# 52 L'eau source de débats (2) (novembre 2021) http://www.rebonds.net/52leausourcededebats2 Thu, 11 May 2023 19:07:24 +0200 Joomla! - Open Source Content Management fr-fr La cellule Déméter http://www.rebonds.net/52leausourcededebats2/735-lacelluledemeter http://www.rebonds.net/52leausourcededebats2/735-lacelluledemeter Depuis deux ans, les associations et collectifs qui dénoncent le modèle agricole productiviste font l'objet d'une surveillance particulière, à travers la cellule « Déméter » (1) : une cellule nationale de suivi des atteintes au monde agricole créée par la Gendarmerie. Elle vise clairement les actions de nature idéologique, ce qui inquiètent notamment les militant·e·s écologistes.
Comment fonctionne cette cellule ? Quels risques représente-t-elle pour la liberté d'opinion ? Qui sont celleux qui la défendent et à l'inverse celleux qui réclament sa dissolution ?

Créée le 3 octobre 2019, la cellule Déméter a été officiellement lancée deux mois plus tard par le ministre de l'Intérieur de l'époque, Christophe Castaner, en déplacement dans un élevage porcin du Finistère (2).
L'objectif : « apporter une réponse globale et coordonnée à l'ensemble des problématiques de sécurité qui touchent le monde agricole ». Ainsi, les faits visés par Déméter sont « des actes crapuleux » tels que les vols ou cambriolages, parfois accompagnés d'intrusions dans les bâtiments professionnels ou de violations de domiciles. En 2019, ils auraient augmenté de 1,5 % par rapport à l'année précédente.

Les dispositifs existants de la Gendarmerie nationale ne suffisaient-ils pas à prévenir et suivre ces délits ? Pourquoi créer une cellule spécifique pour une profession en particulier ? Les agriculteur·ice·s ne sont-il·le·s plus des citoyen·ne·s comme les autres ?

Déjà, en 2014, l’Etat avait mis en place un plan de lutte contre les vols dans les exploitations (3). Décliné dans chaque département selon les réalités du territoire, il offrait des « moyens d’enquête spécialisés » et mettait à disposition des agriculteur·ice·s des gendarmes référents dans chaque groupement local.
L’Etat répondait ainsi à l'inquiétude de certain·e·s agriculteur·ice·s, dont le président du syndicat FNSEA, Xavier Beulin, s'était fait l'écho (3).

Les actions « de nature idéologique » visées

Mais la cellule Déméter apporte une nouveauté sans précédent : outre les actes crapuleux, elle vise explicitement « les actions de nature idéologique », « qu'il s'agisse de simples actions de dénigrement ou d'actions dures ayant des répercussions matérielles ou physiques ». Par exemple, comme il est énuméré dans les documents officiels, « les occupations illégales de terrains agricoles », « les dégradations commises à l’encontre de certains professionnels liés au milieu agricole ou agro-alimentaire », « les actions anti-fourrure liées à des élevages spécifiques » ou encore « les actions menées par certains groupes antispécistes vis-à-vis du monde de la chasse, intimement lié au monde agricole » (2).
L'expression « de simples actions de dénigrement », notamment, interroge. Des manifestations non violentes critiquant le modèle agricole dominant pourraient-elles devenir des délits ?

Un partenariat Gendarmerie-FNSEA

Lors de son discours en décembre 2019, Christophe Castaner ne cachait pas que les militant·e·s de la cause animale étaient particulièrement ciblé·e·s : « J'ai demandé à ce que l'antispécisme soit un des axes prioritaires du renseignement », assumait-il ainsi (4).
Pourtant, sur les 14.498 délits enregistrés en 2019 à l'encontre d'exploitations, d'entreprises agricoles et / ou agro-alimentaires, seule une vingtaine avaient pu être reliés au mouvement antispéciste (2).
Avec Déméter, une fois encore, l’Etat répond surtout à la demande de certain·e·s agriculteur·ice·s. Interrogé par le magazine Reporterre, le vice-président du syndicat FNSEA, Etienne Gangneron, agriculteur et président de la Chambre d'agriculture dans le Cher, assure : « Ce n’est pas un dispositif arrivé de nulle part, il a été créé sur demande expresse de notre part » (5).

