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L'atelier des confiné·e·s

Teff dit Gégé et Claude Brévot sont animateur et animatrice d'ateliers d'écriture, dans le Cher et la Nièvre. Chacun·e a leur manière, ils ont répondu à l'appel d'Ecrire ensemble et livrent ici ce que le confinement et les propositions de (Re)bonds leur ont inspiré.

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Journal de Teff dit Gégé

(Cher) ______________________________________

 

Vendredi 20 mars 2020

Bonjour,
Si
Par hasard
Je te vois
Dans un bois
Comprends le
Je t'évite
Au plus vite
Sans te dire
À peine,
Bonjour.

Samedi 21 mars 2020 – « Je suis venu mettre à l'arrêt la machine dont vous ne trouviez pas le frein d'urgence. »machine

Douze heures quarante-deux minutes, j'ai mis. Pause comprise. Je vous compte treize heures, comme stipulé dans le contrat.
J'ai bloqué deux dispositifs, avant. Pour rien. J'étais content, aucun problème majeur. Mais tout continuait. Entre nous, ces erreurs proviennent d'un manque d'organisation de votre part. Qui l'eut cru ? Un bazar, pour si retrouver. On se fait des idées. Vous présentez si bien. Toujours clair, des évidences à servir, plus qu'il n'en faut. Et la vôtre, on ne peut pas faire autrement, on y croit. Et vous aussi, c'est drôle, vous y croyez.
Alors que, dans le fond du fond, vous êtes perdu. Mais digne. Ha ça, la dignité, vous savez vous en servir. Les mains pleines de merdes, de sangs, mais digne. Bravo.
La merde, le sang, c'est pour moi aujourd'hui, dommage. J'en bouge, pour garder le frein accessible. Sitôt que je le lâche, je sens qu'elle repart, la machine. Et pas dans le bon sens à mon avis.
C'est pas que je m'ennuie, d'autres clients attendent. Une recrudescence de boulot en ce moment, je vous dis pas.
Votre attention, s'il vous plaît. Le frein, 'faut empêcher tout ça de le recouvrir. Et oui, plus difficile qu'il n'y paraît. Je vous laisse appuyer dessus. Ne le relâchez pas avant que je sois sorti. Merci. J'en ai marre à mon âge de m'occuper de ces bécanes mal foutues.

Dimanche 22 mars 2020 – état d'urgence

Pour qui, pour quoi cet état d'urgence ?
Ils disent qu'on fait trop les clowns sur les marchés, dans les rues, partout. Conséquence : un tour de vis, pour calmer la foule.
Pas de notre faute quand même, si c'est tempête tous les jours, canicule le dimanche, et que les merguez ont goût de cochon.
Bah si. C'est toujours de notre faute, pour ça qu'on les a élus. Eux savent avec précision l'ampleur des dégâts, et prévoient en conséquence.
Quand ils supposent à côté et que leurs économies provoquent la pagaille, qu'est ce qu'on peut ?
Simple, c'est de notre faute, comme d'hab'. Tu as droit de payer, sinon c'est prison. Te plains pas, il y a des endroits tu payes et c'est prison quand même.
Puisque c'est comme ça, je me barre au fond de moi-même chercher une solution.
Si tu dégotes un quelque chose de bien, ils trouveront un moyen pour dire qu'ils savaient depuis longtemps, ils attendaient juste que tu t'en rendes compte.
J'y vais, après on verra.

Alors, au fond de toi, la vérité n'est toujours pas habillée ?
Elle a pris un coup, la petite dame. Mais j'ai rencontré un type là-bas. 'Paraît pas idiot ce qu'il raconte.
Et c'est quoi ?
Le mec m'a dit que personne ne veut l'entendre. Il était d'ailleurs étonné que j'accepte de l'écouter.
Vas-y, explique.
Pas la peine, tout le monde refuse son idée.
Toi, on dirait que ça te cause.
Oui, mais c'est trop logique. Les gens, la logique les dérange. Tu comprends ? 'Peuvent plus rire avec la logique.
Comment tu veux que je comprenne, puisque tu ne m'as rien dit. C'est logique, ça.
Tu as raison. Le type, on a bien parlé ensemble. Lui, en résumé, dit, le mot sur lequel converge les maux : surpopulation.

