# 30 Tech the power (novembre 2019)(Re)bonds est un magazine mensuel créé par Fanny Lancelin, journaliste installée dans le Cher. Son but : à travers, des portraits d'habitant.es du Berry, raconter des parcours alternatifs, des modes de vie où le respect des êtres vivants et de leur environnement tient une place centrale.http://www.rebonds.net/30techthepower2023-05-11T18:59:35+02:00(Re)bonds.netJoomla! - Open Source Content ManagementLibération de l'écriture2017-03-21T13:37:42+01:002017-03-21T13:37:42+01:00http://www.rebonds.net/30techthepower/551-liberationdelecritureSuper User<p><strong>Alexandre Korber est technicien web et cofondateur d'Usinette <em>(lire aussi la rubrique (Ré)acteurs)</em>, qui propose notamment des ateliers collectifs avec des machines à écrire. Le but : questionner la place de la technologie dans notre quotidien, mais aussi (re)trouver le goût et le temps de penser, de poser ses idées sur le papier. Il nous raconte ici son rapport à la machine à écrire, devenu une véritable passion.</strong></p>
<p>Pour pas mal de monde, écrire n'est pas une chose anodine et facile. Oui, écrire sa liste de courses sur un bout de papier ou écrire vite fait un pense-bête sur un post-it, ça reste une tâche relativement simple pour ceux et celles qui ont appris à écrire à l'école. Notons que ça n'est pas encore le cas pour tout le monde. Même en Europe, on peut compter 1 % de personnes ne sachant ni écrire ni lire <span style="font-size: 8pt;">(1)</span>.<br />Au-delà de pouvoir écrire, il s'agit aussi d'en avoir envie. En général, suite à des études universitaires mêmes courtes, c'est devenu une habitude et formuler des idées à l'écrit semble naturel. Pour d'autres qui n'ont pas eu l'occasion d'écrire faute de temps et faisant un travail qui ne sollicite pas cette pratique, écrire devient une corvée. La place dans nos vies que tiennent les ordinateurs et les téléphones portables a changé tout de même la situation. Nous échangeons par écrit très fréquemment mais cela reste une production de textes très courts et utilitaires : donner rapidement des nouvelles, s'organiser, etc... L'époque où les gens s'envoyaient des lettres longues plusieurs fois par jour est révolue. Même l'usage des courriels a tendance à ne toucher que des échanges formels et professionnels. Les courriels étant largement supplantés par les médias sociaux, même en groupes.<br />Utiliser les médias sociaux pour échanger et poser ses idées semble donc le nouveau standard, mais que deviennent les personnes qui n'ont ni les moyens financiers, ni la formation pour utiliser ne serait-ce qu'un « smart phone » ? Sans parler du coût d'un accès Internet.</p>
<p><span style="font-size: 14pt;"><strong><span style="color: #ff615d;">Retrouver la spontanéité entre nos doigts et nos mots</span></strong></span></p>
<p>Internet a définitivement changé notre rapport à l'écriture, la rendant plus spontanée voir même instantanée mais cette simplicité, nous le savons, s'appuie sur une industrie lourde faite de « data center », d'infrastructures, de production massive d'ordinateurs individuels et de « smart phones » pour la maintenir. Que se passe-t-il lorsque nos médias sociaux mettent « la clé sous la porte » ou cessent d'exister <span style="font-size: 8pt;">(2)</span>, effacent nos échanges, tombent en panne ? Cette vision catastrophique pourrait s'apparenter à une disparition du courrier postal, bien plus sollicité actuellement pour recevoir des colis que pour échanger des cartes postales et des lettres d'amour ! Cet usage paraît, hélas, obsolète aux politiques successives privatisant ce service public ancestral et accessible. La poste est pourtant un média social qui a fait l'objet de pas mal d'expérimentations (jeux <span style="font-size: 8pt;">(3)</span>, art <span style="font-size: 8pt;">(4)</span>, littérature <span style="font-size: 8pt;">(5)</span>).</p>
<p>La spontanéité, je vous propose de la mettre entre nos doigts et nos mots. Le dispositif le plus simple étant le stylo et le papier. Nous n'avons pas encore abandonné cette pratique, quitte à la mimer sur les tablettes numériques. Ensuite, il y a le clavier. Avant le clavier de l'ordinateur, le clavier de la machine à écrire. Une pratique moins spontanée que l'écriture manuscrite mais, lorsqu'il s'agissait de partager ses idées, pouvoir les relire, bien avant qu'Internet et que l'informatique domestique existent, était indispensable.<a href="http://www.rebonds.net/images/USINETTE/atelier_machine_à_écrire_2.jpg" class="jcepopup" data-mediabox="1" data-mediabox-title="Usinette anime des ateliers d'écriture collective sur des machines à écrire (photo : A. Korber)."><img src="http://www.rebonds.net/images/USINETTE/atelier_machine_à_écrire_2.jpg" alt="atelier machine à écrire 2" width="621" height="355" style="margin-left: 15px; border: 2px double #e2e2e2; float: right;" /></a></p>
<p>Etonnamment, en 2019, c'est encore le moyen de poser des mots sur du papier de manière lisible sans avoir besoin d'allumer ni imprimante, ni ordinateur, sans avoir besoin non plus de répondre aux sollicitations de l'anti-virus, du système d'exploitation qui souhaite se mettre à jour. Étrangement, les machines à écrire encombrent les garages, les caves et les greniers car elles ont été fabriquées en très grand nombre et aussi massivement abandonnées pour les premiers PC familiaux, souvent pour cette bonne raison : on peut effacer !</p>
<p>Aujourd'hui, la pratique de l'écriture a changé par cette simple touche : « effacer ». Sur une machine à écrire, cette touche est absente. On peut juste revenir en arrière, barrer ou sur-imprimer des XXX pour ne plus voir certains mots. Lorsqu'on barre un mot, on le voit encore, on a donc à notre disposition plus d'informations sur son brouillon dactylographié que sur son éditeur de texte, même en revenant sur ses actions précédentes (CTRL-Z n’existe pas non plus sur les machines à écrire). La production du texte va donc vers l'avant en laissant les traces de ses erreurs, de ses modifications, entretenue par le bruit mécanique et grisant de la machine, rappelant certains « vieux » films <span style="font-size: 8pt;">(6)</span> ! Écrire un texte sur un ordinateur est bien moins cinégénique, bien que le bruit du clavier ait été préservé <span style="font-size: 8pt;">(7)</span> pendant longtemps pour ne pas dérouter les premiers utilisateurs et surtout utilisatrices, majoritairement dactylographes.</p>
<p>Les femmes dactylographes ont été alternativement émancipées par l'usage de la machine à écrire et oppressées par cette même machine conçue pour rentabiliser, optimiser et donc surcharger son utilisatrice. Quelques années plus tard, elles se retrouvent devant l'écran scintillant des premiers postes de saisie informatique, avec sous leurs doigts un outil soit-disant plus ergonomique et tout autant productiviste, n’enlevant rien à leur oppression au travail. En 1984, 48 « dactylocodeuses »<span style="font-size: 8pt;"> (8)</span> travaillant à l’INSEE de Nantes lancent 64 jours de grève car le nouveau matériel fait mal aux yeux, empêche les interactions habituelles avec les collègues et oblige à plus de concentration. Les travailleuses se sentent, en plus, dépossédées de leur outil qu’elles maîtrisaient parfaitement. Devant elles maintenant, un « logiciel » de saisie dont on ne leur explique pas le fonctionnement global et surtout les pannes à répétition. Elles gagnent (!) : moins de temps devant l’écran, la suppression des contrôles individuels de la production et le paiement de 21 jours de grève.<br /><br /><span style="font-size: 12pt;"><strong><span style="color: #ff615d;"><span style="font-size: 14pt;">Un acte fluide et organique improbable</span><br /></span></strong></span></p>
<p>Je redécouvre donc cet outil qu'il faut dépoussiérer et reconsidérer maintenant, en 2019. C'est pour moi une redécouverte de l'écriture. J’ai été tenté d’abandonner l'idée, souvent fastidieuse : se ménager un petit moment quotidien pour penser et poser ses idées. De plus, écrire son journal est encore actuellement considéré comme une pratique féminine, mobilisant les sentiments. Alors j’abandonne, honteux de ne pas insister, honteux d'avoir voulu l'entreprendre. Un « vrai mec » garde tout pour lui, c'est bien connu. Mais tans pis : je continue !</p>
<p>Puis cette rencontre s'installe tranquillement dans le quotidien : d'abord, pour son côté folklorique et d'un autre âge ; ensuite, pour ce petit défi à réussir une ligne sans coquille et sans regarder le clavier, puis un paragraphe, puis une page, une fois par jour, pendant un an. Ça y est, c'est rentré dans l'intime, ça fait corps, ça devient un acte fluide et organique improbable qui produit des pensées sur du papier. Ça devient très rapidement une nécessité et on se demande comment on pouvait laisser s’envoler tout ça, même les idées les plus triviales, la météo, j'ai chaud, j'ai froid, je suis heureux, triste… puis heureux de l'écrire. Ça donne aussi des repères pour mieux se connaître et donc avancer sereinement. Relire même deux semaines dans le passé peut s’avérer très surprenant ! La mémoire et la perception du temps se réajustent par cette pratique.</p>
<p>Sans l'écran et sans la touche qui efface, la démarche est différente et on assume bien plus de choses, on lâche prise et on accepte de ne pas contrôler directement. On peut utiliser un interligne 2 pour reprendre son texte plus tard, avec la même machine, avec un stylo ou même en le retapant sur un traitement de texte. C'est une machine de captation d'un flux de pensée brute et là est l'avantage. Une sorte de baromètre ou de sismographe de l’âme. Si l'écriture manuscrite est difficile même musculairement au bout d'un moment, sur une machine, le texte coule tel un fluide et dix doigts prennent bien plus de temps à fatiguer que trois !<br /><br /><strong><span style="font-size: 12pt; color: #ff615d;"><span style="font-size: 14pt;">Une histoire particulière</span></span></strong></p>
<p>Point tout aussi important : c'est un outil accessible financièrement. Beaucoup de gens vous donneront leurs machines ou la vendront pour quelques euros avec la conscience tranquille de céder l'outil d'une vie à quelqu’un qui s’en servira. Oui, l'outil d'une vie puisqu'elles ont été conçues pour durer même plusieurs vies : la Hermes Baby <span style="font-size: 8pt;">(9)</span> de 1965 que j'utilise actuellement ou la Remington Noiseless de 1955<span style="font-size: 8pt;"> (10)</span>, que j’utilise la nuit pour ne pas réveiller tout le monde, en sont la preuve.</p>
<p>Construites massivement, les machines à écrire ont une histoire particulière. Il s'agit d'une invention relativement récente dont un certain Henry Mill <span style="font-size: 8pt;">(11)</span> en 1714 avait déjà posé un brevet, mais qui n’aboutit à aucune fabrication connue. Cette machine, qui pourrait imprimer successivement des lettres sur du papier, n'est apparue sous les doigts de son concepteur, Christopher L. Sholes <span style="font-size: 8pt;">(12)</span>, politicien, journaliste et imprimeur, qu'en 1878 à Milwaukee, Wisconsin, aux Etats-Unis. Après s'être inspiré du piano, de la machine à coudre et des foisonnants designs<span style="font-size: 8pt;"> (13)</span> qui émergeaient au même moment. Sa véritable industrialisation n'arrive qu'en 1873 lorsque la firme Remington, alors fabricante d'armes à feu, achète le brevet de Sholes pour construire les machines à écrire en métal plus robuste. Avant cela, les multiples versions en bois se vendaient difficilement car elles étaient trop fragiles. Remington a repris l'esthétique des machines à coudre qu'ils fabriquaient, ornées de décorations florales et de paysages bucoliques. Seulement 4.000 machines ont été construites en 1874 et Remington a passé la production à un fabriquant qui a augmenté considérablement le nombre de machines disponibles sur le marché. Ainsi, a commencé un succès industriel avec la seconde version en 1878, la Remington 2, équipée de majuscules et de minuscules contrairement à la précédente.<a href="http://www.rebonds.net/images/USINETTE/atelier_machine_à_écrire_4.jpg" class="jcepopup" data-mediabox="1" data-mediabox-title="Photo : A. Korber."><img src="http://www.rebonds.net/images/USINETTE/atelier_machine_à_écrire_4.jpg" alt="atelier machine à écrire 4" width="538" height="404" style="margin-left: 15px; border: 2px double #e2e2e2; float: right;" /></a></p>
<p>Un critère de succès que le design de Sholes intègre dès 1872, avec un clavier dont l'agencement des touches est encore utilisé, même sur nos « smart phones » : le clavier QWERTY. La principale raison de ce choix était d'éviter que les marteaux ne s'entrechoquent et que la frappe en soit ralentie. La première révolution industrielle se dote alors de l'un de ses premiers outils de productivité.</p>
<p><span style="font-size: 14pt;"><strong><span style="color: #ff615d;">Ralentir</span></strong></span></p>
<p>Mais que faire de ça ,en 2019, après les deux révolutions industrielles que sont l'informatique personnelle et Internet ?</p>
<p>RALENTIR !<br />Voilà ce qui peut nous arriver de mieux en utilisant une machine à écrire aujourd'hui. Ralentir et se concentrer sur cette tâche devenue si rare : penser et formuler ses propres idées directement sur une feuille de papier de manière lisible et élégante <span style="font-size: 8pt;">(14)</span>. Rien ne vous empêchera de la scanner, voire même d'utiliser un logiciel de reconnaissance de caractères <span style="font-size: 8pt;">(15)</span>, comme je l’ai fait pour écrire ce texte. Ce qui importe, c'est la première impulsion et les premiers mots. Ils seront différents de ceux que vous écririez avec un stylo ou avec un ordinateur. Il s'agit d'un autre instrument à votre disposition. Un instrument d'écriture propre à vous mettre dans une sorte d'état hypnotique, par le toucher, par le son ; laissez-vous extirper cet état si particulier de la conscience lorsque vous voulez partager vos idées, donner des nouvelles, en recevoir en ouvrant votre boîte aux lettres sur une pile de publicités si bien imprimées, insensées.</p>
<p>Baladez-vous en pleine nature avec votre machine à écrire portable, écrivez devant un paysage majestueux, écrivez dans les lieux publics et voyez les réactions autour de vous. Posez devant chez vous une table et des chaises, commencez à écrire des poèmes à la demande.<br />La machine à écrire, oubliée des outils techniques, nous fait aujourd'hui un effet particulier par l'écart entre son utilité et la virtuosité de sa construction : comment de tels outils peuvent exister au-delà de générations d'utilisateurs et d'utilisatrices ? Pourquoi n'est-il plus normal de garder nos objets usuels aussi longtemps ? Pourrions nous imaginer garder nos automobiles aussi longtemps sans sacrifier à notre sécurité ? Juste en intégrant dans le cahier des charges du fabriquant la notion de robustesse et de pérennité ?<br />Les deux sondes Voyager <span style="font-size: 8pt;">(16)</span> ont été capables de fonctionner bien plus de temps que le prévoyait la NASA en 1977 car le design stipulait de pouvoir « laisser » la sonde fonctionner en évitant d'imaginer qu'elle puisse tomber en panne, en laissant des champs d’exploration aux générations successives d’ingénieurs. Les sondes ne sont pas tombées en panne et ont été reprogrammées à distance. Elles parcourent actuellement l'espace au-delà de notre système solaire et au-delà des estimations du projet initial.</p>
<p><span style="font-size: 14pt;"><strong><span style="color: #ff615d;">L'obsolescence, outil du capitalisme</span></strong></span></p>
