonstration Project, 2000. Source : <a href="http://www.apaad.fr/aad-en-france/">http://www.apaad.fr/aad-en-france/</a><br />(11) « Perinatal and Maternal outcomes by planed place of birth for healthy women with low risk pregnancies : the Birthplace in England national prospective cohort study – BMJ 2011 » et « Planned Home compared with planned hospital birth in the Netherlands – Obstetrics and Gynecology Vol. 118, N°5, November 2011 » cités dans Contact Sages-femmes (numéro 30, février 2012). Source : <a href="http://www.apaad.fr/aad-en-france/">http://www.apaad.fr/aad-en-france/</a><br />(12) « Mettre au monde – enquête sur les mystères de la naissance » de Patrice Van Eersel (éditions Albin Michel). Lire aussi la rubrique (Ré)créations.<br />(13) p.54, « Mettre au monde – enquête sur les mystères de la naissance » de Patrice Van Eersel (éditions Albin Michel).<br />(14) René Frydman : obstétricien, gynécologue des hôpitaux de Paris et enseignant. Il est notamment célèbre pour avoir participé à la naissance du premier bébé-éprouvette français.<br />(15) p.90, « Mettre au monde – enquête sur les mystères de la naissance » de Patrice Van Eersel (éditions Albin Michel).</span></p>
<p> </p>
<div class="panel panel-primary">
<div class="panel-heading">
<h3 class="panel-title">Une enquête précise sur l'AAD</h3>
</div>
<ul>
<li>En 2018, l'Association Professionnelle de l'Accouchement Accompagné A Domicile (APAAD) a réalisé un état des lieux de la pratique en France :<br />- l'AAD représente aujourd'hui 2.000 naissances par an soit 0,25 % des naissances ;<br />- en 2018, 88 sages-femmes étaient identifiées sur le territoire comme pratiquant l'AAD ; elles étaient 122 sur les cinq dernières années ;<br />- elles avaient accompagné 1.347 femmes (ce qui comprend les femmes ayant commencé à accoucher à domicile et celles ayant entièrement accouché à domicile) ;<br />- la couverture du territoire est très inégale laissant place à de larges territoires non couverts par les sages-femmes AAD. Les secteurs où les conditions de collaboration avec les hôpitaux sont favorables sont mieux couverts. Les régions les mieux dotées se situent à l'ouest, en région parisienne et dans le sud ;<br />- l’âge moyen de la population AAD est de 32 ans ; celle-ci est donc plus âgée que la population générale accouchante dont l’âge moyen était de 30,5 ans en 2016 ;<br />- pour 34 % des femmes, il s’agissait du premier accouchement et pour 35 % du second enfant ;<br />- 84,6 % des femmes de la population étudiée étaient classées à bas risque strict, qu’il s’agisse des antécédents ou du déroulement de la grossesse ;<br />- la part de femmes ayant accouché la semaine du terme théorique est largement plus importante que dans la population générale. Il en est de même pour la part de femmes ayant dépassé le terme. L’absence de déclenchement artificiel du travail et la sélection des patientes expliquent ces résultats ;<br />- 12,7 % des accouchements ont nécessité un transfert per-partum que ce soit du fait d’une anomalie du travail ou afin de bénéficier d’une méthode d’analgésie médicamenteuse ;<br />- toutes les femmes ayant accouché à domicile ont accouché par voie basse non instrumentale ;<br />- 96,6 % des femmes ayant effectivement accouché à domicile ont présenté une délivrance normale et complète ;<br />- parmi les femmes ayant accouché à domicile, 65,4 % ont un périnée intact suite à l’accouchement, 33,7 % présentaient une déchirure du premier ou du second degré et seules 0,2 % une déchirure complète. Aucune n’a présenté de déchirure complète compliquée. Seulement 0,3 % des femmes a subi une épisiotomie. Parmi les femmes ayant présenté une déchirure périnéale, 53 % des cas n’ont pas nécessité de suture. Des résultats bien meilleurs que dans les accouchements hospitaliers ;<br />- dans le cadre de cette enquête, les femmes AAD sont en proportion 3,5 fois moins nombreuses que la population générale et 5,5 fois moins nombreuses que la population bas risque hospitalière à avoir développé une hémorragie du post-partum sévère ; <br />- l’ensemble des enfants nés à domicile sont nés vivants.<br /><br />L'intégralité des résultats de l'enquête est à retrouver sur <a href="http://www.apaad.fr/wp-content/uploads/2019/09/ETAT-des-LIEUX-AAD-FRANCE-2018.pdf">http://www.apaad.fr/wp-content/uploads/2019/09/ETAT-des-LIEUX-AAD-FRANCE-2018.pdf</a></li>
</ul>
</div>