Le syndicat participe activement à Déméter : il a signé une convention avec le ministère de l'Intérieur, tout comme le syndicat des Jeunes Agriculteurs (JA). Les échanges entre les trois parties alimentent le renseignement. Parmi les autres mesures lancées avec la cellule : des observatoires de lutte contre l' « agribashing », dont le premier a ouvert dans la Drôme en avril 2019.
Concept controversé, l' « agribashing » désigne le dénigrement dont serait victime la profession agricole ; il est en fait souvent utilisé pour désigner les critiques émises à l'encontre d'un modèle productiviste et intensif. Question de points de vue, donc.demeter

« Criminaliser toute critique du système »

Tou·te·s les agriculteur·ice·s ne sont pas en accord avec l'existence de la cellule Déméter. « Les vols et les intrusions dans les fermes servent d’excuse pour criminaliser toute critique du système agroalimentaire », souligne ainsi un membre de la Confédération paysanne, dans un reportage réalisé par la cellule investigation de Radio France sur « les dérives de la lutte contre les violences agricoles » (6).

Outre la surveillance, la création de cellules telles que Déméter risque de jeter systématiquement l'opprobre sur tout mouvement de contestation écologiste, quel qu'il soit. C'est ce que Félix Tréguer, membre de la Quadrature du Net et chercheur au CERI (CEntre de Recherches Internationales) souligne comme une tendance « à traiter les groupes militants en tant qu'entités prototerroristes dès lors qu'ils sortent des cadres établis de la participation politique, qu'ils recourent à des répertoires d'actions transgressifs mais dont la violence alléguée reste sans commune mesure avec celle qu'ils dénoncent ou subissent » (5).

Pour la dissolution de Déméter

Particulièrement visé·e·s, les associations et collectifs qui militent autour des questions agricoles exigent la dissolution de Déméter. En février 2020, 28 d'entre elleux se sont adressé·e·s au Premier Ministre, Jean Castex.
« La présentation de l’état des agressions affectant les exploitants agricoles est un constat que nous ne pouvons que déplorer. Face à ces infractions, il est du devoir des services de l’Etat d’assurer la protection des citoyens, de tous les citoyens, lui ont-il·le·s écrit. Par contre, nous ne pouvons admettre qu’une profession, quelle qu’elle soit, puisse bénéficier de dispositions spécifiques. Le principe constitutionnel souligné par la Déclaration des droits de l’Homme de 1789 affirme que la loi « doit être la même pour tous, soit qu’elle punisse, soit qu’elle protège ». Aussi, dénonçons-nous vivement que des moyens publics soient mis à la disposition préférentielle d’une branche professionnelle. Cette inégalité représente une injure pour les autres populations qui ne bénéficient pas des mêmes services spécifiques. Tous les citoyens doivent être traités de façon équitable. »

Il·le·s poursuivaient en exprimant leurs inquiétudes sur le domaine d'action de Déméter, « étendu à des « actions de nature idéologique, qu’il s’agisse de simples actions symboliques de dénigrement du milieu agricole (…) », comme [annoncé] dans le dossier de presse de création de cette cellule, mention dont le caractère général peut générer un usage extensif. Certaines organisations professionnelles s’en servent déjà pour mettre en cause ceux qui documentent et dénoncent les impacts de l’agriculture industrielle, voire mobilisent les citoyens par des moyens légaux. Par cette assertion, la création de cette cellule vise à criminaliser l’expression d’une opinion, ce qui est en contradiction avec le principe fondamental de liberté d’opinion, autre principe de base de notre République. »

Il·les terminaient en alertant sur le fait qu'elleux-mêmes étaient de plus en plus victimes de violences : « nous constatons que les agressions se multiplient contre les défenseurs de la nature. Nous avons alerté la ministre de la Transition Ecologique et Solidaire sur ce sujet, qui nous a répondu en renvoyant au cadre légal commun. Aussi sommes-nous étonnés qu’une tout autre réponse ait été apportée à des représentants de la profession agricole ». (7)

En juillet 2020, douze associations et la Confédération paysanne ont renouvelé la demande de dissolution de la cellule auprès du ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin. En vain.

