# 53 Toujours là (décembre 2021) http://www.rebonds.net/53toujoursla Thu, 11 May 2023 19:07:53 +0200 Joomla! - Open Source Content Management fr-fr Les Mutilé·e·s pour l'exemple http://www.rebonds.net/53toujoursla/742-lesmutileespourlexemple http://www.rebonds.net/53toujoursla/742-lesmutileespourlexemple Des mains arrachées, des visages ensanglantés, des pieds explosés… Ces images, dignes de scènes de guerre, ont marqué les esprits lors des manifestations des Gilets Jaunes (GJ). Les victimes de ces violences policières ont créé un collectif baptisé « Les Mutilé·e·s pour l'exemple » invité à Bourges lors de la soirée anniversaire du mouvement des GJ (lire la rubrique (Ré)acteur·ice·s). Myriam, militante anti-répression installée à Bordeaux, nous explique quel est le rôle de ce collectif, ses objectifs et ses revendications.

« Quand est né le collectif ?

« C'était au début du mouvement des Gilets Jaunes, dès 2017, je crois. Il a été créé par des personnes mutilées pendant le mouvement et par Robin, lourdement blessé au pied à Bure. Il est entré en contact avec des mutilés Gilets Jaunes. Il était dégoûté par le silence médiatique autour de ces blessures de guerre. Il y a eu une première marche à Paris le 19 juin 2019.

Quels étaient les objectifs de départ et ont-ils évolué ?

Il s'agit de regrouper toutes les personnes mutilées lors de manifestations, pour leur apporter un soutien juridique : par exemple, trouver un avocat ou des fonds pour assurer toutes les démarches…
Il faut aussi les accompagner psychologiquement parce que lorsqu'on est mutilé, on a besoin de soins corporels mais aussi psychologiques. Notre collectif est national donc il nous faut trouver des professionnels dans chaque région.
Notre but est également de faire connaître le collectif et le mouvement des Gilets Jaunes, par exemple grâce à des soirées comme à Bourges.

Les objectifs ont évolué parce que nous avons intégré le réseau « Vérité et Justice », ce qui a élargi nos revendications. « Vérité et Justice » s'adresse à toutes les personnes victimes de violences policières, pas seulement dans les manifestations mais aussi dans les quartiers, en prison, dans la rue pour les sans-abris, les migrants…

Le mot « mutilé » évoque la guerre. Quelle définition les membres du collectif donnent-iels à ce terme dans les cas précis qui les concernent ?

Les mutilé·e·s, ce sont des personnes blessées en manifestation, mais c'est vrai, ce sont des blessé·e·s de guerre.
Macron a fait la guerre aux manifestants puisqu'il a utilisé, face à des pacifistes, des armes de guerre comme les LBD ou les chars. (2)
On parle de mutilations parce que ce sont des blessures de guerre. Les médecins qui ont eu affaire à ces blessures infligées pendant le mouvement des Gilets Jaunes les définissent d'ailleurs comme telles. (3)

L'expression « Mutilé·e·s pour l'exemple » renvoie à « Fusillé·e·s pour l'exemple ». Les membres du collectif considèrent-iels que la mutilation est un acte stratégique porté par une institution, pensé politiquement pour punir, décourager, faire taire ?

C'est tout à fait consciemment que le gouvernement a décidé de faire la guerre à des Gilets Jaunes désarmés. Il s'agit effectivement de traumatiser les gens pour qu'ils ne viennent plus en manifestation. Ça a fonctionné, puisqu'il y a eu de moins en moins de manifestants, pas seulement à cause des mutilations mais des blessures en général, et du nombre incalculable de gardes à vue et de contrôles avant, pendant et après les manifestations. Il y a eu aussi beaucoup de procès. Des Gilets Jaunes ont été en prison.
Sans parler des amendes à foison à 135 euros, parce qu'un décret créé par Castaner, alors ministre de l'Intérieur, datant de mars 2020, a criminalisé le fait de manifester. Je sais de quoi je parle : j'ai écopé de 19 amendes !

Fortement réprimé, le mouvement a été moins important et moins visible. Mais nous sommes toujours là ! Parce que les Gilets Jaunes, ce ne sont pas seulement des manifestations mais aussi de la réflexion notamment avec les Assemblées Des Assemblées, les ADA (lire aussi la rubrique Réacteur·ice·s).

Combien de personnes ont été mutilées durant la répression des Gilets Jaunes ?

Dans le collectif, il y a une trentaine de personnes donc je dirais environ une cinquantaine, mais c'est difficile à mesurer. A ma connaissance, il n'existe pas de chiffres officiels (4).
C'est difficile aussi de savoir pour les blessé·e·s parce que certaines personnes sont rentrées chez elles sans les signaler.

Notre collectif a été convoqué devant une commission de l'Assemblée Nationale pour savoir comment réconcilier la police avec les citoyen.ne.s. On a produit un rapport à ce moment-là mais je ne pense pas que quelqu'un·e du gouvernement s'en soit servi !
Macron répète qu'il n'y a pas de violences policières, alors l'Etat n'a aucun intérêt à déclarer les mutilé·e·s. On ne compte pas sur lui pour ça !

En ce qui concerne les morts dues à la police, il faut citer le très bon travail de Basta Mag, avec une enquête détaillée publiée sur son site (5).

 

mutilées

 

Diriez-vous que le nombre des violences policières croient ou qu'elles sont davantage dénoncées ?

Les violences durant les mouvements sociaux sont à la hauteur de l'avancée du système capitaliste et des contestations de ce système.

J'ai commencé à manifester il y a trente ans, en 1986. Il y avait du monde dans la rue, ça bastonnait, mais je n'y avais jamais vu d'armes de guerre. En 1986, il n'y avait pas de grenades de désencerclement. Il y avait les Voltigeurs (6) mais ils ont été officiellement interdits cette année-là.

Plus le système capitaliste se durcit, plus il va loin dans sa répression et plus il s'arme.

Nous avons vu les premières mutilations lors de la contestation de la loi Travail, mais il y a eu aussi un mort sur la ZAD du Testet (7), de nombreux blessés lors des expulsions à Notre-Dame-des-Landes…

La violence policière existe depuis la création de la police : elle est là avant tout pour défendre le pouvoir. Lors des arrestations de Juifs à Vichy, c'était déjà les gendarmes qui faisaient le sale boulot. Dans les quartiers populaires depuis que les quartiers populaires existent, il y a des morts. Mais quand j'ai commencé à y militer il y a douze ans, c'était une dizaine par an ; désormais, c'est une trentaine. Donc oui, ça s'intensifie.

Le système capitaliste ne supporte plus la moindre résistance. Ce qu'il veut nous imposer comme monde est très brutal et il nous l'impose à coups de trique.

Quelles sont les revendications des « Mutilée·e·s pour l'exemple » ?

La première chose, c'est la vérité. La vérité et la justice. C'est le plus difficile à obtenir en matière de violences policières.

Nous réclamons aussi l'interdiction totale d'armes dites non létales, mais qui le sont comme les LBD et les grenades de désencerclement. Nous exigeons le désarmement de la police parce que oui, la police tue, quoi qu'en dise Gérald Darmanin (8).

Notre première démarche est d'aller devant les tribunaux. C'est le premier endroit où l'on doit obtenir justice. C'est là que devraient être condamnés les policiers qui infligent les blessures mais aussi l’Etat qui donne les ordres. Car l’Etat est responsable.
Le préfet Lallement (9) était en poste à Bordeaux, dans ma ville, lorsqu'il y a eu les premières répressions violentes des manifestations des Gilets Jaunes. Pourtant, il a pu étendre sa politique répressive à Paris. Qui l'a nommé ? C'est bien le ministre de l'Intérieur et le président. Donc, ils sont responsables. Et ce sont également eux qui ont décidé de répondre par la violence à ce mouvement pacifiste.

Parce que oui, les mutilé·e·s étaient tou·te·s pacifistes : aucun membre de notre collectif n'est poursuivi pour des actes répréhensibles, pas même un jet de caillou ! La plupart n'avaient jamais manifesté avant le mouvement des Gilets Jaunes.

