# 60 LGBTQIA+ (juillet 2022) http://www.rebonds.net/60lgbtqia Thu, 11 May 2023 19:10:17 +0200 Joomla! - Open Source Content Management fr-fr Lutte de classe, luttes LGBTI : même combat http://www.rebonds.net/60lgbtqia/792-luttedeclasseluttelgbtqimemecombat http://www.rebonds.net/60lgbtqia/792-luttedeclasseluttelgbtqimemecombat Lou est membre de l’Union Syndicale Sud Solidaires. A l’occasion des rencontres des syndicalistes autogestionnaires et libertaires qui se sont tenues à Montreuil en mai (lire aussi le numéro 59 de (Re)bonds), elle s’est exprimée sur le nécessaire rapprochement entre lutte des classes et luttes LGBTI (1). Dans cet article, elle revient sur cette problématique.


Les mobilisations LGBTI sont de plus en plus médiatisées et massives mais, à mesure que le temps passe, donner un caractère revendicatif, comme parler des liens entre les LGBTIphobies et le système capitaliste, devient de plus en plus complexe.

Si la question LGBTI et la question de classe (2) peuvent apparaître de prime abord comme n’ayant aucun lien, on observe que face à la violence capitaliste comme face à l’oppression LGBTIphobe, des résistances prennent forment et se rejoignent. Ce fut le cas en 1984-1985 lors de la grande grève des mineurs face à la délocalisation des mines, où les « LGSM » (3), des comités de soutien homosexuels se sont mis en place pour soutenir les grévistes. Les groupes LGSM se sont fondés sur le constat du parallèle entre l’oppression capitaliste subie par les mineurs et celle homophobe subie par les lesbiennes et les gays. Ces violences se manifestaient notamment à travers une campagne permanente de dénigrement médiatique, ainsi qu’une forte répression policière. Le témoignage de leur solidarité entraîna de forts liens entre les deux mouvements, notamment avec l’apparition des syndicats de mineurs lors des marches des fiertés ou avec la défense syndicale et politique de l’égalité des droits.

Cet exemple historique devrait nous servir à l’heure où (dans le contexte européen) les luttes sont éclatées en raison des divisions alimentées par le libéralisme. Le constat que nous pouvons dresser des liens entre le mouvement LGBTI et le syndicalisme de lutte est le suivant : d’une part, des marches des fiertés massives mais qui ont perdu de leur aspect revendicatif pour se concentrer sur une ambiance festive dépolitisée et donc, aisément récupérable par les pouvoirs privés. D’autre part, des organisations syndicales de lutte qui, si elles fournissent un travail d’analyse, de revendication et de formation de grande qualité concernant la lutte contre les LGBTIphobies dans le monde du travail et des études, voient trop peu souvent ce matériel être utilisé par les syndicats locaux et les Unions départementales.

Pourtant, un échange sur les modes d’actions et de pression permettant d’établir un rapport de force face aux oppresseurs, ainsi que l’établissement d’une convergence entre syndicats et mouvement LGBTI s’avèrent aujourd’hui être une des priorités pour gagner des batailles et défendre des acquis, que ce soit pour lutter contre les discriminations ou contre le recul social.

Il ne faut pas sombrer dans le piège qui est de concevoir le mouvement syndical et le mouvement LGBTI comme cloisonnés, séparés, autant historiquement qu’en ce qui concerne les groupes sociaux qui les composent. Ce préjugé est à abattre si l’on veut travailler à des ripostes efficaces face aux dominations comme à la transformation de la société. En effet, il s’ancre dans l’idée que la classe ouvrière et les LGBTI sont deux entités séparées, ce qui est complètent faux. Les LGBTI sont en immense majorité des travailleurs et des travailleuses, et ils et elles sont dans tous les secteurs de la production : du médico-social à la logistique en passant par l’éducation et la métallurgie.

 

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De ce fait découle une réalité essentielle à saisir si l’on veut comprendre pourquoi la lutte LGBTI et la lutte de classe sont deux éléments reliés : lutter pour les droits de l’entièreté des travailleurs et travailleuses, c’est lutter pour les droits LGBTI.
Par exemple : comment peut-on revendiquer une prise en charge gratuite des transitions ainsi qu’une formation des personnels à ces enjeux, si l’hôpital public est en proie à des attaques depuis des années par le patronat et ses gouvernements ? La revendication d’un investissement massif pour des services publics hospitaliers de qualité semblerait alors bénéficier à toute notre classe tout en bénéficiant plus précisément aux LGBTI.
De même, concernant la revendication d’une sécurité sociale du logement garantissant un toit pour toutes et tous. Elle serait plus particulièrement utile pour combattre les discriminations homophobes qu’un grand nombre de couples homosexuels vivent lors de la recherche de logements.
Et quand on sait qu’un grand nombre de violences LGBTIphobes ont lieu au sein de la cellule familiale, la revendication d’un salaire étudiant formulée par les organisations syndicales étudiantes de lutte paraît bénéficier au plus grand nombre, tout en servant plus particulièrement l’intérêt des étudiant·es LGBTI qui vivraient des violences familiales, et qui pourraient ainsi plus facilement prendre leur indépendance et fuir ces dernières.

Ces revendications doivent évidemment se coupler avec celles, plus spécifiques, concernant directement les LGBTI (mariage et PMA pour toutes et tous…). Mais le combat social et syndical pour l’ensemble de notre classe doit urgemment être réinvesti par les militant·es LGBTI, de même que les revendications concernant le monde du travail. L’outil syndical doit également être utilisé pour lutter contre les LGBTIphobies au sein des entreprises, collectivités et centres de formation face aux directions ou aux collègues. Une dynamique de formation doit également être mise en place et ce, toujours en lien avec les structures d’éducation et d’accompagnement sur les questions de genre et de sexualité, comme au planning familial ou les associations de luttes contre le VIH.

