Sur la porte de la maison, dans la campagne de Neuilly-en-Sancerre, Agathe a écrit au stylo effaçable « Bienvenue » de belles lettres liées. Difficile d'imaginer qu'il y a quelques mois encore, elle ne connaissait que les majuscules, les lettres en « bâtons ». Comme pour la lecture, Agathe, 8 ans, est allée à son rythme. « C'est venu d'un coup, comme si elle était prête parce qu'avant, elle avait fait ses apprentissages », raconte sa maman, Caroline Iltis.
Agathe a connu la maternelle dans une école publique, l'instruction à la maison pendant deux ans, et aujourd'hui, l'école du Chêne Vert à Plaimpied-Givaudins près de Bourges, une école hors contrat qui s'appuie sur les pédagogies actives (2).
Refaire le chemin d'Agathe, c'est finalement refaire celui de toute la famille qui, de petits escarpements en grands virages, a tenté d'adapter ses modes d'apprentissage aux besoins et au bien-être de chacun. Non sans difficultés.
Une expérience choquante à la maternelle
Originaire d'Alsace, Bertrand et Caroline Iltis ont connu une scolarité ordinaire, à l'école publique. Avec plutôt « de chouettes souvenirs » au primaire, un peu plus « difficiles » au collège, mitigés au lycée. Tous deux sont devenus infirmiers. « Mais je savais au fond de moi que je ne ferai pas ça toute ma vie », sourit Caroline Iltis désormais céramiste.
En 2007, dans leur maison des Vosges, ils accueillent leur premier enfant, Marjane, qui intègre l'école du village dès la Petite section. « C'était super compliqué, résume sa maman. Les relations étaient très problématiques avec l'enseignante, conflictuelles même. L'école était son domaine réservé, les parents en étaient totalement exclus. Elle était autoritaire, humiliante. Elle manquait de respect aux enfants. J'étais vraiment choquée. » D'autres parents se plaignent, une lettre est envoyée à l'Académie. En vain. « Nous avons demandé une dérogation pour le village d'à côté et l'avons obtenue. »
De l'école publique à la déscolarisation
Marjane et Agathe, leur deuxième enfant née en 2010, suivent donc leur scolarité à l'école « de la République ». Jusqu'à ce que Gaspard, le dernier de la famille (2012), y entre à son tour. « Avant, c'était un petit qui allait bien, assure Caroline. Là, il faisait des réveils nocturnes, il pleurait tous les matins… On n'a jamais su ce qui n'allait pas. Il avait trois ans, l'école n'était pas obligatoire, donc on l'a déscolarisé. Il est allé à la crèche. »
Déjà, dans leur esprit, point l'idée que « quelque chose » ne va pas. « J'ai un souvenir qui m'a beaucoup marqué, souligne Caroline. C'est la sortie de l'école, les petits de la maternelle sont alignés en rang d'oignons et une aide maternelle les habille à la chaîne. Les enfants semblent ne pas savoir ce qu'ils font là, ils n'ont pas le temps de faire par eux-mêmes, ça va très vite et l'aide maternelle fait tous ces gestes mécaniquement. Nous, les parents, on est de l'autre côté de la grille et on regarde… J'ai trouvé ça horrible. » Bertrand se souvient d'un coloriage, avec différents niveaux de réussite : « Une tortue pour celui qui ne coloriait pas assez vite et un lièvre pour les autres. »
Pour eux, le « respect des rythmes de l'enfant » est primordial.
Le déclic
En 2016, changements de vie : changement de métier pour Caroline, qui intègre une formation de céramiste dans la Nièvre ; changement de lieu de vie, donc, pour toute la famille. Et quitte à changer aussi les enfants d'école, pourquoi ne pas expérimenter l'instruction en famille ?
« Nous avions des amis avec trois enfants qui avaient fait ce choix. Quand nous leur avons rendu visite, ça a été le déclic. Agathe a réclamé, on a pensé que Gaspard aimerait. Marjane a demandé une période d'essai : elle avait des appréhensions, elle voulait être sûre « de bien apprendre ». »
Bertrand Iltis prend une disponibilité et se lance. Sans formation. Quelques ouvrages de référence, la méthode de lecture Alpha, les conseils des amis et… beaucoup d'intuition ! « On établissait un programme à la semaine, explique-t-il. Les matinées étaient un peu « scolaires ». Ensuite, je me basais sur ce que les enfants aimaient : on allait à la piscine, la médiathèque, on se baladait, on bricolait. »
L'obligation de l'inspection
Comme l'exige la loi, le couple a déposé une déclaration en mairie et une autre à l'Inspection académique stipulant qu'il instruisait ses enfants à la maison. « La visite du maire s'est bien passée. Lorsqu'on a reçu la lettre annonçant celle de l'inspecteur, nos amis nous ont conseillé : « prenez-le comme un collaborateur, pas comme un ennemi ». Alors, on l'a appelé avant sa venue, pour lui expliquer comment on procédait, pour éviter que les enfants se retrouvent au milieu d'un malentendu. »
L'inspection est obligatoire une fois par an. « L'inspecteur a discuté avec nous, puis avec les enfants, qui lui ont montré leur carnet de bord et leurs réalisations : ils venaient de fabriquer des meubles en carton. Il y a eu un très bon contact. Aucun problème. »
Lorsque les contrôles ne satisfont pas les inspecteurs, ils peuvent rédiger des recommandations et exiger un second contrôle. Si celui-ci ne les satisfait toujours pas, le DASEN (Directeur Académique des Services de l'Education Nationale) peut prononcer une mise en demeure de rescolarisation et la famille écoper d'une amende de 1.500 euros. Mais, en pratique, cela ne concernerait qu'une cinquantaine d'enfants chaque année, sur près de 19.000 instruits à la maison (3). Ce sont les dérives sectaires qui sont le plus redoutées.
