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Témoignages : des habitant·es du Berry à Sainte-Soline

Nous y étions. Nous avons vu, vécu, éprouvé. Nous en sommes revenu·es.  Transformé·es à jamais. Nous nous sommes tu·es un instant. Le temps de laisser passer la sidération, la fatigue, la colère, la peine. Le temps de reprendre notre souffle.

Mais il est temps de raconter. Ecrire et dessiner, c’est déjà se remettre en mouvement et se projeter vers des lendemains de force, de lutte et d’espoir.

Les témoignages qui suivent ont été écrits par des habitant·es du Berry qui ont participé au grand rassemblement contre l’accaparement de l’eau, organisé les 24, 25 et 26 mars dans les Deux-Sèvres par le collectif Bassines Non Merci, les Soulèvements de la Terre et la Confédération paysanne. Il ne s’agit pas tant de retracer les événements que d’y porter un regard singulier, et de partager émotions et réflexions (pour plus de détails sur les événements du week-end, lire la rubrique (Re)découvrir).

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Willy et Helen, 74 et 73 ans
« Quelle foule ! Quelle ambiance ! Quel beau monde ! »

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Helen et moi sommes arrivé·es à notre camp de base de Saint-Roman-les-Melle vendredi 24 mars dans l’après-midi. Après nous être installé·es, nous avons gagné Melle par une route minuscule, mais peine perdue : les flics nous attendaient entre deux maisons. J’avais à peine arrêté le moteur, que le flic me disait : « vous êtes Willy Béteau, montrez-moi les papiers du véhicule et la carte d’identité de madame, ouvrez votre fourgon ». Fouille du véhicule plus inscription manuscrite sur un listing.

Ensuite, à Melle, deux tables rondes super motivantes avec des témoignages internationaux émouvants dans une salle bondée de 500 intelligences.

Le lendemain, cinq vélos dans le fourgon, nous partons vers un petit bled à cinq kilomètres du camp éphémère. Trois coup de pédales plus loin, nous rejoignons le cortège rose. Quelle foule ! Quelle ambiance ! Quel beau monde ! Un ruban infini, bigarré et déterminé. Je me retourne et je vois surgir un deuxième ruban infini bleu et déterminé. Plus loin, à l’horizon, un troisième ruban tout aussi infini et déterminé. Face à nous, à 300 mètres, un énorme talus vaguement rectangulaire et devant à tout-touche, sur tout le périmètre, les blindés des keufs. Déjà, sur notre droite très loin, des nuages impressionnants de gaz ; mais pas le temps de s’attendrir sur le sort de nos camarades de l’horizon, ça commence aussi à canarder sur notre cortège.

Bravant ce brouillard maléfique, nos camarades en bleu s’intercalent entre nous et les robot-cops, provoquant un déluge de lacrymos. Déjà, les premiers cris redoutés éclatent : «  Médics ! Médics ! » Nous sommes plusieurs à exhorter notre cortège à se déporter pour encercler la bassine afin de disperser les boloss, mais sans succès. Les manifestant·es se regroupent inexorablement vers l’ouest pour échapper aux lacrymos qui reviennent alors dans la gueule des flics. Nos camarades en bleu parviennent courageusement au contact des chiens de garde du pouvoir. Iels infligent des dégâts humiliants à la chiourme. Nous les accompagnons en pensant pouvoir naïvement enfoncer le barrage, mais les tirs de LBD et les grenades de désencerclement lancées dans la foule nous obligent à refluer. C’est à ce moment-là certainement que le plus grand nombre de camarades sont blessé·es. Les secours tardent, nous apprendrons qu’ils sont empêchés par la flicaille.

« Attention, derrière, v’la les quads ! ». Dans notre dos surgissent une vingtaine de quads. Chaque passager est équipé de lance-grenades. Et ça canarde. Mais c'est de courte durée car les quads sont manifestement difficilement manœuvrables et c’est la débâcle. Ils doivent se réfugier derrière le cordon de piétaille.