Une autre tâche incombant aux organisations syndicales serait leur (ré)apparition dans les marches des fiertés d’où elles ont bien souvent été chassées, pour y rapporter un discours de classe mais aussi défendre des revendications spécifiques LGBTI avec combativité, toujours en lien avec les organisations LGBTI de luttes. Idem concernant les apparitions dans les marches lesbiennes et à l’existrans-inter, tout cela évidemment avec un travail de fond concernant l’action syndicale contre les LGBTIphobies que nous avons évoquée plus haut.

Nous l’avons vu, la division « luttes sociales »/ luttes sociétales » est obsolète. Il suffit de voir qu’à chaque fois qu’une attaque est faite à notre classe (précarisation, réformes antisociales, casse du code du travail…) ce sont les femmes, les habitant·es des quartiers populaires, les non blanc·hes et les LGBTI qui sont en première ligne. Donc, quand le mouvement syndical de lutte se met en ordre de bataille contre ces attaques, c’est aussi avec un prisme LGBTI et contre toutes les dominations !

Les syndicalistes de lutte et les militant·es LGBTI ont des divisions à combattre et des convergences à construire, face à nos ennemis communs : le patronat, son gouvernement et l’extrême droite. C’est en unifiant nos forces que l’on parviendra à mener des luttes victorieuses ; c’est en comprenant ce qui nous unit que l’on pourra transformer la société et faire comprendre que ce soit pour les cheminots, le personnel médical, les homos, les trans et les intersexes : il n’y a pas de lobby, il n’y a pas de privilèges ; il n’y a que des combattantes et des combattants !

Lou, syndicaliste à l’Union Syndicale Solidaires

(1) LGBTI : Lesbiennes, Gays, Bisexuel·les, Trans, Intersexes.
(2) Par « classe », j’entends « classe sociale », soit l’appartenance au « prolétariat » la classe des travailleurs et travailleuses (y compris en formation ou privé·es d’emploi, du public comme du privé) ou à « la bourgeoisie », la classe des propriétaires des moyens de produire (patrons, grands actionnaires…)
(3) LGSM : Lesbians and Gays support the miners, soit « lesbiennes et gays en soutien aux mineurs ».

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# 60 LGBTQIA+ Tue, 21 Mar 2017 13:37:42 +0100
La non-mixité http://www.rebonds.net/60lgbtqia/793-lanonmixite http://www.rebonds.net/60lgbtqia/793-lanonmixite La non-mixité : une pratique valorisée lorsqu’elle est imposée par la classe dominante et condamnée lorsqu’elle est choisie par la classe opprimée. C’est ce que nous explique Ophélie, qui a suivi un master « Etudes sur le genre » et réalisé son mémoire sur la question de la non-mixité.

La non-mixité est un concept qui a fait couler beaucoup d’encre ces dernières années, notamment suite à la popularisation de la pratique au sein des associations et des collectifs engagé·es dans les luttes sociales comme le syndicat étudiant UNEF, par exemple. Parmi les objections : la non-mixité serait excluante. Mais qui sont les personnes qui émettent ces critiques ? Il s’agit presque exclusivement de personnes habituellement issues de groupes dominants. Des groupes dominants qui pratiquent pourtant la non-mixité, notamment dans les milieux politiques. La différence majeure se trouve dans les raisons de la mise en place d’espaces et d’activités non-mixtes. On ne condamne que la pratique mise en place par les opprimé·es. Pourquoi ? Revenons sur le concept de non-mixité pour comprendre en quoi il est nécessaire de créer des espaces qui offrent sécurité et soutien aux personnes opprimées. Si l’on souhaite évoluer vers une société plus encline à favoriser l’égalité, voire l’équité (il est autorisé de rêver à l’idéal), il est essentiel de passer par la non-mixité.

Définitions

Commençons par définir ce qu’est la mixité. Le terme apparaît en tant que substantif dans les années 1950 comme directement associé à la mixité scolaire.
Pour autant, le terme mixte (1) est plus ancien et à la fin du XIXe siècle, il désigne « la coexistence des deux sexes (2) ».
Il faut attendre les années 1990 pour que la mixité s’ouvre à d’autres milieux que celui de la scolarité et à « d’autres diversités que celles des sexes [comme la] mixité sociale, mixité culturelle, mixité religieuse, mixité spatiale en relation avec la réflexion politique pour davantage d’égalité dans la société. (3) ». Lorsque l’on aborde le concept de mixité, il s’agit exclusivement d’une association entre ce qui est différent et semblable, il est malheureusement « très difficile de le percevoir comme multiple et complémentaire. (4) »

Au XXIe siècle, Le Petit Larousse propose une définition encore liée à l’école et au sexe des personnes : « Mixité n.f. Caractère d’un groupe, d’une équipe, d’un établissement scolaire comprenant des personnes des deux sexes ». On peut trouver une définition plus détaillée dans l’Encyclopædia Universalis en ligne qui propose notamment deux définitions : la mixité est le « caractère de ce qui est formé d’éléments de natures différentes » ou le « caractère de ce qui est composé de personne des deux sexes ». La mixité est donc un concept qui représente un ensemble de composantes différentes. Il s’agit d’un principe toujours communément utilisé pour désigner des êtres humains, notamment femmes et hommes.

