# 47 Tou·tes féministes ? (mai 2021) http://www.rebonds.net/47toutesfeministes Thu, 11 May 2023 19:05:44 +0200 Joomla! - Open Source Content Management fr-fr Les femmes reprennent les rues http://www.rebonds.net/47toutesfeministes/695-lesfemmesreprennentlesrues http://www.rebonds.net/47toutesfeministes/695-lesfemmesreprennentlesrues Les  Colleur·euse·s (1) est un collectif anonyme de collages féministes qui intervient à Bourges depuis 2019. Il se compose d’une vingtaine de bénévoles. Son but est de lutter contre les violences sexistes et sexuelles, patriarcales, racistes, ainsi que les féminicides. Il agit en mixité choisie, c'est-à-dire que ses membres se retrouvent entre femmes et minorités de genre.

A travers leurs actions, les Colleur·euse·s souhaitent se réapproprier l'espace public dont l'accès leur est souvent refusé ou hostile. Il·les se le réapproprient dans un moment habituellement dangereux pour eux·les : la nuit. C'est ainsi qu'il·les ont réalisé leur collage intitulé « Les femmes reprennent les rues », à l’occasion de la journée internationale des droits des femmes, le 8 mars 2021. Pour cette action, il·les se sont retrouvé·e·s en pleine nuit le 7 mars 2021, pour renommer 32 rues de Bourges, avec des noms de femmes plus ou moins connues.

L'association Leslouise (lire aussi la rubrique (Ré)actrices) a eu l’idée d’organiser une visite guidée des rues renommées, afin de visibiliser cette action et surtout, de mettre en valeur l’histoire de ces femmes. Cet événement a reçu le soutien de la section locale du Parti Communiste, de l'association Ki-6-Col, du groupe local de l'Union Communiste Libertaire, des Jeunes communistes du Cher et du syndicat CGT.

 

La visite a débuté sur la place Cujas, une des places centrales de Bourges, par un dimanche après-midi froid mais ensoleillé. Le groupe de visiteur·se·s était tellement important que les organisat·eur·rice·s ont été obligé·e·s de le diviser en trois !
Certes, au fil de la visite, les participant·e·s retrouvaient des pionnières du féminisme comme Rosa Luxembourg, George Sand ou Angela Davis, mais aussi beaucoup de femmes absolument méconnues du passé comme, par exemple, Ada Lovelace, mathématicienne qui a créé le premier programme informatique au XIXe siècle. Ou encore, des personnages contemporains extrêmement intéressants comme Brigitta Jónsdóttir, Chimamanda Ngozi Adichie, Sólveig Anspach...

Comment les Colleur·se·s ont-il·les fait leur choix ? « Au début, on essayait de choisir des femmes dont la profession se rapprochait de celle des personnages des rues actuelles, explique Arlette, une des guides (2). Après, on avait envie de mettre des femmes qui nous tenaient particulièrement à cœur...ça a été un effort de groupe : moi j’en ai choisies certaines, d’autres sont le choix de mes collègues. On a aussi fait attention à l'inclusivité, pour ne pas avoir seulement des femmes blanches et européennes... »

Les collages sont systématiquement et promptement effacés par les services de nettoyage des rues de la ville. C'est pourquoi, pour restituer toute la richesse de ces portraits ainsi que pour pérenniser cette action, nous avons réalisé une carte interactive. Dans cette carte, il est possible de se balader dans les rues d’une Bourges devenue féministe, où tous les anciens noms de rues ont disparu et où figurent, à leur place, 32 noms de femmes « incroyables et inspirantes ». Pour chacune d'entre elles, un texte écrit par les Colleur·euse·s permet de les rencontrer virtuellement.

Voir en plein écran

Le moyen d'action habituel des Colleur·se·s est le collage de lettres. Les collages féministes sont de plus en plus présents un peu partout : il s’agit d’une véritable manière de lutter qui cherche à avoir un impact sur les passant·e·s.
Laura (2) raconte : « Coller de grosses lettres noires sur fond blanc permet de mettre les gens face à un message, une revendication, et de ne pas leur laisser le choix. Ainsi, on rend visible ce que la plupart des gens ne voient pas ou ne cherchent pas à voir. Lorsqu'on a en face de soi un énorme message dénonçant quelque chose, criant une vérité, on peut difficilement l'ignorer. On peut passer à côté, mais impossible de ne pas le lire. En investissant l'espace public de cette façon, on donne une importance à des sujets que la société et l’Etat essaient sans cesse de passer sous silence. »

Elles ont déjà réalisé plusieurs collages de ce type à Bourges. « Les femmes reprennent les rues » a été leur dernière intervention en ville. Depuis la pandémie, il est plus difficile d’en réaliser à cause du renforcement des contrôles policiers. Cependant, nombre d’entre eux·les participent à d'autres manifestations (3).

Laura explique leur choix de se retrouver en mixité choisie : « Nous estimons qu’on ne peut pas se sentir en sécurité, ni se libérer d’une oppression accompagné·e·s de ceux qui représentent cette oppression, ce danger. [...] Nous préférons cette mixité choisie, car nous ne sommes qu’entre personnes qui comprennent nos inquiétudes, nos peurs, nos vécus ». Que répond-elle à ceux·les qui objectent que tous les hommes ne sont pas des oppresseurs ? « Très peu d’hommes peuvent partager notre vécu et aucun d’entre eux ne peut prétendre vivre les mêmes oppressions que nous. De plus, les autoriser à venir coller avec nous, ce serait leur donner un énième espace d’expression, un énième moment privilégié pour s’imposer dans l’espace public. Ensuite, tous les hommes ne sont pas des oppresseurs certes, mais il y en a assez pour qu’on ait peur. Assez pour qu’on apprennent tou·te·s à surveiller nos verres, surveiller les mains dans le métro, être en vigilance constante dans la rue, dans les parkings, et se méfier de chaque homme, même du plus gentil. Pas tous les hommes, mais assez pour tuer 50.000 femmes en un an (4) ».

