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Un moratoire exigé par la Confédération paysanne

La Confédération paysanne a réclamé, le 12 janvier dernier, un moratoire sur la méthanisation en attendant un bilan et une Analyse du Cycle de Vie (ACV) du procédé. Représentants du syndicat dans le Cher, François Crutain (Cuffy), Frédéric Bidault (Clémont) et Jean-Paul Chauvelot (Vesdun) nous expliquent pourquoi.

Pour François Crutain, le développement de la méthanisation s'inscrit dans un contexte particulier : notre mode de vie, tout comme le modèle d'agriculture dominant, est énergivore.
Mais la population étant de plus en plus sensible aux problèmes environnementaux – notamment liés au réchauffement climatique – l'accent politique est porté sur les énergies renouvelables, sans que nos modes de consommation soient réellement remis en question.
En clair : il s'agit seulement de trouver des alternatives aux énergies fossiles, mais pour consommer toujours autant ! Or, la Confédération paysanne milite pour un changement en profondeur, ce qui nécessite des efforts pour réduire les consommations d'énergie.

« La méthanisation est symptomatique de l'écart abyssal entre les points de vue de la Confédération paysanne et ceux de la FNSEA (1) et des acteurs du commerce agricole », explique François Crutain. Elle est symptomatique d'un choix politique et sociétal, plus que technique.
« Nous ne sommes pas contre le principe de méthanisation, nuance Frédéric Bidault. Comme beaucoup de sujets, c'est une question d'échelle : pour nous, les fermes à taille humaine sont les plus efficaces. Donc, un système de méthanisation à l'échelle d'une ferme, où les déchets sont utilisés sur place pour fabriquer de l'énergie qui sert sur place, ça paraît intéressant. Mais on observe que les projets des méthaniseurs sont toujours très gros. »

Ainsi, pour supporter les investissements conséquents et pour s'assurer les volumes nécessaires au bon fonctionnement de l'unité, les agriculteur·ices ont tendance à se regrouper. « On se retrouve alors avec des fermes de plusieurs milliers d'hectares qui emploient des sous-traitants », regrette Frédéric Bidault.

Contre la financiarisation de l'agriculture

Plus grave encore, les agriculteur·ices seraient progressivement dépossédé·es des terres à cultiver. C'est ce qui est appelé « la financiarisation de l'agriculture ».
Les surfaces consacrées à l'alimentation entrant en concurrence avec les surfaces consacrées aux méthaniseurs (voire au photovoltaïque au sol ou aux agro-carburants), le prix du foncier augmente. C'est ce qu'a constaté Jean-Paul Chauvelot à Vesdun : « Les experts fonciers ont montré qu'en quelques années, nous sommes passés de 2.500 euros l'hectare environ, à 4.000 euros. » Les nouveaux agriculteur·ices ont alors de plus en plus de difficultés à s'installer. A leur place, des Groupements Fonciers Agricoles (GFA) voire de simples investisseurs dont le but est de spéculer sur la terre.

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Pendant ce temps, la population demande plus de produits locaux et issus de l'agriculture biologique. Durant le premier confinement, les paysan·nes n'étaient pas suffisamment nombreux·ses pour répondre à cette demande dans le Cher. Les consommateur·ices doivent donc s'approvisionner avec des produits venant de plus loin. Une aberration sociale et écologique.

Autre problème pointé du doigt par la Confédération paysanne dans sa demande de moratoire : « Trop de végétaux qui ne sont pas des déchets alimentent les méthaniseurs. »
François Crutain est formel sur l'argument des cultures intermédiaires (lire aussi la rubrique (Ré)acteurs) : « Il serait entendable s'il existait des contrôles stricts. Or, il n'y a pas de contrôles. Ce sont des vœux pieux qui n'engagent que ceux qui les prononcent. Quand il faut nourrir un méthaniseur et qu'il n'y a pas assez de volumes de cultures intermédiaires, comme c'est le cas certains hivers, ce sont des tonnes de maïs qui se retrouvent dedans ! »

« Aucune étude officielle sérieuse »

Que pense l'organisation syndicale des craintes liées à l'environnement ? « J'ai une crainte sur la qualité des digestats, reconnaît François Crutain. Si on composte de la matière organique comme on le fait dans les fermes bio, on obtient un produit très riche en vie microbienne. En l'introduisant dans un méthaniseur, avec un procédé de fermentation sans oxygène, on obtient deux formes : une solide, quasi inerte ; et une liquide, pour le coup très riche, un vrai coup de fouet… mais très lessivable et très volatile avec un pouvoir important de gaz à effet de serre. »
A Vesdun, avec quatre projets de méthaniseurs, Jean-Paul Chauvelot s'inquiète des quantités à épandre. « Ça va être énorme. Et à des doses pareilles, qu'est-ce que ça va donner ? »

C'est précisément pour répondre à ce type de questions que la Confédération paysanne exige un moratoire et une Analyse de Cycle de Vie (ACV). « Aucune étude officielle sérieuse pour faire un bilan énergétique et financier n'a été réalisée par l’État sur ce sujet », déplore François Crutain.
En attendant, elle tente d'agir au niveau régional. « Pour avoir un droit à exploiter, il faut demander à l’État, qui délègue aux régions la rédaction d'un schéma des structures agricoles. Cela priorise les autorisations lorsqu'il y a mise en concurrence sur les terres », rappelle Jean-Paul Chauvelot. La Confédération paysanne a demandé que les projets de méthanisation ne soient pas prioritaires. « Le débat est en cours... »

L'organisation syndicale invite aussi la société civile à se mobiliser. Elle a été contactée par des opposant·es de la commune de Plou concerné·es par le projet de Chârost mais n'a pas donné suite : « on ne peut pas être sur tous les fronts, et on ne fera pas changer les choses tout seuls, mais il est hors de question qu'on baisse les bras », assure néanmoins François Crutain.

Fanny Lancelin

(1) FNSEA : Fédération Nationale des Syndicats d’Exploitants Agricoles.