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L'école du 3e type de Bernard Collot

A Bué, près de Sancerre, vit un enseignant dont la pédagogie a bouleversé la vie de bien des enfants, familles, citoyens : Bernard Collot a créé une « école du 3e type » (1), comme il l'a lui-même baptisée, et l'a animée pendant vingt ans. S'il n'est plus en charge d'aucune classe aujourd'hui, difficile de le déclarer « retraité » tant il est sollicité par les écoles alternatives pour ses précieux conseils.

Ce n'est pas par vocation, ni par passion, ni même par conviction qu'a germé en l'esprit de Bernard Collot l'idée de faire classe différemment. Mais par « une série de hasards », assure-t-il.
Né en 1940, sous l'Occupation allemande, il vit dans la banlieue lyonnaise quand on décide pour lui qu'il sera instituteur. « A l'époque, ce n'était pas par envie mais parce qu'il n'y avait pas le choix, se souvient-il. Tu devenais agriculteur si tu vivais à la campagne, ouvrier si tu vivais en ville, ou bien instituteur. Instituteur, c'était bien pour les vacances… mais ce n'était pas pour changer le monde ! »

Après une formation à l'Ecole Normale, c'est-à-dire sans aucune formation de pédagogue, le voilà enseignant. « J'ai passé un an à m'ennuyer et à ennuyer les enfants. » En 1960, en poste dans le Rhône, on lui confie une classe multi-âges d'élèves de 7 à 14 ans. Premier hasard : celui de l'estrade. « Elle était trop petite ; à chaque fois que je reculais, je risquais de tomber. Alors, je l'ai enlevée. Un jour, un collègue a passé la tête par la porte et m'a lancé : « Tiens, tu as adopté la pédagogie Freinet ? », parce que je n'avais pas d'estrade… C'est ainsi que j'ai découvert Freinet ! »

Expression libre et tâtonnement expérimental

Célestin Freinet (1873-1966) est une figure du mouvement dit de « L'Education Nouvelle » actif dans les années 1920 mais dont les principes forment encore la base de pédagogies appliquées de nos jours (lire aussi la rubrique (Re)visiter). Parmi lesquels, l'expression libre et le tâtonnement expérimental : c'est du résultat de ses propres expériences que l'enfant apprend le mieux. L'adulte l'accompagne mais ne le contraint pas. L'autorité du « maître » est considérée comme une violence, d'autant plus inutile si on sait susciter l'envie et la curiosité chez l'enfant.
« Freinet avait vécu la guerre. On savait que celle de 1914-1918 avait été préparée de chaque côté du Rhin dans les écoles, souligne Bernard Collot. Aujourd'hui, c'est autre chose… on prépare les enfants à être de bons travailleurs, à servir le marché… C'est écrit noir sur blanc dans des rapports d'institutions comme l'OCDE (2). »

Pour Bernard Collot, « l'école, depuis son origine, n'a jamais été faite pour les enfants, mais pour l’État ». « C'est difficile de le faire comprendre à l'opinion publique puisque nous avons tous été formatés à l'école ! Quand on parle de formatage, les enseignants bondissent… mais c'est un formatage insidieux. Bientôt de 3 à 18 ans (3), les enfants sont condamnés à rester assis en rang d'oignons et à obéir. Tous les matins, ils sont condamnés à aller à l'école comme ils seront condamnés, ensuite, à se lever tous les matins pour aller au travail. »
Ce qui lui a permis de prendre une voie différente de la majorité de ses collègues ? Il s'étend pas, mais il parle « d'événements forts liés à l'école » vécus dans l'enfance et l'adolescence, qui lui ont permis de se « déconstruire » et « de prendre une position différente ».bernard collot

Une réflexion sur tous les aspects de l'école

Les « hasards » de sa vie feront le reste… Pendant ses congés, il dirige des colonies de vacances. C'est au Centre d'Entraînement aux Méthodes d'Education Active (CEMEA) qu'il participe à la première expérience de réveil individuel, qui tient compte du rythme de chacun. « C'est là que j'ai découvert que l'ordre est la source de l'insécurité, et que l'autogestion est la source du sentiment de sécurité. » Dès lors, il ne cesse de se questionner : « Pourquoi les enfants devraient entrer en rang dans la classe ? Pourquoi devraient-ils y entrer tous en même temps ? » Quelles idéologies sous-tendent ces rituels ?

