# 9 Alicia Dujovne Ortiz (janvier 2018)(Re)bonds est un magazine mensuel créé par Fanny Lancelin, journaliste installée dans le Cher. Son but : à travers, des portraits d'habitant.es du Berry, raconter des parcours alternatifs, des modes de vie où le respect des êtres vivants et de leur environnement tient une place centrale.http://www.rebonds.net/9aliciadujovneortiz2023-05-11T18:54:25+02:00(Re)bonds.netJoomla! - Open Source Content ManagementAdama : à Bourges, un migrant menacé d'expulsion malgré son handicap2017-03-21T14:47:31+01:002017-03-21T14:47:31+01:00http://www.rebonds.net/9aliciadujovneortiz/393-adamamenacedexpulsionSuper User<p><strong>Impossible d'ignorer le sujet des migrations lorsqu'on s'entretient avec Alicia Dujovne Ortiz, notre (Ré)acteur du mois : il y a quarante ans, fuyant la dictature militaire argentine, <strong> la journaliste et écrivaine</strong> demandait l'asile en France. Ceci nous ramène aux migrants qui vivent aujourd'hui dans le Cher et plus particulièrement à Bourges.</strong></p>
<p><strong>Les numéros datés du 15 octobre et du 15 novembre de (Re)bonds témoignaient de leur situation souvent injuste, liée à un manque d'accès aux informations et à l'accompagnement juridique. Et à un manque d'humanité.</strong></p>
<p><strong>Le sort réservé à Adama Traoré en est un parfait exemple.</strong></p>
<p>J'ai rencontré Adama, jeune Guinéen de 24 ans, un jour de manifestation devant la Préfecture du Cher. Il s'est arrêté près de moi, se tenant bien droit et me tendant un papier. Il semblait ne pas comprendre ce qui y était écrit. Moi non plus. Du jargon administratif. Une bénévole plus aguerrie a jeté un oeil :<em> « Ah. Il est assigné à résidence. Il faut qu'il aille signer tous les jours au commissariat et il va bientôt être renvoyé en Italie. </em>» Elle s'était déjà retournée, assaillie par tous les autres, inquiets pour leur situation. Adama attendait, il n'avait pas entendu. C'était donc moi qui devait lui annoncer. Ma gorge s'est serrée et en le regardant droit dans les yeux, j'ai répété ces mots horribles – assigné, commissariat, expulsé, Italie – le plus doucement possible.</p>
<p>Sa réaction a été terrible : je n'ai jamais vu autant de terreur et de désespoir dans un regard. Rien ne sortait de sa bouche ou bien ce n'était que des <em>« non »</em>, <em>« ce n'est pas possible »</em>, <em>« j'ai fait comme on m'a dit »</em>, <em>« la France peut pas me faire ça »</em>. Il butait sur tous les mots. J'ai cru que c'était l'émotion, avant de comprendre : Adama est bègue.</p>
<p>Ironie du sort : le jour même où je lui annonçais l'horrible nouvelle, il venait d'entamer une thérapie pour lutter contre son bégaiement, avec une spécialiste, orthophoniste à Bourges, Françoise Palicot.</p>
<p><a href="http://www.rebonds.net/images/ALICIA_DUJOVNE_ORTIZ/Adama.png" class="jcepopup" data-mediabox-title="Adama Traoré, peu de temps après sa libération." data-mediabox="1"><img src="http://www.rebonds.net/images/ALICIA_DUJOVNE_ORTIZ/Adama.png" alt="Adama" width="352" height="640" style="margin-left: 15px; float: right;" /></a></p>
<p><strong><span style="color: #ff615d;"><span style="font-size: 12pt;">Un Collectif des Amis d'Adama</span><br /></span></strong></p>
<p>Quelques jours plus tard, des habitants créaient le Collectif des Amis d'Adama et une pétition était lancée. Depuis, elle a été transformée en cyberaction : à chaque fois qu'elle est signée sur Internet, un mail est envoyé à la Préfecture du Cher. Elle compte aujourd'hui 3.348 participations (*).<br />Le but ? Demander à Catherine Ferrier, préfète du Cher, de replacer Adama en procédure normale (**), afin qu'il puisse rester en France, poursuivre ses démarches de demande d'asile et sa thérapie.<br />Le très sévère bégaiement dont il souffre est neurologique de nature génétique évalué entre 8 et 9 sur une échelle de 1 à 10, concernant les répercutions de ce handicap. Il est incapable de formuler des phrases et tente de se faire comprendre en griffonnant quelques mots. Il ne peut pas s'en sortir dans un pays non-francophone.<br />Les bégaiements sévères, s’ils prêtent encore à sourire, n'ont pas seulement pour conséquence un isolement social : dans son état actuel, il sera impossible à Adama d’apprendre ne serait-ce qu’un peu d’Italien, de faire valoir ses droits à la demande d’asile ou même de se débrouiller au quotidien pour survivre en Italie. Le jeune homme a déjà connu, lors de son premier passage dans ce pays, les épreuves liées à son handicap.<br />Et il n’aura aucun espoir d’améliorer sa situation, la rééducation orthophonique étant tout à fait impossible dans une langue inconnue.</p>
<p><strong><span style="color: #ff615d;"><span style="font-size: 12pt;">Malgré son handicap, le jeune Guinéen arrêté</span><br /></span></strong></p>
<p>Malgré ces arguments, Adama a été arrêté le mercredi 20 décembre alors qu'il allait signer, comme chaque matin, au commissariat de Bourges. Transféré dans un Centre de Rétention Administrative (CRA), il risquait l'expulsion vers l'Italie, pays par lequel il est entré dans l'Union européenne.<br />Par texto, j'ai été informée qu'il avait refusé le premier vol. Libéré grâce à un avocat de la Cimade, il est retourné à Bourges mais il risque toujours, à chaque instant, l'expulsion.</p>
<p>À ce jour, la Préfète n'a donné suite ni au courrier envoyé par Adama ni au collectif ayant organisé la cyberaction.<br />Un reportage a été diffusé sur France Bleu Berry le mardi 9 janvier 2018 dans le journal de 8 heures et un autre sur France 3 Centre Val de Loire le samedi 20 janvier (***). Dans un article publié sur le site Internet de la radio, le journaliste Michel Benoît relaie les propos de Jérôme Millet, directeur de cabinet de la préfète : il <em>« affirme être dans l'obligation de concilier légalité républicaine et dignité humaine. Mr Millet cite les attendus du tribunal administratif d'Orléans qui a débouté Adama Traoré dans sa demande en appel pour s'opposer à ce qu'il soit remis aux autorités italiennes : "Le juge estime que sa pathologie ne constitue en aucun cas un obstacle à ce que sa demande d'asile soit instruite en Italie, comme le stipulent les règlements européens. En revanche, si Mr Traoré obtenait l'asile en Italie, il pourrait alors revenir en France pour suivre une rééducation du langage." »</em><br />Tous ceux qui aident les demandeurs d'asile savent que ce que suggère Jérôme Millet est impossible...</p>
<p><strong><span style="color: #ff615d;"><span style="font-size: 12pt;">Un cas symbolique<br /></span></span></strong></p>
<p>Les membres du collectif restent mobilisés. Par ailleurs, son orthophoniste a rédigé une tribune remarquable, faisant un parallèle entre bégaiement et migration, que (Re)bonds publie ci-dessous.</p>
<p>Adama Traoré n'est pas seul à subir les affres de la politique anti-immigration du gouvernement. Mais son cas est symbolique de l'inhumanité avec laquelle on traite ces êtres humains, qui ont pourtant déjà beaucoup souffert.<br />Non, il n'y a pas de vague migratoire qui submerge la France. L'accueil de tous les Adama est tout à fait possible. Il suffit de le vouloir politiquement.</p>
<p><em><span style="font-size: 8pt;">(*) <a href="https://www.cyberacteurs.org/cyberactions/pourlannulationdutransfertenitalied-1971html">https://www.cyberacteurs.org/cyberactions/pourlannulationdutransfertenitalied-1971html</a></span></em></p>
<p><span style="font-size: 8pt;"><em>(**) Adama Traoré est en procédure Dublin : en laissant ses empreintes en Italie, il a permis à la France d'invoquer ce règlement européen et de tenter de le renvoyer par où il est entré en Union européenne.</em></span><br /><em><span style="font-size: 8pt;">(***) Vous pouvez relire le reportage de France Bleu Berry en allant sur le site : <a href="https://www.francebleu.fr/infos/faits-divers-justice/bourges-mobilisation-en-faveur-d-un-demandeur-d-asile-begue-1515508752">https://www.francebleu.fr/infos/faits-divers-justice/bourges-mobilisation-en-faveur-d-un-demandeur-d-asile-begue-1515508752.</a></span></em></p>
<p><em><span style="font-size: 8pt;">Vous pouvez voir le reportage de France 3 sur : <span style="font-size: 8pt;"><a href="https://france3-regions.francetvinfo.fr/centre-val-de-loire/cher/bourges/bourges-collectif-se-mobilise-eviter-expulsion-jeune-guineen-1405435.html">https://france3-regions.francetvinfo.fr/centre-val-de-loire/cher/bourges/bourges-collectif-se-mobilise-eviter-expulsion-jeune-guineen-1405435.html</a></span></span></em></p>
<p> </p>
<div class="panel panel-primary">
<div class="panel-heading">
<h3 class="panel-title"><span style="font-size: 18pt;">Tribune - Bégaiement et migrations : parallèles<br /></span></h3>
<p style="text-align: right;"><strong>par Françoise Palicot, orthophoniste spécialisée dans la thérapie du bégaiement </strong></p>
</div>
<div class="panel-heading">Il y a quelques semaines, Adama Traoré, jeune guinéen demandeur d'asile à Bourges, poussait la porte de mon cabinet d'orthophoniste, pour soigner un très sévère bégaiement. Menacé d'expulsion vers l'Italie, il ne pourra s'en sortir dans un pays non-francophone…<br />
<p>En travaillant avec lui, il m’est apparu que l’on pouvait faire un lien entre bégaiement et mouvement migratoire. Dans les deux cas, il s’agit de flux, de parole ou de personnes. Et il me semble que dans les deux cas, l’usage de la force n’est pas efficace : forçage pour faire passer le mot, blocage de la personne qui veut passer d’un pays à l’autre.</p>
<p>Le bégaiement est un trouble de la parole, dont on connaît maintenant les composantes génétiques et/ou neurologiques, sans oublier les facteurs linguistiques, psychologiques et environnementaux. Il peut induire souffrance, sentiment d’insécurité, et impacte souvent lourdement la qualité de vie et des relations.<br />Toutes les personnes bègues ne souffrent pas de leur bégaiement… c’est parce qu’elles font avec, voire en font quelque chose de positif.</p>
<p><strong>L'ÉNERGIE DÉPLOYÉE À LUTTER, CONTRÔLER, EST LE PLUS SOUVENT PERDUE</strong></p>
<p>S’engager dans une thérapie du bégaiement, ce n’est pas lutter contre : l’énergie déployée à lutter et contrôler est le plus souvent perdue, au détriment d’autres façons de remédier au problème.<br />Toutefois, quand le bégaiement est fort, il ne peut être acceptable de le subir, en l’état. La rééducation est alors indispensable, ne serait-ce que pour demander une baguette quand on a besoin d’une baguette, et non un pain parce que c’est plus facile à dire.<br />Toutes les personnes qui présentent un bégaiement sévère témoignent de leur douleur, frustration, honte souvent, je n’ai jamais pour autant rencontré de patients qui se plaignaient.<br />C’est qu’on s’endurcit quand, depuis l’enfance, on subit moqueries, sourires en coin, pitié aussi, dès qu’on prend la parole ! Et on développe de solides stratégies pour communiquer, malgré tout.<br />Il faut du temps, de longs mois, pour une rééducation du bégaiement. De la patience, du courage, parfois les larmes et le découragement reprennent le dessus. Mais toujours, les bénéfices valent le détour. On vit le meilleur de soi.<br />De toute façon, le bégaiement est là, souvent inscrit dans les gènes, et renforcé par l’environnement. L’apprivoiser, bien le connaître, l’amadouer, l’accepter sans se résigner, c’est la voie de la guérison. C’est un prix à payer, lourd au début, pour ne plus être bègue.</p>
