# 50 Au pays d'Hussain (septembre 2021) http://www.rebonds.net/50aupaysdhussain Thu, 11 May 2023 19:06:42 +0200 Joomla! - Open Source Content Management fr-fr Une brève histoire de l'Afghanistan http://www.rebonds.net/50aupaysdhussain/721-unebrevehistoiredelafghanistan http://www.rebonds.net/50aupaysdhussain/721-unebrevehistoiredelafghanistan C'est un pays dont l'histoire, complexe, est marquée par des conflits inter-ethniques et religieux, mais aussi par l'ingérence de nations extérieures. De son appartenance à un empire au royaume, puis à la république et finalement, à la dictature… comment l'Afghanistan s'est-il transformé au fil des siècles ? Pourquoi a-t-il toujours attiré les puissances étrangères ?

L'Afghanistan est situé en Asie Centrale, sur une surface de 650.000 km².

Environ 35,5 millions d'habitant·e·s y vivent selon une estimation de 2018. Il·le·s proviennent de différentes ethnies : les Pachtounes (qui représentent la majorité de la population), les Tadjiks plutôt au nord, les Baloutches au sud, les Hazaras (descendant·e·s des Mongols) au centre, les Turkmènes, les Ouzbeks, les Aïmaks, les Pamiris et les Nouristanis.
Tou·te·s sont musulman·es, majoritairement sunnites ; 15 % de la population est chiite.

La capitale est Kaboul. Les autres principales grandes villes du pays sont Kandahar, Harat et Mazar-e Charif.

Les langues officielles sont le persan afghan (dari) et le pachtou.

Le pays est en majeure partie montagneux et aride, ouvert par quelques vallées. Au centre, se trouve la chaîne de l'Hindou Kouch.

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L'Afghanistan antique et médiéval

D'abord province de l'Empire iranien, le territoire sur lequel se trouve l'actuel Afghanistan a été hellénisé après la conquête d'Alexandre, au IVe siècle avant Jésus-Christ.
Jusqu'au Ve siècle, il est influencé par le bouddhisme avant d'être intégré progressivement au monde musulman, notamment à partir de l'invasion arabe au VIIe siècle.

Aux XIe et XIIIe siècles : invasions turques puis mongoles.

L'époque moderne

XVIe et XVIIe siècles : le pays est partagé entre l'Inde et l'Iran.

1747 : première dynastie nationale afghane fondée par les Pachtounes.

Le Grand Jeu

1839-1842 et 1878-1880 : guerres anglo-afghanes également appelée « Le Grand Jeu ».
Face à la menace expansionniste russe sur les Indes Britanniques, le Royaume-Uni déclenche un premier conflit contre la Russie depuis l'Afghanistan. Mais en 1842, son armée est décimée par une révolte populaire.
Le deuxième conflit débute avec la conquête de Kaboul et de Kandahar par le général Roberts.

1907 : traité anglo-russe qui donne son autonomie à l'Afghanistan.

1919 : reconnaissance de l'indépendance de l'Afghanistan par les Britanniques, concrétisée par un traité en 1921.

Le royaume d'Afghanistan

1926 : le royaume d'Afghanistan est fondé par l'émir Amanullah.

1929 : Amanullah abdique au profit de musulmans traditionalistes.
Puis le général Mohammed Nadir Shah devient roi.

1933 : mort de Mohammed Nadir Shah. Muhammad Zaher Shah lui succède.
Il a pour ambition de moderniser son pays et l'ouvre progressivement aux investissements étrangers, notamment soviétiques, et aux touristes.

Via leurs investissements (par exemple à l'université) et des programmes de formation qui permettent aux jeunes Afghans de faire leurs études en URSS, les idées socialistes se propagent, principalement dans la société urbaine.
L'écart se creuse entre les villes comme Kaboul où souffle un vent de liberté et d'égalité entre hommes et femmes, et les campagnes qui restent très attachées aux traditions, notamment religieuses.

 

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La proclamation de la République

1973 : coup d’État contre le roi par son cousin Mohammed Daoud. Proclamation de la République.

1978 : coup d’Etat du Parti Démocratique du Peuple Afghan (PDPA) appuyé par l’Union soviétique qui installe un gouvernement communiste. Muhammad Taraki devient président de la nouvelle République démocratique d'Afghanistan.

1979 : coup d'état d'Hafizullah Amin, jusqu'ici premier ministre.
Répression sanglante de tous les opposants, notamment des islamistes.
Les moudjahidins (1) se préparent à la guerre.

Léonid Brejnev, qui dirige l'URSS, s'inquiète de la situation politique en Iran et craint que l'Afghanistan ne l'imite en installant une république islamique.

L'Afghanistan a une longue frontière avec l'URSS, et c'est aussi un pays stratégique pour l'accès à l'océan indien.

L'invasion russe

1979-1989 : intervention militaire de l'URSS pour éviter la prise de pouvoir des combattants islamistes opposés aux communistes.
Assassinat de Hafizullah Amin. L'URSS installe Babrak Karmal à sa place.

Les moudjahidins résistent, soutenus financièrement par les Américains et l'Arabie Saoudite via le Pakistan.

1986 : Mohammed Nadjibullah remplace Babrak Karmal.

 

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1989 : l'Armée rouge se retire. L'URSS n'aura jamais réussi à contrôler le pays. La guerre a fait environ un million de mort·e·s et cinq millions de personnes ont fui vers l'Iran et le Pakistan.

