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Un exemple de micro-méthanisation

Philippe Abrahams est installé à Saint-Léger-Vauban dans l'Yonne, dans une ferme cogérée avec des moines bénédictins. Son unité de méthanisation utilise majoritairement des déchets de la ferme et il n'est pas question pour lui de produire des cultures pour nourrir la machine.

 

« Présentez-nous votre ferme...

Elle se situe au nord du Parc Naturel du Morvan. La surface agricole est de 175 hectares. Le sol est granitique, assez pauvre, acide et séchant.
Nous avons 80 vaches laitières de race brune. Jusqu'en 2019, nous avions aussi un atelier de chèvres mais il devenait difficile de trouver du personnel.
Nous transformons la moitié du lait en produits laitiers, fromages, yaourts et faisselles.

Deux personnes s'occupent de l'élevage et de la culture pour le cheptel : 15 hectares de céréales et 10 hectares de métaie. Tout le reste est en prairies temporaires.
Nous employons également une fromagère à plein temps, deux personnes à temps partiel et une apprentie.

La ferme fonctionne en co-gestion avec le monastère, qui intervient surtout sur l'aspect décisionnel. Il a fait le choix du « bio » depuis 1969 (1). Son objectif est que la ferme soit vivante et autonome (lire aussi l'encadré).
Pour moi aussi, dans le fonctionnement de la ferme, l'idée est d'aller vers le plus d'autonomie possible.

Comment est née l'idée de l'unité de méthanisation ?

La fromagerie était chauffée au propane. La facture du gaz pesait. L'idée était de limiter cette charge d'énergie.
Un jour dans l'étable, j'observais la chaleur s'élever du fumier… pourquoi ne pas canaliser cette chaleur pour la fromagerie ? Mais à l'époque, je n'ai trouvé personne sachant le faire.

Quelque temps plus tard, en 2006, la Chambre d'agriculture a organisé un stage sur le sujet. J'y suis allé. Les autres participants étaient surtout des céréaliers qui avaient des problématiques de fertilisants.
Nous nous sommes organisés pour visiter des unités de méthanisation dans l'Est de la France, puis un cabinet a fait une pré-étude sur la ferme, financée par l'ADEME (2). Mais la conclusion, c'était que je n'avais pas suffisamment de volumes de déchets.

Le temps a passé. Finalement, c'est l'ADEME qui nous a recontactés : une personne venait d'être embauchée pour développer la méthanisation dans notre région. Nous avons travaillé avec le cabinet d'études ARIA qui est venu sur le site pour voir comment incorporer au mieux l'unité dans le fonctionnement de la ferme.

abbaye de la pierre qui vire

Combien de temps s'est écoulé entre l'idée et la construction de l'unité ?

La formation a eu lieu en 2006, la construction a démarré en 2010 et l'unité a été mise en route en 2012.

Qu'est-ce qui vous a paru le plus complexe dans les différentes étapes du projet ?

Les relations avec EDF.
Il y avait eu une première loi sur le biogaz en 2006 et une deuxième en 2011. Nous étions entre les deux périodes, ce qui était plutôt à notre avantage en terme de rachat de l'électricité. Mais ça a été compliqué de faire valider notre projet auprès d'EDF.

A ce moment-là, il n'y avait pas de règlement sanitaire comme aujourd'hui. Ça nous est tombé dessus après ! Et tout ce qui concerne l'ICPE (3) a été assuré par le cabinet d'études.

Avez-vous été formé à la conduite d'une unité de méthanisation ?

Non. J'ai monté mon installation avec le bureau d'études en choisissant les entreprises compétentes et en réalisant certains travaux moi-même. En construisant pas à pas le méthaniseur, on apprend comment ça marche.
J'ai tout de même suivi quelques formations sur des points précis, comme la biologie ou la mécanique par exemple.

Avec quels types de déchets fonctionne votre unité et d'où proviennent-ils ?

Il s'agit du lisier de nos vaches et des déchets de céréales comme des poussières de silo que j'ai fait le choix d'acheter à la COCEBI, la Coopérative Céréalière bio de Bourgogne (4).

Vous ne produisez pas de CIVE, de Cultures Intermédiaires à Vocation Energétique ?