Quel bilan tirent les Colleur·se·s de la visite organisée à Bourges ? « A notre grande surprise, l’action a été très bien accueillie par le public, plusieurs personnes nous ont remercié·e·s et nous ont dit avoir appris plein de choses. Nous aimerions reconduire l'expérience avec grand plaisir ! »

Texte et carte : Chiara Scordato
Vidéo : Danilo Proietti

(1) colle > collages > colleur·euse·s
(2) Tous les prénoms des Colleur·euse·s ont été changés pour préserver leur identité, les actions du collectif étant parfois considérées comme illégales.
(3) https://www.instagram.com/collages_feministes_bourges
(4) Chiffres de 2017 de l’ONU-femmes : https://www.unwomen.org/fr.

]]>
# 47 Tou·tes féministes ? Tue, 21 Mar 2017 13:37:42 +0100
On ne naît pas dominant http://www.rebonds.net/47toutesfeministes/696-onnenaitpasdominant http://www.rebonds.net/47toutesfeministes/696-onnenaitpasdominant Originaire de Rome, Danilo Proietti vit dans le Cher depuis près de dix ans. Engagé récemment dans une démarche de documentariste, il s'intéresse pour son premier long métrage au féminisme, avec un angle passionnant : quelle place les hommes peuvent tenir dans cette lutte ? A travers son expérience personnelle, ses réflexions politiques mais aussi intimes, il pose une question qui divise jusque dans les milieux militants. Il partage ici la note d'intention de son film.

Bien que depuis 1946, il soit inscrit dans le préambule de la Constitution que « La loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l'homme », 75 ans plus tard, la société française, et plus largement la société occidentale, peine encore à appliquer ce principe. Les discriminations de genre sont toujours nombreuses à tous les niveaux et ceci est rendu possible principalement par deux facteurs majeurs : la mentalité patriarcale, qui conditionne encore aujourd’hui nos rapports de genre, et le néolibéralisme qui est par essence, antinomique au concept d’équité, ce qui cause également toute une série de disparités.

C’est pour ces raisons que le féminisme reste aujourd’hui un axe majeur de la lutte pour une société vraiment juste, égalitaire et solidaire. On assiste à un lent décloisonnement des luttes sociales ; les militant·e·s de différents fronts réalisent enfin que les différents types de discriminations (de genre, d’ethnie, de religion, etc) et d’exploitation (de l’homme sur l’homme, de l’homme sur la femme, de l’homme sur la nature) ne sont que des métastases du même cancer social.

Malgré cela, le masculinisme est encore très présent, même dans les cercles militants, et l’égalité de genre n’est appliquée qu’en surface, notamment à travers l’écriture inclusive ou d’autres expédients. Il est encore très difficile de reconnaître que le comportement des hommes est biaisé par leur socialisation. Pour un souci d’efficacité dans la lutte, et par manque de temps, les rôles classiques se reproduisent, sans permettre l’émergence d’espaces d’expérimentation égalitaires et de renversement des imaginaires.

Mon rapport au féminisme

Je suis né et j’ai grandi à Rome. A ma naissance, mon père a soudainement réalisé qu’il n’était pas prêt à assumer son rôle. J’ai donc été élevé par ma mère avec l’assistance de ma grand-mère. Elles ont évidemment rencontré de nombreuses difficultés pour accomplir cette tâche.
Nous avons souvent été confronté·e·s aux fameuses « fins de mois difficiles » et j’ai vu ma mère se battre et mettre de côté ses passions et ses envies afin de m’élever correctement. Je l’ai vue se décourager et s’indigner, et puis se réconforter grâce aux mots de ma grand-mère, qui résonnent encore dans ma tête : « Ils en profitent parce que nous sommes deux femmes seules, mais on les emmerde ! ».
J’ai donc grandi en pensant avoir pleine conscience de ce que c’est d’être une femme dans cette société et, grâce à elles, j’ai appris à être respectueux envers tout être vivant.
Le seul mérite qu’aurait eu mon père dans mon éducation, aurait été de me présenter le modèle d’homme qu’il fallait à tout prix éviter.
Mon parcours m’a fait comprendre qu’une société juste n’est possible que si l'l'on dépasse les logiques de compétition et de domination, et si on élimine les privilèges et les discriminations.

Ce n’est que des années plus tard que je découvre ne pas avoir été exempt de certains comportements masculinistes. C’est la rencontre avec mon actuelle compagne, les discussions que nous avons eues à partir de la question du partage des tâches ménagères et notre progressif engagement dans des dynamiques militantes anticapitalistes, écologistes et féministes, qui m’ont ouvert les yeux.
Je découvre alors les effets de la socialisation genrée et la notion de patriarcat. Je m’aperçois que, malgré moi, j’ai des comportements genrés et que je bénéficie, en tant qu’homme blanc, de certains privilèges que la société accorde par défaut au genre dominant.
Cette perspective me bouleverse : d’un coup, je me retrouve dans le camp des dominants, alors que je me suis toujours battu pour contrer tout rapport de domination. Mon intégrité idéologique et politique risque de s’écrouler. A la prise de conscience douloureuse de la condition de la femme, s’ajoute une incohérence personnelle profonde entre d’une part mes idées et d’autre part mes actions et le contexte sociétal dans lequel j’agis.

 

intention danilo

 

Le changement de point de vue

Par ce film, je souhaite m’exposer (me mettre en scène) personnellement, en documentant mon chemin de déconstruction. Mon but est d’acquérir une compréhension objective des rapports de domination encore existants entre homme et femme, et de prendre conscience des enjeux des luttes féministes contemporaines. Mon parcours s'articulera entre la France, où j’habite depuis 2008, et l’Italie, les deux contextes qui m’ont façonné. Il s’agit de montrer que - malgré les différences entre ces deux pays - un problème systémique de la société globalisée y détermine les mêmes disparités et les mêmes comportements genrés. On verra donc que les enjeux du féminisme sont pratiquement identiques des deux côtés des Alpes.

Avec la collaboration de ma compagne, je suivrai les pistes de réflexions proposées par Léo Thiers-Vidal (1), en allant à la rencontre de femmes, d’hommes et de collectifs engagés. Je souhaite non seulement recueillir des témoignages, mais également participer à « des dynamiques collectives et militantes, contrôlées par les féministes » (2) en vue de transformer ma subjectivité masculine et de percevoir concrètement les dynamiques oppressives.