Les procédures judiciaires sont longues. Moi-même, j'ai été matraquée et défigurée par la police en 2009. C'était lors de l'expulsion d'un squat et pourtant, je me tenais à l'extérieur ! J'ai fait condamner l’Etat huit ans plus tard. Donc parfois, il y a une justice. Mais c'est une exception qui malheureusement confirme la règle.
Dans le mouvement des Gilets Jaunes, pour l'instant, aucun policier n'a été condamné, ni l’Etat.

« Les Mutilé·e·s pour l'exemple » font partie du réseau d'entraide « Vérité et Justice ». De quoi s'agit-il ?

Ce réseau existait sans être officiel : le monde des militants anti-répression est petit… Au fur et à mesure des soirées organisées pour des débats, des stands sur des événements, tu finis par te retrouver. Quand tu es mutilé ou que tu as perdu quelqu'un tué par la police, tu es lié par quelque chose d'inexprimable.

« Vérité et Justice » est un réseau d'entraide, de partage de connaissances, de mutualisation des contacts… Il permet aussi de revendiquer plus fort !
Il est assez compliqué à structurer parce qu'il est composé de victimes, de familles de victimes, sur des territoires différents, avec des collectifs issus de collectifs… Mais beaucoup de savoir-faire y sont regroupés : par exemple, les dernières familles accueillies sont déjà très organisées, elles ont déjà développé des outils de communication via les réseaux sociaux, des tracts, des logos...

Quels points communs ont les collectifs et associations de ce réseau ?

On a le même ennemi : le capitalisme qui crée la répression. C'est vrai pour ce réseau mais ça l'est pour toutes les luttes.

La pandémie a permis énormément de choses, notamment d'étendre les pouvoirs de police. Ça participe à la société de contrôle qui est difficile à combattre parce qu'elle est invisible, via les téléphones portables par exemple.
Au-delà de ce système répressif et autoritaire, voire dictatorial – je n'ai pas peur du mot – il y a aussi un système qui a besoin de moins en moins de main d'œuvre, qui s'automatise et laisse des gens sur le carreau. C'est une mue qui se fait dans la violence et pour les personnes qui ne veulent pas de ce changement, dans la répression.

Ça n'est pas près de s'arrêter, alors il faut de la convergence de luttes ! Si les écolos veulent stopper le nucléaire, allons tous manifester avec eux ! Mais quand Yanis se fait buter dans un accident avec la police (10), il faut que les écolos se bougent aussi !

Il ne reste plus que nous, avec notre volonté, notre pouvoir de résister et notre pouvoir de créer.
Résister, c'est créer et créer, c'est résister.
Il faut de la résistance et de la désobéissance civile. Qu'on reprenne le pouvoir sur nos vies. Je ne dis pas qu'il faut tout brûler. Mais commencer par éteindre sa télé, s'agiter, s'émouvoir. Et être en colère. C'est important. Moi, j'habite dans une ville où chaque soir, 4.500 personnes dorment dehors alors qu'il y a tellement de logements vacants ! Ça me met en colère et c'est bien. Il en faut pour faire bouger les choses.

Selon toi, quel regard la population porte-t-elle sur les victimes de violences policières ?

Les violences subies dans les quartiers populaires sont souvent perçues comme normales.
Une personne de couleur qui se fait « flash-baller » (11) dans les quartiers, c'est sans doute qu'elle l'avait peut-être un peu cherché… tu vois ce que je veux dire ?
On vit dans un pays aux relents racistes, héritages d'une République bananière. La plupart des gens blancs ne se rendent pas compte qu'ils vivent dans un pays raciste. Les journaux et le gouvernement s'ingénient à faire des victimes de ces violences des voleurs et des criminels qui, alors, l'ont bien cherché…

Concernant les violences en manifestation, beaucoup de gens ne sont pas au courant de ce qui s'est passé, réellement je veux dire. Ils ont retenu la violence en général et particulièrement du fait des manifestants. Si tu es mutilé, c'est peut-être que tu l'as cherché… c'est la même logique… Les commentaires sur les mutilés sont parfois brutaux. Ce n'est pas facile à entendre pour les mutilés qui s'exposent publiquement pour faire avancer les choses.
Le film de David Dufresne, « Un pays qui se tient sage » (12) a fait un peu de bien mais il est souvent projeté dans des lieux où les spectateurs sont un peu convaincus.

Quels conseils le réseau donnerait-il à une personne victime de violences policières ? Quelles démarches peut-elle effectuer pour voir ses violences reconnues et ne pas être isolée ? »

Ça dépend des circonstances, mais la première chose à faire, c'est de saisir un avocat. Ensuite, de contacter le réseau anti-répression le plus proche de là où elle vit, pour être accompagnée au mieux.
Il ne faut surtout pas trouver ce qui vous arrive normal. Ce n'est pas parce que ça fait désormais partie du système que c'est normal.

Pour tout manifestant, partez en manifestation en sachant quels sont vos droits en cas d'arrestation ou de garde à vue. On ne pense pas que ça va nous arriver, mais si : maintenant, en France, quand on part en manifestation, on peut être contrôlé, arrêté, gardé à vue. Ce n'est pas seulement quand on a « quelque chose à se reprocher ».

Nous ne sommes pas protégés parce que nous sommes – soi disant – en démocratie. Une dictature n'a pas besoin d'avoir des chars pour être une dictature. Ecoutons Snowden, écoutons Assange (13) pour prendre conscience que la dictature n'aura bientôt plus besoin d'armes pour en être une. Le système de surveillance qui se met en place empêchera de plus en plus les gens de contester.

Mais il ne faut pas baisser les bras. Cherchez autour de vous ! Il doit y avoir des poches de résistance ! Et de l'amour. C'est essentiel. J'envoie beaucoup d'amour et de courage à tout le monde. »

Contact : https://www.lesmutilespourlexemple.fr/

Propos recueillis par Fanny Lancelin

(1) https://lepressoir-info.org/spip.php?article1109
(2) LBD : Lanceur de Balles de Défense : https://fr.wikipedia.org/wiki/Lanceur_de_balles_de_d%C3%A9fense
(3) « Gilets jaunes : un neurochirurgien dénonce des blessures « de guerre » et lance une pétition contre les LBD », France Info, le 1er février 2019 : https://www.francetvinfo.fr/economie/transports/gilets-jaunes/gilets-jaunes-un-neurochirurgien-denonce-des-blessures-de-guerre-et-lance-une-petition-contre-les-lbd_3170571.html
(4) Le 6 février 2019, une centaine de personnalités demandaient à Agnès Buzyn, ministre de la Santé, de publier les données chiffrées des blessé·e·s durant le mouvement. En vain. https://blogs.mediapart.fr/les-invites-de-mediapart/blog/060219/nous-exigeons-les-vrais-chiffres-de-tous-les-blesses-depuis-lacte-i
(5) « Entre 1977 et 2020, 746 morts suite à l’action des forces de l’ordre, dont 26 lors d'opérations anti-terroristes, et 78 du fait d'un agent en dehors de son service », Basta Mag : https://bastamag.net/webdocs/police/
(6) Les Voltigeurs : brigades policières motorisées mises en place par Raymond Marcellin, ministre de l'Intérieur durant Mai 1968, et dissoutes après leur implication dans la mort de l'étudiant Malik Oussekine en 1986. Certains médias ont parlé de leur retour non officiel à partir des manifestations contre la loi Travail : https://paris-luttes.info/paris-le-retour-des-voltigeurs-5280
(7) Le 26 octobre 2014, à Sivens, dans le Tarn, un militant écologiste opposé à un projet de barrage, Rémi Fraisse, est tué par une grenade. Le gendarme auteur du tir a été relaxé : https://www.ouest-france.fr/societe/justice/mort-de-remi-fraisse-au-barrage-de-sivens-la-justice-confirme-le-non-lieu-en-faveur-du-gendarme-6682339
(8) https://www.ouest-france.fr/societe/police/la-police-tue-gerald-darmanin-porte-plainte-contre-philippe-poutou-pour-ses-propos-polemiques-e5610ee4-2cc9-11ec-b215-7901ce2027d2
(9) Didier Lallement : https://fr.wikipedia.org/wiki/Didier_Lallement
(10) https://larotative.info/yanis-16-ans-est-decede-au-chru-de-4035.html
(11) Flash-ball : lanceur de LBD.
(12) http://rebonds.net/40derrierelecrandefumee/130-recreations/644-unpaysquisetientsage
(13) Edward Snowden, ancien agent de la NSA, et Julian Assange, fondateur de Wikileaks, sont des lanceurs d'alerte dans le domaine de la surveillance numérique.

