Il y a douze ans, Philippe Borrel, documentariste originaire de Grenoble, est allé à la rencontre de celleux que le FBI appelait déjà « écoterroristes ». Aux Etats-Unis et en Europe, des activistes, qui auraient été autrefois considérés comme de « simples » délinquant·es ou criminel·les, témoignent. Ils révèlent comment et pourquoi les législations se sont durcies.
« Je ne crois pas aux manifestations. Manifester, c’est se soumettre. « S’il vous plaît, ne faites pas ça ! » Mais ils le font quand même. C’est humiliant. Ce n’est pas manifester qu’il faut, c’est intervenir. » Le documentaire de Philippe Borrel s’ouvre avec celui qui est sans doute le plus célèbre parmi celleux que certains qualifient d’écoterroristes : Paul Watson, fondateur de l’organisation Sea Shepherd. Souvent surnommé « écoguerrier », il revendique un mode d’action directe pour stopper l’exploitation abusive des mers et des océans, y compris si cette action est illégale. A l’occasion d’impressionnantes campagnes, ses équipes et lui n’hésitent pas à aller à l’affrontement, par exemple avec des baleiniers japonais. Arrêté, emprisonné puis libéré, assigné à résidence, en fuite… Paul Watson a souvent eu affaire à la justice mais n’a jamais cessé ce qu’il revendique comme un combat.
Même volontarisme du côté de Cécile Lecomte, une activiste française bien connue qui vit en Allemagne : grimpeuse d’arbres, de ponts et d’infrastructures en tout genre, elle entend stopper des projets de centrales à charbon ou le passage de trains « Castor » transportant des déchets radioactifs… Malgré les amendes et les procès en cours, elle continue de s’adonner à l’escalade militante !
Aux Etats-Unis, le réalisateur a rencontré des membres du mouvement Earth Firth ! qui tentent d’empêcher l’abattage de séquoias millénaires en les occupant ou encore des anciens membres du Earth Liberation Front, organisation considérée depuis 2005 comme « écoterroriste » par le FBI (lire aussi (Ré)acteur·ices).
Mais le film de Philippe Borrel est bien plus qu’une galerie de portraits : il montre surtout comment les Etats ont progressivement mais radicalement changé d’attitude face aux militant·es écologistes, en particulier depuis deux décennies. Autrefois, le sabotage de biens privés sans atteinte à la vie humaine était considéré comme criminel et puni de deux années de prison. Désormais, grâce à de nouvelles dispositions législatives, il peut être qualifié de terrorisme.
C’est ainsi que Jeff Luers a écopé de 22 ans de prison pour avoir incendié trois camions. « La plus lourde peine infligée à un activiste écologiste », commente son avocate, qui souligne que le message passé à travers le jugement se voulait surtout dissuasif. Autre exemple d’une montée en puissance de la répression : celui de Jeffrey Hogg, infirmier, emprisonné pour avoir refusé de dénoncer des activistes qu’il avait connus par le passé. Résultat ? Six mois d’enfermement sans avoir été reconnu coupable d’aucun délit ou crime ! Sans parler des violences physiques exercées sur les activistes par leurs détracteurs ou la police.
Plus proche de nous, au Danemark, Nora Christiansen, chef de projet chez Greenpeace, a été arrêtée pour avoir perturbé un sommet de chefs d’Etat en brandissant une banderole. Après 21 jours de préventive, elle risque jusqu’à deux ans de prison. Pour une banderole qu’elle n’a pu sortir que quelques secondes à peine…
Pourquoi les Etats se crispent-ils ainsi ? Parce qu’ils entretiennent des liens étroits avec les entreprises industrielles qui exploitent les ressources de la planète, et qu’ils défendent leurs intérêts. Aux Etats-Unis, de grandes firmes financent les campagnes électorales et il semble que la France ne soit pas à l’abri de telles pratiques... (1) Selon le journaliste d’investigation américain Will Potter présent dans le film, les lois antiterroristes ont été renforcées au moment où « tout le monde se déclare écologiste ». « Il y a un rapport du Département de la Sécurité du Territoire qui parle de la menace de l’écoterrorisme et qui souligne le fait qu’il y a un danger dans la prise de conscience grandissante des problèmes environnementaux. Ils ont peur que les citoyens ordinaires se radicalisent et non seulement adhèrent à des idées plus radicales, mais aussi passent à l’acte pour défendre ces idées. »
Les militant·es suivi·es par Philippe Borrel le savent. Certain·es ont souhaité passer à autre chose en créant des communautés autonomes. Mais d’autres restent déterminé·es et continuent à parler de « lutte », de « combat », de « guerre ». Iels sont étroitement surveillé·es (le directeur-adjoint du FBI reconnaît dans le film qu’à l’époque, 170 dossiers concernant l’écoterrorisme sont ouverts) mais entendent poursuivre leurs actions pour mettre fin à l’exploitation et la destruction du vivant.
« Les insurgés de la Terre » est sorti en 2010 et a été diffusé sur Arte en 2011. Il est désormais visible gratuitement sur la plateforme Viméo : https://vimeo.com/302878015