Il y a un long moment de flottement propice à la restauration puis deux ou trois tentatives et la retraite est sonnée. Nous nous replions dans un cortège impressionnant avec une pensée attristée et inquiète pour nos camarades blessé·es, un sentiment mitigé de n’avoir pas pu aller au bout de notre mission, mais également avec la fierté d’avoir démontré qu’une interdiction de manifester et que l’interdiction d’un territoire n’avaient pas empêché l’expression de notre solidarité. Une petite bière au camp éphémère pour échanger nos impressions. Nous renfourchons nos deux roues crottées et rentrons sans encombre à Saint-Romans. Nos enfants retournent aux festivités du soir et les deux vieux vont se coucher !!

Le dimanche est également tellement riche de rencontres et d’échanges .

En quittant Melle sous la pluie, une dernière fouille par les flics ; il éternue, je lui conseille de se mettre au chaud. Il me dit : « c’est la pluie ». Je lui rétorque : « il en faut pour remplir les bassines », et je m’arrête à temps avant d’ajouter… « de vos maîtres ».

Quelle belle organisation ! Chapeau bas les BNM ! Nul doute : No bassaran !!!

 

Hervé Kempf bis

 

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Boris, 55 ans
« Presque une dizaine de jours pour que ça sorte »

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Presque une dizaine de jours pour que ça sorte.

C’est ce qu’il m’aura fallu après la grande manifestation à Sainte-Soline pour que ça commence tout juste à sortir. Ce n’est pas venu tout seul. Avant-hier en lisant l’article de Reporterre relatant le témoignage « chirurgical » de cette camarade médecin engagée à secourir les blessés·es sur les lieux. Ces longues minutes de tension, qui deviennent indignation, peur, désarroi, impuissance et colère. L’émotion devant cette réalité qui depuis 10 jours m’avait échappée – la vie reprend ses droits – ou plutôt était restée comme enfouie en moi, refusant d’affleurer. Mécanisme de protection ? Peu importe. C’est là et maintenant ça le restera, s’ajoutant aux autres blessures que la vie occasionne parfois.

Aux camarades, amis.es, à la famille qui me demandaient comment ça s’était passé, je répondais systématiquement que malgré la violence qu’iels avaient pu voir, moi, j’avais trouvé ça moins éprouvant qu’en octobre dernier (1). En effet, la confrontation avec les forces de l’ordre – de répression – avait été moins longue cette fois puisque le cortège n’avait pas été empêché dès le début de la manifestation et les heurts moins nombreux. Et puis, la dernière fois, seul, je m’étais avancé au devant de la marche, me retrouvant à regarder les gendarmes droit dans les yeux, vivant chaque repli de leur part comme autant de petites victoires personnelles. Cette-fois ci, avec mes camarades de BNM (2), nous n’avons rien fait ou n’avons rien pu faire. C’est à peine si je les ai vus, les gendarmes, arrosés comme nous l’avons été de lacrymos et de grenades dès que nous commencions à approcher du périmètre défensif qu’ils avaient formé tout autour du chantier. Comme l’a dit très justement Sandrine Rousseau dans un entretien à Europe 1, choppé par hasard sur la toile au milieu de tous les commentaires, cette fois-ci les gendarmes ne pouvaient pas reculer. Iels n’avaient pas d’autres choix que de tenir dos au mur et donc d’employer leurs armes pour garder à distance les manifestant·es. On les a déployés ainsi, pour ça ! Pour produire de la violence.

Les images, les voix s’additionnent sur toutes les chaînes, toutes les radios, tous les journaux. Elles s’additionnent en moi pour faire jaillir la tristesse et la joie. Les larmes à nouveau ce matin en visionnant la vidéo de BNM qui reprend les rassemblements de jeudi dernier devant toutes les préfectures, en soutien aux blessé·es et à leur famille, pour dénoncer la violence policière, la violence d’Etat. Pour dénoncer l’horreur. Se mêlent ainsi la peine inoubliable de ces quelques heures terribles et la joie de cette fraternité humaine qui fait de nous ce que nous sommes de meilleur·es et conserve l’espoir.

(1) Le 29 octobre 2022, une première manifestation avait eu lieu à la bassine de Sainte-Soline pour stopper son chantier.

(2) Bassines Non Merci.