(1) Déméter est le nom de la déesse grecque de l'agriculture et des moissons.
(2) https://www.interieur.gouv.fr/Archives/Archives-ministres-de-l-Interieur/Archives-Christophe-Castaner/Dossiers-de-presse/Presentation-de-DEMETER-la-cellule-nationale-de-suivi-des-atteintes-au-monde-agricole
(3) https://www.interieur.gouv.fr/Archives/Archives-des-communiques-de-presse/2014-Communiques/Lutte-contre-les-vols-dans-les-exploitations-agricoles/(blocThematique)/2
(4) https://www.nouvelobs.com/politique/20191213.AFP0502/castaner-presente-une-cellule-contre-les-intrusions-dans-les-elevages.html
(5) https://reporterre.net/Demeter-la-cellule-de-la-Gendarmerie-qui-surveille-les-opposants-a-l-agriculture
(6) https://www.franceculture.fr/emissions/l-enquete-des-matins-du-samedi/cellule-demeter-enquete-sur-les-derives-de-la-lutte-contre-les-violences-agricoles
(7) https://www.ldh-france.org/dissoudre-la-cellule-demeter-est-indispensable-pour-apaiser-les-relations-avec-le-monde-paysan/

 

De plus en plus de pression sur les journalistes

  • Les journalistes ne bénéficient pas de cellule d'enquête spécifique pour les protéger des actes malveillants qui se multiplient pourtant à leur encontre lorsqu'il·le·s enquêtent sur une certaine agriculture et l'agroalimentaire. Et pourtant...

    L'affaire française la plus connue est celle de Morgan Large, journaliste pour la radio Kreiz Breizh qui enquête, en Bretagne, sur les méfaits de l'agriculture intensive. En 2021, après son témoignage dans un documentaire sur France 5 intitulé « Bretagne, une terre sacrifiée », elle a fait l'objet d'intimidations sur les réseaux sociaux, d'appels nocturnes anonymes, de dégradations sur les enclos de ses animaux laissés en divagation, d'empoisonnement de son chien… jusqu'au déboulonnage des roues de sa voiture ! Les locaux de sa radio ont également été forcés. Une enquête a été ouverte mais le numéro d'urgence que Morgan Large demandait à la gendarmerie pour signaler les mouvements suspects autour de sa maison lui a été refusé.

    Dans sa bande-dessinée « Les algues vertes » (éditions La Revue Dessinée - Delcourt), Inès Leraud raconte les pressions, les agressions verbales et les menaces physiques dont elle a été victime quelques années plus tôt de la part d'agriculteurs sur le terrain.

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    En mai 2020, 250 journalistes, médias et collectifs de professionnels avaient publié une tribune pour que soit garantie la liberté d'informer, y compris sur les sujets sensibles tels que l'agroalimentaire. En réponse à la création des observatoires sur l'agribashing, il·le·s réclamaient notamment aux élus breton·ne·s un observatoire régional des libertés de la presse permettant « l’écoute et la protection de journalistes qui viendraient à être inquiété·es pour leurs travaux, et [de] soutenir les enquêtes en cours et à venir » (1). Le président PS du conseil régional, Loïg Chesnais-Girard, avait répondu favorablement mais cet observatoire n'a toujours pas vu le jour.

    Plus inquiétant encore, dans le monde, selon l’organisation Reporters sans frontières (RSF), en dix ans, 21 journalistes ont été assassinés pour avoir enquêté sur des sujets liés à l’environnement. Près de 30 autres sont actuellement emprisonnés.
    A l’occasion de la COP 26 à Glasgow, plus de 60 journalistes spécialistes des questions environnementales issus de 34 pays alertent sur la situation en publiant une tribune intitulée « Urgence climatique, urgence informationnelle ! » (2)

    (1) https://basta.media/defendre-liberte-presse-informer-agroalimentaire-bretagne-Ines-Leraud-algues-vertes-pressions-Cheritel-autocensure
    (2) https://www.novethic.fr/actualite/social/droits-humains/isr-rse/la-vie-des-journalistes-environnementaux-de-plus-en-plus-menacee-150297.html

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# 52 L'eau source de débats (2) Tue, 21 Mar 2017 13:37:42 +0100
La suite des Soulèvements de la Terre http://www.rebonds.net/52leausourcededebats2/736-lasuitedesoulevementsdelaterre http://www.rebonds.net/52leausourcededebats2/736-lasuitedesoulevementsdelaterre Les Soulèvements de la Terre co-organisaient la manifestation contre les « méga-bassines » à Mauzé-sur-le-Mignon (lire la rubrique (Ré)acteur·ice·s). Ce mouvement national, qui lutte contre l'accaparement des terres agricoles, organise et soutient des événements dans toute la France. La première saison s'est déroulée au printemps 2021. La seconde saison, qui a démarré dans le Poitou et à Paris, se poursuivra en janvier dans le Jura. Nous publions ici la suite de l'agenda.