<p><strong>UNE RELATION DONNANT-DONNANT</strong></p>
<p>C’est le chemin qu’a commencé à suivre Adama, Guinéen de presque 24 ans, qui m’a été envoyé par une assistante sociale du Pradha (*). Il présente un bégaiement très sévère, qui s’accentue dans les situations anxiogènes. Qui ne manquent pas, dans sa situation de migrant « dubliné » (**), sommé de faire sa demande d’asile en Italie parce qu’il y a déposé ses empreintes, en descendant du bateau qui le menait en Europe.<br />Depuis qu’il a débuté sa thérapie, Adama s’est montré très volontaire. Et quand sa parole « coule », son visage s’éclaircit. Sortir du bégaiement, c’est le premier pas pour sortir de la précarité. Et pour utiliser une expression en vogue, avec lui, c’est donnant-donnant : je fais mon métier d’orthophoniste, il me renvoie tout ce que ce travail a de sens pour moi. <br />En travaillant avec ce patient migrant, il m’est apparu que l’on pouvait faire un lien entre bégaiement et mouvement migratoire. Dans les deux cas, il s’agit de flux, de parole ou de personnes.<br />Et il me semble que dans les deux cas, l’usage de la force n’est pas efficace : forçage pour faire passer le mot, blocage de la personne qui veut passer d’un pays à l’autre.</p>
<p><strong>BÉGAIEMENT – FLUX MIGRATOIRE : REPENSER LA DYNAMIQUE</strong></p>
<p>Comme avec le bégaiement, on pourrait apprendre à faire avec le flux migratoire. En employant son énergie à s’engager dans une dynamique d’acceptation, on a tout à gagner. Mais il faut de la patience. Pas de la résignation. Si on mettait toute la dynamique, actuellement épuisante et inopérante, mise au service du rejet, au service d’un accueil bien pensé, avec des objectifs précis, comme en thérapie du bégaiement ? <br />Toutes ces énergies, au service de la lutte : pour le migrant, arriver jusqu’en France, tenter par tous les moyens d’y rester ; pour l’État, engager les forces de police, l’administration, etc… pour rejeter, et pour les associations, et tous ces gens qui accueillent, militent et se battent.</p>
<p><strong>JE NE ME POSE PAS LA QUESTION DE SAVOIR SI ÇA VAUT LE COUP…</strong></p>
<p>Sans oublier l’urgence humanitaire : à la personne qui ne peut sortir son mot, on lui donne. Le patient qui bégaie n’aime pas ça ; il a sa fierté, mais plus tard il accepte, cela fait partir du processus de guérison. À la personne qui n’a d’autre choix que partir de son pays : on donne. <br /> Je ne me pose pas la question de savoir si ça vaut le coup d’aider Adama à rester pour soigner son bégaiement, et aussi pour construire sa vie. C’est une évidence, car il est plein d’énergie, de courage, de soif d’apprendre, d’ambition. Gagnant-gagnant.</p>
<p><span style="font-size: 8pt;"><em>(*) Prahda : anciens hôtels reconvertis en centres d'hébergement pour demandeurs d'asile. Celui du Cher se trouve au Subdray.</em></span><br /><span style="font-size: 8pt;"><em>(**) « Dubliné » : se dit des migrants sous le coup du règlement européen Dublin, qui les oblige à déposer leur demande d'asile dans le pays de l'Union européenne par où ils sont entrés, même si celui-ci n'est pas en capacité de les accueillir ou s'il choisit de les expulser dans leur pays d'origine.</em></span></p>
</div>
</div><p><strong>Impossible d'ignorer le sujet des migrations lorsqu'on s'entretient avec Alicia Dujovne Ortiz, notre (Ré)acteur du mois : il y a quarante ans, fuyant la dictature militaire argentine, <strong> la journaliste et écrivaine</strong> demandait l'asile en France. Ceci nous ramène aux migrants qui vivent aujourd'hui dans le Cher et plus particulièrement à Bourges.</strong></p>
<p><strong>Les numéros datés du 15 octobre et du 15 novembre de (Re)bonds témoignaient de leur situation souvent injuste, liée à un manque d'accès aux informations et à l'accompagnement juridique. Et à un manque d'humanité.</strong></p>
<p><strong>Le sort réservé à Adama Traoré en est un parfait exemple.</strong></p>
<p>J'ai rencontré Adama, jeune Guinéen de 24 ans, un jour de manifestation devant la Préfecture du Cher. Il s'est arrêté près de moi, se tenant bien droit et me tendant un papier. Il semblait ne pas comprendre ce qui y était écrit. Moi non plus. Du jargon administratif. Une bénévole plus aguerrie a jeté un oeil :<em> « Ah. Il est assigné à résidence. Il faut qu'il aille signer tous les jours au commissariat et il va bientôt être renvoyé en Italie. </em>» Elle s'était déjà retournée, assaillie par tous les autres, inquiets pour leur situation. Adama attendait, il n'avait pas entendu. C'était donc moi qui devait lui annoncer. Ma gorge s'est serrée et en le regardant droit dans les yeux, j'ai répété ces mots horribles – assigné, commissariat, expulsé, Italie – le plus doucement possible.</p>
<p>Sa réaction a été terrible : je n'ai jamais vu autant de terreur et de désespoir dans un regard. Rien ne sortait de sa bouche ou bien ce n'était que des <em>« non »</em>, <em>« ce n'est pas possible »</em>, <em>« j'ai fait comme on m'a dit »</em>, <em>« la France peut pas me faire ça »</em>. Il butait sur tous les mots. J'ai cru que c'était l'émotion, avant de comprendre : Adama est bègue.</p>
<p>Ironie du sort : le jour même où je lui annonçais l'horrible nouvelle, il venait d'entamer une thérapie pour lutter contre son bégaiement, avec une spécialiste, orthophoniste à Bourges, Françoise Palicot.</p>
<p><a href="http://www.rebonds.net/images/ALICIA_DUJOVNE_ORTIZ/Adama.png" class="jcepopup" data-mediabox-title="Adama Traoré, peu de temps après sa libération." data-mediabox="1"><img src="http://www.rebonds.net/images/ALICIA_DUJOVNE_ORTIZ/Adama.png" alt="Adama" width="352" height="640" style="margin-left: 15px; float: right;" /></a></p>
<p><strong><span style="color: #ff615d;"><span style="font-size: 12pt;">Un Collectif des Amis d'Adama</span><br /></span></strong></p>
<p>Quelques jours plus tard, des habitants créaient le Collectif des Amis d'Adama et une pétition était lancée. Depuis, elle a été transformée en cyberaction : à chaque fois qu'elle est signée sur Internet, un mail est envoyé à la Préfecture du Cher. Elle compte aujourd'hui 3.348 participations (*).<br />Le but ? Demander à Catherine Ferrier, préfète du Cher, de replacer Adama en procédure normale (**), afin qu'il puisse rester en France, poursuivre ses démarches de demande d'asile et sa thérapie.<br />Le très sévère bégaiement dont il souffre est neurologique de nature génétique évalué entre 8 et 9 sur une échelle de 1 à 10, concernant les répercutions de ce handicap. Il est incapable de formuler des phrases et tente de se faire comprendre en griffonnant quelques mots. Il ne peut pas s'en sortir dans un pays non-francophone.<br />Les bégaiements sévères, s’ils prêtent encore à sourire, n'ont pas seulement pour conséquence un isolement social : dans son état actuel, il sera impossible à Adama d’apprendre ne serait-ce qu’un peu d’Italien, de faire valoir ses droits à la demande d’asile ou même de se débrouiller au quotidien pour survivre en Italie. Le jeune homme a déjà connu, lors de son premier passage dans ce pays, les épreuves liées à son handicap.<br />Et il n’aura aucun espoir d’améliorer sa situation, la rééducation orthophonique étant tout à fait impossible dans une langue inconnue.</p>
<p><strong><span style="color: #ff615d;"><span style="font-size: 12pt;">Malgré son handicap, le jeune Guinéen arrêté</span><br /></span></strong></p>
<p>Malgré ces arguments, Adama a été arrêté le mercredi 20 décembre alors qu'il allait signer, comme chaque matin, au commissariat de Bourges. Transféré dans un Centre de Rétention Administrative (CRA), il risquait l'expulsion vers l'Italie, pays par lequel il est entré dans l'Union européenne.<br />Par texto, j'ai été informée qu'il avait refusé le premier vol. Libéré grâce à un avocat de la Cimade, il est retourné à Bourges mais il risque toujours, à chaque instant, l'expulsion.</p>
<p>À ce jour, la Préfète n'a donné suite ni au courrier envoyé par Adama ni au collectif ayant organisé la cyberaction.<br />Un reportage a été diffusé sur France Bleu Berry le mardi 9 janvier 2018 dans le journal de 8 heures et un autre sur France 3 Centre Val de Loire le samedi 20 janvier (***). Dans un article publié sur le site Internet de la radio, le journaliste Michel Benoît relaie les propos de Jérôme Millet, directeur de cabinet de la préfète : il <em>« affirme être dans l'obligation de concilier légalité républicaine et dignité humaine. Mr Millet cite les attendus du tribunal administratif d'Orléans qui a débouté Adama Traoré dans sa demande en appel pour s'opposer à ce qu'il soit remis aux autorités italiennes : "Le juge estime que sa pathologie ne constitue en aucun cas un obstacle à ce que sa demande d'asile soit instruite en Italie, comme le stipulent les règlements européens. En revanche, si Mr Traoré obtenait l'asile en Italie, il pourrait alors revenir en France pour suivre une rééducation du langage." »</em><br />Tous ceux qui aident les demandeurs d'asile savent que ce que suggère Jérôme Millet est impossible...</p>
<p><strong><span style="color: #ff615d;"><span style="font-size: 12pt;">Un cas symbolique<br /></span></span></strong></p>
<p>Les membres du collectif restent mobilisés. Par ailleurs, son orthophoniste a rédigé une tribune remarquable, faisant un parallèle entre bégaiement et migration, que (Re)bonds publie ci-dessous.</p>
<p>Adama Traoré n'est pas seul à subir les affres de la politique anti-immigration du gouvernement. Mais son cas est symbolique de l'inhumanité avec laquelle on traite ces êtres humains, qui ont pourtant déjà beaucoup souffert.<br />Non, il n'y a pas de vague migratoire qui submerge la France. L'accueil de tous les Adama est tout à fait possible. Il suffit de le vouloir politiquement.</p>
<p><em><span style="font-size: 8pt;">(*) <a href="https://www.cyberacteurs.org/cyberactions/pourlannulationdutransfertenitalied-1971html">https://www.cyberacteurs.org/cyberactions/pourlannulationdutransfertenitalied-1971html</a></span></em></p>
