# 44 François s'appelait Kao (février 2021) (Re)bonds est un magazine mensuel créé par Fanny Lancelin, journaliste installée dans le Cher. Son but : à travers, des portraits d'habitant.es du Berry, raconter des parcours alternatifs, des modes de vie où le respect des êtres vivants et de leur environnement tient une place centrale. http://www.rebonds.net/44francoissappelaitkao 2023-05-11T19:05:00+02:00 (Re)bonds.net Joomla! - Open Source Content Management L'histoire des hmong 2017-03-21T13:37:42+01:00 2017-03-21T13:37:42+01:00 http://www.rebonds.net/44francoissappelaitkao/671-lhistoiredeshmong Super User <p><strong>Comment et pourquoi la communauté hmong est-elle présente en France&nbsp;? Un bref historique nous rappelle d’où elle vient et les événements qui ont lié à jamais les deux peuples.</strong></p> <p><span style="font-size: 14pt; color: #ff615d;"><strong>Les origines des hmong et leur arrivée au Laos</strong></span><span style="font-size: 14pt; color: #ff615d;"></span></p> <p>Au troisième siècle avant Jésus-Christ, le peuple hmong, parent du peuple mongol, vit dans la région du lac Baikal au nord de la Mongolie.</p> <p>Il entame ensuite une lente progression vers le sud à travers les provinces chinoises, dans lesquelles il essaie de se fixer sans se mêler aux autochtones <span style="font-size: 8pt;">(1)</span>, ce qui lui vaut l'hostilité de ceux-ci. Vaincu dans le Hebei et dans le Hunan, il trouve une relative stabilité dans le Yunnan, une province du sud-ouest de la Chine, où résident encore huit millions de hmong.</p> <p>Au XIXe siècle, il essaime en Birmanie (région du Triangle d'Or), en Thaïlande, au Tonkin (province de Lao Cai), puis au Laos (plateau du Tran Ninh). Le Laos devient une colonie française en 1894 et en 1887 fait officiellement partie de l’Indochine française. C'est sur les montagnes de l'actuel Laos que les hmong sont encouragées&nbsp;par les français&nbsp;à cultiver le&nbsp;pavot&nbsp;et à produire de l'opium&nbsp;pour l'export vers la Chine, ce qui donne lieu aux&nbsp;guerres de l'opium <span style="font-size: 8pt;">(2).</span></p> <p><strong><span style="font-size: 14pt; color: #ff615d;">Aux côtés des français</span></strong></p> <p>Pendant la Seconde Guerre mondiale le Japon profite de la faiblesse de l’État français, attaqué par les allemands, pour occuper l’Indochine. Durant cette occupation, l’indépendance du protectorat du Laos est proclamée avec l’installation d’une république nommée «&nbsp;Pathet Lao&nbsp;», appuyée par des personnages proches des communistes comme Ho Chi Min et de l’organisation Viet Minh.<br />Après la capitulation japonaise, le Premier ministre indépendantiste&nbsp;Phetsarath Rattanavongsa, qui souhaite éviter le rétablissement du protectorat, se trouve en conflit avec le roi de Luang Prabang,&nbsp;Sisavang Vong, favorable aux français. L’absence d’organisation et de ressources économiques mettent fin à cette expérience, et les français reprennent le contrôle du pays en 1946.</p> <p>En 1947 naquit le Royaume du Laos, une monarchie parlementaire avec le roi de&nbsp;Luang Prabang,&nbsp;Sisavang Vong,&nbsp;qui fut donc le premier souverain du&nbsp;Laos&nbsp;unifié.<br />Mais en fait, deux factions opposées&nbsp;s’affrontent au sein du pays : une plus proche du protectorat français, une autre qui souhaitait l’indépendance du Pathet Lao, qui continue d’exister à travers des gouvernements en exil.</p> <p>Ouvertement déclenchée fin 1946, la&nbsp;guerre d'Indochine&nbsp;oppose le Viet Minh à la France. Pendant ces années, la France accorde une autonomie accrue au Laos, et une partie des indépendantistes en exil décident de rentrer au pays. Petit à petit, le Pathet Lao reconstitue ses forces, établit des bases sur le territoire laotien et diffuse sa propagande dans les villages.<br />Entre 1951 et 1952, le Pathet Lao avec l’aide des nord-vietnamiens, et le Royaume du Laos avec l’aide des français constituent chacun leur propre milice.</p> <p>Peuple de combattant·es renommé·es, les hmong, pour la plupart adversaires du Viet Minh pour motifs ethniques et politiques, soutiennent la France. En 1953, une armée de 40.000 membres du Viet Minh soutenus par plus de 2.000 militantes du Pathet Lao, occupe le nord-est du pays.<br />Commence ainsi la guerre civile laotienne, qui se poursuit pendant la guerre du Vietnam, jusqu’en 1975.</p> <p>Les chefs des clans hmong qui soutiennent les français animent une lutte acharnée à Dien Bien Phu. En 1954, affaiblie par la guerre d’Indochine, la France décide de quitter le Laos et abandonne les hmong. Les accords de Genève (juillet 1954) marquent la fin de la guerre d’Indochine et l’indépendance du Laos, du Vietnam et du Cambodge, ainsi que la séparation du Vietnam en deux parties : le nord sous le contrôle des communistes de Ho Chi Min et le sud sous le contrôle des anti-communistes.</p> <p>&nbsp;</p> <p><strong><a href="http://www.rebonds.net/images/HMONG_1/carte-geographique-laos.jpg" class="jcepopup" data-mediabox="1" data-mediabox-title="Carte géographique du Laos (source : Wikipédia)."><img src="http://www.rebonds.net/images/HMONG_1/carte-geographique-laos.jpg" alt="21841 ezln ejercito zapatista 400px" width="650" height="650" style="display: block; margin-left: auto; margin-right: auto;" /></a></strong></p> <p>&nbsp;</p> <p><span style="font-size: 14pt; color: #ff615d;"><strong>La guerre au Vietnam et le soutien aux américains</strong><br /></span></p> <p>Dans le contexte de la guerre du Vietnam, en 1957, les États-Unis avec la CIA engagent dans le Laos (considéré comme pays neutre) une série d’opérations cachées contre les nord-vietnamien·nes et leurs allié·es communistes du Pathet Lao. Le général hmong Vang Pao met une armée au service des américains, de plus de 30.000 militants hmong (<em>lire aussi les (Ré)créations</em>).</p> <p>Durant cette période, les américains créent la base aérienne militaire de Long Tien, qui devient une des plus importantes installations américaines sur sol étranger, un des aéroports le plus fréquenté au monde, mais aussi la deuxième ville la plus importante au Laos&nbsp;: une vraie micro-nation avec ses banques, ses écoles, les bureaux militaires et plusieurs autres services à l’occidentale. A l’apogée de son activité, Long Tien compte une population d’environ 300.000 habitant·es, dont 200.000 hmong.&nbsp;</p> <p><span style="font-size: 14pt; color: #ff615d;"><strong>L'exil des hmong</strong><br /></span></p> <p>Après le départ des français en 1954 à la fin de la guerre d'Indochine, puis des américains en 1975 après la guerre du Vietnam, les hmong, considéré·es comme des traîtres par le gouvernement, sont obligé·es de fuir vers la Thaïlande voisine en franchissant le Mékong, fleuve frontière, pour éviter l’extermination.</p> <p>Les hmong ont perdu 20.000 soldats dans le conflit aux côtés des américains&nbsp;; 50.000 civil·es ont été tué·es ou blessé·es et 120.000 ont dû quitter leur maison.<br />En Thaïlande, il·les sont alors regroupé·es dans des camps de réfugié·es où les conditions de vie sont assez rudes. Parmi les 54.000 réfugié·es laotien·nes, seulement 10.000 ne sont pas d’ethnie hmong. Non seulement la population craint persécutions et représailles, mais la guerre a détruit de grandes zones agricoles, avec bombardements ou défoliants chimiques. De plus, des milliers de hmong ont été habitués à compter sur les denrées lâchées par l’aviation américaine, sur les aides des centres sociaux, sur les revenus de soldat&nbsp;: sans ces moyens de subsistance, ils peuvent difficilement survivre dans leur pays.</p> <p>A partir de 1976, la France décide d'accueillir sur son territoire des hmong, car ces derniers ne peuvent rester en Thaïlande. Ils vivent aussi une forte émigration vers les États-Unis et la Guyane. En France métropolitaine, leur nombre est estimé alors à près&nbsp;de 20.000, dont une grande partie se retrouve dans la région de&nbsp;Paris, de&nbsp;Toulouse, de&nbsp;Chartres, de&nbsp;Rennes, d'Amboise, de&nbsp;Tours&nbsp;et de&nbsp;Nîmes.</p> <p><strong><span style="font-size: 14pt; color: #ff615d;">Aujourd'hui</span></strong></p> <p>Depuis les accords de Paris de 1973, les hmong ont subi des violations répétées de leurs droits fondamentaux au Laos mais aussi au Vietnam. La communauté hmong n’est pas intégrée à la société laotienne et subit au quotidien de très nombreuses discriminations attribuables d’une part à leur appartenance ethnique et d’autre part à leurs convictions politiques. On peut notamment retenir le manque d’accès au système d’éducation ou de santé.</p> <p>Entre la fin du conflit et les années 2000, la réaction internationale face à cette oppression abusive a été molle. Dans la grande majorité des cas, les conditions de vie de la population hmong est méconnue. Obligé·es de fuir puisque pourchassé·es, il·les sont contraint·es d’êtres nomades. Dans les campagnes du Laos, la moitié des enfants de moins de cinq ans ne reçoivent pas une alimentation suffisante, et cela est pire encore dans les régions plus isolées, comme dans les montagnes.<br />L’impossibilité d’action des organisations non gouvernementales et de l’ONU provient du fait que l’armée laotienne bloque le passage de la montagne Xieng Khuang. Les autorités communistes tentent de dissimuler la situation. L’accès étant impossible, presque aucun reportage n’a pu être réalisé afin de la dénoncer ouvertement et sur la scène internationale.<br />Toutefois, en 2003, Philip Blenkinsop a bravé les interdictions imposées par le gouvernement laotien pour partir à la rencontre des dernieres résistantes hmong. Il a remporté en 2004 le World Press avec son reportage intitulé « La guerre secrète au Laos » (<em>lire aussi les (Ré)créations)</em>.</p> <p>Depuis le début des années 2000, plusieurs organisations internationales ont rédigé des rapports dénonçant la situation des minorités au Laos mais à chaque fois qu’une institution internationale demande des explications au gouvernement, celui-ci accuse ces institutions de vouloir interférer dans ses affaires internes.&nbsp;<br />En 2005, en France, la polémique autour des conditions de vie de cette population qui a combattu aux côtés des français pendant des années s’intensifie et plusieurs personnalités politiques accusent le gouvernement de ne pas réagir.<br />Malgré le dialogue ponctuel et de long terme que la France entretient avec le Laos, notamment grâce au député du Cher Yves Fromion<span style="font-size: 8pt;"> (3)</span>, la situation évolue avec difficulté.</p> <p>En juillet 2018, dans une déclaration devant le Comité International des Droits de l’Homme, la Fédération Internationale des Ligues des Droits de l’Homme (FIDH) a dénoncé encore une fois le non-respect par le Laos de ses obligations internationales. En effet, le pays est non seulement accusé de ne pas respecter la liberté d’opinion et d’expression, mais également de réprimer systématiquement la dissidence.<br />L’évaluation des Nations Unies sur l’état des droits de l’Homme au Laos en juillet 2018 a aussi mis en lumière la violation quasi-systématique des droits civils et politiques de toute personne ne suivant pas les lignes communistes du gouvernement. Ce rapport a témoigné de l’ambiance répressive du pays.</p> <p><br /><span style="font-size: 8pt;">(1) L'histoire mouvementée de ce peuple s'explique en partie par sa culture clanique. Un clan est composé de la descendance masculine d'un ancêtre célèbre. Les mariages ne sont autorisés qu'entre certains clans. Les douze premiers clans sont Yang, Xiong, Vu, Vang, Thao, Moua, Lo, Ly, Hang, Her, Tcha et Khang. Aujourd'hui, il existe vingt et un clans. La revendication de sa propre autonomie par chaque chef de clan entraîne des choix politiques différents. Par exemple, la France avait distingué MOUA Yong Kai au XIXe siècle et LY Foung&nbsp;; en 1945, LO Faydang se relia au Japon, puis au Viet Minh et au Pathet Lao. La collaboration du clan LO avec le gouvernement permet aujourd'hui à celui-ci de prétendre qu'il ne persécute pas les hmong, alors que LY Foung est mort en camp de déportation et MOUA Toua Ther a subi les bombardements chimiques de l'aviation communiste.</span><br /><span style="font-size: 8pt;">(2) Les&nbsp;guerres de l’opium sont des conflits motivés par des raisons commerciales : la&nbsp;Chine&nbsp;de la&nbsp;dynastie Qing voulait interdire le commerce de l’opium produit par les pays occidentaux dans leur colonies au&nbsp;XIXe&nbsp;siècle. Pendant la&nbsp;guerre d'Indochine&nbsp;au Laos, et pendant la&nbsp;guerre du Vietnam&nbsp;dans le contexte de la Guerre Froide&nbsp;qui, ici, était «&nbsp;chaude&nbsp;» et particulièrement sanglante, la&nbsp;CIA&nbsp;et les&nbsp;États-Unis utilisèrent les hmong comme supplétifs, leur fournirent de l'armement et achetèrent à leur tour leur production d'opium. De ce fait, les hmong engagées dans ce conflit du côté occidental étaient promis à une mort certaine par les&nbsp;combattants communistes&nbsp;en tant que collaborteur·ices des envahisseurs impérialistes. Source : wikipedia «&nbsp;Hmong&nbsp;» et «&nbsp;Guerres de l’opium&nbsp;».