# 40 Derrière l'écran de fumée (octobre 2020) http://www.rebonds.net/40derrierelecrandefumee/130-recreations Thu, 11 May 2023 19:29:07 +0200 Joomla! - Open Source Content Management fr-fr « Clameurs », Hamon-Martin Quintet http://www.rebonds.net/40derrierelecrandefumee/130-recreations/642-clameurshamonmartinquintet http://www.rebonds.net/40derrierelecrandefumee/130-recreations/642-clameurshamonmartinquintet

Alice est aussi une habitante du Cher et une lectrice de (Re)bonds. Elle a souhaité partager un album qui la touche. Engagé, il est parfait pour accompagner la lecture de ce numéro.

« Je me souviens très bien de la première écoute de cet album. Fin 2019. Dans une voiture lancée à grande vitesse, mon amoureux glisse dans l'autoradio ce nouveau CD qu'il vient d'acquérir et les premières notes se déversent dans l'habitacle. Puis, très vite, la voix puissante de Mathieu Hamon éclate et me subjugue. Les morceaux défilent, comme les kilomètres, et je me laisse porter par les mots, les paroles, parfois drôles, parfois glaçantes, de ces chansons de luttes et de rébellion...

Un an et bien des écoutes plus tard, cet album n'a rien perdu de son aura. « Il me fout toujours les poils », diraient certain·e·s. J'y ai découvert des subtilités... les voix de Mathieu Hamon et Rosemary Standley qui s'entremêlent, les mélodies entêtantes qui transmettent autant que les paroles l'univers de la chanson, et qui font voyager, rêver, crier, pleurer... chanter.
La composition est pointue, les textes poignants, la direction artistique de haute volée, le jeu précis et magistral.

Il faut dire que le Hamon-Martin Quintet n'en est pas à son coup d'essai, même si cet album se démarque des précédents. À l'origine, un duo formé à la fin des années 90 par Janick Martin à l'accordéon et Erwan Hamon aux bombardes et aux flûtes, plus tard rejoints par Mathieu Hamon au chant, puis Ronan Pellen au cistre pour finalement constituer, au début des années 2000, un quintet avec Erwan Volant à la basse. Depuis, le groupe est devenu une référence dans le milieu des musiques et danses traditionnelles, interprétant en fest-noz et en concert un répertoire de danses de Haute-Bretagne et de chants gallo.

Si cet opus crée la rupture, c'est qu'il est pour la première fois autant, voire plus, consacré à la chanson qu'à la danse, et qu'il puise ses références chez des auteurs d'après-guerre et des années 60, 70, de poèmes et de compositions engagées : Georges Brassens, Gaston Couté, Brigitte Fontaine, Charles Trenet, Leonard Cohen, Gilles Vigneault, Glenmor.
À ce répertoire de chansons populaires s'ajoutent quelques morceaux issus d'un répertoire traditionnel, ainsi que des textes écrits ou co-écrits avec Sylvain Girault, parolier régulier du groupe depuis 2007.

De ces diverses sources, résulte un univers malgré tout homogène, à tel point que j'ai cru longtemps (néophyte que je suis) que tous les morceaux étaient des compositions du groupe. Je le perçois comme un pont entre le Moyen-Age et nos jours, dénonçant les violences de la guerre, de la pauvreté, du pouvoir et de la domination (sur les hommes, les femmes, la terre). Il est servi par l'interprétation harmonieuse et percutante du Hamon-Martin Quintet qui s'est entouré pour l'occasion de trois invités : Rosemary Standley, chanteuse du groupe Moriarty ; Raphaël Chevé à la batterie ;  Julien Padovani aux claviers et à la direction artistique. De cette enrichissante collaboration, est né un « album-monde » revendicatif dont les notes poétiques et politiques – aux accents parfois désenchantés mais jamais défaitistes – se teintent de jazz, de rock, de tonalités orientales, ici d'un lai médiéval, là d'une ballade sautillante, jusqu'à ce qu'un plinn à la bombarde fuse d'un coup et nous secoue.

Pour finir, même si je conseille d'écouter l'album entièrement, comme la création complète et aboutie qu'il est, j'aimerais citer parmi mes chansons préférées :
- « cerises d'amour », un hymne à clamer sur tous les trottoirs ;
- « brin d'herbe », pour la poésie douce-amère de Brigitte Fontaine ;
- « la perdrix blanche », chant traditionnel réveillé par les arrangements presque didactiques qui ajoutent un instrument ou une couleur à chaque couplet.