<p><span style="font-size: 8pt;"><em>(**) Adama Traoré est en procédure Dublin : en laissant ses empreintes en Italie, il a permis à la France d'invoquer ce règlement européen et de tenter de le renvoyer par où il est entré en Union européenne.</em></span><br /><em><span style="font-size: 8pt;">(***) Vous pouvez relire le reportage de France Bleu Berry en allant sur le site : <a href="https://www.francebleu.fr/infos/faits-divers-justice/bourges-mobilisation-en-faveur-d-un-demandeur-d-asile-begue-1515508752">https://www.francebleu.fr/infos/faits-divers-justice/bourges-mobilisation-en-faveur-d-un-demandeur-d-asile-begue-1515508752.</a></span></em></p>
<p><em><span style="font-size: 8pt;">Vous pouvez voir le reportage de France 3 sur : <span style="font-size: 8pt;"><a href="https://france3-regions.francetvinfo.fr/centre-val-de-loire/cher/bourges/bourges-collectif-se-mobilise-eviter-expulsion-jeune-guineen-1405435.html">https://france3-regions.francetvinfo.fr/centre-val-de-loire/cher/bourges/bourges-collectif-se-mobilise-eviter-expulsion-jeune-guineen-1405435.html</a></span></span></em></p>
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<h3 class="panel-title"><span style="font-size: 18pt;">Tribune - Bégaiement et migrations : parallèles<br /></span></h3>
<p style="text-align: right;"><strong>par Françoise Palicot, orthophoniste spécialisée dans la thérapie du bégaiement </strong></p>
</div>
<div class="panel-heading">Il y a quelques semaines, Adama Traoré, jeune guinéen demandeur d'asile à Bourges, poussait la porte de mon cabinet d'orthophoniste, pour soigner un très sévère bégaiement. Menacé d'expulsion vers l'Italie, il ne pourra s'en sortir dans un pays non-francophone…<br />
<p>En travaillant avec lui, il m’est apparu que l’on pouvait faire un lien entre bégaiement et mouvement migratoire. Dans les deux cas, il s’agit de flux, de parole ou de personnes. Et il me semble que dans les deux cas, l’usage de la force n’est pas efficace : forçage pour faire passer le mot, blocage de la personne qui veut passer d’un pays à l’autre.</p>
<p>Le bégaiement est un trouble de la parole, dont on connaît maintenant les composantes génétiques et/ou neurologiques, sans oublier les facteurs linguistiques, psychologiques et environnementaux. Il peut induire souffrance, sentiment d’insécurité, et impacte souvent lourdement la qualité de vie et des relations.<br />Toutes les personnes bègues ne souffrent pas de leur bégaiement… c’est parce qu’elles font avec, voire en font quelque chose de positif.</p>
<p><strong>L'ÉNERGIE DÉPLOYÉE À LUTTER, CONTRÔLER, EST LE PLUS SOUVENT PERDUE</strong></p>
<p>S’engager dans une thérapie du bégaiement, ce n’est pas lutter contre : l’énergie déployée à lutter et contrôler est le plus souvent perdue, au détriment d’autres façons de remédier au problème.<br />Toutefois, quand le bégaiement est fort, il ne peut être acceptable de le subir, en l’état. La rééducation est alors indispensable, ne serait-ce que pour demander une baguette quand on a besoin d’une baguette, et non un pain parce que c’est plus facile à dire.<br />Toutes les personnes qui présentent un bégaiement sévère témoignent de leur douleur, frustration, honte souvent, je n’ai jamais pour autant rencontré de patients qui se plaignaient.<br />C’est qu’on s’endurcit quand, depuis l’enfance, on subit moqueries, sourires en coin, pitié aussi, dès qu’on prend la parole ! Et on développe de solides stratégies pour communiquer, malgré tout.<br />Il faut du temps, de longs mois, pour une rééducation du bégaiement. De la patience, du courage, parfois les larmes et le découragement reprennent le dessus. Mais toujours, les bénéfices valent le détour. On vit le meilleur de soi.<br />De toute façon, le bégaiement est là, souvent inscrit dans les gènes, et renforcé par l’environnement. L’apprivoiser, bien le connaître, l’amadouer, l’accepter sans se résigner, c’est la voie de la guérison. C’est un prix à payer, lourd au début, pour ne plus être bègue.</p>
<p><strong>UNE RELATION DONNANT-DONNANT</strong></p>
<p>C’est le chemin qu’a commencé à suivre Adama, Guinéen de presque 24 ans, qui m’a été envoyé par une assistante sociale du Pradha (*). Il présente un bégaiement très sévère, qui s’accentue dans les situations anxiogènes. Qui ne manquent pas, dans sa situation de migrant « dubliné » (**), sommé de faire sa demande d’asile en Italie parce qu’il y a déposé ses empreintes, en descendant du bateau qui le menait en Europe.<br />Depuis qu’il a débuté sa thérapie, Adama s’est montré très volontaire. Et quand sa parole « coule », son visage s’éclaircit. Sortir du bégaiement, c’est le premier pas pour sortir de la précarité. Et pour utiliser une expression en vogue, avec lui, c’est donnant-donnant : je fais mon métier d’orthophoniste, il me renvoie tout ce que ce travail a de sens pour moi. <br />En travaillant avec ce patient migrant, il m’est apparu que l’on pouvait faire un lien entre bégaiement et mouvement migratoire. Dans les deux cas, il s’agit de flux, de parole ou de personnes.<br />Et il me semble que dans les deux cas, l’usage de la force n’est pas efficace : forçage pour faire passer le mot, blocage de la personne qui veut passer d’un pays à l’autre.</p>
<p><strong>BÉGAIEMENT – FLUX MIGRATOIRE : REPENSER LA DYNAMIQUE</strong></p>
<p>Comme avec le bégaiement, on pourrait apprendre à faire avec le flux migratoire. En employant son énergie à s’engager dans une dynamique d’acceptation, on a tout à gagner. Mais il faut de la patience. Pas de la résignation. Si on mettait toute la dynamique, actuellement épuisante et inopérante, mise au service du rejet, au service d’un accueil bien pensé, avec des objectifs précis, comme en thérapie du bégaiement ? <br />Toutes ces énergies, au service de la lutte : pour le migrant, arriver jusqu’en France, tenter par tous les moyens d’y rester ; pour l’État, engager les forces de police, l’administration, etc… pour rejeter, et pour les associations, et tous ces gens qui accueillent, militent et se battent.</p>
<p><strong>JE NE ME POSE PAS LA QUESTION DE SAVOIR SI ÇA VAUT LE COUP…</strong></p>
<p>Sans oublier l’urgence humanitaire : à la personne qui ne peut sortir son mot, on lui donne. Le patient qui bégaie n’aime pas ça ; il a sa fierté, mais plus tard il accepte, cela fait partir du processus de guérison. À la personne qui n’a d’autre choix que partir de son pays : on donne. <br /> Je ne me pose pas la question de savoir si ça vaut le coup d’aider Adama à rester pour soigner son bégaiement, et aussi pour construire sa vie. C’est une évidence, car il est plein d’énergie, de courage, de soif d’apprendre, d’ambition. Gagnant-gagnant.</p>
<p><span style="font-size: 8pt;"><em>(*) Prahda : anciens hôtels reconvertis en centres d'hébergement pour demandeurs d'asile. Celui du Cher se trouve au Subdray.</em></span><br /><span style="font-size: 8pt;"><em>(**) « Dubliné » : se dit des migrants sous le coup du règlement européen Dublin, qui les oblige à déposer leur demande d'asile dans le pays de l'Union européenne par où ils sont entrés, même si celui-ci n'est pas en capacité de les accueillir ou s'il choisit de les expulser dans leur pays d'origine.</em></span></p>
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</div>L'Argentine2017-03-21T13:37:42+01:002017-03-21T13:37:42+01:00http://www.rebonds.net/9aliciadujovneortiz/392-largentineSuper User<p><strong>L'histoire de l'Argentine est passionnante. Elle n'est pas figée et fait régulièrement l'objet de polémiques, tant les oppositions politiques, ethniques, sociales sont encore fortes.<br />Pour accompagner la lecture de l'ouvrage d'Alicia Dujovne Ortiz (lire (Ré)acteurs), voici quelques repères, pour comprendre mais aussi pour donner envie d'aller plus loin dans la « visite » de ce pays fascinant.</strong></p>
<p><strong><span style="color: #ff615d;">Repères géographiques</span></strong></p>
<p><strong>Situation :</strong> au sud du continent américain ; partage ses frontières avec le Chili à l'ouest, le Brésil et le Paraguay au nord, le Brésil et l'Uruguay à l'est.</p>
<p><strong>Superficie :</strong> 2.780.000 km² (soit cinq fois la France) dont 30.200 km² de côtes. Huitième plus grand pays du monde.</p>
<p><strong>Nombre d'habitants :</strong> environ 43 millions d'Argentins et Argentines.</p>
<p><strong>Climat :</strong> varié selon les régions ; subtropical au nord, tempéré vers le Rio de la Plata, froid en Patagonie et dans la Terre de Feu.</p>
<p><a href="http://www.rebonds.net/images/ALICIA_DUJOVNE_ORTIZ/carte_argentine_grandes_villes_capitale.gif" class="jcepopup" data-mediabox-title="Carte : cartograf" data-mediabox="1"><img src="http://www.rebonds.net/images/ALICIA_DUJOVNE_ORTIZ/carte_argentine_grandes_villes_capitale.gif" alt="carte argentine grandes villes capitale" width="460" height="542" style="margin-left: 15px; float: right;" /></a></p>
<p><strong>Point culminant :</strong> montagne de Aconcagua à 7.000 mètres.</p>
<p><strong>Géographie :</strong> cinq grandes régions naturelles : la Patagonie au sud (grands plateaux), la Pampa à l'est (plaines), les Andes du nord-ouest (champs, montagnes), les Andes Centrales (montagnes), les Plaines du nord-est (marécages, savane, forêts, grands fleuves).</p>
<p><strong><span style="color: #ff615d;">Repères historiques</span></strong></p>
<p><strong>Avant l'arrivée des Espagnols :</strong> territoire peuplé par des tribus indiennes, dont certaines font partie de l'empire inca.</p>
<p><strong>1516 :</strong> le navigateur espagnol Juan Diaz de Solis débarque dans la région du Rio de la Plata.</p>
<p><strong>1536 :</strong> début de la colonisation par les Espagnols et fondation de la ville de Buenos Aires, aujourd'hui la capitale de l'Argentine (depuis 1826). Début de la persécution des peuples indiens, qui ne cessera jamais tout à fait.</p>
<p><strong>1806 et 1807 :</strong> les Espagnols repoussent des expéditions militaires anglaises qui tentent de s'approprier le territoire.</p>
<p><strong>1810 :</strong> renversement du vice-roi.</p>
<p><strong>1816 :</strong> le congrès de Tucuman proclame l'indépendance.</p>
<p><strong>1829 :</strong> le général Juan Manuel de Rosas unit les différentes provinces. L'ensemble est baptisé « Confédération argentine ». Il favorise l'arrivée de millions d'immigrants, notamment des Italiens, pour développer l'économie.</p>
<p><strong>1853 :</strong> adoption d'une constitution (révisée en 1860, 1866, 1898, 1957, 1994).</p>
<p><strong>Fin du XIXe siècle :</strong> affirmation du libéralisme économique ; enrichissement des grands propriétaires terriens et des exportateurs ; opposition des classes moyennes et populaires (radicalisme).</p>
<p><strong>1916 :</strong> mise en place de réformes sociales par le président Hipolito Yrigoyen.</p>
<p><strong>À partir de 1929 :</strong> Argentine touchée par la Grande Dépression. Succession de coups d'État organisés par les militaires et les conservateurs.</p>
<p><strong>1943 :</strong> coup d'État par un groupe d'officiers nationalistes dont Juan Domingo Perón. Avec sa femme Eva, instaure un régime populiste dit « justicialiste ».</p>