 

 

Témoignage : Hédi, mutilé au Puy-en-Velay

 

Hédi a perdu un oeil durant une manifestation Gilets Jaunes. Il a écrit son histoire pour la partager humblement et courageusement lors des soirées-anniversaire de Brioude et Bourges. Il a accepté qu'elle soit publiée et il l'a également enregistrée en podcast. Merci à lui.

 

SAMEDI 20 NOVEMBRE, CES QUELQUES LIGNES POUR BOURGES ET BRIOUDE

Je vais tenter aujourd’hui de partager avec vous mon expérience. Une expérience « Gilets Jaunes » bien sûr, puisque c’est le point de départ de cette histoire, mais une expérience de vie… A l’IGPN, à des inconnus, à ma psychologue… cette histoire, je l’ai racontée, en transpirant, en tremblant, en pleurant. Mais c’est la première fois que je me livre à cet exercice, comme ça. Trois ans se sont écoulés et je peux désormais vous en parler, non sans émotions, mais sans que celles-ci ne débordent en un flot de tristesse et de colère. Avec un certain recul.

NOVEMBRE 2018

Je suivais une route paisible. La voie d’une vie tranquille comblée par mon métier de formateur, par les mélodies de mon accordéon et les paysages authentiques de Haute-Loire.
La nationale 88, cette autre route que j’empruntais tous les jours pour me rendre au travail, se faufile à travers ces doux reliefs en évitant parfois des excroissances de terre sans vie.
Mais des silhouettes ont pourtant choisi ces endroits pour se rencontrer, partager, et ont commencé à redonner vie à ces ronds-points qui se sont vite teintés de jaune, un jaune éblouissant, persistant jour et nuit. Ni la pluie, ni le brouillard, ni le froid ne faisaient fuir ces âmes solidaires, aux passés et aux vies parfois si différents. A la lumière de mes phares, les invisibles devenaient visibles et fermer les yeux n’était pas une option. Demain, j’allais pourtant en fermer un pour le reste de ma vie…

1er DÉCEMBRE 2018

Aurais-je dû avoir peur ?

Ce jour-là, le parking poids-lourds n’en pouvait plus de retenir les milliers de personnes venues se faire entendre. Il laissait fuir la déferlante jaune dans les artères de la ville. Une foule armée d’idées, de slogans, de chants et de pancartes, qui exprimait sa détresse, sa colère, criait à l’injustice. Le mouvement était beau et déjà méprisé, et le message était clair et déjà incompris. Ou plutôt, il fallait faire semblant de ne pas le comprendre, « cela leur passerait »…

Sur le parcours, appareil photo en poche, je capturais les dessins et les mots enfin libérés sur du carton, du tissu, sur les gilets. Je saisissais également de temps en temps les ambiances en filmant. Nos pas nous menèrent jusqu’à la vaste Place du Breuil qui prit la couleur fluorescente de l’espoir. Pas un flic…
J’ignorais alors que je vivais les derniers instant d’une vie que j’admirais de mes deux yeux. J’observais, je discutais, il faisait froid. Le bruyant défilé ininterrompu des tracteurs devant le portail de la préfecture animait largement l’instant. L’un d’eux marqua un temps d’arrêt pour déverser des pneus. Puis, au bout d’un moment et sans gros efforts, ceux qui avaient pour but d’ouvrir l’impressionnant portail arrivèrent à leur fin. Dans le calme, la cour de la préfecture se colorait de jaune à son tour. Les gens allaient et venaient naturellement, des jeunes, des vieux, des très jeunes, des très vieux, des familles…

Derrière les fenêtres des étages supérieurs, des visages nous observaient, nous prenaient en photo. Les caméras de BFM, ainsi que les téléphones, enregistraient cette petite victoire, cette scène incroyable déjà diffusée en boucle à la télé. Ces mêmes téléphones communiquaient avec les autres groupes, les ronds-points, nous maintenaient informés de l’évolution des choses à travers le pays. Je garde en mémoire ce moment émouvant où l'une des plus grandes banderoles a été placée devant l’entrée du bâtiment : « reprenons notre destin en mains ». Et ce n’était pas que des mots : une réelle prise de conscience, une volonté de se réapproprier un pouvoir de décision naissaient. Nous avions une histoire commune et les poings levés comme un seul.

Le moment était puissant et j’oubliai l’heure. Pourtant, je devais m’assurer de ne pas partir trop tard, je devais prévoir du temps pour passer prendre les billets pour le concert de ce soir et me débarrasser de cette odeur tenace de fumée. Changement d’ambiance…

Le monticule de pneus avait été déplacé à l’intérieur de la cour. Toujours pas un flic. Jusqu’au moment où, un gendarme ouvrit la fenêtre qu’un manifestant tentait d’ouvrir. Les quelques fonctionnaires armés décidèrent de procéder à l’évacuation de la cour. C’est le seul moment de tension auquel j’ai pu assister ce jour-là. Je me tenais à distance comme depuis le début car je n'étais pas venu me battre, je ne voulais surtout prendre aucun risque. La foule se précipita vers la sortie, gênée par les battants du portail qui s’ouvraient et se refermaient. Certains ont en vain essayé de garder leurs positions à l’aide des lourds pneus, essuyant de violents coups de matraques et des jets de gaz lacrymogène. Des citoyens désarmés et aux visages découverts faisaient face aux quelques gendarmes, à peu près cinq. Ces citoyens n’avaient rien à se reprocher, et sans doute rien à perdre non plus. Quel était le sens de tout ça ? Allions-nous changer le cours de l’Histoire aujourd’hui, ou tout au moins, allions-nous nous faire entendre, pour une fois ?

Les uniformes réussirent à maintenir le portail fermé en attendant qu'arrivent une chaîne et un cadenas. Voilà, nous étions là, dans un nuage de fumée. Ici, on toussait jusqu’à vomir ; là, on courait à la recherche de sérum ou d’eau pour se rincer les yeux. Certains parlaient aux hommes en bleu à travers les barreaux ; d’autres, en s’aidant de ce qu’ils trouvaient, s’obstinaient à vouloir briser la chaîne du portail, symbole d’une séparation, d’une fracture. Le face à face dura un bon moment.

C’est alors que je sortis mon appareil pour filmer une de ces scènes. Mon doigt s’abaissa lentement sur le bouton qui déclencha le début de l’enregistrement. Une...deux… à la cinquième seconde, une violente explosion retentit à hauteur de mon visage et me fit reculer. Puis du noir à gauche, puis le silence. J’ai d’abord pensé à une grenade lacrymo, d’ailleurs je ne connaissais que ça. J’allais me laver l’œil et retrouver la vue, ça ne devait être que ça, il fallait que ça ne soit que ça. Je me retrouvai dans cette bulle de silence et d’effroi, dans laquelle le temps n’existait plus. J’eus le réflexe d’incliner la tête vers le bas et de poser ma main sur mon œil dont la substance épaisse glissa entre mes doigts pour finir au sol. Mon regard se mit à la recherche d’aide. « Il faut vite m’emmener à l’hôpital, mon œil, je ne veux pas perdre mon œil, pas ça. » Je me tournai vers les gens qui se trouvaient derrière moi. Leurs regards effarés confirmèrent la gravité de la blessure. Mon gilet jaune devenu rouge, je me raccrochai à un fil d’Ariane, à un fil d’espoir ténu, prêt à rompre. Non, je ne veux pas perdre mon œil. C’est impossible.

A aucun moment je n’ai perdu connaissance. Accompagné des personnes qui m’ont rassuré et prodigué les premiers soins, je levai le poing une dernière fois et je quittai les lieux en direction du véhicule des pompiers garé loin, trop loin.

LES « MUTILÉ·E·S POUR L’EXEMPLE », DE GRANDS CŒURS AUX CŒURS GROS

Nous cheminons bien sûr individuellement, en réalisant qu’une nouvelle vie s’impose à nous, en faisant face à ce qui nous est arrivé. Mais aussi en essayant de surmonter l’épreuve de la mutilation, un véritable deuil, une épreuve qui en cache bien d’autres. En effet, elle marque un arrêt brusque à nos activités, professionnelles ou personnelles, vient compromettre des projets. Elle provoque aussi des ruptures, altère notre rapport aux autres… vient éclabousser largement nos vies. Nous nous voyons profondément changer. Ainsi, chacun évolue à sa façon, comme il le veut et comme il le peut.