Bonne écoute ! »

« Clameurs » est disponible chez Coop Breizh : https://www.coop-breizh.fr/9197-hamon-martin-quintet-clameurs-3359340163133.html

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Récréations Sun, 02 Apr 2017 20:07:14 +0200
« Auto-stop Bure » de Marie Béduneau http://www.rebonds.net/40derrierelecrandefumee/130-recreations/643-autostopburedemariebeduneau http://www.rebonds.net/40derrierelecrandefumee/130-recreations/643-autostopburedemariebeduneau

« Comment peut-on refuser un projet d'enfouissement de déchets nucléaires et réussir à faire entendre sa voix quand on n'a pas le titre d'expert.e ? » Pour répondre à la question qu'elle se posait, Marie Béduneau a créé une conférence gesticulée, qu'elle joue depuis trois ans à travers toute la France.

Qu'est-ce qu'une conférence gesticulée ? Il s'agit d'un spectacle, qui mêle le fond d'une conférence à la forme d'une pièce de théâtre. Courante dans les milieux dits « d'éducation populaire », elle livre au public des connaissances théoriques, étayées par des expériences et anecdotes pratiques vécues par le ou la conférencièr·e gesticulant·e. Souvent politique, elle est aussi teintée d'autodérision et d'humour.

L'un des « maîtres » du genre est Franck Lepage, très présent sur la Toile notamment via ses conférences gesticulées publiées sur Youtube. Mais, comme le prouve l'annuaire des conférences gesticulées (1), des dizaines d'autres comédien·nes proposent cette forme d'apprentissage ludique et vivante.

À l'image de Marie Béduneau, autrice de la conférence gesticulée intitulée « Auto-stop Bure ». En 2012, elle s'est installée à la Maison de la Résistance à Bure, haut lieu de la lutte contre le projet d'enfouissement des déchets nucléaires CIGÉO (lire aussi les rubriques (Ré)acteurs et (Re)visiter). Participant à des points informations et à des débats, elle affûte d'abord ses arguments tels des données froides. « Mais ce n’est plus avec des chiffres et des hypothèses scientifiques que j’ai envie de parler du nucléaire, explique-t-elle (2). J’ai envie d’en parler avec ce que je ressens, avec la colère qui m’anime quand je comprends tout ce que cela implique : exploitation des sols et des personnes dans les mines d’uranium, pollutions… »

C'est ainsi qu'en 2016, elle se forme à la conférence gesticulée et crée son propre spectacle, soutenue par la compagnie Azimuts située également en Meuse.

Sur scène, à travers un voyage en stop de la Vendée à Bure, elle expose sa compréhension du phénomène qu'est le nucléaire. À travers des témoignages personnels, elle rappelle comment la question du nucléaire – et notamment celle des déchets – est encore tabou. Elle est aussi confisquée par des « expert·es ». Marie Béduneau permet au public de se la réapproprier.

(1) https://conferences-gesticulees.net/
(2) https://conferences-gesticulees.net/gesticulants/beduneau-marie/

Source photo : www.infolibertaire.net

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Récréations Sun, 02 Apr 2017 20:07:14 +0200
« Un pays qui se tient sage », David Dufresne http://www.rebonds.net/40derrierelecrandefumee/130-recreations/644-unpaysquisetientsage http://www.rebonds.net/40derrierelecrandefumee/130-recreations/644-unpaysquisetientsage

C'est un film puissant que le journaliste et réalisateur David Dufresne a livré sur grand écran avant le nouveau confinement. Il y questionne la légitimité de la violence policière et, plus largement, la légitimité du pouvoir.

« L'État revendique le monopole de la violence physique légitime. » C'est cette phrase du sociologue allemand Max Weber (1) qui constitue le fil conducteur du dernier documentaire de David Dufresne. « Avec elle, tu peux interroger l'État, la violence légitime, le monopole et, pour moi, le mot pivot : « revendique ». Si l'État revendique, c'est qu'il y a négociation », explique-t-il (2).

La Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 stipule que « la garantie des Droits de l'Homme et du Citoyen nécessite une force publique ». Une sorte de contrat social voudrait donc que la population française accepte de confier à l'État le maintien de l'ordre en contrepartie de sa sécurité. Une sécurité physique, mais aussi économique et sociale.
Dès lors qu'une des parties ne respecte plus le contrat, est-elle toujours légitime à exercer ? Autrement dit : puisque l'État français ne garantit plus son rôle notamment économique et social, ses prérogatives en matière de maintien de l'ordre sont-elles encore légitimes ? Qui plus est, lorsque sa violence s'exerce contre le peuple qui lui a donné son pouvoir ?

Dans « Un pays qui se tient sage », David Dufresne explore la question de cette légitimité, à travers le mouvement des Gilets jaunes qu'il a suivi et filmé dès le début. Il ajoute à ses propres images des vidéos tournées par des amateur·ices, souvent à l'aide de smartphones, qui lui avaient déjà permis de lancer des alertes sur des violences policières durant les manifestations, via son compte Twitter « Allo Place Beauvau ».

Ces images chocs viennent de toute la France : Paris, Rennes, Toulouse, Marseille… On y voit des CRS charger, des policiers frapper à l'aveugle devant des enfants, matraquer avec acharnement des civils à terre, mettre en joue des journalistes, mollester des personnes âgées… On voit des yeux en sang, des mains arrachées, des crânes saigner…
On voit des hommes en uniforme paniquer, sortir leur arme avant de se raviser, noyer les rues de gaz lacrymogènes, tirer au LBD, railler les manifestant·es…

Pour autant, le documentaire est-il uniquement à charge ? David Dufresne montre aussi des Gilets jaunes lancer des pierres, provoquer les « forces de l'ordre », se battre avec elles… Certes, souvent, le « hors champ », le contexte des images, manque. Mais David Dufresne donne toutefois la parole aux policiers. En effet, les séquences vidéos sont entrecoupées de conversations entre des anthropologues, historien·nes, sociologues, écrivain, victimes… et représentants de syndicats de police. Le réalisateur s'efface totalement derrière ce dispositif, en laissant à d'autres la parole.
Mais qu'on ne s'y trompe pas : il ne s'agit pas pour lui d'équilibrer le propos. « Ce n'est effectivement pas une recherche de neutralité, reconnaît-il (2). En matière de cinéma ou même de journalisme, la neutralité n'existe pas. Ou alors, elle serait coupable. En revanche, je crois en l'honnêteté intellectuelle. Je peux être très critique du travail des policiers, mais ressentir la curiosité de les entendre. »

Son but est avant tout de dénoncer les violences et de faire émerger dans le débat public les questions de légitimité de la police et, plus largement, de légitimité du pouvoir.

À travers des témoignages souvent poignants de victimes, le film est traversé aussi par la ritualisation de la violence, la lutte des classes, le racisme, l'acceptabilité sociale…
Son titre fait référence à la petite phrase d'un policier qui, filmant lui-même avec son smartphone de jeunes lycéen·nes que son escadron avait mis à genoux mains derrière la tête à Mantes-la-Jolie, avait lâché : « Voilà une classe qui se tient sage... »

Sorti le 30 septembre dernier, « Un pays qui se tient sage » sera à nouveau visible lorsque prendra fin le confinement. En attendant, la bande-annonce est visible ici : https://www.youtube.com/watch?v=FDCnWwan7IM

(1) Max Weber (1864-1920) : économiste et sociologue allemand.
(2) « Le contrôle démocratique de la police doit être enclenché », entretien avec David Dufresne réalisé par Manu Bichindaritz, publié dans le journal « l'Anticapitaliste » daté du 1er octobre 2020.

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Récréations Sun, 02 Apr 2017 20:07:14 +0200
« Plogoff », D. Le Lay et A. Horellou http://www.rebonds.net/40derrierelecrandefumee/130-recreations/646-plogoffdlelayahorellou http://www.rebonds.net/40derrierelecrandefumee/130-recreations/646-plogoffdlelayahorellou

Benoît, qui vit dans le Cher, est un lecteur de (Re)bonds. Il nous parle de la bande dessinée racontant la victoire d'un peuple breton face à EDF et l'État, contre la construction de la centrale de production d'énergie nucléaire de Plogoff.

« Alors que je n'ai pu voir le film, récemment projeté lors du rassemblement organisé par « Sortir du Nucléaire » fin septembre à Saint-Amand-en-Puisaye (1), j'ai eu l'occasion de lire la bande dessinée « Plogoff » de Delphine Le Lay et Alexis Horellou (2). Elle relate les mêmes faits, les mêmes contradictions, les mêmes méthodes, la même lutte. Cette lutte d'il y a 40 ans qui semble toujours autant d'actualité.