</span><br /><span style="font-size: 8pt;">(3) <a href="https://www.senat.fr/questions/base/2005/qSEQ051220846.html">https://www.senat.fr/questions/base/2005/qSEQ051220846.html</a></span></p> <p>&nbsp;</p> <div class="panel panel-primary"> <div class="panel-heading"> <h3 class="panel-title">Sources</h3> </div> <ul> <li>Wikipedia (Laos, Hmong, Guerre civile Laos en français et italien)</li> <li>«&nbsp;L’esodo dall’Indocina&nbsp;», <a href="https://www.unhcr.org/pubs/sowr2000/italian/ch04.pdf">https://www.unhcr.org/pubs/sowr2000/italian/ch04.pdf</a></li> <li><a href="https://www.ilgiornale.it/news/hmong-popolo-esuli-fuggiti-dallindocina-rossa-1866882.html">https://www.ilgiornale.it/news/hmong-popolo-esuli-fuggiti-dallindocina-rossa-1866882.html</a></li> <li><a href="https://redtac.org/asiedusudest/2014/11/12/le-triste-destin-des-hmong-au-laos/">https://redtac.org/asiedusudest/2014/11/12/le-triste-destin-des-hmong-au-laos/</a></li> <li><a href="https://www.lawworld.fr/la-situation-du-peuple-hmong-au-laos/">https://www.lawworld.fr/la-situation-du-peuple-hmong-au-laos/</a></li> </ul> </div> <p><strong>Comment et pourquoi la communauté hmong est-elle présente en France&nbsp;? Un bref historique nous rappelle d’où elle vient et les événements qui ont lié à jamais les deux peuples.</strong></p> <p><span style="font-size: 14pt; color: #ff615d;"><strong>Les origines des hmong et leur arrivée au Laos</strong></span><span style="font-size: 14pt; color: #ff615d;"></span></p> <p>Au troisième siècle avant Jésus-Christ, le peuple hmong, parent du peuple mongol, vit dans la région du lac Baikal au nord de la Mongolie.</p> <p>Il entame ensuite une lente progression vers le sud à travers les provinces chinoises, dans lesquelles il essaie de se fixer sans se mêler aux autochtones <span style="font-size: 8pt;">(1)</span>, ce qui lui vaut l'hostilité de ceux-ci. Vaincu dans le Hebei et dans le Hunan, il trouve une relative stabilité dans le Yunnan, une province du sud-ouest de la Chine, où résident encore huit millions de hmong.</p> <p>Au XIXe siècle, il essaime en Birmanie (région du Triangle d'Or), en Thaïlande, au Tonkin (province de Lao Cai), puis au Laos (plateau du Tran Ninh). Le Laos devient une colonie française en 1894 et en 1887 fait officiellement partie de l’Indochine française. C'est sur les montagnes de l'actuel Laos que les hmong sont encouragées&nbsp;par les français&nbsp;à cultiver le&nbsp;pavot&nbsp;et à produire de l'opium&nbsp;pour l'export vers la Chine, ce qui donne lieu aux&nbsp;guerres de l'opium <span style="font-size: 8pt;">(2).</span></p> <p><strong><span style="font-size: 14pt; color: #ff615d;">Aux côtés des français</span></strong></p> <p>Pendant la Seconde Guerre mondiale le Japon profite de la faiblesse de l’État français, attaqué par les allemands, pour occuper l’Indochine. Durant cette occupation, l’indépendance du protectorat du Laos est proclamée avec l’installation d’une république nommée «&nbsp;Pathet Lao&nbsp;», appuyée par des personnages proches des communistes comme Ho Chi Min et de l’organisation Viet Minh.<br />Après la capitulation japonaise, le Premier ministre indépendantiste&nbsp;Phetsarath Rattanavongsa, qui souhaite éviter le rétablissement du protectorat, se trouve en conflit avec le roi de Luang Prabang,&nbsp;Sisavang Vong, favorable aux français. L’absence d’organisation et de ressources économiques mettent fin à cette expérience, et les français reprennent le contrôle du pays en 1946.</p> <p>En 1947 naquit le Royaume du Laos, une monarchie parlementaire avec le roi de&nbsp;Luang Prabang,&nbsp;Sisavang Vong,&nbsp;qui fut donc le premier souverain du&nbsp;Laos&nbsp;unifié.<br />Mais en fait, deux factions opposées&nbsp;s’affrontent au sein du pays : une plus proche du protectorat français, une autre qui souhaitait l’indépendance du Pathet Lao, qui continue d’exister à travers des gouvernements en exil.</p> <p>Ouvertement déclenchée fin 1946, la&nbsp;guerre d'Indochine&nbsp;oppose le Viet Minh à la France. Pendant ces années, la France accorde une autonomie accrue au Laos, et une partie des indépendantistes en exil décident de rentrer au pays. Petit à petit, le Pathet Lao reconstitue ses forces, établit des bases sur le territoire laotien et diffuse sa propagande dans les villages.<br />Entre 1951 et 1952, le Pathet Lao avec l’aide des nord-vietnamiens, et le Royaume du Laos avec l’aide des français constituent chacun leur propre milice.</p> <p>Peuple de combattant·es renommé·es, les hmong, pour la plupart adversaires du Viet Minh pour motifs ethniques et politiques, soutiennent la France. En 1953, une armée de 40.000 membres du Viet Minh soutenus par plus de 2.000 militantes du Pathet Lao, occupe le nord-est du pays.<br />Commence ainsi la guerre civile laotienne, qui se poursuit pendant la guerre du Vietnam, jusqu’en 1975.</p> <p>Les chefs des clans hmong qui soutiennent les français animent une lutte acharnée à Dien Bien Phu. En 1954, affaiblie par la guerre d’Indochine, la France décide de quitter le Laos et abandonne les hmong. Les accords de Genève (juillet 1954) marquent la fin de la guerre d’Indochine et l’indépendance du Laos, du Vietnam et du Cambodge, ainsi que la séparation du Vietnam en deux parties : le nord sous le contrôle des communistes de Ho Chi Min et le sud sous le contrôle des anti-communistes.</p> <p>&nbsp;</p> <p><strong><a href="http://www.rebonds.net/images/HMONG_1/carte-geographique-laos.jpg" class="jcepopup" data-mediabox="1" data-mediabox-title="Carte géographique du Laos (source : Wikipédia)."><img src="http://www.rebonds.net/images/HMONG_1/carte-geographique-laos.jpg" alt="21841 ezln ejercito zapatista 400px" width="650" height="650" style="display: block; margin-left: auto; margin-right: auto;" /></a></strong></p> <p>&nbsp;</p> <p><span style="font-size: 14pt; color: #ff615d;"><strong>La guerre au Vietnam et le soutien aux américains</strong><br /></span></p> <p>Dans le contexte de la guerre du Vietnam, en 1957, les États-Unis avec la CIA engagent dans le Laos (considéré comme pays neutre) une série d’opérations cachées contre les nord-vietnamien·nes et leurs allié·es communistes du Pathet Lao. Le général hmong Vang Pao met une armée au service des américains, de plus de 30.000 militants hmong (<em>lire aussi les (Ré)créations</em>).</p> <p>Durant cette période, les américains créent la base aérienne militaire de Long Tien, qui devient une des plus importantes installations américaines sur sol étranger, un des aéroports le plus fréquenté au monde, mais aussi la deuxième ville la plus importante au Laos&nbsp;: une vraie micro-nation avec ses banques, ses écoles, les bureaux militaires et plusieurs autres services à l’occidentale. A l’apogée de son activité, Long Tien compte une population d’environ 300.000 habitant·es, dont 200.000 hmong.&nbsp;</p> <p><span style="font-size: 14pt; color: #ff615d;"><strong>L'exil des hmong</strong><br /></span></p> <p>Après le départ des français en 1954 à la fin de la guerre d'Indochine, puis des américains en 1975 après la guerre du Vietnam, les hmong, considéré·es comme des traîtres par le gouvernement, sont obligé·es de fuir vers la Thaïlande voisine en franchissant le Mékong, fleuve frontière, pour éviter l’extermination.</p> <p>Les hmong ont perdu 20.000 soldats dans le conflit aux côtés des américains&nbsp;; 50.000 civil·es ont été tué·es ou blessé·es et 120.000 ont dû quitter leur maison.<br />En Thaïlande, il·les sont alors regroupé·es dans des camps de réfugié·es où les conditions de vie sont assez rudes. Parmi les 54.000 réfugié·es laotien·nes, seulement 10.000 ne sont pas d’ethnie hmong. Non seulement la population craint persécutions et représailles, mais la guerre a détruit de grandes zones agricoles, avec bombardements ou défoliants chimiques. De plus, des milliers de hmong ont été habitués à compter sur les denrées lâchées par l’aviation américaine, sur les aides des centres sociaux, sur les revenus de soldat&nbsp;: sans ces moyens de subsistance, ils peuvent difficilement survivre dans leur pays.</p> <p>A partir de 1976, la France décide d'accueillir sur son territoire des hmong, car ces derniers ne peuvent rester en Thaïlande. Ils vivent aussi une forte émigration vers les États-Unis et la Guyane. En France métropolitaine, leur nombre est estimé alors à près&nbsp;de 20.000, dont une grande partie se retrouve dans la région de&nbsp;Paris, de&nbsp;Toulouse, de&nbsp;Chartres, de&nbsp;Rennes, d'Amboise, de&nbsp;Tours&nbsp;et de&nbsp;Nîmes.</p> <p><strong><span style="font-size: 14pt; color: #ff615d;">Aujourd'hui</span></strong></p> <p>Depuis les accords de Paris de 1973, les hmong ont subi des violations répétées de leurs droits fondamentaux au Laos mais aussi au Vietnam. La communauté hmong n’est pas intégrée à la société laotienne et subit au quotidien de très nombreuses discriminations attribuables d’une part à leur appartenance ethnique et d’autre part à leurs convictions politiques. On peut notamment retenir le manque d’accès au système d’éducation ou de santé.</p> <p>Entre la fin du conflit et les années 2000, la réaction internationale face à cette oppression abusive a été molle. Dans la grande majorité des cas, les conditions de vie de la population hmong est méconnue. Obligé·es de fuir puisque pourchassé·es, il·les sont contraint·es d’êtres nomades. Dans les campagnes du Laos, la moitié des enfants de moins de cinq ans ne reçoivent pas une alimentation suffisante, et cela est pire encore dans les régions plus isolées, comme dans les montagnes.<br />L’impossibilité d’action des organisations non gouvernementales et de l’ONU provient du fait que l’armée laotienne bloque le passage de la montagne Xieng Khuang. Les autorités communistes tentent de dissimuler la situation. L’accès étant impossible, presque aucun reportage n’a pu être réalisé afin de la dénoncer ouvertement et sur la scène internationale.<br />Toutefois, en 2003, Philip Blenkinsop a bravé les interdictions imposées par le gouvernement laotien pour partir à la rencontre des dernieres résistantes hmong. Il a remporté en 2004 le World Press avec son reportage intitulé « La guerre secrète au Laos » (<em>lire aussi les (Ré)créations)</em>.</p> <p>Depuis le début des années 2000, plusieurs organisations internationales ont rédigé des rapports dénonçant la situation des minorités au Laos mais à chaque fois qu’une institution internationale demande des explications au gouvernement, celui-ci accuse ces institutions de vouloir interférer dans ses affaires internes.&nbsp;<br />En 2005, en France, la polémique autour des conditions de vie de cette population qui a combattu aux côtés des français pendant des années s’intensifie et plusieurs personnalités politiques accusent le gouvernement de ne pas réagir.<br />Malgré le dialogue ponctuel et de long terme que la France entretient avec le Laos, notamment grâce au député du Cher Yves Fromion<span style="font-size: 8pt;"> (3)</span>, la situation évolue avec difficulté.</p> <p>En juillet 2018, dans une déclaration devant le Comité International des Droits de l’Homme, la Fédération Internationale des Ligues des Droits de l’Homme (FIDH) a dénoncé encore une fois le non-respect par le Laos de ses obligations internationales. En effet, le pays est non seulement accusé de ne pas respecter la liberté d’opinion et d’expression, mais également de réprimer systématiquement la dissidence.<br />L’évaluation des Nations Unies sur l’état des droits de l’Homme au Laos en juillet 2018 a aussi mis en lumière la violation quasi-systématique des droits civils et politiques de toute personne ne suivant pas les lignes communistes du gouvernement. Ce rapport a témoigné de l’ambiance répressive du pays.</p> <p><br /><span style="font-size: 8pt;">(1) L'histoire mouvementée de ce peuple s'explique en partie par sa culture clanique. Un clan est composé de la descendance masculine d'un ancêtre célèbre. Les mariages ne sont autorisés qu'entre certains clans. Les douze premiers clans sont Yang, Xiong, Vu, Vang, Thao, Moua, Lo, Ly, Hang, Her, Tcha et Khang. Aujourd'hui, il existe vingt et un clans. La revendication de sa propre autonomie par chaque chef de clan entraîne des choix politiques différents. Par exemple, la France avait distingué MOUA Yong Kai au XIXe siècle et LY Foung&nbsp;; en 1945, LO Faydang se relia au Japon, puis au Viet Minh et au Pathet Lao. La collaboration du clan LO avec le gouvernement permet aujourd'hui à celui-ci de prétendre qu'il ne persécute pas les hmong, alors que LY Foung est mort en camp de déportation et MOUA Toua Ther a subi les bombardements chimiques de l'aviation communiste.