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Toujours là. Ou comment les Gilets Jaunes ont transformé leur mouvement.

« « Faut-il lutter ou se soumettre ? »
Il faut se soumettre pour survivre et lutter pour continuer d'être »
Antoine de Saint-Exupéry

Parce qu'iels se sentaient invisibles, iels ont enfilé une chasuble fluorescente aux bandes réfléchissantes. Dès lors, qui pouvait prétendre ne pas les voir ?


Parce qu'iels se sentaient enfermé·e·s et esseulé·e·s, iels sont sorti·e·s et se sont regroupé·e·s. Beaucoup se rencontraient pour la première fois, beaucoup sont devenu·e·s des ami·e·s.
Et parce qu'iels avaient tant à dire, tant à hurler, tant à proposer aussi, iels ont manifesté des semaines durant, parfois avec la rage au corps et en dehors, souvent empli·e·s d'un espoir de véritable changement. L'impression de vivre, enfin, le soulèvement des masses si longtemps annoncé, trop longtemps attendu.

Je ne les ai pas vu·e·s. Pas tout de suite. Puis, quand iels me sont apparu·e·s, je les ai ignoré·e·s.
C'était à Bourges, sur une place du centre-ville. Nous étions quelques dizaines à manifester contre les violences sur la ZAD de Notre-Dame-des-Landes et pour l'abandon du projet d'aéroport, quand ont surgi dans une rue attenante des centaines de personnes, souvent à moto, réclamant le retrait de la taxe carbone. Mais de quoi pouvaient-iels bien parler ? Ne pouvait-on pas se mobiliser pour une plus juste cause ?

Dans ma campagne, pas beaucoup de ronds-points occupés. Ma route croisait finalement peu celleux qu'on appelait déjà les Gilets Jaunes. Quelques ami·e·s allaient leur rendre visite, d'autres partaient chaque samedi manifester à Paris mais peu ont passé leurs nuits dans les abris bricolés pour tenir les ronds-points. Pourtant, nombre d'entre nous avions connu d'autres luttes, monté des barricades et construit des cabanes, défilé contre tel projet de loi ou pour défendre telle cause, distribué des tracts, organisé des soirées de soutien. Se regrouper, s'organiser, dénoncer, revendiquer, se heurter à la répression…

En quoi, cette fois, était-ce différent ? De quoi avions-nous peur ?

Pour ma part, je n'ai tout simplement pas compris. Comme si, finalement, l'idée fantasmée de révolte avait pris le pas sur la possibilité qu'elle advienne vraiment. Comme un rêve dont on ne parvient pas à croire qu'il devient réalité.
Je me suis réveillée en découvrant en images les affrontements dans les rues de la capitale. J'étais sidérée.
Ce mouvement était passionnant. Semaine après semaine, ma fascination a grandi pour ces milliers de personnes qui, malgré une répression féroce, retournaient affronter leur pire ennemi : la domination. Par l'exclusion, le travail, l'argent, le pouvoir, le racisme, le sexisme, la police…

Ont-iels abdiqué ? Une fois les rues nettoyées et les ronds-points évacués, se sont-iels résigné·e·s ? Sûrement pas. Le mouvement n'a pas disparu. Il s'est transformé. C'est vrai, certain·e·s ont raccroché le gilet mais qui peut dire si c'est de manière définitive ? D'autres, beaucoup d'autres, ont créé les moyens de prolonger cette aventure et cet engagement. Ce sont elleux vers qui je vais aujourd'hui.

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Une prise de conscience populaire

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Trois ans après le premier acte du mouvement, le 17 novembre 2018, les Gilets Jaunes de Bourges ont décidé de marquer cet anniversaire : le samedi 20 novembre 2021, iels sont une centaine à participer à la soirée organisée au « 121 », une salle annexe de la Biocoop, mise à disposition des associations et collectifs locaux. « Nous sommes ici pour fêter ce soulèvement, cette prise de conscience populaire, introduit Julien, l'un des animateurs. Mais aussi pour faire connaître le mouvement à ceux et celles qui n'étaient pas Gilets Jaunes. Il ne faut pas se limiter à la parole médiatique qui, au mieux parle de nous au passé, au pire dit que nous ne sommes plus là. Alors que nous avons simplement changé de stratégie. »

