C'est une autre forme de thérapie qui permet aux personnes en souffrance de se sentir mieux, de s'évader, d'augmenter leurs capacités : la médiation animale se développe au sein d'établissements spécialisés mais aussi d'associations, qui proposent des activités avec des chiens, des chats, des chevaux. C'est le cas d'Handi Equus dans le Cher.
Un visage au teint de lait encadré par des boucles blondes, un regard droit derrière de petites lunettes rondes et un sourire éclatant… C'est l'une des plus belles images qui me vient à l'esprit lorsque je pense à ma nièce Auriane. Agée de 15 ans, elle est atteinte du syndrome de Rett, une maladie génétique entrainant un polyhandicap sévère (1) : Auriane ne parle pas, ne marche pas seule, ne peut réaliser aucun acte de la vie quotidienne sans aide. Parfois, elle s'échappe dans un univers inaccessible, ce que j'appelle en moi-même sa « bulle » parce que j'espère cet univers doux et léger, protecteur, indolore… Pour celui ou celle qui ne la cotoie pas au jour le jour, il peut alors être difficile de reconnecter son regard, son attention à notre monde.
Mais dans ce souvenir, qui est une photographie envoyée par ma sœur, elle semble non seulement connectée au monde – son regard va droit à l'objectif – mais aussi à elle même. Elle n'est pas seule : son corps se prolonge dans celui d'un poney. Depuis plusieurs années, elle pratique l'équithérapie un trimestre par an, à raison d'une fois par semaine.
Fort heureusement, ce n'est pas la seule occasion qu'il nous ait été donnée de voir Auriane sourire ainsi ! Mais parmi les activités proposées par le centre spécialisé qui l'accueille le jour, la médiation par l'animal lui plaît particulièrement et a marqué durablement la famille.
Pour ma part, c'est ainsi que j'ai découvert cette forme d'activité et de thérapie. Quelques années plus tard, j'ai réalisé un reportage sur une association entrant dans les maisons de retraite avec des chiens et des chats. Les effets des échanges entre les personnes et les animaux – notamment les personnes atteintes de démence et les chiens – m'avaient stupéfaite.
Handi Equus
A 500 kilomètres d'Auriane, Humbligny, dans le Cher. En ce samedi après-midi de février, le vent souffle, glacial, sur le centre équestre de la Métairie des Vignes. De jeunes cavalières peinent à quitter la chaleur du club house. Sophie Gérard et Christelle Sanchez m'y accueillent autour d'un café. Toutes deux font partie de l'association Handi Equus, qui propose une activité assistée par l'animal, en l'occurence ici le poney et le cheval.
« L'association a été créée en mai 2009 au sein du centre équestre par Evelyne Cartron, psychomotricienne et cavalière, raconte Sophie Gérard. Elle amenait ici les enfants de l'IME (Institut Médico Educatif) où elle travaillait. Des amies cavalières, comme nous, l'ont rejoint bénévolement. Nous n'avons pas reçu de formation spécifique mais nous sommes guidées par elle et par les parents. »
Thérapie et / ou activité assistée.s par l'animal
La médiation par l'animal prend deux formes distinctes : la thérapie assistée par l'animal, portée par un professionnel médical, paramédical ou social ; l'activité assistée par l'animal, qui peut être le fait d'une équipe de bénévoles spécialisés dans un domaine comme, par exemple, l'équitation.
Dans le premier cas, un diagnostic est posé, des objectifs d'évolution sont définis, un médiateur est choisi, des grilles d'observation et d'évaluation permettent d'affiner la thérapie. Dans le second cas, il s'agit d'offrir une activité adaptée à des personnes avec des difficultés physiques, mentales, sociales…
Dans les deux cas, les bienfaits du contact avec l'animal sont indéniables : il favorise l'apaisement et diminue le stress, il permet de supporter des émotions fortes, il déclenche l'envie de jouer et de rire… Il augmente le sentiment de responsabilité et, dans les établissements, il facilite les échanges entre les personnes, résidentes, malades, les familles, les personnels soignants…
L'animal, « catalyseur social »
Comment s'est-on rendu compte de ces effets ? Par des intuitions, des observations, des expérimentations…
Ainsi, celles de l'homme d'affaires et quaker William Tuke qui, choqué des traitements violents imposés aux malades mentaux en Angleterre, fonda l'Institute York Retreat en 1796 et y introduisit des animaux pour apaiser les patients.
Ou encore celles du psychologue pour enfants Boris Levinson qui, à la fin des années 1950, publia les premiers écrits consacrés entièrement aux effets bénéfiques des animaux sur l’homme. Il fut le premier à parler de « catalyseur social » à propos de l'animal, qui joue le rôle de facilitateur des interactions entre les individus. Il s'aperçut par hasard que la présence de son chien ouvrait des portes entre ses patients et lui, ses jeunes patients se sentant apaisés, en confiance. De plus, avant l'âge de 6 ans, l'enfant considère l'animal comme son égal : il est persuadé qu'il agit et raisonne comme lui, ce qui constitue un espace intéressant de projection pour un thérapeute.