 

« Acte 3 - Tout au long de la saison : battre la campagne contre l'accaparement.

Nous souhaitons engager un travail de fond sur l'accaparement des terres par l'agro-industrie, avec pour but de lancer diverses enquêtes, mobilisations et initiatives d'éducation populaire pour lutter localement contre l'agrandissement démesuré des fermes.
Celles-ci pourront prendre des formes multiples : occupations de terres, apprentissage communautaire de la veille foncière et des mécanismes de régulation, diffusion publique des informations relatives aux sociétés qui concentrent le plus de foncier agricole à l'échelle d'un territoire, soutien aux jeunes paysan·ne·s entravé·e·s dans l'accès au foncier par les dynamiques de cumul et d'agrandissement, etc.
Des actions contre l'accaparement sont déjà prévues au cours de l'automne-hiver prochain. (…) Dans le Tarn, nous reprendrons la terre à celleux qui l’exploitent dans l’illégalité et avec la complicité de l’Etat, au détriment d’un paysan-boulanger bloqué dans son installation. D’autres actions concernant des vignobles du Var et du Jura (1) se préciseront au fil de la saison, en relation étroite avec les forces paysannes locales. Si vous souhaitez travailler à de telles initiatives ou signaler des cas de cumul abusifs empêchant des installations paysannes dans votre secteur, n'hésitez pas à entrer en contact avec le secrétariat des Soulèvements de la Terre.

soulevements de la terre

Acte 4 - 5 mars 2022 : Assiéger Bayer-Monsanto, Lyon

L'industrie de la chimie est la pièce maîtresse du complexe agro-industriel. Engrais de synthèse, pesticides ou fongicides ont méthodiquement dépossédé les paysan·ne·s de leur autonomie et profondément bouleversé leur lien à la terre. Désormais, notre subsistance alimentaire dépend d'une industrie biocidaire qui ravage tout sur son passage.
Depuis 1901, Monsanto ne cesse de sévir : elle produit PCB, dioxine, glyphosate, hormones de croissance, pollution, Roundup, OGM et gène Terminator… En toute connaissance de cause, l’entreprise a systématiquement répondu aux scandales entourant ses activités toxiques par des études biaisées, du lobbyisme féroce et une cohorte d’avocats. Responsable de l’empoisonnement de centaines de milliers d’hectares de terres agricoles et d’autant de cancers, l’entreprise a tout de même été rachetée en 2017 par Bayer, scellant l’alliance historique de l’agent orange et du zyklon B. Mettons fin à cette aberration et fermons Monsanto par nous-mêmes, puisqu’aucun gouvernement n’en semble capable. Rendez-vous à Lyon, au siège social France de Bayer-Monsanto, le samedi 5 mars. »

Plus d'informations et contacts sur le site : https://lessoulevementsdelaterre.org

(1) Une action est en cours de préparation le 29 janvier.
 

 

Plus

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# 52 L'eau source de débats (2) Tue, 21 Mar 2017 13:37:42 +0100
Retenues d'eau pour l'irrigation : le débat reste tendu http://www.rebonds.net/52leausourcededebats2/737-retenuesdeaupourlirrigationledebatrestetendu http://www.rebonds.net/52leausourcededebats2/737-retenuesdeaupourlirrigationledebatrestetendu « Toute personne a le droit d’être informée, de s’impliquer dans les décisions et d’exercer des recours en matière d’environnement. »
Principes fondateurs de la convention européenne d'Aarhus,
ratifiée par la France le 8 juillet 2002

Article actualisé le mercredi 24 novembre 2021

Jamais il.le.s n’ont été aussi nombreux·ses. Les perquisitions et les gardes-à-vue des jours précédents ne les ont pas intimidé·e·s. Le dispositif policier déployé le matin de la manifestation non plus.

Ce samedi 6 novembre, il·le·s sont entre 2.000 et 3.000, venu·e·s de toute la France jusqu’à Mauzé-sur-le-Mignon (Deux-Sèvres), à clamer haut et fort leur opposition à la construction de « méga-bassines » : d'immenses ouvrages de stockage d’eau pour l’irrigation agricole, construits sur une surface moyenne de huit hectares (jusqu'à 18 hectares pour les plus grandes). Appelées officiellement « retenues de substitution », elles sont remplies grâce à un système de pompage relié aux nappes phréatiques et aux cours d'eau.