Des stands sont mis en place : syndicat des Gilets Jaunes, Mutilé·e·s pour l'exemple (lire la rubrique (Re)découvrir), association des Citoyens Actifs de Bourges et Alentour (CABA)… Sur les murs, de grands tirages photographiques de Julien Gate et Serge d'Ignazio (1) qui évoquent les cortèges parisiens : des banderoles, des chants, des retrouvailles, des slogans sur des gilets… mais aussi la fumée des gaz lacrymogènes, des projectiles, des CRS…

Au micro, Gérard Grillot, dit « Gégé », « sans doute le premier Gilet Jaune du coin », témoigne devant l'assemblée. Il se souvient avoir pris connaissance de la pétition lancée par Priscillia Ludosky « pour une baisse des prix du carburant à la pompe » (lire aussi la rubrique (Re)visiter). Le 14 novembre 2018, comme une centaine d'autres Berruyer·e·s, il rejoint la réunion qui se tient sur un parking de Bourges. « C'est là que la décision a été prise de prendre trois ronds-points le 17 novembre : celui de Décathlon, celui de Conforama et celui du péage de l'autoroute. »

 

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En voyant la participation des premiers jours, il se dit qu' « il est en train de se passer quelque chose en France ».
Sept fois, il monte à Paris pour manifester. « On a tout de suite eu une mauvaise image de la part des médias qui voulaient casser le mouvement. Moi, j'ai fait partie de ceux qui ont protégé la flamme [du Soldat Inconnu] et j'ai aidé des commerçants à rentrer leur matériel pour éviter la casse. Mais la première fois, le 24 novembre, je suis venu juste avec mon gilet jaune ! Je n'avais rien pour me protéger ! Alors que les gens étaient assis et chantaient, l'ordre a été donné de gazer. » Il soupire. « Quand je suis parti vers Paris, j'étais en colère. Quand je suis revenu, j'avais la haine. »
S'en suit « une grosse désillusion » au fil des mois. Impossible de sortir de l'image de casse. Impossible aussi de faire converger les différents groupes de Gilets Jaunes qui se sont formés à Bourges, selon les convictions et les affinités, . « Il y en avait onze en mars 2019 ! » Gérard tente alors d'autres voies comme celles de l'Assemblée Des Assemblées.

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« Peut-on et doit-on sortir du capitalisme ? »

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Très vite, parce qu'iels ont senti qu'il fallait structurer le mouvement et envisager l'après ronds-points, des groupes de Gilets Jaunes ont créé une coordination nationale : l'Assemblée Des Assemblées (ADA). La première s'est tenue à Commercy (55), les 26 et 27 janvier 2019.
Parmi les questions sur lesquelles travaillent alors les participant·e·s : « quelles actions pour maintenir le rapport de force ? » « Comment s'organiser localement au-delà des ronds-points ? » « Comment assurer notre autonomie et notre survie ? » « Doit-on présenter des listes Gilets Jaunes aux élections ? » « Quelle position avoir par rapport au « grand débat » national organisé par le gouvernement ? » (2)

A l'issue de la deuxième ADA à Saint-Nazaire (44) en avril 2019, les Gilets Jaunes participant lancent plusieurs appels : pour la création d'assemblées locales citoyennes ; pour une convergence écologique ; pour une solidarité avec les peuples en luttes ; pour organiser des actions durant les élections européennes… Le mouvement tend ainsi à élargir ses revendications et son champ d'action : plus question d'exiger seulement un meilleur pouvoir d'achat ; les Gilets Jaunes affirment vouloir prendre part à la vie démocratique et à toutes les problématiques qui touchent les classes dominées.
Cette volonté est réaffirmée quelques mois plus tard, lors de l'ADA à Montceau-les-Mines (71). A l'ordre du jour, une question claire : « sortir du capitalisme : peut-on ? Doit-on ? »

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Vers une convergence des luttes

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Un an après le début du mouvement, à Montpellier, le thème du lien est au cœur des débats : « comment retrouver un lien avec la population ? » « Comment travailler concrètement avec les autres mouvements ? »
Dans un contexte d'essoufflement et de répression toujours aussi forte, les Gilets Jaunes savent qu'iels ne peuvent gagner seul·e·s et souhaitent une convergence des luttes.

En mars 2020, à Toulouse, iels travaillent davantage à la structuration de leur mouvement. La création de comités de pilotage locaux est proposée, notamment pour faire remonter plus démocratiquement les réflexions des Gilets Jaunes du terrain jusqu'à l'ADA. Une charte de valeurs est évoquée, ainsi que des outils de communication spécifiques comme des outils d'éducation populaire ou un réseau social Gilets Jaunes pour ne pas dépendre des GAFAM (3).
En juin 2021, l'ADA s'est réunie en Ile-de-France pour des ateliers sur la répression, la démocratie directe, l'écologie, l'égalité hommes-femmes, le handicap, les revenus de solidarité…
La prochaine Assemblée Des Assemblées est en préparation et pourrait se tenir à Bruxelles.