Lundi 23 mars 2020 – disparition

Tu as compris ? Il arrive, tu lui plantes où tu peux, après on est pénard. Attention; le voilà.
Où ça ? Je vois rien.
Je l'entends, il ne va pas tarder. Tiens-toi prêt.
Tiens-toi prêt, tiens-toi prêt. T'en as de bonnes, je commence à fatiguer. Ça fait deux heures, soi-disant, qu'il arrive. Toujours rien. Tu crois pas qu'il a repéré le manège ?
On ne va pas s'affoler.
Je ne m'affole pas, je commence à fatiguer, je voulais te le dire. Quand je fatigue, je m'énerve plus vite. 'Faut le savoir. Et aujourd'hui, plus vite c'est maintenant. Puisqu'il ne vient pas, moi aussi je me barre. Salut.

Mardi 24 mars 2020 – pouvoir être confiné

Hé, tu te réveilles. C'est l'heure de se coucher.
Pas terrible ce film.
Te plains pas, tu as vu le meilleur.
Il est quelle heure ?
23 heures 40.
Quand j'étais en prison, à 10 heures, terminé la lumière.
Tu te rappelles, demain tu fais les courses.
Chouette.
Tu prends la liste, les cabas. T'oublie pas ton attestation. Tu fais pas le mariole. Tu dis pas bonjour à la dame. T'embrasse personne. Pas d'accolade. Tu gardes tes distances. Tu touches pas les gens. Tu ne vas pas à plus de deux kilomètres d'ici. Tu jettes tes mouchoirs en papier. Tu touches pas à la marchandise. Tu tousses pas. Tu craches pas. Tu rentres avant le couvre-feu. Tu ramènes personne ici. Dès que tu arrives à la maison, tu t'essuies les pieds. Tu jettes ton masque, tes gants. Tu te laves les mains.stop 4369847 960 720
Dis donc, c'est plus ce que c'était la liberté.
Ta gueule, c'est pour ton bien.

Mercredi 25 mars 2020 – défaire l'union, tisser des liens

Tu n'as pas vu rentrer une dictature ?
Pas fait gaffe, je confine avec mes potes aujourd'hui.
Comment ça se fait ? Ils contrôlent de partout. Ce matin, impossible de mettre le pied dehors pour acheter une brosse à dents. Dans trois jours, je vais renifler du bec, moi.
Je te prête la mienne.
Si la police entend ce discours terroriste, je leur dis que je ne te connais pas.
Hé.
Quoi ?
Tu crois que les dignitaires russes embrassent toujours sur la bouche ?
Terroriste. À propos, tes amis, ils ne baignent pas dans le terrorisme ? Par hasard.
J'en sais rien, ils parlent de tissage. Il y a plus que ça, d'après eux.
De tissage ? Pas con. Regarde Pénélope, pas la Fillon, celle d'Homère.
Homère ? Il pue le pléonasme ce nom.
Pourquoi tu dis ça ?
Pour l'ambiance, t'inquiète. Tu disais, Pénélope.
Je sais plus. En tous les cas ils disent, si nous sommes unis, ça fera moins mal.
Tu crois ça ?
Ils le disent en tout cas. Et ils sont un paquet.
Tu vois les CRS avec leurs grenades et leurs bombes lacrymo, unis avec les Gilets Jaunes ? Tu vois les milliardaires donner la main aux SDF ? Tu vois monsieur et madame Toulemonde inviter des Gitans à dîner ?
Tout de suite, tu exagères.