<p><strong>1955 :</strong> coup d'État contre Peron toutefois réélu en 1973. À sa mort en 1974, sa troisième femme Isabel prend le pouvoir.</p>
<p><strong>1976 –1983 :</strong> dictature militaire marquée par les disparitions, les internements arbitraires, la torture… (officiellement, 30.000 morts et disparus).</p>
<p><strong>1982 :</strong> guerre des Malouines contre le Royaume-Uni. L'Argentine veut récupérer les îles Falkland situées au large de sa côte sud est. Trois mois plus tard, victoire du Royaume-Uni.</p>
<p><strong>1983 :</strong> retour des civils au pouvoir avec le président radical Raul Alfonsin. Graves problèmes économiques.</p>
<p><strong>1989 :</strong> élection du péroniste Carlos Saul Menem à la présidence (réélu en 1995).</p>
<p><strong>1991 :</strong> création du Mercosur, le marché commun du sud, avec le Brésil, le Paraguay et l'Uruguay.</p>
<p><strong>1991-1996 :</strong> pour juguler l'hyper-inflation, le peso argentin est lié au dollar américain, ce qui provoque le ralentissement de l'économie et l'augmentation du chômage.</p>
<p><strong>2000 :</strong> plan de soutien du Fonds Monétaire International (FMI).</p>
<p><strong>2001 :</strong> grave crise économique ; pillages, émeutes...</p>
<p><strong>2003 :</strong> élection de Nestor Kirchner. Le « kirchnerisme » est marqué par un fort interventionisme de l'État, notamment dans le domaine économique, et la redistribution de la manne agricole.<br />Accord avec le FMI pour reporter le remboursement de la dette du pays.</p>
<p><strong>2005 :</strong> remboursement anticipé de la dette de 9,8 milliards de dollars auprès du FMI.</p>
<p><strong>2007 :</strong> création, avec cinq autres pays sud américains, d'une Banque du sud pour améliorer l'autonomie financière des participants, et contourner le FMI et la Banque mondiale.</p>
<p><strong>2007 :</strong> élection de Cristina Kirchner à la succession de son mari. Plan anti-crise avec mesures de soutien aux entreprises et investissements publics. Augmentation des taxes à l'exportation qui provoque la colère des agriculteurs.</p>
<p><strong>2010 :</strong> autorisation du mariage homosexuel (l'Argentine est le premier pays sud américain à l'autoriser). En revanche, l'avortement est toujours interdit.</p>
<p><strong>2011 :</strong> réélection de Cristina Kirchner.</p>
<p><strong>Depuis 2015 :</strong> présidence de Mauricio Macri, de centre droit. Mesures pour redresser l'économie mais inflation toujours élevée.</p>
<p>L'Argentine assurera la présidence du G20 en 2018.</p>
<p><strong><span style="color: #ff615d;">Repères institutionnels<br /></span></strong></p>
<p><strong>Régime actuel :</strong> république fédérale, régime présidentiel.</p>
<p><a href="http://www.rebonds.net/images/ALICIA_DUJOVNE_ORTIZ/drapeau_argentin.png" class="jcepopup" data-mediabox-title="Le drapeau argentin." data-mediabox="1"><img src="http://www.rebonds.net/images/ALICIA_DUJOVNE_ORTIZ/drapeau_argentin.png" alt="drapeau argentin" width="500" height="321" style="margin-left: 15px; float: right;" /></a><strong>Pouvoir exécutif :</strong> élection du président pour quatre ans au suffrage universel direct.</p>
<p><strong>Pouvoir législatif :</strong> le Congrès bicaméral est composé d'une Chambre des députés de 257 membres, renouvelée par moitié tous les deux ans, et d’un Sénat, renouvelé par tiers tous les deux ans, de 72 membres élus dans chaque province (trois sièges dont un réservé au parti arrivé second à l’élection).</p>
<p><strong>Système fédéral :</strong> 23 provinces et la capitale fédérale Buenos Aires dirigées par un exécutif élu pour quatre ans au suffrage universel direct (le gouverneur et le vice-gouverneur) et des assemblées régionales.</p>
<p><strong>Principaux partis :</strong></p>
<ul>
<li>Propuesta Republicana : coalition de partis de centre droit ; dirigée par Mauricio Macri, ancien maire de Buenos Aires et président élu en 2015.</li>
<li>Mouvement National Justicialiste, ou Péroniste : principal mouvement de masse argentin, créé autour de Juan Perón en 1946 ; regroupe plusieurs tendances allant de la droite conservatrice à la gauche ; a perdu les élections présidentielles en novembre 2015, mais toujours une importante représentation au Sénat et à la Chambre des députés.</li>
<li>Parti Radical, ou Union Civique Radicale : parti centriste ; regroupe des libéraux centristes et des sociaux-démocrates ; s’est allié avec le parti de Mauricio Macri au sein de Cambiemos.</li>
</ul>
<p><strong>Langue officielle :</strong> espagnole</p>
<p><strong>Monnaie :</strong> peso</p>
<p> </p>
<div class="panel panel-primary">
<div class="panel-heading">
<h3 class="panel-title"><span style="font-size: 18pt;">Pourquoi le pape évite son pays natal ?<br /></span></h3>
<p> </p>
<p>Le lundi 15 janvier 2018, le pape François entamait une nouvelle tournée en Amérique du Sud.</p>
<p>La sixième depuis son élection de chef de l'Église catholique, en mars 2013.<a href="http://www.rebonds.net/images/ALICIA_DUJOVNE_ORTIZ/pape_françois.jpeg" class="jcepopup" data-mediabox-title="Le pape François a été archevêque de Buenos Aires." data-mediabox="1"><img src="http://www.rebonds.net/images/ALICIA_DUJOVNE_ORTIZ/pape_françois.jpeg" alt="pape françois" width="203" height="203" style="margin-left: 15px; float: right;" /></a></p>
<p>Une fois de plus, il ne s'est pas rendu en Argentine, qui est pourtant son pays natal, mais au Chili et au Pérou. Lors de ses précédents voyages, ce sont le Brésil, l'Équateur, la Bolivie, le Paraguay, Cuba, le Mexique et la Colombie qui avaient été choisis.<br />Alors, pourquoi pas l'Argentine ? Les observateurs pensent qu'il ne souhaite pas être utilisé par le pouvoir en place, celui du président de centre droit Mauricio Macri. Les prises de position du pape en faveur des pauvres et des persécutés du monde entier, donnent des arguments à ceux qui l'accusent de péronisme et donc, d'opposant à Macri.</p>
<p>Son voyage en Amérique du Sud a été marqué par le soutien aux Indiens, notamment les Mapuches (persécutés en Argentine), aux immigrés Haïtiens au Chili, ainsi qu'aux populations d'Amazonie au Pérou.<span><a href="http://www.rfi.fr/ameriques/20180115-pourquoi-pape-francois-va-pas-argentine" style="color: #ffffff;">/20180115-pourquoi-pape-francois-va-pas-argentine</a></span></p>
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</div><p><strong>L'histoire de l'Argentine est passionnante. Elle n'est pas figée et fait régulièrement l'objet de polémiques, tant les oppositions politiques, ethniques, sociales sont encore fortes.<br />Pour accompagner la lecture de l'ouvrage d'Alicia Dujovne Ortiz (lire (Ré)acteurs), voici quelques repères, pour comprendre mais aussi pour donner envie d'aller plus loin dans la « visite » de ce pays fascinant.</strong></p>
<p><strong><span style="color: #ff615d;">Repères géographiques</span></strong></p>
<p><strong>Situation :</strong> au sud du continent américain ; partage ses frontières avec le Chili à l'ouest, le Brésil et le Paraguay au nord, le Brésil et l'Uruguay à l'est.</p>
<p><strong>Superficie :</strong> 2.780.000 km² (soit cinq fois la France) dont 30.200 km² de côtes. Huitième plus grand pays du monde.</p>
<p><strong>Nombre d'habitants :</strong> environ 43 millions d'Argentins et Argentines.</p>
<p><strong>Climat :</strong> varié selon les régions ; subtropical au nord, tempéré vers le Rio de la Plata, froid en Patagonie et dans la Terre de Feu.</p>
<p><a href="http://www.rebonds.net/images/ALICIA_DUJOVNE_ORTIZ/carte_argentine_grandes_villes_capitale.gif" class="jcepopup" data-mediabox-title="Carte : cartograf" data-mediabox="1"><img src="http://www.rebonds.net/images/ALICIA_DUJOVNE_ORTIZ/carte_argentine_grandes_villes_capitale.gif" alt="carte argentine grandes villes capitale" width="460" height="542" style="margin-left: 15px; float: right;" /></a></p>
<p><strong>Point culminant :</strong> montagne de Aconcagua à 7.000 mètres.</p>
<p><strong>Géographie :</strong> cinq grandes régions naturelles : la Patagonie au sud (grands plateaux), la Pampa à l'est (plaines), les Andes du nord-ouest (champs, montagnes), les Andes Centrales (montagnes), les Plaines du nord-est (marécages, savane, forêts, grands fleuves).</p>
<p><strong><span style="color: #ff615d;">Repères historiques</span></strong></p>
<p><strong>Avant l'arrivée des Espagnols :</strong> territoire peuplé par des tribus indiennes, dont certaines font partie de l'empire inca.</p>
<p><strong>1516 :</strong> le navigateur espagnol Juan Diaz de Solis débarque dans la région du Rio de la Plata.</p>
<p><strong>1536 :</strong> début de la colonisation par les Espagnols et fondation de la ville de Buenos Aires, aujourd'hui la capitale de l'Argentine (depuis 1826). Début de la persécution des peuples indiens, qui ne cessera jamais tout à fait.</p>
<p><strong>1806 et 1807 :</strong> les Espagnols repoussent des expéditions militaires anglaises qui tentent de s'approprier le territoire.</p>
<p><strong>1810 :</strong> renversement du vice-roi.</p>
<p><strong>1816 :</strong> le congrès de Tucuman proclame l'indépendance.</p>
<p><strong>1829 :</strong> le général Juan Manuel de Rosas unit les différentes provinces. L'ensemble est baptisé « Confédération argentine ». Il favorise l'arrivée de millions d'immigrants, notamment des Italiens, pour développer l'économie.</p>
<p><strong>1853 :</strong> adoption d'une constitution (révisée en 1860, 1866, 1898, 1957, 1994).</p>
<p><strong>Fin du XIXe siècle :</strong> affirmation du libéralisme économique ; enrichissement des grands propriétaires terriens et des exportateurs ; opposition des classes moyennes et populaires (radicalisme).</p>
<p><strong>1916 :</strong> mise en place de réformes sociales par le président Hipolito Yrigoyen.</p>
<p><strong>À partir de 1929 :</strong> Argentine touchée par la Grande Dépression. Succession de coups d'État organisés par les militaires et les conservateurs.</p>
<p><strong>1943 :</strong> coup d'État par un groupe d'officiers nationalistes dont Juan Domingo Perón. Avec sa femme Eva, instaure un régime populiste dit « justicialiste ».</p>
<p><strong>1955 :</strong> coup d'État contre Peron toutefois réélu en 1973. À sa mort en 1974, sa troisième femme Isabel prend le pouvoir.</p>
<p><strong>1976 –1983 :</strong> dictature militaire marquée par les disparitions, les internements arbitraires, la torture… (officiellement, 30.000 morts et disparus).</p>
<p><strong>1982 :</strong> guerre des Malouines contre le Royaume-Uni. L'Argentine veut récupérer les îles Falkland situées au large de sa côte sud est. Trois mois plus tard, victoire du Royaume-Uni.</p>
<p><strong>1983 :</strong> retour des civils au pouvoir avec le président radical Raul Alfonsin. Graves problèmes économiques.</p>
<p><strong>1989 :</strong> élection du péroniste Carlos Saul Menem à la présidence (réélu en 1995).</p>