Nous cheminons également collectivement avec « les mutilé·e·s pour l’exemple », un collectif sur le point d’évoluer en association, constitué de victimes de violences policières, de violences d’Etat. Disséminés dans la France entière, nous nous réunissons quand nous le pouvons pour marcher ensemble contre les violences policières. C’est lors de la dernière marche d’Amiens, les 16-17-18 octobre 2020, que j’ai eu le plaisir de rencontrer d’autres blessés pour la première fois. Nous nous sommes rencontrés, raconté nos histoires, nous avons parlé de nos souffrances et de nos colères communes sans crainte d’être jugés. L’entraide sous toutes ses formes, juridique, psychologique, financière… résume l’existence du collectif car la mutilation est seulement la trace visible.

Hédi

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# 53 Toujours là Tue, 21 Mar 2017 13:37:42 +0100
La chronologie du mouvement http://www.rebonds.net/53toujoursla/743-lachronologiedumouvement http://www.rebonds.net/53toujoursla/743-lachronologiedumouvement C'est la goutte d'eau qui a fait déborder un vase déjà bien plein de colères sociales : en 2018, l'annonce de l'augmentation du prix des carburants (via la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques) fait naître un mouvement de protestation inédit en France. Mais comment sont réellement né·e·s les Gilets Jaunes ? Comment le mouvement a-t-il grandi avant de se transformer ? Retour en quelques dates sur les moments les plus forts du mouvement.

2018

29 mai : Priscillia Ludosky, une habitante de Savigny-le-Temple en Seine-et-Marne, lance sur Internet une pétition intitulée « Pour une baisse des prix du carburant à la pompe ! ».

18 octobre : Jacline Mouraud, une habitante de la Bretagne, publie une vidéo sur les réseaux sociaux dans laquelle elle dénonce la hausse du prix du diesel, la multiplication du nombre de radars ou encore les projets de péages à l’entrée des grandes villes. Elle comptabilise aujourd'hui 6 millions de vues. Elle deviendra progressivement une figure du mouvement notamment dans les médias.

21 octobre : Sur les réseaux sociaux, un chauffeur routier, Eric Drouet, appelle au blocage des routes, des autoroutes et des dépôts pétroliers.

24 octobre : Ghislain Coutard, originaire de Narbonne, se filme dans son véhicule et appelle les automobilistes à déposer un gilet jaune devant leur pare-brise pour montrer leur intention de manifester le 17 novembre.

17 novembre : Partout en France, environ 300.000 personnes enfilent une « veste à haute visibilité » et s'installent sur des ronds-points et péages, créent des barrages, manifestent... C'est ce que l'on appellera plus tard l'Acte 1 du mouvement des Gilets Jaunes.

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18 novembre : Le Premier ministre Edouard Philippe déclare qu’il ne reviendra pas sur la taxe sur l’essence et le diesel.

24 novembre : Le deuxième samedi de mobilisation réunit 166.000 manifestant·e·s à travers toute la France, dont 8.000 à Paris. Il est marqué par de violents affrontements entre manifestant·e·s, et policiers et gendarmes notamment sur les Champs-Elysées.
Au total, dans tout le pays, on dénombre 130 personnes placées en garde à vue, dont 69 à Paris.

26 novembre : A l'Assemblée nationale, le député LFI (La France Insoumise) de La Réunion, Jean-Hugues Ratenon, brandit un gilet jaune en dénonçant des droits « bafoués » sur l'île et un « comportement colonial du gouvernement français ».

27 novembre : Le président Emmanuel Macron promet d’adapter la fiscalité des carburants aux fluctuations des cours pétroliers et décide de mettre en place des concertations locales sur la transition écologique.

1er décembre : Acte III du mouvement, marqué par de nouvelles violences policières. Zineb Redouane, octogénaire marseillaise, est touchée à la tête par une grenade lacrymogène, alors qu’elle se trouve à la fenêtre de son appartement. Elle décède le lendemain.

4 décembre : Le Premier ministre annonce la suspension pour six mois de la hausse de la taxe sur les carburants, la levée provisoire du durcissement du contrôle technique automobile, et le gel des tarifs du gaz et de l’électricité.

6 décembre : Quelques jours après la mobilisation des lycéen·ne·s et des étudiant·e·s contre une énième réforme de l'Education nationale, 146 lycéen·ne·s de Mantes-la-Jolie sont interpellé·e·s violemment par la police. Il·le·s sont filmé·e·s agenouillé·e·s, en silence. Leur interpellation et le commentaire du policier vidéaste - « Voilà une classe qui se tient sage » - suscitent l'émotion (1).

7 décembre : Sept membres des Gilets Jaunes (Benjamin Cauchy, David Tan, Cédric Guémy, Christophe Chalençon, Jacqueline Mouraud, Damien Molin, Cédric Delaire), sont reçu·e·s à Matignon. Il·le·s appellent à manifester pacifiquement en dehors de Paris pour ne pas être assimilé·e·s à des casseur·se·s.

8 décembre : Acte IV des Gilets Jaunes. Sur les 136.000 manifestant·e·s, 1.700 environ sont placé·e·s en garde à vue et le nombre de personnes blessées depuis le début du mouvement dépasse la barre du millier.

10 décembre : Emmanuel Macron annonce à la télévision l’augmentation de la prime d’activité pour les salarié·e·s au SMIC, la défiscalisation des heures supplémentaires et la suppression de la hausse de la CSG pour les retraité·e·s touchant moins de 2.000 euros par mois. Au total, ces mesures coûteraient 10 milliards d'euros.

15 décembre : Acte V des Gilets Jaunes. La mobilisation diminue de moitié par rapport au samedi précédent. Des divisions apparaissent au sein du mouvement. La police commence à évacuer les ronds-points.
Dans les cortèges, la revendication d'un RIC (Référendum d'Initiative Citoyenne) fait de plus en plus son apparition (2).

22 décembre : Environ 40.000 manifestant·e·s se mobilisent pour l'acte VI. Des blocages aux frontières, notamment de l'Italie, de l'Allemagne et de l'Espagne sont organisés.

29 décembre : Lors de l'acte VII du mouvement, des manifestant·e·s se retrouvent devant les locaux de BFM TV, France Télévisions et Libération pour dénoncer leur couverture de la contestation qu'il·le·s jugent malhonnête.

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2019

Les manifestations se poursuivent tous les samedis partout en France.

6 janvier : Plusieurs centaines de femmes Gilets Jaunes se rassemblent sur la place de la Bastille à Paris, au lendemain de l’acte VIII, après des manifestations marquées par de nouvelles violences. Elles veulent donner une autre image du mouvement.

15 janvier : Emmanuel Macron inaugure le « grand débat national » (3) à Grand-Bourgtheroulde dans l'Eure, devant 600 maires.

23 janvier : Le mouvement présente une liste en vue des élections européennes sous le nom de Ralliement d’Initiative Citoyenne, dont l’acronyme RIC fait référence à celui du Référendum d’Initiative Citoyenne. Ingrid Levavasseur, aide-soignante de 31 ans, est la tête de liste.

26-27 janvier : Première Assemblée Des Assemblées (ADA) à Commercy dans la Meuse, qui réunit plus de 400 Gilets Jaunes venu·e·s de toute la France. Il·le·s réfléchissent ensemble aux différentes formes que peut prendre le mouvement et à son avenir à plus long terme.

27 janvier : Contre-manifestation organisée par les « Foulards Rouges » à Paris (4). Il s'agit d'un collectif de sympathisant·e·s de La République En Marche (mais qui n'a pas obtenu son soutien officiel) composé d'opposant·e·s aux Gilets jaunes. Il·le·s souhaitent l'arrêt des blocages et des manifestations violentes.

5 février : Appel à la grève générale lancé par la CGT. Les Gilets Jaunes défilent aux côtés des syndicalistes.

6 mars : La haut-commissaire aux droits de l’Homme de l’ONU, Michelle Bachelet, appelle les autorités françaises à enquêter sur les violences policières commises pendant les manifestations des Gilets Jaunes depuis la mi-novembre 2018. Réponse cinglante de Paris par la voix du Premier ministre : « On n’a pas attendu le haut-commissaire de l’ONU pour faire toute la lumière sur l’ensemble des faits dès lors qu’il y a des plaintes ». Selon le ministère de l'Intérieur, 162 enquêtes judiciaires étaient alors ouvertes sur des « suspicions de violences policières » (5).