Jeudi 26 mars 2020 – ne restons pas silencieux

Qu'est-ce que tu dis ?
Moi ?
Il n'y a personne d'autre ici.
J'ai rien dit.
C'est la radio alors.
Une radio, ça se connecte avant d'entendre quoi que ce soit.
J'aurais juré que quelqu'un parlait.
Ça disait quoi ?
Pas clair, justement.
Un ordre d'idée, une tendance.
J'ai beau chercher. Beaucoup de flou.
Fais un effort.
Comment tu fais un effort pour te souvenir de quelque chose que tu n'as pas compris ?
Tu as pris tes calmants ?
La question n'est pas là.

Vendredi 27 mars 2020 - résilience

J'aime bien rebondir.
Reste en place, nom d'un chien, j'arrive pas à t'attraper.
J'aime bien rebondir.
Arrête de dire ça.
J'aime bien rebondir.
Quand je vais te choper, tu t'en souviendras.
J'aime bien rebondir.
Pas possible de continuer comme ça.
J'aime bien rebondir.
Ok. Tu gagnes pour cette fois.
J'aime bien rebondir.
Mon dernier mot reste à venir.
J'aime bien rebondir.
On a compris, à demain.
J'aime bien rebondir.

J'aime bien rebondir.
C'est con il est parti, on s'amusait bien.

Samedi 28 mars 2020 – on a bien fait

Un peu qu'on a bien fait.
Et si c'était à refaire, c'était à refaire.
Moi aussi.
On est d'accord ?
J'y crois pas.
Moi non plus, comme dirait l'autre.
Qui a dit qu'on n'y arriverait jamais ?
Conardvirus, si je me souviens bien.
À propos, qu'est-ce qu'il devient ?
Il fait son show.
Il a un show ?
Je veux, tournée mondiale, et tout le tralala.
Pas si con alors.
On l'a aidé.
Ça m'étonnait aussi.
Y en a, ils ont du bol.
Je ne l'envie pas tu sais.
Quand même.
Toujours sur les routes. Pas moyen de se poser. Ça marche au moins ?
Son succès tourne les têtes. Beaucoup veulent sa mort.
Ha bon ? Pauvre ConardVirus. Tu crois qu'il nous dirait encore bonjour ?
Pas fier le gars, toujours le même, il paraît.
Tu crois qu'il va passer par ici ?
'Va pas tarder, à mon avis.
Super. Tu te rappelles quand on lui a fait croire que la chauve-souris était la chrysalide du pangolin ?

Dimanche 29 mars 2020 – chanson du dimanche

Si je chante c'est pour moi
Que pour moi
Que pour moi

Les autres derrière l'écran
C'est pas marrant
Sont partis
Depuis que la centrale
Ça casse le moral
C'en est fini
Elle aussi
Elle a pris
Un virus
Et maintenant
Je reprends
Mon chorus

Si je chante c'est pour moi
Que pour moi
Que pour moi

Mon téléphone
Est aphone
Avec la saturation
Les satellites
Se délitent
Plus de communication
Dans la rue
C'est foutu
Pas âme qui vive
La dérive
Dans mon deux pièces
C'est pas la liesse

Si je chante c'est pour moi
Que pour moi
Que pour moi

Lundi 30 mars 2020 – aujourd'hui, je débride

Dans mon confinarium, difficile de débrider. Ménage party obligatoire.
Laver la vaisselle. La tremper d'abord. Vider les poubelles. Ce qui dort à côté, éventré ou pas, dehors. Un coup de balai, allez deux. La serpillière après. Ou plutôt l'aspirateur, nettoyeur vapeur, trois en un. Peinard, moderne, rapide. Merde. Le sac poussière saturé, jamais réussi à trouver des neufs. Retour case balai, ça consomme moins d'électricité, une part de fromage supplémentaire devrait convenir pour compenser l'effort. Tiens, je balaierai la chambre, tant que j'y suis. Changer le lit aussi. Il en a besoin. Et moi itou. Quand tout brillera, les vitres joueront les souillons du confinarium. Et si je commençais par là ?
Récapitulons. Les vitres, le balai, deuxième tour, la serpillière, le rinçage, les poubelles. Non les poubelles en deuxième, pour voir le sol. J'oubliais le lit. D'accord. Ça finit par la vaisselle. Un programme pour deux heures non stop.
Je mets la vaisselle à tremper. Avant je sors le lave vitre. Où qu'il est ?
Marre de chercher.
Envie d'écrire tout ça, alors je disais.