La mixité existe sous différentes formes : nous pouvons par exemple penser au souhait politique d’établir une mixité sociale au sein de la ville. En effet, les politiques urbaines se sont imprégnées de la mixité et « dès le tournant du XIXe siècle, les premiers programmes de logements sociaux et leur intégration dans la ville [ont vu le jour] » (5). La mixité y est présente dans les esprits et tente de s’appliquer dans les pratiques.
La mixité dans le cadre des relations humaines peut être positive et nécessaire comme elle peut être rejetée, implicitement ou explicitement. On pense par exemple à des milieux tels que la politique qui est un univers encore très fermé aux femmes, un milieu qu’il est encore difficile d’identifier comme mixte. Cet exemple permet d’aborder la question de l’acceptation : il y a des temps et des lieux non mixtes (souvent en défaveur des femmes ou des minorités) qui ne posent que peu, voire pas de questions.

Puisque la mixité est l’ensemble de parties semblables, la non-mixité serait une division. On peut se rappeler ce que dit Caroline de Haas à propos de la critique de la pratique de la non-mixité : « (…) Quand 15 ou 20 femmes décident de se réunir entre elles, le nombre de tweets et de papiers que cela peut déclencher. Il se passe chaque jour à la surface de la planète des centaines de réunions politiques, syndicales, professionnelles composées à 100 % d’hommes sans que cela ne froisse personne. » (6)
L’autrice évoque ici la non-mixité entre les femmes et les hommes, mais dans la suite de son intervention, elle s’attarde sur les participants à ces réunions qui sont majoritairement des hommes blancs, cisgenres et hétérosexuels. La non-mixité de ces réunions « composées à 100 % d’hommes » dépasse donc largement le cadre exclusif du genre puisqu’il s’agit également d’une non-mixité raciale et économique.
Les non-mixités sont donc plurielles ; il existe de nombreuses variables.

Non-mixités imposées

Les non-mixités imposées et donc subies désignent l’exclusion des femmes, par principe, de toute vie politique. Il s’agit donc d’une situation qui « va de soi » et qui ne laisse pas le choix aux personnes qui sont exclues et qui deviennent petit à petit des personnes qui ne sont plus concernées.

Il s’agit d’une exclusion arbitraire, divisant la population sur des critères abstraits, tels que la condition biologique pour les femmes. En effet, afin d’exclure les femmes du monde public, les organisations d’hommes mettent en avant la nature fragile des femmes et leur rôle important au sein de la famille en tant que bonne épouse et bonne mère, ne laissant pas de place à une vie active en dehors du foyer.

Les non-mixités excluant les femmes existent donc depuis de nombreuses années. Mais ce système a commencé à poser question. L’absence de femmes dans le milieu de la politique a créé un fantasme poussant à croire que leur présence (qui amènerait à la mixité) suffirait à assurer l’égalité. Cette égalité en politique n’est pas numérique : elle est envisagée par les hommes plutôt avec 80 % d’hommes pour 20 % de femmes. On se rapproche ainsi de la mixité sans pour autant provoquer une féminisation du milieu concerné. La situation change sans être bouleversée ; les femmes restent majoritairement exclues.

La parité (qui se définit de deux manières : d’abord dialectique comme le fait d’être pareil·le, puis en mathématique comme un nombre pair) inquiète les hommes cis : l’exclusion ne se fait jamais sans crainte, pour les populations dominantes, d’un retournement de situation des populations dominées.
Comme le rappelle Caroline de Haas, la mixité ne garantit pas l’égalité. D’ailleurs, nous pouvons penser à Marcel Roncayolo, urbaniste et géographe français, qui a expliqué que « certaines mixités peuvent être ségrégatives. » (7) En effet, la mixité et la parité, qui symbolisent un ensemble égal de parts différentes, sont parfaitement présentes dans les familles et couples hétérosexuel·les. Pourtant n’est-ce pas aussi un lieu d’inégalités ?

 

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Non-mixités choisies

Les non-mixités choisies sont l’expression d’une réappropriation des luttes sociales : ce sont les opprimé·es qui s’organisent pour elleux et par elleux, sans attendre que les groupes dominants leur laissent une place dans la société. Les non-mixités choisies font échos à la théorie de l’auto-émancipation. Claire Donnet, docteure en sociologie des religions au laboratoire Dynamiques européennes à l’Université de Strasbourg, explique que la théorie de l’auto-émancipation appréhende la non-mixité choisie « comme la condition pour que les expériences de discrimination et d’humiliation puissent se dire sans crainte. Les groupes mixtes de lutte (dominant[e]s/dominé[e]s) auraient tendance à reproduire la vision dominante du préjudice subi par le groupe dominé. » (8)

La théorie de l’auto-émancipation est une théorie politique. Dans les années 1960, ce sont les mouvements américains en lutte mixte pour les droits civils qui ont décidé d’évoluer vers une lutte non-mixte en créant des groupes fermés aux blanc·hes. Cette non-mixité choisie permet aux individus dominés de s’exprimer librement avec colère, tristesse et révolte concernant les oppressions et discriminations qu’iels subissent, sans devoir se justifier. Cette non-mixité est également essentielle dans la lutte pour l’émancipation car elle permet de se détacher de l’emprise des groupes dominants et ainsi, de valoriser le savoir situé : c’est en étant concerné·e que l’on peut analyser pleinement les enjeux d’une situation.
Donna Haraway, biologiste et philosophe féministe, défend l’idée que le savoir est « produit par des sujets qui sont construits par leurs conditions de vie, par leur rapport aux normes sociales, par l’époque historique dans laquelle illes vivent, etc. Cela remet en cause l’idée qu’un savoir neutre, objectif et universel est possible. » (9)
La non-mixité choisie, en plus d’offrir un lieu sécurisant pour les personnes, a également une dimension politique puisque les pratiquant·es refusent l’ordre établi et « ces expériences restent une pratique et une action politiques d’exception qui sont autant de brèches dans l’ordre de la domination[...] » (10).