 

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Benoît, 42 ans
« Mes yeux s’ouvrent tellement... »

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Après une enfance urbaine, je deviens un étudiant insouciant avant de tomber dans la « vie active » que mon éducation a insidieusement tracée de cailloux blancs. Même s’il a certainement toujours existé, mon questionnement écologique était caché loin au fond de moi, masqué par l’aspiration à consommer qu’on m’avait inculqué. A côté de ça, ma conscience politique était plus grande mais très normalisée, formatée voire dépassée et naïve.

Depuis, la crise écologique ne fait que s’accélérer et les vieilles démocraties sont devenues des démocraties mourantes. Il est temps de commencer à ouvrir mes yeux vers d’autres chemins.

Au départ de Vanzay, je prends donc la route vers la bassine de Sainte-Soline et mes yeux s’ouvrent tellement que les larmes sont toutes proches. Des milliers de personnes, les pieds dans la boue, armées de leur seule volonté se portent mutuellement, se serrent les coudes et soulèvent l’outarde (1).

 

MatinJesuisUne

L’énergie du groupe et l’envol du totem sont bouleversants. Dans les deux heures de marche qui suivent, chaque personne regardant aux alentours a la même remarque : on aperçoit à peine les extrémités du cortège, il ne cesse de grandir et il y en a d’autres que l’on ne voit pas. Avec une telle vue et après les briefs de départ, on comprend que quelque chose se passe déjà et nombreux·ses doivent même imaginer la victoire possible.

Personnellement, je ne sais pas à quoi m’attendre. C’est la première fois que je participe à un tel événement. J’ai lu, discuté, réfléchi, suivi une formation, écouté les briefs… mais les interrogations restent nombreuses. Jusqu’où faudra-t-il aller ? Non violent, jusqu’où ai-je envie d’aller ? Jusqu’où serais-je capable d’aller ? Que voudrait dire aller trop ou pas assez loin ? Combien de temps cela va-t-il durer ? Que pourrons-nous gagner aujourd’hui ? Demain ? Après-demain ? A quel prix ? Comment serons-nous accueilli·es ?

A cette dernière question, la réponse est très rapide. Alors que nous n’avions croisé aucune force de l’ordre durant le trajet (hormis quelques chevaux, quads et hélicos…), nous découvrons un cordon ininterrompu de camions faisant le tour de la bassine. Nous cherchons alors à créer nous aussi une ligne humaine pour l’entourer. D’un seul coup, il devient urgent d’avancer et nous faisons alors face aux digues du cratère. Nous marchons vers elles, mains dans les mains et, en moins de cinq minutes, sans gestes brusques ni agressivité, la ligne humaine se retrouve à une vingtaine de mètres des barrières. Les premières salves de lacrymo tombent. On recule pour sortir des gaz pour ré-avancer dans la foulée avant d’être à nouveau gazé·es, etc, etc... Alors que cette danse macabre se met en place, on devine qu’un engin de police brûle à l’angle de la bassine. C’est le début du second mouvement : les manifestant·es sont désormais explicitement visé·es, celleux qui sont en premières lignes mais aussi celleux qui sont en léger retrait. Des individu·es comme moi incapable d’une quelconque violence et n’ayant aucune volonté d’y recourir. Nous passons notre temps à lever la tête pour s’assurer que les tirs entendus ne vont pas nous tomber dessus ou sur nos voisin·es.

Puis, sans transition, le tempo et le ton changent encore avec l’arrivée des grenades de désencerclement. Le bruit devient oppressant et la cadence de plus en plus soutenue. Je me sens de moins en moins capable d’avancer et peut-être de plus en plus sourd car, comparé à la violence des images, je n’entends presque pas de cris. Une part de moi commence aussi à se dire que les dés sont trop pipés : comment prendre ce cratère qui s’est transformé en une place forte moyenâgeuse ? Qu’est-ce qui peut rendre un lieu si précieux pour qu’on y ait placé toutes ces forces pour le défendre à tout prix ?

Sonné par le son et l’ampleur des moyens policiers, je vois peu les blessé·es autour de moi. C’est à ce moment que la retraite est sonnée après « seulement » 90 minutes d’action. Je prends alors davantage conscience du nombre de médics en action : il y en a partout, le plus souvent encore sur le lieu de la blessure, plus ou moins loin de la bassine, au milieu des gaz encore fumants. J’aurais très bien pu faire partie des blessés. L’ambiance est lourde.