Se préparer, être bien entourés
Après une année scolaire complète « à la maison », Marjane, l'aînée des enfants Iltis, a souhaité être rescolarisée. « Elle ressentait un manque de structure et de programme précis, et également un manque de copines », explique sa maman. Elle entre donc en CM2 dans une école publique de la Nièvre, à Dampierre-en-Burly. « Elle s'est très bien adaptée. »
Agathe et Gaspard restent auprès de leur papa. Pour la jeune fille aussi, les copines deviennent un sujet majeur. Elle fréquente alors le centre social de la commune, qui propose des activités collectives. « On s'est aussi rapproché d'un groupe de parents qui avaient choisi l'instruction en famille et qui organisaient des réunions, des sorties… »
En avril 2018, la famille déménage à nouveau pour poser ses valises près du village des céramistes de La Borne, à Neuilly-en-Sancerre. Marjane poursuit son CM2 à Neuvy-deux-Clochers, avant d'entrer en 6e au collège d'Henrichemont.
Agathe et Gaspard ont terminé l'année « scolaire » à la maison, avant d'intégrer l'école du Chêne Vert en septembre dernier.
Une solution qui semble avoir soulagé la famille. En effet, si elle ne regrette pas l'expérience, Caroline insiste « sur le fait que ça a été une période très dure ». « Pour les enfants, c'est une sacrée belle expérience, ils ont appris beaucoup de choses ! Mais, nous avions sous-estimé ce que ça représentait comme changement. Il faut que ce soit un véritable choix familial, bien réfléchi et bien préparé. C'est aussi plus simple lorsque tu es entouré, que tu as déjà un réseau et qu'il peut prendre le relais. »
Bertrand a le sentiment « d'avoir été mis en échec » : « J'aurai aimé leur proposer plus d'activités. Mais je vois sûrement le verre à moitié vide... » Entre deux déménagements, en plein coeur d'une reconversion professionnelle, sans proches à leurs côtés… la période n'était peut-être pas idéale. « Et tu es super en marge quand tu fais ce choix-là, rappelle Caroline. Tu es scruté, jugé… Il faut faire drôlement confiance à tes enfants ! »
« T'apprends en t'amusant, j'apprends en travaillant »
Ils ont connu l'école du Chêne Vert par l'intermédiaire de la Coopération Intégrale du Berry (CIB) basée à Morogues et Humbligny. La CIB participe activement à l'école : une partie de ses membres donnent neuf demi journées de leur temps par semaine, afin de réduire les frais.
Comme ils l'avaient toujours souhaité pour leurs enfants, les apprentissages respectent leurs rythmes ; le rapport entre l'adulte et l'enfant n'est pas autoritaire ; et l'école ouvre grand sa porte aux parents qui souhaitent s'investir.
Agathe trouve progressivement sa place dans le groupe des grands, les 6-12 ans ; elle va à l'école trois jours par semaine. Gaspard, en limite d'âge, est encore chez les petits, les 3-6 ans ; il y va deux jours par semaine. Le reste du temps, ils profitent des activités de la CIB, de leurs parents et de tous les apprentissages que la vie offre en dehors de l'école !
L'instruction en famille est-elle une solution à généraliser ? Sans doute pas. Les environnements sociaux et familiaux sont multiples et complexes. Mais, tout comme de plus en plus de parents se tournent vers les pédagogies actives, il est intéressant de constater que les failles de l'Education nationale finissent par constituer une brèche dans laquelle s'engouffrent tous ceux qui se sentent inadaptés au système scolaire ou, plus précisément, qui sentent que le système scolaire ne s'adaptera jamais à eux.
Une phrase résume peut-être tout le défi lancé à ces familles par l'Education nationale. Un jour, Marjane a dit à sa jeune sœur Agathe : « Tu as de la chance, t'apprends en t'amusant. Moi, j'apprends en travaillant. »
Fanny Lancelin
(1) Article L.131-2 du Code de l'Education : https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?cidTexte=LEGITEXT000006071191&idArticle=LEGIARTI000006524424&dateTexte=&categorieLien=cid
(2) Lire le numéro 20 de (Re)bonds, « Une autre école est possible - épisode 1 », rubrique (Ré)acteurs, accessible depuis le menu Archives en haut à droite.
(3) Chiffres : Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes). La majorité des enfants sont inscrits au CNED (Centre National d'Enseignement à Distance) ou à des organismes privés de cours à distance.
Des disciplines variées
Le terme « neurosciences » désigne l'ensemble des disciplines qui étudient le système nerveux, c'est-à-dire les organes et les tissus présents dans notre corps. Ils assurent la réception sensitive et sensorielle (par l'odorat, le toucher, la vue, l'ouïe, le goût), la motricité (les gestes qui permettent de bouger et d'interagir avec l'extérieur), la coordination des organes et des fonctions du corps (par exemple, entre le cerveau et les intestins pour la digestion), et la vie psychique (les émotions).
Les disciplines qui composent les neurosciences sont variées. Citons : la neurologie, une branche de la médecine ; la neuroendocrinologie qui étudie les liens entre le système nerveux et le système hormonal ; la neuropsychologie pour les relations entre le système nerveux et le fonctionnement psychologique ; ou encore la psychiatrie, pour les maladies mentales.