Ainsi, chaque Gilet Jaune participant à une ADA et mandaté·e par son groupe local y revient renforcé·e par des échanges, des réflexions, des connaissances, des idées d'actions qu'iel met ensuite au service des associations, collectifs et organisations auxquelles iel participe.

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« Touché et frappé par la fraternité »

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Retour à Bourges.
Dès octobre 2019, une cinquantaine de Gilets Jaunes ont voulu s'organiser en collectif puis en association dont le nom, CABA (Citoyens Actifs de Bourges et Alentour) rappelle les fins de mois difficiles. Jacques Masca a participé à sa création.
Pour lui, il était essentiel que le mouvement perdure. Engagé depuis de nombreuses années, d'abord dans un syndicat, puis un parti politique, enfin dans des collectifs comme le comité de soutien à Notre-Dame-des-Landes, il n'avait pourtant jamais connu un tel état d'esprit : « J'ai été touché et frappé par la fraternité qui existait sur les ronds-points. J'ai découvert des gens très intéressants. Je ne les connaissais pas mais, tout de suite, les barrières sont tombées entre nous. Les revendications sociales me parlaient mais ça allait au-delà : j'avais l'impression d'appartenir vraiment à un groupe. » A partir du 17 novembre 2018, il se rend deux à trois fois par semaine sur le rond-point du péage de l'autoroute. « Au départ, c'était très inorganisé mais ça causait dans tous les coins ! se souvient-il. Ensuite, par petits groupes, une sorte de discipline s'est installée, pour les manifestations ou pour rédiger des tracts. »

 

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Françoise Bernon dite « Fanfan » est sur le même rond-point. Infirmière à la retraite, elle y vient surtout les soirs et les week-ends. « Le rond-point était un vrai lieu de vie, il était occupé 24 heures sur 24. Il y avait de quoi dormir, nous apportions à manger et nous recevions des dons aussi. Progressivement, la cabane construite pour la restauration s'est agrandie. »
Pourquoi les a-t-elle rejoint ? « Je pressentais depuis des semaines que ça allait péter. Quand la fin du mois arrive le 15 et que le gouvernement continue à supprimer les acquis sociaux, ça ne peut pas tenir ! Le déclencheur, ça a été le carburant mais il y avait un tel raz-le-bol que toutes les revendications sont sorties un peu en vrac ! J'avais inscrit les miennes sur mon gilet, mais j'aurai pu avoir une traîne de dix mètres tellement il y en avait ! » Ayant l'habitude de manifester depuis l'adolescence, qu'est-ce qui l'a séduite en particulier dans ce mouvement ? « Il n'y avait pas de chef ! Tout le monde pouvait s'exprimer. Et les profils étaient très variés, on retrouvait là toute la société française : les gens venaient de milieux sociaux très différents, avec une éducation ou une culture politique très différentes aussi. »

Dans leur groupe, assure Jacques, certain·e·s ont pu tenir des propos « d'extrême droite » bien loin de ses valeurs. « Mais derrière cette façade, il y avait autre chose de plus profond. C'est ce qui m'a fait rester quand même avec eux. » Il a visité aussi les autres ronds-points, mais y a croisé des personnes plus virulentes, « prêtes à faire la révolution dans la violence », ce qui l'a effrayé. « Sur le rond-point du péage, nous avons eu cette discussion : la violence comme mode d'action. Ce n'est pas ce que nous avons retenu. »
Dans les manifestations à Paris, il est parvenu à éviter les charges de CRS. « J'ai eu peur. J'ai fini par ne plus y aller. »
En revanche, il a pris part à la manifestation nationale à Bourges le 12 janvier 2019 : 6.300 Gilets Jaunes, sur les 90.000 partout en France, y ont défilé joyeusement. La fin du cortège a été marquée par des heurts avec la police mais globalement, le rendez-vous a été un succès.