Pour la première fois, nous apercevons l’ensemble du cortège, notre sensation du matin est confirmée : son ampleur est historique. D’un côté, c’est une victoire incontestable ; d’un autre côté, nous ne sommes pas rentré·es sur le site et les blessé·es sont trop nombreux·ses.

Le soir, je prends le temps de lire la presse. J’essaie de balayer plusieurs titres. A chaud, je trouve leurs plumes, encore échaudées par les retraites, plutôt favorables. Par contre, il y a nettement plus d’images des violences que de vues d’ensemble du cortège ou de sujets de fond sur nos revendications, il est certainement trop tôt.
Plus tard, au hasard de la soirée à Melle, j’ai l’occasion de parler avec une médic lourdement impliquée. Un blessé est effectivement entre la vie et la mort. Mes larmes sont toujours proches alors que me vient un désagréable et paradoxal sentiment de culpabilité. A quoi bon participer à un tel rassemblement si un camarade n’en revient pas ? C’est pourtant bien une grenade policière qui l’a touché. Endosser cette culpabilité à leur place serait admettre qu’ils ont gagné. C’est évidemment faux et inacceptable.

Le lendemain, je retrouve mes enfants. Ils ne savaient pas où j’étais mais je tiens désormais à leur expliquer. Ils connaissent déjà les bassines, et quelques jours plus tôt, nous avions parlé de la réforme des retraites. Si le sujet reste abstrait à leur âge, il est plus facile de discuter de la méthode : refus du dialogue, esquive du vote, cadence imposée, surdité à la rue, approximations et mensonges... En partant de là, nous commençons par discuter de l’interdiction de la manifestation. Papa est un hors-la-loi mais la loi est peut-être parfois bizarrement écrite pour les intérêts de certains. Vient ensuite la discussion sur la police. A la question « à quoi sert normalement la police ? », l’aîné me répond « à défendre le peuple ». Je relance par un « normalement contre quoi ? Contre qui ? ». Le plus jeune dit « les voleurs ». La conclusion devient donc un jeu d’enfant : ce n’est pas normal que la police défende les voleurs contre le peuple !

A l’aîné de relancer : « qui donnent des ordres comme ça aux policiers ? Est-ce que des fois, ils sont d’accord avec les manifestants ? » Pour les bassines, c’est effectivement l’Etat qui a interdit cette manifestation, c’est l’Etat qui a imposé ces bassines et a donné l’ordre de les défendre à tout prix. C’est l’Etat qui refuse le dialogue aujourd’hui, préférant s’appuyer sur des études anciennes et très partielles.
Par définition, toutes les révolutions de l’histoire étaient « interdites » par l’Etat appuyé par sa police. Alors, si un enfant de 10 ans peut me dire sans réfléchir qu’il est parfois nécessaire de remettre en cause l’Etat et sa police pour le bien du peuple, je pense que nous avons gagné quelque chose ce week-end.

Plus personnellement, j’ai aussi appris que le sens du mot « vie active » n’est pas celui qu’on m’a appris.

PS : texte écrit le dimanche et lundi soir suivant l’action. A cette date, S. est toujours dans le coma avec un pronostic vital engagé et un deuxième manifestant vient à son tour de tomber dans le coma. Mes larmes sont de plus en plus proches et tout cela ne peut avoir servi à rien.

(1) Outarde canepetière, espèce présente dans le marais poitevin, l’un des symboles de la lutte anti-bassines.

Espoir

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O, 28 ans
« Je veux célébrer le partage et l’entraide »

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Je pars vendredi direction le campement. Je suis en binôme pour ce week-end, surtout pour la manifestation. Avant même l’arrivée sur le lieu, on constate un gros dispositif policier. Nous ne sommes pas arrêté·es mais stoppé·es : « il faut faire demi-tour, la route est bloquée. J’suis pas du coin, j’peux pas vous dire où aller », nous explique un gendarme. Cela ne nous empêche pas d’arriver sur place et d’y retrouver déjà des centaines de personnes, beaucoup de véhicules et beaucoup de tentes.