La guerre civile

Début de la guerre civile entre le gouvernement afghan et les moudjahidins, eux-mêmes divisés : les Tadjiks dirigés par le commandant Ahmad Shah Massoud sont soutenus par l'Inde ; les Pachtounes du fondamentaliste Gulbuddin Hekmatyar sont soutenus par le Pakistan.

Environ 15 % de la population pakistanaise est pachtoune : c'est la deuxième composante ethnique du pays. Elle vit le long de la frontière avec l'Afghanistan.

1992 : renversement de Mohammad Nadjibollah au pouvoir depuis 1986, par le commandant Massoud et son Alliance du nord pour l'instauration d'un régime islamiste.
Affrontement de factions rivales pour le contrôle du pays.

1994 : création des Talibans (2) à Islamabad au Pakistan.

1996 : les Talibans s'emparent du pouvoir et imposent un islamisme rigoriste.
Proclamation de l'Emirat islamique d'Afghanistan dirigé par le mollah Omar depuis Kandahar, bastion des Talibans.
C'est lui qui offre sa protection à Oussama ben Laden.

Pour les combattre, est créé un Front islamique uni conduit par le commandant Massoud.

L'occupation américaine

2001 : assassinat de Massoud (le 9 septembre). Il est remplacé par le général Mohammad Fakhim.

Attentats à New-York (le 11 septembre).

Le 7 octobre, les Etats-Unis, soutenus par la communauté internationale, s'engagent dans une guerre en Afghanistan contre les responsables présumés de ces attentats : les membres du réseau Al-Qaïda (3), l'un de leurs chefs, Oussama ben Laden, et les Talibans qui les soutiennent.
Le régime des Talibans s'effondre en novembre. Une grande partie d'entre eux trouvent refuge au Pakistan.

 

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2002 : formation du grand conseil traditionnel des chefs de tribu, la Loya Jirga, qui doit élire le président par intérim et organiser les institutions. Elle choisit Hamid Karzaï, chef pachtoune considéré comme modéré, pour 18 mois.

2004 : adoption d'une nouvelle Constitution par la Loya Jirga et d'un régime parlementaire à deux chambres. Hamid Karzaï est élu président de la République islamique d'Afghanistan au suffrage universel, avec 55,4 % des voix.

2005 : élection du Parlement. Les partisans d'Hamid Karzaï l'emportent.

Fin des années 2000 : Hamid Karzaï entame des discussions avec les Talibans, qui n'aboutiront pas. Pour eux, le préalable à tout accord est le départ des troupes étrangères du pays et que le régime politique soit inspiré par la Charia (4).

2009 : Hamid Karzaï est réélu président.

Décembre 2009 : Barack Obama, président des Etats-Unis, annonce le retrait progressif des troupes américaines (soit 100.000 soldats et civils).

Depuis 2014 : gouvernement d'union nationale présidé par Ashraf Ghani. Mais l'ensemble du territoire est loin d'être contrôlé par ce gouvernement.
Des combats disparates et des attentats suicides ont toujours lieu.

La même année, l'OTAN réduit ses troupes sur place, qui passent de 130.000 à 16.000 soldats.
L'armée nationale afghane, qui doit prendre le relais, est composée de 300.000 soldats. Mais elle est réputée mal préparée, mal équipée et sujette à désertion.
L'insécurité augmente.

2015 : apparition dans le pays d'une branche de Daech, l’Etat islamique khorassan. Ses membres sont souvent d'anciens Talibans pakistanais ou des membres de Daech en Syrie.

Les Talibans s'opposent à Daech, ce qui provoque de nouveaux combats et de nouveaux attentats suicides.

Des programmes d'investissements et de coopération sont lancés par des puissances économiques étrangères telles que la Chine et l'Inde : routes commerciales, gazoduc, réseau d'électricité, liaison ferroviaire...

Le retour des Talibans

2020 : signature d'un accord entre les Etats-Unis et les Talibans, au Qatar. Une trentaine de pays ont participé aux discussions. L'accord prévoit notamment le retrait sous quatorze mois des troupes américaines et l'ouverture de négociations de paix avec le gouvernement afghan.

Nouvelles élections présidentielles : la commission électorale afghane donne Ashraf Ghani vainqueur mais Abdullah Abdullah, autre candidat, conteste les résultats et compose un gouvernement parallèle. Un accord entre les deux parties sera finalement trouvé et un gouvernement mixte constitué.
Mais Ashraf Ghani est considéré comme « la marionnette des Etats-Unis ».

2021 : les troupes américaines débutent leur retrait définitif.
Selon l’Organisation des Nations Unies (ONU), entre 32.000 et 60.000 civil·es afghan·es ont été tué·es depuis le début du conflit entre les troupes américaines et les Talibans.

Ceux-ci profitent du départ des Américains pour lancer une ultime offensive, et prennent le contrôle de Kaboul et de la majeure partie du pays le 15 août. Le président Ashraf Ghani quitte le pays pour les Emirats Arabes Unis.
La résistance afghane est menée par Amrullah Saleh et Ahmad Massoud, fils du commandant Massoud. Elle poursuit les combats, notamment dans la vallée du Panchir et appelle à un soulèvement national.

Le 7 septembre, les Talibans annoncent la constitution de leur gouvernement avec, à sa tête, le mollah Mohammad Hassan Akhund. Abdul Ghani Baradar, cofondateur des Talibans, est le numéro deux.

 

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Dans tout le pays, des manifestations éclatent en faveur des libertés, organisées notamment par des femmes. D'abord dispersées, elles ont été interdites par les Talibans.