<p><strong>1991 :</strong> création du Mercosur, le marché commun du sud, avec le Brésil, le Paraguay et l'Uruguay.</p>
<p><strong>1991-1996 :</strong> pour juguler l'hyper-inflation, le peso argentin est lié au dollar américain, ce qui provoque le ralentissement de l'économie et l'augmentation du chômage.</p>
<p><strong>2000 :</strong> plan de soutien du Fonds Monétaire International (FMI).</p>
<p><strong>2001 :</strong> grave crise économique ; pillages, émeutes...</p>
<p><strong>2003 :</strong> élection de Nestor Kirchner. Le « kirchnerisme » est marqué par un fort interventionisme de l'État, notamment dans le domaine économique, et la redistribution de la manne agricole.<br />Accord avec le FMI pour reporter le remboursement de la dette du pays.</p>
<p><strong>2005 :</strong> remboursement anticipé de la dette de 9,8 milliards de dollars auprès du FMI.</p>
<p><strong>2007 :</strong> création, avec cinq autres pays sud américains, d'une Banque du sud pour améliorer l'autonomie financière des participants, et contourner le FMI et la Banque mondiale.</p>
<p><strong>2007 :</strong> élection de Cristina Kirchner à la succession de son mari. Plan anti-crise avec mesures de soutien aux entreprises et investissements publics. Augmentation des taxes à l'exportation qui provoque la colère des agriculteurs.</p>
<p><strong>2010 :</strong> autorisation du mariage homosexuel (l'Argentine est le premier pays sud américain à l'autoriser). En revanche, l'avortement est toujours interdit.</p>
<p><strong>2011 :</strong> réélection de Cristina Kirchner.</p>
<p><strong>Depuis 2015 :</strong> présidence de Mauricio Macri, de centre droit. Mesures pour redresser l'économie mais inflation toujours élevée.</p>
<p>L'Argentine assurera la présidence du G20 en 2018.</p>
<p><strong><span style="color: #ff615d;">Repères institutionnels<br /></span></strong></p>
<p><strong>Régime actuel :</strong> république fédérale, régime présidentiel.</p>
<p><a href="http://www.rebonds.net/images/ALICIA_DUJOVNE_ORTIZ/drapeau_argentin.png" class="jcepopup" data-mediabox-title="Le drapeau argentin." data-mediabox="1"><img src="http://www.rebonds.net/images/ALICIA_DUJOVNE_ORTIZ/drapeau_argentin.png" alt="drapeau argentin" width="500" height="321" style="margin-left: 15px; float: right;" /></a><strong>Pouvoir exécutif :</strong> élection du président pour quatre ans au suffrage universel direct.</p>
<p><strong>Pouvoir législatif :</strong> le Congrès bicaméral est composé d'une Chambre des députés de 257 membres, renouvelée par moitié tous les deux ans, et d’un Sénat, renouvelé par tiers tous les deux ans, de 72 membres élus dans chaque province (trois sièges dont un réservé au parti arrivé second à l’élection).</p>
<p><strong>Système fédéral :</strong> 23 provinces et la capitale fédérale Buenos Aires dirigées par un exécutif élu pour quatre ans au suffrage universel direct (le gouverneur et le vice-gouverneur) et des assemblées régionales.</p>
<p><strong>Principaux partis :</strong></p>
<ul>
<li>Propuesta Republicana : coalition de partis de centre droit ; dirigée par Mauricio Macri, ancien maire de Buenos Aires et président élu en 2015.</li>
<li>Mouvement National Justicialiste, ou Péroniste : principal mouvement de masse argentin, créé autour de Juan Perón en 1946 ; regroupe plusieurs tendances allant de la droite conservatrice à la gauche ; a perdu les élections présidentielles en novembre 2015, mais toujours une importante représentation au Sénat et à la Chambre des députés.</li>
<li>Parti Radical, ou Union Civique Radicale : parti centriste ; regroupe des libéraux centristes et des sociaux-démocrates ; s’est allié avec le parti de Mauricio Macri au sein de Cambiemos.</li>
</ul>
<p><strong>Langue officielle :</strong> espagnole</p>
<p><strong>Monnaie :</strong> peso</p>
<p> </p>
<div class="panel panel-primary">
<div class="panel-heading">
<h3 class="panel-title"><span style="font-size: 18pt;">Pourquoi le pape évite son pays natal ?<br /></span></h3>
<p> </p>
<p>Le lundi 15 janvier 2018, le pape François entamait une nouvelle tournée en Amérique du Sud.</p>
<p>La sixième depuis son élection de chef de l'Église catholique, en mars 2013.<a href="http://www.rebonds.net/images/ALICIA_DUJOVNE_ORTIZ/pape_françois.jpeg" class="jcepopup" data-mediabox-title="Le pape François a été archevêque de Buenos Aires." data-mediabox="1"><img src="http://www.rebonds.net/images/ALICIA_DUJOVNE_ORTIZ/pape_françois.jpeg" alt="pape françois" width="203" height="203" style="margin-left: 15px; float: right;" /></a></p>
<p>Une fois de plus, il ne s'est pas rendu en Argentine, qui est pourtant son pays natal, mais au Chili et au Pérou. Lors de ses précédents voyages, ce sont le Brésil, l'Équateur, la Bolivie, le Paraguay, Cuba, le Mexique et la Colombie qui avaient été choisis.<br />Alors, pourquoi pas l'Argentine ? Les observateurs pensent qu'il ne souhaite pas être utilisé par le pouvoir en place, celui du président de centre droit Mauricio Macri. Les prises de position du pape en faveur des pauvres et des persécutés du monde entier, donnent des arguments à ceux qui l'accusent de péronisme et donc, d'opposant à Macri.</p>
<p>Son voyage en Amérique du Sud a été marqué par le soutien aux Indiens, notamment les Mapuches (persécutés en Argentine), aux immigrés Haïtiens au Chili, ainsi qu'aux populations d'Amazonie au Pérou.<span><a href="http://www.rfi.fr/ameriques/20180115-pourquoi-pape-francois-va-pas-argentine" style="color: #ffffff;">/20180115-pourquoi-pape-francois-va-pas-argentine</a></span></p>
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</div>Alicia Dujovne Ortiz : une écrivaine argentine engagée en Berry2017-03-21T12:54:42+01:002017-03-21T12:54:42+01:00http://www.rebonds.net/9aliciadujovneortiz/391-aliciadujovneortizSuper User<p><strong><em><span style="font-size: 12pt;"></span>« Existe-t-il quelqu'un sur cette planète qui soit « d'origine », qui ne provienne pas de vastes migrations ? »</em></strong></p>
<p><strong><em>« La double appartenance sociale nous divise, nous déchire mais dans des cas de générosité exceptionnelle, elle nous permet aussi d'utiliser ce que l'on sait d'un monde pour secourir l'autre. »</em></strong></p>
<p style="text-align: right;"><strong>Alicia Dujovne Ortiz</strong><br /><strong>dans « Milagro Sala, l'étincelle d'un peuple »</strong><br /><strong>(éditions les femmes-Antoinette Fouque)</strong></p>
<p><span style="font-size: 18pt;">À </span>l'observer, on pourrait croire qu'elle est une <em>« dame tranquille qui se promène simplement »</em>. Une femme âgée, une grand-mère, qui a choisi ce petit coin de Berry, une maison et la forêt qui l'environne, pour finir sa vie. Mais pas du tout. Certes, Alicia Dujovne Ortiz vient de fêter ses 79 ans et si elle a décidé de s'installer à Jars il y a quelques années, c'est bien pour profiter du calme de la campagne. Mais pas pour s'y endormir, non. Pour y travailler, dur. Pour s'entendre penser. Et ainsi, pour pouvoir écrire un ouvrage par an.</p>
<p><a href="http://www.rebonds.net/images/ALICIA_DUJOVNE_ORTIZ/dujovne-ortiz-alicia_modif.jpg" type="image/jpeg" class="jcepopup" data-mediabox-title="Alicia Dujovne Ortiz (photo : Silvina Stirnemann)." data-mediabox="1"><img src="http://www.rebonds.net/images/ALICIA_DUJOVNE_ORTIZ/dujovne-ortiz-alicia_modif.jpg" alt="dujovne ortiz alicia modif" width="500" height="750" style="margin-left: 15px; border: 2px double #e2e2e2; float: right;" /></a>Alicia Dujovne Ortiz est une journaliste et écrivaine d'origine argentine. Née en Argentine, serait plus juste. Car ses origines familiales sont ukrainiennes par son père et argentines (italiennes, espagnoles ?) par sa mère. Cela a-t-il vraiment de l'importance ? Oui. Car cette <em>« identité divisée ou double »</em> comme elle la nomme elle-même, ajoutée à l'exil, a forgé sa manière d'être au monde. Elle dit aussi beaucoup des personnages de ses romans et biographies, souvent complexes, <em>« jamais certains de leur identité »</em>. Comme Carlos Dujovne, Eva Peron, Dora Maar, Thérèse d'Avila… ou encore Milagro Sala, à laquelle Alicia Dujovne Ortiz consacre son dernier livre : « Milagro Sala, l'étincelle d'un peuple » (paru en 2017 aux éditions des femmes-Antoinette Fouque).</p>
<p>C'est la sortie de cet ouvrage qui m'a soudain rappelé que j'avais la chance d'avoir quasiment pour voisine, à quelques kilomètres seulement de chez moi, une écrivaine argentine engagée, passionnée et passionnante. Il était temps de la rencontrer.</p>
<p><span style="color: #fc615d;">__________________________________</span></p>
<h3>Un rayon de lumière</h3>
<p><span style="color: #fc615d;">__________________________________</span></p>
<p><strong>Jars – mardi 9 janvier 2018 – 16 heures</strong></p>
<p>Lorsque les nuages étouffent ainsi le soleil, que la pluie tombe sans cesse durant des jours au point que la boue ne colle plus seulement aux bottes mais à tout, je me demande toujours pourquoi je ne vis pas plus au sud. Avant de me raviser – c'est idiot, tu es une fille d'automne ; comme les plantes, tu mourrais sans doute de n'être pas assez arrosée… Tout de même, je n'en peux plus de ce gris maussade, il me faut un rayon de lumière. Le voilà qui apparaît, dans l'entrebaillement d'une porte : une petite femme au sourire radieux, qui m'encourage à vite me mettre à l'abri dans la chaleur de sa maison. Alicia Dujovne Ortiz commence par me proposer un café : <em>« Je ne vous propose pas du maté, je ne connais personne en France qui aime ça »</em>. Ma réponse la surprend : <em>« Moi, si. »</em> Il y a quelques années, dans le Morbihan, je cotoyais une jeune femme argentine, Florencia, qui m'avait donné goût à cette infusion de plante amère que l'on boit dans un pot à pipette. Alicia partage le sien de bon coeur.</p>
<p><span style="color: #fc615d;">______________________________________________________________________________</span></p>
<h3>Injustice, pouvoir, prise de conscience et résistance</h3>
<p><span style="color: #fc615d;">______________________________________________________________________________</span></p>
<p>Nous voilà confortablement assises face à une cheminée un peu paresseuse. La conversation s'engage avec facilité, naturel même. L'écrivaine me parle de ses travaux en cours, le troisième volet de son auto-fiction (*), qui s'intitulera « Eau de vie » en hommage aux cinq litres à 50 ° qu'elle a tirés de ses prunes berrichonnes ! Mais aussi un ouvrage sur les Mapuches, des Indiens de la Patagonie persécutés par l'État argentin.</p>