L’organisation sur place est impressionnante, l’arrivée des tracteurs l’est tout autant surtout quand on sait les difficultés qu’ils ont rencontrées ! Beaucoup de célébrations, beaucoup de rires et déjà beaucoup de monde. Après l’AG (Assemblée Générale) du soir, l’idée est de se coucher tôt pour être en forme ! Tout le monde ne respectera pas la règle du « Dodo pour toustes » mais ce qui est le plus difficile, c’est la pluie. Avec mon binôme, nous avons dormi luxueusement dans la voiture et j’ai beaucoup d’empathie en voyant des personnes trempées et pleines de boue au réveil. Étonnament, la bonne
humeur générale est inchangée malgré cette nuit très dure.

Le départ vers la bassine, rebaptisée le lac pour la journée – « Nous allons au lac ! » – se fait le matin. Une immense sculpture d’Outarde ouvre la marche. En route, l’humeur est très positive : il y a de la musique, des retrouvailles, le ciel s’est vidé de sa pluie et nous offre un temps presque dégagé, des haies sont plantées et la détermination anime toute cette immense foule. L’arrivée aux abords de la bassine nous fait comprendre que nous ne sommes pas les bienvenu·es, le dispositif policier est aberrant. On les voit en quads, à cheval, équipé.es comme en temps de guerre.

Je n’avais pas prévu être une dangereuse criminelle mais je sais que les événements de contestation du pouvoir politique amènent systématiquement à une violence policière sans pareille. C’est pourquoi, j’étais en binôme : en cas de difficulté physique ou psychologique, on peut compter sur l’un.e ou sur l’autre. Aucune difficulté à déplorer de notre côté, ce qui n’a pas été le cas pour un trop grand nombre de personnes. Un plus grand nombre encore est reparti de ce week-end avec une charge émotionnelle très lourde. La violence dont nous avons été témoins et victimes n’a pas fait sens et était disproportionnée. Qu’est-ce qui justifie l’usage d’armes de guerre face à des personnes armées de petits gâteaux faits maison, de myrtilles et de tout un tas de gourmandises bio ? Cette violence a déferlé sur nous, non stop pendant deux heures. J’ai vu des enfants se faire tirer dessus, des enfants qui tenaient la main d’adultes en grande chaîne humaine, aucune arme dans les mains, juste le souhait d’un monde meilleur. Cette absence d’arme et de danger n’a pas empêché les forces de l’ordre de tirer (parfois en cloche, souvent en tir tendu) sur une foule terrifiée. Ce déferlement de violence a créé une fissure dans la chaîne humaine puisque beaucoup de personnes n’étaient pas prêtes à ça et ont reculé très loin, ce qui a cassé la dynamique de solidarité. Après avoir reçu plus de 4.000 projectiles en tous genre, tout le cortège a fini par reculer pour faire une pause avant de repartir définitivement.

Cela aurait été exceptionnel de ne parler que de l’organisation des conférences, des concerts, de la gestion de 30.000 personnes, du partage et de la solidarité pour décrire ce week-end mais je me dois de parler de la violence parce que c’est ce qui a fait le plus de bruit et qui laisse le plus de stigmates.

Mais ce week-end a aussi montré l’incroyable organisation pour accueillir, nourrir et divertir des milliers de personnes, il faut le rappeler sans cesse. Que ce soit les campements (dans un champ privé ou dans la ville de Melle), les bénévoles ont installé et décoré des stands d’accueil (tel que l’espace RFS – Riots Fight Sexism, un protocole de lutte et de défense contre les violences sexistes et sexuelles au sein des événements militants), des stands de nourriture et de boissons (qui proposaient des boissons locales, des repas pour la plupart végans à prix libre) et des lieux de discussions (notamment à Melle avec le prêt de la salle de cinéma, de la salle de conférence pour les tables rondes...), il y a eu deux scènes qui ont accueilli de nombreux et nombreuses artistes. Tous ces événements ont été les bienvenus après la manifestation : on a pu se vider l’esprit un peu, même s’il était difficile d’oublier les blessé·es.