<p>Si nous appliquions ce même cahier des charges à tous nos outils et objets techniques – les laisser possiblement évoluer, être réappropriés par les générations suivantes, être réinterprétés, détournés – un certain processus en serait largement affecté : celui qui s'appuie sur la mise sur le marché d'objets vendus comme indispensables et générant ce besoin de nous conformer, de suivre la majorité et la tendance. Ce processus, le capitalisme, se réapproprie les idées de l'écologie pour nous servir du « développement durable ». Il peut nous faire croire qu'il propose des objets ne générant pas de déchets en inventant de nouvelles normes en connivence avec les industries complices. Non, construire des objets techniques robustes et qui durent des générations n'est pas rentable en capitalisme puisqu'il est plus important de vendre plutôt que de partager et échanger des valeurs d'usage. Voyager sort de l'orbite terrestre grâce au capitalisme. Il sort de l’héliosphère aussi grâce à lui par le biais de la Guerre Froide et du niveau d’implication de l’époque pour rester les premiers.</p>
<p>Nous sommes aujourd'hui un peu contraints de la même manière d'accepter ces outils amputés de toute valeur d'usage : des automobiles fragiles par design, dont l'habitacle est inversement proportionnel à la taille de l’habitacle ; des « smart phones » dont le système ralentit un peu plus à chaque mise à jour ; des outils fragiles et nombreux qui n'ont qu’une seule fonction pour les fabricants : être fragiles pour être achetés de nouveau. Comprendre n'étant pas accepter, utiliser n'étant pas choisir, il est possible maintenant d'imaginer ce que pourrait être une industrie qui ne nécessiterait la fabrication que de quelques outils et machines dans le cours de nos vies. Une seule automobile, une seule machine à écrire, un seul ordinateur, une seule machine à coudre. Pourrait-on encore appeler cela de l'industrie ? Pourrait-on encore appeler cela du capitalisme ?</p>
<p><span style="font-size: 12pt;"><strong><span style="color: #ff615d;"><span style="font-size: 14pt;">Des exemples de machines à écrire « d'aujourd'hui »</span><a href="http://www.rebonds.net/images/USINETTE/machines_à_écrire_5.jpg" class="jcepopup" data-mediabox="1" data-mediabox-title="Photo : A. Korber."><img src="http://www.rebonds.net/images/USINETTE/machines_à_écrire_5.jpg" alt="machines à écrire 5" width="500" height="667" style="margin-left: 15px; border: 2px double #e2e2e2; float: right;" /></a></span> </strong></span></p>
<p>La valeur d'usage de cette belle Hermes Baby a fait perdre la tête à son utilisateur ! Il oublie de vous suggérer quelques machines qu'il a déjà eues sous les doigts et quelques lectures.</p>
<p>La Hermes Baby est un best-seller en Europe. Elle s'est construite à 4,5 millions d'exemplaires à travers le monde. Conçue par Paillard à Yverdon en Suisse, marque qui fabriquait aussi les réputées caméras Paillard-Bolex. Il s'agit de l'une des plus petites et plus légères des machines « ultra-portables » avec des variations en plastique sorties fin 1970, construite d'un seul bloc, protégée par une coque solide. Il est possible d'en trouver pour moins de 10 € en vide-greniers ou sur les sites de ventes en ligne. Ses touches en forme de grosses molaires épousent les doigts et la frappe est un peu molle mais constante. Françoise Sagan <span style="font-size: 8pt;">(17)</span> l’a utilisée.<br />La Hermes 3.000 est un peu la machine pour le bureau, grande sœur de la Baby. Sa conception permet une frappe sans effort et très régulière. Elle possède le même design de touches mais a plus de fonctions : des tabulations et un levier pour régler la force de la frappe. Eugène Ionesco, Sam Shepard, Jack Kerouac l’utilisaient.</p>
<p>Dans un style tout à fait différent, la Olivetti Lettera 32 <span style="font-size: 8pt;">(18)</span> offre un design épuré qui pourrait être LE profil générique d'une machine à écrire tracé en quelques coups de crayons. Elle est de taille intermédiaire aux deux précédentes tout en restant transportable. Son clavier est différent et on se surprend parfois à faire quelques pointes de vitesse sans se rendre compte d'écrire sur une machine à écrire. Elle se fait totalement oublier : l'outil ultime. Elle possède les tabulations et un réglage de la force de frappe. Celle que j'ai a été achetée sur un vide-grenier de banlieue parisienne pour 10 euros. Cormac McCarthy<span style="font-size: 8pt;"> (19)</span> a écrit la plupart de ses romans avec cette machine dont « No Country for Old Men » (2005)<span style="font-size: 8pt;"> (20)</span> et « The Road » (2006) <span style="font-size: 8pt;">(21)</span> ayant été portés à l’écran.<br /><br />Je ne me risquerai pas à décrire les autres machines en ma possession (ou serait-ce l’inverse ?) de peur de générer chez vous la même tentation compulsive d'accumuler. N'oubliez pas que pour notre propre intérêt de dactylographes, il faut éviter de dépenser plus de 50 euros pour une machine : ne jouons pas ce jeu spéculatif !</p>
<p><span style="font-size: 14pt;"><strong><span style="color: #ff615d;">La naissance de la « typosphère »</span></strong></span></p>
<p>L'accumulation a cependant son intérêt si on décide de faire des séances d'écriture collective, une activité bon enfant où les grand-mères dactylo côtoient les petits-fils totalement hypnotisés par la virtuosité des femmes ayant passé une bonne partie de leur carrière à utiliser ces reliques ! Les réactions lors de ces « Type out »<span style="font-size: 8pt;"> (22)</span> vont de la nostalgie à la phobie pure : la technologie est manifestement un organe très sensible.</p>
<p>Pensant ne pas être le seul sur terre à redécouvrir cette pratique, j'ai trouvé en me baladant sur Internet des tas de gens <span style="font-size: 8pt;">(23)</span> qui sortent les machines à écrire des greniers. Un mouvement est né. Lors des actions de « Occupy Portland » en 2011, des militants rédigeaient les tracts à la machine. Artistes, bloggers scannant et postant leurs textes dactylographiés, angoissés du numérique, musiciennes, hipsters, écrivains, scénaristes, poétesses de rue, écrivains publics et j'en passe se réapproprient cet outil et le rendent de nouveau contemporain. Internet se marie avec la machine à écrire pour donner la « typosphère », une sorte de média social qui mélange les pratiques des fanzines, du blog et de cette écriture bruyante mais rassurante en cas de panne de courant !</p>
<p>Je ne peux que vous conseiller la lecture du livre de Richard Polt, « The Typewriter Revolution » qui montre bien ce désir de combiner simplicité d’usage, convivialité et refus du tout numérique. Spéciale dédicace enfin à Joe Van Cleave, photographe et passionné de machines et de partages qui m’a fait régulièrement voyager à Albuquerque, Nouveau Mexique, juste pour partager l’idée d’imperfection<span style="font-size: 8pt;"> (24)</span> ou l’appareil photo qu’il bricole avec un ami hacker<span style="font-size: 8pt;"> (25)</span>.</p>
<p>Ecrivons-nous !<br /><br /><strong>Alexandre Korber, samedi 9 novembre 2019</strong></p>
<p><span style="font-size: 8pt;">(1) <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_des_pays_par_taux_d'alphab%C3%A9tisation">https://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_des_pays_par_taux_d'alphab%C3%A9tisation</a></span><br /><span style="font-size: 8pt;">(2) Google Wave, Myspace, Yahoo groups, Digg…</span><br /><span style="font-size: 8pt;">(3) <a href="http://lerpg.unblog.fr/2018/07/04/rpg-epistolaire-partie-theorie/">http://lerpg.unblog.fr/2018/07/04/rpg-epistolaire-partie-theorie/</a></span><br /><span style="font-size: 8pt;">(4) <a href="https://www.theverge.com/2014/10/7/6882427/king-of-keys">https://www.theverge.com/2014/10/7/6882427/king-of-keys</a></span><br /><span style="font-size: 8pt;">(5) <a href="http://www.revue-terminal.org/www/terminal-archives/magazine/archives/terminalN5.zip">http://www.revue-terminal.org/www/terminal-archives/magazine/archives/terminalN5.zip</a></span><br /><span style="font-size: 8pt;">(6) <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/All_the_President%27s_Men_">https://en.wikipedia.org/wiki/All_the_President%27s_Men_</a>(film)</span><br /><span style="font-size: 8pt;">(7) <a href="https://www.theverge.com/2014/10/7/6882427/king-of-keys">https://www.theverge.com/2014/10/7/6882427/king-of-keys</a></span><br /><span style="font-size: 8pt;">(8) <a href="http://www.revue-terminal.org/www/terminal-archives/magazine/archives/terminalN5.zip">http://www.revue-terminal.org/www/terminal-archives/magazine/archives/terminalN5.zip</a></span><br /><span style="font-size: 8pt;">(9) <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Bolex_International#/media/Fichier">https://fr.wikipedia.org/wiki/Bolex_International#/media/Fichier</a>:Hermes_Baby_green_(Swiss_German).jpg</span><br /><span style="font-size: 8pt;">(10) <a href="https://typewriterdatabase.com/1955-remington-noiseless-7.7929.typewrite">https://typewriterdatabase.com/1955-remington-noiseless-7.7929.typewrite</a></span><br /><span style="font-size: 8pt;">(11) <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Henry_Mill">https://fr.wikipedia.org/wiki/Henry_Mill</a></span><br /><span style="font-size: 8pt;">(12) <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Christopher_Latham_Sholes">https://fr.wikipedia.org/wiki/Christopher_Latham_Sholes</a></span><br /><span style="font-size: 8pt;">(13) <a href="https://www.antiquetypewriters.com/">https://www.antiquetypewriters.com/</a></span><br /><span style="font-size: 8pt;">(14) <a href="http://xoverit.blogspot.com/2014/03/100-typewriter-typefaces-compared.html">http://xoverit.blogspot.com/2014/03/100-typewriter-typefaces-compared.html</a></span><br /><span style="font-size: 8pt;">(15) <a href="https://github.com/manisandro/gImageReader">https://github.com/manisandro/gImageReader</a></span><br /><span style="font-size: 8pt;">(16) <a href="https://www.scientificamerican.com/article/how-nasa-fights-to-keep-dying-spacecraft-alive/">https://www.scientificamerican.com/article/how-nasa-fights-to-keep-dying-spacecraft-alive/</a></span><br /><span style="font-size: 8pt;">(17) <a href="https://site.xavier.edu/polt/typewriters/Sagan1956.jpg">https://site.xavier.edu/polt/typewriters/Sagan1956.jpg</a></span><br /><span style="font-size: 8pt;">(18) <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Olivetti_Lettera_32">https://en.wikipedia.org/wiki/Olivetti_Lettera_32</a></span><br /><span style="font-size: 8pt;">(19) <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Cormac_McCarthy">https://fr.wikipedia.org/wiki/Cormac_McCarthy</a></span><br /><span style="font-size: 8pt;">(20) <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/No_Country_for_Old_Men">https://fr.wikipedia.org/wiki/No_Country_for_Old_Men</a></span><br /><span style="font-size: 8pt;">(21) <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/La_Route_">https://fr.wikipedia.org/wiki/La_Route_</a>(roman)</span><br /><span style="font-size: 8pt;">(22) <a href="https://usinette.org/actualites/article/participation-au-festival-faire-hacker">https://usinette.org/actualites/article/participation-au-festival-faire-hacker</a></span><br /><span style="font-size: 8pt;">(23) <a href="http://typosphere.blogspot.com/">http://typosphere.blogspot.com/</a> (en bas de page : le flux RSS « The Mighty Blogroll » vaut la visite).</span><br /><span style="font-size: 8pt;">(24) <a href="https://www.invidio.us/watch?v=-8jAoKaYueI">https://www.invidio.us/watch?v=-8jAoKaYueI</a></span><br /><span style="font-size: 8pt;">(25) <a href="https://www.invidio.us/watch?v=SF8IE90xUdw">https://www.invidio.us/watch?v=SF8IE90xUdw</a></span></p><p><strong>Alexandre Korber est technicien web et cofondateur d'Usinette <em>(lire aussi la rubrique (Ré)acteurs)</em>, qui propose notamment des ateliers collectifs avec des machines à écrire. Le but : questionner la place de la technologie dans notre quotidien, mais aussi (re)trouver le goût et le temps de penser, de poser ses idées sur le papier. Il nous raconte ici son rapport à la machine à écrire, devenu une véritable passion.</strong></p>
<p>Pour pas mal de monde, écrire n'est pas une chose anodine et facile. Oui, écrire sa liste de courses sur un bout de papier ou écrire vite fait un pense-bête sur un post-it, ça reste une tâche relativement simple pour ceux et celles qui ont appris à écrire à l'école. Notons que ça n'est pas encore le cas pour tout le monde. Même en Europe, on peut compter 1 % de personnes ne sachant ni écrire ni lire <span style="font-size: 8pt;">(1)</span>.<br />Au-delà de pouvoir écrire, il s'agit aussi d'en avoir envie. En général, suite à des études universitaires mêmes courtes, c'est devenu une habitude et formuler des idées à l'écrit semble naturel. Pour d'autres qui n'ont pas eu l'occasion d'écrire faute de temps et faisant un travail qui ne sollicite pas cette pratique, écrire devient une corvée. La place dans nos vies que tiennent les ordinateurs et les téléphones portables a changé tout de même la situation. Nous échangeons par écrit très fréquemment mais cela reste une production de textes très courts et utilitaires : donner rapidement des nouvelles, s'organiser, etc... L'époque où les gens s'envoyaient des lettres longues plusieurs fois par jour est révolue. Même l'usage des courriels a tendance à ne toucher que des échanges formels et professionnels. Les courriels étant largement supplantés par les médias sociaux, même en groupes.<br />Utiliser les médias sociaux pour échanger et poser ses idées semble donc le nouveau standard, mais que deviennent les personnes qui n'ont ni les moyens financiers, ni la formation pour utiliser ne serait-ce qu'un « smart phone » ? Sans parler du coût d'un accès Internet.</p>
<p><span style="font-size: 14pt;"><strong><span style="color: #ff615d;">Retrouver la spontanéité entre nos doigts et nos mots</span></strong></span></p>
<p>Internet a définitivement changé notre rapport à l'écriture, la rendant plus spontanée voir même instantanée mais cette simplicité, nous le savons, s'appuie sur une industrie lourde faite de « data center », d'infrastructures, de production massive d'ordinateurs individuels et de « smart phones » pour la maintenir. Que se passe-t-il lorsque nos médias sociaux mettent « la clé sous la porte » ou cessent d'exister <span style="font-size: 8pt;">(2)</span>, effacent nos échanges, tombent en panne ? Cette vision catastrophique pourrait s'apparenter à une disparition du courrier postal, bien plus sollicité actuellement pour recevoir des colis que pour échanger des cartes postales et des lettres d'amour ! Cet usage paraît, hélas, obsolète aux politiques successives privatisant ce service public ancestral et accessible. La poste est pourtant un média social qui a fait l'objet de pas mal d'expérimentations (jeux <span style="font-size: 8pt;">(3)</span>, art <span style="font-size: 8pt;">(4)</span>, littérature <span style="font-size: 8pt;">(5)</span>).</p>
<p>La spontanéité, je vous propose de la mettre entre nos doigts et nos mots. Le dispositif le plus simple étant le stylo et le papier. Nous n'avons pas encore abandonné cette pratique, quitte à la mimer sur les tablettes numériques. Ensuite, il y a le clavier. Avant le clavier de l'ordinateur, le clavier de la machine à écrire. Une pratique moins spontanée que l'écriture manuscrite mais, lorsqu'il s'agissait de partager ses idées, pouvoir les relire, bien avant qu'Internet et que l'informatique domestique existent, était indispensable.<a href="http://www.rebonds.net/images/USINETTE/atelier_machine_à_écrire_2.jpg" class="jcepopup" data-mediabox="1" data-mediabox-title="Usinette anime des ateliers d'écriture collective sur des machines à écrire (photo : A. Korber)."><img src="http://www.rebonds.net/images/USINETTE/atelier_machine_à_écrire_2.jpg" alt="atelier machine à écrire 2" width="621" height="355" style="margin-left: 15px; border: 2px double #e2e2e2; float: right;" /></a></p>