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CABA, pour prolonger les revendications

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Progressivement, le groupe auquel appartiennent Jacques et Fanfan organise des réunions avec les habitant·e·s de Bourges pour faire connaître leurs revendications et imaginer la suite. Certain·e·s rencontrent même des élu·e·s. « Là, il y a eu fissure, reconnaît Jacques. Certains Gilets Jaunes n'étaient pas d'accord. Ils se défiaient trop des institutions. » Les tensions entre les groupes, la lassitude, les difficultés familiales et économiques amenuisent les forces. « Quand la police est venue évacuer le rond-point, nous avons opposé de la résistance, mais nous étions moins nombreux. Pourtant, jamais je n'ai pensé que nous avions perdu : nous allions simplement nous transformer ! »

Les Gilets Jaunes ont-iels, malgré tout, obtenu des avancées ? « Le gouvernement est resté sourd, estime Fanfan, les dix milliards d'euros de prime annoncés par Macron, ce n'est pas une hausse des salaires ! La seule réponse que nous avons obtenue, c'est la répression. »

A Bourges, lors d'une altercation avec un automobiliste, elle a été arrêtée et placée en garde-en-vue, notamment pour rébellion envers la police. « C'était un mois après que j'aie été renversée par un véhicule des forces de l'ordre durant une manifestation contre la loi Travail. J'ai porté plainte, avec beaucoup de peine, contre la Préfecture et la Police. » Pour l'altercation, elle a été jugée pendant le confinement et a écopé de 70 heures de Travaux d'Intérêt Général (TIG) et d'amendes. « C'était pour l'exemple, prendre un Gilet Jaune pour décourager les autres... La répression a bien sûr beaucoup joué dans le délitement du mouvement. »

 

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Mais elle ne se décourage pas. Elle a quitté le gilet mais porte toujours un bracelet jaune au poignet. Elle s'investit actuellement dans le mouvement contre le pass sanitaire. « J'ai toujours de l'espoir sinon je ne retournerais pas manifester ! »
Et comme Jacques, elle participe à CABA, dont la gouvernance est collégiale : pas de président-trésorier-secrétaire, mais un collège composé de dix personnes qui ont toutes le même pouvoir de décision. « Notre but était d'organiser des rencontres, des manifestations et de chercher d'autres moyens de pressions sur le gouvernement que l'occupation de ronds-points, précise Jacques. Nos revendications principales tournaient toujours autour d'un meilleur niveau de vie, de plus d'espace dans la vie citoyenne et de plus de libertés. »

Pendant les élections municipales, CABA interpelle les candidat·e·s. Une fois le maire socialiste en place, Yann Galut, l'association demande à être reçue pour lui exposer son idée d'Assemblée citoyenne et de Maison du peuple. « On a vite compris que ça n'aboutirait pas. » En effet, la municipalité a lancé sa propre Assemblée citoyenne sans les Gilets Jaunes, en tirant au sort 300 habitant·e·s dont vingt-neuf participent actuellement.
En attendant la Maison du peuple, CABA se réunit deux fois par mois. Grâce à une souscription, le collectif s'est doté d'une caravane et projette d'organiser des cafés citoyens itinérants (4).

L'occasion sans doute d'y reparler du RIC, le Référendum d'Initiative Citoyenne, « revendication fondamentale du mouvement » selon Jacques.

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Un Référendum d'Initiative Citoyenne

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Ainsi, les Gilets Jaunes veulent aller plus loin que le RIP existant. Le RIP ? Le Référendum d'Initiative Partagée, inscrit dans la Constitution française en 2008 (5). Cette procédure permet d'organiser un référendum sur une proposition de loi, dès lors qu'elle est demandée par au moins 1/5e des parlementaires et 1/10e du corps électoral.

Problème n° 1, et c'est le Conseil Constitutionnel lui-même qui le dit dans un bilan paru en 2020 : « la procédure est dissuasive et peu lisible pour les citoyens ». En effet, qui connaît le RIP ? En mars 2020, il a fait un peu parler de lui avec la proposition de loi visant à modifier le statut des aéroports de Paris. Mais l'absence de campagne officielle pour faire connaître la procédure et l'obligation de s'inscrire sur un site gouvernemental pour participer ont limité le résultat (1.093.030 soutiens). Le Conseil Constitutionnel souligne d'ailleurs que « le nombre de soutiens à atteindre est très élevé (4,7 millions soit 10 % de l'ensemble des électeurs) et, dans le cas où il serait atteint, l'organisation d'un référendum n'est pas certaine ». En effet, ce sont les parlementaires et, en dernier recours, le président de la République, qui décident de la pertinence de son organisation.