Sa réflexion touche tous les aspects de l'école, auxquels un enseignant de milieu rural est à l'époque confronté. Par exemple, ce sont les enseignants qui assurent la surveillance de la cantine. « En 1963, avec la Ligue de l'enseignement, nous avons lancé les restaurants d'enfants. Nous sommes partis d'un constat très simple : les adultes n'accepteraient jamais de manger dans de telles conditions ! Et déjà, les psychologues affirmaient que le temps méridien était essentiel à l'enfant. » Il ne s'agit pas seulement de leur offrir de meilleures conditions pour déjeuner, mais aussi de les rendre plus autonomes dans ce temps de détente, de favoriser leur bien être et leur capacité d'attention l'après-midi.

« On ne peut rien faire sans les parents »

En 1976, Bernard Collot demande sa mutation dans la Vienne. Sa classe de Moussac-sur-Vienne, d'une école publique, est à nouveau unique avec des enfants âgés de 4 à 11 ans. Et tout le monde semble convaincu qu'elle fermera l'année suivante. Bernard Collot y restera vingt ans ! Comment ? En ouvrant grand les portes de l'école aux parents, villageois et élus, et en menant un véritable projet éducatif coopératif.
« J'avais mis quinze ans à comprendre qu'on ne peut rien faire sans les parents, explique-t-il. L'enfant fait partie du parent. Bien sûr, il y a des tas de ruptures dans sa vie, notamment l'école. Mais ça doit rester dans un état sécure. Or, tous les jours, l'école rompt cette sécurité, parce qu'elle dé-responsabilise les parents qui n'ont rien à dire sur ce qui se passe à l'école. Pour l'enfant, le parent ne peut plus être un recours. »
Bernard Collot pense aussi que l'école « est une affaire de citoyens ». Y inclure les parents est tout simplement démocratique. L'école « concerne une collectivité, un territoire, un groupe social. Il est impossible que des parents-citoyens ne participent pas à son élaboration, à son fonctionnement, à sa vie. Il n'est pas possible qu'ils soient exclus de la démocratie. » (4)

A son arrivée à Moussac-sur-Vienne, il annonce sa « stratégie éducative ». Le contrat passé avec les parents est que les enfants puissent suivre au collège.
Une réunion est ensuite organisée tous les mois avec les parents pour faire des constats, discuter, faire évoluer la stratégie. De plus, l'école est ouverte à tous à n'importe quel moment « à la condition qu'à la sortie, [les visiteurs] émettent au moins une critique ». « J'ai imposé la critique ! Et ça n'a pas été facile. J'ai été obligé de provoquer les parents. Cette réunion leur permettait aussi de discuter entre eux publiquement, de débattre, d'argumenter… bref, de faire ce que tous les citoyens devraient faire ! »
Les parents peuvent émettre des idées, mais aussi animer une activité.
Le cercle s'élargit. « L'école, c'était tout le village ! Quand les enfants avaient besoin, ils sortaient pour aller interroger le menuisier, par exemple. A l'inverse, quand les villageois ont voulu lancer un journal, ils sont venus à l'école parce que nous avions tout le matériel nécessaire et ce sont les enfants qui leur ont appris comment faire. »

En 1983, Bernard Collot lance l'une des premières classes équipées d'ordinateurs reliés à un réseau d'établissements ruraux grâce à la télématique. Les échanges sont riches, notamment avec d'autres écoles, collèges, lycées qui développent des expériences innovantes.

L'auto-organisation est fondamentale

S'il s'est basé sur la pédagogie Freinet, Bernard Collot en a progressivement « ôté tous les cadres ». Plus d'horaires, ni d'emploi du temps, ni même de matières.
L'école du 3e type est une école qui favorise non pas la transmission des savoirs de l'adulte à l'enfant, mais « la construction des savoirs et savoir-faire par les enfants ».
L'auto-organisation y est fondamentale. Chaque matin, les enfants se réunissent pour faire émerger leurs projets. Ils les expérimentent au sein d'ateliers permanents. Des tableaux de bord individuels ou collectifs peuvent les aider à auto-structurer leur temps. C'est ainsi que sont abordés les différents langages (oral, écrit, mathématique, scientifique, artistiques…).
Aucune différence n'est établie entre jeu et travail. Seule compte la jouissance, le plaisir d'apprendre suscitée chez l'enfant.