<p>Etonnamment, en 2019, c'est encore le moyen de poser des mots sur du papier de manière lisible sans avoir besoin d'allumer ni imprimante, ni ordinateur, sans avoir besoin non plus de répondre aux sollicitations de l'anti-virus, du système d'exploitation qui souhaite se mettre à jour. Étrangement, les machines à écrire encombrent les garages, les caves et les greniers car elles ont été fabriquées en très grand nombre et aussi massivement abandonnées pour les premiers PC familiaux, souvent pour cette bonne raison : on peut effacer !</p>
<p>Aujourd'hui, la pratique de l'écriture a changé par cette simple touche : « effacer ». Sur une machine à écrire, cette touche est absente. On peut juste revenir en arrière, barrer ou sur-imprimer des XXX pour ne plus voir certains mots. Lorsqu'on barre un mot, on le voit encore, on a donc à notre disposition plus d'informations sur son brouillon dactylographié que sur son éditeur de texte, même en revenant sur ses actions précédentes (CTRL-Z n’existe pas non plus sur les machines à écrire). La production du texte va donc vers l'avant en laissant les traces de ses erreurs, de ses modifications, entretenue par le bruit mécanique et grisant de la machine, rappelant certains « vieux » films <span style="font-size: 8pt;">(6)</span> ! Écrire un texte sur un ordinateur est bien moins cinégénique, bien que le bruit du clavier ait été préservé <span style="font-size: 8pt;">(7)</span> pendant longtemps pour ne pas dérouter les premiers utilisateurs et surtout utilisatrices, majoritairement dactylographes.</p>
<p>Les femmes dactylographes ont été alternativement émancipées par l'usage de la machine à écrire et oppressées par cette même machine conçue pour rentabiliser, optimiser et donc surcharger son utilisatrice. Quelques années plus tard, elles se retrouvent devant l'écran scintillant des premiers postes de saisie informatique, avec sous leurs doigts un outil soit-disant plus ergonomique et tout autant productiviste, n’enlevant rien à leur oppression au travail. En 1984, 48 « dactylocodeuses »<span style="font-size: 8pt;"> (8)</span> travaillant à l’INSEE de Nantes lancent 64 jours de grève car le nouveau matériel fait mal aux yeux, empêche les interactions habituelles avec les collègues et oblige à plus de concentration. Les travailleuses se sentent, en plus, dépossédées de leur outil qu’elles maîtrisaient parfaitement. Devant elles maintenant, un « logiciel » de saisie dont on ne leur explique pas le fonctionnement global et surtout les pannes à répétition. Elles gagnent (!) : moins de temps devant l’écran, la suppression des contrôles individuels de la production et le paiement de 21 jours de grève.<br /><br /><span style="font-size: 12pt;"><strong><span style="color: #ff615d;"><span style="font-size: 14pt;">Un acte fluide et organique improbable</span><br /></span></strong></span></p>
<p>Je redécouvre donc cet outil qu'il faut dépoussiérer et reconsidérer maintenant, en 2019. C'est pour moi une redécouverte de l'écriture. J’ai été tenté d’abandonner l'idée, souvent fastidieuse : se ménager un petit moment quotidien pour penser et poser ses idées. De plus, écrire son journal est encore actuellement considéré comme une pratique féminine, mobilisant les sentiments. Alors j’abandonne, honteux de ne pas insister, honteux d'avoir voulu l'entreprendre. Un « vrai mec » garde tout pour lui, c'est bien connu. Mais tans pis : je continue !</p>
<p>Puis cette rencontre s'installe tranquillement dans le quotidien : d'abord, pour son côté folklorique et d'un autre âge ; ensuite, pour ce petit défi à réussir une ligne sans coquille et sans regarder le clavier, puis un paragraphe, puis une page, une fois par jour, pendant un an. Ça y est, c'est rentré dans l'intime, ça fait corps, ça devient un acte fluide et organique improbable qui produit des pensées sur du papier. Ça devient très rapidement une nécessité et on se demande comment on pouvait laisser s’envoler tout ça, même les idées les plus triviales, la météo, j'ai chaud, j'ai froid, je suis heureux, triste… puis heureux de l'écrire. Ça donne aussi des repères pour mieux se connaître et donc avancer sereinement. Relire même deux semaines dans le passé peut s’avérer très surprenant ! La mémoire et la perception du temps se réajustent par cette pratique.</p>
<p>Sans l'écran et sans la touche qui efface, la démarche est différente et on assume bien plus de choses, on lâche prise et on accepte de ne pas contrôler directement. On peut utiliser un interligne 2 pour reprendre son texte plus tard, avec la même machine, avec un stylo ou même en le retapant sur un traitement de texte. C'est une machine de captation d'un flux de pensée brute et là est l'avantage. Une sorte de baromètre ou de sismographe de l’âme. Si l'écriture manuscrite est difficile même musculairement au bout d'un moment, sur une machine, le texte coule tel un fluide et dix doigts prennent bien plus de temps à fatiguer que trois !<br /><br /><strong><span style="font-size: 12pt; color: #ff615d;"><span style="font-size: 14pt;">Une histoire particulière</span></span></strong></p>
<p>Point tout aussi important : c'est un outil accessible financièrement. Beaucoup de gens vous donneront leurs machines ou la vendront pour quelques euros avec la conscience tranquille de céder l'outil d'une vie à quelqu’un qui s’en servira. Oui, l'outil d'une vie puisqu'elles ont été conçues pour durer même plusieurs vies : la Hermes Baby <span style="font-size: 8pt;">(9)</span> de 1965 que j'utilise actuellement ou la Remington Noiseless de 1955<span style="font-size: 8pt;"> (10)</span>, que j’utilise la nuit pour ne pas réveiller tout le monde, en sont la preuve.</p>
<p>Construites massivement, les machines à écrire ont une histoire particulière. Il s'agit d'une invention relativement récente dont un certain Henry Mill <span style="font-size: 8pt;">(11)</span> en 1714 avait déjà posé un brevet, mais qui n’aboutit à aucune fabrication connue. Cette machine, qui pourrait imprimer successivement des lettres sur du papier, n'est apparue sous les doigts de son concepteur, Christopher L. Sholes <span style="font-size: 8pt;">(12)</span>, politicien, journaliste et imprimeur, qu'en 1878 à Milwaukee, Wisconsin, aux Etats-Unis. Après s'être inspiré du piano, de la machine à coudre et des foisonnants designs<span style="font-size: 8pt;"> (13)</span> qui émergeaient au même moment. Sa véritable industrialisation n'arrive qu'en 1873 lorsque la firme Remington, alors fabricante d'armes à feu, achète le brevet de Sholes pour construire les machines à écrire en métal plus robuste. Avant cela, les multiples versions en bois se vendaient difficilement car elles étaient trop fragiles. Remington a repris l'esthétique des machines à coudre qu'ils fabriquaient, ornées de décorations florales et de paysages bucoliques. Seulement 4.000 machines ont été construites en 1874 et Remington a passé la production à un fabriquant qui a augmenté considérablement le nombre de machines disponibles sur le marché. Ainsi, a commencé un succès industriel avec la seconde version en 1878, la Remington 2, équipée de majuscules et de minuscules contrairement à la précédente.<a href="http://www.rebonds.net/images/USINETTE/atelier_machine_à_écrire_4.jpg" class="jcepopup" data-mediabox="1" data-mediabox-title="Photo : A. Korber."><img src="http://www.rebonds.net/images/USINETTE/atelier_machine_à_écrire_4.jpg" alt="atelier machine à écrire 4" width="538" height="404" style="margin-left: 15px; border: 2px double #e2e2e2; float: right;" /></a></p>
<p>Un critère de succès que le design de Sholes intègre dès 1872, avec un clavier dont l'agencement des touches est encore utilisé, même sur nos « smart phones » : le clavier QWERTY. La principale raison de ce choix était d'éviter que les marteaux ne s'entrechoquent et que la frappe en soit ralentie. La première révolution industrielle se dote alors de l'un de ses premiers outils de productivité.</p>
<p><span style="font-size: 14pt;"><strong><span style="color: #ff615d;">Ralentir</span></strong></span></p>
<p>Mais que faire de ça ,en 2019, après les deux révolutions industrielles que sont l'informatique personnelle et Internet ?</p>
<p>RALENTIR !<br />Voilà ce qui peut nous arriver de mieux en utilisant une machine à écrire aujourd'hui. Ralentir et se concentrer sur cette tâche devenue si rare : penser et formuler ses propres idées directement sur une feuille de papier de manière lisible et élégante <span style="font-size: 8pt;">(14)</span>. Rien ne vous empêchera de la scanner, voire même d'utiliser un logiciel de reconnaissance de caractères <span style="font-size: 8pt;">(15)</span>, comme je l’ai fait pour écrire ce texte. Ce qui importe, c'est la première impulsion et les premiers mots. Ils seront différents de ceux que vous écririez avec un stylo ou avec un ordinateur. Il s'agit d'un autre instrument à votre disposition. Un instrument d'écriture propre à vous mettre dans une sorte d'état hypnotique, par le toucher, par le son ; laissez-vous extirper cet état si particulier de la conscience lorsque vous voulez partager vos idées, donner des nouvelles, en recevoir en ouvrant votre boîte aux lettres sur une pile de publicités si bien imprimées, insensées.</p>
<p>Baladez-vous en pleine nature avec votre machine à écrire portable, écrivez devant un paysage majestueux, écrivez dans les lieux publics et voyez les réactions autour de vous. Posez devant chez vous une table et des chaises, commencez à écrire des poèmes à la demande.<br />La machine à écrire, oubliée des outils techniques, nous fait aujourd'hui un effet particulier par l'écart entre son utilité et la virtuosité de sa construction : comment de tels outils peuvent exister au-delà de générations d'utilisateurs et d'utilisatrices ? Pourquoi n'est-il plus normal de garder nos objets usuels aussi longtemps ? Pourrions nous imaginer garder nos automobiles aussi longtemps sans sacrifier à notre sécurité ? Juste en intégrant dans le cahier des charges du fabriquant la notion de robustesse et de pérennité ?<br />Les deux sondes Voyager <span style="font-size: 8pt;">(16)</span> ont été capables de fonctionner bien plus de temps que le prévoyait la NASA en 1977 car le design stipulait de pouvoir « laisser » la sonde fonctionner en évitant d'imaginer qu'elle puisse tomber en panne, en laissant des champs d’exploration aux générations successives d’ingénieurs. Les sondes ne sont pas tombées en panne et ont été reprogrammées à distance. Elles parcourent actuellement l'espace au-delà de notre système solaire et au-delà des estimations du projet initial.</p>
<p><span style="font-size: 14pt;"><strong><span style="color: #ff615d;">L'obsolescence, outil du capitalisme</span></strong></span></p>
<p>Si nous appliquions ce même cahier des charges à tous nos outils et objets techniques – les laisser possiblement évoluer, être réappropriés par les générations suivantes, être réinterprétés, détournés – un certain processus en serait largement affecté : celui qui s'appuie sur la mise sur le marché d'objets vendus comme indispensables et générant ce besoin de nous conformer, de suivre la majorité et la tendance. Ce processus, le capitalisme, se réapproprie les idées de l'écologie pour nous servir du « développement durable ». Il peut nous faire croire qu'il propose des objets ne générant pas de déchets en inventant de nouvelles normes en connivence avec les industries complices. Non, construire des objets techniques robustes et qui durent des générations n'est pas rentable en capitalisme puisqu'il est plus important de vendre plutôt que de partager et échanger des valeurs d'usage. Voyager sort de l'orbite terrestre grâce au capitalisme. Il sort de l’héliosphère aussi grâce à lui par le biais de la Guerre Froide et du niveau d’implication de l’époque pour rester les premiers.</p>
<p>Nous sommes aujourd'hui un peu contraints de la même manière d'accepter ces outils amputés de toute valeur d'usage : des automobiles fragiles par design, dont l'habitacle est inversement proportionnel à la taille de l’habitacle ; des « smart phones » dont le système ralentit un peu plus à chaque mise à jour ; des outils fragiles et nombreux qui n'ont qu’une seule fonction pour les fabricants : être fragiles pour être achetés de nouveau. Comprendre n'étant pas accepter, utiliser n'étant pas choisir, il est possible maintenant d'imaginer ce que pourrait être une industrie qui ne nécessiterait la fabrication que de quelques outils et machines dans le cours de nos vies. Une seule automobile, une seule machine à écrire, un seul ordinateur, une seule machine à coudre. Pourrait-on encore appeler cela de l'industrie ? Pourrait-on encore appeler cela du capitalisme ?</p>
<p><span style="font-size: 12pt;"><strong><span style="color: #ff615d;"><span style="font-size: 14pt;">Des exemples de machines à écrire « d'aujourd'hui »</span><a href="http://www.rebonds.net/images/USINETTE/machines_à_écrire_5.jpg" class="jcepopup" data-mediabox="1" data-mediabox-title="Photo : A. Korber."><img src="http://www.rebonds.net/images/USINETTE/machines_à_écrire_5.jpg" alt="machines à écrire 5" width="500" height="667" style="margin-left: 15px; border: 2px double #e2e2e2; float: right;" /></a></span> </strong></span></p>
<p>La valeur d'usage de cette belle Hermes Baby a fait perdre la tête à son utilisateur ! Il oublie de vous suggérer quelques machines qu'il a déjà eues sous les doigts et quelques lectures.</p>
<p>La Hermes Baby est un best-seller en Europe. Elle s'est construite à 4,5 millions d'exemplaires à travers le monde. Conçue par Paillard à Yverdon en Suisse, marque qui fabriquait aussi les réputées caméras Paillard-Bolex. Il s'agit de l'une des plus petites et plus légères des machines « ultra-portables » avec des variations en plastique sorties fin 1970, construite d'un seul bloc, protégée par une coque solide. Il est possible d'en trouver pour moins de 10 € en vide-greniers ou sur les sites de ventes en ligne. Ses touches en forme de grosses molaires épousent les doigts et la frappe est un peu molle mais constante. Françoise Sagan <span style="font-size: 8pt;">(17)</span> l’a utilisée.<br />La Hermes 3.000 est un peu la machine pour le bureau, grande sœur de la Baby. Sa conception permet une frappe sans effort et très régulière. Elle possède le même design de touches mais a plus de fonctions : des tabulations et un levier pour régler la force de la frappe. Eugène Ionesco, Sam Shepard, Jack Kerouac l’utilisaient.</p>
<p>Dans un style tout à fait différent, la Olivetti Lettera 32 <span style="font-size: 8pt;">(18)</span> offre un design épuré qui pourrait être LE profil générique d'une machine à écrire tracé en quelques coups de crayons. Elle est de taille intermédiaire aux deux précédentes tout en restant transportable. Son clavier est différent et on se surprend parfois à faire quelques pointes de vitesse sans se rendre compte d'écrire sur une machine à écrire. Elle se fait totalement oublier : l'outil ultime. Elle possède les tabulations et un réglage de la force de frappe. Celle que j'ai a été achetée sur un vide-grenier de banlieue parisienne pour 10 euros. Cormac McCarthy<span style="font-size: 8pt;"> (19)</span> a écrit la plupart de ses romans avec cette machine dont « No Country for Old Men » (2005)<span style="font-size: 8pt;"> (20)</span> et « The Road » (2006) <span style="font-size: 8pt;">(21)</span> ayant été portés à l’écran.<br /><br />Je ne me risquerai pas à décrire les autres machines en ma possession (ou serait-ce l’inverse ?) de peur de générer chez vous la même tentation compulsive d'accumuler. N'oubliez pas que pour notre propre intérêt de dactylographes, il faut éviter de dépenser plus de 50 euros pour une machine : ne jouons pas ce jeu spéculatif !</p>