Je veux aussi célébrer le partage et l’entraide spontanée qu’il y a eu dans nos rangs : tout le monde s’est partagé informations locales, gourmandises locales, musiques et impressions. Au cœur de la manifestation, il y a eu beaucoup d’entraide aussi : en plus des médics, de nombreuses personnes étaient équipées simplement mais efficacement, et personne n’a été laissé derrière. Ça a été un moment de grande violence mais la solidarité a été encore plus grande. J’ai été émue de voir des cortèges immenses, je ne pouvais voir ni le début, ni la fin et toutes ces personnes ne se connaissant pas se savaient en sécurité car s’organisant pour le même but : la fin de l’accaparement de l’eau, la fin du capitalisme néolibéral, la fin de l’oppression patriarcale, validiste, queerphobe ..., parce que c’est avec la convergence des luttes que l’on avance véritablement vers un monde plus équilibré et plus proche du vivant. Nous luttons pour l’avenir, la paix de l’eau et de la terre, le respect et la bienveillance pour tous les êtres.

La violence d’État me fait peur et m’horrifie mais cela ne m’arrêtera pas car la vie est plus importante que l’égo de nos dirigeant-es. No bassaran !!

Textes recueillis par Fanny Lancelin

Photos : les Soulèvements de la Terre

Dessins : V.G.

MerciPeureux

 

 

« Manifester, pour quoi faire ? »

  • C., 55 ans, élue municipale

    Discours prononcé le jeudi 30 mars lors des manifestations contre les violences policières partout en France


    « Dans un premier temps, je tiens à préciser ma motivation.
    La biodiversité nous concerne au premier chef car la biodiversité, c'est nous, et tout ce qui vit sur terre. Notre engagement pour l’écologie, pour toutes les personnes présentes à Sainte-Soline, c'est d'abord un engagement pour la vie au sens strict du terme. Alors pourquoi faut-il risquer la sienne pour défendre notre avenir commun ?

    La brutalité est du côté du gouvernement et de ses forces armées qui le défend, qui défend à Sainte-Soline un trou de vide.
    La brutalité, ce sont les images d'agriculteurs qui crachent sur d'autres agriculteurs.
    La brutalité, c'est interdire une manifestation au milieu des champs pour défendre un trou de rien mais qui menace la ressource en eau.
    La brutalité, c'est 3.000 policiers ou gendarmes alignés, avec armes, canon à eau. Si nous parlons de guerre, demandons-nous ce qu’ils défendent : un modèle agricole qui a déjà pollué l'eau et qui aujourd'hui se l'accapare.

    La brutalité, ce sont les discours mensongers de certains responsables agricoles, de ministres qui ânonnent des sottises et ensuite mentent pour se justifier.
    La brutalité, c'est l’attitude des possédants, des dirigeants, leur mépris pour nos idées, nos valeurs, nos discours, nos demandes.

    Alors comment exprimer notre colère face à cette brutalité, à ce mépris, ce silence, cette surdité ?
    Comment ne pas réagir devant tant de... les mots me manquent.
    Que I’on demande poliment et républiquement grâce à des syndicats : un mur et un 49.3. Que I’on souhaite manifester notre désaccord : interdiction, intimidations.

    J'étais à Sainte-Soline, et pour ceux qui ont un peu l'habitude, c'est d'abord un rassemblement joyeux, où I’on se ressource auprès d'autres personnes qui mènent un combat.
    C'est de la musique, l’occasion de retrouver des camarades.
    J’y étais. Et non, je ne suis pas partie en guerre pour fracasser des policiers.
    Non, ce n'est pas pour mener une guerre, mais bien montrer notre détermination.

    Personne ne devrait être blessé ou mourir lors de manifestation. Nous habituer au terme de guerre vient justifier la monstrueuse force qui était devant nous et peut-être demain, des morts ?
    Aujourd'hui, je suis devant vous avec mon écharpe pour vous dire mon engagement d'élue. Je le sens ainsi sans vraiment pouvoir vous dire pourquoi. Peut-être une sorte de responsabilité pour ceux qui ont voté pour notre équipe et qui I’ont fait en pensant aussi écologie.

    Si Voltaire disait « je ne suis pas d'accord avec vous mais je me battrais pour que vous puissiez le dire », le gouvernement aujourd'hui nous bat pour que nous ne puissions pas dire ce que nous pensons.
    Les pratiques meurtrières du maintien de l'ordre doivent changer, car de quel ordre parlons-nous : celui qui tous les jours bafoue les droits en nous fichant et en donnant pouvoir aux préfets en dehors de tout avis judiciaire... il donne de plus en plus de pouvoir aux possédants protégés par la police. Ils devraient avoir honte.