Quelle place tient l'adulte, le « professionnel », dans cette auto-organisation ? Il est l'égal de l'enfant en droits, mais pas en pouvoirs. « Il ne domine pas les enfants, ne dirige pas les enfants mais veille et agit pour qu'individuellement et collectivement, les enfants vivent une liberté féconde. » (5) Il garantit l'espace qui leur permettra de s'auto-organiser, de communiquer, d'inter-agir avec leurs environnements proche et extérieur, et il accompagne les enfants dans leur prise de décisions. Il peut aussi intervenir lors de conflits.
« Mais il n'y a pas de sanction, précise Bernard Collot. On n'agit pas sur le comportement des enfants, mais sur un dysfonctionnement observé. Par exemple, Toto embête les grands. Ah. Pourquoi ? Parce qu'il a envie d'être avec eux. Ah. On va discuter et faire en sorte que Toto passe du temps avec les grands, dans un espace et à un moment qui ne les dérangeront pas. On ne va pas simplement punir Toto parce qu'il embête les grands. L'enfant modifie son comportement pour vivre mieux avec les autres ou se sentir mieux. Il ne modifie pas un comportement sous la contrainte. »
A chaque fois, l'intervention de l'adulte doit être perçue comme un recours, non comme une simple autorité.

De l'école publique aux écoles alternatives

L'Education nationale acceptait-elle, en son sein, cette école du 3e type ? « Au bout de la première année, un brave inspecteur, qui pensait connaître toutes les pédagogies, est venu. Il a pris des tas de notes et, à la fin, m'a dit : « Je ne sais pas comment remplir mon rapport, je n'ai jamais vu ça. » Il est revenu l'année suivante. » Et la classe a perduré durant 35 ans.
En effet, malgré la vague de fermerture des classes uniques qui s'est soulevée à partir de 1989, celle de Moussac-sur-Vienne a tenu bon, y compris après le départ en retraite de Bernard Collot, en 1997. « C'est parce qu'il y avait tout un village derrière elle ! » Elle a fermé en 2009 avec la création du regroupement scolaire.

Comment cette école du 3e type vit-elle aujourd'hui ? « Dans les écoles alternatives. » A leur demande, Bernard Collot en a visité près de 150 partout en France, dont celle du Chêne Vert près de Bourges (lire aussi la rubrique (Ré)acteurs). Il observe et offre simplement des conseils. « Toute ma vie, je n'ai donné aucune leçon. Pourquoi en donner maintenant ? Je préfère l'échange, la discussion, la provocation. » Ne prêche-t-il pas des convaincus ? « Oui, mais qui se heurtent à des obstacles, notamment dans l'Education nationale. Mon seul avantage est d'avoir vécu plus longtemps, donc de pouvoir raconter mon expérience. »
Le regard qu'il porte sur l'institution d'aujourd'hui est pessimiste. « La solution ? Ce serait que les écoles alternatives deviennent l'Education nationale. Mais je n'ai pas bon espoir, parce que les écoles servent l’État. Elles n'ont pas les mêmes objectifs que nous. Les pédagogies alternatives ont fait leurs preuves et pourtant, elles ne sont toujours pas diffusées par l'Education nationale... »

Bernard Collot est venu passer sa retraite dans le Sancerrois, sa femme occupant un poste dans la Nièvre proche. Après avoir écrit de nombreux ouvrages et articles dans des revues, il alimente aujourd'hui un blog qui traite de nombreux sujets de société (6). Mais l'éducation n'est jamais loin, y compris lorsqu'il s'adresse aux Gilets jaunes ou aux écologistes. Il les invite à prendre en compte l'éducation dans leurs revendications, la clé pour être libre.

Fanny Lancelin

(1) Bernard Collot a donné ce nom en référence au film de science-fiction « Rencontre du troisième type » réalisé par Steven Spielberg. Parce que « dans cette école, on est dans un autre monde ».
(2) OCDE : Organisation de Coopération et de Développement Economiques.
(3) Actuellement en France, l'instruction est obligatoire à partir de 6 ans. En 2019, l'âge pourrait être abaissé à 3 ans.
(4) Extrait de l'ouvrage « Parents d'élèves, l'école de la simplexité », Bernard Collot (auto-édition).
(5) Extrait de l'ouvrage « Oui ! Mais… Questions-réponses », Bernard Collot, éditions l'Instant présent (2017).
(6) http://education3.canalblog.com/