(1) Terme qui signifie « combattants musulmans de la guerre sainte ».
(2) Terme qui signifie « les étudiants de la religion ».
(3) Terme qui signifie « la base ».
(4) « Le chemin qu'il faut suivre » : loi canonique islamique régissant la vie religieuse, politique, sociale et individuelle, appliquée de manière stricte dans certains Etats musulmans.

 

Les sources

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# 50 Au pays d'Hussain Tue, 21 Mar 2017 13:37:42 +0100
La longue amitié entre Français·es et Afghan·es http://www.rebonds.net/50aupaysdhussain/722-lalongueamitieentrefrancaisesetafghanes http://www.rebonds.net/50aupaysdhussain/722-lalongueamitieentrefrancaisesetafghanes Etienne Gille est vice-président de l'AFRANE (Amitié franco-afghane). Aujourd'hui installé à Dijon, il a vécu dix ans en Afghanistan et y est retourné chaque année depuis 2002. Il nous parle des missions de son association, de la complexité de la situation, mais aussi des projets qui permettront de continuer à soutenir la population afghane. L'an prochain, l'amitié entre les deux pays aura cent ans !

« Quand a été créée l'association ? Dans quel contexte ?

Elle est née en 1980 juste après le début de l'intervention soviétique (1). A l'époque, ses objectifs étaient assez larges : d'abord, informer correctement sur ce qui se passait en Afghanistan. Les informations étaient rares et souvent biaisées, car elles provenaient uniquement des réseaux communistes. Il était important pour nous de connaître la réalité.
Ensuite, il s'agissait d'apporter une aide humanitaire à la population afghane.
Depuis 1996 et plus spécifiquement 2002, nous intervenons dans le domaine de l'éducation.

A-t-elle été créée uniquement par des Français ?

Au départ, oui, par des Français qui voulaient aider les Afghans. Il y a une grande diversité d'ethnies en Afghanistan, et nous voulions éviter les conflits entre elles. Mais ça, c'était au début. Aujourd'hui, il y a des Afghans dans l'association, bien sûr.

Fonctionne-t-elle uniquement avec des bénévoles ou également des salarié·e·s ?

En France, nous avons trois postes de salariés et en Afghanistan, nous en avions 23. Mais au retour des Talibans cet été, dix-neuf sont partis et ont trouvé asile en France. Malheureusement, il s'agissait de tous nos formateurs. Nous sommes dans une démarche de recrutement.

Combien l'association a-t-elle d'adhérents ?

Environ 350, auxquels il faut ajouter une centaine de donateurs et une centaine d'abonnés à notre revue trimestrielle.

Vous assurez des formations pédagogiques. Sont-elles destinées à des enseignant·e·s ou des élèves ?

Nous essayons de contribuer à la formation des enseignants d'écoles publiques. Depuis 2003, nous avons une équipe de formateurs engagés qui ont organisé beaucoup de séminaires pour les professeurs de lycées. Attention, en Afghanistan, le terme « lycée » couvre les classes du CP à la Terminale. Nos actions concernaient plutôt le niveau primaire. Parfois, dans le domaine des sciences, nous intervenions au niveau secondaire.

Vos zones d'intervention sont-elles situées plutôt en milieu urbain ou dans les campagnes ?

Nous menions des actions dans la périphérie de Kaboul, à Djalalabad et Tcharikar dans des lycées plutôt urbains. Mais nous travaillions aussi dans la province de Bâmiyân, sur un territoire complètement rural avec un habitat très dispersé et nous avions une action plus modeste à Hérat.

Vous avez un programme de reconstruction d'écoles. En quoi consiste-t-il ?

Avant 2001, de nombreuses écoles avaient été détruites ou laissées à l'abandon. Le parc était en très mauvais état.
Parallèlement, nous avons connu une explosion du nombre d'élèves qui est passé d'un million à huit millions en six ou sept ans. Les besoins étaient considérables.
La plupart du temps, le premier besoin d'un directeur d'école, c'était un bâtiment.
Nous lancions un appel à des dons et des subventions. Nous assurions la maîtrise d'œuvre en lançant un appel d'offres et, en fonction des meilleures réponses, nous signions le contrat. Une fois le bâtiment construit, nous le remettions au ministère de l'Education nationale afghane.
Nous avons reconstruit environ deux écoles par an pendant vingt ans.

Quelles sont les autres actions de l'association ?

Nos statuts mentionnent la défense des Droits de l'Homme. Nous sommes déterminés à agir dans ce domaine mais la ligne juste est une ligne de crête… Il s'agit surtout de donner de l'information.

 

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La Cour pénale internationale a ouvert une enquête pour des crimes commis en Afghanistan à partir de 2003 (2). Pourriez-vous être interrogé dans ce cadre ?

Nous n'aurions rien à dire. Il s'agit surtout d'exactions de militaires américains. Il y a eu des crimes bien pires dans ce pays et par toutes les parties.

En 2002, la question était de savoir quoi faire de tous ceux qui avaient commis les crimes. La plupart des diplomates ont dit : « si nous voulons la réconciliation nationale, nous ne pouvons pas juger tous ces gens, tout le monde a du sang sur les mains » ; ça a fait consensus.

Le travail de vérité n'a pas été fait. Ce sont pourtant des crimes contre l'Humanité dont on parle, mais c'était trop généralisé pour être jugé…
C'est extrêmement compliqué. Ça reste dans le cœur des gens et ça pèse dans les relations entre les peuples. Tant que les choses ne seront pas dites et qu'il n'y aura pas de demande de pardon, ce sera compliqué.