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13 mars : Le Parlement adopte la loi « anticasseurs » qui entre en vigueur un mois plus tard. L'objectif est de « renforcer et garantir le maintien de l'ordre public lors des manifestations » (6).

15 mars : Fin du « grand débat national ».

30 mars : Les Gilets Jaunes sont à nouveau dans la rue, malgré 27 arrêts d’interdiction de manifester dans plusieurs villes.

5, 6 et 7 avril : Deuxième Assemblée Des Assemblées à Saint-Nazaire.

1er mai : Gilets Jaunes et syndicats défilent dans toute la France. Il·le·s sont entre 165.000 et 310.000 selon les sources !

26 mai : Des Gilets jaunes se présentent aux Elections européennes. Leurs listes obtiennent moins de 1 %.

16 juin : Christophe Castaner, ministre de l'Intérieur, récompense des policiers et gendarmes pourtant visés par des enquêtes pour violences policières à l’encontre de Gilets Jaunes (7).

28, 29, 30 juin : Troisième Assemblée Des Assemblées à Montceau-les-Mines.

21 septembre : Des Gilets Jaunes se joignent à la « marche pour le climat et la justice sociale » parisienne.

1er, 2, 3 novembre : Quatrième Assemblée Des Assemblées à Montpellier.

2020

Mars : Pour les élections municipales, le ministère de l'Intérieur crée une nuance « Liste Gilets Jaunes » (LGJ) pour les communes de plus 3.500 habitant·e·s. Huit listes sont catégorisées ainsi et des Gilets Jaunes se présentent aussi individuellement sur d'autres listes, par exemple de La France Insoumise (LFI), du Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA), du Rassemblement National (RN) ou encore de Debout la France.
A Bordeaux, Antoine Boudinet, Gilet Jaune qui a eu la main arrachée par une grenade lacrymogène en décembre 2018, fait son entrée au conseil municipal aux côtés du militant NPA Philippe Poutou.

6, 7 et 8 mars : Cinquième Assemblée Des Assemblées à Toulouse.

25, 26 et 27 juin : Sixième Assemblée Des Assemblées en Ile-de-France.

12 septembre : Quarante groupes de Gilets Jaunes se coordonnent pour un événement national. Entre 8.500 et 20.000 manifestant·e·s sont dénombré·e·s selon les sources.

Peu de ronds-points restent encore occupés de manière permanente en France et les manifestations systématiques du samedi ont disparu.

Le mouvement s'est transformé (lire la rubrique (Ré)acteur·ice·s). Ainsi, désormais, en fonction de l'actualité, les Gilets Jaunes participent à différentes mobilisations. On les a vu·e·s, par exemple, aux côtés des militant·e·s écologistes du collectif « Extinction Rebellion » durant une action contre la surconsommation dans un grand centre commercial en région parisienne ; auprès des sapeurs-pompiers pour une revalorisation de leur salaire et le maintien de leur retraite ; avec les Réunionnais·e·s pour réclamer des mesures contre le chômage ; avec les paysan·ne·s qui luttent contre l'accaparement des terres agricoles ; ou encore avec les citoyen·ne·s qui manifestent contre le pass sanitaire…

(1) https://www.revolutionpermanente.fr/Voila-une-classe-qui-se-tient-sage-la-video-revoltante-des-146-lyceens-interpelles-a-Mantes-la?fb_comment_id=2298743046825123_2298811393484955
(2) https://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9f%C3%A9rendum_d%27initiative_citoyenne
(3) https://granddebat.fr/
(4) https://www.lesechos.fr/politique-societe/politique/foulards-rouges-contre-gilets-jaunes-la-france-coupee-en-deux-959912
(5) https://www.lemonde.fr/societe/article/2019/03/06/l-onu-demande-a-la-france-une-enquete-sur-l-usage-excessif-de-la-force-pendant-les-manifestations-de-gilets-jaunes_5432222_3224.html
(6) https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000038358582/
(7) https://www.mediapart.fr/journal/france/170719/la-promotion-gilets-jaunes-de-christophe-castaner-les-medailles-de-la-honte

 

L'opinion des Français·e·s

  • Durant le mouvement, l'institut Odoxa-Dentsu Consulting a réalisé régulièrement des sondages auprès des Français·e·s afin de connaître leur opinion sur les Gilets Jaunes. Celle-ci a évolué dans le temps.
    Ainsi, le 22 novembre 2018, deux tiers (66 %) jugeaient que le mouvement des Gilets Jaunes devait se poursuivre. Près de 8 Français sur 10 (77 %) l'estimaient justifié.
    Le 6 décembre, huit Français sur dix considèraient le mouvement « solidaire », « courageux » et « luttant pour l'intérêt général ». Néanmoins, 59 % d'entre eux le trouvaient aussi inquiétant, et 47 % « violent ».
    Le 20 décembre, près de 8 Français sur 10 (78 %) plébiscitaient le Référendum d’Initiative Citoyenne (RIC) revendiqué par les Gilets Jaunes.
    Le 28 décembre, 84 % jugeaient toujours le mouvement justifié.
    En novembre 2019, soit près d'un an plus tard, leur opinion n'avait globalement pas changé : 7 Français·e·s sur 10 estimaient que le mouvement était justifié et 6 Français·e·s sur 10 pensaient même qu'il leur avait été bénéfique. 71 % pensaient ainsi que le mouvement avait servi les plus modestes, et 60 % qu'il avait été positif pour le débat et la démocratie en France… même s'il·le·s estimaient aussi qu'il avait été négatif pour l'économie et l'image du pays à l'étranger. Les deux tiers des personnes interrogées alors pensaient qu'Emmanuel Macron n'avait pas assez tenu compte des revendications des Gilets Jaunes.
    Six Français·e·s sur 10 ne souhaitaient pas que le mouvement continue et / ou reprenne.
    En septembre 2020, un sondage de l'Ifop réalisé pour le journal Le Parisien, montrait que 51 % des Français·e·s interrogé·e·s se sentaient encore Gilets Jaunes ou les soutenaient.
    Enfin, selon une enquête Ipsos-Sopra Steria pour France Inter publiée le 17 novembre dernier, date anniversaire des trois ans du mouvement, 82 % des sondé·e·s pensent qu'aujourd'hui encore un tel mouvement pourrait ré-émerger, le pouvoir d'achat restant l'un des enjeux prioritaires des prochaines années.
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# 53 Toujours là Tue, 21 Mar 2017 13:37:42 +0100
Toujours là. Ou comment les Gilets Jaunes ont transformé leur mouvement. http://www.rebonds.net/53toujoursla/744-toujourslaoucommentlesgiletsjaunesonttransformeleurmouvement http://www.rebonds.net/53toujoursla/744-toujourslaoucommentlesgiletsjaunesonttransformeleurmouvement « « Faut-il lutter ou se soumettre ? »
Il faut se soumettre pour survivre et lutter pour continuer d'être »
Antoine de Saint-Exupéry

Parce qu'iels se sentaient invisibles, iels ont enfilé une chasuble fluorescente aux bandes réfléchissantes. Dès lors, qui pouvait prétendre ne pas les voir ?


Parce qu'iels se sentaient enfermé·e·s et esseulé·e·s, iels sont sorti·e·s et se sont regroupé·e·s. Beaucoup se rencontraient pour la première fois, beaucoup sont devenu·e·s des ami·e·s.
Et parce qu'iels avaient tant à dire, tant à hurler, tant à proposer aussi, iels ont manifesté des semaines durant, parfois avec la rage au corps et en dehors, souvent empli·e·s d'un espoir de véritable changement. L'impression de vivre, enfin, le soulèvement des masses si longtemps annoncé, trop longtemps attendu.

Je ne les ai pas vu·e·s. Pas tout de suite. Puis, quand iels me sont apparu·e·s, je les ai ignoré·e·s.
C'était à Bourges, sur une place du centre-ville. Nous étions quelques dizaines à manifester contre les violences sur la ZAD de Notre-Dame-des-Landes et pour l'abandon du projet d'aéroport, quand ont surgi dans une rue attenante des centaines de personnes, souvent à moto, réclamant le retrait de la taxe carbone. Mais de quoi pouvaient-iels bien parler ? Ne pouvait-on pas se mobiliser pour une plus juste cause ?