Les neurosciences qui sont associées depuis plusieurs années à l'éducation sont dites cognitives, c'est-à-dire qu'elles s'intéressent plus particulièrement à la perception, la motricité, le langage, la mémoire, le raisonnement, les émotions… On parle de neurosciences affectives, comportementales, sociales et de neurolinguistique.
Les neurosciences se sont particulièrement développées à la fin du XXe siècle, en même temps que l'avènement de l'imagerie cérébrale pour explorer le cerveau. Aujourd'hui, les progrès technologiques permettent aux chercheurs de réaliser des explorations sur les cerveaux vivants et en pleine activité.
C'est ainsi que depuis quelques années, des expériences sont menées sur des enfants en situation d'apprentissage.
Les neurosciences et les apprentissages
Olivier Houdé est psychologue. Entre 2011 et 2018, il a participé, avec LaPsyDé, LAboratoire de PSYchologie du Développement et de l'Education de l'enfant (1), à une expérience au long cours réunissant enfants, parents et enseignants. Un programme de recherche participative, dont le but est d'observer ce qui se passe dans les cerveaux des enfants qui apprennent à l'école.
Pour Olivier Houdé, le but de l'utilisation des neurosciences est de « comprendre comment l'enfant apprend à lire, à compter, à raisonner, à penser, à faire preuve de créativité », mais aussi « comment activer le plaisir d'apprendre et la motiver », et comprendre pourquoi certaines situations d'apprentissage sont plus efficaces que d'autres (2).
L'équipe de chercheurs ne se contente pas d'enregistrements par l'imagerie et d'analyser ; en lien avec les enseignants qui leur font part des difficultés rencontrées lors des apprentissages, ils peuvent proposer des réponses.
Ainsi, Oliver Houdé est particulièrement reconnu pour ses recherches dans la résolution des « conflits cognitifs ».
Imaginez : lorsque nous sommes enfant, notre cerveau compte entre 86 et 100 milliards de neurones et il s'y joue jusqu'à un million de milliards de connexions ! Ce sont ces connexions qui génèrent des émotions et des automatismes (très rapides), mais aussi des algorithmes rationnels (lorsque nous devons résoudre un problème, par exemple).
Parfois, émotions, automatismes et algorithmes entrent en conflit. Au point de rendre impossible l'apprentissage. En effet, on sait aujourd'hui que la partie du cerveau qui gère l'émotionnel est directement reliée à celle qui gère les apprentissages.
Comment se concentrer de manière rationnelle lorsque nous sommes sans cesse submergés par nos émotions ? Ou lorsque nous ne parvenons pas à modifier des automatismes ? En éduquant le cerveau, en l'entraînant à le faire. Mais parce que chaque individu est différent et que chaque cerveau s'est créé de manière particulière dans un certain contexte, il est difficile d'appliquer une méthode d'apprentissage unique.
Pour Olivier Houdé, c'est là qu'entrent en scène les neurosciences : elles seraient à même de développer des outils pédagogiques qui permettraient à l'enfant, au cours de certains apprentissages, d'inhiber émotions et automatismes au profit des algorithmes rationnels.
Pour Catherine Gueguen, pédiatre à l'institut hospitalier franco-britannique de Levallois-Perret, spécialiste en neurosciences affectives et sociales, l'empathie est une autre notion clé de l'apprentissage.
Et ce que des pédagogues comme Maria Montessori avait pressenti par l'observation serait confirmé par les neurosciences : « La substance grise, le corps cellulaire des neurones et des synapses, est plus importante chez les enfants ayant eu des parents empathiques durant la petite enfance. » A l'inverse, des enfants qui ne cessent de subir dévaluation et / ou humiliations, ne peuvent se développer correctement. « Plus il y a d'empathie, meilleurs seront les apprentissages », assure Catherine Gueguen qui milite pour l'entrée de la communication non-violente à l'école, pour que les enfants mais aussi les enseignants apprennent à gérer leurs émotions, à s'entendre, à comprendre les besoins et attentes de chacun (3).
L'importance de l'environnement
Contrairement à ce que les critiques pourraient laisser croire, les neurosciences n'évacuent pas le rôle de l'environnement social ou familial dans les conditions d'apprentissage.
La notion de plasticité cérébrale est un bon exemple. Il s'agit de la capacité que le cerveau a, dès la naissance, à créer des connexions et à les modifier selon les expériences vécues.
Pour cela, lors de la petite enfance, il se sert de son environnement, c'est-à-dire de tout ce que le bébé va voir, toucher, sentir, entendre… S'il est empêché ou s'il a peu d'occasions de « s'éveiller », le cerveau se développera différemment de celui d'un enfant libre d'explorer ce qui l'entoure.
Progressivement, voici le cerveau du petit être agité de milliards de neurones et de connexions. Mais en grandissant, il perdra une partie de ses possibilités. Pourquoi ? Parce qu'il éliminera ce qui n'est pas ou rarement activé pour se spécialiser.