</span><br /><span style="font-size: 8pt;">(2) Les&nbsp;guerres de l’opium sont des conflits motivés par des raisons commerciales : la&nbsp;Chine&nbsp;de la&nbsp;dynastie Qing voulait interdire le commerce de l’opium produit par les pays occidentaux dans leur colonies au&nbsp;XIXe&nbsp;siècle. Pendant la&nbsp;guerre d'Indochine&nbsp;au Laos, et pendant la&nbsp;guerre du Vietnam&nbsp;dans le contexte de la Guerre Froide&nbsp;qui, ici, était «&nbsp;chaude&nbsp;» et particulièrement sanglante, la&nbsp;CIA&nbsp;et les&nbsp;États-Unis utilisèrent les hmong comme supplétifs, leur fournirent de l'armement et achetèrent à leur tour leur production d'opium. De ce fait, les hmong engagées dans ce conflit du côté occidental étaient promis à une mort certaine par les&nbsp;combattants communistes&nbsp;en tant que collaborteur·ices des envahisseurs impérialistes. Source : wikipedia «&nbsp;Hmong&nbsp;» et «&nbsp;Guerres de l’opium&nbsp;».</span><br /><span style="font-size: 8pt;">(3) <a href="https://www.senat.fr/questions/base/2005/qSEQ051220846.html">https://www.senat.fr/questions/base/2005/qSEQ051220846.html</a></span></p> <p>&nbsp;</p> <div class="panel panel-primary"> <div class="panel-heading"> <h3 class="panel-title">Sources</h3> </div> <ul> <li>Wikipedia (Laos, Hmong, Guerre civile Laos en français et italien)</li> <li>«&nbsp;L’esodo dall’Indocina&nbsp;», <a href="https://www.unhcr.org/pubs/sowr2000/italian/ch04.pdf">https://www.unhcr.org/pubs/sowr2000/italian/ch04.pdf</a></li> <li><a href="https://www.ilgiornale.it/news/hmong-popolo-esuli-fuggiti-dallindocina-rossa-1866882.html">https://www.ilgiornale.it/news/hmong-popolo-esuli-fuggiti-dallindocina-rossa-1866882.html</a></li> <li><a href="https://redtac.org/asiedusudest/2014/11/12/le-triste-destin-des-hmong-au-laos/">https://redtac.org/asiedusudest/2014/11/12/le-triste-destin-des-hmong-au-laos/</a></li> <li><a href="https://www.lawworld.fr/la-situation-du-peuple-hmong-au-laos/">https://www.lawworld.fr/la-situation-du-peuple-hmong-au-laos/</a></li> </ul> </div> Richard Thor : de l’exil au festival hmong à Aubigny 2017-03-21T13:37:42+01:00 2017-03-21T13:37:42+01:00 http://www.rebonds.net/44francoissappelaitkao/672-richardthordelexilaufestivalhmongaaubigny Super User <p><strong><strong>La collecte de témoignages est indispensable pour nourrir les recherches d’une compagnie pendant une résidence de création. Avec des comédiennes de la Compagnie Poupées Russes <em>(lire aussi la rubrique (Ré)acteurs</em>), Chiara Scordato et Danilo Proietti ont rencontré Richard Thor, conseiller municipal de la ville d'Aubigny-sur-Nère et président de l'association hmong d'Aubigny-sur-Nère et de l'Union des associations hmong de France. Il témoigne de son exil.</strong></strong></p> <p>&nbsp;</p> <p>Richard Thor nous accueille dans sa maison (un bâtiment ayant appartenu à EDF) qu'il partage avec son frère, chacun habitant un étage différent. L'immense salon, avec ses grandes fenêtres, fait penser à une école. Les murs sont tapissés de photos encadrées&nbsp;: des figures politiques hmong et thaïlandaises&nbsp;; Yves Fromion (ancien maire d'Aubigny et député), Laurence Renier (actuelle maire), et le conseil municipal actuel&nbsp;; Richard Thor avec son épouse et ses enfants. En plus des photos, de nombreux et gigantesques éventails thaïlandais, des chapeaux et objets de la culture hmong, avec leur couleurs foisonnantes, décorent le grand espace.</p> <p>Richard commence à raconter. Quand les américains ont perdu la guerre (<em>lire aussi la rubrique (Re)visiter</em>), les hmong ont été perçu·es comme des ennemi·es dans leur propre pays. Son père avait combattu dans l'artillerie américaine, ce qui l’obligeait à s’exiler&nbsp;: en effet, il aurait été l’un des premiers visés par le nouveau gouvernement communiste. Les oncles de Richard ont décidé de rester, notamment pour des raisons de santé.<br />Quand Richard a quitté le Laos, il avait 14 ans&nbsp;: il était le plus jeune de sa famille&nbsp;; trop petit pour travailler la terre, il avait été envoyé dès l'âge de 8 ans en ville pour fréquenter l'école et il ne rentrait à la maison qu'une fois par an, car la distance entre son village et la ville était trop grande.</p> <p><span style="font-size: 14pt; color: #ff615d;"><strong>Du camp de réfugié·es à la France</strong><br /></span></p> <p>En mars 1975, la décision de partir a été prise très rapidement. Peu d’effets personnels&nbsp;: un sac de riz et quelques vêtements. Le groupe avec lequel est parti Richard comptait une quarantaine de personnes. Le voyage dans la jungle a duré quatre mois. Il·les marchaient sans arrêt, pieds nus, avec la peur au ventre de croiser des milices.<br />Destination les camps de réfugié·es de la Thaïlande. Pour trouver la route, il·les étaient obligé·es de payer un passeur. Une fois arrivé·es à la frontière, tous les biens étaient confisqués. Richard se rappelle encore qu'il a dû se séparer d'une ceinture américaine achetée lorsqu’il allait à l’école en ville, en échange d'un poulet. Son père a marché les derniers kilomètres sur les genoux, tellement ses pieds lui faisaient mal.<br />Arrivé dans le camp, le groupe s'est dispersé. Richard reverra nombre d'entre eux seulement 30 ans plus tard, lors d'un voyage en Thaïlande. Pour sa famille, la situation n'était pas facile&nbsp;: il·les vivaient à six ou sept dans 15 m2. L'abri était improvisé avec du bois de la forêt. Dans le camp, il y avait une école que Richard fréquentait, mais ses frères et sœurs s'ennuyaient. Les rations de nourriture de l'aide internationale n'étaient pas suffisantes pour résister dans ces conditions&nbsp;: 1 kg de riz et 500 g de viande par jour pour sept personnes. Au bout de six mois, en mars 1977, ils décidèrent de quitter la Thaïlande.</p> <p><strong><span style="font-size: 14pt; color: #ff615d;">« Qu'est-ce qu'on fait là ? »</span></strong></p> <p>C'est Jacques Lemoine <span style="font-size: 8pt;">(1)</span> qui a aidé Richard et sa famille à venir en France.<br />Un avion les a amené·es à Paris. L’aéroport était un lieu étrange pour eux·les, beaucoup de personnes couraient dans tous les sens. Les volontaires de la Croix Rouge les ont accueilli·es et amené·es dans un bâtiment où ils ont passé leur première nuit en France. Une question les assaillait alors&nbsp;: <em>« Mais qu'est-ce qu'on fait là&nbsp;?&nbsp;»...</em><br />Richard est arrivé à Aubigny-sur-Nère en 1978. A 19 ans, il s'est marié avec Sandrine, une copine d'enfance perdue de vue, puis incroyablement retrouvée en France. Il s'est formé comme tourneur et a trouvé un poste dans l'entreprise Berthelot où il travaille encore et ce, depuis plus de 30 ans.<br />Son père, quant à lui, ne s’est jamais remis de l'expérience de l'exil. Tombé malade, il dût partir à Montpellier quatre mois pour se faire soigner. Les visites furent difficiles et le sentiment d'isolement mêlé aux problèmes de santé fut une nouvelle épreuve pour lui. Il décéda d'une septicémie causée par une appendicite.</p> <p style="text-align: center;">&nbsp;</p> <p style="text-align: center;"><iframe src="https://video.ploud.fr/videos/embed/db153812-565f-4318-9736-3f3849d0bd57" width="560" height="315" sandbox="allow-same-origin allow-scripts allow-popups" allowfullscreen="" frameborder="0"></iframe></p> <p>&nbsp;</p> <p><strong><span style="font-size: 14pt; color: #ff615d;">Favoriser les relations franco-hmong</span></strong></p> <p>En 1986, est née la première association hmong d'Aubigny-sur-Nère&nbsp;: Richard faisait partie des jeunes hmong qui souhaitaient s'investir dans la vie associative. <em>«&nbsp;Après tout ce que nous avions traversé, nous étions un peu perdus, nous avions besoin d'un espace pour nous retrouver&nbsp;»,</em> explique-t-il. Le but était donc de se retrouver entre hmong, de mieux apprendre le français avec les plus expérimenté·es mais aussi de ne pas oublier ses propres origines.</p> <p>En 2008, Yves Fromion, alors maire d'Aubigny-sur-Nère, a proposé à Richard d'entrer dans le conseil municipal. A l'époque, il y avait une communauté hmong de plus de 300 personnes à Aubigny. Pour Yves Fromion, il était évident qu' il·les soient représenté·es au sein du conseil. Richard a accepté, notamment pour favoriser les relations franco-hmong. A partir de cette année-là, fêter le nouvel an hmong est devenu une tradition ouverte aux français·es. <br />Quelques années plus tard, en 2010, s'est également constituée l'Union des associations hmong de France, dont Richard Thor a été le président pour deux mandats consécutifs. Le but de l'Union est d’organiser des moments de rencontre de toute la communauté hmong en France. Aubigny, avec sa position centrale, est le lieu idéal pour les recevoir.</p> <p>Le festival hmong a été créé en 2015, pour marquer les 40 ans de l'arrivée des hmong en France. Depuis, ce festival a lieu chaque année. <em>«&nbsp;Sauf en 2020, à cause de la crise sanitaire, et en 2018, pour faire une petite pause et éviter l'essoufflement des bénévoles qui l'organisent et qui viennent depuis les quatre coins de France&nbsp;»</em>, précise Richard. Toutes les générations s’y côtoient&nbsp;: pour les jeunes comme pour les plus âgé·es, c'est un moment convivial unique et de partage avec tous·tes, hmong et français·es réuni·es.</p> <p><strong><span style="font-size: 14pt; color: #ff615d;">Un travail de mémoire</span></strong></p> <p>Malgré l’énorme changement de vie et de culture, Richard Thor ne regrette pas d'avoir quitté le Laos. Il s'estime heureux d'être parti et d'avoir connu les pays occidentaux. Il est très reconnaissant envers la France et les français. Il a travaillé dur pour assurer à ses enfants un avenir meilleur, surtout pour leur permettre de faire des études. Il·les ont pu voyager aussi aux États-Unis, chez des membres de sa famille. Richard s'est complètement intégré dans son pays d'accueil, il est aussi engagé dans la politique locale, avec un travail de mémoire pour que la communauté hmong reste vivante. Son mandat à l'Union se termine en 2022 et il ne souhaite pas le renouveler, mais il sait que d'autres prendront certainement la relève.</p> <p><strong>Texte&nbsp;: Chiara Scordato</strong><br /><strong>Vidéo : Danilo Proietti</strong></p> <p><br /><span style="font-size: 8pt;">(1) Jacques Lemoine est docteur en ethnologie, spécialiste des populations taïes et miao-yao de la Chine du Sud, du Vietnam, du Laos et de la Thaïlande, et des courants rédemptoristes du Taoïsme méridional (Meishan, Lüshan) chez les Han et les divers peuples non han de la Chine méridionale. Chercheur retraité du CNRS, il fut fondateur et directeur du Centre d'Anthropologie de la Chine du Sud et de la Péninsule Indochinoise. Il a commencé ses recherches sur les hmong en 1960 dans la province de Xieng Khouang au Laos. Il a publié plusieurs ouvrages sur les hmong dont «&nbsp;Parlons (h)mong - langue et culture&nbsp;» (édition L'Harmattan) : <a href="https://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=catalogue&amp;obj=livre&amp;no=41337">https://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=catalogue&amp;obj=livre&amp;no=41337</a><br /></span></p> <p><strong><strong>La collecte de témoignages est indispensable pour nourrir les recherches d’une compagnie pendant une résidence de création. Avec des comédiennes de la Compagnie Poupées Russes <em>(lire aussi la rubrique (Ré)acteurs</em>), Chiara Scordato et Danilo Proietti ont rencontré Richard Thor, conseiller municipal de la ville d'Aubigny-sur-Nère et président de l'association hmong d'Aubigny-sur-Nère et de l'Union des associations hmong de France. Il témoigne de son exil.</strong></strong></p> <p>&nbsp;</p> <p>Richard Thor nous accueille dans sa maison (un bâtiment ayant appartenu à EDF) qu'il partage avec son frère, chacun habitant un étage différent. L'immense salon, avec ses grandes fenêtres, fait penser à une école. Les murs sont tapissés de photos encadrées&nbsp;: des figures politiques hmong et thaïlandaises&nbsp;; Yves Fromion (ancien maire d'Aubigny et député), Laurence Renier (actuelle maire), et le conseil municipal actuel&nbsp;; Richard Thor avec son épouse et ses enfants. En plus des photos, de nombreux et gigantesques éventails thaïlandais, des chapeaux et objets de la culture hmong, avec leur couleurs foisonnantes, décorent le grand espace.</p> <p>Richard commence à raconter. Quand les américains ont perdu la guerre (<em>lire aussi la rubrique (Re)visiter</em>), les hmong ont été perçu·es comme des ennemi·es dans leur propre pays. Son père avait combattu dans l'artillerie américaine, ce qui l’obligeait à s’exiler&nbsp;: en effet, il aurait été l’un des premiers visés par le nouveau gouvernement communiste. Les oncles de Richard ont décidé de rester, notamment pour des raisons de santé.<br />Quand Richard a quitté le Laos, il avait 14 ans&nbsp;: il était le plus jeune de sa famille&nbsp;; trop petit pour travailler la terre, il avait été envoyé dès l'âge de 8 ans en ville pour fréquenter l'école et il ne rentrait à la maison qu'une fois par an, car la distance entre son village et la ville était trop grande.</p> <p><span style="font-size: 14pt; color: #ff615d;"><strong>Du camp de réfugié·es à la France</strong><br /></span></p> <p>En mars 1975, la décision de partir a été prise très rapidement. Peu d’effets personnels&nbsp;: un sac de riz et quelques vêtements. Le groupe avec lequel est parti Richard comptait une quarantaine de personnes. Le voyage dans la jungle a duré quatre mois. Il·les marchaient sans arrêt, pieds nus, avec la peur au ventre de croiser des milices.