Ceci implique une répétition d’abandons momentanés des points de vue oppresseurs afin de faire une place intellectuelle et affective plus importante et plus permanente aux points de vue opprimés. Et c’est précisément ce « décentrement » - le renoncement à l’égocentrisme - qui permet de dépasser les modes d’engagements limités liés à une compréhension purement intellectuelle des théorisations féministes. La reconnaissance à un niveau ressenti du vécu opprimé des femmes, une analyse basée sur l’empathie neutralisent les résistances masculines aux théories féministes et ouvrent la voie à un investissement d’une autre nature, plus engagé, dans l’étude des rapports sociaux de sexe (3).

Ce qui sera mis en avant au fur et à mesure de l’avancement du film, ce sont les enjeux de la lutte, le vécu des opprimé·e·s et le changement de perception que j’espère acquérir dans le but ultime de contribuer au peu de pistes de réflexions qui existent actuellement sur l’implication concrète que les hommes peuvent avoir dans la cause féministe.

Je retournerai également sur les lieux de mon enfance, j'interrogerai les amis de toujours, ma mère, mais aussi les hommes qui m'entourent aujourd'hui.

La dramaturgie sera partagée entre des discussions auxquelles je participerai, des recueils de témoignages et des réflexions intimes mises en scène à travers la parole et/ou les images et/ou la musique que je compte composer moi-même.

Ainsi, la forme de ce documentaire ne sera pas exclusivement celle de l'enquête mais aussi celle d'un récit sensible et poétique.

Rencontrer des réalités engagées et variées

Parmi les personnes que je souhaite interroger, il y aura des universitaires, des journalistes, des bloggeur·ses, des youtubeur·ses ...

Et parmi les collectifs que j'aimerais inclure dans le documentaire : le Collectif Les Féministes Révolutionnaires basé à Paris.
Ce collectif a une vision révolutionnaire dans le sens où il·les mettent en avant les problèmes structuraux de la société. Selon eux·les, un vrai changement n’est possible que si la lutte se focalise davantage au niveau structurel qu’au niveau individuel. La question de la socialisation masculine, et des relations entre hommes et féminisme pourrait être approfondie avec il·les. Les moments de non mixité seraient notamment l’occasion d’approfondir mes connaissances sur cet outil de libération de la parole (lire aussi la rubrique (Ré)actrices).

En Italie, j'aimerais rencontrer une délégation du collectif Non una di meno, au centre social occupé ESC Atelier à Rome.
L’ESC Atelier est un espace occupé depuis une dizaine d’années par des étudiant·e·s, chercheur·se·s et précaires, dans le quartier étudiant de San Lorenzo.
Le lieu est très accueillant et les activités organisées sont ouvertes à tou·te·s : concerts, débats, projections, spectacles pour enfants, le festival L/ivre dédié en même temps aux maisons d’édition et aux vignerons indépendants, maraudes, assemblées de quartier, etc.
La question de l’égalité est mise en avant dans l’organisation de l’espace ; l’écriture inclusive est utilisée systématiquement dans les affiches et communications ; un espace permanent dédié aux enfants propose des jeux et des livres non genrés ; des affiches proposent la conduite adaptée à ce lieu, en s’appuyant sur les concepts de consentement, de respect et de liberté d’expression.

Non una di meno, collectif au rayonnement national, a organisé de nombreux ateliers d’écriture collective qui ont vu la participation de milliers de femmes et de personnes faisant partie des minorités de genre, afin d’élaborer un Plan féministe contre la violence masculine sur les femmes et la violence de genre.

Toujours à Rome, je m'intéresserai à Lucha y Siesta et La Casa Internazionale delle Donne, des collectifs qui proposent principalement des services d’accueil et d’assistance (juridique, psychologique et matérielle) pour les femmes en difficultés ou victimes de violences (y compris des migrantes). Avec elles, il sera possible d’approfondir la question de l’intersectionnalité et de recueillir des témoignages sur les violences faites aux femmes.

A Bourges, je suis déjà allé à la rencontre des Colleur-euse-s (lire aussi la rubrique (Re)visiter) qui font un travail d’affichage sauvage dans la rue, dans le but d’attirer l’attention des passant·e·s sur les thématiques du féminisme. Par exemple, le 8 mars dernier, elles ont organisé une visite guidée dans les rues de Bourges rebaptisées pour l’occasion en hommage à des femmes militantes. La participation du public était au-delà de leurs attentes, avec des retours très positifs.

J'ai aussi rencontré Leslouise, toujours à Bourges (lire aussi la rubrique (Ré)actrices). J'ai discuté avec une des fondatrices dans le but de mieux appréhender ses motivations.

Je m’entretiendrai également avec mes ami·e·s et camarades de La Coopération Intégrale du Haut-Berry. C’est un collectif inclusif qui cherche à se défaire de l’emprise capitaliste à travers l’autoproduction, l’autogestion et le travail socialisé. Nous abordons régulièrement la question de la charge mentale et du partage des tâches à l’intérieur du collectif, organisation plus complexe que celle d’un foyer.

Danilo Proietti

(1) Léo Thiers-Vidal (1970-2007) était un chercheur sociologue à l'École normale supérieure de Lyon spécialisé dans l'étude des masculinités. Militant libertaire engagé dans la cause féministe, il est l'auteur d'une thèse portant sur la conscience masculine de domination, intitulée : « De l'Ennemi Principal aux principaux ennemis : Position vécue, subjectivité et conscience masculine (2007) ». Voir : https://fr.wikipedia.org/wiki/L%C3%A9o_Thiers-Vidal
(2) Léo Thiers-Vidal, « De la masculinité à l’anti-masculinisme : Penser les rapports sociaux de sexe à partir d’une position sociale oppressive », « Nouvelles Questions Féministes », Vol. 21, n° 3, décembre 2002, pp. 71-83. En ligne : https://remuernotremerde.poivron.org/uploads/2014/09/de-la-masculinite-a-l-anti-masculinisme.pdf
(3) Léo Thiers-Vidal, « De la masculinité à l’anti-masculinisme : Penser les rapports sociaux de sexe à partir d’une position sociale oppressive », « Nouvelles Questions Féministes », Vol. 21, n° 3, décembre 2002, pp. 71-83. En ligne : https://remuernotremerde.poivron.org/uploads/2014/09/de-la-masculinite-a-l-anti-masculinisme.pdf