<p><span style="font-size: 14pt;"><strong><span style="color: #ff615d;">La naissance de la « typosphère »</span></strong></span></p>
<p>L'accumulation a cependant son intérêt si on décide de faire des séances d'écriture collective, une activité bon enfant où les grand-mères dactylo côtoient les petits-fils totalement hypnotisés par la virtuosité des femmes ayant passé une bonne partie de leur carrière à utiliser ces reliques ! Les réactions lors de ces « Type out »<span style="font-size: 8pt;"> (22)</span> vont de la nostalgie à la phobie pure : la technologie est manifestement un organe très sensible.</p>
<p>Pensant ne pas être le seul sur terre à redécouvrir cette pratique, j'ai trouvé en me baladant sur Internet des tas de gens <span style="font-size: 8pt;">(23)</span> qui sortent les machines à écrire des greniers. Un mouvement est né. Lors des actions de « Occupy Portland » en 2011, des militants rédigeaient les tracts à la machine. Artistes, bloggers scannant et postant leurs textes dactylographiés, angoissés du numérique, musiciennes, hipsters, écrivains, scénaristes, poétesses de rue, écrivains publics et j'en passe se réapproprient cet outil et le rendent de nouveau contemporain. Internet se marie avec la machine à écrire pour donner la « typosphère », une sorte de média social qui mélange les pratiques des fanzines, du blog et de cette écriture bruyante mais rassurante en cas de panne de courant !</p>
<p>Je ne peux que vous conseiller la lecture du livre de Richard Polt, « The Typewriter Revolution » qui montre bien ce désir de combiner simplicité d’usage, convivialité et refus du tout numérique. Spéciale dédicace enfin à Joe Van Cleave, photographe et passionné de machines et de partages qui m’a fait régulièrement voyager à Albuquerque, Nouveau Mexique, juste pour partager l’idée d’imperfection<span style="font-size: 8pt;"> (24)</span> ou l’appareil photo qu’il bricole avec un ami hacker<span style="font-size: 8pt;"> (25)</span>.</p>
<p>Ecrivons-nous !<br /><br /><strong>Alexandre Korber, samedi 9 novembre 2019</strong></p>
<p><span style="font-size: 8pt;">(1) <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_des_pays_par_taux_d'alphab%C3%A9tisation">https://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_des_pays_par_taux_d'alphab%C3%A9tisation</a></span><br /><span style="font-size: 8pt;">(2) Google Wave, Myspace, Yahoo groups, Digg…</span><br /><span style="font-size: 8pt;">(3) <a href="http://lerpg.unblog.fr/2018/07/04/rpg-epistolaire-partie-theorie/">http://lerpg.unblog.fr/2018/07/04/rpg-epistolaire-partie-theorie/</a></span><br /><span style="font-size: 8pt;">(4) <a href="https://www.theverge.com/2014/10/7/6882427/king-of-keys">https://www.theverge.com/2014/10/7/6882427/king-of-keys</a></span><br /><span style="font-size: 8pt;">(5) <a href="http://www.revue-terminal.org/www/terminal-archives/magazine/archives/terminalN5.zip">http://www.revue-terminal.org/www/terminal-archives/magazine/archives/terminalN5.zip</a></span><br /><span style="font-size: 8pt;">(6) <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/All_the_President%27s_Men_">https://en.wikipedia.org/wiki/All_the_President%27s_Men_</a>(film)</span><br /><span style="font-size: 8pt;">(7) <a href="https://www.theverge.com/2014/10/7/6882427/king-of-keys">https://www.theverge.com/2014/10/7/6882427/king-of-keys</a></span><br /><span style="font-size: 8pt;">(8) <a href="http://www.revue-terminal.org/www/terminal-archives/magazine/archives/terminalN5.zip">http://www.revue-terminal.org/www/terminal-archives/magazine/archives/terminalN5.zip</a></span><br /><span style="font-size: 8pt;">(9) <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Bolex_International#/media/Fichier">https://fr.wikipedia.org/wiki/Bolex_International#/media/Fichier</a>:Hermes_Baby_green_(Swiss_German).jpg</span><br /><span style="font-size: 8pt;">(10) <a href="https://typewriterdatabase.com/1955-remington-noiseless-7.7929.typewrite">https://typewriterdatabase.com/1955-remington-noiseless-7.7929.typewrite</a></span><br /><span style="font-size: 8pt;">(11) <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Henry_Mill">https://fr.wikipedia.org/wiki/Henry_Mill</a></span><br /><span style="font-size: 8pt;">(12) <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Christopher_Latham_Sholes">https://fr.wikipedia.org/wiki/Christopher_Latham_Sholes</a></span><br /><span style="font-size: 8pt;">(13) <a href="https://www.antiquetypewriters.com/">https://www.antiquetypewriters.com/</a></span><br /><span style="font-size: 8pt;">(14) <a href="http://xoverit.blogspot.com/2014/03/100-typewriter-typefaces-compared.html">http://xoverit.blogspot.com/2014/03/100-typewriter-typefaces-compared.html</a></span><br /><span style="font-size: 8pt;">(15) <a href="https://github.com/manisandro/gImageReader">https://github.com/manisandro/gImageReader</a></span><br /><span style="font-size: 8pt;">(16) <a href="https://www.scientificamerican.com/article/how-nasa-fights-to-keep-dying-spacecraft-alive/">https://www.scientificamerican.com/article/how-nasa-fights-to-keep-dying-spacecraft-alive/</a></span><br /><span style="font-size: 8pt;">(17) <a href="https://site.xavier.edu/polt/typewriters/Sagan1956.jpg">https://site.xavier.edu/polt/typewriters/Sagan1956.jpg</a></span><br /><span style="font-size: 8pt;">(18) <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Olivetti_Lettera_32">https://en.wikipedia.org/wiki/Olivetti_Lettera_32</a></span><br /><span style="font-size: 8pt;">(19) <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Cormac_McCarthy">https://fr.wikipedia.org/wiki/Cormac_McCarthy</a></span><br /><span style="font-size: 8pt;">(20) <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/No_Country_for_Old_Men">https://fr.wikipedia.org/wiki/No_Country_for_Old_Men</a></span><br /><span style="font-size: 8pt;">(21) <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/La_Route_">https://fr.wikipedia.org/wiki/La_Route_</a>(roman)</span><br /><span style="font-size: 8pt;">(22) <a href="https://usinette.org/actualites/article/participation-au-festival-faire-hacker">https://usinette.org/actualites/article/participation-au-festival-faire-hacker</a></span><br /><span style="font-size: 8pt;">(23) <a href="http://typosphere.blogspot.com/">http://typosphere.blogspot.com/</a> (en bas de page : le flux RSS « The Mighty Blogroll » vaut la visite).</span><br /><span style="font-size: 8pt;">(24) <a href="https://www.invidio.us/watch?v=-8jAoKaYueI">https://www.invidio.us/watch?v=-8jAoKaYueI</a></span><br /><span style="font-size: 8pt;">(25) <a href="https://www.invidio.us/watch?v=SF8IE90xUdw">https://www.invidio.us/watch?v=SF8IE90xUdw</a></span></p>Ecologie et numérique2017-03-21T13:37:42+01:002017-03-21T13:37:42+01:00http://www.rebonds.net/30techthepower/552-ecologieetnumeriqueSuper User<p><strong><em>« L'électronique, et donc le numérique, est incompatible avec une réelle écologie », nous dit ici Etienne Bastart, informaticien installé dans le Berry. Pourquoi ? Qu'est-ce qui empêche aujourd'hui les nouvelles technologies d'être au service des êtres humains et de leur environnement sans les aliéner ?</em></strong></p>
<p>Un discours souvent entendu concernant les nouvelles technologies est de les présenter comme un puits de solutions, autant pour les enjeux écologiques (la dématérialisation sauvera nos forêts, les moyens de télécommunication qui réduisent le besoin de transport, etc) que pour les questions sociales (uberisation qui pourrait relancer le plein emploi, médecine à distance, offres personnalisées, etc). Pourtant, le temps ne semble pas venir à bout de ses contradicteurs dénonçant fausses promesses et société orwellienne.</p>
<p>Et pour cause : la consommation électrique d'Internet double tous les cinq ans ; les machines ont des durées de vie de plus en plus courtes (deux ans pour un smartphone) ; le moindre objet tend à être garni d'électronique ce qui limite son recyclage ; les principaux outils que nous utilisons sont le produit de quelques entreprises, concentrant des quantités d'informations démentielles sur nos vies et celles de nos gouvernements…<br />Mais un village d’irréductibles geeks <span style="font-size: 8pt;">(1)</span> résiste encore et toujours... <a href="http://www.rebonds.net/images/USINETTE/fibre_optique.jpg" class="jcepopup" data-mediabox="1" data-mediabox-title="Fibre optique (Photo : Bru-nO, pixabay)."><img src="http://www.rebonds.net/images/USINETTE/fibre_optique.jpg" alt="fibre optique" width="340" height="506" style="margin-left: 15px; border: 2px double #e2e2e2; float: right;" /></a>Et oui, dans le village global, les hameaux retirés ne sont pas nécessairement des viviers à criminels. C'est pourtant l'un des premiers clichés qui vient quand on parle des hackers. Mais, des primitivistes fabriquant des calculateurs en céramique aux artistes numériques, c'est toute une contre culture qui se réunit principalement autour du « libre » : licences libres, logiciels libres, arts libres, bières libres, semences libres… Elle puise ses racines dans la contre culture des années soixante, qui, rencontrant l’électronique, donnera les premiers hackers. Fin des années soixante-dix, ils commencent à être confrontés à la question de la marchandisation de leurs créations. Emergera alors le logiciel libre, suivi de toute une philosophie. Malgré cela, cette contre culture reste étroitement liée à la culture dominante : Internet est principalement basé sur des protocoles libres, le système Android de Google est basé sur Linux, et l’échange libre n’est pas sans déplaire aux économistes !<br /><span style="font-size: 14pt; color: #ff615d;"></span></p>
<p><span style="font-size: 14pt; color: #ff615d;"><strong>L'empilement des infrastructures</strong></span><span style="font-size: 14pt; color: #ff615d;"></span></p>
<p>Or, il est un domaine particulier dont le libre peine à s’emparer : c’est celui de la fabrication même des composants électroniques, sa matrice, mettant par là-même en défaut le sacro-saint principe du « Do It Yourself » : faites-le vous-mêmes.</p>
<p>Et pour cause : l’électronique, et donc le numérique, est incompatible avec une réelle écologie. Certes, l'utilisation de calculateurs dans les voitures aide à réduire leur consommation, la miniaturisation des composants permet de faire toujours plus de calculs avec moins de ressources et moins d'énergie... mais à quoi bon si nous fabriquons des voitures et des ordinateurs de manière exponentielle ! C'est ce que l’on nomme l’effet rebond. C’est lui qui nous fait rire du fait que nous n'avons pas moins de courrier postal, mais des mails en plus.</p>
<p>Pour prendre un exemple plus local, en 2009, est créé le syndicat mixte Berry Numérique qui a pour mission de mettre en place l’Internet haut débit, et lance la construction du réseau @tout18, avec comme base une technologie radio nommé WiMax. En effet, le réseau téléphonique sur cuivre datant de plusieurs dizaines d'années n'a que de faibles performances. A peine terminé, la fibre arrive inexorablement dans les campagnes, tandis que de l'autre côté, les opérateurs mobile achèvent d'installer la 4G, pour bientôt recommencer avec la 5G.<br />L'empilement des techniques réseaux montre que l'infrastructure est également très concernée par l’obsolescence liée aux usages (désuétude), suivant les désirs présentés par le système : accès à votre musique hébergée à l'autre bout du monde, communication instantanée avec vidéo depuis et vers n'importe où... Que vous soyez dans un métro à 80 km/h, dans un TGV à 300 km/h (ou même dans l'espace à 28.000 km/h !), le flux de données qui émane de vous ne doit pas être rompu, sous peine de pouvoir parfois même éveiller les soupçons.</p>
<p><span style="font-size: 14pt; color: #ff615d;"><strong>La faute aux industriels ou aux consommateurs ?</strong></span><strong><span style="font-size: 14pt; color: #ff615d;"></span></strong></p>
<p>Une autre raison est le fait que la technologie soit sous tendue par l'idée de progrès : la quantité de données échangées sur Internet double tous les deux ans. Ceci est en partie dû à l'augmentation des qualités (DVD, HD, 4K...), mais aussi au fait que chaque personne dispose de plus en plus de périphériques (le smartphone ou la tablette n'ont pas vraiment remplacé l'ordinateur ; montres et autres objets connectés se multiplient...). On pourrait choisir de s'en prendre aux industriels avides d'argent qui rendent obsolètes nos machines rapidement et nous matraquent de publicité pour nous résigner à changer notre machine ? Ou bien aux consommateurs, stupides moutons suivant la mode sans y penser ?</p>
<p>Mais qui de nous a pu résister au fait d'avoir un téléphone portable ? Ou bien d'avoir une adresse mail ? Ou à utiliser ces moyens de déplacement désormais si naturels que sont la voiture ou le train ? Le fait est que notre monde se construit autour de ces outils et les refuser engendre de coûteuses résistances avec des effets minimes : en tant que non-inscrit sur Facebook, je sais bien à quel point on passe pour un extra-terrestre quand on dit avoir refusé un outil par conviction. <a href="http://www.rebonds.net/images/USINETTE/social-media-4571393_960_720.jpg" class="jcepopup" data-mediabox="1" data-mediabox-title="Social media (Geralt, pixabay)."><img src="http://www.rebonds.net/images/USINETTE/social-media-4571393_960_720.jpg" alt="social media 4571393 960 720" width="442" height="269" style="margin-left: 15px; border: 2px double #e2e2e2; float: right;" /></a>Et on se rend vite compte à quel point il devient central dans la société en faisant naître de nouveaux mots (like) ou en changeant le sens des anciens (amis), ou à quel point il se lie à tous les autres services que vous utilisez malgré tout.</p>
<p><span style="font-size: 14pt; color: #ff615d;"><strong>Une association pour répondre aux questions : SIberry</strong></span></p>
<p>Attention, il ne s'agit pas de tomber dans une attitude réactionnaire facile, seulement de décoller le progrès social du progrès technique. Par exemple, ne pourrions-nous pas envisager des systèmes de solidarités pour prendre en charge collectivement nos anciens ? Mais la tendance est plutôt à la promotion de gadgets connectés, ce qui est aussi une manière de « lutter » contre le manque de personnel médical : c'est bien connu, une machine est souvent un bon moyen de remplacer un humain. Nous le constatons de plus en plus, mais jusqu'où cela ira-t-il ?</p>
<p>C'est au milieu de toutes ces questions qu'est née l'association SIberry, désormais en charge de la construction et de l’animation de l'Espace Public Numérique (EPN) installé au tiers lieu le Grès des Ouches, à Morogues <span style="font-size: 8pt;">(2)</span>. Ses deux missions sont : transmettre des connaissances critiques sur les technologies ; proposer des outils et services à ses adhérents. Parmi les outils, on trouve les ordinateurs situés à l'étage, ainsi qu'une graveuse laser et une imprimante 3D. Quant aux services, il s'agit de conseils pour avoir un ordinateur facilement réparable ou apprendre à réparer le vôtre, installer Linux et autres logiciels soucieux de votre vie privée.<br /><br /><strong>Etienne Bastart</strong><a href="https://encommun.eco"></a><span style="font-size: 8pt;"> </span></p>
<p><span style="font-size: 8pt;">(1) Geek : mot anglo-américain signifiant « fou de » et généralement utilisé pour désigner les passionnés d'informatique et de technologie numérique.<br />(2) Au Grès des Ouches, 6 Grande Rue à Morogues : 02.48.64.04.75.<br /></span></p>
<p> </p>