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Deux visions de l'agriculture

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Dans le ciel bleu de cette belle journée d'automne, le soleil brille. Sur la route, à quelques kilomètres du village, je suis ralentie. J'aperçois au loin des petits drapeaux jaunes flottant sur des tracteurs et une colonne de véhicules les suivant patiemment : le syndicat la Confédération paysanne fait partie des organisateurs de la manifestation aux côtés du collectif Bassines Non Merci, de la Ligue de Protection des Oiseaux (LPO) et du mouvement des Soulèvements de la Terre (1).
Un hélicoptère de la Gendarmerie nationale tourne au-dessus de nos têtes et, à l'entrée de Mauzé, des contrôles routiers sont effectués. Je passe sans être arrêtée. Un membre du collectif Bassines Non Merci Berry, qui n'a pas eu ce privilège, me racontera plus tard : « Ils nous ont demandé si nous étions contre les agriculteurs. Mais qu'est-ce que ça veut dire ? C'est quoi cette question ?! » Il est d'autant plus resté sans voix qu'il est lui-même paysan ! La cellule Déméter, une cellule de la Gendarmerie nationale créée contre les atteintes au monde agricole, était en alerte (lire aussi la rubrique (Re)découvrir).

Ce jour-là, ce sont deux visions de l'agriculture qui s'affirment, portées par deux syndicats : la Confédération paysanne et la Fédération Nationale des Syndicats d'Exploitants Agricoles (FNSEA). Difficile de résumer leurs différences de positions sans tomber dans la caricature. Mais le sujet des « méga-bassines » les illustre bien : d'un côté, la FNSEA défend ces installations comme une solution aux problèmes des sécheresses à répétition et de l'irrégularité des pluies ; de l'autre, la Confédération paysanne considère qu'elles contribuent à maintenir un système productiviste et intensif non soutenable.

 

stop

 

En effet, les « méga-bassines » servent surtout à irriguer des cultures telles que le maïs majoritairement exporté pour nourrir des animaux d'élevage. Portés par des groupements d'agriculteur·ice·s irrigant·e·s, ces projets ne sont pas toujours accessibles à tou·te·s. La Confédération paysanne dénonce ainsi une inégale répartition de la ressource : « Il peut (...) y avoir tout simplement un refus d’autorisation de prélèvement, ces autorisations étant accordées par rapport à des références historiques qui ne sont pas réévaluées, certains bénéficiant de « droits à irriguer » très élevés au détriment des nouveaux installés, affirme le syndicat (2). Arrivés « en dernier », l’autorisation de réaliser un forage peut leur être refusée. Or, pour éviter le prélèvement excessif d’un bassin, tous les prélèvements devraient être revus afin de permettre l’installation de nouveaux paysan·ne·s. Ce n’est pas aux derniers qui s’installent de se retrouver dans l’impossibilité d’irriguer, d’autant plus que cela peut entraîner des refus de Dotation Jeune Agriculteur (DJA). L’eau faisant partie du patrimoine commun, cela devrait générer automatiquement un droit à l’eau. Mais en pratique, la répartition ne s’organise pas. Les méga-bassines provoquent un partage inéquitable de la ressource en eau, dans un contexte où la ressource se raréfie. »

Du point de vue écologique, les associations de défense de l'environnement s'inquiètent de l'impact des « méga-bassines » sur l'état des cours d'eau et des nappes phréatiques. Certes, l'eau est pompée en hiver et doit l'être « à la place » de celle pompée en été. En réalité, les calculs de prélèvements sont faits sur des références antérieures élevées qui ne tiennent pas toujours compte des niveaux d'étiage désormais très bas dans certains bassins, du fait du changement climatique notamment. Pomper l'hiver n'empêche pas une pression sur la ressource, car il ne s'agit pas d'eau qui déborderait d'une nappe trop pleine. Les prélèvements sont effectués entre novembre et avril, au moment où la recharge est encore en cours. L’eau stockée devrait normalement s'infiltrer dans les sols, jusqu’à la nappe ou ruisseler dans les cours d’eau. Souterraine ou courante, elle viendrait normalement alimenter un cycle naturel et vivant (sols, plantes, animaux), jusqu’au milieu marin très dépendant de la quantité et de la qualité de l’eau douce.