Tout commence à l'été 1975 dans le port breton d'Audierne. Les habitants entendent parler d'un projet de centrale nucléaire à proximité de la Pointe du Raz. Des réunions sont organisées par EDF ; d'aimables locaux y prodiguent à foison des informations techniques assez compliquées pour être rassurantes. Elles sont encore nébuleuses : trois lieux seraient pressentis, alors que le maire n'a pas encore été mis au courant. Le programme nucléaire civil français, lancé par le Commissariat à l'Energie Atomique (CEA), s'accélère tout juste à la faveur du choc pétrolier. Autrement dit : la filière est encore récente et les voix dissonantes peu nombreuses. Malgré tout, la population bretonne choisit la méfiance et une première fête antinucléaire est organisée Baie des Trépassées. La population s'auto-forme sur le fonctionnement même d'une centrale, sur les autres projets nucléaires en France, sur les premières opérations d'EDF et les premiers blocages envisageables... Le projet semble alors ralentir.

Mais, alors que l'Amoco Cadiz s'éventre sur la côte bretonne (après avoir voulu, comme tous les autres pétroliers, économiser quelques dizaines de minutes de route en coupant au plus court et en ignorant tout respect et sens marin), le projet ressurgit discrètement à Plogoff : seuls deux sites sont désormais envisagés. Le choix semble fait mais il ne sera pas communiqué, peut-être pour tenter de diviser les opposants.

De même, le clivage entre habitants et élus locaux existe, les premiers reprochant aux seconds leur mollesse, les seconds rétorquant « action légale et mesurée ». EDF tente en vain de creuser celui-ci et c'est un des points marquants du livre.
En effet, les Bretons forment un bloc. J'ai plusieurs fois eu l'impression d'être à Groix entouré d'îlois, avec la solidarité contre vents et marées qui les caractérise. Le slogan est d'ailleurs tonné : « Faites travailler vos esprits et que Plogoff devienne une île ». Des barricades s'élèvent pour barrer les routes aux agents d'EDF puis, aux camionnettes appelées « mairies annexes » par l'État, abritant les registres de l'enquête publique, les vraies mairies ayant fermé leurs portes en signe de contestation. Bientôt, des compagnies de CRS et l'armée sont déployées. La réponse populaire s'organise : tous les jours, les habitants font le siège de ces camionnettes et fêtent, à « la messe de cinq heures », le départ des CRS par divers bons mots et jets de projectiles en tout genre.

La bande dessinée se termine par l'élection de François Mitterrand comme président de la République. Une de ses tardives promesses de campagne était d'abandonner le projet de Plogoff. Malgré sa teneur électoraliste, la promesse fut tenue ou plutôt délocalisée. En effet, le programme nucléaire n'a que faire de la politique et si le projet d'une centrale en Bretagne fut abandonné, François Mitterrand lança le chantier de onze autres réacteurs.

Aujourd'hui, on retrouve un schéma similaire : il existe une somme de critères, par définition politiques, comme les lieux, les technologies, l'acceptabilité... Mais EDF avance, qu'importe les populations. Pour preuve : les lieux des six prochains EPR2 sont connus depuis des années, les terrains achetés et le premier béton annoncé fin 2025. Qu'importe le résultat des prochaines élections. A n'en pas douter, l'État apportera son soutien à coup de compagnies de CRS et de persuasion.
D'ailleurs, le fait que les forces de l'ordre soient mobilisées pour des intérêts en partie privés m'interpelle.

Autre point commun avec la situation actuelle : lorsqu'un projet lié au nucléaire est engagé, les populations sont souvent mises devant le fait accompli. Malgré la constitution de Groupements Fonciers Agricoles (GFA) et la stratégie de prises de terre des militants, les terrains sont rachetés souvent discrètement.

Une des questions qui n'est pas traitée dans le livre et qui me paraît aujourd'hui essentielle : avant de définir comment produire, interrogeons-nous sur le « pourquoi » nous produisons. »

(1) Lire aussi la rubrique (Ré)acteurs.
(2) Sortie en 2013 aux éditions Delcourt.

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Récréations Sun, 02 Apr 2017 20:07:14 +0200