Sur son site Internet, Céline Alvarez, ancienne enseignante de l'Education nationale qui a mené une expérience audacieuse à la maternelle de Gennevilliers de 2011 à 2014 (lire aussi la rubrique (Ré)acteurs), développe cette notion de plasticité cérébrale, essentielle pour comprendre l'importance de l'environnement que l'adulte doit fournir à l'enfant pour favoriser ses apprentissages. « L'adulte a la responsabilité de fournir à l'être humain qui vient de naître les conditions qui lui offrent le meilleur et lui évite le pire. » (4)
Si elle s'est inspirée des travaux de Maria Montessori, Céline Alvarez insiste beaucoup sur le fait qu'elle s'en est aussi détachée. « Les travaux du Dr Montessori ont été une excellente base pour démarrer cette réflexion pédagogique scientifique. Néanmoins, à Gennevilliers, cette base a été développée à l’aide des apports de la recherche actuelle, peut-on lire sur son site. C’est d’ailleurs ce que souhaitait le Dr Montessori, qui invitait les générations suivantes « à poursuivre leur route » et à enrichir ses travaux des données contemporaines, comme elle-même l’a fait en reprenant les travaux des Dr Itard et Séguin. »
Ainsi, en se basant sur les recherches en neurosciences affectives et sociales, qui montrent à quel point « le lien humain est fondamental pour un épanouissement physique, cognitif et social », elle a retravaillé les activités de langage proposées par Montessori, en les simplifiant et en les adaptant aux particularités de la langue française ; les moments de regroupement se sont multipliés ; l'attention des adultes s'est recentrée sur le lien des enfants entre eux pour qu'ils puissent être connectés, qu'ils puissent rire, échanger, s'entraider, travailler et vivre ensemble (contrairement à certaines classes Montessori où les activités des plus petits se font dans le calme et surtout de manière individuelle).
Céline Alvarez poursuit son expérimentation « sur des paramètres que la recherche juge essentiels » comme : l'amplitude du mélange des âges au sein d'un même espace ; le lien avec la nature ; l'enrichissement des activités ; ou encore la notion de jeu libre. C'est en Belgique, avec le soutien du ministère de l’Education de la Fédération Wallonie-Bruxelles, qu'elle accompagne aujourd'hui 800 enseignants volontaires en formation sur ce chemin.
Des inquiétudes au sein de l'Education nationale
En 2014, l'Education nationale n'était pas prête à étendre l'expérience de Céline Alvarez (lire aussi la rubrique (Ré)acteurs). Aujourd'hui encore, l'institution peine à encourager nommément les pédagogies actives. Elle craint les électrons libres, les dogmatismes et, pire encore, le sectarisme.
Mais le ministre qui la pilote actuellement, Jean-Michel Blanquer, ne craint pas les neurosciences. Alors fonctionnaire, il faisait d'ailleurs partie de la Direction Générale de l'Enseignement SCOlaire (DGESCO) qui autorisa Céline Alvarez à mener son expérience à Gennevilliers.
Il y a un an, le 10 janvier 2018, il lançait le Conseil scientifique de l'Education nationale, interdisciplinaire, composé d'une vingtaine de personnalités dont le président, Stanislas Dehaene, psychologue et neurobiologiste bien connu dans le monde des neurosciences.
Le rôle de ce conseil : « apporter des éclairages pertinents en matière d'éducation ». Un véritable « atout » pour la communauté éducative, selon le ministre, puisqu'elle peut « bénéficier des dernières avancées de la recherche », « mieux saisir les mécanismes d'apprentissage des élèves et ainsi, mieux répondre à la diversité de leur profil ». Le conseil, lui, peut « nourrir le contenu des formations » des cadres de l'Education nationale mais aussi des enseignants. En théorie, il n'a qu'un pouvoir consultatif (5).
Mais la création de ce conseil n'a pas enchanté tous les enseignants. Peu de temps après l'annonce de sa création, le principal syndicat des enseignants du primaire (Snuipp), soutenu par une soixantaine de chercheurs en éducation, a lancé un appel baptisé « L’école a besoin de toute la recherche ». Leur crainte ? Que les neurosciences s'imposent au détriment des sciences humaines. Et que l'Education nationale se serve des résultats des neurosciences pour justifier un système d'apprentissage incontestable, unique, appliquant partout LA méthode qui serait jugée efficace.
En « off », un enseignant qui utilise pourtant la pédagogie Montessori dans sa classe me confie : « Je ne sais pas vraiment où se situe l'institution. Blanquer est pour l'expérimentation mais pour en faire quoi ? Les neurosciences sont reconnues mais on a le sentiment qu'on va nous imposer que telle pratique est la bonne alors que s'il n'y a pas d'humains derrière, cela ne sert à rien. »
Une question essentiellement politique
Les enseignants ne sont pas les seuls inquiets : en mars 2018, à Paris, l'association pour la psychanalyse exprimait son désaccord avec la « présence hégémonique » de représentants des neurosciences dans le Conseil scientifique de l'éducation : « Un conseil scientifique de l’Education nationale devrait comporter en priorité des associations de parents d’élèves, d’enseignants, des spécialistes de la souffrance psychique de l’enfance et des sociologues », écrivaient ses membres dans un appel intitulé « Des « neuroscientifiques » à l’Education nationale : révolution ou coup de force ? »
Les membres de l'association craignaient notamment que le conseil ne tienne pas compte de l'environnement social de l'enfant dans ses difficultés d'apprentissage.
Les partisans des neurosciences assurent le contraire, et la lecture des travaux d'Olivier Houdé et de Stanislas Dehaene tend à le prouver, les notions mêmes qu'elles explorent (comme la plasticité cérébrale) aussi. Ce qui n'empêche pas de s'opposer à la mise en application des résultats de leur recherche.
Car la question n'est pas tant scientifique que politique. Tout choix d'une pédagogie est politique, et l'Histoire a prouvé que la science peut être manipulée, objectivée selon les intentions de ceux qui la maîtrisent. Comment le pouvoir en place se servira-t-il des connaissances à sa disposition pour définir sa politique, puis pour la justifier, convaincre, imposer ? Et, surtout, à quelles fins ?