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Une contre-manifestation

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A Mauzé, ce samedi 6 novembre, ces associations telles que France Nature Environnement, Arbres remarquables ou Alerte Pesticides sont là. Rendez-vous a été donné à l'heure du déjeuner, pour un banquet sur le Champ de Foire. L'ambiance est détendue.
Un point presse se tient sous le kiosque. Julien Le Guet, membre de Bassines Non Merci, explique : « Comme à chacune de nos manifestations, celle-ci a été déclarée à la préfecture il y a une semaine. Mais nous avons appris hier, donc au dernier moment, qu'elle était considérée comme illégale. Une zone interdite a été délimitée autour de la bassine de Mauzé pour nous empêcher d'y accéder. »

bateau pirate

Le mercredi 22 septembre, lors d'une précédente mobilisation, environ 800 manifestant·e·s étaient entré·e·s sur le chantier de cette retenue d'eau pour stopper les machines. Un mois plus tard, Julien Le Guet et d'autres militants étaient placés en garde-à-vue, notamment pour « incitation à commettre un délit » (3).
Mais Julien Le Guet est toujours là, l'énergie intacte. L'ancien animateur nature et batelier se bat depuis quatre ans et demi contre les « méga-bassines » en Poitou et ne compte pas s'arrêter. « Aujourd'hui, c'est une journée déterminante. Nous allons défiler, nous allons poser un certain nombre de gestes forts. Mais aujourd'hui, nous n'irons pas nous battre avec la Coordination rurale. »
En effet, sur la zone pourtant interdite délimitée par le préfet, quelques centaines d'agriculteur·ice·s du syndicat ont décidé de prendre position (4). Mais la confrontation n'aura pas lieu.

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Des gaz lacrymogènes pour faire fuir

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A 14 heures, le cortège s'élance dans les rues de Mauzé. Toutes les générations sont là : des jeunes, des personnes âgées, des familles avec des enfants dans les poussettes… souvent habillé·e·s en bleu, le « dress code » suggéré par les organisateurs. Il·le·s suivent joyeusement deux plateformes tractées, sur lesquelles des musiciens assurent l'ambiance.

manif dans village
Première étape à la mairie, rebaptisée pour l'occasion Mauzé-sur-Bassines. Deuxième étape dans le lit asséché du Mignon.

mignon

Plus loin, au détour d'une ruelle, impossible d'avancer : les CRS ont bloqué la route qui passe sous la voie ferrée avec une grille anti-émeutes. Quelques instants plus tard, l'odeur des grenades lacrymogènes emplit l'air. A travers le brouillard, j'aperçois quelques personnes qui rebroussent chemin. Mais une voix s'élève : « ça passe dans le champ à droite ! » Nous bifurquons et continuons d'avancer.
Je sors un deuxième foulard pour protéger ma bouche. Mes lunettes de soleil sont pour l'instant suffisantes. Ça brûle, mais c'est tenable. A l'abri derrière une haie, je découvre un homme âgé qui s'appuie sur une canne pendant qu'un autre tout aussi âgé lui verse du sérum physiologique dans les yeux. « Mais dans quel pays l'on vit ? »

sur le pont

Au bout du champ, un ruisseau. Hésitation. L'eau est froide mais malgré tout, la majorité des manifestant·e·s retroussent pantalons et jupes et continuent. Les autres parviennent à rejoindre la route finalement abandonnée par les CRS. Les tracteurs de la Confédération paysanne rouvrent la voie.
Le soleil descend déjà lorsque nous arrivons à proximité de la retenue d'eau de Cram-Chaban, une retenue en activité construite il y a quelques années déjà. Les silhouettes des premier·e·s manifestant·e·s grimpé·e·s sur la digue se découpent sur l'horizon. Le dispositif policier, trop léger pour les contenir, a été rapidement levé.

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Une retenue illégale démantelée

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La retenue de Cram-Chaban, située dans le département de Charente-Maritime, s'étend sur cinq hectares et contient 180.000 m³ d'eau. Elle a déjà fait cinq fois l'objet de condamnations en justice. En septembre, dans le cadre de la tentative de régularisation des vices entachant son autorisation, une nouvelle enquête publique sur les compléments à l’étude d’impact a été menée : la commissaire enquêtrice a rendu un avis défavorable (5). « Puisque l’Etat n'est visiblement pas capable de la démonter, nous allons le faire nous-mêmes ! » clame un manifestant. Déjà, il·le·s sont nombreux·ses à découper la bâche en géomembrane qui assure l'étanchéité de la retenue, tandis qu'un groupe sectionne la pompe reliée à la nappe phréatique.
Quelques chansons et prises de paroles plus tard, le cortège reprend la route en sens inverse, calmement, sans heurts. La Gendarmerie est à nouveau déployée aux sorties de la ville pour d'importants contrôles.