<br />Destination les camps de réfugié·es de la Thaïlande. Pour trouver la route, il·les étaient obligé·es de payer un passeur. Une fois arrivé·es à la frontière, tous les biens étaient confisqués. Richard se rappelle encore qu'il a dû se séparer d'une ceinture américaine achetée lorsqu’il allait à l’école en ville, en échange d'un poulet. Son père a marché les derniers kilomètres sur les genoux, tellement ses pieds lui faisaient mal.<br />Arrivé dans le camp, le groupe s'est dispersé. Richard reverra nombre d'entre eux seulement 30 ans plus tard, lors d'un voyage en Thaïlande. Pour sa famille, la situation n'était pas facile&nbsp;: il·les vivaient à six ou sept dans 15 m2. L'abri était improvisé avec du bois de la forêt. Dans le camp, il y avait une école que Richard fréquentait, mais ses frères et sœurs s'ennuyaient. Les rations de nourriture de l'aide internationale n'étaient pas suffisantes pour résister dans ces conditions&nbsp;: 1 kg de riz et 500 g de viande par jour pour sept personnes. Au bout de six mois, en mars 1977, ils décidèrent de quitter la Thaïlande.</p> <p><strong><span style="font-size: 14pt; color: #ff615d;">« Qu'est-ce qu'on fait là ? »</span></strong></p> <p>C'est Jacques Lemoine <span style="font-size: 8pt;">(1)</span> qui a aidé Richard et sa famille à venir en France.<br />Un avion les a amené·es à Paris. L’aéroport était un lieu étrange pour eux·les, beaucoup de personnes couraient dans tous les sens. Les volontaires de la Croix Rouge les ont accueilli·es et amené·es dans un bâtiment où ils ont passé leur première nuit en France. Une question les assaillait alors&nbsp;: <em>« Mais qu'est-ce qu'on fait là&nbsp;?&nbsp;»...</em><br />Richard est arrivé à Aubigny-sur-Nère en 1978. A 19 ans, il s'est marié avec Sandrine, une copine d'enfance perdue de vue, puis incroyablement retrouvée en France. Il s'est formé comme tourneur et a trouvé un poste dans l'entreprise Berthelot où il travaille encore et ce, depuis plus de 30 ans.<br />Son père, quant à lui, ne s’est jamais remis de l'expérience de l'exil. Tombé malade, il dût partir à Montpellier quatre mois pour se faire soigner. Les visites furent difficiles et le sentiment d'isolement mêlé aux problèmes de santé fut une nouvelle épreuve pour lui. Il décéda d'une septicémie causée par une appendicite.</p> <p style="text-align: center;">&nbsp;</p> <p style="text-align: center;"><iframe src="https://video.ploud.fr/videos/embed/db153812-565f-4318-9736-3f3849d0bd57" width="560" height="315" sandbox="allow-same-origin allow-scripts allow-popups" allowfullscreen="" frameborder="0"></iframe></p> <p>&nbsp;</p> <p><strong><span style="font-size: 14pt; color: #ff615d;">Favoriser les relations franco-hmong</span></strong></p> <p>En 1986, est née la première association hmong d'Aubigny-sur-Nère&nbsp;: Richard faisait partie des jeunes hmong qui souhaitaient s'investir dans la vie associative. <em>«&nbsp;Après tout ce que nous avions traversé, nous étions un peu perdus, nous avions besoin d'un espace pour nous retrouver&nbsp;»,</em> explique-t-il. Le but était donc de se retrouver entre hmong, de mieux apprendre le français avec les plus expérimenté·es mais aussi de ne pas oublier ses propres origines.</p> <p>En 2008, Yves Fromion, alors maire d'Aubigny-sur-Nère, a proposé à Richard d'entrer dans le conseil municipal. A l'époque, il y avait une communauté hmong de plus de 300 personnes à Aubigny. Pour Yves Fromion, il était évident qu' il·les soient représenté·es au sein du conseil. Richard a accepté, notamment pour favoriser les relations franco-hmong. A partir de cette année-là, fêter le nouvel an hmong est devenu une tradition ouverte aux français·es. <br />Quelques années plus tard, en 2010, s'est également constituée l'Union des associations hmong de France, dont Richard Thor a été le président pour deux mandats consécutifs. Le but de l'Union est d’organiser des moments de rencontre de toute la communauté hmong en France. Aubigny, avec sa position centrale, est le lieu idéal pour les recevoir.</p> <p>Le festival hmong a été créé en 2015, pour marquer les 40 ans de l'arrivée des hmong en France. Depuis, ce festival a lieu chaque année. <em>«&nbsp;Sauf en 2020, à cause de la crise sanitaire, et en 2018, pour faire une petite pause et éviter l'essoufflement des bénévoles qui l'organisent et qui viennent depuis les quatre coins de France&nbsp;»</em>, précise Richard. Toutes les générations s’y côtoient&nbsp;: pour les jeunes comme pour les plus âgé·es, c'est un moment convivial unique et de partage avec tous·tes, hmong et français·es réuni·es.</p> <p><strong><span style="font-size: 14pt; color: #ff615d;">Un travail de mémoire</span></strong></p> <p>Malgré l’énorme changement de vie et de culture, Richard Thor ne regrette pas d'avoir quitté le Laos. Il s'estime heureux d'être parti et d'avoir connu les pays occidentaux. Il est très reconnaissant envers la France et les français. Il a travaillé dur pour assurer à ses enfants un avenir meilleur, surtout pour leur permettre de faire des études. Il·les ont pu voyager aussi aux États-Unis, chez des membres de sa famille. Richard s'est complètement intégré dans son pays d'accueil, il est aussi engagé dans la politique locale, avec un travail de mémoire pour que la communauté hmong reste vivante. Son mandat à l'Union se termine en 2022 et il ne souhaite pas le renouveler, mais il sait que d'autres prendront certainement la relève.</p> <p><strong>Texte&nbsp;: Chiara Scordato</strong><br /><strong>Vidéo : Danilo Proietti</strong></p> <p><br /><span style="font-size: 8pt;">(1) Jacques Lemoine est docteur en ethnologie, spécialiste des populations taïes et miao-yao de la Chine du Sud, du Vietnam, du Laos et de la Thaïlande, et des courants rédemptoristes du Taoïsme méridional (Meishan, Lüshan) chez les Han et les divers peuples non han de la Chine méridionale. Chercheur retraité du CNRS, il fut fondateur et directeur du Centre d'Anthropologie de la Chine du Sud et de la Péninsule Indochinoise. Il a commencé ses recherches sur les hmong en 1960 dans la province de Xieng Khouang au Laos. Il a publié plusieurs ouvrages sur les hmong dont «&nbsp;Parlons (h)mong - langue et culture&nbsp;» (édition L'Harmattan) : <a href="https://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=catalogue&amp;obj=livre&amp;no=41337">https://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=catalogue&amp;obj=livre&amp;no=41337</a><br /></span></p> François s’appelait Kao 2017-03-21T12:54:42+01:00 2017-03-21T12:54:42+01:00 http://www.rebonds.net/44francoissappelaitkao/676-francoissappelaitkao Super User <p style="text-align: right;"><strong><em>Hmong veut dire «&nbsp;homme libre&nbsp;».</em></strong></p> <p style="text-align: center;">&nbsp;</p> <p style="text-align: center;"><iframe src="https://video.ploud.fr/videos/embed/423308d5-3084-4362-a83a-aecefe40ff3d" width="560" height="315" sandbox="allow-same-origin allow-scripts allow-popups" allowfullscreen="" frameborder="0"></iframe></p> <p><strong><span style="font-size: 8pt;"><em></em></span><span style="color: #ff615d;"><span style="font-size: 14pt;">M</span>ercredi 23 octobre 2020 – 14 h – Château des Stuarts à Aubigny-sur-Nère</span></strong></p> <p>Dans la ville franco-écossaise <span style="font-size: 8pt;">(1)</span> aujourd'hui, la météo penche décidément vers l’Écosse&nbsp;: nuages, vent, soleil, pluie... un temps incertain.</p> <p>Danilo et moi, Chiara, sommes venu·es suivre la nouvelle résidence de la compagnie Poupées Russes <span style="font-size: 8pt;">(2)</span>. Un temps de travail, de recherche et de pratique théâtrale autour de l’histoire des hmong en France, des raisons de leur départ du Laos en 1975 jusqu’à la réappropriation culturelle actuelle par les générations nées en France dans les années 2000 (<em>lire aussi la rubrique (Re)visiter)</em>.<br />Dans le cadre de cette résidence, la compagnie a organisé un stage durant cinq jours à Aubigny-sur-Nère. La communauté hmong y est en effet très présente. Six adolescent·es ont répondu positivement à l'appel&nbsp;: Teddy, Mattew, Mathilde, Emmy-Line, Nathan et Timéo.</p> <p>Les comédiennes, Caroline, Lucie et Salomé, leur annoncent&nbsp;: <em>«&nbsp;Nous allons créer un spectacle&nbsp;»</em>. Comment&nbsp;? En collectant des témoignages, en lisant des ouvrages et grâce à la pratique théâtrale, la création d'histoires… Autant d’éléments qui nourriront la recherche de la compagnie.<br />Pourquoi les jeunes participent-il·les à ce stage&nbsp;? L’un, un peu forcé par sa mère, s'est finalement dit&nbsp;que ça pourrait <em>«&nbsp;être intéressant&nbsp;»</em>. D’autres ont voulu faire une <em>«&nbsp;expérience&nbsp;».</em> Certain·es ont déjà fait de la danse et du chant, et participent régulièrement au Festival hmong <span style="font-size: 8pt;">(3).</span> Timéo, 10 ans, est le plus jeune du groupe mais le plus expérimenté&nbsp;: il a déjà pratiqué le théâtre avec la compagnie, dans sa classe, en 2019, sur le thème des émotions.</p> <p>Danilo et moi nous sommes présenté·es au petit comité et avons préparé notre matériel&nbsp;: des caméras pour Danilo&nbsp;; un cahier et un stylo pour prendre des notes pour moi, les yeux grands ouverts derrière mon masque pour observer les participant·es.</p> <p>.</p> <p><a href="http://www.rebonds.net/images/HMONG_1/résidence_1.jpeg" class="jcepopup" data-mediabox="1" data-mediabox-title="Les comédiennes, Danilo Proietti et Chiara Scordato, avec les adolescent.es participant à la résidence (photo : Jean Achard)."><img src="http://www.rebonds.net/images/HMONG_1/résidence_1.jpeg" alt="c1e0069e19f5f69dfac732fdd07c38" width="610" height="610" style="display: block; margin-left: auto; margin-right: auto;" /></a><em></em></p> <p><strong><span style="color: #fc615d;">_____________________________________</span></strong></p> <h3>Une histoire de ressenti</h3> <p><span style="font-size: 12pt; color: #ff615d;"><strong>_____________________________</strong></span><span style="font-family: georgia, palatino;"><span style="color: #fc615d;"><br /></span></span></p> <p>Les comédiennes proposent d’abord des exercices pour s'approprier l'espace. Les jeunes déambulent, certain·es avec une allure déterminée, d'autres plus hésitante. Grâce à un fil imaginaire qui les relie, il·les sont invité·es à prêter attention à eux·les-mêmes et aux autres. Il·les observent les gestes de leurs partenaires et les répètent en les amplifiant, puis en les accélérant dans un jeu de miroir. Sont travaillés également l'ancrage au sol et l'intention.<br />Presque tout le monde est en tenue sportive, baskets et sweat tiré vers le bas. Le petit sourire entre potes laisse rapidement place à une grande concentration.<br /><em>«&nbsp;Qu'est-ce qu'on ressent quand on fait un exercice ? C'est une histoire de ressenti, plus que de réflexion,</em> souligne Lucie. <em>Le public – et l'acteur – va sentir la vérité de l'action, au-delà des mots employés. Le théâtre, c’est d’abord des personnes qui se connectent, et seulement après, des mots&nbsp;».</em></p> <p>Jusque-là, on aurait pu se croire à une séance de cours de théâtre amateur, comme celui que la compagnie propose tout au long de l'année, pour enfants, adolescent·es et adultes.<br />Durant la résidence, les comédiennes auront l’occasion de recueillir le témoignage d’adultes hmong <em>(lire aussi la rubrique (Re)découvrir)</em>. A la pause, je les interroge&nbsp;: vont-elles inclure des éléments de ces témoignages dans le travail des enfants&nbsp;? Pour l’instant, elles préfèrent suivre ces deux chemins en parallèle. Certes, la transmission intergénérationnelle est cruciale dans leur travail, mais ce n'est pas encore le moment.</p> <p><strong><span style="color: #fc615d;">______________________________________________</span></strong></p> <h3>On joue, on cherche, on joue...</h3> <p><span style="font-size: 12pt; color: #ff615d;"><strong>____________________________________</strong></span><span style="font-family: georgia, palatino;"><span style="color: #fc615d;"><br /></span></span></p> <p style="text-align: left;"><em></em>Reprise de la séance avec une grande envie de jouer.<br />Et là, la magie opère une première fois : il·les créent collectivement une histoire. Chacun·e ajoute une phrase à celle des autres.<br /><em>«&nbsp;Il était une fois un petit lapin, qui courait après une petite boule de feu. Le lapin suit la boule de feu jusqu'en haut d'une montagne. Une fois ici, il l'attrape, mais il se brûle. Le petit lapin court près de la rivière pour se soulager, mais l'esprit de la rivière lui dit&nbsp;: «&nbsp;Ce n'est pas pour les lapins ici&nbsp;!&nbsp;» Le lapin s'approche alors de la forêt et rencontre un arbre. L'esprit de l'arbre lui propose de le soigner avec ses feuilles. Le lapin est sauvé mais il est très en colère après la rivière&nbsp;: il décide donc de lancer une boule de feu dans son lit pour l’assécher.