Dans quelles conditions l'association œuvre sur place ? Est-elle bien perçue ?

Notre principale difficulté, c'est que nous ne sommes pas en mesure de répondre à toutes les demandes.
Sinon, l'association est bien perçue par les chefs d'établissement. Chaque année, nous organisons une réunion avec 30 ou 40 d'entre eux, hommes et femmes à peu près à égalité. Nos formateurs sont très respectés. Une confiance réciproque s'est instaurée.
Nous avions de très bons contacts avec les rectorats aussi.
Au niveau du ministère, la relation était assez ténue et consistait simplement en une convention.

Mais, au fil des ans, le pouvoir central a acquis une certaine méfiance à l'égard des ONG (3). Il craignait qu'elles fassent des profits et voulait que l'argent passe par lui. Il nous imposait des contraintes administratives de plus en plus lourdes. En réalité, il s'agissait de contrôler les ONG et, en multipliant les contrôles, de multiplier surtout les dessous de table...

Lorsque les Talibans sont arrivés au pouvoir la première fois, de 1996 à 2001, l'association est-elle parvenue à poursuivre ses actions ?

Il faut distinguer plusieurs périodes. Au début, les Talibans contrôlaient mais de loin. Une personne de l'association était restée sur place à Kaboul, où elle avait créé un centre d'apprentissage du français.
La Province de Bâmiyân était assez éloignée des Talibans, nous avons pu continuer nos activités. Et à Djalalabad non plus, ils ne sont pas intervenus.

Ensuite, il y a eu une deuxième phase durant laquelle les Talibans ont voulu imposer des règlements très stricts aux ONG. Ils les ont regroupées dans un même camp et les personnels devaient être soumis à des autorisations. Les ONG ont refusé. A ce moment-là, notre représentant a été chassé : il a eu deux heures pour quitter Kaboul.
Mais à Bâmiyân et Djalalabad, nous avons pu continuer.
Nous avons fait parvenir de l'aide aux écoles clandestines de filles, que j'appellerais plutôt « écoles domestiques » parce qu'en réalité, les Talibans connaissaient leur existence. Mais tant que les filles restaient entre filles…

Avez-vous pu reprendre normalement vos activités à leur départ, en 2001 ?

En 2002.
Les écoles de Bâmiyân et de Djalalabad étaient privées. Nous les avons rendues au ministère de l'Education nationale afghane.

La présence des armées étrangères, de l'OTAN, facilitait-elle votre travail ou le rendait-elle plus difficile ?

Nous n'avions pas de contact avec l'OTAN. Une fois, nous avons eu besoin d'eau pour un chantier de reconstruction d'une école et l'ISAF (4) a accepté d'en apporter un camion.
Dans le cadre des actions de l'armée en faveur des civils, nous aurions pu demander des financements, mais nous avons toujours refusé. Nous ne voulions pas qu'il y ait de malentendu, nous ne sommes pas le bras armé d'un gouvernement.
Paradoxalement, lorsque nous arrivions dans une école, le chef d'établissement nous disait souvent qu'il avait accepté l'aide financière. Pour eux, il fallait prendre l'argent où il était...

Avez-vous des nouvelles ? Quelle est la situation actuelle dans les zones où l'association est habituellement active ?

Nous sommes en relation permanente avec notre bureau à Kaboul, mais il est difficile d'avoir une image précise de la situation.
L'école de Djarikar est située à l'embouchure du Panchir (5). Il y a quelques jours, elle n'avait pas encore rouvert.
Indépendamment du retour des Talibans, celle de Djalalabad ferme toujours à la saison chaude. Elle a repris ces jours-ci.

De manière générale, au niveau primaire, les écoles ont rouvert, mais les professeurs et les élèves s'y rendent assez peu. Je dirais… peut-être 30 %… et pour les filles sans doute encore moins.
Les gens ont peur. Ils n'ont pas confiance dans les promesses des Talibans. Il y a ce qu'on voit à la télévision et la nuit, des commandos entrent dans les maisons…
Il est possible que jour après jour, une certaine normalisation s'opère, pour des raisons économiques notamment : les gens vont avoir besoin de travailler, mais ils n'iront pas le cœur léger.

Malgré tout, est-ce que l'association tente d'apporter une aide sur place ?

Nous avons eu une réunion de notre Conseil d'administration ce week-end. Nous avons défini un concept de « pause active » mais il serait plus pertinent de dire « observation active ». Pause, parce qu'on ne peut pas redémarrer comme si de rien n'était. Active, parce que nous allons contacter nos partenaires pour savoir de quoi ils ont réellement besoin.

L'éducation est un domaine idéologiquement marqué. Les Talibans vont sûrement modifier les curriculum et censurer des livres. Dans ce contexte, que pouvons-nous faire ? Nous n'allons pas construire des madrassas (6). Mais nous allons essayer de trouver des interstices, pour travailler sans porter atteinte à nos valeurs.
Les Afghans vont avoir besoin de matériel et de soutien, de savoir qu'on ne les oublie pas aussi.
Mais nous devons faire face à une contrainte énorme : pour l'instant, nous ne pouvons pas envoyer d'argent en Afghanistan. Nous allons devoir réfléchir. La situation est délicate mais notre détermination totale !

Il existe des comités locaux de l'AFRANE en France. Peuvent-ils apporter un soutien particulier ?