La pratique de la non-mixité permet alors aux personnes de se sentir en sécurité dans un environnement qui n’est pas hostile. Elle libère la parole et développe l’auto-émancipation, par les personnes opprimées pour les personnes opprimées. Cette non-mixité s’exprime de différentes façons, en fonction des caractéristiques de chacun·e, mais également en fonction de l’histoire. En effet, les femmes expérimentent le sexisme différemment, de manière peu ou prou traumatisante et violente. D’ailleurs, « l’oppression des femmes ne connaît aucune frontière ethnique ou raciale, c’est vrai, mais cela ne signifie absolument pas qu’elle est identique au sein de ces différences » (11). C’est pourquoi, avoir la possibilité de parler de son vécu est important. Mais pour cela, il faut pouvoir se sentir libre de ses mots. C’est aussi le cas pour les personnes qui souhaitent s’exprimer à propos de leur expérience du racisme, du handicap ou des oppressions subies concernant les préférences sexuelles et l’identité de genre, notamment.

Il est également nécessaire pour les personnes exclues de prendre conscience de cette exclusion. Car c’est en ayant pleinement compris sa situation d’opprimé·e dans son ensemble systémique que l’on peut commencer à envisager une lutte pour l’acquisition d’un statut plus égalitaire voire équitable. Et pour ce faire, il est essentiel que les personnes issues des groupes dominants comprennent que leur exclusion dans certains milieux militants ne se fait pas contre elles mais bien pour les personnes victimes des oppressions. Ainsi, la non-mixité choisie ne se met pas en place contre –
les dominant-es – mais pour – les opprimé-es.

Les relations et interactions humaines sont la plupart du temps des échanges en 50– 50, les personnes qui excluent sont responsables de leur acte et de leurs mots et doivent comprendre les réactions des personnes exclues ; celles-ci sont responsables de leurs manières d’interpréter cela et elles doivent elles aussi comprendre pourquoi elles sont exclues. Concrètement, cela implique l’obligation pour les hommes d’entendre et de comprendre pourquoi certaines associations, certaines réunions, certaines conférences leur sont fermées.

Comme évoqué précédemment, l’expérience des non-mixités permet aussi l’identification à un groupe pour se sentir soutenu·e, être solidaire avec d’autres personnes, mais aussi exprimer une certaine fierté à pouvoir s’engager dans une cause qui est importante et personnelle. Le concept même d’identité est assez récent. Il a été appliqué pour la première fois à des groupes dans les années 1960 par Erving Goffman, généralement dans le cas de personnes victimes de discrimination. Ce sont les Afro-Américain·es qui se sont approprié·es en premier la notion d’identité appliquée à des groupes, c’est-à-dire « des groupes victimes de discriminations pour lesquels l’affirmation d’une identité était une façon de retourner le « stigmate » qui les différenciait en en faisant un élément de fierté » (12).

Comme le souligne Anne-Marie Thiesse, « c’est quand il se sent menacé qu’un groupe éprouve la nécessité de radicaliser sa différence par rapport aux autres » et la non-mixité est une forme de radicalité puisqu’elle est excluante, encore plus lorsqu’elle est choisie et assumée. Et c’est quand elle est choisie et assumée qu’elle pose question, car dans notre société alimentée par un universalisme total, il n’est pas reconnu que les êtres sont traités différemment puisqu’il est affirmé que nous naissons et demeurons libres et égaux en droits. Pourtant, les faits sont tout autres et si certaines populations passent par la non-mixité choisie, c’est avant tout pour contrer l’exclusion de fait imposée par des habitudes sociales et sociétales basées sur des stéréotypes et des principes racistes, sexistes, homophobes, validistes...

Les non-mixités dans l’Histoire

La non-mixité est-elle un phénomène récent ? Non. Des exemples à travers différentes époques le prouvent.
La non-mixité n’est pas exclusivement féministe, elle s’exprime depuis longtemps loin du militantisme. En effet, comme nous l’avons dit précédemment, la mixité en France est directement associée à l’instruction et aux établissements scolaires et c’est alors la non-mixité qui est préconisée. D’ailleurs, « [l]a Révolution française a […] élaboré un ensemble de principes qui seront appliqués au cours du XIXe siècle. Celui de la séparation des sexes dans l’école comme dans l’éducation en général, bien posé par la Réforme catholique (XVIe, XVIIe siècles) pour des raisons de moralité [...]. (13) » Ainsi, on pense que mélanger les sexes contribuerait à pervertir les jeunes gens et que cela nuirait à la vie (familiale, politique, sociale) des êtres humains.

Par ailleurs, la non-mixité institutionnelle existe toujours en France dans certains établissements scolaires et dans tous les établissements pénitentiaires (bien que depuis l’assouplissement de la loi concernant la mixité en prison de 2009, la prison de Bordeaux permet à des détenu·es femmes et hommes de travailler côte à côte depuis 2015 tant que la tranquillité et la sécurité règnent, puisqu’en prison la mixité est directement associée à un risque pour la sécurité.). Cette non-mixité institutionnelle n’est que rarement interrogée. Les détracteur·ices de la non-mixité s’attardent davantage sur la non-mixité choisie et militante.