<div class="panel panel-primary">
<div class="panel-heading">
<h3 class="panel-title">Références</h3>
</div>
<ul>
<li>Pourquoi avons-nous besoin de limiter la vitesse d'internet (en anglais) : <a href="https://www.lowtechmagazine.com/2015/10/can-the-internet-run-on-renewable-energy.html">https://www.lowtechmagazine.com/2015/10/can-the-internet-run-on-renewable-energy.html</a></li>
<li>Traduction : <a href="https://www.lemonde.fr/blog/internetactu/2015/12/05/pour-contenir-la-consommation-denergie-dinternet-faudra-t-il-limiter-sa-vitesse/">https://www.lemonde.fr/blog/internetactu/2015/12/05/pour-contenir-la-consommation-denergie-dinternet-faudra-t-il-limiter-sa-vitesse/</a></li>
<li>« Une contre-histoire de l'Internet », documentaire de Sylvain Bergère (Premières Lignes Télévision, OWNI et ARTE France). Renseignements sur <a href="http://www.film-documentaire.fr/4DACTION/w_fiche_film/39390">http://www.film-documentaire.fr/4DACTION/w_fiche_film/39390</a></li>
<li>« Internet : la pollution cachée », documentaire de Coline Tison et Laurent Lichtenstein (éditions Montparnasse), disponible en DVD. Renseignements sur <a href="http://www.film-documentaire.fr/4DACTION/w_fiche_film/45697">http://www.film-documentaire.fr/4DACTION/w_fiche_film/45697</a></li>
<li>Interview d’Eric Sadin chez Thinkerview : <a href="https://www.youtube.com/watch?v=VzeOnBRzDik">https://www.youtube.com/watch?v=VzeOnBRzDik </a>et son livre « La vie algorithmique »(éditions L'Echappée).</li>
<li>Hacker par Wikipedia : <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Hacker_(sous-culture)">https://fr.wikipedia.org/wiki/Hacker_(sous-culture)</a></li>
<li>Vidéo de présentation de Berry Numérique : <a href="https://youtu.be/z_liHcX-CqM">https://youtu.be/z_liHcX-CqM</a><br /><a href="https://zad.nadir.org/spip.php?article6669"></a></li>
</ul>
</div><p><strong><em>« L'électronique, et donc le numérique, est incompatible avec une réelle écologie », nous dit ici Etienne Bastart, informaticien installé dans le Berry. Pourquoi ? Qu'est-ce qui empêche aujourd'hui les nouvelles technologies d'être au service des êtres humains et de leur environnement sans les aliéner ?</em></strong></p>
<p>Un discours souvent entendu concernant les nouvelles technologies est de les présenter comme un puits de solutions, autant pour les enjeux écologiques (la dématérialisation sauvera nos forêts, les moyens de télécommunication qui réduisent le besoin de transport, etc) que pour les questions sociales (uberisation qui pourrait relancer le plein emploi, médecine à distance, offres personnalisées, etc). Pourtant, le temps ne semble pas venir à bout de ses contradicteurs dénonçant fausses promesses et société orwellienne.</p>
<p>Et pour cause : la consommation électrique d'Internet double tous les cinq ans ; les machines ont des durées de vie de plus en plus courtes (deux ans pour un smartphone) ; le moindre objet tend à être garni d'électronique ce qui limite son recyclage ; les principaux outils que nous utilisons sont le produit de quelques entreprises, concentrant des quantités d'informations démentielles sur nos vies et celles de nos gouvernements…<br />Mais un village d’irréductibles geeks <span style="font-size: 8pt;">(1)</span> résiste encore et toujours... <a href="http://www.rebonds.net/images/USINETTE/fibre_optique.jpg" class="jcepopup" data-mediabox="1" data-mediabox-title="Fibre optique (Photo : Bru-nO, pixabay)."><img src="http://www.rebonds.net/images/USINETTE/fibre_optique.jpg" alt="fibre optique" width="340" height="506" style="margin-left: 15px; border: 2px double #e2e2e2; float: right;" /></a>Et oui, dans le village global, les hameaux retirés ne sont pas nécessairement des viviers à criminels. C'est pourtant l'un des premiers clichés qui vient quand on parle des hackers. Mais, des primitivistes fabriquant des calculateurs en céramique aux artistes numériques, c'est toute une contre culture qui se réunit principalement autour du « libre » : licences libres, logiciels libres, arts libres, bières libres, semences libres… Elle puise ses racines dans la contre culture des années soixante, qui, rencontrant l’électronique, donnera les premiers hackers. Fin des années soixante-dix, ils commencent à être confrontés à la question de la marchandisation de leurs créations. Emergera alors le logiciel libre, suivi de toute une philosophie. Malgré cela, cette contre culture reste étroitement liée à la culture dominante : Internet est principalement basé sur des protocoles libres, le système Android de Google est basé sur Linux, et l’échange libre n’est pas sans déplaire aux économistes !<br /><span style="font-size: 14pt; color: #ff615d;"></span></p>
<p><span style="font-size: 14pt; color: #ff615d;"><strong>L'empilement des infrastructures</strong></span><span style="font-size: 14pt; color: #ff615d;"></span></p>
<p>Or, il est un domaine particulier dont le libre peine à s’emparer : c’est celui de la fabrication même des composants électroniques, sa matrice, mettant par là-même en défaut le sacro-saint principe du « Do It Yourself » : faites-le vous-mêmes.</p>
<p>Et pour cause : l’électronique, et donc le numérique, est incompatible avec une réelle écologie. Certes, l'utilisation de calculateurs dans les voitures aide à réduire leur consommation, la miniaturisation des composants permet de faire toujours plus de calculs avec moins de ressources et moins d'énergie... mais à quoi bon si nous fabriquons des voitures et des ordinateurs de manière exponentielle ! C'est ce que l’on nomme l’effet rebond. C’est lui qui nous fait rire du fait que nous n'avons pas moins de courrier postal, mais des mails en plus.</p>
<p>Pour prendre un exemple plus local, en 2009, est créé le syndicat mixte Berry Numérique qui a pour mission de mettre en place l’Internet haut débit, et lance la construction du réseau @tout18, avec comme base une technologie radio nommé WiMax. En effet, le réseau téléphonique sur cuivre datant de plusieurs dizaines d'années n'a que de faibles performances. A peine terminé, la fibre arrive inexorablement dans les campagnes, tandis que de l'autre côté, les opérateurs mobile achèvent d'installer la 4G, pour bientôt recommencer avec la 5G.<br />L'empilement des techniques réseaux montre que l'infrastructure est également très concernée par l’obsolescence liée aux usages (désuétude), suivant les désirs présentés par le système : accès à votre musique hébergée à l'autre bout du monde, communication instantanée avec vidéo depuis et vers n'importe où... Que vous soyez dans un métro à 80 km/h, dans un TGV à 300 km/h (ou même dans l'espace à 28.000 km/h !), le flux de données qui émane de vous ne doit pas être rompu, sous peine de pouvoir parfois même éveiller les soupçons.</p>
<p><span style="font-size: 14pt; color: #ff615d;"><strong>La faute aux industriels ou aux consommateurs ?</strong></span><strong><span style="font-size: 14pt; color: #ff615d;"></span></strong></p>
<p>Une autre raison est le fait que la technologie soit sous tendue par l'idée de progrès : la quantité de données échangées sur Internet double tous les deux ans. Ceci est en partie dû à l'augmentation des qualités (DVD, HD, 4K...), mais aussi au fait que chaque personne dispose de plus en plus de périphériques (le smartphone ou la tablette n'ont pas vraiment remplacé l'ordinateur ; montres et autres objets connectés se multiplient...). On pourrait choisir de s'en prendre aux industriels avides d'argent qui rendent obsolètes nos machines rapidement et nous matraquent de publicité pour nous résigner à changer notre machine ? Ou bien aux consommateurs, stupides moutons suivant la mode sans y penser ?</p>
<p>Mais qui de nous a pu résister au fait d'avoir un téléphone portable ? Ou bien d'avoir une adresse mail ? Ou à utiliser ces moyens de déplacement désormais si naturels que sont la voiture ou le train ? Le fait est que notre monde se construit autour de ces outils et les refuser engendre de coûteuses résistances avec des effets minimes : en tant que non-inscrit sur Facebook, je sais bien à quel point on passe pour un extra-terrestre quand on dit avoir refusé un outil par conviction. <a href="http://www.rebonds.net/images/USINETTE/social-media-4571393_960_720.jpg" class="jcepopup" data-mediabox="1" data-mediabox-title="Social media (Geralt, pixabay)."><img src="http://www.rebonds.net/images/USINETTE/social-media-4571393_960_720.jpg" alt="social media 4571393 960 720" width="442" height="269" style="margin-left: 15px; border: 2px double #e2e2e2; float: right;" /></a>Et on se rend vite compte à quel point il devient central dans la société en faisant naître de nouveaux mots (like) ou en changeant le sens des anciens (amis), ou à quel point il se lie à tous les autres services que vous utilisez malgré tout.</p>
<p><span style="font-size: 14pt; color: #ff615d;"><strong>Une association pour répondre aux questions : SIberry</strong></span></p>
<p>Attention, il ne s'agit pas de tomber dans une attitude réactionnaire facile, seulement de décoller le progrès social du progrès technique. Par exemple, ne pourrions-nous pas envisager des systèmes de solidarités pour prendre en charge collectivement nos anciens ? Mais la tendance est plutôt à la promotion de gadgets connectés, ce qui est aussi une manière de « lutter » contre le manque de personnel médical : c'est bien connu, une machine est souvent un bon moyen de remplacer un humain. Nous le constatons de plus en plus, mais jusqu'où cela ira-t-il ?</p>
<p>C'est au milieu de toutes ces questions qu'est née l'association SIberry, désormais en charge de la construction et de l’animation de l'Espace Public Numérique (EPN) installé au tiers lieu le Grès des Ouches, à Morogues <span style="font-size: 8pt;">(2)</span>. Ses deux missions sont : transmettre des connaissances critiques sur les technologies ; proposer des outils et services à ses adhérents. Parmi les outils, on trouve les ordinateurs situés à l'étage, ainsi qu'une graveuse laser et une imprimante 3D. Quant aux services, il s'agit de conseils pour avoir un ordinateur facilement réparable ou apprendre à réparer le vôtre, installer Linux et autres logiciels soucieux de votre vie privée.<br /><br /><strong>Etienne Bastart</strong><a href="https://encommun.eco"></a><span style="font-size: 8pt;"> </span></p>
<p><span style="font-size: 8pt;">(1) Geek : mot anglo-américain signifiant « fou de » et généralement utilisé pour désigner les passionnés d'informatique et de technologie numérique.<br />(2) Au Grès des Ouches, 6 Grande Rue à Morogues : 02.48.64.04.75.<br /></span></p>
<p> </p>
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<div class="panel-heading">
<h3 class="panel-title">Références</h3>
</div>
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<li>Pourquoi avons-nous besoin de limiter la vitesse d'internet (en anglais) : <a href="https://www.lowtechmagazine.com/2015/10/can-the-internet-run-on-renewable-energy.html">https://www.lowtechmagazine.com/2015/10/can-the-internet-run-on-renewable-energy.html</a></li>
<li>Traduction : <a href="https://www.lemonde.fr/blog/internetactu/2015/12/05/pour-contenir-la-consommation-denergie-dinternet-faudra-t-il-limiter-sa-vitesse/">https://www.lemonde.fr/blog/internetactu/2015/12/05/pour-contenir-la-consommation-denergie-dinternet-faudra-t-il-limiter-sa-vitesse/</a></li>
<li>« Une contre-histoire de l'Internet », documentaire de Sylvain Bergère (Premières Lignes Télévision, OWNI et ARTE France). Renseignements sur <a href="http://www.film-documentaire.fr/4DACTION/w_fiche_film/39390">http://www.film-documentaire.fr/4DACTION/w_fiche_film/39390</a></li>
<li>« Internet : la pollution cachée », documentaire de Coline Tison et Laurent Lichtenstein (éditions Montparnasse), disponible en DVD. Renseignements sur <a href="http://www.film-documentaire.fr/4DACTION/w_fiche_film/45697">http://www.film-documentaire.fr/4DACTION/w_fiche_film/45697</a></li>
<li>Interview d’Eric Sadin chez Thinkerview : <a href="https://www.youtube.com/watch?v=VzeOnBRzDik">https://www.youtube.com/watch?v=VzeOnBRzDik </a>et son livre « La vie algorithmique »(éditions L'Echappée).</li>
<li>Hacker par Wikipedia : <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Hacker_(sous-culture)">https://fr.wikipedia.org/wiki/Hacker_(sous-culture)</a></li>
<li>Vidéo de présentation de Berry Numérique : <a href="https://youtu.be/z_liHcX-CqM">https://youtu.be/z_liHcX-CqM</a><br /><a href="https://zad.nadir.org/spip.php?article6669"></a></li>
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</div>Usinette2017-03-21T12:54:42+01:002017-03-21T12:54:42+01:00http://www.rebonds.net/30techthepower/546-usinetteSuper User<p style="text-align: right;"><strong>« Une vie d'expériences fraie le passage, court ou long, stérile ou fructueux, du néant à la mort, en transitant par la joie indéfiniment dilatée. » Michel Serres</strong></p>
<p><span style="font-size: 18pt;">C</span>haque jour ou presque, le même rituel. J'allume la multiprise, puis la livebox avant d'appuyer sur le bouton « marche » de mon ordinateur. Et à chaque fois ou presque, le même sentiment étrange, oserais-je dire de gêne. Léger, confus, très bref mais indéniable. Celui-là même qui me traverse parfois lorsque je mets le contact pour démarrer la voiture. Il est difficile à décrire mais je lui ai donné un petit nom : le « Es-tu bien sûre ? ».</p>
<p><br />Il me visite depuis quelques années déjà. Il s'est imiscé dans bien des domaines matériels de ma vie – habitat, énergie, alimentation, habillement – et a généré bien des questions. Pour beaucoup, je crois avoir au moins identifié des réponses, au mieux les avoir mises en œuvre.<br />Mais pour l'ordinateur et Internet, le sentiment persiste voire s'amplifie. Au fur et à mesure que je m'informe et informe, j'entrevois la face cachée de celles qu'on appelle « nouvelles technologies » ou « technologies numériques ». J'entends parler pollution et exploitation des populations, surconsommation et obsolescence programmée, fracture numérique, surveillance de masse par les Etats et les multinationales, perte des savoirs artisanaux et manuels, dématérialisation des services au détriment des liens de proximité…<a href="http://www.rebonds.net/images/USINETTE/dôme_4.JPG" class="jcepopup" data-mediabox="1" data-mediabox-title="Le chantier d'Usinette en octobre dernier (Photo : F. Lancelin)."><img src="http://www.rebonds.net/images/USINETTE/dôme_4.JPG" alt="dôme 4" width="612" height="460" style="margin-left: 15px; border: 2px double #e2e2e2; float: right;" /></a></p>
<p>Mais ne nous-y trompons pas. « Es-tu bien sûre ? » n'est pas une angoisse. C'est un défi. Un défi lancé à l'imagination, à la capacité à penser et à faire autrement, à la détermination de ne pas céder à la pression sociale.<br />« Es-tu bien sûre ? » amène beaucoup de questions. Par exemple : comment être autonome au XXIe siècle sans ces « nouvelles technologies », pour peu qu'on pense l'autonomie comme un moyen d'émancipation de certains carcans de notre société, et pas comme une autarcie, une mise à l'écart volontaire ? Ou encore : ces technologies peuvent-elles servir cet objectif d'émancipation, alors même que leurs coûts écologiques, sociaux, économiques et politiques sont énormes ?</p>
<p>Mon objectif n'est pas de me donner bonne conscience en trouvant le « bon » usage de ces technologies. A mon avis, il n'y en a pas. Et quand bien même j'en trouverais une, cela n'empêcherait pas des entreprises d'extraire les métaux nécessaires à la fabrication d'ordinateurs et de téléphones portables dans des pays gangrénés par la misère et le totalitarisme. Ni à Facebook d'espionner la terre entière dans la quasi indifférence générale à des fins mercantiles. Ni à l’Etat français de réduire nos libertés individuelles au nom de la lutte anti-terroriste.<br />Alors quoi ? Reprendre stylo et papier pour écrire cet article, et aller le déclamer sur la place publique de mon village ? Ou imaginer une autre façon de créer de nouveaux outils de collecte et de partage, de donner à voir et de faire le monde ?</p>