Il n'en existe pas beaucoup. Il y en a un en Alsace et un à Dijon. Pour le reste, il s'agit plutôt d'antennes grâce à notre réseau d'amis et d'adhérents.
Que peuvent-ils faire ? Généralement, ils sont sollicités pour des aides ponctuelles auprès d'Afghans en France.
Nous sommes aussi à la recherche d'argent : nous avons un besoin énorme d'argent. Les finances s'assèchent. Face à la situation, certains donateurs se retirent. Or, nous avons toujours des salariés à payer.
Nous avons aussi besoin d'informations, nous avons une revue trimestrielle à diffuser.
Nous avons besoin de compétences, pour rejoindre le Conseil d'administration…
Toutes les bonnes volontés sont les bienvenues !

Il faut préciser aussi que les relations entre la France et l'Afghanistan vont bientôt avoir cent ans : elles ont débuté fin 1921. Immédiatement, cette amitié a été placée sous le signe de l'éducation et de la culture. Elle était désintéressée, il n'y avait pas d'intérêt économique particulier. Cette image perdure en Afghanistan.
Nous allons essayer de commémorer cette histoire, en organisant une semaine afghane avec des conférences, des projections de films, un repas, une présentation de livres en librairie…

Le projecteur médiatique va bientôt s'éteindre. Mais il ne faut pas qu'on oublie l'Afghanistan. »

Propos recueillis par Fanny Lancelin

(1) Lire une brève histoire de l'Afghanistan dans la rubrique (Re)visiter.
(2) La Cour Pénale Internationale (CPI) a autorisé jeudi 5 mars en appel l'ouverture d'une enquête pour crimes de guerre et crimes contre l'Humanité en Afghanistan, dont des exactions qui auraient été commises par des soldats américains.
(3) Organisations Non Gouvernementales.
(4) International Security Assistance Force ou Force Internationale d'Assistance et de Sécurité. Opérait sous l'égide de l'OTAN.
(5) Région où les combats entre Talibans et résistants sont encore vifs.
(6) Ecoles coraniques.

Plus

 

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# 50 Au pays d'Hussain Tue, 21 Mar 2017 13:37:42 +0100
Hussain : de Kaboul à Bourges http://www.rebonds.net/50aupaysdhussain/723-hussaindekaboulabourges http://www.rebonds.net/50aupaysdhussain/723-hussaindekaboulabourges « Le réel exil commence lorsque le présent est confisqué. Quand on est condamné à rêver le temps d'avant et attendre l'avenir. »
Chawki Abdelamir

Je n'ai aucune idée de ce qu'il peut ressentir, aucune. » C'est la première phrase qui me vient à l'esprit lorsque j'aperçois au loin, la silhouette voûtée de Mohammad Hussain. Il est assis sur un banc, à l'ombre d'un tilleul. Je ne vois que son dos, vêtu d'un polo rouge. J'imagine son visage penché sur son smartphone, les yeux rivés aux mauvaises nouvelles.


Non, je n'ai aucune idée de ce que peut ressentir ce garçon afghan : je ne suis pas née durant la guerre ; je n'ai pas dû quitter mon village, ma famille, mes ami·e·s ; je n'ai pas eu à marcher durant des centaines de kilomètres ; je n'ai jamais subi de fouilles au corps ; je ne me suis jamais cachée pendant des mois pour éviter des contrôles de police ; je n'ai jamais vraiment eu peur… Je suis une femme blanche, occidentale, qui vit dans un pays en paix.

C'est pourquoi, j'ai d'abord voulu que ce soit Hussain lui-même qui raconte son histoire. Il me semblait que son niveau de français serait suffisant. Je l'invitais à écrire un peu chaque jour, sur son parcours, et sur les événements récents qui secouent l'Afghanistan.
Mais, finalement, sa parole s'est écoulée comme une rivière trop longtemps retenue. Nous avons pris place dans un parc de Bourges, où il vit aujourd'hui. Dans sa voix, ni colère ni crainte ; juste l'énergie franche de celui qui veut témoigner et faire passer un message : l'Afghanistan n'est pas tombée aux mains des Talibans, elle leur a été donnée. Machinalement, j'ai sorti mon carnet et mon crayon. Il m'a laissé faire. Je l'ai écouté. Nous étions finalement chacun·e à notre place.

 

leslouise

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Premiers souvenirs

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Le premier souvenir qu'Hussain a des Talibans remonte à l'an 2000. Le petit garçon a quatre ans. Il vit dans la province montagneuse de Maidan Wardak, dans une famille hazara (1) composée de ses parents, ses deux sœurs et son frère. Son père est cultivateur. Durant la guerre contre les Soviétiques (2), il a fait partie d'une faction résistante appelée « Mazârî ».
« Je me souviens d'une nuit où mon oncle, qui était dans l'armée, est venu nous prévenir de l'arrivée des Talibans, raconte Hussain. Nous avons marché environ dix heures dans la montagne. Nous sommes resté·e·s caché·e·s pendant deux mois. Quand nous sommes retourné·e·s au village, il y avait deux Talibans qui y étaient postés : un chef de District et un juge. Ils contrôlaient tout. »
Il se souvient aussi de sa mère enfilant alors la burqa pour sortir.