Fanny Lancelin
(1) LaPsyDé : https://www.lapsyde.com
(2) La Croix, le 11 janvier 2018, « Qu'apportent les neurosciences à l'éducation ? » Propos recueillis par Christine Legrand : https://www.la-croix.com/Debats/Forum-et-debats/Olivier-Houde-Elles-aident-mieux-comprendre-comment-lenfant-apprend-2018-01-11-1200905049
(3) La Croix, le 11 janvier 2018, « Qu'apportent les neurosciences à l'éducation ? » Propos recueillis par Thomas Porcheron : https://www.la-croix.com/Debats/Forum-et-debats/Catherine-Gueguen-Elles-montrent-lempathie-essentielle-2018-01-11-1200905051
(4) https://www.celinealvarez.org
(5) http://www.education.gouv.fr/cid124957/le-conseil-scientifique-de-l-education-nationale-au-service-de-la-communaute-educative.html
« Quand l'élève est prêt, arrive le maître. » Proverbe bouddhiste
« Je ne crois pas que nous devons préparer les enfants au monde de demain. Car le monde de demain, c'est eux. » Stéphanie Brillant
Une petite main posée sur une épaule. La petite main délicate de Thiya sur l'épaule de son enseignante, Julie. Un geste délicat mais assuré, pour une demande d'attention qui viendra – le regard de l'enfant dit qu'elle n'en doute pas un instant – à condition de savoir patienter sereinement. J'observe la scène à quelques mètres. Je repense à Mizuki (1). Je sais que je suis à nouveau dans un lieu où le rapport entre l'adulte et l'enfant est « différent », dans un lieu où la bienveillance – c'est-à-dire la véritable attention et la véritable écoute – est placée au coeur des relations entre les êtres.
Mais je ne suis pas à l'école du Chêne Vert (1). Je suis à celle de Saint-Bouize, dans le Sancerrois. Une école tout ce qu'il y a de publique, de l'Education nationale. Julie Miermont y enseigne à 22 enfants de Très Petite, Petite et Moyenne Sections. Les Grandes Sections, CP et CE sont à Ménétréol-sous-Sancerre, les CM à Thauvenay.
Si je l'ai sollicitée, c'est pour comprendre comment les pédagogies actives peuvent entrer dans une classe d'une école « ordinaire ». J'ai contacté plusieurs enseignants du Cher qui ont généralement accepté de me parler en « off », sans s'exposer, les relations avec leur hiérarchie étant complexes sur ce sujet. Mais Julie Miermont m'a ouvert grand ses portes : depuis trois ans, elle s'inspire de Maria Montessori (2) et depuis peu, elle est la déléguée départementale de l'association « Public Montessori » qui regroupe des enseignants de l'Education nationale sur toute la France (3).
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Vendredi 11 janvier 2019 – 9 heures – Ecole publique de Saint-Bouize
Dans le bâtiment de l'école, trois pièces en enfilade : la salle de sieste, la salle dédiée à l'accueil et aux temps collectifs, la salle pour les ateliers. Dans la deuxième, les 19 enfants présents ce jour-là attendent sagement assis sur de petits bancs. Ils constatent le nombre d'absents – trois – et en profitent pour apprendre comment compter trois sur les doigts. Puis, la responsable du jour, la petite Maëlys, compte les présents ; l'occasion de venir voir sur une frise à quoi ressemble le nombre 19. Tous les regards se tournent ensuite vers le semainier accroché au mur ; une petite silhouette a été placée au vendredi 11 janvier : c'est moi. Les enfants m'ont accueilli avec un « Bonjour Maîtresse Fanny ! » Je les ai remerciés en leur précisant toutefois que je ne suis pas une « maîtresse »...
Comme chaque vendredi, la journée commence par une séance de méditation. Chaque enfant s'allonge sur un des tapis placés au sol et suit la voix posée de l'enseignante : les voici dans la position de l'arbre, de la tortue, du cobra… Dans un premier temps, les corps bougent beaucoup, peinent à se stabiliser, les regards virevoltent. Progressivement, les corps et les yeux se fixent, certains se ferment même. Les petits ventres se gonflent en d'intenses respirations. Ils finissent roulés en boule, les talons posés sur les fesses, le front au sol. Julie Miermont passe un disque, « Calme et attentif comme une grenouille » (4). Les conseils de la petite grenouille les aident à se concentrer. Lorsqu'elle se tait, plus un ne bouge. Les secondes passent. Je retiens mon souffle. Ils ont entre 2 et 5 ans. Et plus un ne bouge.
Doucement, Julie Miermont leur demande de se relever, de ranger les tapis, et c'est dans cet état de sérénité et de concentration qu'ils passent dans la salle des ateliers.
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Comme à l'école du Chêne Vert (5), les enfants choisissent librement leur activité, parmi toutes celles qui leur sont proposées, rangées dans des étagères. Ils y consacrent le temps qu'ils souhaitent, avant de ranger et de changer d'activité.
Le matériel de la pédagogie Montessori est divisé en quatre grands groupes : vie pratique, sensorielle, langage et mathématiques. Il a été conçu de telle sorte que l'enfant puisse l'utiliser de manière spontanée et autonome, et qu'il puisse s'auto-corriger. A une condition, essentielle : que l'accompagnateur – ici, l'enseignante – lui ait présenté l'activité.
Lindsay a saisi une petite cloche. Elle parcourt la classe en veillant à ne pas la faire tinter. L'exercice l'oblige à faire attention à ses gestes, à sa respiration mais aussi à ses mouvements et aux déplacements des enfants qui l'entourent.