 

 

Appel à participation

  • Le projet de Danilo Proietti étant toujours en construction, il reste preneur de propositions de témoignages, qu'elles émanent d'individu.e.s ou de collectifs, n'hésitez pas à le contacter : rawfi.vid@gmail.com

 

]]>
# 47 Tou·tes féministes ? Tue, 21 Mar 2017 13:37:42 +0100
Tou·te·s féministes ? http://www.rebonds.net/47toutesfeministes/697-toutesfeministes http://www.rebonds.net/47toutesfeministes/697-toutesfeministes « Je me considère comme féministe... Ce n'est pas le mot pour désigner une personne qui se bat pour le droit des femmes ? »
Le Dalaï-Lama

C'était une demande totalement inattendue : alors que j'avais toujours refusé de participer à un cercle en non-mixité, des femmes s'adressaient à moi pour les aider à rédiger un texte sur le sujet. Leur but : convaincre leur association d'en accueillir un.
Je n'ai jamais refusé de mettre ma plume au service des autres. Végétalien·ne par conviction politique, j'ai pourtant aidé un jour un ami à coucher sur le papier son projet d'élevage de poules. En échangeant longuement avec lui, puis en posant des mots sur ses intentions, j'entrai dans sa tête et son cœur, et ainsi, par effet-miroir, je le compris mieux tout en renforçant mes positions.

J'acceptais donc de relever le défi que ces femmes me lançaient sans le savoir et me mis au travail : je lus beaucoup sur le mouvement féministe et recueillis des témoignages, notamment de participantes à ces cercles en non-mixité. Mais au fil de la rédaction du texte, je m'interrogeais : pourquoi avais-je toujours refusé de participer à ces réunions ? Pourquoi ne m'étais-je jamais sentie réellement concernée ? En tant qu'anticapitaliste et en tant que femme, n'était-il pas de mon « devoir » d'être active dans le mouvement féministe ?

Plusieurs discussions me revinrent à l'esprit. La première, sur un coin de table, à la fin d'un repas, dans un lieu qu'on qualifierait de « militant ». Une amie décrit le principe du cercle en non-mixité auquel elle vient de participer. Je pose naïvement la question au garçon assis à côté de moi : « Et vous, les gars ? Quand organisez-vous votre cercle ? Parce qu'il y a du boulot si vous voulez vous déconstruire ! » Malaise. Deux paires d'yeux me regardent comme si j'avais prononcé une suite de gros mots néo-libéraux. « Les hommes n'ont pas besoin de ce genre d'espace pour s'empuissanter, ils en ont déjà assez comme ça dans tout le reste de la société », déclare sèchement mon amie. Le garçon, visiblement blasé par ce genre de discours, hausse les épaules et s'en va.

Se déconstruire, oui. Mais... tout seuls ? « Ce n'est pas le problème de la victime de régler celui du bourreau », me répond un jour une autre amie féministe (tout aussi sèchement). Qu'une femme battue par l'homme avec lequel elle vit ne se soucie pas de la manière dont il va régler sa violence, j'approuve. Mais que fait-on de tous ceux qui ont conscience de ce qu'ils représentent, de ce qu'ils perpétuent, des bénéfices que le patriarcat leur confère et qui veulent en sortir ? Qui veulent, réellement et profondément, abolir les rapports de domination dans la société ?
Penser que tous les hommes peuvent se débrouiller pour « déconstruire » ce qui est présenté comme un fait naturel depuis des siècles me semble être au mieux une inepsie, au pire un problème de classes sociales. Celui d'une classe éduquée qui assure aux autres qu'il suffit de faire un peu d'efforts pour changer son regard sur le monde et ainsi, ses comportements.

Une dernière conversation me revient à l'esprit. Je suis assise dans l'herbe avec trois amis à leur assurer que le féminisme est aussi une affaire d'hommes. « Si tu tiens ce genre de discours, c'est que tu n'es pas féministe », me lance l'un d'eux très sérieusement. Ah, vraiment ? Pourtant, linguistiquement, le terme féminisme désigne le mouvement qui milite pour l'amélioration des droits et des rôles des femmes dans la société. Pas une personne. Un mouvement. Bien sûr, la notion recouvre une pluralité de réalités, tant elle est politique.
Mais, ne pourrait-il donc y avoir de féministes que de femmes ? Et seulement certaines femmes qui tiennent un certain discours ? Les hommes ne peuvent-ils avoir aucune place dans ce mouvement ?

Mon ami Danilo Proietti se pose la même question au point d'en faire le sujet de son prochain documentaire (lire aussi la rubrique (Re)découvrir). Avec sa compagne, Chiara Scordato, nous sommes allé·e·s à la rencontre de personnes qui vivent le féminisme aujourd'hui, dans notre environnement proche, Bourges et ses alentours. Une parfaite occasion nous était offerte avec la création d'une nouvelle association : Leslouise.