En 2001, après les attentats du 11 septembre, les Américains envahissent l'Afghanistan et entament une guerre contre l'organisation dirigée par Oussama ben Laden, Al-Qaïda, et les Talibans qui le soutiennent. « La première attaque sur ma région, c'était par avion, la nuit. Ils ont lâché des bombes sur une montagne où se trouvaient les émetteurs de télévision et de radio. La radio régionale était coupée. Mais nous pouvions entendre la BBC et Voice America ! » Lors d'une patrouille de soldats américains dans son village, il se rappelle sa surprise en découvrant une femme militaire. « Ça m'a beaucoup impressionné. »
Des bases des armées occidentales sont installées un peu partout. « Il était interdit d'y aller sauf si tu connaissais quelqu'un… c'était mon cas… j'ai discuté avec des Britanniques, des Danois, des Suédois… Je n'avais pas peur. En tant qu'enfant, c'était très intéressant, parce que j'apprenais l'anglais, donc c'était une bonne expérience ! »

Il n'a pas d'échos de combats au sol, pas de guerre de tranchées. Plutôt une intense guérilla. Une tension constante mais sourde.
Son père s'engage dans une « arbaki ». « Les habitants hazaras ont décidé de monter un groupe armé pour sécuriser la région, qui était le chemin commercial le plus important du pays. Pour ça, ils étaient payés par le gouvernement. Avant l'arrivée des Américains, mon père n'osait pas cultiver ses terres qui étaient proches des villages pachtouns. Avec la création de l'arbaki, il a pu. Et ma mère faisait le pain pour l'arbaki. »

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Un départ forcé vers l'Iran

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Hussain grandit donc sous l'occupation américaine. Il n'emploie pas le mot libération. Dans son esprit, il s'agit bien d'une occupation, même s'il reconnaît que la vie était plus libre qu'avant. « Tout était compliqué avec les Talibans. Pour les échanges commerciaux, par exemple, ils prenaient leur part. Les Américains ne faisaient pas ça. Durant cette période, l'agriculture s'est beaucoup développée. »
D'obédience chiite (1), il va d'abord à la madrassa, une école coranique, avant d'entrer au lycée à Kaboul. « Ce qui m'a marqué ? La ville était vivante. Et il y avait des disquaires ! Sous les Talibans, si tu étais pris avec une cassette, tu risquais cinq jours de prison et une amende. » Il vit chez sa sœur l'hiver et rentre dans sa région natale l'été.
A la fin du lycée, il passe un concours pour entrer à l'université. « Mais j'ai été accepté dans une région contrôlée par les Talibans. Je ne voulais pas y aller. » Il enseigne alors l'anglais dans l'école de son village.

Quelques mois plus tard, en 2014, l'OTAN (3) met fin à son engagement en Afghanistan et passe le relais à l'armée afghane. Barack Obama, alors président des Etats-Unis, maintient des milliers de soldats sur place mais les Talibans regagnent progressivement du terrain. En avril 2015, ils mènent une attaque d'envergure sur la région où vit la famille d'Hussain. Bilan : trente-cinq membres de l'arbaki sont tués en quelques heures. « Aucun Américain ou autre militaire n'est venu en renfort, soupire Hussain. C'est là que nous avons compris que les Talibans finiraient pas prendre le contrôle de la région. »
Les habitant·e·s encouragent les jeunes à partir. Hussain ne veut pas. Il finit par céder avec l'espoir de revenir bientôt. Il a 19 ans. Il ne sait pas encore qu'il ne reverra pas son pays ni les siens. « Pendant que je partais, les Talibans sont entrés chez moi pour arrêter mon père. C'est une fois en Iran que j'ai appris qu'ils l'avaient tué. »

Durant 16 longs jours, il attend dans la montagne le bon moment pour passer. Une fois en Iran, il cherche un travail. « C'était difficile car sans papiers, il faut se lever très tôt et rentrer très tard pour éviter les contrôles. »
Il fuit vers la Turquie, monte dans un bateau pour la Grèce. Beaucoup de migrant·e·s prennent la même route que lui. Il·les s'entraident, achètent une tente à plusieurs, dorment dans la rue ou des parcs. A partir de l'Autriche, il connaît les camps surpeuplés. En Allemagne, un policier lui demande de se déshabiller entièrement pour le fouiller. Un vrai choc.
Il rêve de Suède. De pays en pays, on lui a vanté les avantages de ce pays au système politique, social et éducatif exemplaire. Il passe par le Danemark mais… « La frontière entre le Danemark et la Suède était fermée. » Le voici contraint de donner ses empreintes. Comme le veut le règlement européen « Dublin », c'est désormais dans ce pays qu'il sera renvoyé s'il le quitte et qu'il se fait prendre. Or, le Danemark ne veut pas des Afghans : il les renvoie vers Kaboul, qu'il a déclaré « ville sûre ».

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Pas question de monter dans l'avion

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Hussain reste plusieurs mois dans un camp, entouré de 200 autres candidats à l'asile qui ne l'obtiendront pas. Il tente de s'occuper : il suit un stage auprès de personnes handicapées, aide les enfants via la Croix-Rouge, assure des traductions… « Tu parles Danois ? » J'ai dû faire une drôle de tête en posant ma question, il rit en tirant sur sa cigarette. « Ben oui, évidemment ! » Evidemment… en quelques mois… Je compte mentalement le nombre d'années qu'il m'a fallu pour aligner trois pauvres mots d'anglais…
« Mais finalement, les pays du nord, ça n'allait pas. » Il me tire de ma rêverie. « Il faisait trop nuit », assène-t-il. « La France, de ce point de vue, ressemble davantage à mon pays. J'ai appelé des amis qui vivaient Porte de la Chapelle à Paris et j'ai décidé de partir. »
Retour en Autriche, puis en Allemagne. Même si les Européen·ne·s ont l'impression qu'il n'existe plus de frontières, des contrôles au faciès permettent régulièrement de refouler les migrant·e·s. Hussain ruse : il remarque qu'un tramway au départ d'un petit village allemand le relie à l'Alsace. Dans ce tramway, pas de police. Le voici à Metz et, très vite, dans la capitale française. « Illégalement, donc ? » Nous sommes en 2017. « Oui, illégalement. »