Mardi 31 mars 2020 – oubliés

Meuh non. On ne l'a pas oublié le petit Syrien.
Alors, il n'a plus ses bon-bombes.
Hôôô, il sourit.
Qu'il est mignon.
Et ton copain Kurde ?
Il est parti ?
Non, il se cache.
Ho le coquin.
Et le vilain Bachar, il est où le vilain Bachar ?
Et le Poutine, a pu Poutine ?
L'est content alors.
Et le petit Palestinien, il va bien lui.
On l'entend rien dire.
L'a bobo avec le corona ?
Ho, l'est méchant le corona. Vilain, pas beau.
Et le Gitan, l'est toujours là le Gitan. Il vend pas ses paniers. L'est gentil.
Ho, regardez-moi ça. Le SDF dehors, mais il a pas le droit. Il va se confiner où ?
Où ça qu'il va se confiner le SDF ? En zonzon. Fait chaud en zonzon.
Et le Tchétchène ? L'a fini les bêtises le tchétchène ? L'est gentil tout plein, maintenant.
Aller, c'est l'heure des infos, au revoir les enfants, je vais écouter Radio-CoronaVirus.

Mercredi 1er avril 2020 – Poisson d'avrilchemin

Aujourd'hui j'ai emprunté le chemin 342.
Le poison de mars commence à grossir, 4.000 cadavres mangés depuis ce matin. Une enflure disent les aigris. Sur ce chemin, plus sérieux que les autres jours, je remarque sa fraîcheur bleuâtre, jaunâtre me dit le chien.
Dis, comment tu fais pour porter tout ça ?
Attention. Aujourd'hui, tout devient sérieux. Si tu es incapable de présenter une attestation, datée, signée, qui explique pourquoi tu es vivant sur le chemin, on t'enferme.
Je résume : des couleurs agrippées aux poissons tentaient de s'évader vers le ciel. Je marche, sans discuter. La marée humaine se déversera plus tard. Nécessaire de se contenter de peu. Un policier virtuel pousse dans ma tête. Pousse tout. Interdit de marcher.
Interdit de toucher.
Interdit de baver.
Interdit de tousser.
Interdit de donner.
Interdit de quoi maintenant ?
J'ai du gel hydro-aseptique.
J'ai nettoyé le chemin, si propre à présent, je fais de chouettes galipettes cacahuètes.
Pourquoi la police a une voiture toute blanche le premier avril ?

Jeudi 2 avril 2020 – ma panoplie

J'ai tout le nécessaire pour le combat du jour.
Demain, j'attaque les moulins de la connerie ambiante. Il y a un de ces boulots, on m'a dit.
J'ai la forme. Un masque artisanal anti-air. Une camisole à l'épreuve des balles. Des chaussures blindées, découpées dans du pneu recouvert de tôle. Pour le bouclier, la vitre blindée d'une voiture ministérielle. Côté défense, trois frondes fabriquées avec des chambres à air. Un bidule profilé dans une batte de base-ball, du grand art dû au savoir-faire de mon beau-frère. Pour les jours de repos, le siège avant d'une voiture de luxe.
La connerie automobilesque en a déjà un coup.
Mon équipement week-end comporte un barbecue intégré, plus un système pour l'apéro, nécessaire de l'améliorer. J'aimerais à la place, un distributeur de chips.
Pour les intempéries, des palmes. Pour la tempête, des poids de 25 kilos. Là on perd en mobilité. Mais, indéboulonnable, le mec.
Je ne vois pas de casque.
Je vais faire à l'ancienne : un saladier en métal.
À l'attaque.