______________________________________________

« Un mur d'incompréhension »

____________________________________

C'est précisément une divergence de points de vue sur un outil de la lutte féministe qui a accéléré ou provoqué la naissance de l'association.
A l'origine, deux membres de Ki-6-Col (1), Marie Avril et Jérômine Journet, souhaitent créer un cercle en non-mixité à Bourges. Leur proposition, présentée deux fois, est retoquée par le Conseil d'administration. Pourquoi ? « On m'a dit : « Ce n'est pas dans les valeurs de l'association d'exclure les gens. Il y a des hommes qui sont féministes et à qui vous interdisez d'entrer dans le débat, raconte Jérômine. C'était très violent. »
Même sentiment chez Marie : le choc a été tel, qu'elle a quitté Ki-6-Col qu'elle avait pourtant co-fondée. « Nous nous sommes heurtées à un mur d'incompréhension et d'arriérisme. C'était inattendu », commente-t-elle. « Mais ça nous a réveillées ! De cette réaction est née notre association féministe ! »

 

leslouise

Chez Ki-6-Col aussi, l'épisode a laissé des traces douloureuses. Mais le discours est quelque peu différent. « La porte de Ki-6-Col n'est fermée ni aux Louise ni à aucune autre association féministe, nous les soutenons », assure Alice, membre du Conseil d'administration. « C'est vrai que la proposition n'a pas fait consensus et le consensus, c'est un principe important chez nous. Nous aurions aimé avoir le temps d'organiser des réunions entre nous pour en débattre vraiment, connaître la position de chacun·e, les raisons des oppositions… Mais nous n'avons pas eu le temps de mûrir la discussion. »
Chantal, autre membre du Conseil d'administration, reconnaît ne pas comprendre le besoin de ces cercles. Si elle en a connus dans les années 1970, elle a l'impression d'une « régression ». « Nous en sommes toujours là ? Le capitalisme nous divise toujours ainsi ? Nous ne sommes pas capables de nous unir pour faire face aux problèmes ? » Elle souligne aussi la peine et le désarroi de certains hommes de l'association : « Beaucoup militent depuis très longtemps auprès des femmes et se sont sentis complètement exclus. »
Les cercles se seraient tenus au café militant de l'association, l'Antidote. « Afficher sur la porte « réunion interdite aux hommes », ce n'est pas possible dans un lieu qui se veut fédérateur comme le nôtre », considère Martine.
Si Alice ressent comme « un goût d'inachevé », elle veut se montrer positive : « C'est peut-être un mal pour un bien : ça nous a fait cogiter, nous en discutons et le débat pourra se poursuivre au sein de l'association. »

_______________________________________________________________

Immergées dans un imaginaire patriarcal

_________________________________________________

Mais de quoi parle-t-on lorsqu'on évoque les cercles en non-mixité ? A quels besoins répondent-ils ? A quelles envies ? Des femmes vivant dans le nord du Cher témoignent.
« Il y a quelques années, j’ai participé à un groupe en non-mixité, même si je ne comprenais pas très bien à quoi cela pouvait servir, de se retrouver entre femmes uniquement, raconte ainsi Chiara. Sensible depuis longtemps à la cause féministe, j'ai toujours pensé que, pour faire évoluer les mentalités, il fallait dialoguer avec les hommes et ne pas les exclure. Fréquenter ce groupe m’a permis de détecter certains mécanismes dont j’étais victime sans en être consciente et de comprendre la dimension systémique de certains problèmes. La difficulté de prendre la parole en public n’était pas déterminée uniquement par ma timidité, mais aussi parce que les hommes finissaient souvent par occuper toute la place. Ou à cause de la pression exercée sur mon corps par les stéréotypes de genre. Comprendre à quel point nous sommes immergées dans cet imaginaire patriarcal a été très puissant pour moi. »

Elle le reconnaît : « cette prise de conscience ne résout pas les problèmes, mais favorise la recherche de solutions et de stratégies. Se rencontrer en non-mixité permet d’élaborer des stratégies pour ne plus se sentir seules. Dans la vie de tous les jours, il peut nous arriver de remarquer des comportements sexistes ou violents de la part d’un homme de notre entourage (notre conjoint, un ami) et de ne pas savoir réagir. En non-mixité, nous pouvons nous préparer, nous renforcer, gagner en puissance et mieux faire face, ensemble, à la domination patriarcale qui habite notre société. Un espace de pause, de réflexion, d’écoute sans jugement ».

____________________________________________________________

Créer des liens entre toutes les femmes

_______________________________________________

Pour Alizée, l'espace en non-mixité simplifie la communication : « Entre femmes, pas besoin d'introduire, expliquer, décrire, justifier, débattre, sur certaines « évidences » de base. Cela facilite le rapport, fluidifie l'échange, accélère la rencontre, et permet d'aller « plus vite plus loin », d'accéder plus directement à un niveau approfondi de réflexion ou de vulnérabilité : ce niveau à cœurs ouverts où, selon moi, tout se joue. »
Pour Clémentine, qui a découvert les espaces non mixtes en vivant en Tunisie, « nous ne nous exprimons pas de la même façon dans un espace non mixte. Les oppressions se font principalement dans les moments de parole, il suffit de voir la manière dont les hommes la monopolisent dans les médias... ».

 

cercle non mixité
Betty organise avec Clémentine des lectures de textes féministes. Selon elle, les cercles ne répondent pas seulement à un besoin mais aussi à l'envie « de se retrouver ensemble ». En y participant, elle a découvert des liens insoupçonnés : « je n’ai jamais été à l’aise en groupe, mais avec des copines, j’ai toujours su parler sans avoir peur du regard de l’autre. Finalement, avec le temps, juste en venant à ces réunions, quelque chose m'unissait à ces femmes avec qui je n’aurais pas forcement créé de lien... maintenant je le sens de plus en plus fort : une femme, quoi qu’il arrive, c’est ma « copine ». Avant, je pouvais me sentir en compétition avec certaines d'entre elles dans un jeu de comparaison des corps, parce qu’il y avait des hommes autour. La découverte du féminisme et des espaces en non-mixité m’a fait comprendre qu’il s’agissait plutôt d’une force qu’il fallait partager, et non pas l’opposer, et surtout, sans le regard des hommes… ça m’a appris à aimer les femmes, pas mes copines que j’aime déjà, mais toutes les femmes ».