<p>D'autres avant moi s'étaient posé ces questions et avaient entrepris d'y répondre concrètement. Sûrement étaient-ils pour quelque chose dans la naissance de « Es-tu bien sûre ? ». J'en rencontrais régulièrement quelques-uns dans une vallée verdoyante du Berry. Où en étaient-ils de leurs réflexions ?<em><br /></em></p>
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<h3>Vers un « hacklab rural »</h3>
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<p><strong>Samedi 26 octobre 2019 – 18 heures – Humbligny</strong></p>
<p>Dans un hameau situé à quelques kilomètres du bourg, prend forme une construction inhabituelle : un dôme de dix mètres de diamètre et cinq mètres de haut, en ossature et bardage bois.<br />Ce jour-là, il fait anormalement chaud. Alexandre, Paul et Chloé en ont profité pour venir de la région parisienne, terminer la couverture du dôme en y posant des profilés en aluminium dans lesquels ils glissent de la toile épaisse, utilisée notamment sur les yourtes.<br />L'objectif : que le dôme soit hors d'eau avant l'arrivée des pluies d'automne.<a href="http://www.rebonds.net/images/USINETTE/IMG_20190902_184657.jpg" class="jcepopup" data-mediabox="1" data-mediabox-title=""Apprendre, expérimenter, partager" (Photo : A. Korber)."><img src="http://www.rebonds.net/images/USINETTE/IMG_20190902_184657.jpg" alt="IMG 20190902 184657" width="563" height="424" style="margin-left: 15px; border: 2px double #e2e2e2; float: right;" /></a></p>
<p>Bientôt, espèrent-ils, seront organisés à l'intérieur des ateliers en rapport avec la technique, mais aussi l'art et la politique. Rien n'est encore programmé, mais on parle de<em> « hacklab rural »</em>, <em>« de bureau d'études rural ouvert à tous et collectif »</em>, d' <em>« expérimentations tous azimuts </em>».</p>
<p>Ce chantier est porté par l'association Usinette. Démarré en 2014, il se poursuit chaque été et durant les périodes où la météo le permet. Les adhérents, leurs amis, les membres de collectifs alentour et d'ailleurs, se succèdent à la conception et à la fabrication de cette structure géodésique. Peu ont le savoir-faire dans la construction de bâtiment ; mais tous ont l'envie d'apprendre, d'expérimenter et de partager. L'état d'esprit des « hackers » et des « makers », pirates et bricoleurs d'aujourd'hui.<br /><em>« Ce n'est pas nouveau</em>, me rappellera quelques jours plus tard André. <em>Les paysans le faisaient : faire les choses soi-même et à plusieurs, bricoler ensemble… Mais avec la consommation de masse, on s'est écarté de ces pratiques. Et ce qui est différent ici, c'est l'idéologie, pourquoi on le fait. »</em></p>
<p>Oui, pourquoi ? Pourquoi quitter Paris pour venir construire, au milieu du Berry, un « hacklab » ?</p>
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<h3>L'origine : l'histoire des licences libres</h3>
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<p><strong>Samedi 12 octobre 2019 – 14 heures – Choisy-le-Roi</strong></p>
<p>Loin des arbres aux teintures chaudes et du vent doux qui souffle sur la butte d'Humbligny, me voici au milieu de tours grises en béton séparées par une artère minérale. Je me rends à l'assemblée générale d'Usinette qui se tient au sous-sol de la Maison pour Tous de Choisy-le-Roi. La mairie prête un local au hackerspace /tmp/lab en échange d'ateliers ouverts à toute la population. C'est au cœur de ce hackerspace qu'est née Usinette, en 2009. <em>« A l'époque, nous étions dans un squat à Vitry-sur-Seine,</em> m'explique Alexandre, cofondateur d'Usinette. <em>Nous avons été expulsés il y a six ans. Ça fait partie du Grand Paris. »<a href="http://www.rebonds.net/images/USINETTE/Photo0350.jpg" class="jcepopup" data-mediabox="1" data-mediabox-title="Dans l'esprit du libre, tous les chantiers d'Usinette sont documentés (Photo : A. Korber)."><img src="http://www.rebonds.net/images/USINETTE/Photo0350.jpg" alt="Photo0350" width="505" height="379" style="margin-left: 15px; border: 2px double #e2e2e2; float: right;" /></a></em></p>
<p>Pour comprende ce qui a fondé Usinette, il faut passer par l'histoire des hackers. Ils apparaissent tels que nous les connaissons aujourd'hui dans l'Amérique des années soixante, notamment au MIT (Massachusetts Institute of Technology). A l'époque, l'informatique n'est pas encore démocratisée, et reste le domaine privilégié de chercheurs et d'universitaires. Les hackers forment des groupes de passionnés qui s'adonnent à la rétro-ingénierie : étudier un objet pour en déterminer le fonctionnement interne ou la méthode de fabrication. Le but : le reproduire, améliorer ses fonctionnalités, adapter ses usages à de nouveaux besoins...<br />Ils démontent ainsi les premiers ordinateurs et créent des programmes informatiques. L'émulation est collective, les rapports horizontaux : les idées des uns sont reprises par les autres, améliorées, enrichies. C'est dans cet esprit que naissent les premières formes de licences libres : elles permettent d'utiliser librement une partie ou l'ensemble d'un logiciel, voire même de le modifier ou de l'enrichir.</p>
<p>Mais, progressivement, les fabricants vont verrouiller leur matériel à des fins commerciales. Des hackers vont même les y aider en acceptant de signer des accords comprenant des clauses de confidentialité, assurant le secret des procédés de fabrication.<br />Richard Stallman <span style="font-size: 8pt;">(1)</span>, étudiant au début des années soixante-dix, se retrouve un jour face à un problème d'imprimante. A sa grande surprise, il ne peut accéder au programme pour corriger le défaut : Xerox a protégé le code source. Dès lors, Richard Stallman consacrera sa vie à militer pour les logiciels et les codes libres.</p>
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<h3>Une nouvelle dimension avec Internet</h3>
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<p>L'enjeu est de taille : à l'époque, les ordinateurs personnels font leur apparition, lancés notamment par IBM et Apple. Les logiciels sont dits « propriétaires ». Près d'une décennie plus tard, Richard Stallman lance le projet GNU, puis la Free Software Foundation <span style="font-size: 8pt;">(2)</span> pour soutenir financièrement le logiciel libre. Une communauté se forme autour de cette question et, dans les années 1990, le système d'exploitation Linux<span style="font-size: 8pt;"> (3)</span> fait son apparition, grâce au hacker finlandais Linus Torvalds.<a href="http://www.rebonds.net/images/USINETTE/dôme_2.JPG" class="jcepopup" data-mediabox="1" data-mediabox-title="Dans le dôme, octobre 2019 (Photo : F. Lancelin)."><img src="http://www.rebonds.net/images/USINETTE/dôme_2.JPG" alt="dôme 2" width="641" height="482" style="margin-left: 15px; border: 2px double #e2e2e2; float: right;" /></a></p>
<p>La communauté se fissure : d'un côté, ceux qui se rallient à Richard Stallman et qui entendent empêcher la récupération d'un logiciel libre pour en faire un logiciel propriétaire ; de l'autre, les défenseurs de l'open source qui permet la création de logiciels propriétaires à partir d'un logiciel libre (Open source <span style="font-size: 8pt;">(4)</span> étant aussi mais surtout le premier business model du libre que combat Stallman politiquement, étant un socialiste à l’américaine ayant soutenu Bernie Sanders).<em></em></p>
<p>Internet va apporter une nouvelle dimension à l'esprit des hackers. Les données (textes, photos, sons, vidéos) circulent, d'abord librement et gratuitement. Des nouveaux groupes de partage de savoirs voient le jour, comme avec l'encyclopédie Wikipédia : chacun.e peut enrichir un article débuté par un autre, et toutes les informations sont accessibles sans restriction.</p>
<p>Mais pour se rencontrer, expérimenter, échanger, les hackers avaient d'abord créé des « hackerspaces », aux Etats-Unis puis partout dans le monde. Sont arrivés ensuite les FabLab (marque déposée du MIT), des laboratoires ouverts à tous, mais tantôt gratuits, tantôt payants. Aujourd'hui, fleurissent également les makerspaces, lieux où les participants « font » (make en anglais) sans distinction de technologies, de machines ou de conditions d'accès.</p>
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<h3>« Une lutte pratique, technique, politique et esthétique »</h3>
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<p>A Choisy-le-Roi, les membres du hackerspace /tmp/lab insistent sur l'hétérogénéité de ces mouvements.<em> « Il y a des valeurs communes,</em> reconnaît Paul, <em>mais ensuite, chacun teinte son lieu à sa manière. Ça doit être plus qu'un espace de coworking : tout ce qui est fait doit être documenté, partagé, rendu public. »</em> Il me parle de la récupération dont sont l'objet les FabLab : <em>« Certains sont subventionnés par l’État, d'autres sont devenus des incubateurs d'entreprises. »</em><br />Les pirates se sont transformés en corsaires...<a href="http://www.rebonds.net/images/USINETTE/Photo0655.jpg" class="jcepopup" data-mediabox="1" data-mediabox-title="Pendant la construction du bardage en bois (Photo : A. Korber)."><img src="http://www.rebonds.net/images/USINETTE/Photo0655.jpg" alt="Photo0655" width="566" height="751" style="margin-left: 15px; border: 2px double #e2e2e2; float: right;" /></a></p>
<p>Usinette est née dans ce contexte,<em> « d'abord pour s'approprier de nouveaux outils numériques libres comme les imprimantes 3D,</em> explique Alexandre. <em>En cours de route, nous avons compris les coûts écologiques et sociaux liés à l’usage de l’informatique et à Internet. »</em> Il poursuit : <em>« L’industrie produit de nouveaux smartphones tous les deux mois, dans des conditions inhumaines pour les ouvrier.e.s. Ils ne sont utilisés que quelques mois à cause de leur obsolescence programmée et/ou pour des raisons liées à la mode et à la surconsommation lourdement suggérée pour rester « dans la course ». Ces smartphones se retrouvent ensuite en Asie, en Inde, en Afrique pour être détruits dans un mépris total des travailleurs et travailleuses mais aussi de l’écologie. Tout cela est bien sûr valable pour tous les appareils électroniques que nous utilisons quotidiennement. »</em><br />Forts de cette <em>« prise de conscience politique »</em>, les membres d'Usinette décident d'élargir le spectre de leurs réflexions à l'habitat, les déplacements, le travail… Et si les fondateurs venaient du monde de la sécurité informatique, de l'électronique, de la chimie ou de la téléphonie, le collectif s'enrichit d'artistes. Comme Paul, par exemple, diplômé des métiers d'art. <em>« L’objectif est de faire converger les stratégies émancipatrices des hackerspaces, proches de l’éducation populaire, les réflexions et les luttes historiques des grands mouvements militants et la liberté artistique »</em>, souligne Alexandre.</p>
<p>Pour déployer <em>« cette lutte pratique, technique, politique et esthétique »</em>, il fallait un lieu, si possible loin de la mégalopole et de ses spéculations foncières. Les contacts et les amitiés ont rapproché Usinette de la VALLÉE (Village d'Activités Locales et Lieu d'Eveil Ecologique) à Humbligny. Des initiatives liées à l'autonomie, politique et matérielle, y voient régulièrement le jour.</p>
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<h3>L'essoufflement du chantier ?</h3>
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<p>De retour à Humbligny, j'observe Paul et Chloé dans la lumière du soleil d'automne, sur le toit du dôme, harnachés pour tendre la toile.<br />Je pense au début du chantier en 2014. Lors de la première saison, des volontaires de partout étaient venus : Paris, Tours, le nord de la France... Des événements avaient été organisés, comme le festival Electronic Pastorale, pour faire connaître le projet au public, et réunir habitants et hackers autour d'expériences communes.<br />Mais cinq ans plus tard, le dôme n'est toujours pas terminé. Le projet a rencontré de nombreuses difficultés : les problèmes techniques, la fréquence espacée des chantiers (chacun venant sur son temps libre), des tensions avec certains habitants du village et à l'intérieur du groupe…<br />Moi-même usagère de la VALLEE durant une période, je n'ai pas participé. Je m'interroge : collectivement, s'est-on réellement – suffisamment – engagé ? Ou l'enthousiasme a-t-il laissé place à une forme de découragement, voire d'abandon ?<br />Je crois que je ne me sentais pas capable. <em>« Construire ? Allons bon ! Mais je n'y connais rien, moi ! »</em> Au fil des discussions, je m'aperçois que l'esprit d'Usinette est précisément là où l'on pense ne pas savoir, ne pas pouvoir. Il faut simplement oser. Les copain.es sont là...</p>
<p>Parmi ceux qui continuent à y croire : Alexandre, Paul, Chloé et André, par exemple.<br />Ingénieur du son et compositeur de musique acousmatique, André s'est installé dans le Berry après douze ans de vie parisienne. Il a intégré Usinette et le chantier du dôme au moment du bardage. <em>« Je ne suis pas forcément doué pour philosopher ou théoriser, mais je suis bricoleur et débrouillard. J'ai une mentalité de chercheur. J'aime ce qui est artisanal, sur-mesures. Dans Usinette, il y a beaucoup de penseurs, c'est bien, mais il faut un équilibre pour être efficace dans l'action. »</em> Ce qui l'a motivé à participer ? <em>« L'idée de l'autonomie : je fais, je répare, je transforme, je détourne, je recycle… »<em></em></em><br />S'il reconnaît un certain <em>« essoufflement »</em> du chantier, il se dit <em>« confiant »</em> :<em> « On est vraiment sur la fin du toit, il nous faut une éclaircie pour finir et ensuite, on pourra commencer quelques activités. Je suis sûr que dès qu'il sera fini, les habitants s'approprieront le lieu. »<a href="http://www.rebonds.net/images/USINETTE/dôme_3.JPG" class="jcepopup" data-mediabox="1" data-mediabox-title="La préparation de la toile de couverture (Photo : F. Lancelin)."><img src="http://www.rebonds.net/images/USINETTE/dôme_3.JPG" alt="dôme 3" width="496" height="657" style="margin-left: 15px; border: 2px double #e2e2e2; float: right;" /></a><em></em></em></p>
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<h3>Un égal accès à l'apprentissage pour tous.tes</h3>
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<p>Chloé a un autre profil : designer de formation, elle a été invitée par Paul il y a trois étés et elle est revenue chaque année. <br />Quelles sont les problématiques abordées par Usinette qui la touchent particulièrement ? <em>« Certainement la manière dont l'association explore et embrasse sans distinction des techniques et outils complètement différents, en fonction des besoins : de la meuleuse pour ajuster les profilés alu en haut du dôme jusqu'aux machines à écrire des ateliers d'écriture low tech (</em>Lire aussi la rubrique (Re)visiter<em>), en passant par des outils numériques auto-hébergés. Cette approche décomplexée est très libératrice. Venant d'une école d'arts appliqués dans laquelle je travaillais principalement le textile, les couleurs et le dessin, mes deux premières années à l'ENSCI <span style="font-size: 8pt;">(5)</span> ont été marquées par une forme d'appréhension à entrer dans les ateliers bois et métal. J'étais impressionnée par cet environnement techniciste très masculin où tous les chefs d'atelier sont des hommes de plus de 50 ans, des maîtres dans leur discipline. Pourtant là pour apprendre, j'avais du mal à m'y sentir légitime. Encore empreinte des stéréotypes d'une culture genrée dans l'enseignement, une barrière psychologique freinait mon accès à cet apprentissage, bien que tous ces enseignants aient été très accueillants. C'est ça aussi que permet Usinette : un environnement non spécialiste qui favorise un égal accès à l'apprentissage pour tous et toutes. Quand Alex parle de réappropriation de notre force de production, chez moi ça fait écho à cette expérience. »</em></p>