Citons également le français Ange Condoret, vétérinaire qui, en 1976, mena une expérience avec des enfants souffrant de problèmes de langage. En 1978, il établit une méthode appelée Intervention Animale Modulée Précoce (IAMP) : le but était de favoriser la communication non verbale chez des enfants de maternelle qui avaient des troubles de la communication, en les mettant en contact avec différents animaux.
Des bénéficiaires variés
Considérée d'abord avec circonspection par le milieu médical et scientifique (il est encore difficile d'expliquer pourquoi les animaux ont certains comportements ou effets sur des personnes malades), la médiation animale est progressivement entrée dans les établissements de soins, les hôpitaux, mais aussi des écoles ou des centres pénitentiaires. Ainsi, les bénéficiaires peuvent être des enfants, des personnes âgées, des personnes handicapées physiques et / ou mentales, des personnes en conflit avec leurs familles, des prisonniers…
A Humbligny, ce sont essentiellement des personnes porteuses de handicaps qui sont accueillies par Handi Equus. Elles peuvent faire partie d'établissements spécialisés ou venir individuellement.
« Au départ, nous nous entretenons avec les parents pour connaître les besoins de l'enfant et définir le niveau d'accompagnement, explique Sophie Gérard. Ensuite, nous proposons un poney qui semble correspondre à l'enfant. Lors de la séance, nous commençons par le pansage et enfin, l'enfant monte... ou pas. Mais souvent, il veut monter directement ! » La séance dure une heure.
Si le handicap le nécessite, un double portage est proposé : un adulte monte derrière l'enfant, afin de le mettre en confiance ou de lui permettre de se tenir.
Des animaux qui semblent « savoir »...
Cet après-midi là, Lucille et Amélie se retrouvent dans le manège couvert. Chaudement habillées, casquées, gantées, les petites filles préparent leurs montures, respectivement Sami et Gold, avant de grimper sur leurs dos. Sophie Gérard et Christelle Sanchez les accompagnent. Les parents peuvent assister à la séance. « Ils voient parfois leurs enfants avec un autre regard, souligne Sophie Gérard. Les enfants s'épanouissent et du coup, les adultes aussi. » Elle se souvient d'un garçon autiste qui s'est réellement ouvert au contact de l'animal ou encore d'un jeune trisomique avec qui elle s'est beaucoup amusée.
Amélie est de celles que l'activité fait rire. Agée de 10 ans et demi, elle est atteinte de la myopathie de Duchenne, une maladie génétique provoquant une dégénérescence progressive des muscles. « Elle vient ici depuis trois ans, explique sa maman, Estelle (2). On a connu l'activité par le bouche-à-oreille. Au départ, le but était qu'Amélie puisse pratiquer un sport. Elle n'a jamais eu peur et on sent que l'animal réagit d'une certaine manière. »
Christelle Sanchez confirme : « Un des poneys est un peu fougueux avec les autres. Mais dès que les enfants atteints de handicaps l'approche, il est calme, il n'y a pas de problème. » Les poneys ne sont pas particulièrement formés et pourtant, ils semblent « savoir »…
Quels effets sur les capacités physiques et psychiques ?
Dans le manège, Sophie et Christelle enchaînent les jeux et exercices pour stimuler l'attention et le plaisir des deux fillettes. Comme toute médiation animale, la pratique de l'équitation peut avoir un effet sur les capacités motrices (comme la coordination des membres, la posture, l'adresse, par exemple), mais aussi sensorielles, cognitives (comme le repérage dans l'espace-temps, la compréhension, l'assimilation) et psycho-affectives (l'estime de soi, la communication, l'attention, la concentration, l'émotion)…
Une fois redescendues de leurs montures, Lucille et Amélie doivent aider à ranger le matériel et accompagner les poneys jusqu'à leur lieu de repos. Un temps de soins, de responsabilisation et d'au revoir.
En les quittant, je m'interroge sur ce lien que l'Homme n'a cessé de créer, tout au long de son histoire, avec l'Animal. Un lien constitué tour à tour de domination, d'exploitation, de coopération, d'affection… A quel point l'Homme considère-t-il l'Animal comme un « outil » ? Au point de le placer au coeur d'une thérapie ? Tous les professionnels qui s'expriment sur le sujet sont clairs : l'animal n'a pas vocation à guérir. Mais la relation affective qui le lie à l'être humain peut constituer une clé pour libérer des esprits, des corps, des énergies en souffrance, et les reconnecter à eux-mêmes et au monde.
Fanny Lancelin
(1) Association française du syndrome de Rett : https://afsr.fr/
(2) Estelle a créé l'association AMELIE, Affronter la Maladie de nos Enfants et Lutter pour leur Intégration en gardant l'Espoir. Elle est basée à Vignoux-sous-les-Aix, dans le Cher. Plus d'informations : http://www.vignouxsouslesaix.fr/fr/information/57143/a-m-e-l-i-e
Appel
- L'association Handi Equus est à la recherche de bénévoles pouvant renforcer l'équipe existante. Actuellement soutenue par le Conseil départemental et la mairie d'Humbligny, elle souhaite également diversifier ses financements en faisant appel à des partenaires privés, notamment pour couvrir les charges inhérentes à la pension, la nourriture et le soin des animaux.
Plus d'informations sur http://handi-equus.over-blog.com
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