&nbsp;»</em></p> <p style="text-align: center;">&nbsp;</p> <p style="text-align: center;"><iframe src="https://video.ploud.fr/videos/embed/8623e1d6-4247-488c-be84-dbe91d1cbcff" width="560" height="315" sandbox="allow-same-origin allow-scripts allow-popups" allowfullscreen="" frameborder="0"></iframe></p> <p>&nbsp;</p> <p style="text-align: left;">Maintenant, il faut mettre en scène.<br /><em>«&nbsp;Et si on commençait notre histoire par la fin&nbsp;? La rivière est asséchée et des gens souffrent à cause de ça… »</em>, propose Lucie. Chacun·e cherche son rôle dans cette scène. La mise en scène est créée de manière chorale. Certes, les comédiennes de la compagnie sont plus disertes, mais tout le monde amène des idées. Une difficulté pour trouver le personnage&nbsp;? On n’hésite pas à s’interrompre et revenir à un exercice pour «&nbsp;sentir&nbsp;» de nouveau, profondément et véritablement ce que signifie être une boule de feu, un lapin, de l'eau, etc. On s'éloigne de la narration et on y revient&nbsp;; on joue&nbsp;; on cherche à être des lapins qui attrapent des boules de feu&nbsp;; on joue&nbsp;; on cherche la sensation de fuir, de se faire mal, de se soigner&nbsp;; on joue....<br />Grâce à Salomé, qui est la maîtresse du son, la musique est toujours présente. Elle contribue à immerger les participant·es dans leurs sensations avec justesse.<br />La magie opère une seconde fois : en une heure, un petit spectacle est déjà né.</p> <p>Mais vite&nbsp;! Il est 17 h&nbsp;30&nbsp;: c'est le moment d'aller voir le documentaire&nbsp;!</p> <p><strong><span style="color: #fc615d;">____________________________________________________</span></strong></p> <h3>Un bout de terre pour s’enraciner</h3> <p><span style="font-size: 12pt; color: #ff615d;"><strong>________________________________________</strong></span></p> <p><span style="color: #ff615d;"><strong>Mercredi 23 octobre 2020 – 18 h 30 – Atomic Cinéma à Aubigny-sur-Nère</strong></span><span style="font-size: 12pt; color: #ff615d;"></span></p> <p>En France, les communautés hmong sont concentrées sur différents territoires, en fonction de la répartition des aides de l’État qui leur ont été destinées dans les années 1970&nbsp;: la Bretagne, le Centre, Nîmes, La Guyane, etc. Le film documentaire «&nbsp;Bienvenue Mister Chang&nbsp;», réalisé par Laëtitia Gaudin Le Puil et Anne Jochum, raconte l'histoire de l’exil hmong dans un village breton, Lavénégen. Les hmong y représentaient un quart de la population&nbsp;: à l’époque, leur arrivée dans ce village, qui subissait déjà un fort exode rural, a été considérée comme une vraie chance. De son côté, le peuple hmong était extrêmement reconnaissant envers la France et les français&nbsp;: il était accueilli chaleureusement&nbsp;; dans les villages, les gens se mobilisaient pour qu’il·les aient tout le nécessaire pour démarrer une nouvelle vie.<span style="font-size: 12pt; color: #ff615d;"> </span></p> <p><a href="http://www.rebonds.net/images/HMONG_1/bienvenue_mister_chang_r450-58e97.jpg" class="jcepopup" data-mediabox="1" data-mediabox-title="L'affiche du film."><img src="http://www.rebonds.net/images/HMONG_1/bienvenue_mister_chang_r450-58e97.jpg" alt="c1e0069e19f5f69dfac732fdd07c38" width="450" height="534" style="display: block; margin-left: auto; margin-right: auto;" /></a></p> <p>&nbsp;</p> <p>Deux éléments de ce beau documentaire me frappent en particulier.<br />Le premier&nbsp;: pour beaucoup de ces individus, forcés à quitter leur pays, avoir un petit bout de terre à cultiver était très important. Leur potager est devenu un petit Laos. Le travail de la terre, une des activités les plus pratiquées par cette population au pays, permettait ici de créer un refuge avec des plantes leur rappelant leurs origines. Une manière de s'enraciner en France, une façon de communiquer sans mots.<span style="font-size: 12pt; color: #ff615d;"></span></p> <p>Justement, les mots. La seconde chose qui me touche concerne la transmission de la langue hmong&nbsp;: les plus ancien·nes parlent hmong et ont eu beaucoup de difficulté à apprendre le français&nbsp;; la première génération d'enfants né·es en France a appris le français à l'école et ne parle pas le hmong.<br />Les ancien·nes parlent donc hmong, les jeunes leur répondent en français&nbsp;: il·les ne partagent pas la même langue tout en vivant sous le même toit. Bien sûr, il·les se comprennent, mais pour parler de choses profondes, c'est plus compliqué. Cette rupture dans la transmission de la langue a une autre conséquence : tout le monde décide de changer de nom et prend un nom français, d'où le choix de la compagnie des Poupées Russes pour sa nouvelle création&nbsp;: «&nbsp;François s’appelait Kao&nbsp;». Concernant ces deux prénoms, un jeune dans le film explique&nbsp;: <em>« Je ne suis ni l'un, ni l'autre, je suis l'un et l'autre&nbsp;»</em>.</p> <p><strong><span style="color: #fc615d;">_________________________________________</span></strong></p> <h3>Effacer sa propre culture&nbsp;?</h3> <p><span style="font-size: 12pt; color: #ff615d;"><strong>________________________________</strong></span></p> <p>Pendant le court échange avec le public après la projection, Lucie prend la parole. Pour elle, qui est née et a grandi à Aubigny, sa ville était un peu comme Lavénégen&nbsp;: les hmong faisaient partie du paysage comme les français, et elle pensait que c'était ainsi dans le reste du monde. Ayant connu l’histoire de cette population de près, elle s’intéresse aujourd’hui à la manière dont la transmission intergénérationnelle s'opère au sein de cette communauté. Dans le film, le thème de la transmission est centrale. On observe que les jeunes générations commencent à s’intéresser à l'histoire de leurs parents une fois que la transmission devient une question primordiale dans leurs vies, c'est-à-dire une fois qu'elles ont elles-mêmes des enfants.</p> <p>Je rentre à la maison en me posant beaucoup de questions. Comment peut-on ne pas se parler, véritablement et profondément, entre père, mère et fils, filles&nbsp;? Qu'est-ce qui peut lever un tel mur dans la communication&nbsp;? Je suis moi aussi étrangère, mais j'ai toujours su que la langue maternelle se transmet assez facilement à ses enfants né·es dans un autre pays. La différence est que moi, je suis une émigrée économique européenne et pas du tout une personne qui a dû fuir son pays suite à des persécutions. Une expérience traumatique peut-elle pousser un peuple à effacer sa propre culture&nbsp;? Ou est-ce le fruit d'une autocensure&nbsp;?</p> <p>Et puis,&nbsp;je repense rétrospectivement à ma journée avec les jeunes hmong lors du stage.<br />Dans le film, nous sommes presque surpris·es de la façon dont les français accueillent les hmong en France en 1975, surtout si on la compare aux dispositions en vigueur aujourd'hui pour les demandeur·ses d'asile. Même dans un petit village de campagne, les enfants sont d'abord accueilli·es dans des classes spéciales pour appendre le français, puis intégré·es dans les classes mixtes avec les français.<br />La solidarité et l’envie de partage sont très fortes des deux côtés, y compris chez les institutionnels (même s'ils l'expriment de manière un peu maladroite). Aujourd'hui, racisme et harcèlement deviennent d’actualité pour les enfants hmong, alors qu'il·les n'ont jamais subi ce type de discriminations auparavant. Est-ce qu'un vrai accueil de ce peuple ne devrait-il pas prévoir aussi un cours d'histoire et culture hmong à l'école d'Aubigny&nbsp;?<br />Peut-être que les hmong se sentiraient alors plus légitimes à parler de leur culture, tellement différente, au sein de leur propre maison et à l’extérieur ?<br />Peut-être qu'on aurait de nouveau l’impression, comme Lucie quand elle avait 8 ans, qu'en tant qu'habitant·e d'un même territoire, on fait tous partie d'un même paysage.</p> <p>Hmong veut dire «&nbsp;homme libre&nbsp;».</p> <p><strong><span style="color: #fc615d;">__________________________________________________________________________</span></strong></p> <h3>«&nbsp;Je suis chez moi ou je ne suis pas chez moi&nbsp;?&nbsp;»</h3> <p><span style="font-size: 12pt; color: #ff615d;"><strong>__________________________________________________________</strong></span></p> <p><span style="color: #ff615d;"><strong>Vendredi 23 octobre 2020 – 14 h – Château des Stuarts à Aubigny-sur-Nère</strong></span></p> <p>Aujourd'hui, presque un temps estival. Le soleil pénètre par les grandes fenêtres de la majestueuse salle du château des Stuarts.</p> <p>Je découvre que les jeunes ont énormément avancé dans leur travail en seulement un jour et demi.<br />Du coup, je comprends les choses en retard et à moitié.</p> <p>La veille, ils ont fait des «&nbsp;sculptures de groupe&nbsp;» autour de certaines thématiques qu'il·les ont décidé d'aborder&nbsp;: le racisme, la famille, les retrouvailles. Chacun·e choisit un rôle et puis se fige dans une image, comme un tableau vivant qu'il·les prennent en photo. Il·les choisissent sur le portable de Lucie la sculpture qu'il·les préfèrent&nbsp;: il·les sont déjà en train de sélectionner les exercices qui feront l'objet de la restitution du dimanche. Beaucoup d'attention, des sourires en regardant les photos, une belle énergie les entoure. Le groupe semble bien soudé, plus du tout de timides&nbsp;: l'incertitude et les craintes du premier jour ont disparu. On entend bien leur voix, il·les ont envie de montrer leurs corps.</p> <p>Il·les se lancent dans une chorégraphie qu'il·les ont l'air de maîtriser à la perfection.<br />Je regarde les comédiennes avec une certaine surprise et je demande&nbsp;: <em>«&nbsp;que s'est-t-il passé en si peu de temps&nbsp;?&nbsp;»</em>. Elles auraient voulu dire que c'était le résultat d'un travail de plateau acharné, mais finalement, elles avouent&nbsp;: <em>« Hier pendant la pause, ils ont commencé à danser, on s'est dit tout de suite qu'il fallait ajouter ça à la restitution, c'est tellement leur monde&nbsp;!&nbsp;»</em><br />Pendant la pause, Timéo est occupé à fabriquer des avions en papier, probablement pour leur prochaine scène&nbsp;; il demande de l'aide. Je commence à essayer d'en fabriquer un, avec pas mal de difficultés (ça fait un bail !) et je pose quelques questions à Emmy-Line concernant ce qu'il·les ont fait la veille. Elle m'explique&nbsp;: suite à la vision du documentaire, il·les ont tou·tes retenu des phrases qui les avaient touché·es et à partir desquelles, il·les ont créé un dialogue.</p> <p style="text-align: center;"><em>«&nbsp;Oui mais chez moi, c'est où&nbsp;?</em><br /><em>Là-bas, je suis chez moi et je ne suis pas chez moi.</em><br /><em>Si je suis ici, je suis où&nbsp;?</em><br /><em>Je suis chez moi ou je suis pas chez moi&nbsp;?</em><br /><em>Ici on me dit que je ne suis pas chez moi, mais là-bas, je ne suis pas chez moi.</em><br /><em>Mais c'est où chez moi&nbsp;?</em><br /><em>Ça ne peut pas être entre les deux.</em><br /><em>Ma vie est là. J'ai grandi ici.</em><br /><em>Moi je parle pas le hmong.</em><br /><em>On célèbre le Mékong.</em><br /><em>C'est bizarre de célébrer un fleuve qui a tué autant de hmong.</em><br /><em>Le livre bleu, je l'ai lu.</em><br /><em>Non, vert.</em><br /><em>En fait, je ne sais pas lire le hmong.</em><br /><em>C'est ma mère qui m'a expliqué.</em><br /><em>C'est mon grand-père qui l'a écrit.</em><br /><em>Mon père esquive le sujet.</em><br /><em>On devrait apprendre toutes les langues à l'école.</em><br /><em>Il faut écouter les anciens.</em><br /><em>Je veux pas qu'on disparaisse.&nbsp;»</em></p> <p>La répétition reprend, chaque scène est travaillée en vue de la restitution. <br />La première est d'une puissance inouïe. Les jeunes viennent vers le public, sur les notes de cette musique du film « Goodbye Lenin&nbsp;!&nbsp;» <em>(4)</em> qui fait beaucoup pleurer. Mais ici, ce qui émeut, ce n'est plus la musique&nbsp;: les jeunes marchent au ralenti, à côté de chaises vides, envahissant l'espace du public, organisé selon les règles de la distance sociale, avec leurs corps d'adolescent·es en transformation&nbsp;: au fond de moi, je pense qu'il·les seront façonné·es par cette expérience, le théâtre. Il·les seront témoins albinien·nes d'une histoire nationale et mondiale – l'exil d'un peuple apatride pour la survie – et il·les auront peut-être envie d'aller plus loin un jour.</p> <p style="text-align: left;">Les scènes se succèdent, les répliques s'enchaînent avec les chants hmong et la danse… c'est super&nbsp;!