<p>Alexandre, quant à lui, vient de la photographie argentique, mais il est désormais technicien web dans une grande école et actif syndicalement. Outre les chantiers dans le Berry, il anime des ateliers pratiques, rédige des articles sur les expériences menées par l'association, tient des stands lors de festivals…<br />Parmi les sujets qui lui tiennent à cœur : la <em>« souveraineté technologique »</em>, <em>« ou comment prendre conscience des enjeux financiers et sociétaux à utiliser les outils de Facebook, Google, Microsoft, Apple plutôt que des solutions libres et respectueuses de nos informations personnelles. Dans la pratique, nous faisons des ateliers de découverte des logiciels libres pour ne plus rester des « produits ». Usinette auto-héberge aussi ses outils numériques : emails, site web, partage de fichiers, etc... »</em><br />La <em>« souveraineté technique »</em> lui importe également : <em>« ou comment reprendre le goût de construire collectivement des choses qui paraissent intimidantes comme son habitat, son véhicule, ses outils agricoles, son imprimante 3D, son recycleur de plastique, son appareil photo… Sans cacher la complexité de la tâche, sans mépriser les spécialistes en la matière, mais en ayant cette approche décomplexée du savoir. Se doter des outils lorsque nous en avons besoin, nous approprier la démarche scientifique même si nous n'avons pas tous et toutes fait les études en question. »</em><br />Il encourage <em>« une démarche militante, esthétique et revendicative pour se sentir actrices et acteurs dans une société consumériste qui nous cantonne le plus souvent à des activités professionnelles aliénantes où nous nous sentons dépossédés de notre force de production »</em>.</p>
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<h3>De la fabrication de meubles à l'acousmonium...</h3>
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<p>Quels types d'activités aimeraient-ils organiser dans le dôme ? <a href="http://www.rebonds.net/images/USINETTE/dôme_5.JPG" class="jcepopup" data-mediabox="1" data-mediabox-title="Fin du chantier d'octobre 2019 (Photo : F. Lancelin)."><img src="http://www.rebonds.net/images/USINETTE/dôme_5.JPG" alt="dôme 5" width="624" height="469" style="margin-left: 15px; border: 2px double #e2e2e2; float: right;" /></a><em>« Pour tous publics et en rapport avec l'art, les techniques et la politique</em>, répond Alexandre. <em>Un lieu de résidence longue, courte ; un lieu de bricolage juste pour une journée, quelques heures ou pour concevoir un projet sur plusieurs mois. »</em> Avec <em>« un usage du lieu auto-gestionnaire autant que possible pour constituer une communauté d'entraide forte et durable »</em>.<br />Exemple de projets pratiques : la fabrication des meubles dans le dôme, la fabrication d'un poêle à bois de type « Poêlito » <span style="font-size: 8pt;">(6)</span> ou encore d'un four à pain.<em></em><br /><em>« Que des militants viennent s'y organiser, que des habitants des environs s'y réunissent comme dans un hackerspace, comme dans un club de lecture. Que des amateurs de jeux de rôles y organisent d'épiques parties ou qu'ils et elles y écrivent des scénarii de jeu »,</em> imagine Alexandre.<br />André envisage <em>« des ateliers autour de la technologie mais aussi des animations culturelles. Des concerts, des conférences…<em>»</em>. <em>« </em>J'aimerais bien construire un acousmonium (<span style="font-size: 8pt;">6</span>) »</em>, sourit-il.<br />Tous ont une volonté de fédérer adhérents de l'association, habitants des alentours et collectifs de la région.<em> « Pour éviter l'entre-soi et et diversifier nos stratégies de transformation du monde »</em>, souligne Alexandre.</p>
<p>Moi aussi, j'ai hâte que ce hacklab ouvre ses portes près de chez moi. Je sais que je n'obtiendrai pas de réponse toute faite à mes – légitimes – questions mais que je pourrais tenter un autre rapport aux médias. Et partager, simplement, des connaissances, des outils, des techniques, du temps et de l'énergie.</p>
<p>Evidemment, mon « Es-tu bien sûre ? » m'accompagnera. Nul doute qu'il sera aussi très bien accueilli.</p>
<p><strong>Fanny Lancelin</strong></p>
<p><em>Voir aussi la rubrique (Re)vue.</em></p>
<p><span style="font-size: 8pt;">(1) <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Richard_Stallman">https://fr.wikipedia.org/wiki/Richard_Stallman</a><br />(2) <a href="https://www.fsf.org/">https://www.fsf.org/</a><br />(3) <a href="https://linuxfr.org/">https://linuxfr.org/</a><br />(4) <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Open_source">https://fr.wikipedia.org/wiki/Open_source</a><br />(5) Ecole Nationale Supérieure de Création Industrielle – Les Ateliers à Paris : <a href="https://www.ensci.com/ensci-les-ateliers/">https://www.ensci.com/ensci-les-ateliers/</a><br />(6) <a href="https://wiki.lowtechlab.org/wiki/Poelito_-_Po%C3%AAle_de_masse_semi-d%C3%A9montable">https://wiki.lowtechlab.org/wiki/Poelito_-_Po%C3%AAle_de_masse_semi-d%C3%A9montable</a><br />(7) <a href="https://inagrm.com/fr/showcase/news/202/lacousmonium">https://inagrm.com/fr/showcase/news/202/lacousmonium</a></span></p>
<p> </p>
<div class="panel panel-primary">
<div class="panel-heading">
<h3 class="panel-title">Plus</h3>
</div>
<ul>
<li>Le site usinette.org est une véritable pépite : il reprend l'histoire du collectif, relate ses expérimentations avec, entre autres, un journal de bord du chantier du dôme géodésique à Humbligny (en textes, photos et vidéos).<br />Il propose également : des articles passionnants et très accessibles sur la question de la souveraineté technologique, des machines, du travail, du « Do it yourself » (le « faire soi-même ») ; une bibliographie fournie ; ou encore des liens avec d'autres hackerspaces / hacklabs / fablabs.<br />C'est par ici : <a href="https://usinette.org/">https://usinette.org/</a></li>
</ul>
</div><p style="text-align: right;"><strong>« Une vie d'expériences fraie le passage, court ou long, stérile ou fructueux, du néant à la mort, en transitant par la joie indéfiniment dilatée. » Michel Serres</strong></p>
<p><span style="font-size: 18pt;">C</span>haque jour ou presque, le même rituel. J'allume la multiprise, puis la livebox avant d'appuyer sur le bouton « marche » de mon ordinateur. Et à chaque fois ou presque, le même sentiment étrange, oserais-je dire de gêne. Léger, confus, très bref mais indéniable. Celui-là même qui me traverse parfois lorsque je mets le contact pour démarrer la voiture. Il est difficile à décrire mais je lui ai donné un petit nom : le « Es-tu bien sûre ? ».</p>
<p><br />Il me visite depuis quelques années déjà. Il s'est imiscé dans bien des domaines matériels de ma vie – habitat, énergie, alimentation, habillement – et a généré bien des questions. Pour beaucoup, je crois avoir au moins identifié des réponses, au mieux les avoir mises en œuvre.<br />Mais pour l'ordinateur et Internet, le sentiment persiste voire s'amplifie. Au fur et à mesure que je m'informe et informe, j'entrevois la face cachée de celles qu'on appelle « nouvelles technologies » ou « technologies numériques ». J'entends parler pollution et exploitation des populations, surconsommation et obsolescence programmée, fracture numérique, surveillance de masse par les Etats et les multinationales, perte des savoirs artisanaux et manuels, dématérialisation des services au détriment des liens de proximité…<a href="http://www.rebonds.net/images/USINETTE/dôme_4.JPG" class="jcepopup" data-mediabox="1" data-mediabox-title="Le chantier d'Usinette en octobre dernier (Photo : F. Lancelin)."><img src="http://www.rebonds.net/images/USINETTE/dôme_4.JPG" alt="dôme 4" width="612" height="460" style="margin-left: 15px; border: 2px double #e2e2e2; float: right;" /></a></p>
<p>Mais ne nous-y trompons pas. « Es-tu bien sûre ? » n'est pas une angoisse. C'est un défi. Un défi lancé à l'imagination, à la capacité à penser et à faire autrement, à la détermination de ne pas céder à la pression sociale.<br />« Es-tu bien sûre ? » amène beaucoup de questions. Par exemple : comment être autonome au XXIe siècle sans ces « nouvelles technologies », pour peu qu'on pense l'autonomie comme un moyen d'émancipation de certains carcans de notre société, et pas comme une autarcie, une mise à l'écart volontaire ? Ou encore : ces technologies peuvent-elles servir cet objectif d'émancipation, alors même que leurs coûts écologiques, sociaux, économiques et politiques sont énormes ?</p>
<p>Mon objectif n'est pas de me donner bonne conscience en trouvant le « bon » usage de ces technologies. A mon avis, il n'y en a pas. Et quand bien même j'en trouverais une, cela n'empêcherait pas des entreprises d'extraire les métaux nécessaires à la fabrication d'ordinateurs et de téléphones portables dans des pays gangrénés par la misère et le totalitarisme. Ni à Facebook d'espionner la terre entière dans la quasi indifférence générale à des fins mercantiles. Ni à l’Etat français de réduire nos libertés individuelles au nom de la lutte anti-terroriste.<br />Alors quoi ? Reprendre stylo et papier pour écrire cet article, et aller le déclamer sur la place publique de mon village ? Ou imaginer une autre façon de créer de nouveaux outils de collecte et de partage, de donner à voir et de faire le monde ?</p>
<p>D'autres avant moi s'étaient posé ces questions et avaient entrepris d'y répondre concrètement. Sûrement étaient-ils pour quelque chose dans la naissance de « Es-tu bien sûre ? ». J'en rencontrais régulièrement quelques-uns dans une vallée verdoyante du Berry. Où en étaient-ils de leurs réflexions ?<em><br /></em></p>
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<h3>Vers un « hacklab rural »</h3>
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<p><strong>Samedi 26 octobre 2019 – 18 heures – Humbligny</strong></p>
<p>Dans un hameau situé à quelques kilomètres du bourg, prend forme une construction inhabituelle : un dôme de dix mètres de diamètre et cinq mètres de haut, en ossature et bardage bois.<br />Ce jour-là, il fait anormalement chaud. Alexandre, Paul et Chloé en ont profité pour venir de la région parisienne, terminer la couverture du dôme en y posant des profilés en aluminium dans lesquels ils glissent de la toile épaisse, utilisée notamment sur les yourtes.<br />L'objectif : que le dôme soit hors d'eau avant l'arrivée des pluies d'automne.<a href="http://www.rebonds.net/images/USINETTE/IMG_20190902_184657.jpg" class="jcepopup" data-mediabox="1" data-mediabox-title=""Apprendre, expérimenter, partager" (Photo : A. Korber)."><img src="http://www.rebonds.net/images/USINETTE/IMG_20190902_184657.jpg" alt="IMG 20190902 184657" width="563" height="424" style="margin-left: 15px; border: 2px double #e2e2e2; float: right;" /></a></p>
<p>Bientôt, espèrent-ils, seront organisés à l'intérieur des ateliers en rapport avec la technique, mais aussi l'art et la politique. Rien n'est encore programmé, mais on parle de<em> « hacklab rural »</em>, <em>« de bureau d'études rural ouvert à tous et collectif »</em>, d' <em>« expérimentations tous azimuts </em>».</p>
<p>Ce chantier est porté par l'association Usinette. Démarré en 2014, il se poursuit chaque été et durant les périodes où la météo le permet. Les adhérents, leurs amis, les membres de collectifs alentour et d'ailleurs, se succèdent à la conception et à la fabrication de cette structure géodésique. Peu ont le savoir-faire dans la construction de bâtiment ; mais tous ont l'envie d'apprendre, d'expérimenter et de partager. L'état d'esprit des « hackers » et des « makers », pirates et bricoleurs d'aujourd'hui.<br /><em>« Ce n'est pas nouveau</em>, me rappellera quelques jours plus tard André. <em>Les paysans le faisaient : faire les choses soi-même et à plusieurs, bricoler ensemble… Mais avec la consommation de masse, on s'est écarté de ces pratiques. Et ce qui est différent ici, c'est l'idéologie, pourquoi on le fait. »</em></p>
<p>Oui, pourquoi ? Pourquoi quitter Paris pour venir construire, au milieu du Berry, un « hacklab » ?</p>
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<h3>L'origine : l'histoire des licences libres</h3>
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<p><strong>Samedi 12 octobre 2019 – 14 heures – Choisy-le-Roi</strong></p>
<p>Loin des arbres aux teintures chaudes et du vent doux qui souffle sur la butte d'Humbligny, me voici au milieu de tours grises en béton séparées par une artère minérale. Je me rends à l'assemblée générale d'Usinette qui se tient au sous-sol de la Maison pour Tous de Choisy-le-Roi. La mairie prête un local au hackerspace /tmp/lab en échange d'ateliers ouverts à toute la population. C'est au cœur de ce hackerspace qu'est née Usinette, en 2009. <em>« A l'époque, nous étions dans un squat à Vitry-sur-Seine,</em> m'explique Alexandre, cofondateur d'Usinette. <em>Nous avons été expulsés il y a six ans. Ça fait partie du Grand Paris. »<a href="http://www.rebonds.net/images/USINETTE/Photo0350.jpg" class="jcepopup" data-mediabox="1" data-mediabox-title="Dans l'esprit du libre, tous les chantiers d'Usinette sont documentés (Photo : A. Korber)."><img src="http://www.rebonds.net/images/USINETTE/Photo0350.jpg" alt="Photo0350" width="505" height="379" style="margin-left: 15px; border: 2px double #e2e2e2; float: right;" /></a></em></p>
<p>Pour comprende ce qui a fondé Usinette, il faut passer par l'histoire des hackers. Ils apparaissent tels que nous les connaissons aujourd'hui dans l'Amérique des années soixante, notamment au MIT (Massachusetts Institute of Technology). A l'époque, l'informatique n'est pas encore démocratisée, et reste le domaine privilégié de chercheurs et d'universitaires. Les hackers forment des groupes de passionnés qui s'adonnent à la rétro-ingénierie : étudier un objet pour en déterminer le fonctionnement interne ou la méthode de fabrication. Le but : le reproduire, améliorer ses fonctionnalités, adapter ses usages à de nouveaux besoins...<br />Ils démontent ainsi les premiers ordinateurs et créent des programmes informatiques. L'émulation est collective, les rapports horizontaux : les idées des uns sont reprises par les autres, améliorées, enrichies. C'est dans cet esprit que naissent les premières formes de licences libres : elles permettent d'utiliser librement une partie ou l'ensemble d'un logiciel, voire même de le modifier ou de l'enrichir.</p>
<p>Mais, progressivement, les fabricants vont verrouiller leur matériel à des fins commerciales. Des hackers vont même les y aider en acceptant de signer des accords comprenant des clauses de confidentialité, assurant le secret des procédés de fabrication.<br />Richard Stallman <span style="font-size: 8pt;">(1)</span>, étudiant au début des années soixante-dix, se retrouve un jour face à un problème d'imprimante. A sa grande surprise, il ne peut accéder au programme pour corriger le défaut : Xerox a protégé le code source. Dès lors, Richard Stallman consacrera sa vie à militer pour les logiciels et les codes libres.</p>
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<h3>Une nouvelle dimension avec Internet</h3>