Rapidement, il entame une procédure de demande d'asile. Dans le camp où il loge Porte de la Chapelle, c'est l'association Emmaüs France qui « trie ». On reprend ses empreintes. Aïe : déjà relevées au Danemark.
On l'envoie à Issoudun où il restera six mois avant que la sentence tombe : « Vous êtes « Dublin ». Retour au Danemark. » Autrement dit : retour en Afghanistan.
Sans bien savoir pourquoi, il atterrit à Bourges, au Prahda (4), un hôtel reconverti en centre d'hébergement pour demandeurs d'asile. Hussain reçoit son arrêté de transfert. Notre République est bonne princesse : elle organise le voyage. Le temps d'affréter l'avion, Hussain doit se rendre chaque jour au commissariat pour signer et prouver qu'il ne s'est pas enfui.
« C'est au commissariat de Bourges que j'ai été arrêté. Les policiers m'ont amené à l'aéroport à Paris. Mais j'ai refusé de monter dans l'avion. » Déshabillé pour une énième fouille, il refuse de remettre ses vêtements. Les policiers tentent de le conduire nu, à travers l'aéroport, jusqu'au tarmac. Hussain refuse toujours. Ils tentent une médiation via un traducteur. Le jeune homme ne cède pas.
Finalement, le lendemain, ils le laissent… partir ! « Je suis revenu à Bourges, au Prahda, d'où j'ai été renvoyé six mois plus tard. »

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Dix-huit mois de clandestinité

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Sa chance aura été de rencontrer une femme incroyable, que nous appellerons ici Noun (5). « Elle venait souvent au Prahda pour aider ceux qui avaient des difficultés avec leurs papiers. Je lui ai raconté mon histoire. Nous avons appris à nous connaître. »
Lorsque le jeune homme se retrouve à la rue, sans logement et cette fois, sans aucun droit de se trouver en France, elle et son mari lui ouvrent leurs portes. Hussain vivra dix-huit mois chez eux, délai légal pour pouvoir déposer une nouvelle demande d'asile. « Je ne me promenais pas trop, j'évitais certains endroits pour ne pas être contrôlé. Ça m'est arrivé une seule fois et j'ai dû mentir en disant que j'avais oublié mes papiers à la maison. Sinon, j'apprenais le français et je faisais des petits travaux de jardinage pour m'occuper. »

Après avoir déposé sa seconde demande, il attend huit mois pour passer un entretien à l'OFPRA (6) et raconter son parcours dans les détails. Trois mois plus tard, il reçoit la réponse tant attendue : le statut de réfugié lui est accordé pour dix ans.

Bien sûr, il a ressenti beaucoup de joie et de soulagement. Aujourd'hui, il vit dans un foyer et a entamé une formation d'électricien. Mais la mélancolie voile son regard comme tous ceux des migrant·e·s que j'ai pu croiser. « Je suis tellement loin… Avant, j'avais une famille, des amis… Aujourd'hui, ma vie, c'est travailler, dormir, et le jour suivant, je recommence… J'ai perdu mon lien familial. Je vis uniquement pour moi-même et je suis très isolé. »

 

dessin hussain

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Un pays imprenable par la guerre

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Avec le retour des Talibans au pouvoir en Afghanistan, pas question d'envisager retourner dans son pays. Il s'inquiète surtout pour ses sœurs. « Parmi les Talibans, il y a différents courants. Certains prônent le mariage forcé…. » Il parvient à avoir des nouvelles par téléphone. « Ma famille a déménagé à Kaboul parce qu'elle croyait que la ville ne serait pas prise… Elle ne sort pas, sauf pour faire des courses dans les épiceries de quartier. » En France, un numéro d'urgence avait été mis en place pour signaler les personnes en danger à rapatrier. Hussain a tenté cette voie, mais la situation de sa famille n'était pas considérée comme prioritaire. « Si les Talibans avaient voulu tuer ma mère, ils l'auraient sans doute fait en même temps que mon père », soupire Hussain.

Pour le jeune homme, il est impensable que les Talibans soient arrivés à entrer dans Kaboul sans combattre. « Le président afghan était un esclave des Américains. Quand ils sont partis, il est parti aussi. Il a trahi la population. » Des policiers censés défendre la ville seraient aussitôt passés du côté des Talibans.
Le pays aurait été laissé entre leurs mains. « A cause des montagnes centrales, ce pays est imprenable par la guerre. Les Russes, qui voulaient renforcer leurs pays frontaliers de l'Union soviétique, n'y sont pas parvenus. Les Américains voulaient uniquement liquider Al-Qaïda et The Haqqani Network (7) qui avaient des idéologies de gouvernement mondial. Tous ces pays se sont arrangés entre eux lors des discussions au Qatar. Pour des raisons commerciales, certains comme la Russie ou la Chine reconnaîtront même le gouvernement des Talibans. »

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L'espoir du fédéralisme

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Hussain imagine que cette situation durera quelques années. S'il reconnaît l'existence de la résistance et la persistance des combats dans certaines zones du pays, il ne croit pas à une reconquête par les armes. Certes, la population va se rebeller. « Pendant vingt ans, nous avons entendu une propagande négative sur les Talibans. La société ne va pas accepter de revivre comme avant. » Mais ce qu'il faut au pays selon lui, c'est un système fédéral qui règlerait les différends à la fois ethniques, religieux et de territoires, les trois éléments étant indissociables en Afghanistan. « Le pays est trop grand pour un gouvernement central. Le fédéralisme, comme en Allemagne, restaurerait la confiance. » Il laisse passer un long silence avant de me sourire : « C'est ça, ce que je pense ! »

