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« Le Petit livre bleu - Analyse politique et critique de la société des schtroumpfs », Antoine Buéno

On est d'abord intrigué·e par le titre, surpris·e par le propos, décontenancé·e par les conclusions. C'est précisément pour cela qu'il faut lire « Le Petit livre bleu » ! Il tend à démontrer le totalitarisme de la société des schtroumpfs ! Ludique, son approche se réfère à l'adage des Shadoks : « mieux vaut exercer son intelligence à des conneries que sa connerie à des choses intelligentes ».

Quelle est la thèse d'Antoine Buéno qui conduit tout le « Petit livre bleu » ? « La société des schtroumpfs est un archétype d'utopie totalitaire empreint de stalinisme et de nazisme ». Rien que ça !

Qu'on ne s'y trompe pas. L'auteur ne déteste pas les lutins bleus. C'est en tout cas ce qu'il assure dès l'avant-propos : « Autant l'écrire noir sur blanc : nous aimons les schtroumpfs. Leur univers fait partie intégrante de notre enfance. Pas question d'en casser la magie, d'en rompre le charme ; pas question de briser un joujou avec lequel nous avons tant joué. Bien au contraire, continuons de jouer avec, mais d'une autre manière. »
Il s'est intéressé à la nature de la société des schtroumpfs et plus précisément au régime qui les gouverne. Pour cela, il a analysé dix-sept albums cartonnés réalisés du vivant de Peyo (alias Pierre Culliford, l'auteur belge des schtroumpfs) sous un angle socio-politique.

Selon Thierry Culliford, le fils de Peyo, l'auteur des schtroumpfs n'a jamais mûri une véritable conscience politique. Dans la Belgique d'après guerre, il votait centre droit, plutôt par dépit, pour ne pas voter pour le parti chrétien conservateur ni pour les socialistes. Il était un libéral modéré. Pourtant, il a été accusé de son vivant de communisme (notamment par les Américains), de sexisme (donc de conservatisme) et d'antisémitisme. Pour Antoine Buéno, il pourrait s'agir d'un « cas typique de dissociation entre les intentions d'un auteur et les représentations et idées réellement déployées au fil de sa BD ».

Dans la première partie du « Petit livre bleu », sont analysées les caractéristiques des schtroumpfs. Celles-ci servent le propos de la deuxième partie, qui s'intéresse à proprement parler au mode d'organisation politique de leur société et aux idéologies qui la porteraient. Car, à en croire Antoine Buéno, rien ne serait anodin dans les schtroumpfs : ni leur couleur, ni leur langage, ni leur ennemi, ni même leur apparente absence de sexualité…
D'abord, tous les éléments de la bande dessinée marqueraient le fait que la société des schtroumpfs est représentée comme une utopie : tout le monde (ou presque) est heureux ; les besoins sont minimes ; les schtroumpfs savent vivre ensemble en bonne intelligence ; les histoires racontent des ruptures passagères de cet état de fait mais ce n'est jamais à cause de la société, au contraire c'est le collectif qui répare et rétablit le bonheur.
En quoi cette utopie emprunterait-elle au stalinisme ? Le Grand schtroumpf serait calqué sur le personnage de Staline, celui du schtroumpf à lunettes sur Trotski, (contestataire, donneur de leçons et mal aimé du peuple), le village calqué sur le modèle soviétique (avec la collectivisation des moyens de production et la vie en collectivité), Gargamel (qui ne cherche qu'à s'enrichir) représenterait le capitalisme comme le faisait la propagande URSS...
Les courts chapitres qui se succèdent sont intéressants et ils ont le mérite d'illustrer des concepts politiques existants.

En revanche, la partie sur le nazisme apparaît franchement capillo-tractée ! L'auteur veut démontrer que certains albums sont teintés de racisme (« Le Schtroumpf noir ») et que certains personnages prouveraient les déviances idéologiques de Peyo : l'antisémitisme avec Gargamel et Azraël, la misogynie et la phallocratie avec la Schtroumpfette, l'autoritarisme avec le Grand schtroumpf et schtroumpf à lunettes.
Mais, une fois encore, la démarche et l'argumentaire restent intéressants, pour peu qu'on prenne un peu de recul.

Une chose est vraie : dans la société des schtroumpfs, l'individu est seul face au pouvoir ; il n'existe aucune structure intermédiaire ; la hiérarchie est composée seulement du chef et des schtroumpfs qui constituent la base, la masse ; aucune contestation n'est possible, après les « bêtises » (comme le sont présentées les élections dans « le Schtroumpfissime »), il y a toujours un rétablissement de l'autorité paternaliste. Et le plus inquiétant, c'est sûrement que les schtroumpfs soient présentés heureux comme ça…

« Le Petit livre bleu » d'Antoine Buéno a été publié en 2011 aux éditions Hors collection : www.horscollection.fr