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Intermittent·e·s du spectacle et précaires de l'emploi : même combat !

A chaque fois que leur capacité à créer est mise à mal, notamment via leurs ressources financières, les intermittent·e·s du spectacle se mobilisent. Depuis 2003, une coordination porte leur voix. Retour sur ses dernières actions et revendications avec Mélanie Charvy, directrice artistique de la compagnie de théâtre les Entichés (basée dans le Cher), membre de la Coordination des Intermittent·e·s et Précaires et de la CGT-spectacle.

Quand la CIP est-elle née ? Dans quel contexte ?

« C'est un mouvement né en 2003 contre la réforme de l'Assurance chômage, se souvient Mélanie Charvy. C'était une initiative des intermittents du spectacle qui, tout de suite, ont souhaité l'ouvrir à tous les précaires, tous les intermittents de l'emploi. »
Rappelons que les intermittent·e·s du spectacle ont, en France, un régime particulier lié à la précarité inhérente à leurs professions. Lorsqu'il·le·s cumulent suffisamment d'heures pour en bénéficier, il·le·s perçoivent des allocations qui doivent combler les périodes de non activité.

En 2003, en plein été caniculaire, les artistes organisent des manifestations et leur grève paralyse les festivals comme le très médiatique festival d'Avignon. Des plateaux de télévision sont occupés et des actions en justice intentées contre la réforme signée à l'UNEDIC (1) en juin 2003.

D'emblée, la Coordination des Intermittent·e·s et Précaires (CIP) annonce son désir de renégocier. Durant plusieurs mois, alors même que la réforme est déjà entrée en application, elle organise des débats pour faire de nouvelles propositions concrètes aux partenaires qui composent l'UNEDIC : c'est le « nouveau modèle ».
Parmi ses revendications : ne pas « atomiser » les différents statuts (la réforme prévoit de distinguer par exemple artistes et techniciens, audiovisuel et spectacles) mais considérer les pratiques d'emploi et réaffirmer une solidarité interprofessionnelle. Elle milite également pour un revenu de remplacement et non de complément en période de chômage ou encore pour une meilleure gestion de l'Assurance chômage.

« La CIP vit lorsqu'il y a de grands mouvements », précise Mélanie Charvy. Ainsi, elle est de retour en 2014 avec d'importantes manifestations et l'occupation de lieux culturels, contre une nouvelle réforme de l'Assurance chômage marquée notamment par un nouveau mode de calcul des allocations.

Dès 2020 et le début des confinements, la CIP nationale a repris du service pour réclamer des aides d'urgence suite à la fermeture des lieux culturels, mais aussi, plus globalement, de tous les lieux employant des salarié·e·s précaires et intermittent·e·s de l'emploi.

Quel est son statut ? Comment fonctionne-t-elle ?

« Ce n'est pas une association ou alors, de fait », répond Mélanie Charvy. « Il y a une coordination nationale mais tout est horizontal. Chaque CIP locale est libre de publier et de mettre en œuvre ou non, les textes transmis par la CIP nationale. Dans l'autre sens, après les réunions en local, nous faisons remonter nos décisions au niveau national. »

Des CIP locales ont en effet été créées au fil des luttes. Comme dans le Cher et l'Indre. Elles ont fusionné en 2014.

Selon les lieux, des liens étroits existent avec les syndicats. « Ça a été le cas cette année à Bourges, avec la CGT. Au final, nous avons même créé une section locale CGT-spectacle. »

Qui peut la rejoindre ?

« N'importe qui. Tu n'as pas besoin d'être syndiqué ou de cotiser à quoi que ce soit. Dans le Cher, on s'aperçoit qu'il y a surtout des intermittents du spectacle mais à Châteauroux, il y a aussi des précaires de la restauration. »

Aujourd'hui, une quarantaine de personnes participent activement à la CIP 36-18.

Quels sont les sujets sur lesquels elle se concentre aujourd'hui ? Quels sont ses projets ?

« Suite à l'occupation des théâtres et les manifestations des derniers mois, nous avons obtenu quelques avancées, comme la prolongation de l'année blanche pour quatre mois pour les intermittents du spectacle (3). Mais nos revendications concernaient l'ensemble des intermittents de l'emploi, rappelle Mélanie Charvy. Nous avons aussi obtenu des aides supplémentaires pour les petits lieux et des aides à la relance pour les compagnies… mais c'est un fourre-tout difficile à comprendre ! Je crains que l'argent n'arrive qu'aux plus grosses structures. »

La plus grande victoire est sans doute arrivée en juin : la suspension, par le Conseil d’État, du nouveau mode de calcul des indemnités des allocations chômage qui devait entrer en vigueur au 1er juillet et fragilisait encore les plus précaires. Le Conseil d’État avait été saisi par des syndicats, soutenus par la CIP. Une décision sur le fond sera rendue dans quelques mois.
« Le combat va devoir recommencer à la rentrée, nous organiserons certainement des manifestations », explique Mélanie Charvy. La réforme des retraites devrait donner lieu également à de fortes mobilisations.

Quelle est la position de la CIP sur la mise en place du pass sanitaire dans les lieux culturels ?

Difficile d'obtenir un consensus sur ce sujet, tant la situation économique des précaires, par définition, est fragile. Après un an d'arrêt, parfois plus, nombre d'artistes sont pressé·e·s de jouer à nouveau et de retrouver leur public. Certes, quelques-un·e·s, à l'image d'HK et les Saltimbanques, ont décidé d'annuler purement et simplement leur tournée. Mais il·le·s semblent minoritaires.
Mélanie Charvy soupire : « C'est compliqué… Nous voulons simplement faire notre métier… pour des raisons économiques mais aussi, parce que nous avons envie de remonter sur scène ! Au sein de notre compagnie, il y a eu un débat. Pour l'instant, nous allons jouer, y compris là où le pass est demandé au public. Pour les artistes, personne de notre compagnie n'imposera jamais à quiconque le vaccin ou le pass. »
Elle se dit « scandalisée par le non-remboursement des tests PCR » qui entrera en vigueur en octobre. « Du coup, les gens n'ont plus d'autre choix que de se faire vacciner. »

Sur le sujet du pass, la CIP s'est surtout battue contre l'inégalité de traitement entre les contrats courts et les CDI (Contrats à Durée Indéterminée). Là aussi, elle a obtenu gain de cause puisque le 5 août dernier, le Conseil constitutionnel a tranché : il n’y aura pas de rupture de Contrats à Durée Déterminée (CDD) ou d'intérim pour cause de non-présentation du pass sanitaire dans les entreprises recevant du public à partir du 30 août.

 

Fanny Lancelin

(1) UNEDIC : association qui gère le régime de l'Assurance chômage. https://www.unedic.org/
(2) http://www.cip-idf.org
(3) Chaque année, les droits des intermittent·e·s du spectacle sont recalculés. Pour en bénéficier, il·le·s doivent avoir déclaré au moins 507 heures à date anniversaire (la date de la première ouverture des droits). A cause de l'annulation ou du report des spectacles liés au Covid, le gouvernement a accepté que les intermittent·e·s bénéficient d'un délai supplémentaire pour effectuer ces 507 heures.