Amandine est assise dans un petit fauteuil, dans le fond de la classe, un casque audio sur les oreilles et un lecteur MP3 dans la main, le regard fasciné par l'histoire qu'elle est en train d'écouter.
Près d'elle, allongé sur le ventre, Amaury feuillète un grand livre.
D'autres enfants partagent leur lecture.
Noa s'entraîne à entrer des formes dans de petites maisonnettes.
Munie d'une pipette, Thiya se concentre pour introduire du liquide dans les petits trous d'une étoile.
Là, une petite fille se sert de fils pour tracer un dessin. Là-bas, une autre ordonne des pions selon leurs nuances de couleurs. Plus loin, un petit garçon compte jusqu'à 20 le long d'une frise…
A première vue, rien d'extraordinaire. Alors, en quoi ces activités diffèrent de celles pratiquées dans d'autres classes de maternelle ? Elles tiennent compte du rythme individuel de chaque enfant. « Bien sûr, il existe déjà ce qu'on appelle la différenciation en maternelle, notamment par petits groupes, explique Julie Miermont. Mais ici, on remarque que chacun a son temps sensible et on le respecte. »
Parce que nous sommes tous uniques, il y a, pour chacun d'entre nous, des temps pour tout : à commencer par un temps pour venir au monde, pour grandir, pour marcher, sentir ses dents percer, parler… Alors, pourquoi pas, un temps pour apprendre qui soit propre à chacun. « C'est comme si on avait une classe de bébés et qu'on leur annonçait un beau matin : Aujourd'hui, nous allons tous apprendre à marcher ! sourit Julie Miermont. On sait que ça ne fonctionne pas comme ça. Pour le reste non plus. »
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A Saint-Bouize comme à l'école du Chêne Vert, l'enfant n'est pas laissé seul, livré à lui-même. De la même manière que l'adulte suit le bébé de près lorsqu'il fait ses premiers pas, les adultes tiennent une place fondamentale dans les pédagogies actives.
Leur premier rôle est de préparer « l'environnement » ou « ambiance » adéquat.e à une tranche d'âge précise et pour des activités précises. A la rentrée, les étagères sont loin d'être pleines : elles se remplissent au fur et à mesure que les enfants maîtrisent les apprentissages. Ils ne sont pas autorisés à choisir une activité qui ne leur aurait pas été présentée au préalable par un adulte.
De plus, chaque activité comporte des degrés de difficultés progressifs que l'enfant dépassera selon ses propres temps sensibles. Le rôle de l'adulte est alors d'observer précisément chaque enfant, afin de sentir à quel moment il doit lui présenter ou lui représenter l'activité : soit parce qu'elle est nouvelle, soit parce qu'il ne la réalise pas correctement ou parce qu'il peut passer à un nouveau stade.
Grâce à un système d'auto-évaluation, l'enfant peut aussi lui-même faire appel à l'accompagnateur ou l'enseignant. Mais jamais l'adulte ne soulignera « l'erreur », « la faute ». Sur un ton de voix toujours identique et savamment travaillé, il présentera à nouveau l'activité, sans commentaires, jusqu'à ce que l'enfant comprenne et réussisse par lui-même. L'objectif : le détacher du jugement de l'autre, lui donner confiance en lui, et l'envie d'apprendre avant tout pour lui-même et non sous la pression ou pour faire plaisir à un adulte.
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Durant cette heure d'activité, Julie Miermont reste donc très active. Elle passe d'un enfant à l'autre, veille à ce que chacun soit bien installé, que le matériel soit rangé pour rester accessible à tous, propose une nouvelle activité à un enfant qui ne semble pas pouvoir choisir ce matin-là, répond à un autre qui lui demande de l'aide… « Certains passent parfois du temps simplement à observer les autres, mais cela fait partie des apprentissages. »
Dans la poche de son tablier, un tableau de suivi sur lequel sont notées les activités qu'elle pourra proposer, si besoin, enfant par enfant. Sur sa tablette personnelle, elle utilise aussi une application intitulée « Je valide » : à chaque enfant sa fiche, qui récapitule, activité par activité, s'il la maîtrise ou s'il est en cours d'apprentissage. « A la fin de la semaine, je fais le bilan et à chaque période de vacances scolaires, je l'envoie aux parents. C'est un outil qui entre parfaitement dans le cadre de l'évaluation positive qui figure dans les programmes depuis 2015. »
A l'école du Chêne Vert (5), les accompagnateurs utilisent Athena, un logiciel conçu spécifiquement pour les écoles alternatives hors contrat et qui fonctionnent sensiblement de la même manière. Avec un objectif différent toutefois : mettre en adéquation les observations des accompagnateurs avec les bases du socle commun (6). Un outil qui sert notamment lors des inspections, mais aussi lorsqu'une famille déménage ou lorsque l'enfant change d'établissement.
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A 10 h 45, les enfants sortent dans la cour et profitent d'une récréation de vingt minutes. Julie Miermont me raconte comment ils ont obtenu le label « Eco-école » (7) ou encore le principe de « l'Ecole buissonnière ». « Tous les mercredis, quelle que soit la météo, nous passons la matinée sur un terrain communal pour découvrir la nature. Certains grands-parents nous accompagnent. »
Kloé s'approche de nous : « Il n'y a plus de fraises », déclare-t-elle en pointant du doigt un petit parterre. Je regarde autour de moi : des carrés de jardin sont disséminés dans la cour. Certes, ils sont plutôt vides en cette période hivernale, mais au printemps, les enfants y cultivent des légumes, grâce aux graines bio fournies par une maman maraîchère.
En attendant, tous les lundis, les parents apportent des fruits qui servent de base à une activité sensorielle de dégustation.