Il me serre la main fermement et chaleureusement avant de me quitter. Le contact de sa peau me surprend presque. Depuis combien de temps n'ai-je pas serré de main ? Je le regarde s'éloigner d'un pas sûr. Pendant ces quelques heures ensemble, nous n'avons pas pensé à la maladie, à la « menace » qui pèse sur nos vies pourtant tellement à l'abri, ici en France. Nous avons tourné nos pensées vers ceux et celles qui risquent d'abominables fléaux : l'obscurantisme, la privation de liberté, la torture, la guerre…

Dans un échange par texto, Noun me dira plus tard qu'Hussain souhaite créer une association d'Afghans dans le Cher. Pour ne plus se sentir « isolé », pour se soutenir ici dans les épreuves, pour retrouver le lien qui l'unit aux leurs et pour rêver, encore, à l'avenir de leur pays.

Fanny Lancelin

(1) Différents groupes ethniques vivent en Afghanistan : les Pachtouns, les Tadjiks, les Hazaras, les Ouzbeks, les Aïmaks, les Baloutches, les Braouis et les Nouristanis. Pratiquement tous musulmans, ils sont cependant Chiites ou Sunnites (deux branches différentes de l'Islam). C'est au sein des Pachtouns que sont nés les Talibans. Sunnites, ils ont toujours réprimé violemment les Hazaras à cause de leur appartenance au mouvement chiite.
(2) Du 27 décembre 1979 au 15 février 1989. Lire aussi la rubrique (Re)visiter sur l'histoire de l'Afghanistan.
(3) OTAN : Organisation du Traité de l'Atlantique Nord : https://www.larousse.fr/encyclopedie/divers/OTAN/136491
(4) Prahda : Programme d'Accueil et d'Hébergement des Demandeurs d'Asile. Lire le numéro de (Re)bonds consacré au Prahda de Bourges.
(5) Noun signifie « chance », « fortune » en perse.
(6) OFPRA : Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides.
(7) The Haqqani Network : consortium fondé par Jalaluddin Haqqani pour lutter contre les Soviétiques dans les années 1980, affilié aux Talibans depuis les années 1990.

 

Le témoignage de Noun

  • Hussain a vécu dix-huit mois auprès de celle que nous appelons ici Noun. Elle a écrit ces quelques lignes pour témoigner de leur amitié : « Intelligent. Charismatique. Sympathique : les qualificatifs qui viennent à l'esprit de tous ceux qui le croisent. Lui sourit toujours, il est cité comme un exemple d'intégration réussie. Il a vécu de longs mois à nos côtés plus qu'avec nous, sa famille était si loin, le brouhaha de notre vie occidentale est-il seulement parvenu jusqu'à lui ? Il a intégré le maximum de clés, et tout au long de cette mort sociale qu'est le Dublin, a courageusement structuré son existence (on ne peut vraiment parler de vie quand on reste deux ans caché, sans un centime, sans pouvoir travailler ni étudier) par de toutes petites choses : les cours de français, ses visites hebdomadaires à ses amis.
    Dans cette chambre au décor d'adolescente, qui n’était pas la sienne mais où il a passé tellement de jours d’ennui, il a abandonné quelques cahiers, quelques vêtements. Les exilés n'investissent pas ces chambres de hasard, les tee-shirts restent dans les sacs et ne rejoignent que rarement les rayons des armoires, les salles de bain n'accueillent ni nouvelle brosse à dents, ni trousse de toilette, rapatriées quotidiennement.
    Pourtant si ; punaisées en centre exact des posters de rock stars inconnues de Hussain, une carte d'Afghanistan passée aux crayons de couleur et la photocopie de son baccalauréat.
    Car Hussain est un afghan arraché aux siens, à sa famille et à son pays, pas un étudiant Erasmus ou un « ex-pat » parti travailler à l'étranger et qui aurait décidé de s'y installer.
    Dans le disque dur de mon ordinateur aussi dort le baccalauréat d'Hussain, recto et verso : sur celui-ci des notes d'examen à faire pâlir n'importe quel lycéen. Sans cette guerre, il aurait eu une brillante carrière, peut-être juge, il en rêvait. Les longues années d'exil sans statut en ont décidé autrement, il a dû mettre ses ambitions entre parenthèses, puisse-t-il un jour contacter Enic-Naric, le centre qui valide les diplômes étrangers et reprendre ses rêves.
    Mais l'invasion de sa patrie menace de nouveau ce fragile équilibre construit courageusement loin des siens : Hussain m'a un jour raconté que pendant l'occupation talibane, il y avait une pénurie alimentaire. Le soir, sa maman les couchait le ventre vide et lui et ses petits frères et sœurs pleuraient de faim. Je n'arrivais même pas à imaginer ce que ça peut être pour une mère que de vivre ça. Le cauchemar qu'il a vécu enfant menace de nouveau sa communauté : « Je suis physiquement ici, me disait l'un de ses compatriotes, mais ma tête et mon cœur sont là-bas ». Lui a gagné notre affection, mais ce n’est pas ça dont il a besoin, il a déjà celle des siens, et nous, que pouvons-nous pour lui ? »
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# 50 Au pays d'Hussain Tue, 21 Mar 2017 12:54:42 +0100