Une pratique de la non-mixité comme outil du militantisme est utilisée et revendiquée à « l’international dans les années 1960 par les Afro-Américain·es qui luttent alors pour leurs droits civiques. Le 29 octobre 1966, Stokely Carmichael, tout juste nommé président du Comité de coordination non violent des étudiants (SNCC), s’écrie « Black Power » devant la foule. Ce slogan devient alors le synonyme du combat des personnes noires pour les et par les personnes noires, impliquant ainsi la nécessité de s’organiser entre elleux. Stokely Carmichael exprime d’ailleurs avec détermination le besoin d’agir pour elleux lorsqu’il affirme : « qu’iels le veuillent ou non, nous allons utiliser le mot « Black Power » et les laisser en parler ; mais nous n’allons pas attendre que les Blanc·hes sanctionnent Black Power. » (14). Cette non-mixité n’exclut par les blanc·hes mais les invitent à lutter contre le racisme au sein de la communauté blanche, laissant ainsi la parole aux concerné·es. Le « Black Power » est un slogan d’auto-émancipation, car malgré l’aide de certain·es blanc·hes dans la lutte contre le racisme dans les années 1960, celleux-ci sont inévitablement en situation de domination (la politique de ségrégation raciale est toujours fortement d’actualité à cette époque). D’autres groupes de lutte contre le racisme revendiquent leur non-mixité à l’instar des Blacks Panthers, qui n’ouvrent pas les portes de leur association aux blanc·hes.

Plus tard, dans les années 1970, différents groupes féministes afro-américains décident de s’éloigner et « [e]n 1973, à New York, des féministes afro-américaines jugent nécessaire de former un groupe séparé, qui deviendra la National Black Feminist Organization (NBFO). (15) »

En France, le MLF (Mouvement de Libération des Femmes) fait également le choix de la non-mixité. Les membres du mouvement l’expliquent dans le numéro de Partisans consacrés à la « Libération des Femmes année zéro » de 1970.
Elles ont pris conscience « qu’à l’image de tous les groupes opprimés, c’était à [elles] de prendre en charge [leur] propre libération. En effet, si désintéressés soient-ils, les hommes ne sont pas directement concernés et retirent objectivement des avantages de leur situation d’oppresseurs. Seule l’opprimée peut analyser et théoriser son oppression, et par conséquent choisir les moyens de la lutte » (16). Avec cette affirmation, les militantes du MLF mettent en avant la théorie de l’auto-émancipation qui se développe déjà aux États-Unis : elles affichent leurs inspirations et montrent que les luttes et causes militantes sont internationales.

Enfin, de nos jours, la non-mixité militante devient légitime et fait sa place. Si la non-mixité choisie est un soulagement dans les milieux en luttes, c’est parce qu’elle garantit une plus grande égalité dans ces groupes, tout en sortant du mythe de l’égalité universaliste. Ainsi, différentes associations et différents collectifs féministes arborent une non-mixité au sein de leur groupe (non-mixité de genre comme l’association Une Chambre à Nous ; non-mixité raciale comme le collectif MWASI ou encore non-mixité religieuse comme l’association Lallab) ou plus ponctuellement avec des réunions en non-mixité comme l’association GARCE par exemple ou encore NUIT DEBOUT. Bien que ce dernier ne soit pas un mouvement féministe, il est pertinent de l’évoquer puisque la mise en place de réunions non-mixtes pour les femmes et minorités n’a pas été une initiative très bien accueillie, surtout par certains hommes participant pourtant à NUIT DEBOUT et étant donc sensibilisés aux différentes formes de discriminations (notamment celles liées au statut socio-économique).
Pourtant, comme évoqué précédemment, la non-mixité, au lieu d’être comprise comme étant nécessaire pour les personnes, est encore critiquée et rejetée, car considérée comme discriminante.

Pour conclure, si la non-mixité choisie se généralise de plus en plus, c’est que la société et notamment les responsables politiques, ont échoué dans l’inclusion de tous les individus constituant sa société. Bien qu’il existe un cadre légal, notamment avec la loi sur la parité, cela n’a pas permis la création d’un consensus social considérant chaque être humain de façon égalitaire. Ainsi, lorsque les espaces privés et publics sont majoritairement habités par des hommes cis, il est logique que les exclu·es s’organisent ensemble pour créer l’espace qui ne leur est pas accordé au sein de la société.
La pratique de la non-mixité choisie devient alors essentielle si l’on souhaite, un jour, évoluer dans une société véritablement équitable.