<p>Le 29 décembre dernier, Alicia Dujovne Ortiz a publié un article bien senti sur le blog Mediapart de Carlos Schmerkin, réfugié politique, membre fondateur de l'Assemblée des Citoyens Argentins de France (ACAF). Titrant « Pourquoi le photographe de Benetton ignore les Mapuches ? », la journaliste et écrivaine épingle Oliviero Toscani, célèbre pour ses campagnes de publicité de la marque de prêt-à-porter italienne, mettant en scène des modèles de toutes les « couleurs » de peau : United Colors of Benetton, c'était lui. La déclaration : <em>« Nous devons vendre, nous ne sommes pas là pour nous masturber sur tel ou tel sujet »</em>, c'est lui aussi (Libération, 13 décembre 2017)... Son patron, Luciano Benetton, serait le propriétaire de 900.000 hectares en Patagonie, où paissent les moutons qui produisent la laine servant à la fabrication de ses vêtements. Des terres qu'il a pu acquérir grâce aux expropriations des peuples comme les Mapuches et qu'il peut conserver grâce à un système politique corrompu.<br />L'article, comme l'ouvrage sur Milagro Sala, parle d'injustice, de pouvoir, mais aussi d'Histoire, de prise de conscience et de résistance.</p>
<p><span style="color: #fc615d;">______________________________________________________</span></p>
<h3><strong>«</strong> On apprend à aimer le pays vrai »</h3>
<p><span style="color: #fc615d;"><span style="color: #fc615d;">______________________________________________________</span></span></p>
<p>Alicia Dujovne Ortiz sait de quoi elle parle. Elle est le fruit de l'union entre un des fondateurs du parti communiste argentin et une écrivaine féministe (**). Pour autant, en Argentine, elle n'était pas militante. <em>« Non, j'étais vaccinée ! J'ai connu la tristesse immense de parents déçus par l'Histoire. »</em> Le Stalinisme laissa à beaucoup de communistes de la première heure un goût amer…</p>
<p><a href="http://www.rebonds.net/images/ALICIA_DUJOVNE_ORTIZ/maté.jpg" type="image/jpeg" class="jcepopup" data-mediabox-title="Le maté est une infusion qui se boit dans un pot à pipette." data-mediabox="1"><img src="http://www.rebonds.net/images/ALICIA_DUJOVNE_ORTIZ/maté.jpg" alt="maté" width="500" height="333" style="margin-left: 15px; border: 2px double #e2e2e2; float: right;" /></a><em>« Je n'ai pas partagé non plus l'espoir de ma génération. C'est venu plus tard. Pas du côté de la lutte armée, mais de celui des personnes qui jettent les bases d'un autre monde. Faire autre chose autrement. Pour moi, c'est ça l'anarchisme. »</em></p>
<p>En 1978, à cause de la dictature militaire, elle quitte l'Argentine et s'installe en France. Pourquoi ce pays précisément ? <em>« Il représentait un idéal de liberté et de culture, pour moi comme pour beaucoup d'exilés politiques attirés par la littérature. Cet idéal, c'est ma mère qui me l'avait transmis. Et je parlais déjà le français. »</em> A-t-elle trouvé son idéal ? Elle lève les yeux au plafond, fait semblant de réfléchir un peu avant de répondre avec un air un brin malicieux : <em>« Pas vraiment… On ne croise pas des Victor Hugo à tous les coins de rue ! Mais progressivement, on apprend à aimer le pays vrai. »</em></p>
<p><span style="color: #fc615d;">________________________________________________________________________</span></p>
<h3>« Le grand sujet aujourd'hui, c'est les migrants »</h3>
<p><span style="color: #fc615d;"><span style="color: #fc615d;">________________________________________________________________________</span></span></p>
<p>À plusieurs reprises, elle a tenté de se ré-installer en Argentine. En vain. <em>« Ça n'a jamais fonctionné. La première fois, c'était avec ma fille et mes petits-enfants mais en 2001, il y a eu la grave crise économique. J'ai fait une deuxième immigration, économique cette fois. Aujourd'hui, je ne serai pas acceptée par Macron ! Ensuite, j'ai hérité d'un appartement à Buenos Aires, mais mes filles vivaient à Paris, j'étais seule. Quand mon arrière petit-fils est né, je me suis demandé : mais qu'est-ce que je fais ici ? Je suis revenue. »</em><br />Il y a sept ans, elle a cherché un havre près de Paris, pour écrire. Le Berry. <em>« Ici, c'est un lieu très beau, très paisible. Il ne me paralyse pas, bien au contraire. »</em> Elle aime flâner dans les bois et la compagnie des vaches. Elle qui est née dans la région des pampas, ces immenses plaines où courent des troupeaux à perte de vue... <em>« Je n'en avais jamais vu d'aussi près. C'est drôle : elles viennent me voir. Moi qui était déjà presque végétarienne le suis devenue complètement. Bien sûr : je ne peux pas manger des amies ! »</em></p>
<p>Lorsque je lui demande ce qu'elle pense de la France actuelle, elle s'engage sur le terrain politique. <em>« Je crois que la gauche et la droite existent séparément. Je ne crois pas en cette idée de « en même temps » et je pense que lorsqu'on dit ça, on est assurément de droite. Jusqu'ici, la France était un État de droit. Mais cette attitude que la police se permet depuis quelques temps est inacceptable. La politique par rapport aux migrants est intolérable : taillader leurs tentes, les priver d'eau… »</em> Elle récuse la distinction entre migrant économique et migrant politique, chère au gouvernement Macron. <em>« Un migrant économique est aussi un migrant politique : ceux qui ont faim, c'est à cause de raisons politiques ! »</em> Pour elle, <em>« le grand sujet d'aujourd'hui, c'est les migrants. C'est un problème planétaire. »</em></p>
<p><span style="color: #fc615d;">________________________________________________________________________</span></p>
<h3>« Mon plaisir : fouiller derrière ce qui se passe »</h3>
<p><span style="color: #fc615d;">________________________________________________________________________</span></p>
<p>Alicia Dujovne Ortiz a toujours écrit. D'abord des poèmes, publiés dans les années 1960 et 1970. Ensuite, <em>« je suis devenue journaliste. Ça m'a permis de sortir de moi-même et d'apprendre à fouiller derrière la réalité. C'est ça, mon plaisir : fouiller derrière ce qui se passe. »</em> Elle a collaboré à « La Nacion », un journal argentin, mais aussi « Le Monde » français, par exemple.<br />Son premier roman, « El buzon de la esquina », est paru en 1977 et depuis, elle n'a cessé de publier, des romans, des biographies, des chroniques et même des livres pour la jeunesse. <em>« Je travaille énormément, </em>explique-t-elle.<em> Je lis beaucoup, je me documente beaucoup. Pour les chroniques et les biographies, j'interroge les témoins vivants si c'est possible. Une autre chose que je fais souvent : le voyage. J'ai besoin de voir, les terres, les lieux... »</em></p>
<p><a href="http://www.rebonds.net/images/ALICIA_DUJOVNE_ORTIZ/Manif_milagro.jpg" type="image/jpeg" class="jcepopup" data-mediabox-title="Milagro Sala entourée de femmes guaranis et kollas, à la fête de la Pachamama en Argentine 2014 (photo : Presse Tupac Amaru)." data-mediabox="1"><img src="http://www.rebonds.net/images/ALICIA_DUJOVNE_ORTIZ/Manif_milagro.jpg" alt="Manif milagro" width="500" height="336" style="margin-left: 15px; border: 2px double #e2e2e2; float: right;" /></a>C'est ainsi qu'en mai 2017, petit sac sur le dos, elle s'envole pour Buenos Aires puis la province de Jujuy au nord-ouest de l'Argentine, afin d'enquêter sur Milagro Sala et l'organisation Tupac Amaru. Comment avait-elle eu connaissance de cette histoire ? <em>« J'avais été appelée par la Maison de l'Argentine à Paris pour parler des violences faites aux femmes. En France, une femme meurt tous les trois jours sous les coups de son mari ou compagnon. En Argentine, c'est chaque jour. Les organisateurs m'ont demandé si je pouvais parler de Milagro Sala. J'ai commencé à lire sur elle, à trier les informations que j'avais… J'étais face à quelqu'un qui m'intéressait vraiment ! J'ai rencontré beaucoup de femmes fortes mais comme elle, non. C'est la plus originale. Elle a fait une révolution avec les moins que rien. »</em></p>
<p>Grâce à l'ACAF, elle prend contact avec l'assistante de presse de la Tupac Amaru.<em> « J'en ai parlé aux éditions des femmes-Antoinette Fouque et trois jours plus tard, j'étais dans l'avion ! »</em> Il y a urgence. <em>« C'est la première fois de ma vie que j'écris sur une personne vivante et en danger de mort. »</em> À l'époque en effet, Milagro Sala était en prison et ses soutiens craignaient qu'elle y soit assassinée. Aujourd'hui détenue à domicile, le risque n'a pour autant pas disparu, tant la haine que suscite cette femme et la corruption sont présentes en Argentine.</p>
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<h3>Une enquête sur Milagro Sala</h3>
<p><span style="color: #fc615d;">______________________________________________</span></p>
<p>Mais qui est Milagro Sala ? (***)<em> « Femme et anarchiste »</em>, écrit Alicia Dujovne Ortiz. Une résistante. Résistante à la pauvreté et à toutes les injustices qui touchent les marginaux, au pouvoir établi blanc, riche, raciste et machiste de son pays. <em>« La révolte de Milagro oppose deux classes sociales : les propres sur eux et les puants »</em>, dixit le philosophe Jorge Vildes repris dans le livre d'Alicia Dujovne Ortiz.</p>
<p><a href="http://www.rebonds.net/images/ALICIA_DUJOVNE_ORTIZ/Logement_Tupac.jpg" type="image/jpeg" class="jcepopup" data-mediabox-title="Parmi les actions de Milagro Sala : la construction de logements pour les plus pauvres (photo : Presse Tupac Amaru)." data-mediabox="1"><img src="http://www.rebonds.net/images/ALICIA_DUJOVNE_ORTIZ/Logement_Tupac.jpg" alt="Logement Tupac" width="500" height="332" style="margin-left: 15px; border: 2px double #e2e2e2; float: right;" /></a>Adoptée, ayant connu la rue et la misère, Milagro Sala a voulu redonner confiance aux habitants des villes et des quartiers pauvres de la province de Jujuy, particulièrement les femmes et les jeunes chômeurs. Durant quinze ans, elle les a encouragés à s'organiser pour se nourrir, pour construire des logements dignes, des écoles, des centres de soins, des piscines, des coopératives de textile ou encore de métallurgie…<br />Soutenue par le président Nestor Kirchner en son temps, elle est aujourd'hui accusée de détournement de fonds par le pouvoir en place. Arrêtée en 2015, elle est régulièrement inculpée de nouveaux chefs d'accusation, sans jamais avoir bénéficié d'un seul procès. Pire : le gouvernement de Mauricio Macri reste totalement sourd aux injonctions internationales de la Cour Interaméricaine des Droits de l'Homme (CIDH) et de l'Organisation des Nations Unies (ONU) qui le somment de mettre fin à cette situation injuste. Mais rien n'y fait.</p>
<p>L'enquête d'Alicia Dujovne Ortiz la mène auprès de Milagro Sala, alors qu'elle est encore en prison. Durant son séjour, l'écrivaine rencontre également des Tupaqueros et des Tupaqueras (****) qui livrent des témoignages révélant l'extraordinaire révolution qu'ils ont vécue, mais aussi la complexité du personnage de Milagro Sala. Mère protectrice ou dirigeante tyrannique ? Généreuse ou mauvaise gestionnaire ? Politicienne adepte de l'improvisation ou en manque d'idéologie claire ?<br />Ces questions et tous les symboles qu'elle réunit (femme – indienne – militante politique défendant les pauvres) suffisent à diviser les Argentins : elle semble autant adorée que détestée.</p>