cram chaban

Pour Nicolas Girod, porte-parole de la Confédération paysanne, c'est « une pleine et éclatante victoire, une démonstration de force que nous sommes un mouvement populaire, nombreux à nous battre pour un territoire dynamique et un projet de société juste socialement et écologiquement ».
La présidente de la FNSEA, Christiane Lambert, ne partage évidemment pas son avis : « J'attends les condamnations fermes de ces actes par le gouvernement et les élus régionaux », a-t-elle déclaré dans un communiqué de presse, parlant d' « un saccage intolérable ».
« Je condamne les actes de destruction, a quant à lui déclaré dès le lendemain le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, sur les réseaux sociaux. Je souhaite que les auteurs répondent de leurs actes devant la justice. »
Le parti Europe Ecologie-Les Verts (EELV) de Poitou-Charente rappelle que la construction, le remplissage et la vidange annuelle de cette retenue étaient illégales depuis un jugement rendu en juin 2018 (6). « Les vannes ont été ouvertes pour vider la bassine et rendre son eau au Mignon asséché. Nous soutenons sans réserve cet acte de désobéissance civile. » (7)

démantèlement

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Pas de ministre mais des CRS

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Le mercredi 10 novembre à Paris, la Confédération paysanne conviait la presse devant le ministère de l'Agriculture et de l'Alimentation, afin de présenter ses demandes suite à la manifestation : « faire respecter la décision du tribunal administratif de Poitiers de 2018 annulant l'autorisation préfectorale de fonctionnement des bassines de Charente-Maritime, dont Cram-Chaban » ; suspendre « tous les travaux et projets de méga-bassines en cours, tant que des recours juridiques sont en cours en France et en Europe. Une procédure pétitionnaire a été ouverte par la Commission des pétitions du Parlement européen quant à la conformité de ces projets de méga-bassines avec trois directives européennes (Eau, oiseaux et habitats) » ; « engager immédiatement une concertation de tous les acteurs du territoire sur l'adaptation du modèle agricole aux ressources disponibles et non l'inverse ».
Le secrétariat national de la Confédération paysanne voulait aussi remettre au ministre, Julien Denormandie, un morceau de la pompe de Cram-Chaban pour lui faire la démonstration que ces retenues sont bien alimentées par le pompage de la nappe phréatique et non par la récupération des eaux de pluie, comme le ministre l'avait affirmé lors du congrès de la FNSEA en septembre…
Mais ce sont les CRS qui ont accueilli le syndicat et les médias, les forçant à quitter les lieux.

Quelles suites la lutte autour des retenues d'eau peut-elle engendrer ? La Confédération paysanne a demandé à être reçue par le ministre de l'Agriculture et de l'Alimentation. En vain pour le moment.
Sur son site Internet, Bassines Non Merci annonce qu'il suspend les Apér'luttes qui étaient organisés tous les vendredis à proximité du chantier de Mauzé. « Cela comporterait des risques pour la sécurité de tou·te·s, est-il justifié. Mais cela ne veut pas dire que nous ne continuerons pas de nous rassembler pour continuer d'informer sur la lutte et de montrer notre détermination à stopper les chantiers. » (8) De nouveaux rendez-vous sont prévus, notamment une grande mobilisation les 26 et 27 mars.

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Dans le Berry aussi

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Si la lutte dans le Poitou est la plus médiatisée, d'autres émergent ici et là. C'est le cas dans le Cher où un collectif s'est récemment constitué pour informer la population sur les retenues d'eau pour l'irrigation. Baptisé Bassines Non Merci Berry, il s'intéresse particulièrement à deux projets annoncés à Lazenay, où James Goussard, exploitant agricole déjà irrigant (par ailleurs maire de la commune) souhaite construire deux nouvelles retenues d'eau pour l'irrigation reliées à la nappe phréatique, de 25.000 m³ et 50.000 m³. Le service chargé de la communication à la Préfecture indique qu'actuellement, un projet est en cours d'instruction en champagne berrichonne, de 50.000 m³. Bassines Non Merci Berry a manifesté une première fois le 17 septembre à Bourges et commencé une série de distributions de tracts pour informer le public.
Dans un courrier daté du 24 octobre 2021, il fait part de ses inquiétudes à Jean-Christophe Bouvier, préfet du Cher, dont les services sont en charge des déclarations et autorisations de ce type de projets. Demandant des précisions sur le dossier, le collectif n'a, pour l'instant, pas reçu de réponse.