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(1) Le terme « mixte » vient du latin miscere qui signifie « mélanger ».
(2) Une histoire de la mixité - Les Cahiers pédagogiques, http://www.cahiers-pedagogiques.com/Une-histoire-de-la-mixite, consulté le 28 avril 2018.
(3) IBID.
(4) IBID.
(5) Lehman-Frisch Sonia, « La ségrégation : une injustice spatiale ? Questions de recherche », Annales de géographie, 2009, no 665‐666, pp. 94‐115.
(6) Haas Caroline de, De l’utilité de la non-mixité dans le militantisme, https://blogs.mediapart.fr/carolinedehaas/blog/210416/de-l-utilite-de-la-non-mixite-dans-le-militantisme
(7) Roncayolo M. (2001), « Mixité sociale et ségrégation : la dimension historique », IAURIF.
(8) Donnet Claire, « Des féminités pieuses et la calcification des normes de genre, Pious Femininities and the Crystallisation of Gender Norms », Cahiers du Genre, 15 décembre 2014, no 57, pp. 183‐201.
(9) Mona Gérardin-Laverge et Anne-Claire Collier, « Circulation et production des savoirs. »
(10) Breaugh Martin, « Que faire du désordre ? », Tumultes, 24 juin 2013, no 40, pp. 163‐179.
(11) Lorde Audre, Sister Outsider, Mamamélis., 2003, 212 p. p76.
(12) Propos d’Anne-Marie Thiesse, historienne et directrice de recherche au CNRS, in Wieder Thomas, « Aux racines de l’identité nationale », Le Monde.fr, 06/11/2009. Disponible à l’adresse : https://www.lemonde.fr/politique/article/2009/11/06/aux-racines-de-l-identitenationale_1263699_823448.html
(13) Pezeu Geneviève, « Une histoire de la mixité », Les Cahiers pédagogiques, no 487.
(14) Citation originale : « [...] whether they like it or not, we gonna use the word “BlackPower” and let them address themselves to that; (applause) but that we are not goin’ to wait for white people to sanction Black Power ».
(15° Dorlin Elsa, « De l’usage épistémologique et politique des catégories de « sexe » et de « race » dans les études sur le genre, The epistemological and political usage of the “sex” and “race” categories in gender studies », Cahiers du Genre , 2005, n o 39, pp. 83 -105.
(16) Jacquemart Alban et Masclet Camille, « Mixités et non-mixités dans les mouvements féministes des années 1968 en France » , Clio, 2017, n o 46, pp. 221 ‐ 247.

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# 60 LGBTQIA+ Tue, 21 Mar 2017 13:37:42 +0100
Comment se réapproprier l’espace public ? http://www.rebonds.net/60lgbtqia/791-commentsereapproprierlespacepublic http://www.rebonds.net/60lgbtqia/791-commentsereapproprierlespacepublic « L’endroit où je m’intégrerai n’existera pas tant que je ne l’aurais pas créé. »
James Baldwin

C'est au sein de sa pratique professionnelle que Sarah Szymanski, psychologue en Centre Hospitalier, a constaté le manque d’associations vers lesquelles envoyer les patient·es issu·es de la communauté LGBTQIA+ (1), si ce n’est à Tours ou Orléans. C’est ainsi qu’en 2021, avec des collègues psychologues et infirmier·es, le projet de créer un Centre LGBTQIA+ à Bourges se lance.

Il s’inscrit dans une dynamique d’inclusion des personnes issues notamment des minorités de genre, au sein d’une société qui a pour habitude d’appliquer l’universalisme. L’universalisme « renvoie à l’idée de l’existence d’une unité du genre humain, au-delà de la diversité culturelle de l’humanité. Sur un plan normatif, il désigne également une philosophie politique ayant pour finalité d’octroyer à tous les citoyens d’une même nation des règles, des valeurs, des principes communs, sans distinctions relatives à des particularités culturelles, religieuses ou philosophiques. » (2)
Ainsi, une société qui ne reconnaît pas les différences et particularités de chacun·e ne peut pas répondre aux besoins spécifiques de sa population, composée d’individu·es distinct·es.

En tant que personne concernée par ces questions, Sarah constate également l’absence de prise en compte des pluralités et l’absence de « lieu de partage et convivialité » à Bourges et ses alentours, poussant les personnes hors du département. Et être issu·e de la communauté queer (3), c’est être en marge de nombreuses normes sociales et sociétales qui sont peu voire pas adaptées aux individus. C’est être, comme toutes les minorités politiques, privées de nombreuses activités, lieux et évènements. Malgré l’existence d’un cadre juridique empêchant les discriminations, il existe dans les faits une persistance de comportements et propos alimentant et alimentés par des stéréotypes de genre, qui excluent une grande partie de la population de la vie publique et sociale.

L’absence d’un lieu ressource pour les personnes issues de la communauté queer est une vraie lacune.

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Accueillir, former, partager

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La création du centre LGBTQIA+ de Bourges a pour objectif de pallier ce manque et s’articule autour de trois axes principaux :
- créer un centre d’accueil, d’information et d’orientation de toute personne en questionnement issue de la communauté LGBTQIA+ et toute personne qui s’interroge (exemple : enseignant·es ; famille) ;
- la mise en place de formations auprès des professionnel·les, en établissant une liste de professionnel·les sensibilisé·es et formé·es à une écoute et une prise en charge adéquate et respectueuse des particularités de genre et de sexualité de chacun·e (kinésithérapeutes, médecin·es généralistes, tatoueur·euses). Le centre intervient également en milieu scolaire dans le but de prévenir les discriminations, le harcèlement… Il existe un vrai besoin de ce type de professionnel·les puisque de nombreuses personnes issues de la communauté queer témoignent de violences subies dans le milieu médical à cause de préjugés et stéréotypes de la part du corps soignant ;
- créer des projets pour mettre en avant la culture queer à travers des événements culturels, sportifs, notamment avec l’organisation de soirées jeux de société à la Tour du Jeu à Bourges.

En 2022, il y a eu trois événements : un ciné/échange avec six projections de films (par exemple, « 120 battements par minute » le 1er décembre, à l’occasion de la journée internationale de lutte contre le Sida). L’occasion de travailler avec des partenaires (comme le Centre social du Val d’Auron, le café associatif l’Antidote, la Maison de la Culture de Bourges), de toucher une population plus large et d’être présent·es dans plusieurs quartiers.
Autre projet : celui de « En Roue libre », sur tout un week-end, abordant les sports de glisse.
En enfin, le projet du festival Intersection mené tout le mois de juin 2022 avec pour but de proposer différents supports (ateliers photos, vidéos, créatifs) sur les questions LGBTQIA+ en investissant plusieurs lieux à Bourges.