_________________________________________________

« Vont-ils enfin comprendre ? »

______________________________________

Envisagerait-elle d'ouvrir ces cercles aux hommes ? Ou d'organiser des espaces de débat mixtes ?
« Dans le groupe non mixte auquel j’ai participé, on s’était posé la question : on aurait voulu organiser des soirées à thème ou des projections, des lectures, car il y avait beaucoup de curiosité de la part des hommes de notre entourage. Personnellement, je n’étais pas trop pour, mais je pense que j’aurais soutenu car dans mon groupe, il y avait certaines femmes pour qui c’était important. Aujourd’hui, je n’ai plus envie de faire ça. J’ai envie de privilégier plutôt ce que je vis avec des femmes. C’est une perte de temps de penser à la manière dont on va éduquer les hommes... j’ai envie de vivre des choses réelles avec des femmes et de nous organiser pour vivre des choses qu’on a envie de vivre… et pas « vont-ils enfin comprendre ? »… c’est fatigant. »

Clémentine est partagée : « Si on veut accepter des hommes, il faut que le groupe existe depuis un certain temps, que la confiance soit là, qu’on se sente dans un espace sécurisé, qu'on s’assure qu’ils comprennent les règles... Mais j’ai plutôt envie de dire non aux hommes… car je suis fatiguée de les éduquer, d’expliquer pourquoi la non-mixité… Dans une assemblée avec des hommes, il y a trop de non-dits, à cause de la peur du regard et de la façon dont on nous a éduquées à taire certains arguments... J’assiste sans arrêt à des actes de violence envers des femmes… même dans le milieu militant, les hommes ne comprennent pas les espaces de non-mixité, ils se sentent exclus… Si on discute ensemble, ils doivent toujours ajouter leur grain de sel à la conversation et à la fin, la parole, c’est eux qui l’ont… Là, j’ai plutôt envie de me concentrer sur l’organisation collective entre femmes, pour devenir plus puissantes, ensemble. »

fantasy 4065900 960 720

______________________________________________________________

Vers une réconciliation hommes / femmes

_________________________________________________

Pour Morgane en revanche, l'ouverture aux hommes constitue l'étape suivante. « Ouvrir aux hommes, c'est tenter de trouver un langage commun. Les associer à nos questionnements. C'est repenser ensemble le devenir de nos relations, dans la reconnaissance des modèles obsolètes, dans une reconnaissance aussi des souffrances de l'homme. Déconstruire, parler, se pardonner, rebâtir avec et ensemble pour trouver des rapports plus apaisés et plus éclairés. » Pour elle, la « réconciliation » hommes / femmes représente le prochain saut de l'humanité.

Alizée est persuadée que le féminisme s'ancre dans un besoin général, commun, universel, non genré et non spéciste vers des structures de relations plus harmonieuses. « Ce travail concerne autant les femmes que les hommes pour une libération des femmes ET des hommes, il importe de le faire ensemble.[…] J'ai hâte de tenter l'expérience de ces espaces mixtes, même si cela pose déjà des questions du type : quand les hommes seront-ils à l'initiative de cette création commune ? Est-ce juste que nous, femmes, « portions » ce projet, nous qui dans l'ombre portons déjà tant ? Ce sont juste des questions, car dans le fond, moi je suis ok avec ça : il est peut-être justement temps d'influencer ouvertement le monde. »

Quant à Chiara, elle a toujours regretté que les réunions en non-mixité auxquelles elle a participé n’aient pas débouché sur des temps en mixité. « J’aurais aimé que notre discours se croise plus souvent avec celui des hommes. Et en parallèle, il est indispensable que les hommes se retrouvent entre eux, pour déconstruire les masculinités toxiques. Dans ma vision, l’espace en non-mixité est destiné, dans une société idéale – sans domination et sans aucune distinction de genre – à disparaître. Je rêve d’assister à cette époque où les imaginaires seront renversés, où il n’y aura plus de binarité. »

____________________________________________________________________

Le féminisme indissociable de l'anticapitaliste

_____________________________________________________

Leslouise n'ont pas encore pu organiser de tels cercles, le confinement lié à la situation sanitaire ayant modifié leurs plans. Créée le 25 novembre 2020 à l'occasion de la journée de lutte contre les violences faites aux femmes, l'association compte neuf femmes, dont Marie Avril, Jérômine Journet et Isabelle Besnainou, membres de la collégiale (2).
Comment sont-elles « entrées en féminisme » ?

Marie militait au sein du NPA (Nouveau Parti Anticapitaliste) dont les instances sont paritaires. A 55 ans, elle avoue n'avoir jamais conscientisé le féminisme. Elle le vit surtout à travers les actions liées à ses engagements politiques. « L'anticapitalisme doit comprendre le féminisme parce que c'est la lutte pour l'égalité entre tous les êtres humains. Au NPA, c'était une évidence, la parole des femmes était très forte. » Mais les luttes de pouvoir y faisaient tout de même rage. « C'était très intéressant, j'y ai appris plein de choses... notamment que je ne participerai plus jamais à un parti politique ! » Aujourd'hui, elle fait plutôt confiance à la forme associative pour toucher davantage de personnes.

 

marie poitrine

 

A 27 ans, Jérômine se revendique du communisme libertaire (3). « Je me suis intéressée aux questions de féminisme, d'anti-racisme et d'anti-fascisme durant mes études supérieures, grâce à des rencontres. Etant lesbienne, je m'étais renseignée sur l'homophobie. Derrière l'homophobie, il y a le féminisme : le fait que la société soit très genrée et que chaque genre ait une fonction, amène forcément la question du féminisme. » De même, le féminisme s'inscrit forcément dans la lutte plus large contre le capitalisme : « Le capitalisme s'appuie sur le travail gratuit effectué par les femmes (travail domestique, domaine du soin…). La lutte féministe a tout intérêt à la fin du capitalisme. »

 

jéromine

 

Agée de 53 ans, Isabelle a vécu 28 ans au Mexique avant de rentrer en France et de s'installer dans le Cher. Elle s'intéresse particulièrement au mouvement zapatiste. Au Chiapas, dans les communautés autogérées et autonomes, les femmes se regroupent dans des coopératives de travail et participent activement à l'organisation politique. Elles organisent régulièrement des rencontres en non-mixité qui réunissent des milliers de participantes. Cet été, une délégation zapatiste composée d'une majorité de femmes sera en tournée en Europe et les collectifs qui les accueillent ont déjà prévu d'aborder largement la question du féminisme avec eux·les (4).

photo isabelle 2

 

__________________________

Abolir les genres

____________________

Marie, Jérômine et Isabelle se sont connues chez Ki-6-Col, via le café militant l'Antidote. Ensemble (et avec une autre amie, Anne-Marie), elles ont décidé de fonder Leslouise, dont le nom rend hommage à l'anarchiste Louise Michel (5). L'objectif : « Lutter contre le patriarcat en général, et fournir des moyens d'émancipation aux femmes et aux minorités de genre », explique Jérômine. « Le but est de fédérer des personnes qui ont des idées et de les accompagner dans leur mise en œuvre, souligne Marie. Il peut s'agir de manifestations, d'expositions, de débats, d'ateliers d'écriture, de projections, de sorties culturelles, d'espaces en non-mixité... » Les événements sont ouverts à tou·tes, tout comme l'association (excepté le Conseil d'administration, exclusivement féminin).

