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Quel est votre paysage sonore ?

Dans quelques jours, à Menetou-Ratel, dans le Sancerrois, s'ouvrira la 9e édition de la fête de l'association du paysage. Au programme : des promenades, des contes, des installations, de la musique… avec, notamment, un dispositif pour écouter le « bruit » des étoiles ! Ici aussi, Art et Science se marie (lire la rubrique (Ré)acteurs), pour révéler et composer des paysages sonores.

Depuis 38 ans, je me réveille avec eux. Les oiseaux. Même lorsque je vivais en ville, il y avait ce couple de pigeons et leurs roucoulements si agaçants…
Mon père m'a appris à reconnaître certains chants, certains plumages ; j'aurais aimé tout retenir avant qu'il tombe dans le silence. Et puis j'ai découvert « Le catalogue d'oiseaux » du compositeur Olivier Messiaen. Et puis j'ai entendu Jean-Claude Ameisen raconter, à la radio, comment les oiseaux chanteurs composent leurs mélodies (1). Et puis j'ai lu « La conférence des oiseaux » par Farid-ud-Din'Attâr…Dessin Nathalie juillet
Depuis le début de ma vie, les oiseaux composent donc en grande partie mon « paysage sonore ». Et vous ? Qu'est-ce qui compose le vôtre ?

L'émergence du concept

C'est le compositeur et écologiste canadien Raymond Murray Schafer qui, en 1977, aurait le premier formulé le concept de paysage sonore, « soundscape » en anglais (2).
Le terme paysage est généralement lié au regard. Il définit ce qui s'offre à la vue ou la représentation de ce qui est vu, par la peinture, le dessin ou la photographie. De la même manière, le terme de « paysage sonore » renvoie à la fois à ce que nous entendons – notre environnement sonore – et la représentation que nous en faisons, par exemple en musique. Il peut s'agir de sons créés par les êtres vivants non-humains (les animaux, les plantes, les éléments) ou par les êtres vivants humains (liés à leurs activités). La frontière entre les deux s'efface, conformément à la pensée écologiste qui naît également dans les années 1970.

L'écologie sonore

Raymond Murray Schafer est l'un des fondateurs du projet mondial d'environnement sonore à l'université Simon-Fraser, dont l'objet est l'écologie sonore. Le but est d'étudier la relation entre les organismes vivants et leur environnement sonore. De nombreuses disciplines peuvent arpenter ce champ de recherches : la biologie, la zoologie, la physique acoustique, la musicologie, la sociologie…
Roberto Barbanti, maître de conférences de la filière Arts Plastiques à l'université Paris 8, propose une définition de l'écologie sonore « pensée en tant que  rapport du son à la « maison » – oïkos – c'est-à-dire la place du son dans la relation à notre demeure commune, le monde, et à notre façon de l'appréhender. En d’autres termes, le rapport (à) son monde. Dans l'écologie sonore, il  n'est pas « simplement » question de nuisances, voire de pollution, mais de la place du son dans la relation à nous-mêmes, à l'autre et au contexte global auquel nous appartenons. Le monde, justement » (« Écologie sonore et technologies du son », Sonorités n° 6, 2011).

Au fil du temps, ceux et celles qui se sont intéressé.es à l'écologie sonore ont contribué à mettre en évidence les dysfonctionnements qui touchent la nature, notamment à cause de la pollution.

Les traces d'une biodiversité en danger

C'est le cas de Bernie Krause, musicien et bioacousticien américain, à l'origine des termes de « biophonie » (ensemble des sons produits par les êtres vivants d'un écosystème) et de « géophonie » (sons produits par les éléments tels que le vent, la pluie, les séismes…).
Depuis cinquante ans, Bernie Krause balade son micro sur toute la planète : sa sonothèque compte 5.000 heures d'enregistrement de 15.000 espèces différentes. Il alerte régulièrement sur un constat sans appel : « Cinquante pour cent des sons dans mes archives proviennent d’endroits où les habitats n’existent plus. En une période de temps très courte... » (3) Lorsque les espèces disparaissent, les sons disparaissent. Comme les crapauds californiens victimes de la fréquence acoustique des avions qui couvrait celles de leurs cris d'alarme…

En France, l'ornithologue Jean-Claude Roché (4) possède, lui aussi, une riche sonothèque : 7.000 heures d'enregistrement de chants et cris d'oiseaux, d'amphibiens, de mammifères et d'insectes. Elles sont diffusées grâce à des guides sonores comme « Les Paysages Sonores », évocations en des différents milieux de la planète et « Les Grands Virtuoses », dédiés aux plus beaux chants d’oiseaux.

Une inspiration pour la musique

De nombreux musiciens et compositeurs – électroacousticiens, entre autres – travaillent sur l'écologie sonore.

A l'image de François-Bernard Mâche, docteur en musicologie qui suivit les cours de composition d'Olivier Messiaen. Si, comme lui, il a analysé l'organisation des chants des oiseaux, il a opéré différemment en s'appuyant sur le langage. Il est l'auteur de « Musique, Mythe, Nature » (Klincksieck, 1983) et a composé plus d'une centaine d'œuvres ainsi que des pièces pour le théâtre.chardonneret libre de droit 0
François-Bernard Mâche dialogue avec « la nature musicienne » de différentes façons : il enregistre les sons purement naturels et les montent pour former une œuvre électroacoustique ; ou il crée une œuvre mixte dans laquelle le « son culturel », instrumental de l'homme, se mêle au « son naturel », enregistré dans la nature ; ou bien encore la nature n'est plus qu'une inspiration, implicite.
Citons « Rituel d'oubli », durant laquelle l'orchestre dialogue avec les sons naturels.

Grâce aux procédés électroacoustiques, François-Bernard Mâche a révélé « l'inouï parce qu'oublié ou étouffé par des rumeurs plus acaparantes » (5), comme dans « Phonographies de l'eau ».

Ouvrons nos oreilles !

En attendant d'écouter le son des étoiles, le samedi 28 juillet à Menetou-Râtel, revenons à nos oiseaux. Selon une étude du Museum National d'Histoire Naturelle et du Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS) publiée en mars 2018, les espèces qui vivent en milieu rural ont vu leur population chuter de 52 % de 1989 à 2017. En cause : les activités agricoles. Dans le Berry, nous entendons donc deux fois moins les chardonnerets, les perdrix grises, le mineau friquet ou encore l'alouette des champs.
La technologie permet aujourd'hui d'en conserver une trace et de réaliser combien ils manquent à notre paysage sonore. Pour sauver notre planète et nous-mêmes, il est temps d'ouvrir les yeux, oui. Mais aussi, sûrement, nos oreilles…

Fanny Lancelin

(1) « Sur les épaules de Darwin » - Les battements du temps – le langage des oiseaux, en replay sur www.franceinter.fr
(2) Biographie de Raymond Murray Schafer : http://brahms.ircam.fr/raymond-murray-schafer
(3) Entretien avec Bernie Krause mené par Hélène Combis-Schlumberger sur France Culture : https://www.franceculture.fr/environnement/bernie-krause-contre-l-appauvrissement-des-sons-du-monde
(4) Biographie de Jean-Claude Roché : http://atana.fr/biographie/
(5) Biographie de François-Bernard Mâche : http://brahms.ircam.fr/francois-bernard-mache#parcours