Les relations avec les familles se passent bien. « Lors de la réunion de début d'année, je présente mon fonctionnement et ma pédagogie. Je ne parle pas de Montessori car il ne s'agit pas d'une classe Montessori, mais plutôt de mon inspiration. Maria Montessori elle-même refusait qu'il s'agisse d'une méthode, mais plutôt d'un point de départ pour une remise en question. » L'époque et les enfants ne sont pas les mêmes ; l'adaptation de la pédagogie est incontournable.
Pour favoriser le lien avec les parents, Julie Miermont tient un blog. Elle participe également à « La semaine de la maternelle » en ouvrant sa classe aux familles durant toute une semaine, au mois de mai. « Elles s'inscrivent et peuvent venir voir comment je fonctionne. A partir du moment où on explique et où on partage ce qu'on fait, les parents participent. »
Maëlys sonne la cloche. Il est l'heure de se regrouper dans la salle d'accueil pour un temps collectif. Au programme aujourd'hui : rondes et chansons. Milan, âgé de seulement 2 ans, a sorti son pouce et son doudou. Pierre s'est assis sur un banc ; il ne souhaite pas participer et reste observateur. L'enseignante n'insiste pas. Bientôt, ils prennent le car vers la cantine de Ménétréol-sous-Sancerre. Au retour, ce sera la sieste puis la reprise des activités jusqu'à 16 heures.
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Vendredi 11 janvier 2019 – midi – Ecole de Saint-Bouize
Nous voilà seules pour évoquer la formation et le parcours de Julie Miermont. « J'ai obtenu mon diplôme dans un IUFM (8) de Paris, d'où je suis originaire. Je suis arrivée dans le Cher en 2007, parce que mon mari travaille à la centrale de Belleville. Il faut préciser qu'à l'IUFM, nous étions formés à la maternelle comme au primaire. J'ai d'abord été remplaçante, dans tous les niveaux, et y compris dans des quartiers difficiles de Paris. Dans le Cher, j'ai poursuivi les remplacements, ce qui m'a permis de découvrir les écoles localement. Au moment du Mouvement (9), j'ai demandé Saint-Bouize parce que je m'y étais sentie bien. Il s'agissait déjà d'une classe unique, ce qui me laissait plus de liberté. » Une ATSEM (Agent Territorial Spécialisé des Ecoles Maternelles) est présente à ses côtés toute la journée.
Dans cet environnement « classique », comment a-t-elle découvert les pédagogies actives ? « Par Céline Alvarez. J'ai vu une de ses conférences sur les réseaux sociaux. L'expérience de Gennevilliers m'a beaucoup parlé. J'ai ensuite passé des heures et des heures à regarder tout ce qu'elle publiait, à tout noter. »
Céline Alvarez. Impossible d'évoquer les pédagogies actives au sein de l'Education nationale sans l'évoquer, elle. Originaire d'Argenteuil, elle suit sa scolarisation dans une école classée ZEP, Zone d'Education Prioritaire. Diplômée d'un master en sciences du langage, elle découvre Maria Montessori dans une école maternelle qui utilise certaines de ses idées et certains de ses matériels. Enthousiaste, elle décide de devenir enseignante, réussit le concours de professeur des écoles en 2009 et occupe son premier poste dans une des villes les plus favorisées de France : Neuilly-sur-Seine.
Rapidement, la jeune enseignante dérange, et pas seulement à cause de son tempérament de feu. Mais parce qu'à ses collègues conservateurs et aux inspecteurs qui la jugent impertinente, elle oppose ses résultats : des élèves qui en savent bien plus que ce qui est jugé possible.
Finalement, l'Education nationale accepte qu'elle prenne en main une classe de maternelle à Gennevilliers, en banlieue parisienne, dans une ZEP classée en « Plan Violence ». Pour valider ses résultats, elle travaille avec une unité de psychologues du CNRS (Centre National de la Recherche Scientifique) à Grenoble qui teste les capacités cognitives de tous les enfants à son arrivée et à la fin de l'année scolaire. Les résultats sont spectaculaires : tous les enfants sauf un – absent une majeure partie de l'année – progressent plus vite que la norme, concluent les psychologues dans leur bilan.
L'année suivante, Céline Alvarez fait venir un nouvel expert en psychologie cognitive, Benoît Charlieux, pour mener une évaluation indépendante. Sa conclusion : tous les enfants ont au moins un an d'avance, dans les deux domaines de l'apprentissage que sont la lecture et l'arithmétique.
Céline Alvarez ne manque pas de médiatiser ces résultats. Stanislas Dehaene, que le ministre actuel encense aujourd'hui (lire aussi la rubrique (Re)visiter), presse le ministère d'alors d'appliquer les méthodes de Céline Alvarez à d'autres établissements. C'en est trop pour l'institution. Après trois années de bataille – certains diront d'acharnement – contre les inspecteurs, ses collègues et le ministère lui-même qui a refusé de poursuivre l'expérience à Gennevilliers, Céline Alvarez a démissionné en 2014. Mais elle n'a pas renoncé, a monté une association et collecte des fonds pour faire connaître Maria Montessori au plus grand nombre. Elle travaille aujourd'hui en collaboration avec le ministère de l’Education de la Fédération Wallonie-Bruxelles en Belgique (10).
Et chez certains enseignants de l'Education nationale en France, elle a planté une graine...