Problème n° 2 : si le référendum venait finalement à être organisé, il resterait uniquement consultatif. « Les responsables politiques peuvent ne pas respecter les souhaits des citoyen·ne·s comme ce fut le cas en 2005, suite au référendum sur le Traité européen », rappelle la coordination des Gilets Jaunes dans un tract sur le RIC.

Problème n° 3 : le RIP ne peut porter que sur des domaines limités, c'est-à-dire l'organisation des pouvoirs publics, les réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale et aux services publics qui y concourent. Elle ne peut viser à abroger une disposition législative promulguée depuis moins d’un an.

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En quoi le RIC, le Référendum d'Initiative Citoyenne, serait différent ? Il éviterait de passer par un représentant politique. Première étape : une pétition lancée à l'initiative d'un·e citoyen·ne. Deuxième étape : une fois le seuil prévu par la loi atteint, le RIC serait déclenché. Troisième étape : l'organisation de débats via notamment un média créé pour l'occasion. Quatrième étape : l'application de la décision majoritaire.
Le RIC pourrait être législatif (force de proposition de loi), abrogatoire (pour la suppression d'une loi), révocatoire (pour le départ d'un·e responsable politique), constituant (pour modifier la Constitution).
La coordination des Gilets Jaunes cite quelques domaines qui pourraient être débattus lors d'un RIC : « comptabilisation des votes blancs lors d'une élection », « contrôle de la défiscalisation », « indexation des retraites », « prise en charge du handicap », « préservation des services publics », « soutien à l'agriculture biologique »…
Des procédures proches du RIC existent déjà dans des pays comme la Suisse avec le système de votation y compris à des échelles locales, mais aussi en Italie avec les référendums d'initiative populaire prévus par la Constitution

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Un syndicat en contre-pouvoir

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La caravane itinérante de Bourges pourrait apporter un autre message : les Gilets Jaunes ont créé un syndicat. Pas symboliquement, mais légalement. Il impulse des sections partout en France, désigne des représentant·e·s au sein des entreprises, participe aux élections professionnelles, informe les travailleur·se·s sur leurs droits et les défend en cas d'abus.
Lancé le 17 octobre 2020 pour les deux ans du mouvement, l’union des Syndicats Gilets Jaunes (SGJ) est en fait la continuité de l’Union des Syndicats Indépendants Démocratiques (USID).

S'il a les mêmes prérogatives, il tient cependant à se distinguer des syndicats « historiques » tels que la CGT ou la CFDT. Yann Rucar, représentant du SGJ à Bourges, explique : « Un phénomène de co-gouvernance s'est institué entre le patronat et les syndicats. Le problème ? C'est le patronat qui fixe le cadre. Les syndicats sont devenus des organisations miroirs du patronat. » Il souligne également le poids des subventions publiques dans le fonctionnement des organisations syndicales, qui empêche leur indépendance, et le choix du légalisme comme unique mode d'action. « Nous l'avons vu avec la mobilisation contre la loi Travail. Le respect du service minimum a rendu les grèves ineffectives. »

 

Logo SGJ horizontal

 

Le SGJ s'inscrit davantage dans un « héritage de l'anarcho-syndicalisme ». D'abord, parce que tous les mandats de ses représentant·e·s sont impératifs et révocables. En clair : iels sont désigné·e·s pour une mission précise qu'iels ne peuvent pas transformer seul·e et à laquelle iels ne peuvent déroger sous peine d'être immédiatement exclu·e·s. Ensuite, iels sont indépendant·e·s du pouvoir financièrement : pas de subventions ; uniquement des cotisations des adhérent·e·s et des dons. Enfin, l'enjeu n'est pas de devenir un partenaire social de l’Etat, mais bien un contre-pouvoir.
« Les partenaires sociaux… Ils accompagnent les réformes, ils ne les contestent pas, souligne Louise, secrétaire-adjointe générale du SGJ. Avec ce qui se passe en France, les syndicats comme la CGT et la CFDT devraient être vent debout ! Ils ont du pouvoir et beaucoup d'argent. S'ils alimentaient des caisses de grève, et ils le pourraient vu leurs comptes, ça bougerait en France ! Mais ils ont trop peur pour leurs privilèges. »

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« Le plus important, c'est la capacité à agir »

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Autre différence notable : « tout le monde est solidaire ». « En France, vous le voyez bien, on revendique souvent par profession : les pompiers, les enseignants, les infirmières... Et bien pas nous : quel que soit le métier, le statut, le lieu de travail… Tout le monde est solidaire. C'est ça, l'esprit Gilets Jaunes ! »
Actuellement, le syndicat est présent dans de grandes enseignes telles que Amazon, Carrefour, la Fnac mais aussi auprès des professionnels de santé. A chaque fois qu'il s'implante dans une nouvelle entreprise, il reçoit une attaque en règle au tribunal contre sa légitimité. « Le but est de dissuader les militant·e·s, dénonce Louise. Quand vous recevez une convocation au tribunal, ça peut faire peur ou décourager. » Mais le SGJ l'a toujours emporté, le 15 novembre dernier encore, contre Adecco, entreprise de travail temporaire.

