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Malgré la pression, les militant·es anti-bassines restent mobilisé·es

Article actualisé le 25 décembre

Après la grande manifestation de Sainte-Soline dans les Deux-Sèvres, malgré les violences policières et les condamnations de la justice, les militant·es qui protestent contre les méga-bassines sont toujours debout. Pour preuve : environ 200 personnes se sont à nouveau réunies jeudi 15 décembre, devant un lieu emblématique, le siège de l'Agence de l'eau Loire-Bretagne à Orléans, pour proclamer haut et fort : "Pas un centime de plus pour les méga-bassines !"

 

Disons-le tout net : cet article est écrit par une militante. Je suis co-fondatrice du collectif Bassines Non Merci Berry et je fais partie de la délégation qui a rencontré les représentant·es du Conseil d'administration de l'Agence de l'eau Loire-Bretagne le jeudi 15 décembre. Pas question de vous convaincre ici que les méga-bassines sont des impensées écologiques et sociales, mais de vous raconter les événements qui ont rythmé le mouvement des dernières semaines, bien loin du quotidien d'écoterroristes...

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Petit rappel pour celleux qui auraient manqué un épisode : le 29 octobre dernier, entre 6.000 et 9.000 personnes (selon les sources) ont convergé vers Sainte-Soline dans les Deux-Sèvres, pour protester contre un nouveau chantier de méga-bassines. Il s'agit de retenues d'eau pour l'irrigation de l'agro-industrie, qui s'étendent sur une dizaine d'hectares en moyenne (l'équivalent de 300 piscines olympiques), étanchéifiées avec du plastique, qui pompent directement dans la nappe phréatique. Elles servent principalement à la culture du maïs, laquelle sert principalement à nourrir des bêtes et / ou à l'export. Présentées comme des dispositifs de substitution aux prélèvements estivaux censés soulager les milieux en période de sécheresse, elles représentent en réalité un volume d'eau supplémentaire accordé à une poignée d'agriculteur·ices. Elles ne constituent donc pas seulement un problème du point de vue écologique et sanitaire (diminution de la quantité d'eau disponible pour tous·tes, disparition de la biodiversité dans les cours d'eau à sec...), mais aussi du point de vue social puisqu'elles creusent les écarts entre agriculteur·ices, entre celleux qui possèdent des méga-bassines et les autres. Enfin, lorsqu'elles sont présentées comme unique solution, elles occultent toutes les autres et elles empêchent le débat sur un autre modèle agricole pourtant largement souhaité par la population, agriculteur·ices compris (1).

 

L'état des masses d'eau dégradé

Le gouvernement, soutenu (ou encouragé) par le syndicat agricole majoritaire la FNSEA, a lancé un grand plan de "bassinage" à l'échelle nationale notamment via la mission du délégué interministériel en charge du suivi du Varenne de l'eau, Frédéric Veau (2). Un millier de bassines seraient dans les cartons. Il en existe déjà 27 en Vendée, 16 sont programmées dans les Deux-Sèvres et 30 dans la Vienne. Dans le Berry, quatre de taille plus modeste sont déjà en service, mais un projet de méga-bassine serait en réflexion. Difficile de connaître leur impact réel, positif ou négatif, tant les données sur le sujet sont difficiles à obtenir. Mais sur le terrain, les observations sont formelles : l'état des masses d'eau sur le bassin Loire-Bretagne est dégradé, certains cours d'eau proches des bassines sont à sec en plein mois de décembre et il semble impensable que les irrigant·es puissent encore pomper des millions de m3 d'eau pour arroser des cultures qui ne servent pas l'alimentation humaine.

Depuis quelques années, des collectifs Bassines Non Merci (BNM) voient le jour : dans les Deux-Sèvres et la Vienne, mais aussi la Haute-Vienne, Aume-Couture, Berry et tout récemment, le Finistère et le Limousin. D'autres sont en projet un peu partout en France. Ils sont composés d'habitant·es des territoires concernés, citoyen·nes, militant·es environnementaux, naturalistes, paysan·nes, élu·es... Si leur fonctionnement peut différer, leurs buts sont les mêmes : informer la population qui ignore bien souvent l'existence de ces ouvrages ; participer activement aux réflexions territoriales sur la gestion de l'eau ; assurer une veille administrative sur les projets de bassines ; déposer des recours juridiques pour les empêcher ; organiser des événements pour médiatiser la lutte et faire pression sur les pouvoirs publics...

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Des financements publics au profit d'intérêts privés

Le 29 octobre à Sainte-Soline faisait suite à une longue série de mobilisations mais elle a été la plus spectaculaire. Du point de vue du nombre de participant·es (des milliers), mais aussi du nombre de gendarmes mobiles déployés (1.700) par la préfecture qui avait interdit la manifestation. Des heurts ont éclaté faisant des blessé·es dans les deux camps. Le plus grave, un manifestant, a été touché par un tir de LBD. Tout ça pour protéger... un cratère dans un champ ! Loin de remettre en question la gestion calamiteuse de la journée, Gérald Darmanin, le ministre de l'Intérieur, n'a pas hésité à qualifier certain·es manifestant·es d'écoterroristes (lire la rubrique (Ré)acteur·ices et écouter (Re)visiter).

Le rassemblement du 15 décembre n'avait pas pour objectif d'empêcher un chantier ou de démanteler une bassine (3). Il s'agissait pour les BNM de répondre à l'ouverture de dialogue proposé par le comité de bassin Loire-Bretagne après la manifestation de Sainte-Soline. Une délégation composée de Benoît Biteau (député européen), Daniel Salmon (sénateur), Sylvain Robin (collaborateur parlementaire de la députée Lisa Belluco), Nicolas Fortin (Confédération paysanne), Julien Leguet, Marion Bigot et moi-même (BNM) a été reçue par des représentant·es du Conseil d'administration de l'Agence de l'eau présidée par Régine Engström, préfète coordinatrice, par ailleurs préfète de la région Centre-Val de Loire et du Loiret. Dehors, 200 personnes nous soutenaient.