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Il y a trois ans, Julie Miermont a donc décidé de se remettre en question. Elle a réorganisé sa classe et acquis progressivement du matériel propre aux pédagogies actives. « Il en faut en grande quantité puisque chaque enfant doit pouvoir avoir le choix », rappelle-t-elle. Mais pour Montessori, le matériel ne représente que 20 % du résultat. La préparation de l'environnement et la posture de l'enseignant sont très importants. « J'ai beaucoup travaillé sur moi, reconnaît Julie Miermont. Ma façon de parler, de prendre le temps, de ne pas mettre de pression, d'être bienveillante et aussi, de faire davantage confiance à l'enfant. Au départ, ce n'est pas évident car lorsque vous êtes avec un enfant, les 21 autres sont autonomes. »
A-t-elle constaté des différences de comportements, de résultats depuis l'introduction de cette pédagogie ? « Oui. Lorsqu'on est posé, par mimétisme, les enfants sont plus calmes. En termes d'apprentissage, ils vont beaucoup plus loin qu'avant, notamment en numération et en pré-lecture. Ce qui est intéressant, c'est d'observer combien il leur est facile d'apprendre lorsque cela correspond vraiment à leur période sensible. C'est naturel, c'est dans l'ordre des choses. »
A-t-elle rencontré des difficultés avec sa hiérarchie ? « L'inspecteur du Cher Nord est très ouvert, à partir du moment où on respecte les objectifs du programme et que la liste des compétences est atteinte en Grande Section. » Et pour une transition douce vers le site de Ménétréol-sous-Sancerre qui ne fonctionne pas comme elle, Julie Miermont prépare les Moyennes Sections. « A la fin de l'année, pendant la sieste des petits, je les habitue à s'asseoir à une place déterminée et à une activité collective, imposée. Il n'y a aucun problème : ils s'adaptent. »
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Les critiques ou les objections viennent finalement rarement de l'intérieur, mais plutôt de ceux qui, plus éloignés, observent avec circonspection la liberté laissée à l'enfant dans la classe. « De loin, cette liberté peut interroger. Mais l'enseignant est un vrai guide et il y a de vraies règles. »
Les règles de la vie dans l'école bien sûr, mais aussi celles qui entourent la réalisation d'une activité. Avec une différence notable d'état d'esprit : dans la plupart des pédagogies actives, la « contrainte » est là pour permettre à l'enfant d'apprendre et de savoir réagir positivement. Non pas pour l'habituer aux obligations de notre monde capitaliste.
Le fait même de le responsabiliser, de le rendre autonome, suppose de le confronter à des « contraintes ». Par exemple, à l'école du Chêne Vert, lorsqu'un enfant prépare du pain pour le goûter et qu'il renverse de la farine par terre, il sait qu'il doit nettoyer. Lorsqu'il casse un objet, c'est lui qui le répare.
Par là même, l'adulte prend en compte l'enfant comme être à part entière et lui signifie qu'il lui fait confiance, qu'il est capable.
En cela, de mon point de vue, les pédagogies actives ne peuvent être bien comprises qu'à la condition de garder à l'esprit que la pédagogie est étroitement liée à la politique, au sens philosophique du terme. Quels êtres l'Education nationale entend-elle former ? Des citoyens, respectueux des règles de la vie en démocratie et des institutions, et des consommateurs qui sauront s'adapter au monde qui les entoure ?
Les pédagogies actives ont un tout autre dessein. « Je ne crois pas que nous devons préparer les enfants au monde de demain. Car le monde de demain, c'est eux », dit la documentariste Stéphanie Brillant, auteure du film « Le cerveau de l'enfant ». Les enfants d'aujourd'hui sont ceux et celles qui transformeront le monde demain. Pas parce qu'ils auront appris à lire, écrire et à compter pour « gagner leur vie » et vivre plaisamment. Mais parce qu'ils sauront ce que veut dire choisir, être autonomes et empathiques, découvrir, vivre à son rythme et être soi. Personne n'a dit que c'était le chemin le plus facile. Il est courageux, exigeant et plein d'embûches. Mais c'est sans aucun doute le plus sûr chemin vers la liberté.
Fanny Lancelin
(1) Lire le numéro 20 de (Re)bonds, « Une autre école est possible - épisode 1 », rubrique (Ré)acteurs, accessible depuis le menu Archives en haut à droite.
(2) Maria Montessori, médecin et pédagogue italienne (1870-1952). Lire aussi la rubrique (Re)visiter du numéro 20 de (Re)bonds.
(3) http://www.public-montessori.fr/
(4) « Calme et attentif comme une grenouille », de Eline Snel, illustrations de Marc Boutavant, traduction de Jacques Van Rillaer (éditions les Arènes).
(5) Ecole du Chêne Vert à Plaimpied-Givaudins près de Bourges. Lire le numéro 20 de (Re)bonds, « Une autre école est possible - épisode 1 », rubrique (Ré)acteurs, accessible depuis le menu Archives en haut à droite.
(6) Le socle commun : « Le socle commun de connaissances, de compétences et de culture présente ce que tout élève doit savoir et maîtriser à la fin de la scolarité obligatoire. Il rassemble l'ensemble des connaissances, compétences, valeurs et attitudes nécessaires pour réussir sa scolarité, sa vie d'individu et de futur citoyen (...) La maîtrise du socle est nécessaire pour obtenir le diplôme national du brevet (DNB). » Source : www.education.gouv.fr
(7) Label Eco-école : label international d'éducation au développement durable. Plus de renseignements sur https://www.eco-ecole.org/
(8) IUFM : Institut Universitaire de Formation des Maîtres.
(9) Mouvement : période de l'année où les enseignants et personnels de l'Education nationale peuvent demander une affectation.
(10) https://www.celinealvarez.org/