<br />Manque encore quelques petits éléments à la mise en scène. Il est tard, on va y réfléchir assis·es dans un café, avec une petite bière pour remettre en place les idées…</p> <p style="text-align: center;">&nbsp;</p> <p style="text-align: center;"><iframe src="https://video.ploud.fr/videos/embed/0531f061-77f5-4f6a-9870-b41e6a916905" width="560" height="315" sandbox="allow-same-origin allow-scripts allow-popups" allowfullscreen="" frameborder="0"></iframe></p> <p><strong><span style="color: #fc615d;">__________________________________________________</span></strong></p> <h3>Le lien transgénérationnel réussi</h3> <p><span style="font-size: 12pt; color: #ff615d;"><strong>_______________________________________</strong></span></p> <p><em></em><span style="color: #ff615d;"><strong>Dimanche 25 octobre 2020 – 14 h – Château des Stuarts à Aubigny-sur-Nère</strong></span></p> <p>Nous écoutons de la musique pour nous détendre. Quelqu'un a peur d'oublier quelque chose, d'autres sont plus tranquilles et les rassurent. Les chaises sont disposées pour le public qui commence à arriver dans la salle. Salomé est à l'entrée et Lucie salue les premier·es ; elle connaît beaucoup de personnes.<br />Salomé me dit qu'elle a le trac. Toujours, même si ce n'est pas elle qui joue. La compagnie réalise régulièrement des mises en scène de troupes d'amateurs. <em>«&nbsp;C'est même pire, car je ne joue pas, donc je n'ai pas la décharge d’adrénaline nécessaire à faire passer le trac... mais bon, une fois qu'ils seront sur scène, ça va aller, je le sais… »</em><br />Les chaises ne suffisent pas, on va en chercher d'autres. Plus de 60 personnes sont venues assister à cette restitution, lors d'un dimanche pluvieux.</p> <p>Le spectacle commence. Le groupe arrive sur scène, les mouvements sont sûrs, les pieds sont ancrés dans le sol, les voix sont puissantes et nous emportent. Les scènes traduisent des situations de vie récurrentes dans les histoires hmong&nbsp;: une marche lente qui rappelle l’exil du peuple et sa traversée interminable dans la jungle&nbsp;; le travail, souvent répétitif et automatisé des industries françaises où les hmong sont employé·es ; les différentes retrouvailles, en fonction de l'époque, au bout de plusieurs années&nbsp;; les expériences de racisme et de harcèlement. Leurs répliques à propos d’être hmong et français en même temps se succèdent sans aucune hésitation et quand les Atypycal Dancers arrivent sur scène, avec leur chorégraphie de «&nbsp;ouf&nbsp;», nous sommes complètement emballé·es&nbsp;!!!<br />Le lien transgénérationnel est réussi, nous adhérons complètement. On sent le travail fait avec les comédiennes, la personnalité des adolescent·es, leur conscience d'une identité composite. <br />Selon les situations, leurs gestes dégagent de la peur, de la rage, de l’excitation, de la joie, de la stupeur pour l’histoire hmong qui devient leur histoire, pour une histoire qui les concernait déjà et qui, maintenant, les concernera encore plus. Quand on ne connaît pas le théâtre, on dit parfois que jouer, c'est «&nbsp;faire semblant&nbsp;». Là, nous avons la sensation tangible que le théâtre leur offre une compréhension sensible de qui il·les sont, à tous les niveaux et à tous les âges.</p> <p><a href="http://www.rebonds.net/images/HMONG_1/résidence_2.jpeg" class="jcepopup" data-mediabox="1" data-mediabox-title="Les comédien.nes durant la restitution (photo : Jean Achard)."><img src="http://www.rebonds.net/images/HMONG_1/résidence_2.jpeg" alt="c1e0069e19f5f69dfac732fdd07c38" width="580" height="580" style="display: block; margin-left: auto; margin-right: auto;" /></a></p> <p style="text-align: left;">La compagnie écrit dans sa newsletter&nbsp;:<br /><em>«&nbsp;La première semaine de résidence de la création&nbsp;«&nbsp;François s'appelait&nbsp;Kao&nbsp;»&nbsp;vient de s'achever.</em><br /><em>Une semaine intense, riche de rencontres sur le plateau et en dehors. Nous avons l'impression que «&nbsp;les portes se sont ouvertes&nbsp;»&nbsp;: la parole, celle des témoignages, se libère plus facilement&nbsp;; les corps des jeunes adolescents qui ont participé au stage de théâtre se sont révélés lors d'une restitution dynamique et émouvante&nbsp;; les esprits sont enfin conviés pour une véritable transmission de cette culture. La résidence semble avoir le timing parfait&nbsp;: nous sommes dans une période historique de reconquête de l'identité hmong par les générations qui ont aujourd'hui 30-40 ans. L'«&nbsp;humus&nbsp;» riche et fertile est à portée de main et nous sommes comme des petites chenilles prêtes à se nourrir, à grandir à travers cette recherche. Hâte de poursuivre ce travail&nbsp;!&nbsp;»</em></p> <p><strong><span style="color: #fc615d;">____________________________________________________</span></strong></p> <h3>Quelle suite pour les résidences ?</h3> <p><span style="font-size: 12pt; color: #ff615d;"><strong>_________________________________________</strong></span></p> <p><em></em><span style="color: #ff615d;"><strong>Lundi 25 janvier 2021 – Quelque part dans le Cher</strong></span></p> <p>Trois mois après la fin de la résidence à Aubigny-sur-Nère, nous nous rencontrons avec la compagnie pour faire le point.<br />La première partie de la matinée est consacrée aux demandes de subventions, un travail pas très enthousiasmant mais absolument indispensable. Par exemple, un dossier doit être rempli pour une aide à la résidence que pourrait délivrer la DRAC (Direction Régionale des Affaires Culturelles)&nbsp;; un autre, très dense, permettrait à la compagnie de partir au Laos et de passer un temps de résidence sur place. Le terme du PPS, un dispositif d’aide à la résidence en Région Centre-Val-de-Loire, approche à grand pas. Nous attendons avec impatience la réponse définitive des nombreux partenaires institutionnels qui se sont montrés intéressés, car le PPS ne peut être validé sans au moins trois établissements partenaires.</p> <p style="text-align: left;">Nous consacrons la seconde partie de cette matinée à un brainstorming de fin de résidence. Ce que l’on retient et quelques idées qui germent...</p> <p style="text-align: left;">Une vision&nbsp;: l’origami comme figure stylistique pour la scénographie.</p> <p style="text-align: left;">Partir d’une anecdote personnelle&nbsp;: une habitante d’un village français qui pense qu’il y a des hmong partout.</p> <p style="text-align: left;">Des éléments scientifiques, statistiques&nbsp;: chiffres d’entrée, plan local d’urbanisme, cartographies, diaspora…</p> <p style="text-align: left;">Des phases linguistiques&nbsp;: à quel point la langue construit la pensée et la culture ? Quelles conséquences suite au choix de ne pas parler le hmong en famille ?</p> <p style="text-align: left;">Les discours politiques sur l’accueil des réfugiés hier et aujourd’hui.</p> <p style="text-align: left;">La réappropriation de la culture et la langue hmong.</p> <p style="text-align: left;">Dimension onirique&nbsp;: le chamanisme, le rêve utopique, la projection identitaire sur le futur.</p> <p style="text-align: left;">Une scène de festin&nbsp;: les graines, le travail de la terre, la cuisine.</p> <p style="text-align: left;">Les voix hmong&nbsp;: une création sonore avec les différents témoignages.</p> <p style="text-align: left;">Entendre et voir le chant et la danse&nbsp;hmong pas de façon narrative, mais restitués à travers le vécu des comédiennes, leur manière de s’approprier cette culture.</p> <p style="text-align: left;">S’inspirer de la pièce «&nbsp;Le porteur d’histoire&nbsp;» <span style="font-size: 8pt;">(5)</span> pour son dispositif narratif&nbsp;: on endosse plusieurs casquettes, ce qui nous permet d’être à la fois dans un discours politique, de faire un cours de langue ou de chanter ou de danser, de voyager dans l’espace et dans le temps, d’être non genré…</p> <p style="text-align: left;">Se positionner comme quatre personnes qui s’intéressent, qui découvrent et qui creusent la culture hmong et qui témoignent d’une histoire qu’elles veulent transmettre, avec les moyens de communication qui leur sont propres : le théâtre, dans ce cas.</p> <p>&nbsp;</p> <p><strong>Texte&nbsp;: Chiara Scordato</strong><br /><strong>Vidéos&nbsp;: Danilo Proietti</strong><br /><strong>Photos : Jean Achard</strong></p> <p>&nbsp;</p> <p style="text-align: left;"><span style="font-size: 8pt;">(1) Située dans le département du Cher, Aubigny-sur-Nère est le lieu de mémoire de l’Auld Alliance, terme par lequel on désigne le rapport étroit et singulier qui s’instaura de façon continue entre les royaumes de France et d’Ecosse pendant cinq siècles. Pour en savoir plus, rendez-vous sur le site de la ville&nbsp;: <a href="https://www.aubigny.net/Aubigny-une-ville-chargee-d">https://www.aubigny.net/Aubigny-une-ville-chargee-d</a><br />(2) Lire aussi le numéro de (Re)bonds consacré à la compagnie&nbsp;: <a href="http://www.rebonds.net/31poupeesrusses/559-lacompagnieoupeesrusses">http://rebonds.net/31poupeesrusses/559-lacompagnieoupeesrusses</a><br />(3) Le Festival hmong a été créé afin de rassembler la communauté hmong de France et du monde entier. A travers cet évènement, il y a la volonté de préserver la culture hmong et de la transmettre aux générations futures, mais aussi de la partager et la faire découvrir à un large public.&nbsp;<span style="font-size: 8pt;">Le programme se compose de spectacles, concours de talents, tournois sportifs et animations pour enfants, des stands de nourriture et alimentation asiatique.</span> La troisième édition du Hmong Festival a eu lieu les 26 et 27 juillet 2019 à Aubigny-sur-Nère. Le thème de cette édition était « l’Odyssée du peuple hmong », qui a pris forme à travers une exposition culturelle ainsi que des témoignages d’anciens réfugiés ; des récompenses sont également remises à des associations humanitaires venant en aide aux hmong d’Asie du Sud-Est.<br />(4) Yann Tiersen, «&nbsp;Summer 78&nbsp;», de l'album&nbsp;Goodbye Lenin&nbsp;! 2003.<br />(5) «&nbsp;Le porteur d’histoire&nbsp;» est une pièce de théâtre de Alexis Michalik qui connaît un grand succès depuis 2012. Il s’agit d’un exercice brillant et vertigineux par sa forme&nbsp;: cinq comédiens équipés de deux portants à costumes se transforment sans cesse et interprètent des dizaines de personnages. Comme chez Umberto Eco, les personnages et les récits s'entrecroisent, et traversent les siècles pour faire naître une énigme qui demande à être résolue.</span></p> <p style="text-align: right;"><strong><em>Hmong veut dire «&nbsp;homme libre&nbsp;».</em></strong></p> <p style="text-align: center;">&nbsp;</p> <p style="text-align: center;"><iframe src="https://video.ploud.fr/videos/embed/423308d5-3084-4362-a83a-aecefe40ff3d" width="560" height="315" sandbox="allow-same-origin allow-scripts allow-popups" allowfullscreen="" frameborder="0"></iframe></p> <p><strong><span style="font-size: 8pt;"><em></em></span><span style="color: #ff615d;"><span style="font-size: 14pt;">M</span>ercredi 23 octobre 2020 – 14 h – Château des Stuarts à Aubigny-sur-Nère</span></strong></p> <p>Dans la ville franco-écossaise <span style="font-size: 8pt;">(1)</span> aujourd'hui, la météo penche décidément vers l’Écosse&nbsp;: nuages, vent, soleil, pluie... un temps incertain.</p> <p>Danilo et moi, Chiara, sommes venu·es suivre la nouvelle résidence de la compagnie Poupées Russes <span style="font-size: 8pt;">(2)</span>. Un temps de travail, de recherche et de pratique théâtrale autour de l’histoire des hmong en France, des raisons de leur départ du Laos en 1975 jusqu’à la réappropriation culturelle actuelle par les générations nées en France dans les années 2000 (<em>lire aussi la rubrique (Re)visiter)</em>.<br />Dans le cadre de cette résidence, la compagnie a organisé un stage durant cinq jours à Aubigny-sur-Nère. La communauté hmong y est en effet très présente. Six adolescent·es ont répondu positivement à l'appel&nbsp;: Teddy, Mattew, Mathilde, Emmy-Line, Nathan et Timéo.</p> <p>Les comédiennes, Caroline, Lucie et Salomé, leur annoncent&nbsp;: <em>«&nbsp;Nous allons créer un spectacle&nbsp;»</em>. Comment&nbsp;? En collectant des témoignages, en lisant des ouvrages et grâce à la pratique théâtrale, la création d'histoires… Autant d’éléments qui nourriront la recherche de la compagnie.<br />Pourquoi les jeunes participent-il·les à ce stage&nbsp;? L’un, un peu forcé par sa mère, s'est finalement dit&nbsp;que ça pourrait <em>«&nbsp;être intéressant&nbsp;»</em>. D’autres ont voulu faire une <em>«&nbsp;expérience&nbsp;».</em> Certain·es ont déjà fait de la danse et du chant, et participent régulièrement au Festival hmong <span style="font-size: 8pt;">(3).</span> Timéo, 10 ans, est le plus jeune du groupe mais le plus expérimenté&nbsp;: il a déjà pratiqué le théâtre avec la compagnie, dans sa classe, en 2019, sur le thème des émotions.</p> <p>Danilo et moi nous sommes présenté·es au petit comité et avons préparé notre matériel&nbsp;: des caméras pour Danilo&nbsp;; un cahier et un stylo pour prendre des notes pour moi, les yeux grands ouverts derrière mon masque pour observer les participant·es.</p> <p>.</p> <p><a href="http://www.rebonds.net/images/HMONG_1/résidence_1.jpeg" class="jcepopup" data-mediabox="1" data-mediabox-title="Les comédiennes, Danilo Proietti et Chiara Scordato, avec les adolescent.es participant à la résidence (photo : Jean Achard)."