Combien d'adhérent·e·s le syndicat compte-t-il ? « Nous ne communiquons pas sur ce chiffre, répond Louise. C'est stratégique. Nous ne voulons pas que le gouvernement sache ce que nous pesons. Le plus important, ce n'est pas le nombre, c'est la capacité à mobiliser et à agir. » Et la représentativité : depuis 2019 en effet, les syndicats autorisés à négocier avec le gouvernement sont ceux qui enregistrent le plus de votes lors des élections professionnelles, pas ceux qui ont le plus d'adhérent·e·s. Le prochain scrutin aura lieu en 2023. D'ici là, le SGJ entend se déployer. Des permanences ont lieu à Paris et à Lens, et des temps d'informations s'organisent localement comme le 20 novembre à Bourges. Avec, partout, un slogan qui rappelle que l'esprit Gilets Jaunes souffle toujours : « Nous avons retrouvé la fraternité, imposons la liberté et l’égalité » (6).

Fanny Lancelin

(1) Serge d'Ignazio est collaborateur de la revue Basta !, auteur des photographies parues dans le livre « On est là ! » aux éditions Adespote : https://www.revolutionpermanente.org/On-est-la-l-ouvrage-photo-qui-sublime-les-Gilets-Jaunes-Interview-avec-Serge-D-Ignazio
(2) Les comptes rendus des ADA sont lisibles via le lien https://www.giletsjaunes-coordination.fr/ada/
(3) Géants du numérique : Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft.
(4) L'association CABA se réunit le premier vendredi et le troisième samedi de chaque mois à Bourges. Le lieu est annoncé quelques jours avant. Pour en être informé·e·s, inscrivez-vous sur le mail : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.
(5) Article 11 de la Constitution : https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000019241004/
(6) Plus d'informations sur le Syndicat des Gilets Jaunes : https://syndicatgj.fr

 

Des Gilets Jaunes aux élections ?

  • En 2020, le ministère de l'Intérieur, alors dirigé par Christophe Castaner, a introduit une nuance « Gilets Jaunes » pour les listes candidates aux élections municipales. Lors d'un dépôt de candidature, le ou la candidat·e est invité·e à déclarer son étiquette (nom du parti politique auquel iel appartient ou tendance). Les sans étiquette se voient attribuer une nuance : « écologiste », « animaliste » ou encore « régionaliste », par exemple. Comment est-elle fixée ? A la discrétion des préfet·e·s qui se baseraient sur des déclarations officielles, des soutiens ou encore la trajectoire politique du / de la / des candidat·e·s !

    Ainsi, pour les élections municipales, des listes s'étaient vu attribuer la nuance « Gilets Jaunes », parfois contre leur gré… (lire aussi la rubrique (Re)visiter).
    Il est en tout cas indéniable que certain·e·s Gilets Jaunes aient voulu poursuivre la lutte en s'engageant en tant qu'élu·e·s.

    Qu'en est-il pour le prochain scrutin présidentiel ? La Coordination nationale des Gilets Jaunes répertorie quatre candidat·e·s Gilets Jaunes, c'est-à-dire dont les propositions de campagne sont proches de leurs revendications : Clara Egger (Espoir RIC), Alexandre Langlois, Jean Lassalle (Résistons), Fabrice Grimal (LCC). Sur son site Internet, la Coordination analyse les candidatures en présentant points forts et points faibles.
    D'autres candidat·e·s sont jugé·e·s « Gilets Jaunes en apparence seulement » comme Jean-Luc Mélenchon (LFI), Jacline Mouraud et Eric Drouet, anciennes figures médiatiques du mouvement. Jacline Mouraud a récemment déclaré se rallier à Eric Zemmour.

    Le portail de la Coordination nationale des Gilets Jaunes regroupe toutes les informations récentes sur le mouvement. Rendez-vous sur : https://www.giletsjaunes-coordination.fr/