Concernant les inégalités de droits entre les hommes et les femmes, qu'est-ce qui leur paraît prioritaire de changer ? « Il faut abolir les genres, répond Marie sans hésiter. Plus de monsieur ni de madame. On exclut cette notion qui, dès la naissance, te sépare en deux groupes. Ainsi, tu résous le problème des minorités de genres. » Que faudrait-il faire pour en arriver là ? « La révolution ! En tout cas, mettre dehors ceux qui sont au pouvoir aujourd'hui. Il faut que les gens qui décident soient les personnes concernées. »
La première chose à laquelle pense Jérômine, c'est le prolongement du délai d'IVG (Interruption Volontaire de Grossesse). Elle évoque aussi la prise en compte de la parole des femmes, notamment dans le milieu médical : « La douleur de la femme n'est pas prise en compte de la même manière que celle des hommes (6). »

 

155276257 152050630069664 763365522734598758 n

 

A l'occasion de la journée internationale de défense des droits des femmes, le 8 mars dernier, Leslouise ont organisé une manifestation ainsi qu'une balade dans Bourges avec des rues rebaptisées par les Colleur·se·s (lire aussi la rubrique (Re)découvrir). Les prochaines actions qu'elles envisagent sont des collectes de protections hygiéniques dans les commerces pour lutter contre la précarité menstruelle ou encore une action de rhabillage d'affiches dégradantes et sexistes. En septembre, elles participeront au forum des associations à Bourges, afin de se faire davantage connaître.

________________________________________

Des alliés du mouvement

_______________________________

Pour Marie comme pour Jérômine, les hommes peuvent être de précieux alliés du mouvement mais « des personnes qui bénéficient du patriarcat ne devraient pas se dire féministes ». Au contraire, Isabelle pense que « les hommes peuvent et doivent être féministes car il s'agit d'ouvrir le panorama ».
Le milieu « militant » serait-il plus propice à l'émergence de tels profils ? « Ça dépend, répond Jérômine. Certains placent la lutte des classes en priorité, quitte à fermer les yeux sur les dominations au sein d'une même classe... » Marie reconnaît que les militants « sont généralement plus à l'écoute et dans la compréhension de ce que les femmes ont besoin ». Mais, dans l'organisation de réunions par exemple, les déséquilibres dans les prises de parole ou de décisions sont encore légion.

Pour « déconstruire » les a priori chez les hommes comme chez les femmes, l'éducation est primordiale. Des débats pourraient ainsi être proposés dans les lycées, par exemple, en envisageant un partenariat avec l'Education nationale comme les associations LGBT + le font déjà (7). Par quels éléments un parcours d'éveil pourrait-il commencer ? « Le féminisme a une histoire, on peut se tourner vers ce qu'ont déjà produit les personnes concernées sur le sujet, conseille Jérômine. Articles, livres, vidéos, audios... »

______________________________________________

De l'UFF à Femmes Solidaires

____________________________________

Quelles seraient les aînées de Leslouise dans le Cher ? Grâce à l'équipe des archives départementales, puis de la section locale du PCF (Parti Communiste Français), je retrouve la trace des sections de l'Union des Femmes Françaises (UFF). Issues des comités de résistantes, elles sont nées en 1944 un peu partout dans le pays. A Bourges, « il y avait dès fin 1944, des comités de quartiers très actifs : Saint-Bonnet, l'Aéroport, Mazières, les Bigarelles... m'écrit Simone Camuzat, de la section locale du PCF, dans un mail. L'orientation de départ fut le soutien aux soldats (la guerre n'était pas finie), aux familles dans le besoin... L'aspect social prévalait : collectes d'argent, de vêtements, de produits alimentaires... Les femmes allaient aux portes des grands magasins pour collecter. »

En parcourant les collections de « Dix-huit », le bulletin de l'hebdomadaire fédéral du PCF, je retrouve également des comités à Saint-Amand-Montrond, Vierzon, Saint-Florent… Outre le soutien aux familles, il s'agissait aussi de participer aux changements de la société en profondeur. Ainsi, en mars 1968, un article rend compte d'une réunion d'une trentaine de jeunes filles du département autour de la question de Waldeck Rochet : « Qu'est-ce qu'un révolutionnaire dans la France de notre temps ? » En juin à Nîmes, s'ouvrent les assises nationales de l'UFF sur le thème « La femme dans la famille et dans la société » auxquelles participent un millier de déléguées.
Sont débattus l'accès au travail, les salaires, la non-mixité des tâches… L'UFF est également très active dans le mouvement pour la paix, dénonçant très tôt la guerre en Indochine, au Vietnam, le fascisme en Espagne ou encore la prolifération des armes nucléaires.

Je feuillète l'année 1975, décrétée « année internationale de la femme » par les Nations Unies. L'occasion pour le PCF d'organiser une grande campagne baptisée « Un million de femmes dans l'action ». Un numéro spécial, titré « Améliorer la condition des femmes chez nous », met en valeur des Berrichonnes qui expliquent leur combat à la maison et dans la rue. En juin, un car part de Vierzon, avec à son bord des femmes du Cher et de l'Indre, qui participent aux journées spéciales organisées à Paris.
La loi sur l'avortement donne également lieu à des articles écrits par l'UFF. Les femmes regrettent que le remboursement de l'IVG par la Sécurité sociale n'ait pas été retenu.

1981, année de tous les espoirs, avec l'arrivée de François Mitterrand (alors de gauche) au pouvoir. Dans les articles de campagne du candidat Georges Marchais, il s'agissait de « conquérir le mieux vivre et l'égalité pour les femmes ».