Dans ma campagne, pas beaucoup de ronds-points occupés. Ma route croisait finalement peu celleux qu'on appelait déjà les Gilets Jaunes. Quelques ami·e·s allaient leur rendre visite, d'autres partaient chaque samedi manifester à Paris mais peu ont passé leurs nuits dans les abris bricolés pour tenir les ronds-points. Pourtant, nombre d'entre nous avions connu d'autres luttes, monté des barricades et construit des cabanes, défilé contre tel projet de loi ou pour défendre telle cause, distribué des tracts, organisé des soirées de soutien. Se regrouper, s'organiser, dénoncer, revendiquer, se heurter à la répression…

En quoi, cette fois, était-ce différent ? De quoi avions-nous peur ?

Pour ma part, je n'ai tout simplement pas compris. Comme si, finalement, l'idée fantasmée de révolte avait pris le pas sur la possibilité qu'elle advienne vraiment. Comme un rêve dont on ne parvient pas à croire qu'il devient réalité.
Je me suis réveillée en découvrant en images les affrontements dans les rues de la capitale. J'étais sidérée.
Ce mouvement était passionnant. Semaine après semaine, ma fascination a grandi pour ces milliers de personnes qui, malgré une répression féroce, retournaient affronter leur pire ennemi : la domination. Par l'exclusion, le travail, l'argent, le pouvoir, le racisme, le sexisme, la police…

Ont-iels abdiqué ? Une fois les rues nettoyées et les ronds-points évacués, se sont-iels résigné·e·s ? Sûrement pas. Le mouvement n'a pas disparu. Il s'est transformé. C'est vrai, certain·e·s ont raccroché le gilet mais qui peut dire si c'est de manière définitive ? D'autres, beaucoup d'autres, ont créé les moyens de prolonger cette aventure et cet engagement. Ce sont elleux vers qui je vais aujourd'hui.

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Une prise de conscience populaire

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Trois ans après le premier acte du mouvement, le 17 novembre 2018, les Gilets Jaunes de Bourges ont décidé de marquer cet anniversaire : le samedi 20 novembre 2021, iels sont une centaine à participer à la soirée organisée au « 121 », une salle annexe de la Biocoop, mise à disposition des associations et collectifs locaux. « Nous sommes ici pour fêter ce soulèvement, cette prise de conscience populaire, introduit Julien, l'un des animateurs. Mais aussi pour faire connaître le mouvement à ceux et celles qui n'étaient pas Gilets Jaunes. Il ne faut pas se limiter à la parole médiatique qui, au mieux parle de nous au passé, au pire dit que nous ne sommes plus là. Alors que nous avons simplement changé de stratégie. »

Des stands sont mis en place : syndicat des Gilets Jaunes, Mutilé·e·s pour l'exemple (lire la rubrique (Re)découvrir), association des Citoyens Actifs de Bourges et Alentour (CABA)… Sur les murs, de grands tirages photographiques de Julien Gate et Serge d'Ignazio (1) qui évoquent les cortèges parisiens : des banderoles, des chants, des retrouvailles, des slogans sur des gilets… mais aussi la fumée des gaz lacrymogènes, des projectiles, des CRS…

Au micro, Gérard Grillot, dit « Gégé », « sans doute le premier Gilet Jaune du coin », témoigne devant l'assemblée. Il se souvient avoir pris connaissance de la pétition lancée par Priscillia Ludosky « pour une baisse des prix du carburant à la pompe » (lire aussi la rubrique (Re)visiter). Le 14 novembre 2018, comme une centaine d'autres Berruyer·e·s, il rejoint la réunion qui se tient sur un parking de Bourges. « C'est là que la décision a été prise de prendre trois ronds-points le 17 novembre : celui de Décathlon, celui de Conforama et celui du péage de l'autoroute. »

 

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En voyant la participation des premiers jours, il se dit qu' « il est en train de se passer quelque chose en France ».
Sept fois, il monte à Paris pour manifester. « On a tout de suite eu une mauvaise image de la part des médias qui voulaient casser le mouvement. Moi, j'ai fait partie de ceux qui ont protégé la flamme [du Soldat Inconnu] et j'ai aidé des commerçants à rentrer leur matériel pour éviter la casse. Mais la première fois, le 24 novembre, je suis venu juste avec mon gilet jaune ! Je n'avais rien pour me protéger ! Alors que les gens étaient assis et chantaient, l'ordre a été donné de gazer. » Il soupire. « Quand je suis parti vers Paris, j'étais en colère. Quand je suis revenu, j'avais la haine. »
S'en suit « une grosse désillusion » au fil des mois. Impossible de sortir de l'image de casse. Impossible aussi de faire converger les différents groupes de Gilets Jaunes qui se sont formés à Bourges, selon les convictions et les affinités, . « Il y en avait onze en mars 2019 ! » Gérard tente alors d'autres voies comme celles de l'Assemblée Des Assemblées.

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« Peut-on et doit-on sortir du capitalisme ? »

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Très vite, parce qu'iels ont senti qu'il fallait structurer le mouvement et envisager l'après ronds-points, des groupes de Gilets Jaunes ont créé une coordination nationale : l'Assemblée Des Assemblées (ADA). La première s'est tenue à Commercy (55), les 26 et 27 janvier 2019.
Parmi les questions sur lesquelles travaillent alors les participant·e·s : « quelles actions pour maintenir le rapport de force ? » « Comment s'organiser localement au-delà des ronds-points ? » « Comment assurer notre autonomie et notre survie ? » « Doit-on présenter des listes Gilets Jaunes aux élections ? » « Quelle position avoir par rapport au « grand débat » national organisé par le gouvernement ? » (2)

A l'issue de la deuxième ADA à Saint-Nazaire (44) en avril 2019, les Gilets Jaunes participant lancent plusieurs appels : pour la création d'assemblées locales citoyennes ; pour une convergence écologique ; pour une solidarité avec les peuples en luttes ; pour organiser des actions durant les élections européennes… Le mouvement tend ainsi à élargir ses revendications et son champ d'action : plus question d'exiger seulement un meilleur pouvoir d'achat ; les Gilets Jaunes affirment vouloir prendre part à la vie démocratique et à toutes les problématiques qui touchent les classes dominées.
Cette volonté est réaffirmée quelques mois plus tard, lors de l'ADA à Montceau-les-Mines (71). A l'ordre du jour, une question claire : « sortir du capitalisme : peut-on ? Doit-on ? »

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Vers une convergence des luttes

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Un an après le début du mouvement, à Montpellier, le thème du lien est au cœur des débats : « comment retrouver un lien avec la population ? » « Comment travailler concrètement avec les autres mouvements ? »
Dans un contexte d'essoufflement et de répression toujours aussi forte, les Gilets Jaunes savent qu'iels ne peuvent gagner seul·e·s et souhaitent une convergence des luttes.

En mars 2020, à Toulouse, iels travaillent davantage à la structuration de leur mouvement. La création de comités de pilotage locaux est proposée, notamment pour faire remonter plus démocratiquement les réflexions des Gilets Jaunes du terrain jusqu'à l'ADA. Une charte de valeurs est évoquée, ainsi que des outils de communication spécifiques comme des outils d'éducation populaire ou un réseau social Gilets Jaunes pour ne pas dépendre des GAFAM (3).
En juin 2021, l'ADA s'est réunie en Ile-de-France pour des ateliers sur la répression, la démocratie directe, l'écologie, l'égalité hommes-femmes, le handicap, les revenus de solidarité…
La prochaine Assemblée Des Assemblées est en préparation et pourrait se tenir à Bruxelles.

Ainsi, chaque Gilet Jaune participant à une ADA et mandaté·e par son groupe local y revient renforcé·e par des échanges, des réflexions, des connaissances, des idées d'actions qu'iel met ensuite au service des associations, collectifs et organisations auxquelles iel participe.