<p><span style="color: #fc615d;">______________________________________________________</span></p>
<h3>Une soirée se prépare à Bourges...</h3>
<p><span style="color: #fc615d;">______________________________________________________</span></p>
<p>Au niveau international en revanche, la mobilisation s'organise.</p>
<p><a href="http://www.rebonds.net/images/ALICIA_DUJOVNE_ORTIZ/couv_Milagro-Sala-bd.jpg" type="image/jpeg" class="jcepopup" data-mediabox-title="Alicia Dujovne Ortiz fait actuellement la promotion de son livre sur Milagro Sala." data-mediabox="1"><img src="http://www.rebonds.net/images/ALICIA_DUJOVNE_ORTIZ/couv_Milagro-Sala-bd.jpg" alt="couv Milagro Sala bd" width="224" height="300" style="margin-left: 15px; border: 2px double #e2e2e2; float: right;" /></a>En France, ce lundi 15 janvier 2018, une conférence de presse est organisée par Amnesty International et le lendemain, une manifestation de soutien au Trocadéro à Paris. De son côté, Alicia Dujovne Ortiz poursuit la promotion de son ouvrage, qui se joint à la mobilisation lancée pour exiger la libération de Milagro Sala. En février, elle se rendra à Genève et Toulouse. Une soirée se prépare à Bourges...</p>
<p>La nuit est tombée, le froid commence à se faire sentir. Un petit félin fait irruption dans la pièce. <em>« Devinez son âge ! »</em> me lance mon hôte. <em>« En âge chat, vous voulez dire ? »</em> Elle n'y tient plus : <em>« Vingt-deux ans ! »</em> À part une hernie attrapée en grimpant aux arbres comme une jeunette cet été, la chatte semble très bien se porter. En partant, je jette un dernier regard à Alicia Dujovne Ortiz, pressentant qu'il lui reste, à elle aussi, suffisamment de force pour continuer à voyager, enquêter, écrire. Résister.</p>
<p><em>Fanny Lancelin</em></p>
<p><em><span style="font-size: 8pt;">(*) Premier volet : « L'arbre de la gitane » paru en 1991 aux éditions Gallimard. Deuxième volet : <em><span style="font-size: 8pt;">«</span></em> La perlas rojas <em><span style="font-size: 8pt;">»</span></em> inédit en France.<br />(**) Son père, Carlos Dujovne, dont elle a écrit la biographie, « Camarade Carlos, un agent du Komintern en Amérique Latine » (éditions La Découverte, 2008) et sa mère, Alicia Ortiz, auteure de « Amanecer en Bolivia » – Le jour se lève en Bolivie – (éditions Hemisferio, 1953).<br />(***) Lire aussi la rubrique (Re)visiter.<br />(****) Membres de la Tupac Amaru, organisation créée par Milagro Sala.<br /></span></em></p>
<p> </p>
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<div class="panel-heading">
<h3 class="panel-title">Plus</h3>
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<p>Retrouvez tous les ouvrages d'Alicia Dujovne Ortiz parus en France sur <a href="http://aliciadujovneortiz.free.fr/">http://aliciadujovneortiz.free.fr/</a></p>
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<li>
<p><a href="http://aliciadujovneortiz.free.fr/"></a>Un des sites pour la mobilisation de Milagro Sala : <a href="https://www.pressenza.com/fr/tag/milagro-sala-fr/">https://www.pressenza.com/fr/tag/milagro-sala-fr/</a></p>
</li>
</ul>
</div><p><strong><em><span style="font-size: 12pt;"></span>« Existe-t-il quelqu'un sur cette planète qui soit « d'origine », qui ne provienne pas de vastes migrations ? »</em></strong></p>
<p><strong><em>« La double appartenance sociale nous divise, nous déchire mais dans des cas de générosité exceptionnelle, elle nous permet aussi d'utiliser ce que l'on sait d'un monde pour secourir l'autre. »</em></strong></p>
<p style="text-align: right;"><strong>Alicia Dujovne Ortiz</strong><br /><strong>dans « Milagro Sala, l'étincelle d'un peuple »</strong><br /><strong>(éditions les femmes-Antoinette Fouque)</strong></p>
<p><span style="font-size: 18pt;">À </span>l'observer, on pourrait croire qu'elle est une <em>« dame tranquille qui se promène simplement »</em>. Une femme âgée, une grand-mère, qui a choisi ce petit coin de Berry, une maison et la forêt qui l'environne, pour finir sa vie. Mais pas du tout. Certes, Alicia Dujovne Ortiz vient de fêter ses 79 ans et si elle a décidé de s'installer à Jars il y a quelques années, c'est bien pour profiter du calme de la campagne. Mais pas pour s'y endormir, non. Pour y travailler, dur. Pour s'entendre penser. Et ainsi, pour pouvoir écrire un ouvrage par an.</p>
<p><a href="http://www.rebonds.net/images/ALICIA_DUJOVNE_ORTIZ/dujovne-ortiz-alicia_modif.jpg" type="image/jpeg" class="jcepopup" data-mediabox-title="Alicia Dujovne Ortiz (photo : Silvina Stirnemann)." data-mediabox="1"><img src="http://www.rebonds.net/images/ALICIA_DUJOVNE_ORTIZ/dujovne-ortiz-alicia_modif.jpg" alt="dujovne ortiz alicia modif" width="500" height="750" style="margin-left: 15px; border: 2px double #e2e2e2; float: right;" /></a>Alicia Dujovne Ortiz est une journaliste et écrivaine d'origine argentine. Née en Argentine, serait plus juste. Car ses origines familiales sont ukrainiennes par son père et argentines (italiennes, espagnoles ?) par sa mère. Cela a-t-il vraiment de l'importance ? Oui. Car cette <em>« identité divisée ou double »</em> comme elle la nomme elle-même, ajoutée à l'exil, a forgé sa manière d'être au monde. Elle dit aussi beaucoup des personnages de ses romans et biographies, souvent complexes, <em>« jamais certains de leur identité »</em>. Comme Carlos Dujovne, Eva Peron, Dora Maar, Thérèse d'Avila… ou encore Milagro Sala, à laquelle Alicia Dujovne Ortiz consacre son dernier livre : « Milagro Sala, l'étincelle d'un peuple » (paru en 2017 aux éditions des femmes-Antoinette Fouque).</p>
<p>C'est la sortie de cet ouvrage qui m'a soudain rappelé que j'avais la chance d'avoir quasiment pour voisine, à quelques kilomètres seulement de chez moi, une écrivaine argentine engagée, passionnée et passionnante. Il était temps de la rencontrer.</p>
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<h3>Un rayon de lumière</h3>
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<p><strong>Jars – mardi 9 janvier 2018 – 16 heures</strong></p>
<p>Lorsque les nuages étouffent ainsi le soleil, que la pluie tombe sans cesse durant des jours au point que la boue ne colle plus seulement aux bottes mais à tout, je me demande toujours pourquoi je ne vis pas plus au sud. Avant de me raviser – c'est idiot, tu es une fille d'automne ; comme les plantes, tu mourrais sans doute de n'être pas assez arrosée… Tout de même, je n'en peux plus de ce gris maussade, il me faut un rayon de lumière. Le voilà qui apparaît, dans l'entrebaillement d'une porte : une petite femme au sourire radieux, qui m'encourage à vite me mettre à l'abri dans la chaleur de sa maison. Alicia Dujovne Ortiz commence par me proposer un café : <em>« Je ne vous propose pas du maté, je ne connais personne en France qui aime ça »</em>. Ma réponse la surprend : <em>« Moi, si. »</em> Il y a quelques années, dans le Morbihan, je cotoyais une jeune femme argentine, Florencia, qui m'avait donné goût à cette infusion de plante amère que l'on boit dans un pot à pipette. Alicia partage le sien de bon coeur.</p>
<p><span style="color: #fc615d;">______________________________________________________________________________</span></p>
<h3>Injustice, pouvoir, prise de conscience et résistance</h3>
<p><span style="color: #fc615d;">______________________________________________________________________________</span></p>
<p>Nous voilà confortablement assises face à une cheminée un peu paresseuse. La conversation s'engage avec facilité, naturel même. L'écrivaine me parle de ses travaux en cours, le troisième volet de son auto-fiction (*), qui s'intitulera « Eau de vie » en hommage aux cinq litres à 50 ° qu'elle a tirés de ses prunes berrichonnes ! Mais aussi un ouvrage sur les Mapuches, des Indiens de la Patagonie persécutés par l'État argentin.</p>
<p>Le 29 décembre dernier, Alicia Dujovne Ortiz a publié un article bien senti sur le blog Mediapart de Carlos Schmerkin, réfugié politique, membre fondateur de l'Assemblée des Citoyens Argentins de France (ACAF). Titrant « Pourquoi le photographe de Benetton ignore les Mapuches ? », la journaliste et écrivaine épingle Oliviero Toscani, célèbre pour ses campagnes de publicité de la marque de prêt-à-porter italienne, mettant en scène des modèles de toutes les « couleurs » de peau : United Colors of Benetton, c'était lui. La déclaration : <em>« Nous devons vendre, nous ne sommes pas là pour nous masturber sur tel ou tel sujet »</em>, c'est lui aussi (Libération, 13 décembre 2017)... Son patron, Luciano Benetton, serait le propriétaire de 900.000 hectares en Patagonie, où paissent les moutons qui produisent la laine servant à la fabrication de ses vêtements. Des terres qu'il a pu acquérir grâce aux expropriations des peuples comme les Mapuches et qu'il peut conserver grâce à un système politique corrompu.<br />L'article, comme l'ouvrage sur Milagro Sala, parle d'injustice, de pouvoir, mais aussi d'Histoire, de prise de conscience et de résistance.</p>
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<h3><strong>«</strong> On apprend à aimer le pays vrai »</h3>
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<p>Alicia Dujovne Ortiz sait de quoi elle parle. Elle est le fruit de l'union entre un des fondateurs du parti communiste argentin et une écrivaine féministe (**). Pour autant, en Argentine, elle n'était pas militante. <em>« Non, j'étais vaccinée ! J'ai connu la tristesse immense de parents déçus par l'Histoire. »</em> Le Stalinisme laissa à beaucoup de communistes de la première heure un goût amer…</p>
<p><a href="http://www.rebonds.net/images/ALICIA_DUJOVNE_ORTIZ/maté.jpg" type="image/jpeg" class="jcepopup" data-mediabox-title="Le maté est une infusion qui se boit dans un pot à pipette." data-mediabox="1"><img src="http://www.rebonds.net/images/ALICIA_DUJOVNE_ORTIZ/maté.jpg" alt="maté" width="500" height="333" style="margin-left: 15px; border: 2px double #e2e2e2; float: right;" /></a><em>« Je n'ai pas partagé non plus l'espoir de ma génération. C'est venu plus tard. Pas du côté de la lutte armée, mais de celui des personnes qui jettent les bases d'un autre monde. Faire autre chose autrement. Pour moi, c'est ça l'anarchisme. »</em></p>
<p>En 1978, à cause de la dictature militaire, elle quitte l'Argentine et s'installe en France. Pourquoi ce pays précisément ? <em>« Il représentait un idéal de liberté et de culture, pour moi comme pour beaucoup d'exilés politiques attirés par la littérature. Cet idéal, c'est ma mère qui me l'avait transmis. Et je parlais déjà le français. »</em> A-t-elle trouvé son idéal ? Elle lève les yeux au plafond, fait semblant de réfléchir un peu avant de répondre avec un air un brin malicieux : <em>« Pas vraiment… On ne croise pas des Victor Hugo à tous les coins de rue ! Mais progressivement, on apprend à aimer le pays vrai. »</em></p>