non aux bassines 18

Les retenues d'eau de Lazenay et d'autres en projet dans le Cher ne devraient pas être construites immédiatement. « Une circulaire de 2018 dit que ce type de retenues pour l'irrigation ne peut pas voir le jour sans une concertation : il faut que le PTGE, Projet de Territoire pour la Gestion de l'Eau, soit abouti, nous expliquait il y a quelques semaines Nicolas Camphuis, directeur de l'Agence de l'eau Loire-Bretagne. Il s'agit de faire un état des lieux, via des études sur le terrain, mais aussi une prospective : quelle répartition de l'eau souhaitons-nous entre tous les usagers pour développer ce territoire ? Dans le secteur du Cher, ce PTGE est en cours d'élaboration par le Conseil départemental. Il a débuté en janvier et ne devrait pas être présenté avant la fin 2023. » Contacté à ce sujet, le service de l'eau du Conseil départemental du Cher n'a pas souhaité répondre à nos questions.

Nationalement, la mobilisation continue : une tribune intitulée « Stoppons les Mégabassines pour partager et préserver l'eau » signée par 250 personnalités (scientifiques, politiques, artistes...) est parue ce mercredi 24 novembre dans le journal Le Monde (9). L'occasion pour le collectif Bassines Non Merci d'annoncer une nouvelle mobilisation de grande ampleur les 26 et 27 mars prochain.

Fanny Lancelin

(1) https://lessoulevementsdelaterre.org/
(2) http://confederationpaysanne.fr/sites/1/articles/documents/DossierPresse_M%C3%A9ga-bassine.pdf
(3) Lire la rubrique (Ré)acteur·ice·s de l'épisode 1 de notre sujet, sur (Re)bonds.
(4) https://www.lanouvellerepublique.fr/deux-sevres/commune/mauze-sur-le-mignon/bassines-la-coordination-rurale-appelle-a-une-contre-manifestation-a-mauze-sur-le-mignons
(5) Conclusions de la commissaire enquêteur du 4 novembre 2021 : https://nuage.confederationpaysanne.fr/s/nzwP2Mm8m5HbqDW
(6) Jugement du Tribunal administratif de Poitiers du 7 juin 2018 : https://nuage.confederationpaysanne.fr/s/MwP2RKszKLmNXGW
(7) https://www.lanouvellerepublique.fr/deux-sevres/manifestation-anti-bassines-du-6-novembre-en-deux-sevres-de-nouvelles-reactions
(8) https://bassinesnonmerci.fr/
(9) https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/11/24/les-megabassines-sont-le-symbole-d-un-modele-nefaste-aux-paysans-et-a-nos-territoires-l-agriculture-productiviste_6103372_3232.html

 

Le Varenne agricole de l'eau

  • Le 28 mai dernier, le ministre de l'Agriculture et de l'Alimentation, Julien Denormandie, et la secrétaire d’Etat chargée de la Transition Ecologique, Bérengère Abba, lançaient le Varenne agricole de l'eau et de l'adaptation au changement climatique. L'objectif : définir un plan d'actions pour permettre aux agriculteur·ice·s de faire face aux conséquences du changement climatique, notamment les sécheresses.
    Des groupes de travail composés d'agriculteur·ice·s, d'associations, de représentant·e·s des chambres d'agriculture, d'élu·e·s, ou encore de scientifiques réfléchissent à trois thématiques : doter l'agriculture d'outils d'anticipation et de protection dans le cadre de la gestion des aléas climatiques (sécheresses mais aussi gel, par exemple) ; renforcer l'adaptation de l'agriculture à ces aléas en agissant sur les sols, les variétés, les pratiques culturales et d'élevage, les infrastructures agroécologiques et l'efficience de l'eau d'irrigation ; partager une vision raisonnée de l’accès aux ressources en eau mobilisables pour l’agriculture sur le long terme.
    Un point d'étape a été présenté en octobre et la synthèse finale sera rendue publique en janvier 2022.
    Les principes de la démarche, les échanges en visio et les documents d'étape sont consultables sur le site du ministère de l'Agriculture et de l'Alimentation : https://agriculture.gouv.fr/mots-cles/varenne-de-leau
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# 52 L'eau source de débats (2) Tue, 21 Mar 2017 12:54:42 +0100