Le centre a pour le moment des permanences téléphoniques et présentielles tous les mercredis soirs de 18 h 30 à 20 h 30 au centre social du Val d’Auron et tous les premiers samedis du mois au centre social de la Chancellerie. A partir de septembre 2022, le centre ouvrira son propre local. Sarah explique que les membres veulent offrir « un lieu de ressource mais aussi un lieu de partage où l’on peut juste venir prendre un café, faire un jeu de société, traîner, discuter… ».

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Femmes et queers sur le skatepark

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C’est pour l’événement en Roue Libre qui s’est tenu à Bourges les 13, 14 et 15 mai 2022, que j’ai retrouvé Sarah et l’association Vent Violent de Roller Derby de Bourges, dont Sarah est également membre fondatrice et présidente.
L’objectif de ce week-end était de permettre aux femmes cis (4) et aux personnes queer de se réapproprier des espaces publics tels que les skateparks, leur permettre également de s’initier à la pratique du skate ou du patin, et valoriser la culture queer.

 

skatepark 2

 

Au skatepark Arthur-Noyer, ce samedi 14 mai, le ciel est bleu et le soleil réchauffe les cœurs. En début d’après-midi, d’un premier coup d’œil, il est difficile de constater les changements qui s’opèrent déjà sur ce terrain. Pourtant, bien qu’il n’y ait que peu de monde, il s’agit essentiellement de femmes adultes et d’adolescentes. Une situation peut-être banale ailleurs (j’en doute), mais ici, c’est un fait rare.
Ce jour-là, un groupe d’une quinzaine de personnes de l’association de skate non mixte Realaxe sont venues de Paris, invitées pour l’occasion, chaussées de skates ou de rollers (inligne et quad (5)). Les participant·es sont présent·es pour aborder une double thématique : les sports de glisse et l’appropriation genrée des espaces dits mixtes dans la pratique de ces sports.

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L’habitude du « mansplaining »

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Prendre son skate ou ses patins et aller s’entraîner au skatepark semble être un acte anodin. Pas si l’on est une femme ou une personne queer. Pas lorsqu’on est seule.
En effet, Marine, membre active de Vent Violent explique que « venir au skatepark, ce n’est pas évident quand t’es une meuf. Il faut réussir à gérer les regards appuyés des gars, on a l’impression d’être un bout de viande ». Cette sexualisation dont les femmes sont victimes n’est pas la seule entrave à la pratique sportive. « Ils viennent nous voir et nous donner des conseils, sur le patin, mais ils n’en ont jamais fait. J’ai envie de leur dire qu’on n’a pas besoin d’eux, mais ils ont du mal à comprendre, malheureusement », ajoute Marine. Elle aborde ici une habitude qu’ont les hommes à venir expliquer et donner leur point de vue aux femmes sur des sujets qu’ils ne maîtrisent pas. C’est ce qu’on appelle le « mansplaining », une attitude paternaliste.

Se faire une place et évoluer d’égal·e à égal·e est épuisant. Une problématique difficile à aborder avec les hommes : les femmes ne sont pas ouvertement exclues de ces lieux et puisqu’elles peuvent venir en théorie, l’égalité en terme d’appropriation des lieux paraît acquise mais ce n’est pas le cas.
Les préjugés et stéréotypes de genre persistent et poussent les femmes et personnes queer à déserter les lieux publics, et à chercher des espaces en non-mixité choisie afin de pouvoir pratiquer leur sport en toute sécurité (lire aussi la rubrique (Re)découvrir sur la non-mixité).
Puisque rien n’est dit verbalement, il ne s’agit pas d’une exclusion franche mais davantage d’une reproduction des schémas sexistes et d’une discrimination systémique qu’il est essentiel de critiquer. Il y a également une forme d’habitude à ne voir que les hommes fréquenter les skateparks puisque ce sont les seuls qui sont représentés dans la pratique des sports de glisse. Il existe pourtant de nombreuses professionnelles.

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Des demandes qui augmentent

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Les deux associations de Bourges ont fait appel à Anaelle Nogueira (athlète professionnelle de l’équipe de France de roller freestyle, venue initier à la pratique du roller) et à Randja Kanouni (de l’association parisienne Realaxe venue, elle, initier au skateboard).

 

skatepark 1

 

L’objectif de Realaxe, créée en 2014, est « la promotion du skateboard féminin », comme l’explique Randja, professeure de skate et trésorière de l’association. Realaxe a commencé par l’organisation d’événements, notamment des « girls sessions où on invite les filles de la région Ile-de-France à venir skater ». A l’époque, les événements créés pour le skate étaient « faits par des mecs pour des mecs et du coup, ça ne répondait pas forcément aux besoins de tout le monde ». Prendre en compte les particularités de chacun·e, c’est permettre à tous·tes une pratique épanouie d’un sport.
Suite à une forte demande, l’association a commencé à donner des cours de skate en non-mixité (sans hommes cis) en 2018. Ces demandes ont largement augmenté ces dernières années, notamment durant la situation sanitaire du Covid. Selon Randja, la fermeture des salles a poussé « les filles à chercher des sports qu’on peut faire dehors, comme le skate ».