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<h3>« Le grand sujet aujourd'hui, c'est les migrants »</h3>
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<p>À plusieurs reprises, elle a tenté de se ré-installer en Argentine. En vain. <em>« Ça n'a jamais fonctionné. La première fois, c'était avec ma fille et mes petits-enfants mais en 2001, il y a eu la grave crise économique. J'ai fait une deuxième immigration, économique cette fois. Aujourd'hui, je ne serai pas acceptée par Macron ! Ensuite, j'ai hérité d'un appartement à Buenos Aires, mais mes filles vivaient à Paris, j'étais seule. Quand mon arrière petit-fils est né, je me suis demandé : mais qu'est-ce que je fais ici ? Je suis revenue. »</em><br />Il y a sept ans, elle a cherché un havre près de Paris, pour écrire. Le Berry. <em>« Ici, c'est un lieu très beau, très paisible. Il ne me paralyse pas, bien au contraire. »</em> Elle aime flâner dans les bois et la compagnie des vaches. Elle qui est née dans la région des pampas, ces immenses plaines où courent des troupeaux à perte de vue... <em>« Je n'en avais jamais vu d'aussi près. C'est drôle : elles viennent me voir. Moi qui était déjà presque végétarienne le suis devenue complètement. Bien sûr : je ne peux pas manger des amies ! »</em></p>
<p>Lorsque je lui demande ce qu'elle pense de la France actuelle, elle s'engage sur le terrain politique. <em>« Je crois que la gauche et la droite existent séparément. Je ne crois pas en cette idée de « en même temps » et je pense que lorsqu'on dit ça, on est assurément de droite. Jusqu'ici, la France était un État de droit. Mais cette attitude que la police se permet depuis quelques temps est inacceptable. La politique par rapport aux migrants est intolérable : taillader leurs tentes, les priver d'eau… »</em> Elle récuse la distinction entre migrant économique et migrant politique, chère au gouvernement Macron. <em>« Un migrant économique est aussi un migrant politique : ceux qui ont faim, c'est à cause de raisons politiques ! »</em> Pour elle, <em>« le grand sujet d'aujourd'hui, c'est les migrants. C'est un problème planétaire. »</em></p>
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<h3>« Mon plaisir : fouiller derrière ce qui se passe »</h3>
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<p>Alicia Dujovne Ortiz a toujours écrit. D'abord des poèmes, publiés dans les années 1960 et 1970. Ensuite, <em>« je suis devenue journaliste. Ça m'a permis de sortir de moi-même et d'apprendre à fouiller derrière la réalité. C'est ça, mon plaisir : fouiller derrière ce qui se passe. »</em> Elle a collaboré à « La Nacion », un journal argentin, mais aussi « Le Monde » français, par exemple.<br />Son premier roman, « El buzon de la esquina », est paru en 1977 et depuis, elle n'a cessé de publier, des romans, des biographies, des chroniques et même des livres pour la jeunesse. <em>« Je travaille énormément, </em>explique-t-elle.<em> Je lis beaucoup, je me documente beaucoup. Pour les chroniques et les biographies, j'interroge les témoins vivants si c'est possible. Une autre chose que je fais souvent : le voyage. J'ai besoin de voir, les terres, les lieux... »</em></p>
<p><a href="http://www.rebonds.net/images/ALICIA_DUJOVNE_ORTIZ/Manif_milagro.jpg" type="image/jpeg" class="jcepopup" data-mediabox-title="Milagro Sala entourée de femmes guaranis et kollas, à la fête de la Pachamama en Argentine 2014 (photo : Presse Tupac Amaru)." data-mediabox="1"><img src="http://www.rebonds.net/images/ALICIA_DUJOVNE_ORTIZ/Manif_milagro.jpg" alt="Manif milagro" width="500" height="336" style="margin-left: 15px; border: 2px double #e2e2e2; float: right;" /></a>C'est ainsi qu'en mai 2017, petit sac sur le dos, elle s'envole pour Buenos Aires puis la province de Jujuy au nord-ouest de l'Argentine, afin d'enquêter sur Milagro Sala et l'organisation Tupac Amaru. Comment avait-elle eu connaissance de cette histoire ? <em>« J'avais été appelée par la Maison de l'Argentine à Paris pour parler des violences faites aux femmes. En France, une femme meurt tous les trois jours sous les coups de son mari ou compagnon. En Argentine, c'est chaque jour. Les organisateurs m'ont demandé si je pouvais parler de Milagro Sala. J'ai commencé à lire sur elle, à trier les informations que j'avais… J'étais face à quelqu'un qui m'intéressait vraiment ! J'ai rencontré beaucoup de femmes fortes mais comme elle, non. C'est la plus originale. Elle a fait une révolution avec les moins que rien. »</em></p>
<p>Grâce à l'ACAF, elle prend contact avec l'assistante de presse de la Tupac Amaru.<em> « J'en ai parlé aux éditions des femmes-Antoinette Fouque et trois jours plus tard, j'étais dans l'avion ! »</em> Il y a urgence. <em>« C'est la première fois de ma vie que j'écris sur une personne vivante et en danger de mort. »</em> À l'époque en effet, Milagro Sala était en prison et ses soutiens craignaient qu'elle y soit assassinée. Aujourd'hui détenue à domicile, le risque n'a pour autant pas disparu, tant la haine que suscite cette femme et la corruption sont présentes en Argentine.</p>
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<h3>Une enquête sur Milagro Sala</h3>
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<p>Mais qui est Milagro Sala ? (***)<em> « Femme et anarchiste »</em>, écrit Alicia Dujovne Ortiz. Une résistante. Résistante à la pauvreté et à toutes les injustices qui touchent les marginaux, au pouvoir établi blanc, riche, raciste et machiste de son pays. <em>« La révolte de Milagro oppose deux classes sociales : les propres sur eux et les puants »</em>, dixit le philosophe Jorge Vildes repris dans le livre d'Alicia Dujovne Ortiz.</p>
<p><a href="http://www.rebonds.net/images/ALICIA_DUJOVNE_ORTIZ/Logement_Tupac.jpg" type="image/jpeg" class="jcepopup" data-mediabox-title="Parmi les actions de Milagro Sala : la construction de logements pour les plus pauvres (photo : Presse Tupac Amaru)." data-mediabox="1"><img src="http://www.rebonds.net/images/ALICIA_DUJOVNE_ORTIZ/Logement_Tupac.jpg" alt="Logement Tupac" width="500" height="332" style="margin-left: 15px; border: 2px double #e2e2e2; float: right;" /></a>Adoptée, ayant connu la rue et la misère, Milagro Sala a voulu redonner confiance aux habitants des villes et des quartiers pauvres de la province de Jujuy, particulièrement les femmes et les jeunes chômeurs. Durant quinze ans, elle les a encouragés à s'organiser pour se nourrir, pour construire des logements dignes, des écoles, des centres de soins, des piscines, des coopératives de textile ou encore de métallurgie…<br />Soutenue par le président Nestor Kirchner en son temps, elle est aujourd'hui accusée de détournement de fonds par le pouvoir en place. Arrêtée en 2015, elle est régulièrement inculpée de nouveaux chefs d'accusation, sans jamais avoir bénéficié d'un seul procès. Pire : le gouvernement de Mauricio Macri reste totalement sourd aux injonctions internationales de la Cour Interaméricaine des Droits de l'Homme (CIDH) et de l'Organisation des Nations Unies (ONU) qui le somment de mettre fin à cette situation injuste. Mais rien n'y fait.</p>
<p>L'enquête d'Alicia Dujovne Ortiz la mène auprès de Milagro Sala, alors qu'elle est encore en prison. Durant son séjour, l'écrivaine rencontre également des Tupaqueros et des Tupaqueras (****) qui livrent des témoignages révélant l'extraordinaire révolution qu'ils ont vécue, mais aussi la complexité du personnage de Milagro Sala. Mère protectrice ou dirigeante tyrannique ? Généreuse ou mauvaise gestionnaire ? Politicienne adepte de l'improvisation ou en manque d'idéologie claire ?<br />Ces questions et tous les symboles qu'elle réunit (femme – indienne – militante politique défendant les pauvres) suffisent à diviser les Argentins : elle semble autant adorée que détestée.</p>
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<h3>Une soirée se prépare à Bourges...</h3>
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<p>Au niveau international en revanche, la mobilisation s'organise.</p>
<p><a href="http://www.rebonds.net/images/ALICIA_DUJOVNE_ORTIZ/couv_Milagro-Sala-bd.jpg" type="image/jpeg" class="jcepopup" data-mediabox-title="Alicia Dujovne Ortiz fait actuellement la promotion de son livre sur Milagro Sala." data-mediabox="1"><img src="http://www.rebonds.net/images/ALICIA_DUJOVNE_ORTIZ/couv_Milagro-Sala-bd.jpg" alt="couv Milagro Sala bd" width="224" height="300" style="margin-left: 15px; border: 2px double #e2e2e2; float: right;" /></a>En France, ce lundi 15 janvier 2018, une conférence de presse est organisée par Amnesty International et le lendemain, une manifestation de soutien au Trocadéro à Paris. De son côté, Alicia Dujovne Ortiz poursuit la promotion de son ouvrage, qui se joint à la mobilisation lancée pour exiger la libération de Milagro Sala. En février, elle se rendra à Genève et Toulouse. Une soirée se prépare à Bourges...</p>
<p>La nuit est tombée, le froid commence à se faire sentir. Un petit félin fait irruption dans la pièce. <em>« Devinez son âge ! »</em> me lance mon hôte. <em>« En âge chat, vous voulez dire ? »</em> Elle n'y tient plus : <em>« Vingt-deux ans ! »</em> À part une hernie attrapée en grimpant aux arbres comme une jeunette cet été, la chatte semble très bien se porter. En partant, je jette un dernier regard à Alicia Dujovne Ortiz, pressentant qu'il lui reste, à elle aussi, suffisamment de force pour continuer à voyager, enquêter, écrire. Résister.</p>
<p><em>Fanny Lancelin</em></p>
<p><em><span style="font-size: 8pt;">(*) Premier volet : « L'arbre de la gitane » paru en 1991 aux éditions Gallimard. Deuxième volet : <em><span style="font-size: 8pt;">«</span></em> La perlas rojas <em><span style="font-size: 8pt;">»</span></em> inédit en France.<br />(**) Son père, Carlos Dujovne, dont elle a écrit la biographie, « Camarade Carlos, un agent du Komintern en Amérique Latine » (éditions La Découverte, 2008) et sa mère, Alicia Ortiz, auteure de « Amanecer en Bolivia » – Le jour se lève en Bolivie – (éditions Hemisferio, 1953).<br />(***) Lire aussi la rubrique (Re)visiter.<br />(****) Membres de la Tupac Amaru, organisation créée par Milagro Sala.<br /></span></em></p>
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<h3 class="panel-title">Plus</h3>
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<p>Retrouvez tous les ouvrages d'Alicia Dujovne Ortiz parus en France sur <a href="http://aliciadujovneortiz.free.fr/">http://aliciadujovneortiz.free.fr/</a></p>
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<p><a href="http://aliciadujovneortiz.free.fr/"></a>Un des sites pour la mobilisation de Milagro Sala : <a href="https://www.pressenza.com/fr/tag/milagro-sala-fr/">https://www.pressenza.com/fr/tag/milagro-sala-fr/</a></p>
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