><img src="http://www.rebonds.net/images/HMONG_1/résidence_1.jpeg" alt="c1e0069e19f5f69dfac732fdd07c38" width="610" height="610" style="display: block; margin-left: auto; margin-right: auto;" /></a><em></em></p> <p><strong><span style="color: #fc615d;">_____________________________________</span></strong></p> <h3>Une histoire de ressenti</h3> <p><span style="font-size: 12pt; color: #ff615d;"><strong>_____________________________</strong></span><span style="font-family: georgia, palatino;"><span style="color: #fc615d;"><br /></span></span></p> <p>Les comédiennes proposent d’abord des exercices pour s'approprier l'espace. Les jeunes déambulent, certain·es avec une allure déterminée, d'autres plus hésitante. Grâce à un fil imaginaire qui les relie, il·les sont invité·es à prêter attention à eux·les-mêmes et aux autres. Il·les observent les gestes de leurs partenaires et les répètent en les amplifiant, puis en les accélérant dans un jeu de miroir. Sont travaillés également l'ancrage au sol et l'intention.<br />Presque tout le monde est en tenue sportive, baskets et sweat tiré vers le bas. Le petit sourire entre potes laisse rapidement place à une grande concentration.<br /><em>«&nbsp;Qu'est-ce qu'on ressent quand on fait un exercice ? C'est une histoire de ressenti, plus que de réflexion,</em> souligne Lucie. <em>Le public – et l'acteur – va sentir la vérité de l'action, au-delà des mots employés. Le théâtre, c’est d’abord des personnes qui se connectent, et seulement après, des mots&nbsp;».</em></p> <p>Jusque-là, on aurait pu se croire à une séance de cours de théâtre amateur, comme celui que la compagnie propose tout au long de l'année, pour enfants, adolescent·es et adultes.<br />Durant la résidence, les comédiennes auront l’occasion de recueillir le témoignage d’adultes hmong <em>(lire aussi la rubrique (Re)découvrir)</em>. A la pause, je les interroge&nbsp;: vont-elles inclure des éléments de ces témoignages dans le travail des enfants&nbsp;? Pour l’instant, elles préfèrent suivre ces deux chemins en parallèle. Certes, la transmission intergénérationnelle est cruciale dans leur travail, mais ce n'est pas encore le moment.</p> <p><strong><span style="color: #fc615d;">______________________________________________</span></strong></p> <h3>On joue, on cherche, on joue...</h3> <p><span style="font-size: 12pt; color: #ff615d;"><strong>____________________________________</strong></span><span style="font-family: georgia, palatino;"><span style="color: #fc615d;"><br /></span></span></p> <p style="text-align: left;"><em></em>Reprise de la séance avec une grande envie de jouer.<br />Et là, la magie opère une première fois : il·les créent collectivement une histoire. Chacun·e ajoute une phrase à celle des autres.<br /><em>«&nbsp;Il était une fois un petit lapin, qui courait après une petite boule de feu. Le lapin suit la boule de feu jusqu'en haut d'une montagne. Une fois ici, il l'attrape, mais il se brûle. Le petit lapin court près de la rivière pour se soulager, mais l'esprit de la rivière lui dit&nbsp;: «&nbsp;Ce n'est pas pour les lapins ici&nbsp;!&nbsp;» Le lapin s'approche alors de la forêt et rencontre un arbre. L'esprit de l'arbre lui propose de le soigner avec ses feuilles. Le lapin est sauvé mais il est très en colère après la rivière&nbsp;: il décide donc de lancer une boule de feu dans son lit pour l’assécher.&nbsp;»</em></p> <p style="text-align: center;">&nbsp;</p> <p style="text-align: center;"><iframe src="https://video.ploud.fr/videos/embed/8623e1d6-4247-488c-be84-dbe91d1cbcff" width="560" height="315" sandbox="allow-same-origin allow-scripts allow-popups" allowfullscreen="" frameborder="0"></iframe></p> <p>&nbsp;</p> <p style="text-align: left;">Maintenant, il faut mettre en scène.<br /><em>«&nbsp;Et si on commençait notre histoire par la fin&nbsp;? La rivière est asséchée et des gens souffrent à cause de ça… »</em>, propose Lucie. Chacun·e cherche son rôle dans cette scène. La mise en scène est créée de manière chorale. Certes, les comédiennes de la compagnie sont plus disertes, mais tout le monde amène des idées. Une difficulté pour trouver le personnage&nbsp;? On n’hésite pas à s’interrompre et revenir à un exercice pour «&nbsp;sentir&nbsp;» de nouveau, profondément et véritablement ce que signifie être une boule de feu, un lapin, de l'eau, etc. On s'éloigne de la narration et on y revient&nbsp;; on joue&nbsp;; on cherche à être des lapins qui attrapent des boules de feu&nbsp;; on joue&nbsp;; on cherche la sensation de fuir, de se faire mal, de se soigner&nbsp;; on joue....<br />Grâce à Salomé, qui est la maîtresse du son, la musique est toujours présente. Elle contribue à immerger les participant·es dans leurs sensations avec justesse.<br />La magie opère une seconde fois : en une heure, un petit spectacle est déjà né.</p> <p>Mais vite&nbsp;! Il est 17 h&nbsp;30&nbsp;: c'est le moment d'aller voir le documentaire&nbsp;!</p> <p><strong><span style="color: #fc615d;">____________________________________________________</span></strong></p> <h3>Un bout de terre pour s’enraciner</h3> <p><span style="font-size: 12pt; color: #ff615d;"><strong>________________________________________</strong></span></p> <p><span style="color: #ff615d;"><strong>Mercredi 23 octobre 2020 – 18 h 30 – Atomic Cinéma à Aubigny-sur-Nère</strong></span><span style="font-size: 12pt; color: #ff615d;"></span></p> <p>En France, les communautés hmong sont concentrées sur différents territoires, en fonction de la répartition des aides de l’État qui leur ont été destinées dans les années 1970&nbsp;: la Bretagne, le Centre, Nîmes, La Guyane, etc. Le film documentaire «&nbsp;Bienvenue Mister Chang&nbsp;», réalisé par Laëtitia Gaudin Le Puil et Anne Jochum, raconte l'histoire de l’exil hmong dans un village breton, Lavénégen. Les hmong y représentaient un quart de la population&nbsp;: à l’époque, leur arrivée dans ce village, qui subissait déjà un fort exode rural, a été considérée comme une vraie chance. De son côté, le peuple hmong était extrêmement reconnaissant envers la France et les français&nbsp;: il était accueilli chaleureusement&nbsp;; dans les villages, les gens se mobilisaient pour qu’il·les aient tout le nécessaire pour démarrer une nouvelle vie.<span style="font-size: 12pt; color: #ff615d;"> </span></p> <p><a href="http://www.rebonds.net/images/HMONG_1/bienvenue_mister_chang_r450-58e97.jpg" class="jcepopup" data-mediabox="1" data-mediabox-title="L'affiche du film."><img src="http://www.rebonds.net/images/HMONG_1/bienvenue_mister_chang_r450-58e97.jpg" alt="c1e0069e19f5f69dfac732fdd07c38" width="450" height="534" style="display: block; margin-left: auto; margin-right: auto;" /></a></p> <p>&nbsp;</p> <p>Deux éléments de ce beau documentaire me frappent en particulier.<br />Le premier&nbsp;: pour beaucoup de ces individus, forcés à quitter leur pays, avoir un petit bout de terre à cultiver était très important. Leur potager est devenu un petit Laos. Le travail de la terre, une des activités les plus pratiquées par cette population au pays, permettait ici de créer un refuge avec des plantes leur rappelant leurs origines. Une manière de s'enraciner en France, une façon de communiquer sans mots.<span style="font-size: 12pt; color: #ff615d;"></span></p> <p>Justement, les mots. La seconde chose qui me touche concerne la transmission de la langue hmong&nbsp;: les plus ancien·nes parlent hmong et ont eu beaucoup de difficulté à apprendre le français&nbsp;; la première génération d'enfants né·es en France a appris le français à l'école et ne parle pas le hmong.<br />Les ancien·nes parlent donc hmong, les jeunes leur répondent en français&nbsp;: il·les ne partagent pas la même langue tout en vivant sous le même toit. Bien sûr, il·les se comprennent, mais pour parler de choses profondes, c'est plus compliqué. Cette rupture dans la transmission de la langue a une autre conséquence : tout le monde décide de changer de nom et prend un nom français, d'où le choix de la compagnie des Poupées Russes pour sa nouvelle création&nbsp;: «&nbsp;François s’appelait Kao&nbsp;». Concernant ces deux prénoms, un jeune dans le film explique&nbsp;: <em>« Je ne suis ni l'un, ni l'autre, je suis l'un et l'autre&nbsp;»</em>.</p> <p><strong><span style="color: #fc615d;">_________________________________________</span></strong></p> <h3>Effacer sa propre culture&nbsp;?</h3> <p><span style="font-size: 12pt; color: #ff615d;"><strong>________________________________</strong></span></p> <p>Pendant le court échange avec le public après la projection, Lucie prend la parole. Pour elle, qui est née et a grandi à Aubigny, sa ville était un peu comme Lavénégen&nbsp;: les hmong faisaient partie du paysage comme les français, et elle pensait que c'était ainsi dans le reste du monde. Ayant connu l’histoire de cette population de près, elle s’intéresse aujourd’hui à la manière dont la transmission intergénérationnelle s'opère au sein de cette communauté. Dans le film, le thème de la transmission est centrale. On observe que les jeunes générations commencent à s’intéresser à l'histoire de leurs parents une fois que la transmission devient une question primordiale dans leurs vies, c'est-à-dire une fois qu'elles ont elles-mêmes des enfants.</p> <p>Je rentre à la maison en me posant beaucoup de questions. Comment peut-on ne pas se parler, véritablement et profondément, entre père, mère et fils, filles&nbsp;? Qu'est-ce qui peut lever un tel mur dans la communication&nbsp;? Je suis moi aussi étrangère, mais j'ai toujours su que la langue maternelle se transmet assez facilement à ses enfants né·es dans un autre pays. La différence est que moi, je suis une émigrée économique européenne et pas du tout une personne qui a dû fuir son pays suite à des persécutions. Une expérience traumatique peut-elle pousser un peuple à effacer sa propre culture&nbsp;? Ou est-ce le fruit d'une autocensure&nbsp;?</p> <p>Et puis,&nbsp;je repense rétrospectivement à ma journée avec les jeunes hmong lors du stage.<br />Dans le film, nous sommes presque surpris·es de la façon dont les français accueillent les hmong en France en 1975, surtout si on la compare aux dispositions en vigueur aujourd'hui pour les demandeur·ses d'asile. Même dans un petit village de campagne, les enfants sont d'abord accueilli·es dans des classes spéciales pour appendre le français, puis intégré·es dans les classes mixtes avec les français.<br />La solidarité et l’envie de partage sont très fortes des deux côtés, y compris chez les institutionnels (même s'ils l'expriment de manière un peu maladroite). Aujourd'hui, racisme et harcèlement deviennent d’actualité pour les enfants hmong, alors qu'il·les n'ont jamais subi ce type de discriminations auparavant. Est-ce qu'un vrai accueil de ce peuple ne devrait-il pas prévoir aussi un cours d'histoire et culture hmong à l'école d'Aubigny&nbsp;?<br />Peut-être que les hmong se sentiraient alors plus légitimes à parler de leur culture, tellement différente, au sein de leur propre maison et à l’extérieur ?<br />Peut-être qu'on aurait de nouveau l’impression, comme Lucie quand elle avait 8 ans, qu'en tant qu'habitant·e d'un même territoire, on fait tous partie d'un même paysage.</p> <p>Hmong veut dire «&nbsp;homme libre&nbsp;».</p> <p><strong><span style="color: #fc615d;">__________________________________________________________________________</span></strong></p> <h3>«&nbsp;Je suis chez moi ou je ne suis pas chez moi&nbsp;?&nbsp;»</h3> <p><span style="font-size: 12pt; color: #ff615d;"><strong>__________________________________________________________</strong></span></p> <p><span style="color: #ff615d;"><strong>Vendredi 23 octobre 2020 – 14 h – Château des Stuarts à Aubigny-sur-Nère</strong></span></p> <p>Aujourd'hui, presque un temps estival. Le soleil pénètre par les grandes fenêtres de la majestueuse salle du château des Stuarts.</p> <p>Je découvre que les jeunes ont énormément avancé dans leur travail en seulement un jour et demi.<br />Du coup, je comprends les choses en retard et à moitié.</p> <p>La veille, ils ont fait des «&nbsp;sculptures de groupe&nbsp;» autour de certaines thématiques qu'il·les ont décidé d'aborder&nbsp;: le racisme, la famille, les retrouvailles. Chacun·e choisit un rôle et puis se fige dans une image, comme un tableau vivant qu'il·les prennent en photo. Il·les choisissent sur le portable de Lucie la sculpture qu'il·les préfèrent&nbsp;: il·les sont déjà en train de sélectionner les exercices qui feront l'objet de la restitution du dimanche. Beaucoup d'attention, des sourires en regardant les photos, une belle énergie les entoure. Le groupe semble bien soudé, plus du tout de timides&nbsp;: l'incertitude et les craintes du premier jour ont disparu. On entend bien leur voix, il·les ont envie de montrer leurs corps.</p> <p>Il·les se lancent dans une chorégraphie qu'il·les ont l'air de maîtriser à la perfection.<br />Je regarde les comédiennes avec une certaine surprise et je demande&nbsp;: <em>«&nbsp;que s'est-t-il passé en si peu de temps&nbsp;?&nbsp;»</em>. Elles auraient voulu dire que c'était le résultat d'un travail de plateau acharné, mais finalement, elles avouent&nbsp;: <em>« Hier pendant la pause, ils ont commencé à danser, on s'est dit tout de suite qu'il fallait ajouter ça à la restitution, c'est tellement leur monde&nbsp;!