La création de ce genre d’événements ou d’associations non-mixtes confirme que l’absence des femmes dans certaines pratiques sportives ou lieux n’est pas un choix de leur part : elles sont demandeuses, mais davantage d’un apprentissage genré d’abord, dans le sport mais aussi dans l’expérience de l’appropriation de l’espace.
Un partage de l’espace qui s’est vu renversé pour le week-end.

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« Nous aussi, on est là ! »

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Du nouveau matériel, quelques plots d’entraînement, un peu de musique et beaucoup de sourires ont permis de lancer les activités et voilà qu’autour du bol, l’espace s’est partagé entre habitué·es et tout juste initié·es.
Sarah est satisfaite de la journée. « J’ai adoré parce qu’en début d’aprem, ça avait renversé la situation, c’est-à-dire qu’il y avait plein de meufs partout, qui occupaient tout l’espace et les gars étaient dans un coin. Et c’était la première fois que ça arrivait. Pourtant personne ne leur a dit de s’isoler, c’est juste quelque chose qui se fait inconsciemment. On se dit simplement : « il y a une majorité qui prend l’espace, je suis une minorité, je prends moins de place. » »

Chemsy, 15 ans, autodidacte de la pratique du roller en quad depuis deux ans, est une habituée de ce skatepark. Elle s’émerveille de voir autant de filles : « ça montre qu’on est beaucoup ». Quand elle vient habituellement, elle est la seule à s’entraîner. Elle déplore le peu de considération des garçons envers les filles : « ils vont se dire bonjour entre eux, ils vont pas trop venir vers les filles ou alors ils vont pas laisser passer. Moi, des fois, je suis devant le bol et j’attends mais si je ne m’impose pas, je peux pas y aller. »
Chemsy constate tout de même que pour elle, c’est plus facile : « moi j’ai un grand frère. Du coup, ils m’accueillent un peu plus ». Cela lui offre un cadre plus sécurisant car elle n’est pas victime de moqueries sexistes : la présence de son frère légitime sa présence auprès des autres. C’est un constat récurrent : les femmes ont tendance à subir moins de violences sexistes (physiques ou verbales) lorsqu’elles sont accompagnées d’hommes, légitimant leur présence dans l’espace public.

Cette habitude tacite accentue un rapport de dépendance et ne permet pas de légitimer la présence des femmes sans leurs accompagnants masculins. Ainsi, voir un espace public rempli de femmes comme ce jour-là à Bourges est encourageant. Chemsy veut faire passer un message aux filles qui n’osent pas venir au skatepark : « on s’en fiche du regard des autres ; un skatepark, c’est ouvert à tout le monde, c’est pas réservé à une catégorie de sport ou de personne. Alors ‘faut s’imposer et montrer que nous aussi, on est là ».

skatepark 3

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Tous·tes légitimes

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Plus tard, lors de la soirée burlesque (parce qu’il ne s’agit pas uniquement de sport mais également de culture – queer), Sarah a reçu de nombreux retours positifs et notamment de la part des habitués du skatepark. Ce public semble avoir apprécié rouler auprès de nouvelles personnes et voir ainsi le skatepark se diversifier.
Sarah pense également que les habitués ont compris que le partage de l’espace est possible. « Ils ont vu que c’est pas parce qu’il y a plus de femmes que l’espace n’est plus le leur. »

Se réunir autour d’une passion commune (par exemple, le sport) peut être une bonne façon d’aller au-delà des stéréotypes et préjugés de genre. Cela permet de comprendre que l’exclusion des femmes se fait par habitude et non pas parce que celles-ci sont des mauvaises utilisatrices des lieux. Les hommes ne sont pas les seuls à exceller dans la pratique ; dès lors, ils ne sont pas les seuls à être légitimes dans l’utilisation des lieux.
C’est ce que confirme Marine, membre active de Vent Violent : « aujourd’hui, on montre aux petites filles, du moins aux enfants, que les sports de glisse ne sont pas que pour les hommes et qu’en plus, il y a des femmes avec de très bons niveaux ».

Il est finalement de l’intérêt de chacun·e de populariser la pratique de ces sports : si davantage de personne participe, davantage de moyens seront mis en place pour satisfaire les utilisateur·ices avec l’amélioration des skateparks ou le prêt de bons gymnases adaptés à la pratique. Ce qui n’est pour le moment pas le cas : l’association Vent Violent a par exemple du mal à garder ses adhérent·es car le gymnase qui lui est alloué est parfaitement inadapté à la pratique du roller. Une problématique que ne rencontre pas l’association de roller/skate de Bourges composée exclusivement d’hommes. S’agit-il d’une simple coïncidence compliquant le lancement de Vent Violent ou s’agit-il encore d’une difficulté teintée d’un sexisme ordinaire rendant, par habitude, la tâche plus difficile pour les femmes ?

ophelie ecceite

(1) Qui signifie Lesbiennes Gays Bis Trans Queer Intersexe Agenre, renvoyant à toute une communauté de personnes ne correspondant pas aux normes de genre et/ou de sexualité)
(2) Pour en savoir plus, Réseau Canopé : https://www.reseau-canope.fr/
(3) « Queer » est un terme anglo-saxon signifiant « bizarre », il est utilisé comme insulte envers les hommes homosexuels jusque dans les années 80 où le terme est repris par la communauté LGBTQIA+ pour en faire un terme-symbole de la contestation politique allant à l’encontre des normes sociales de genre et de sexualité.
(4) La « cis-identité » renvoie à des personnes dont le sexe de naissance correspond à l’identité de genre assignée à la naissance.
(5) Rollers classiques et patins à roulettes.

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# 60 LGBTQIA+ Tue, 21 Mar 2017 12:54:42 +0100