Si les thèmes semblent identiques à ceux d'aujourd'hui, je m'aperçois toutefois que la rhétorique est différente : à l'époque, les articles étaient écrits dans un style qui oscillait entre maternalisme et communisme. Les qualités soi-disant intrinsèques des femmes – comme une certaine sensibilité menant donc, forcément, au pacifisme – y étaient glorifiées. Si des instances spécifiquement féminines existaient, des espaces mixtes permettaient la circulation de la parole entre hommes et femmes du parti.
Quarante ans plus tard… L'UFF n'est plus : en 1996, elle est devenue UFF-Femmes Solidaires puis en 1998, Femmes solidaires. Un mouvement féministe, laïque et d'éducation populaire qui lutte contre les discriminations et qui compte deux déléguées dans le Cher, à Saint-Amand-Montrond et à Saint-Florent (8).

_____________________________________________________________

Une évolution des mentalités hétérogène

________________________________________________

Autre association à avoir beaucoup œuvré pour les droits des femmes : le Mouvement Français pour le Planning Familial (MFPF). Créé en 1956 d'abord sous le nom de « Maternité heureuse », le MFPF aurait ouvert ses portes à Bourges en 1961. Son but était de permettre à chacun·e de vivre une sexualité libre et épanouie, sans avoir peur de grossesses non voulues. Les premiè·res militant·es ont beaucoup travaillé à la légalisation de la contraception en 1967 et à celle de l'IVG en 1975.
Aujourd'hui, il·les poursuivent leurs actions dans le domaine de l'éducation à la sexualité, la prévention des violences, du Sida et des autres Infections Sexuellement Transmissibles (IST), la lutte contre les discriminations et les inégalités sociales.

 

planning familial image

 

« Le Cher présente la particularité d’avoir un service public dédié à cette activité : le Centre de Planification et d’Education Familiale (CPEF), précise Annie Petit-Girard, présidente de l’association départementale du MFPF. Les bénévoles n’interviennent pas dans le fonctionnement de ce service. Notre association, au plus fort de son activité, s’est limitée à l’organisation de journées de conférences et d’échanges sur des thématiques ciblées : parentalité, désir d’enfants, violences sexuelles, prostitution, etc…..et quelques interventions auprès de groupes de jeunes en binôme bénévole / conseillère conjugale et familiale du CPEF. »
Les volontaires assurent des permanences téléphoniques : selon les questions et les problèmes, il·les dirigent les demandeur·ses vers d'autres associations ou le CPEF.

Agée de 70 ans, Annie Petit-Girard milite depuis 1975. Selon elle, les sujets à traiter n'ont pas beaucoup changé : « le droit des femmes à faire usage de leur corps comme elles l’entendent, être respectées, écoutées et entendues dans leurs attentes en matière de vie en société, dans une société mixte ; cela va bien au-delà des seuls droits des femmes. On le constate avec ce qui se passe au niveau européen, en Pologne, en Italie, en Espagne, etc… l’IVG n’est pas toujours acceptée, voire même la contraception… » Elle aimerait affirmer que l'évolution des mentalités est positive mais elle craint que cela « reste très inégalitaire et très hétérogène ».

Elle se dit féministe, mais pas seulement : « Le désir d’évolution s’étend au fonctionnement global de la société, dont on voit bien dans quelles impasses nous sommes entraîné·e·s collectivement, femmes, hommes, et toutes les nuances d’intersexualités, de particularismes des un·es et des autres !!... » Impossible pour elle, d'ailleurs, de donner une définition du féminisme, tant les courants sont nombreux et variés : « Nous pouvons constater aujourd’hui la multiplicité de visions sur le féminisme. Notre incapacité à établir un dialogue apaisé conduit à un fractionnement du mouvement féministe qui, à mon sens, y perd en efficacité. C’est un vaste débat, mais où débattre ??!! »
En se rapprochant d'associations comme le MFPF de l'Indre ou le collectif #NousToutes18 (9), elle espère travailler sur la complémentarité de ces visions, espaces, outils…

______________________________________________________

Après la déconstruction, la création

__________________________________________

Les hommes trouveront-ils leur place dans cette complémentarité ? Comment hommes et femmes parviendront-il·les à détruire les représentations imposées par la société patriarcale et capitaliste ? La manière, forcément différente, qu'il·les ont de les vivre voire de les subir, encourage la création d'espaces distincts, sécurisés, propices au débat sans filtre ni crainte. Mais après la déconstruction, vient le temps de la création de nouveaux rapports. Impossible qu'ils soient édictés par l'une ou l'autre des parties, comme ce fut le cas depuis des siècles. Hommes et femmes devront bien œuvrer ensemble à ce mouvement, à cet avènement de relations d'un nouveau genre.

Fanny Lancelin
avec la précieuse collaboration de Chiara Scordato (pour les cercles en non-mixité)

 

(1) Ki-6-Col : association militante anticapitaliste, antifasciste, autogestionnaire créée en 2012 et basée à Bourges. https://www.ki6col.com/
(2) Une association en collégiale ne comporte pas de dirigeant·e·s. Tou·tes les membres du bureau ont le même niveau de responsabilités.
(3) Communisme libertaire : https://www.socialisme-libertaire.fr/2017/02/qu-est-ce-que-le-communisme-libertaire.html
(4) Lire le numéro de (Re)bonds consacré à la lutte zapatiste : http://rebonds.net/43yabasta/663-lautonomiezapatisteaudeladumexique
(5) Louise Michel : https://fr.wikipedia.org/wiki/Louise_Michel
(6) https://www.marieclaire.fr/douleur-femme-sous-estimee-medecins,1263996.asp
(7) LGBT + : Lesbiennes, Gays, Bisexuel·les, Trans…
(8) https://femmes-solidaires.org/centre/
(9) Collectif né en juillet 2018 partout en France, pour dénoncer les violences sexistes et sexuelles. Dans le Cher : #Noustoutes18.org

]]>
# 47 Tou·tes féministes ? Tue, 21 Mar 2017 12:54:42 +0100