Il n'en est pas question ! Si je cultive, c'est pour nourrir les bêtes.

 

Installation pierre qui vire

A quoi sert le gaz produit ?

Le méthane est utilisé comme combustible dans un moteur qui entraîne une génératrice et produit de l'électricité. La chaleur du moteur permet de chauffer la fromagerie. Sa puissance est de 30 kw/h.
J'aimerais utiliser le gaz pour les véhicules de l'abbaye. Ça me gêne qu'on produise un hydrocarbure sans pouvoir s'en servir directement. C'est un problème technologique : il n'y a pas de recherches entamées pour de petites unités.

Où est épandu le digestat ?

Sur les champs de la ferme.

Quel investissement représente cette unité ?

Elle a coûté 450.000 euros. Nous avons bénéficié d'un plan de performance énergétique. L'ADEME a présenté un certain nombre de projets au niveau national et le nôtre a été retenu parce que c'était une petite unité. Elle a été financée à hauteur de 40 %. Si nous n'avions pas reçu d'aides, nous ne serions peut-être pas allés au bout.

Comment l'annonce de votre projet a-t-elle été accueillie par la population ?

Beaucoup de monde est venu visiter, surtout au début.
Nous n'avons pas eu de problèmes.
Ça sent moins mauvais dans mon méthaniseur que dans une étable !

Comprenez-vous quand même les inquiétudes qui accompagnent parfois l'installation d'une unité de méthanisation ?

Ça dépend où elle est, ça dépend comment elle est faite.
C'est vrai que je m'interroge aussi sur l'intérêt des grosses installations.

Ce qui donne de l'intérêt à mon projet, c'est la vente de l'électricité donc l'économie que je fais sur l'énergie. C'est dans cet esprit que notre méthaniseur a été conçu.
Si nous allions chercher des déchets à l'extérieur, c'est sûr, nous pourrions faire plus gros !
Mais nous sommes en agriculture biologique et il est important de maîtriser ce qui entre dans le méthaniseur notamment pour la qualité du digestat.

On doit réfléchir à l'endroit où on le met et pourquoi on le met. Ça va avec le modèle agricole qu'on choisit pour sa ferme. »

Propos recueillis par Fanny Lancelin

Le descriptif complet de l'unité de la ferme est disponible sur : https://www.bourgogne-franche-comte.ademe.fr/sites/default/files/descriptif-installation-pierre-qui-vire.pdf

(1) Depuis cinquante ans, la ferme de l'abbaye de la Pierre-qui-Vire est conduite sans utilisation de substances chimiques de synthèse (engrais ou pesticides). Aujourd'hui, ses produits bénéficient du label AB et Morvan Terroir
(2) ADEME : Agence De l'Environnement et de la Maîtrise de l'Energie, appelée aussi Agence de la Transition Energétique. https://www.ademe.fr/
(3) ICPE : Installées Classées Protection de l'Environnement. https://www.service-public.fr/professionnels-entreprises/vosdroits/F33414, rubrique « Qu'est-ce qu'une ICPE ? »
(4) https://www.cocebi.com/

 

Sur les terres d'un monastère

  • C'est en 1938 que les moines bénédictins de la Pierre-qui-Vire ont acheté la ferme située à 800 mètres de leur lieu de vie. Ils y font alors de l'élevage et de la culture. En 1965, la fromagerie est créée et, en 1969, la ferme est labellisée « biologique ». En 1987, elle est confiée à Philippe et Véronique Abrahams, des laïcs. La forme juridique est une SCEA (Société Civile d'Exploitation Agricole).
    L'abbaye, quant à elle, a été fondée en 1850 par le Père Muard, près d'un dolmen qui portait le nom de « Pierre qui vire ». Après les expulsions de la fin du XIXe et du début du XXe siècles (liées notamment aux lois de séparation de l’Église et de l’État), la communauté est revenue en 1920. Une école, une maison d'édition sur l'art, une imprimerie mais aussi une usine hydroélectrique et une chaufferie à plaquettes de bois ont vu tour à tour le jour dans le monastère.

  • Pour en savoir plus sur l'histoire et les activités de l'abbaye : http://www.apqv.fr