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<p>L'enjeu est de taille : à l'époque, les ordinateurs personnels font leur apparition, lancés notamment par IBM et Apple. Les logiciels sont dits « propriétaires ». Près d'une décennie plus tard, Richard Stallman lance le projet GNU, puis la Free Software Foundation <span style="font-size: 8pt;">(2)</span> pour soutenir financièrement le logiciel libre. Une communauté se forme autour de cette question et, dans les années 1990, le système d'exploitation Linux<span style="font-size: 8pt;"> (3)</span> fait son apparition, grâce au hacker finlandais Linus Torvalds.<a href="http://www.rebonds.net/images/USINETTE/dôme_2.JPG" class="jcepopup" data-mediabox="1" data-mediabox-title="Dans le dôme, octobre 2019 (Photo : F. Lancelin)."><img src="http://www.rebonds.net/images/USINETTE/dôme_2.JPG" alt="dôme 2" width="641" height="482" style="margin-left: 15px; border: 2px double #e2e2e2; float: right;" /></a></p>
<p>La communauté se fissure : d'un côté, ceux qui se rallient à Richard Stallman et qui entendent empêcher la récupération d'un logiciel libre pour en faire un logiciel propriétaire ; de l'autre, les défenseurs de l'open source qui permet la création de logiciels propriétaires à partir d'un logiciel libre (Open source <span style="font-size: 8pt;">(4)</span> étant aussi mais surtout le premier business model du libre que combat Stallman politiquement, étant un socialiste à l’américaine ayant soutenu Bernie Sanders).<em></em></p>
<p>Internet va apporter une nouvelle dimension à l'esprit des hackers. Les données (textes, photos, sons, vidéos) circulent, d'abord librement et gratuitement. Des nouveaux groupes de partage de savoirs voient le jour, comme avec l'encyclopédie Wikipédia : chacun.e peut enrichir un article débuté par un autre, et toutes les informations sont accessibles sans restriction.</p>
<p>Mais pour se rencontrer, expérimenter, échanger, les hackers avaient d'abord créé des « hackerspaces », aux Etats-Unis puis partout dans le monde. Sont arrivés ensuite les FabLab (marque déposée du MIT), des laboratoires ouverts à tous, mais tantôt gratuits, tantôt payants. Aujourd'hui, fleurissent également les makerspaces, lieux où les participants « font » (make en anglais) sans distinction de technologies, de machines ou de conditions d'accès.</p>
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<h3>« Une lutte pratique, technique, politique et esthétique »</h3>
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<p>A Choisy-le-Roi, les membres du hackerspace /tmp/lab insistent sur l'hétérogénéité de ces mouvements.<em> « Il y a des valeurs communes,</em> reconnaît Paul, <em>mais ensuite, chacun teinte son lieu à sa manière. Ça doit être plus qu'un espace de coworking : tout ce qui est fait doit être documenté, partagé, rendu public. »</em> Il me parle de la récupération dont sont l'objet les FabLab : <em>« Certains sont subventionnés par l’État, d'autres sont devenus des incubateurs d'entreprises. »</em><br />Les pirates se sont transformés en corsaires...<a href="http://www.rebonds.net/images/USINETTE/Photo0655.jpg" class="jcepopup" data-mediabox="1" data-mediabox-title="Pendant la construction du bardage en bois (Photo : A. Korber)."><img src="http://www.rebonds.net/images/USINETTE/Photo0655.jpg" alt="Photo0655" width="566" height="751" style="margin-left: 15px; border: 2px double #e2e2e2; float: right;" /></a></p>
<p>Usinette est née dans ce contexte,<em> « d'abord pour s'approprier de nouveaux outils numériques libres comme les imprimantes 3D,</em> explique Alexandre. <em>En cours de route, nous avons compris les coûts écologiques et sociaux liés à l’usage de l’informatique et à Internet. »</em> Il poursuit : <em>« L’industrie produit de nouveaux smartphones tous les deux mois, dans des conditions inhumaines pour les ouvrier.e.s. Ils ne sont utilisés que quelques mois à cause de leur obsolescence programmée et/ou pour des raisons liées à la mode et à la surconsommation lourdement suggérée pour rester « dans la course ». Ces smartphones se retrouvent ensuite en Asie, en Inde, en Afrique pour être détruits dans un mépris total des travailleurs et travailleuses mais aussi de l’écologie. Tout cela est bien sûr valable pour tous les appareils électroniques que nous utilisons quotidiennement. »</em><br />Forts de cette <em>« prise de conscience politique »</em>, les membres d'Usinette décident d'élargir le spectre de leurs réflexions à l'habitat, les déplacements, le travail… Et si les fondateurs venaient du monde de la sécurité informatique, de l'électronique, de la chimie ou de la téléphonie, le collectif s'enrichit d'artistes. Comme Paul, par exemple, diplômé des métiers d'art. <em>« L’objectif est de faire converger les stratégies émancipatrices des hackerspaces, proches de l’éducation populaire, les réflexions et les luttes historiques des grands mouvements militants et la liberté artistique »</em>, souligne Alexandre.</p>
<p>Pour déployer <em>« cette lutte pratique, technique, politique et esthétique »</em>, il fallait un lieu, si possible loin de la mégalopole et de ses spéculations foncières. Les contacts et les amitiés ont rapproché Usinette de la VALLÉE (Village d'Activités Locales et Lieu d'Eveil Ecologique) à Humbligny. Des initiatives liées à l'autonomie, politique et matérielle, y voient régulièrement le jour.</p>
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<h3>L'essoufflement du chantier ?</h3>
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<p>De retour à Humbligny, j'observe Paul et Chloé dans la lumière du soleil d'automne, sur le toit du dôme, harnachés pour tendre la toile.<br />Je pense au début du chantier en 2014. Lors de la première saison, des volontaires de partout étaient venus : Paris, Tours, le nord de la France... Des événements avaient été organisés, comme le festival Electronic Pastorale, pour faire connaître le projet au public, et réunir habitants et hackers autour d'expériences communes.<br />Mais cinq ans plus tard, le dôme n'est toujours pas terminé. Le projet a rencontré de nombreuses difficultés : les problèmes techniques, la fréquence espacée des chantiers (chacun venant sur son temps libre), des tensions avec certains habitants du village et à l'intérieur du groupe…<br />Moi-même usagère de la VALLEE durant une période, je n'ai pas participé. Je m'interroge : collectivement, s'est-on réellement – suffisamment – engagé ? Ou l'enthousiasme a-t-il laissé place à une forme de découragement, voire d'abandon ?<br />Je crois que je ne me sentais pas capable. <em>« Construire ? Allons bon ! Mais je n'y connais rien, moi ! »</em> Au fil des discussions, je m'aperçois que l'esprit d'Usinette est précisément là où l'on pense ne pas savoir, ne pas pouvoir. Il faut simplement oser. Les copain.es sont là...</p>
<p>Parmi ceux qui continuent à y croire : Alexandre, Paul, Chloé et André, par exemple.<br />Ingénieur du son et compositeur de musique acousmatique, André s'est installé dans le Berry après douze ans de vie parisienne. Il a intégré Usinette et le chantier du dôme au moment du bardage. <em>« Je ne suis pas forcément doué pour philosopher ou théoriser, mais je suis bricoleur et débrouillard. J'ai une mentalité de chercheur. J'aime ce qui est artisanal, sur-mesures. Dans Usinette, il y a beaucoup de penseurs, c'est bien, mais il faut un équilibre pour être efficace dans l'action. »</em> Ce qui l'a motivé à participer ? <em>« L'idée de l'autonomie : je fais, je répare, je transforme, je détourne, je recycle… »<em></em></em><br />S'il reconnaît un certain <em>« essoufflement »</em> du chantier, il se dit <em>« confiant »</em> :<em> « On est vraiment sur la fin du toit, il nous faut une éclaircie pour finir et ensuite, on pourra commencer quelques activités. Je suis sûr que dès qu'il sera fini, les habitants s'approprieront le lieu. »<a href="http://www.rebonds.net/images/USINETTE/dôme_3.JPG" class="jcepopup" data-mediabox="1" data-mediabox-title="La préparation de la toile de couverture (Photo : F. Lancelin)."><img src="http://www.rebonds.net/images/USINETTE/dôme_3.JPG" alt="dôme 3" width="496" height="657" style="margin-left: 15px; border: 2px double #e2e2e2; float: right;" /></a><em></em></em></p>
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<h3>Un égal accès à l'apprentissage pour tous.tes</h3>
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<p>Chloé a un autre profil : designer de formation, elle a été invitée par Paul il y a trois étés et elle est revenue chaque année. <br />Quelles sont les problématiques abordées par Usinette qui la touchent particulièrement ? <em>« Certainement la manière dont l'association explore et embrasse sans distinction des techniques et outils complètement différents, en fonction des besoins : de la meuleuse pour ajuster les profilés alu en haut du dôme jusqu'aux machines à écrire des ateliers d'écriture low tech (</em>Lire aussi la rubrique (Re)visiter<em>), en passant par des outils numériques auto-hébergés. Cette approche décomplexée est très libératrice. Venant d'une école d'arts appliqués dans laquelle je travaillais principalement le textile, les couleurs et le dessin, mes deux premières années à l'ENSCI <span style="font-size: 8pt;">(5)</span> ont été marquées par une forme d'appréhension à entrer dans les ateliers bois et métal. J'étais impressionnée par cet environnement techniciste très masculin où tous les chefs d'atelier sont des hommes de plus de 50 ans, des maîtres dans leur discipline. Pourtant là pour apprendre, j'avais du mal à m'y sentir légitime. Encore empreinte des stéréotypes d'une culture genrée dans l'enseignement, une barrière psychologique freinait mon accès à cet apprentissage, bien que tous ces enseignants aient été très accueillants. C'est ça aussi que permet Usinette : un environnement non spécialiste qui favorise un égal accès à l'apprentissage pour tous et toutes. Quand Alex parle de réappropriation de notre force de production, chez moi ça fait écho à cette expérience. »</em></p>
<p>Alexandre, quant à lui, vient de la photographie argentique, mais il est désormais technicien web dans une grande école et actif syndicalement. Outre les chantiers dans le Berry, il anime des ateliers pratiques, rédige des articles sur les expériences menées par l'association, tient des stands lors de festivals…<br />Parmi les sujets qui lui tiennent à cœur : la <em>« souveraineté technologique »</em>, <em>« ou comment prendre conscience des enjeux financiers et sociétaux à utiliser les outils de Facebook, Google, Microsoft, Apple plutôt que des solutions libres et respectueuses de nos informations personnelles. Dans la pratique, nous faisons des ateliers de découverte des logiciels libres pour ne plus rester des « produits ». Usinette auto-héberge aussi ses outils numériques : emails, site web, partage de fichiers, etc... »</em><br />La <em>« souveraineté technique »</em> lui importe également : <em>« ou comment reprendre le goût de construire collectivement des choses qui paraissent intimidantes comme son habitat, son véhicule, ses outils agricoles, son imprimante 3D, son recycleur de plastique, son appareil photo… Sans cacher la complexité de la tâche, sans mépriser les spécialistes en la matière, mais en ayant cette approche décomplexée du savoir. Se doter des outils lorsque nous en avons besoin, nous approprier la démarche scientifique même si nous n'avons pas tous et toutes fait les études en question. »</em><br />Il encourage <em>« une démarche militante, esthétique et revendicative pour se sentir actrices et acteurs dans une société consumériste qui nous cantonne le plus souvent à des activités professionnelles aliénantes où nous nous sentons dépossédés de notre force de production »</em>.</p>
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<h3>De la fabrication de meubles à l'acousmonium...</h3>
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<p>Quels types d'activités aimeraient-ils organiser dans le dôme ? <a href="http://www.rebonds.net/images/USINETTE/dôme_5.JPG" class="jcepopup" data-mediabox="1" data-mediabox-title="Fin du chantier d'octobre 2019 (Photo : F. Lancelin)."><img src="http://www.rebonds.net/images/USINETTE/dôme_5.JPG" alt="dôme 5" width="624" height="469" style="margin-left: 15px; border: 2px double #e2e2e2; float: right;" /></a><em>« Pour tous publics et en rapport avec l'art, les techniques et la politique</em>, répond Alexandre. <em>Un lieu de résidence longue, courte ; un lieu de bricolage juste pour une journée, quelques heures ou pour concevoir un projet sur plusieurs mois. »</em> Avec <em>« un usage du lieu auto-gestionnaire autant que possible pour constituer une communauté d'entraide forte et durable »</em>.<br />Exemple de projets pratiques : la fabrication des meubles dans le dôme, la fabrication d'un poêle à bois de type « Poêlito » <span style="font-size: 8pt;">(6)</span> ou encore d'un four à pain.<em></em><br /><em>« Que des militants viennent s'y organiser, que des habitants des environs s'y réunissent comme dans un hackerspace, comme dans un club de lecture. Que des amateurs de jeux de rôles y organisent d'épiques parties ou qu'ils et elles y écrivent des scénarii de jeu »,</em> imagine Alexandre.<br />André envisage <em>« des ateliers autour de la technologie mais aussi des animations culturelles. Des concerts, des conférences…<em>»</em>. <em>« </em>J'aimerais bien construire un acousmonium (<span style="font-size: 8pt;">6</span>) »</em>, sourit-il.<br />Tous ont une volonté de fédérer adhérents de l'association, habitants des alentours et collectifs de la région.<em> « Pour éviter l'entre-soi et et diversifier nos stratégies de transformation du monde »</em>, souligne Alexandre.</p>
<p>Moi aussi, j'ai hâte que ce hacklab ouvre ses portes près de chez moi. Je sais que je n'obtiendrai pas de réponse toute faite à mes – légitimes – questions mais que je pourrais tenter un autre rapport aux médias. Et partager, simplement, des connaissances, des outils, des techniques, du temps et de l'énergie.</p>
<p>Evidemment, mon « Es-tu bien sûre ? » m'accompagnera. Nul doute qu'il sera aussi très bien accueilli.</p>
<p><strong>Fanny Lancelin</strong></p>
<p><em>Voir aussi la rubrique (Re)vue.</em></p>
<p><span style="font-size: 8pt;">(1) <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Richard_Stallman">https://fr.wikipedia.org/wiki/Richard_Stallman</a><br />(2) <a href="https://www.fsf.org/">https://www.fsf.org/</a><br />(3) <a href="https://linuxfr.org/">https://linuxfr.org/</a><br />(4) <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Open_source">https://fr.wikipedia.org/wiki/Open_source</a><br />(5) Ecole Nationale Supérieure de Création Industrielle – Les Ateliers à Paris : <a href="https://www.ensci.com/ensci-les-ateliers/">https://www.ensci.com/ensci-les-ateliers/</a><br />(6) <a href="https://wiki.lowtechlab.org/wiki/Poelito_-_Po%C3%AAle_de_masse_semi-d%C3%A9montable">https://wiki.lowtechlab.org/wiki/Poelito_-_Po%C3%AAle_de_masse_semi-d%C3%A9montable</a><br />(7) <a href="https://inagrm.com/fr/showcase/news/202/lacousmonium">https://inagrm.com/fr/showcase/news/202/lacousmonium</a></span></p>
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<div class="panel panel-primary">
<div class="panel-heading">
<h3 class="panel-title">Plus</h3>
</div>
<ul>
<li>Le site usinette.org est une véritable pépite : il reprend l'histoire du collectif, relate ses expérimentations avec, entre autres, un journal de bord du chantier du dôme géodésique à Humbligny (en textes, photos et vidéos).<br />Il propose également : des articles passionnants et très accessibles sur la question de la souveraineté technologique, des machines, du travail, du « Do it yourself » (le « faire soi-même ») ; une bibliographie fournie ; ou encore des liens avec d'autres hackerspaces / hacklabs / fablabs.<br />C'est par ici : <a href="https://usinette.org/">https://usinette.org/</a></li>
</ul>
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