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Loi immigration : un long chemin avant l'accord

La loi « pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie » a été définitivement adoptée le mercredi 1er août. Le gouvernement avait souhaité une procédure accélérée ; il aura finalement fallu deux lectures dans chaque chambre. La commission mixte paritaire (sept députés et sept sénateurs) n'avait pas trouvé d'accord. Pourquoi le texte a-t-il suscité autant de débats ? Que changera-t-il vraiment au sort des demandeurs d'asile ? (dernière mise à jour de cet article le dimanche 5 août 2018)

Les objectifs de la loi

Le projet est lancé le mercredi 12 juillet 2017 en Conseil des ministres. Objectifs principaux affichés : réduire le délai de traitement des demandes d'asile ; faciliter les expulsions de ceux qui sont déboutés ; améliorer l'accueil de ceux qui restent.politique migrato

La durée de traitement des dossiers passerait ainsi de onze à six mois. Bonne nouvelle ? Pas vraiment… Le délai pour déposer la demande serait réduit à 90 jours (contre 120 aujourd'hui). Plus grave : les délais de recours, à déposer auprès de la Cour Nationale Du Droit d'Asile (CNDA), seraient également réduits, passant d'un mois à quinze jours. Dans certains cas, le recours ne serait même plus suspensif : le demandeur pourrait être expulsé sans être passé devant la Cour !

Pour augmenter le nombre d'expulsions – que la loi nomme pudiquement « éloignement » – la durée maximale du séjour en centre de rétention passerait de 45 à 90 jours. Les déboutés ayant le droit de refuser leur vol une première fois et d'être relâchés (à certaines conditions), le gouvernement craint les mises en fuite et les passages à la clandestinité.

Enfin, parmi les mesures qui amélioreraient la situation de ceux qui obtiennent la protection subsidiaire et les apatrides : un titre de séjour de quatre ans, au lieu d'un an actuellement.
Les enfants qui obtiennent l'asile pourraient demander la « réunification familiale » non plus seulement pour leurs parents, mais aussi pour leurs frères et sœurs.

Désaccords et grèves

Au début de l'année 2018, le gouvernement organise une « concertation » auprès d'associations nationales qui viennent en aide aux demandeurs d'asile. Mais 260 d'entre elles, jugeant que leurs voix ne sont en réalité pas entendues, lancent leur propre concertation citoyenne sur l'accueil et les droits des personnes migrantes en France. Une démarche qui aboutit aux Etats Généraux des Migrations (*).chute de droits

Le 30 janvier 2018, un avant-projet est présenté par le gouvernement. Quelques jours plus tard, une grève éclate à la CNDA. Ses membres dénoncent des conditions de travail qui ne permettent pas de faire respecter le droit. Fait exceptionnel : ce mouvement dure 28 jours !

Même constat, autre grève : celle de 200 agents de l'OFPRA,  l'Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides.

Une procédure accélérée ?

Pour autant, pas question pour le gouvernement de faire une pause : le projet de loi est enregistré à la présidence de l'Assemblée nationale le 21 février 2018 pour être discuté en commissions : la commission des Lois est saisie ; celles des Affaires sociales et des Affaires étrangères s'auto-saisissent pour avis, tout comme la Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre hommes et femmes.
Et signe que le gouvernement veut aller vite, il engage une procédure dite accélérée, comme le lui permet l'article 45 de la Constitution : une lecture par Chambre. Les désaccords entre députés et sénateurs en décideront autrement... (lire ci-dessous : "Une promulgation à l'automne")

Dans les commissions, les députés adoptent plusieurs amendements.
Ils souhaitent, par exemple, que la protection pour les mineurs victimes de mutilations sexuelles s'étendent aux garçons (jusqu'ici, elle était accordée aux filles).
Ils excluent des pays dits « sûrs » ceux où l'homosexualité est réprimée.
Ils inscrivent la prise en compte de l'état de « vulnérabilité » des migrants avant leur placement en centre de rétention administrative.

D'autres réflexions concernent le « délit de solidarité » (**) ou encore la possibilité pour les demandeurs d'asile n'ayant reçu aucune réponse de l'OFPRA de pouvoir travailler au bout de six mois.

Quel résultat ?

Le texte arrive dans l'hémicycle de l'Assemblée nationale le lundi 16 juin 2018. Après 61 heures de discussions et de débats, l'examen d'un millier d'amendements, il est adopté à 228 voix pour (La République en Marche, le Modem, le groupe UDI-Agir-Indépendants) et 139 contre (Les Républicains, les Socialistes, les Communistes, la France Insoumise, le Front national).hemicycle panoramique modif

Grossièrement : la Gauche juge le texte dangereux pour le droit d'asile, la Droite ne le trouve pas assez dur.

Quelques députés macronistes ont exprimé leur réserve : 14 se sont abstenus, un a voté contre, Jean-Michel Clément (il a quitté le groupe de La République en Marche).
Idem pour la députée Modem Nadia Essayan ; huit membres de son groupe se sont par ailleurs abstenus.

Le résultat ? Les mesures phares du gouvernement sont restées.