&nbsp;»</em><br />Pendant la pause, Timéo est occupé à fabriquer des avions en papier, probablement pour leur prochaine scène&nbsp;; il demande de l'aide. Je commence à essayer d'en fabriquer un, avec pas mal de difficultés (ça fait un bail !) et je pose quelques questions à Emmy-Line concernant ce qu'il·les ont fait la veille. Elle m'explique&nbsp;: suite à la vision du documentaire, il·les ont tou·tes retenu des phrases qui les avaient touché·es et à partir desquelles, il·les ont créé un dialogue.</p> <p style="text-align: center;"><em>«&nbsp;Oui mais chez moi, c'est où&nbsp;?</em><br /><em>Là-bas, je suis chez moi et je ne suis pas chez moi.</em><br /><em>Si je suis ici, je suis où&nbsp;?</em><br /><em>Je suis chez moi ou je suis pas chez moi&nbsp;?</em><br /><em>Ici on me dit que je ne suis pas chez moi, mais là-bas, je ne suis pas chez moi.</em><br /><em>Mais c'est où chez moi&nbsp;?</em><br /><em>Ça ne peut pas être entre les deux.</em><br /><em>Ma vie est là. J'ai grandi ici.</em><br /><em>Moi je parle pas le hmong.</em><br /><em>On célèbre le Mékong.</em><br /><em>C'est bizarre de célébrer un fleuve qui a tué autant de hmong.</em><br /><em>Le livre bleu, je l'ai lu.</em><br /><em>Non, vert.</em><br /><em>En fait, je ne sais pas lire le hmong.</em><br /><em>C'est ma mère qui m'a expliqué.</em><br /><em>C'est mon grand-père qui l'a écrit.</em><br /><em>Mon père esquive le sujet.</em><br /><em>On devrait apprendre toutes les langues à l'école.</em><br /><em>Il faut écouter les anciens.</em><br /><em>Je veux pas qu'on disparaisse.&nbsp;»</em></p> <p>La répétition reprend, chaque scène est travaillée en vue de la restitution. <br />La première est d'une puissance inouïe. Les jeunes viennent vers le public, sur les notes de cette musique du film « Goodbye Lenin&nbsp;!&nbsp;» <em>(4)</em> qui fait beaucoup pleurer. Mais ici, ce qui émeut, ce n'est plus la musique&nbsp;: les jeunes marchent au ralenti, à côté de chaises vides, envahissant l'espace du public, organisé selon les règles de la distance sociale, avec leurs corps d'adolescent·es en transformation&nbsp;: au fond de moi, je pense qu'il·les seront façonné·es par cette expérience, le théâtre. Il·les seront témoins albinien·nes d'une histoire nationale et mondiale – l'exil d'un peuple apatride pour la survie – et il·les auront peut-être envie d'aller plus loin un jour.</p> <p style="text-align: left;">Les scènes se succèdent, les répliques s'enchaînent avec les chants hmong et la danse… c'est super&nbsp;!<br />Manque encore quelques petits éléments à la mise en scène. Il est tard, on va y réfléchir assis·es dans un café, avec une petite bière pour remettre en place les idées…</p> <p style="text-align: center;">&nbsp;</p> <p style="text-align: center;"><iframe src="https://video.ploud.fr/videos/embed/0531f061-77f5-4f6a-9870-b41e6a916905" width="560" height="315" sandbox="allow-same-origin allow-scripts allow-popups" allowfullscreen="" frameborder="0"></iframe></p> <p><strong><span style="color: #fc615d;">__________________________________________________</span></strong></p> <h3>Le lien transgénérationnel réussi</h3> <p><span style="font-size: 12pt; color: #ff615d;"><strong>_______________________________________</strong></span></p> <p><em></em><span style="color: #ff615d;"><strong>Dimanche 25 octobre 2020 – 14 h – Château des Stuarts à Aubigny-sur-Nère</strong></span></p> <p>Nous écoutons de la musique pour nous détendre. Quelqu'un a peur d'oublier quelque chose, d'autres sont plus tranquilles et les rassurent. Les chaises sont disposées pour le public qui commence à arriver dans la salle. Salomé est à l'entrée et Lucie salue les premier·es ; elle connaît beaucoup de personnes.<br />Salomé me dit qu'elle a le trac. Toujours, même si ce n'est pas elle qui joue. La compagnie réalise régulièrement des mises en scène de troupes d'amateurs. <em>«&nbsp;C'est même pire, car je ne joue pas, donc je n'ai pas la décharge d’adrénaline nécessaire à faire passer le trac... mais bon, une fois qu'ils seront sur scène, ça va aller, je le sais… »</em><br />Les chaises ne suffisent pas, on va en chercher d'autres. Plus de 60 personnes sont venues assister à cette restitution, lors d'un dimanche pluvieux.</p> <p>Le spectacle commence. Le groupe arrive sur scène, les mouvements sont sûrs, les pieds sont ancrés dans le sol, les voix sont puissantes et nous emportent. Les scènes traduisent des situations de vie récurrentes dans les histoires hmong&nbsp;: une marche lente qui rappelle l’exil du peuple et sa traversée interminable dans la jungle&nbsp;; le travail, souvent répétitif et automatisé des industries françaises où les hmong sont employé·es ; les différentes retrouvailles, en fonction de l'époque, au bout de plusieurs années&nbsp;; les expériences de racisme et de harcèlement. Leurs répliques à propos d’être hmong et français en même temps se succèdent sans aucune hésitation et quand les Atypycal Dancers arrivent sur scène, avec leur chorégraphie de «&nbsp;ouf&nbsp;», nous sommes complètement emballé·es&nbsp;!!!<br />Le lien transgénérationnel est réussi, nous adhérons complètement. On sent le travail fait avec les comédiennes, la personnalité des adolescent·es, leur conscience d'une identité composite. <br />Selon les situations, leurs gestes dégagent de la peur, de la rage, de l’excitation, de la joie, de la stupeur pour l’histoire hmong qui devient leur histoire, pour une histoire qui les concernait déjà et qui, maintenant, les concernera encore plus. Quand on ne connaît pas le théâtre, on dit parfois que jouer, c'est «&nbsp;faire semblant&nbsp;». Là, nous avons la sensation tangible que le théâtre leur offre une compréhension sensible de qui il·les sont, à tous les niveaux et à tous les âges.</p> <p><a href="http://www.rebonds.net/images/HMONG_1/résidence_2.jpeg" class="jcepopup" data-mediabox="1" data-mediabox-title="Les comédien.nes durant la restitution (photo : Jean Achard)."><img src="http://www.rebonds.net/images/HMONG_1/résidence_2.jpeg" alt="c1e0069e19f5f69dfac732fdd07c38" width="580" height="580" style="display: block; margin-left: auto; margin-right: auto;" /></a></p> <p style="text-align: left;">La compagnie écrit dans sa newsletter&nbsp;:<br /><em>«&nbsp;La première semaine de résidence de la création&nbsp;«&nbsp;François s'appelait&nbsp;Kao&nbsp;»&nbsp;vient de s'achever.</em><br /><em>Une semaine intense, riche de rencontres sur le plateau et en dehors. Nous avons l'impression que «&nbsp;les portes se sont ouvertes&nbsp;»&nbsp;: la parole, celle des témoignages, se libère plus facilement&nbsp;; les corps des jeunes adolescents qui ont participé au stage de théâtre se sont révélés lors d'une restitution dynamique et émouvante&nbsp;; les esprits sont enfin conviés pour une véritable transmission de cette culture. La résidence semble avoir le timing parfait&nbsp;: nous sommes dans une période historique de reconquête de l'identité hmong par les générations qui ont aujourd'hui 30-40 ans. L'«&nbsp;humus&nbsp;» riche et fertile est à portée de main et nous sommes comme des petites chenilles prêtes à se nourrir, à grandir à travers cette recherche. Hâte de poursuivre ce travail&nbsp;!&nbsp;»</em></p> <p><strong><span style="color: #fc615d;">____________________________________________________</span></strong></p> <h3>Quelle suite pour les résidences ?</h3> <p><span style="font-size: 12pt; color: #ff615d;"><strong>_________________________________________</strong></span></p> <p><em></em><span style="color: #ff615d;"><strong>Lundi 25 janvier 2021 – Quelque part dans le Cher</strong></span></p> <p>Trois mois après la fin de la résidence à Aubigny-sur-Nère, nous nous rencontrons avec la compagnie pour faire le point.<br />La première partie de la matinée est consacrée aux demandes de subventions, un travail pas très enthousiasmant mais absolument indispensable. Par exemple, un dossier doit être rempli pour une aide à la résidence que pourrait délivrer la DRAC (Direction Régionale des Affaires Culturelles)&nbsp;; un autre, très dense, permettrait à la compagnie de partir au Laos et de passer un temps de résidence sur place. Le terme du PPS, un dispositif d’aide à la résidence en Région Centre-Val-de-Loire, approche à grand pas. Nous attendons avec impatience la réponse définitive des nombreux partenaires institutionnels qui se sont montrés intéressés, car le PPS ne peut être validé sans au moins trois établissements partenaires.</p> <p style="text-align: left;">Nous consacrons la seconde partie de cette matinée à un brainstorming de fin de résidence. Ce que l’on retient et quelques idées qui germent...</p> <p style="text-align: left;">Une vision&nbsp;: l’origami comme figure stylistique pour la scénographie.</p> <p style="text-align: left;">Partir d’une anecdote personnelle&nbsp;: une habitante d’un village français qui pense qu’il y a des hmong partout.</p> <p style="text-align: left;">Des éléments scientifiques, statistiques&nbsp;: chiffres d’entrée, plan local d’urbanisme, cartographies, diaspora…</p> <p style="text-align: left;">Des phases linguistiques&nbsp;: à quel point la langue construit la pensée et la culture ? Quelles conséquences suite au choix de ne pas parler le hmong en famille ?</p> <p style="text-align: left;">Les discours politiques sur l’accueil des réfugiés hier et aujourd’hui.</p> <p style="text-align: left;">La réappropriation de la culture et la langue hmong.</p> <p style="text-align: left;">Dimension onirique&nbsp;: le chamanisme, le rêve utopique, la projection identitaire sur le futur.</p> <p style="text-align: left;">Une scène de festin&nbsp;: les graines, le travail de la terre, la cuisine.</p> <p style="text-align: left;">Les voix hmong&nbsp;: une création sonore avec les différents témoignages.</p> <p style="text-align: left;">Entendre et voir le chant et la danse&nbsp;hmong pas de façon narrative, mais restitués à travers le vécu des comédiennes, leur manière de s’approprier cette culture.</p> <p style="text-align: left;">S’inspirer de la pièce «&nbsp;Le porteur d’histoire&nbsp;» <span style="font-size: 8pt;">(5)</span> pour son dispositif narratif&nbsp;: on endosse plusieurs casquettes, ce qui nous permet d’être à la fois dans un discours politique, de faire un cours de langue ou de chanter ou de danser, de voyager dans l’espace et dans le temps, d’être non genré…</p> <p style="text-align: left;">Se positionner comme quatre personnes qui s’intéressent, qui découvrent et qui creusent la culture hmong et qui témoignent d’une histoire qu’elles veulent transmettre, avec les moyens de communication qui leur sont propres : le théâtre, dans ce cas.</p> <p>&nbsp;</p> <p><strong>Texte&nbsp;: Chiara Scordato</strong><br /><strong>Vidéos&nbsp;: Danilo Proietti</strong><br /><strong>Photos : Jean Achard</strong></p> <p>&nbsp;</p> <p style="text-align: left;"><span style="font-size: 8pt;">(1) Située dans le département du Cher, Aubigny-sur-Nère est le lieu de mémoire de l’Auld Alliance, terme par lequel on désigne le rapport étroit et singulier qui s’instaura de façon continue entre les royaumes de France et d’Ecosse pendant cinq siècles. Pour en savoir plus, rendez-vous sur le site de la ville&nbsp;: <a href="https://www.aubigny.net/Aubigny-une-ville-chargee-d">https://www.aubigny.net/Aubigny-une-ville-chargee-d</a><br />(2) Lire aussi le numéro de (Re)bonds consacré à la compagnie&nbsp;: <a href="http://www.rebonds.net/31poupeesrusses/559-lacompagnieoupeesrusses">http://rebonds.net/31poupeesrusses/559-lacompagnieoupeesrusses</a><br />(3) Le Festival hmong a été créé afin de rassembler la communauté hmong de France et du monde entier. A travers cet évènement, il y a la volonté de préserver la culture hmong et de la transmettre aux générations futures, mais aussi de la partager et la faire découvrir à un large public.&nbsp;<span style="font-size: 8pt;">Le programme se compose de spectacles, concours de talents, tournois sportifs et animations pour enfants, des stands de nourriture et alimentation asiatique.</span> La troisième édition du Hmong Festival a eu lieu les 26 et 27 juillet 2019 à Aubigny-sur-Nère. Le thème de cette édition était « l’Odyssée du peuple hmong », qui a pris forme à travers une exposition culturelle ainsi que des témoignages d’anciens réfugiés ; des récompenses sont également remises à des associations humanitaires venant en aide aux hmong d’Asie du Sud-Est.<br />(4) Yann Tiersen, «&nbsp;Summer 78&nbsp;», de l'album&nbsp;Goodbye Lenin&nbsp;! 2003.<br />(5) «&nbsp;Le porteur d’histoire&nbsp;» est une pièce de théâtre de Alexis Michalik qui connaît un grand succès depuis 2012. Il s’agit d’un exercice brillant et vertigineux par sa forme&nbsp;: cinq comédiens équipés de deux portants à costumes se transforment sans cesse et interprètent des dizaines de personnages. Comme chez Umberto Eco, les personnages et les récits s'entrecroisent, et traversent les siècles pour faire naître une énigme qui demande à être résolue.</span></p>