Vendredi 3 avril 2020 – et après

Il ne suffit pas de sortir sain et sauf de l'épreuve du confinement.
Nous devons réagir en vu d'assurer un avenir meilleur.
Je suis d'accord pour changer le futur, pour instaurer un monde plus sûr.
Ça commence sans tarder. Raison pour laquelle j'ai réclamé aux personnes qui me doivent de l'argent de songer dans les plus brefs délais à me payer. Additionné aux économies réalisées depuis que je ne fume plus, avec mon pécule d'argent noir, je ne m'étale pas sur sa provenance, il y a assez pour un confinarium une place, avec invité temporaire.
Sur Internet, j'ai dégoté la perle rare. Son nom, Belle Quarantaine.
J'ai commandé l'antépénultième unité qui leur reste. Une chance. Moi qui en ai si peu en temps ordinaire.
Ils me livrent sitôt le confinement terminé.
En prime, ils m'offrent l'option cubitainer de vin, duo d'apéritifs, et merguez.
Leur module pain frais tous les deux jours, je le trouve cher. L'option chauffage intégré atteint un tarif de dingue. Ils profitent de la détresse des gens.
Pourvu que le confinement 2021 se déroule l'été.

Samedi 4 avril 2020 – comptage

J'ai réfléchi, j'ai lu, sans oublier d'écouter. La nuit, ça tourne toujours dans ma caboche. On a loupé quelque chose, pas possible d'en arriver là comme ça.
Je me suis dit, si on en parle plus, si on ne les voit plus, ça se trouve, y en n'a plus. 'Faut éclaircir la situation.
'Suis allé à la présidence, demander un laissez-passer permanent qui me permettra d'organiser mes recherches, sans modération. Ils ont compris ma démarche.
Avec ce papier, les flics ne rigolent pas. L'autoroute, tous les jours si je veux. Je m'amuse à retourner au magasin juste pour acheter un paquet de chewing-gum, alors que je n'aime pas ce truc. Ces messieurs de la police ne sortent même pas leur calepin pour me verbaliser.
Ce que je fais, un jour la nation m'en récompensera. Ce n'est pas mon but, je m'en fous de la gloire, ce qui m'importe : les espèces en péril, les individus que cette crise détruit chaque jour.
Et me voilà parti, pour combien de temps ? À la recherche de cette espèce disparue. Si respectée, vantée, en d'autres temps. Pas si loin d'ailleurs.
J'ai bourlingué, 'pouvez me croire.
Un jour, j'en repère un. Encore en bon état, la larme à l'œil quand même. Un petit bâton sur mon carnet. Une semaine de prospection pour ce bâton. Si j'en dégote un autre dans une semaine, cela signifiera le caractère imminent de l'extinction.
Dix jours, oui, dix jours après j'en rencontre un. Moins frais celui-là. Mal coiffé, vêtements négligés, chaussures souillées. Haleine, option chacal. Voilà ce qui m'a décidé à entreprendre une campagne de réhabilitation pour les premiers de cordées. Sauvons les premiers de cordées, avant qu'ils ne disparaissent. Refusons le gâchis de la diversité biologique.
Un premier de cordée sauvé, cinq ruissellements retrouvés. Ne l'oubliez pas. Merci pour eux.