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« Touché et frappé par la fraternité »

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Retour à Bourges.
Dès octobre 2019, une cinquantaine de Gilets Jaunes ont voulu s'organiser en collectif puis en association dont le nom, CABA (Citoyens Actifs de Bourges et Alentour) rappelle les fins de mois difficiles. Jacques Masca a participé à sa création.
Pour lui, il était essentiel que le mouvement perdure. Engagé depuis de nombreuses années, d'abord dans un syndicat, puis un parti politique, enfin dans des collectifs comme le comité de soutien à Notre-Dame-des-Landes, il n'avait pourtant jamais connu un tel état d'esprit : « J'ai été touché et frappé par la fraternité qui existait sur les ronds-points. J'ai découvert des gens très intéressants. Je ne les connaissais pas mais, tout de suite, les barrières sont tombées entre nous. Les revendications sociales me parlaient mais ça allait au-delà : j'avais l'impression d'appartenir vraiment à un groupe. » A partir du 17 novembre 2018, il se rend deux à trois fois par semaine sur le rond-point du péage de l'autoroute. « Au départ, c'était très inorganisé mais ça causait dans tous les coins ! se souvient-il. Ensuite, par petits groupes, une sorte de discipline s'est installée, pour les manifestations ou pour rédiger des tracts. »

 

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Françoise Bernon dite « Fanfan » est sur le même rond-point. Infirmière à la retraite, elle y vient surtout les soirs et les week-ends. « Le rond-point était un vrai lieu de vie, il était occupé 24 heures sur 24. Il y avait de quoi dormir, nous apportions à manger et nous recevions des dons aussi. Progressivement, la cabane construite pour la restauration s'est agrandie. »
Pourquoi les a-t-elle rejoint ? « Je pressentais depuis des semaines que ça allait péter. Quand la fin du mois arrive le 15 et que le gouvernement continue à supprimer les acquis sociaux, ça ne peut pas tenir ! Le déclencheur, ça a été le carburant mais il y avait un tel raz-le-bol que toutes les revendications sont sorties un peu en vrac ! J'avais inscrit les miennes sur mon gilet, mais j'aurai pu avoir une traîne de dix mètres tellement il y en avait ! » Ayant l'habitude de manifester depuis l'adolescence, qu'est-ce qui l'a séduite en particulier dans ce mouvement ? « Il n'y avait pas de chef ! Tout le monde pouvait s'exprimer. Et les profils étaient très variés, on retrouvait là toute la société française : les gens venaient de milieux sociaux très différents, avec une éducation ou une culture politique très différentes aussi. »

Dans leur groupe, assure Jacques, certain·e·s ont pu tenir des propos « d'extrême droite » bien loin de ses valeurs. « Mais derrière cette façade, il y avait autre chose de plus profond. C'est ce qui m'a fait rester quand même avec eux. » Il a visité aussi les autres ronds-points, mais y a croisé des personnes plus virulentes, « prêtes à faire la révolution dans la violence », ce qui l'a effrayé. « Sur le rond-point du péage, nous avons eu cette discussion : la violence comme mode d'action. Ce n'est pas ce que nous avons retenu. »
Dans les manifestations à Paris, il est parvenu à éviter les charges de CRS. « J'ai eu peur. J'ai fini par ne plus y aller. »
En revanche, il a pris part à la manifestation nationale à Bourges le 12 janvier 2019 : 6.300 Gilets Jaunes, sur les 90.000 partout en France, y ont défilé joyeusement. La fin du cortège a été marquée par des heurts avec la police mais globalement, le rendez-vous a été un succès.

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CABA, pour prolonger les revendications

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Progressivement, le groupe auquel appartiennent Jacques et Fanfan organise des réunions avec les habitant·e·s de Bourges pour faire connaître leurs revendications et imaginer la suite. Certain·e·s rencontrent même des élu·e·s. « Là, il y a eu fissure, reconnaît Jacques. Certains Gilets Jaunes n'étaient pas d'accord. Ils se défiaient trop des institutions. » Les tensions entre les groupes, la lassitude, les difficultés familiales et économiques amenuisent les forces. « Quand la police est venue évacuer le rond-point, nous avons opposé de la résistance, mais nous étions moins nombreux. Pourtant, jamais je n'ai pensé que nous avions perdu : nous allions simplement nous transformer ! »

Les Gilets Jaunes ont-iels, malgré tout, obtenu des avancées ? « Le gouvernement est resté sourd, estime Fanfan, les dix milliards d'euros de prime annoncés par Macron, ce n'est pas une hausse des salaires ! La seule réponse que nous avons obtenue, c'est la répression. »

A Bourges, lors d'une altercation avec un automobiliste, elle a été arrêtée et placée en garde-en-vue, notamment pour rébellion envers la police. « C'était un mois après que j'aie été renversée par un véhicule des forces de l'ordre durant une manifestation contre la loi Travail. J'ai porté plainte, avec beaucoup de peine, contre la Préfecture et la Police. » Pour l'altercation, elle a été jugée pendant le confinement et a écopé de 70 heures de Travaux d'Intérêt Général (TIG) et d'amendes. « C'était pour l'exemple, prendre un Gilet Jaune pour décourager les autres... La répression a bien sûr beaucoup joué dans le délitement du mouvement. »

 

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Mais elle ne se décourage pas. Elle a quitté le gilet mais porte toujours un bracelet jaune au poignet. Elle s'investit actuellement dans le mouvement contre le pass sanitaire. « J'ai toujours de l'espoir sinon je ne retournerais pas manifester ! »
Et comme Jacques, elle participe à CABA, dont la gouvernance est collégiale : pas de président-trésorier-secrétaire, mais un collège composé de dix personnes qui ont toutes le même pouvoir de décision. « Notre but était d'organiser des rencontres, des manifestations et de chercher d'autres moyens de pressions sur le gouvernement que l'occupation de ronds-points, précise Jacques. Nos revendications principales tournaient toujours autour d'un meilleur niveau de vie, de plus d'espace dans la vie citoyenne et de plus de libertés. »

Pendant les élections municipales, CABA interpelle les candidat·e·s. Une fois le maire socialiste en place, Yann Galut, l'association demande à être reçue pour lui exposer son idée d'Assemblée citoyenne et de Maison du peuple. « On a vite compris que ça n'aboutirait pas. » En effet, la municipalité a lancé sa propre Assemblée citoyenne sans les Gilets Jaunes, en tirant au sort 300 habitant·e·s dont vingt-neuf participent actuellement.
En attendant la Maison du peuple, CABA se réunit deux fois par mois. Grâce à une souscription, le collectif s'est doté d'une caravane et projette d'organiser des cafés citoyens itinérants (4).

L'occasion sans doute d'y reparler du RIC, le Référendum d'Initiative Citoyenne, « revendication fondamentale du mouvement » selon Jacques.

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Un Référendum d'Initiative Citoyenne

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Ainsi, les Gilets Jaunes veulent aller plus loin que le RIP existant. Le RIP ? Le Référendum d'Initiative Partagée, inscrit dans la Constitution française en 2008 (5). Cette procédure permet d'organiser un référendum sur une proposition de loi, dès lors qu'elle est demandée par au moins 1/5e des parlementaires et 1/10e du corps électoral.

Problème n° 1, et c'est le Conseil Constitutionnel lui-même qui le dit dans un bilan paru en 2020 : « la procédure est dissuasive et peu lisible pour les citoyens ». En effet, qui connaît le RIP ? En mars 2020, il a fait un peu parler de lui avec la proposition de loi visant à modifier le statut des aéroports de Paris. Mais l'absence de campagne officielle pour faire connaître la procédure et l'obligation de s'inscrire sur un site gouvernemental pour participer ont limité le résultat (1.093.030 soutiens). Le Conseil Constitutionnel souligne d'ailleurs que « le nombre de soutiens à atteindre est très élevé (4,7 millions soit 10 % de l'ensemble des électeurs) et, dans le cas où il serait atteint, l'organisation d'un référendum n'est pas certaine ». En effet, ce sont les parlementaires et, en dernier recours, le président de la République, qui décident de la pertinence de son organisation.

Problème n° 2 : si le référendum venait finalement à être organisé, il resterait uniquement consultatif. « Les responsables politiques peuvent ne pas respecter les souhaits des citoyen·ne·s comme ce fut le cas en 2005, suite au référendum sur le Traité européen », rappelle la coordination des Gilets Jaunes dans un tract sur le RIC.

Problème n° 3 : le RIP ne peut porter que sur des domaines limités, c'est-à-dire l'organisation des pouvoirs publics, les réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale et aux services publics qui y concourent. Elle ne peut viser à abroger une disposition législative promulguée depuis moins d’un an.