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Pourquoi l'Agence de l'eau ? Parce que c'est elle qui finance les grandes infrastructures liées à l'eau. A ce titre, elle est sollicitée par les irrigant·es pour subventionner une partie des méga-bassines. Par exemple, la facture des 16 bassines des Deux-Sèvres s'élève, à ce jour, à plus de 74 millions d'euros. L'aide de l'Agence représenterait 50 % du montant. Or, l'argent débloqué provient des redevances payées par les foyers. Il s'agit donc bien de financements publics, au profit d'intérêts privés ne bénéficiant qu'à une poignée d'agriculteur·ices, pour des projets sur lesquels la population n'est pas concertée...

 

Avons-nous été entendu·es ?

L'Agence a pour mission de soutenir des investissements et des programmes d’actions nécessaires à la restauration des masses d'eau et assurer le juste partage de cette ressource vitale du bassin Loire-Bretagne. Pas à subventionner des projets bénéficiant seulement au développement économique de quelques sociétés. C'est ce que notre délégation est venue rappeler à ses représentant·es. Durant une heure, nous avons pu exposer nos arguments à la fois politiques, écologiques et économiques. Benoît Biteau et Daniel Salmon sont revenus sur les nombreux contentieux en cours contre les projets ; ceux-ci n'étant malheureusement pas suspensifs, les chantiers peuvent tout de même démarrer, alors même que les jugements n'ont pas été prononcés ; jusqu'ici, la majorité a été en faveur de la lutte. Marion Bigot et Nicolas Fortin ont évoqué les incohérences des "protocoles", des démarches mis en place à la hâte par les défenseur·ses des bassines pour solliciter les subventions ; mais légalement, ce sont bien de véritables Projets de Territoires pour la Gestion de l'Eau (PTGE) qui doivent être élaborés avant le moindre coup de tractopelle ! Julien Leguet a évoqué les impacts écologiques des retenues d'eau, avant que je n'évoque l'ampleur grandissante de notre lutte malgré les difficultés pour les militant·es, sur le terrain, d'être accepté·es par les autorités comme de véritables acteur·ices du débat et malgré le manque de transparence sur les projets.

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Nous avons aussi déposé nos revendications : que l'Agence de l'eau renonce au financement des bassines ; qu'un moratoire soit décrété ; et que le chantier de Sainte-Soline soit suspendu. Ce sont à ces conditions que nous accepterons de revenir à la table des négociations. Dans un souci de transparence, nous avons aussi demandé à l'Agence un inventaire précis des bassines existantes, de leur financement et de nous transmettre des données fiables sur les bilans de ces ouvrages. Nous souhaitons par ailleurs que toutes les réunions et assemblées concernant la gestion de l'eau soient publiques et que les comptes rendus soient publiés (au même titre que les conseils municipaux ou communautaires, par exemple), afin que l'ensemble de la population puisse y avoir accès. Enfin, nous rappelons que toutes les étapes des projets de territoires doivent être respectées, avant la construction de la moindre nouvelle bassine.

Avons-nous été entendu·es ? Nous avons, en tout cas, été écouté·es. Mais dès le lendemain, la présidente préfète-coordinatrice diffusait un communiqué de presse déclarant, en substance "Circulez, il n'y a rien à voir..." (4) Dès lors, comment croire que le compte rendu de notre rencontre envoyé aux administrateur·ices par les représentant·es de l'Agence serait exhaustif ? Nous avons décidé de nous adresser directement à elleux, en leur envoyant un courrier avec notre argumentaire détaillé et nos revendications. Il été envoyé du Parlement européen par Benoît Biteau. Les médias l'ont également reçu.

Dans les prochains mois, les élu.es du conseil d'administration devront se positionner sur une demande d'allongement budgétaire pour les méga-bassines des Deux-Sèvres et sur le financement de celles de la Vienne. D'ici là, nous voulons être entendu·es par l'ensemble des administrateur·ices et pas seulement une poignée de représentant·es.

 

Des mobilisations à venir

Mais nous n'attendrons pas silencieusement la réponse. Déjà, de nouveaux rassemblements sont prévus, notamment les 5 et 6 janvier à La Rochelle et Niort pour les procès de militant·es. A cette occasion, Christian Amblard, hydrogéologue qui témoignera au tribunal, donnera une conférence publique (5). Le 13 janvier, nous dirons "au revoir" au commissaire-enquêteur chargé de l'enquête publique en cours pour quatre bassines sur le secteur du Clain dans la Vienne. De nombreuses réunions publiques se tiendront dans tous les territoires des BNM avant des retrouvailles gigantesques le 25 mars, pour un nouveau printemps maraîchin d'envergure européenne !

Texte : Fanny Lancelin

Photos : BNM

(1) https://www.greenpeace.fr/mega-bassines-pourquoi-opposer/
(2) https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000045697445
(3) https://www.lanouvellerepublique.fr/deux-sevres/environnement/reserves-d-eau/la-bassine-detruite-a-cram-chaban-etait-elle-oui-ou-non-illegale
(4) https://agence.eau-loire-bretagne.fr/home/espace-presse/contenu1/espace-presse/retenues-de-substitution-dans-le-bassin-loire-bretagne--la-presi.html
(5) https://lessoulevementsdelaterre.org/blog/appel-a-mobilisation-pour-les-proces-de-la-resistance-contre-les-bassines