Dimanche 5 avril 2020 – les souvenirs s'effacent

La plupart ne s'en rendent pas compte, l'oubli mène le monde. Je regarde mon carnet, je vois rien de noté. Conséquence, je ne sais plus ce dont je voulais m'entretenir.
Comment en vouloir aux autres ?
Le problème, c'est le chef, s'il oublie qu'il est chef, comment on fait ? Y a bien un sous-chef qui se rappelle. Parce que des sous-chefs, il y a. Dans le tas au moins un, 'faut espérer, se rappelle qui est le chef. C'est mieux quand il y en a, en plus, qui se rappellent, 3, 4, 10. Parce que des fois, le sous-chef croit se rappeler que c'est lui le chef, et c'est pas vrai.
On oublie, mais des fois on se trompe. Et il y en a, ils se trompent exprès. Et c'est pas si rare.
Ha oui, le chef dit un truc, tout le monde trouve intelligent, même ceux qui sont pas sous-chefs. Et ils répètent comme le chef. Tout le monde fait ce que le chef a dit, sauf ceux qui aiment que la rigolade, ceux-là on les compte pour du beurre.
Ça y est, je me rappelle : il y a pas si longtemps, le chef a dit, « pour les masques pas la peine ». Tout le monde comprend, et dit « pas la peine ».
Après le chef a dit, « les masques pas la peine, mais on peut si on soigne ». Tout le monde répète, « pas la peine, mais on peut si on soigne ».
Depuis hier, le chef, il dit « maintenant, pour le masque si on veut tout le monde peut, parce que c'est mieux ». Tout le monde dit pareil.
Et moi je réfléchis, c'est bizarre tout ça. Le chef, les sous-chefs, les sous-sous-chefs, les autres, même ceux qui aiment rigoler. Tous ont oublié un truc qu'on nous disait souvent quand on voulait pas faire comme il faut. Ce truc, je ne sais plus ce qu'il vaut maintenant, mais personne n'en parle. Surtout à propos des masques. Parce que si on en tient compte, depuis le début, par principe de précaution, c'est ça le truc, on devait mettre des masques depuis le début.
Comme quoi aux chefs, et à tout le monde, le ConnardVirus leur a attaqué la mémoire.

Lundi 6 avril 2020 – confinitude obsession

Je sais quoi faire. J'ai ça à faire. Je sais quoi faire. C'est ça que j'veux faire.
À dire je sais quoi faire, j'ai ça à faire, je sais quoi faire, c'est ça que j'veux faire.
Une passion à dire je sais quoi faire, j'ai ça à faire, je sais quoi faire, c'est ça que j'veux faire.
J'ai découvert une passion à dire je sais quoi faire, j'ai ça à faire, je sais quoi faire, c'est ça que j'veux faire.
Grâce au confinement, j'ai découvert une passion à dire je sais quoi faire, j'ai ça à faire, je sais quoi faire, c'est ça que j'veux faire.
Afin de me soulager, grâce au confinement, j'ai découvert une passion à dire je sais quoi faire, j'ai ça à faire, je sais quoi faire, c'est ça que j'veux faire.
Je suis si bien, afin de me soulager, grâce au confinement, j'ai découvert une passion à dire je sais quoi faire, j'ai ça à faire, je sais quoi faire, c'est ça que j'veux faire.
Quel plaisir, je suis si bien, quel soulagement, grâce au confinement, j'ai découvert une passion à dire je sais quoi faire, j'ai ça à faire, je sais quoi faire, c'est ça que j'veux faire.
Quel plaisir, je suis si bien, quel soulagement, grâce au confinement, j'ai découvert une passion je sais quoi faire, j'ai ça à faire, je sais quoi faire, c'est ça que j'veux faire.
Quel plaisir, je suis si bien, quel soulagement, grâce au confinement, j'ai découvert, je sais quoi faire, j'ai ça à faire, je sais quoi faire, c'est ça que j'veux faire.
Quel plaisir, je suis si bien, quel soulagement, grâce au confinement, je sais quoi faire, j'ai ça à faire, je sais quoi faire, c'est ça que j'veux faire.
Quel plaisir, je suis si bien, quel soulagement, je sais quoi faire, j'ai ça à faire, je sais quoi faire, c'est ça que j'veux faire.
Quel plaisir, je suis si bien, je sais quoi faire, j'ai ça à faire, je sais quoi faire, c'est ça que j'veux faire.
Quel plaisir, je sais quoi faire, j'ai ça à faire, je sais quoi faire, c'est ça que j'veux faire.
Je sais quoi faire. J'ai ça à faire. Je sais quoi faire. C'est ça que j'veux faire.
Trois fois par jour, plus si gros problème à endiguer.
Ma nouvelle vie grâce au ConnardVirus se dirige droit sur l'extase.