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En quoi le RIC, le Référendum d'Initiative Citoyenne, serait différent ? Il éviterait de passer par un représentant politique. Première étape : une pétition lancée à l'initiative d'un·e citoyen·ne. Deuxième étape : une fois le seuil prévu par la loi atteint, le RIC serait déclenché. Troisième étape : l'organisation de débats via notamment un média créé pour l'occasion. Quatrième étape : l'application de la décision majoritaire.
Le RIC pourrait être législatif (force de proposition de loi), abrogatoire (pour la suppression d'une loi), révocatoire (pour le départ d'un·e responsable politique), constituant (pour modifier la Constitution).
La coordination des Gilets Jaunes cite quelques domaines qui pourraient être débattus lors d'un RIC : « comptabilisation des votes blancs lors d'une élection », « contrôle de la défiscalisation », « indexation des retraites », « prise en charge du handicap », « préservation des services publics », « soutien à l'agriculture biologique »…
Des procédures proches du RIC existent déjà dans des pays comme la Suisse avec le système de votation y compris à des échelles locales, mais aussi en Italie avec les référendums d'initiative populaire prévus par la Constitution

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Un syndicat en contre-pouvoir

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La caravane itinérante de Bourges pourrait apporter un autre message : les Gilets Jaunes ont créé un syndicat. Pas symboliquement, mais légalement. Il impulse des sections partout en France, désigne des représentant·e·s au sein des entreprises, participe aux élections professionnelles, informe les travailleur·se·s sur leurs droits et les défend en cas d'abus.
Lancé le 17 octobre 2020 pour les deux ans du mouvement, l’union des Syndicats Gilets Jaunes (SGJ) est en fait la continuité de l’Union des Syndicats Indépendants Démocratiques (USID).

S'il a les mêmes prérogatives, il tient cependant à se distinguer des syndicats « historiques » tels que la CGT ou la CFDT. Yann Rucar, représentant du SGJ à Bourges, explique : « Un phénomène de co-gouvernance s'est institué entre le patronat et les syndicats. Le problème ? C'est le patronat qui fixe le cadre. Les syndicats sont devenus des organisations miroirs du patronat. » Il souligne également le poids des subventions publiques dans le fonctionnement des organisations syndicales, qui empêche leur indépendance, et le choix du légalisme comme unique mode d'action. « Nous l'avons vu avec la mobilisation contre la loi Travail. Le respect du service minimum a rendu les grèves ineffectives. »

 

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Le SGJ s'inscrit davantage dans un « héritage de l'anarcho-syndicalisme ». D'abord, parce que tous les mandats de ses représentant·e·s sont impératifs et révocables. En clair : iels sont désigné·e·s pour une mission précise qu'iels ne peuvent pas transformer seul·e et à laquelle iels ne peuvent déroger sous peine d'être immédiatement exclu·e·s. Ensuite, iels sont indépendant·e·s du pouvoir financièrement : pas de subventions ; uniquement des cotisations des adhérent·e·s et des dons. Enfin, l'enjeu n'est pas de devenir un partenaire social de l’Etat, mais bien un contre-pouvoir.
« Les partenaires sociaux… Ils accompagnent les réformes, ils ne les contestent pas, souligne Louise, secrétaire-adjointe générale du SGJ. Avec ce qui se passe en France, les syndicats comme la CGT et la CFDT devraient être vent debout ! Ils ont du pouvoir et beaucoup d'argent. S'ils alimentaient des caisses de grève, et ils le pourraient vu leurs comptes, ça bougerait en France ! Mais ils ont trop peur pour leurs privilèges. »

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« Le plus important, c'est la capacité à agir »

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Autre différence notable : « tout le monde est solidaire ». « En France, vous le voyez bien, on revendique souvent par profession : les pompiers, les enseignants, les infirmières... Et bien pas nous : quel que soit le métier, le statut, le lieu de travail… Tout le monde est solidaire. C'est ça, l'esprit Gilets Jaunes ! »
Actuellement, le syndicat est présent dans de grandes enseignes telles que Amazon, Carrefour, la Fnac mais aussi auprès des professionnels de santé. A chaque fois qu'il s'implante dans une nouvelle entreprise, il reçoit une attaque en règle au tribunal contre sa légitimité. « Le but est de dissuader les militant·e·s, dénonce Louise. Quand vous recevez une convocation au tribunal, ça peut faire peur ou décourager. » Mais le SGJ l'a toujours emporté, le 15 novembre dernier encore, contre Adecco, entreprise de travail temporaire.

Combien d'adhérent·e·s le syndicat compte-t-il ? « Nous ne communiquons pas sur ce chiffre, répond Louise. C'est stratégique. Nous ne voulons pas que le gouvernement sache ce que nous pesons. Le plus important, ce n'est pas le nombre, c'est la capacité à mobiliser et à agir. » Et la représentativité : depuis 2019 en effet, les syndicats autorisés à négocier avec le gouvernement sont ceux qui enregistrent le plus de votes lors des élections professionnelles, pas ceux qui ont le plus d'adhérent·e·s. Le prochain scrutin aura lieu en 2023. D'ici là, le SGJ entend se déployer. Des permanences ont lieu à Paris et à Lens, et des temps d'informations s'organisent localement comme le 20 novembre à Bourges. Avec, partout, un slogan qui rappelle que l'esprit Gilets Jaunes souffle toujours : « Nous avons retrouvé la fraternité, imposons la liberté et l’égalité » (6).

Fanny Lancelin

(1) Serge d'Ignazio est collaborateur de la revue Basta !, auteur des photographies parues dans le livre « On est là ! » aux éditions Adespote : https://www.revolutionpermanente.org/On-est-la-l-ouvrage-photo-qui-sublime-les-Gilets-Jaunes-Interview-avec-Serge-D-Ignazio
(2) Les comptes rendus des ADA sont lisibles via le lien https://www.giletsjaunes-coordination.fr/ada/
(3) Géants du numérique : Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft.
(4) L'association CABA se réunit le premier vendredi et le troisième samedi de chaque mois à Bourges. Le lieu est annoncé quelques jours avant. Pour en être informé·e·s, inscrivez-vous sur le mail : collectif.caba18@protonmail.com
(5) Article 11 de la Constitution : https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000019241004/
(6) Plus d'informations sur le Syndicat des Gilets Jaunes : https://syndicatgj.fr

 

Des Gilets Jaunes aux élections ?

  • En 2020, le ministère de l'Intérieur, alors dirigé par Christophe Castaner, a introduit une nuance « Gilets Jaunes » pour les listes candidates aux élections municipales. Lors d'un dépôt de candidature, le ou la candidat·e est invité·e à déclarer son étiquette (nom du parti politique auquel iel appartient ou tendance). Les sans étiquette se voient attribuer une nuance : « écologiste », « animaliste » ou encore « régionaliste », par exemple. Comment est-elle fixée ? A la discrétion des préfet·e·s qui se baseraient sur des déclarations officielles, des soutiens ou encore la trajectoire politique du / de la / des candidat·e·s !

    Ainsi, pour les élections municipales, des listes s'étaient vu attribuer la nuance « Gilets Jaunes », parfois contre leur gré… (lire aussi la rubrique (Re)visiter).
    Il est en tout cas indéniable que certain·e·s Gilets Jaunes aient voulu poursuivre la lutte en s'engageant en tant qu'élu·e·s.

    Qu'en est-il pour le prochain scrutin présidentiel ? La Coordination nationale des Gilets Jaunes répertorie quatre candidat·e·s Gilets Jaunes, c'est-à-dire dont les propositions de campagne sont proches de leurs revendications : Clara Egger (Espoir RIC), Alexandre Langlois, Jean Lassalle (Résistons), Fabrice Grimal (LCC). Sur son site Internet, la Coordination analyse les candidatures en présentant points forts et points faibles.
    D'autres candidat·e·s sont jugé·e·s « Gilets Jaunes en apparence seulement » comme Jean-Luc Mélenchon (LFI), Jacline Mouraud et Eric Drouet, anciennes figures médiatiques du mouvement. Jacline Mouraud a récemment déclaré se rallier à Eric Zemmour.

    Le portail de la Coordination nationale des Gilets Jaunes regroupe toutes les informations récentes sur le mouvement. Rendez-vous sur : https://www.giletsjaunes-coordination.fr/

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# 53 Toujours là Tue, 21 Mar 2017 12:54:42 +0100