Emmaüs a obtenu un amendement de taille, contre l'avis du gouvernement : ses membres bénéficieraient du séjour temporaire pour motif exceptionnel, attribué à des personnes rendant service à la société ou étant actif dans une association. L’amendement prévoit que, pour bénéficier d’un titre de séjour, les Compagnons demandeurs d'asile devraient obtenir un certificat délivré par Emmaüs, qui attesterait de leur parcours d’intégration et de leur présence dans une Communauté depuis au moins trois ans.

Le Sénat a durci le texte

Le débat parlementaire a repris au Sénat du mardi 19 au jeudi 21 juin, avec un vote le 26. Pour préparer les discussions, les commissions des Lois, de la Culture, de l'Education et de la Communication avaient été saisies.

La Droite étant majoritaire au Sénat, le projet de loi avait été remanié, pour durcir encore un peu plus le ton. L'objectif : accueillir moins et renvoyer plus.

Les sénateurs souhaitaient, par exemple, allonger la durée du séjour du demandeur d'asile sollicitant un rapprochement familial, de 18 mois à 24 mois. Deux ans sans ses parents pour un mineur, donc. Elargissement aux frères et sœurs supprimé.

En cas de rejet définitif de la demande d'asile, aucune possibilité d'une demande pour un autre type de séjour accordée.

Les sénateurs ont rouvert le débat sur l'aide médicale d’État, pour la restreindre aux soins d'urgence.

En revanche, ils refusaient la réduction du délai de recours auprès de la CNDA.RETENUS

Pour les mineurs : la rétention des mineurs isolés – en principe non pratiquée, mais en principe seulement – serait interdite clairement. Mais pour eux, un nouveau fichier biométrique, histoire d'éviter qu'ils changent de département lorsqu'ils sont déclarés majeurs dans l'un d'entre eux (souvent à tort).

Pour tous, l'obligation d'élever le niveau de français pour la délivrance du titre de séjour comme la demande de nationalité.

Ces propositions semblaient avoir peu de chance d'aboutir à en juger les forces politiques en présence : majorité à Droite au Sénat, mais La République en Marche à l'Assemblée nationale, qui aura le dernier mot.

Une promulgation à l'automne ?

Le projet de loi a été rediscuté en commission mixte paritaire (Assemblée nationale et Sénat) le mercredi 4 juillet. Les quatorze députés et sénateurs qui la composent n'ont pas trouvé d'accord, c'est pourquoi le texte est à nouveau passé en séance publique à l'Assemblée nationale le mercredi 25 juillet, puis au Sénat le mardi 31 juillet pour finalement être adopté par les députés le mercredi 1er août (100 voix pour et 25 contre, beaucoup de parlementaires étant déjà en vacances...). La loi devrait être promulguée à l'automne mais une saisine du Conseil constitutionnel reste possible.

Au final, la réduction du délai de recours à trente jours a bien été abandonnée. Selon la situation, l'allongement de la durée de séjour en centre de rétention pourrait s'allonger jusqu'à quatre-vingt dix jours.

Statut quo pour les mineurs en centre de rétention : il n'y aura pas d'interdiction, mais un texte sur les mineurs vulnérables sera proposé à la rentrée.

Le droit du sol sera durci à Mayotte : seuls les enfants dont au moins un des deux parents séjournait de manière régulière sur l’île depuis plus de trois mois avant la naissance pourront dorénavant demander la nationalité française.

Pas de suppression de l'aide médicale pour les demandeurs d'asile. En outre, ils pourront désormais travailler six mois après le dépôt de leur demande (contre neuf auparavant).

Enfin, parmi les points majeurs, l'exlusion de la liste des pays dits sûrs (notamment pour les expulsions), ceux qui sont connus pour maltraiter les homosexuels et les transgenres.

(*) Etats Généraux des Migrations : https://eg-migrations.org/
(**) « Non ! Monsieur Collomb n'a pas assoupli le délit de solidarité ! » tribune du collectif Délinquants solidaires, datée du 23 avril 2018 : https://www.gisti.org/spip.php?article5900

 

GISTI

Le GISTI (Groupe d’Information et de Soutien des Immigré.es) fait un travail formidable, notamment de documentation. Pour en savoir plus sur la loi Asile et Immigration, rendez-vous sur le site de l'association : https://www.gisti.org/
On y trouve, notamment, les différents projets de lois, les textes, les vidéos des débats, des revues de presse très complètes, mais aussi les réactions des associations, de la Contrôleuse générale des lieux de privation de liberté, du Défenseur des droits ou encore de la présidente de la Commission nationale consultative des Droits de l'Homme…
Le GISTI milite pour « l’égal accès aux droits et à la citoyenneté sans considération de nationalité et pour la liberté de circulation ». L’association relie les spécialistes du droit et les militant.es. Elle se revendique « expert militant », ses membres étant à la fois juristes, praticien.nes, universitaires, hommes et femmes de terrain.
Son activité est variée : conseil juridique, formation, publications, actions en justice, travail au sein de collectifs ou réseaux interassociatifs.
Elle est une vraie mine d'or pour de nombreux.ses militant.es ; les informations sur le sujet, dispersées et complexes, étant souvent la clé pour aider les demandeurs d'asile et lutter contre des lois inhumaines.