Mardi 7 avril 2020 – le retour du hippie sans lit

Je veux pas finir hippie.
Pourquoi ?
J'aime pas les cheveux longs, j'aime pas la musique avec sitar et tablas, j'aime pas l'encens, j'aime pas les tuniques, j'aime pas les pieds sales. J'aime pas les fleurs dans les cheveux. J'aime pas les bagues plein les doigts, j'aime pas les écharpes de Bénarès.
C'est fini tout ça. Les hippies un peu sérieux se déplacent en jet privé, costard-cravate, coupe Daniel Galvin, chaussures en cuir d'agneau.
Alors là je veux bien.
Je me disais aussi.
On part quand ?
Aussitôt que je reçois le « Manuel de la vie au grand air », commandé sur Internet.
Excellente idée. Tu me le prêteras ?
Je ne prête plus dans ma nouvelle vie, je loue.
Combien ?
Tout dépend de ce que tu proposeras, et du nombre de personnes qui veulent le lire.
C'est sérieux toi.
J'ai un jet privé à acheter.
Il arrivera quand ton bouquin ?
On me le livre en 24 heures. J'ai passé commande il y a deux jours. Avec l'embrouille que j'ai manigancée, ça prend plus. Comme ça, ils remboursent la livraison et la moitié de l'objet acheté.
Dis donc, t'es affûté toi.
J'ai un costume trois pièces, cousu main, à acheter.
Ta maison là-bas, elle est comment ?
Dans le bouquin, on peut choisir entre trois modèles. J'hésite encore.
T'as une piscine ?
Et l'écologie, voyons.
J'suis con.
Un petit jacuzzi suffit. Tiens, le site du bouquin m'envoie un mail. Ils me disent, comme ils connaissent mon numéro de carte bleue et que je suis difficile à trouver, qu'ils s'autorisent à prélever trois fois le prix d'une livraison standard. Les salauds.
L'homme est une hyène pour l'homme.

Mercredi 8 avril 2020 – les jours d'aprèstransformation 4990460 960 720

Qu'est-ce tu préfères pour les jours d'après ?
D'après qui ?
Le virus, le confinement. Tout ça quoi.
C'est quand ?
Dans, je ne sais pas au juste, disons trois semaines.
Je préfère continuer comme on fait là.
T'en as pas marre de rester enfermé ? De voir personne ?
C'est pas pour dire, on voit moins de cons de cette façon.
Peut-être, mais ta famille, tes amis ?
Y a des cons partout.
Si tu veux, mais il n'y a pas que des cons.
J'ai Zoom, Skype, Facebook, Instagram, Tweeter, Leboncoin, la Fnac, Cdiscount, Netflix, Amazon, là il y a plein de gens supers. Si on veut pas les voir, facile.
C'est pas une vie ça.
C'est pas la mort.
Pour acheter ta bouffe quand tu veux, ce que tu veux, où tu veux.
Uber livraison.
Faire des voyages.
J'ai un casque 3D, je vais où bon me semble. Pas de grève, pas de virus, pas de manif, pas de volcan perturbateur, pas de crash, pas de mauvais plan, pas de langue incompréhensible, pas de bouffe dégueulasse, pas de guide à lire, pas de jetlag, pas de queue à la douane, pas d'argent à changer, pas de chaleur insupportable, pas de froid horrible. Que du bonheur.
Admettons. Mais les rencontres ?
Meetic.
Pour toi les jours d'après, c'est maintenant, quoi.
J'allais le dire.

Jeudi 9 avril 2020 – cueillette sauvage

J'en ramasse des baies, des herbes, des fleurs, des fruits, les champignons. J'en mange, j'en bois, confiture, sirop, limonade, fricassée, salade, tisane. Le supermarché Nature ouvert 24 sur 24. Pas de caddie. Pas d'emballage plastique. Pas de caissière. Pas de gondole. Pas de service réclamation.
Tu peux chercher les panneaux qui indiquent ce qu'il y a dans les rayonnages. Tu peux chercher longtemps.
Dans ce magasin on observe, savoir attendre. Sentir, écouter.
Selon tes envies, direction forêt, balade dans les prés, au bord de l'eau, le sous-bois. Les haies.
Impératif, s'harmoniser avec les saisons.
Savoir ce qui est bon, savoir ce qui est poison. Se renseigner. Apprendre.
Un principe, quand il y a un doute, pas de doute tu ne prends pas.
Les cueillettes civilisées ne sont pas désagréables quant à elles. Jeune, elles avaient mes faveurs. Abricotier de banlieue. Pommier des champs. Cerisier de campagne.
C'est si bon, tous ces chapardages.
La limonade de sureau, fer de lance de mes productions. Son autre nom, plus poétique, j'adore : le champagne des fées. Avec ça, on étonne le Parisien de base. J'ai vu des Berruyers s'émerveiller de cette saveur délicate, puissante, fleurie.
On n'en finit jamais avec ce magasin.

 

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Claude Brévot

(Cher) _____________________________

 

Résilience

C'est un mot sérieux, grave, qui évoque des tranches de vie où la personne déguste, et ce n'est pas du gâteau ; c'est aussi un mot qui va bien avec le titre du web-magazine (Re)bonds ; oui c'est la capacité de rebondir après une épreuve difficile, soudaine, massive et / ou de longue durée ! Une capacité certaine à résister aux coups durs !
Et toi, Marie, ça te fait penser à quoi ce mot ? Ça grésille dans la poêle et dans la cheminée, ça fleure bon la soirée entre amis ; le mot laisse entendre un bruit sympa sauf quand on est au bout du fil et que ça grésille plus que ça ne cause !
Ça grésille sous la résille quand elle coiffe en chignon ses longs cheveux blonds ; ils sont un peu électriques, à son image : tant de vivacité, de dynamisme qu'elle saura sûrement tenir le coup s'il le faut !
Résilier plutôt que se résigner ! Décider de tourner la page quand celle-ci a été trop douloureuse à vivre, partir sur de nouvelles bases, établir avec la vie un autre contrat !voyageur masqué
Les sonorités de ce mot m'évoquent aussi le parfum d'une gaufrette de l'enfance : craquante, légère et parfumée à la vanille ; il ne s'agissait pas d'ouvrir en cachette la boîte à gâteaux : l'effritement de la gaufrette sur le parquet signait le larcin ; en réalité, je crois que c'était le nom d'une marque de gaufrette « Résille d'or », définitivement associée à un plaisir gourmand !

Puisse ce temps – hors de l'espace-temps – que nous vivons, dans sa durée, apporter, par la magie d'un mot, des images que l'on croyait enfouies et qui peuvent aider, y compris dans des conduites de résilience.

Le voyageur masqué et le postillon

Cahin-caha sur les routes de France
Allait la diligence
Guidée par le postillon en redingote à l'avant.
« Fouette cocher » ! lui dit le voyageur de l'intérieur.
Le terme de cocher ne plut point au postillon.
Piqué au vif, il usa de sa cravache
Et l'ornière fut fatale :
L'essieu rendit l'âme
Le sieur de l'intérieur - qui voyageait masqué
Chut et le masque glissa...
Le postillon rouge de colère
Postillonna si fort à l'endroit du malappris
Que celui-ci très déconfit ne se releva pas immédiatement...