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L'art-thérapeute : un guide vers notre force de vie

« C'est en tant que créateur, si humble que soit le niveau où cette création se consomme, qu'un homme quel qu'il soit peut se reconnaître libre. »

Gabriel Marcel

J''ai pris le bleu. Et je laisse le pinceau esquisser des formes que je ne reconnais pas. Mes gestes sont répétitifs et pourtant, chacun d'eux est unique. Il me semble que je pourrais rester ainsi, dans ce mouvement, durant des heures.

Mon regard se voile, comme lorsqu'on « rêve » éveillé : je ne vois plus vraiment les points bleus peints par mon pinceau. Je ne sens que la lègère pression de mes doigts sur le petit manche en bois, prolongement de mon corps entrant en contact avec le papier.
« Je n'ai jamais peint », pensai-je. Vraiment ? Comment est-ce possible, à mon âge, de n'avoir jamais peint ? Une image d'un morceau de pomme de terre coupée en frite, une extrêmité trempée de peinture – bleue, elle aussi – arrive à mon esprit. Ah. Oui, sans doute à la maternelle ! Je sais que pour que l'expérience que je suis en train de vivre fonctionne, il me faut éviter de m'accrocher aux idées qui me traversent. Je laisse passer celle-ci. « Ça semble plus facile que lorsque je tente de méditer, assise en tailleur », pensai-je toutefois à nouveau. Et le pinceau de poursuivre sa danse sur le papier... peinture intuitive

Ce que je suis en train de vivre est un atelier de peinture intuitive, l'un des outils de l'art-thérapie. Et, plus précisément ici, d'art-thérapie spirituelle.
Depuis ma rencontre avec un gériatre, il y a quelques années à Sancerre, qui m'avait affirmé que la musicothérapie lui permettait de réduire la médication sur les personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer, je m'intéresse à ces démarches qui offrent aux patients de devenir créateurs, dans leur processus de transformation. Aux patients ? A chacun.e d'entre nous, en fait, qui devons faire avec les chocs émotionnels, les ruptures, les accidents, les maladies, les pathologies…
Malheureusement, le musicothérapeute a quitté le centre hospitalier de Sancerre et n'a pas été remplacé. Mais, dans le Cher, j'ai pu rencontrer d'autres art-thérapeutes qui m'ont généreusement ouvert les portes de leurs ateliers, de leurs maisons, de leurs univers. Ils sont d'abord des artistes : ils pratiquent un instrument, chantent, dessinent, peignent, dansent, font de la céramique… Et parce qu'ils connaissent ce qui se joue dans le processus de création, ils peuvent accompagner des personnes dans leur cheminement « de l'ancien vers le nouveau », comme le souligne Pauline Duchez.

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Pauline Duchez : l'art-thérapie spirituelle

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Mardi 5 février 2019 – 15 heures – Henrichemont

Le soleil éclabousse la fenêtre et réchauffe le côté droit de mon corps, celui qui souffre, souvent. Je savoure ce présent. Je suis assise près de Pauline Duchez, dans un vieil appartement presque vide, au parquet de bois grinçant. Nous avons les yeux clos. J'écoute sa voix douce.
L'atelier de peinture intuitive commence par un temps de relaxation, qui peut aller jusqu'à la méditation si les participants y sont favorables. Il s'agit de prendre conscience des parties de son corps pour y apaiser les tensions et pour les rendre disponibles à ce qui va suivre. De profondes respirations rythment cette exploration mentale, des pieds jusqu'au sommet de la tête. Lorsque j'ouvre les yeux, je me sens parfaitement détendue, sans appréhension.

Pauline Duchez punaise deux feuilles blanches sur un des murs de l'atelier, à hauteur des yeux, pour les deux participantes du jour. Face au mur, une « table-palette » (1) : sur une table, sont posés des pots en verre, translucides, à moitié remplis de peinture et placés de telle sorte qu'ils forment un nuancier de couleurs. A leurs côtés, deux pinceaux et un verre d'eau. La mise en scène est précise. Les consignes aussi : nous devons nous placer face à la table-palette et, spontanément, choisir une couleur ; tremper le pinceau dans l'eau, puis à moitié dans la peinture ; s'avancer vers notre feuille blanche, respirer ; poser le pinceau et « laisser faire ». Quoi ? Je pressens que la question est inutile. Laisser faire.
Je prends d'abord du orange. Mais finalement, il aurait pu s'agir de n'importe quelle couleur car ce qui me fascine immédiatement, c'est le mouvement du pinceau, la manière dont il tourne, agit sur la peinture, provoque des effets. Je reste longtemps, je crois, à l'observer bouger sur la feuille. Avant de prendre le bleu… de laisser me traverser quelques idées… puis, sur le vert, une musique arrive à mon esprit… « An Arz »… du mauve et une concentration plus intense encore, des sensations de mouvement agréables…

Prendre conscience des ombres et de la lumière

Lorsque je m'arrête, j'ai l'impression de peindre depuis une quinzaine de minutes. En réalité, une heure s'est écoulée. Pauline Duchez me demande à voix basse, pour ne pas déranger l'autre participante : « Lorsque tu regardes ton dessin, quel est le premier mot qui te vient à l'esprit ? » Je réponds sans hésiter : « Mouvement. » « Et où le placerais-tu dans ton corps ? » « Dans les bras. Le bas du corps bouge mal en ce moment ! »
L'échange pourrait s'arrêter là. Ou bien se poursuivre en entretien individuel si je décidai d'entamer une véritable art-thérapie. Mais il ne s'agirait pas d'interpréter, de manière psychanalytique, les couleurs et les formes apparues. Ici, le thérapeute ne décrypte pas, ne juge pas. Il établit avant tout un cadre sécurisant, pour permettre aux participants de s'exprimer librement, sur la toile puis avec son accompagnant. L'objectif ? « Quand on a pris conscience de ses parts d'ombre – ce qui peut être facile – puis de sa lumière – ce qui est parfois plus difficile – on peut prendre conscience de ce qui reste encore possible à faire, explique Pauline Duchez. Si on a conscience de toutes les parties de notre ego, on peut entrer en contact avec soi-même et s'auto-analyser. C'est le chemin vers l'autonomie. »table palette

« Les gens ont un pouvoir de changement »

Pauline Duchez (2) est en formation d'art-thérapeute auprès d'Anne Loudenot, qui a créé le concept d'art-thérapie spirituelle (3). « Je suis la seule à proposer cet accompagnement en France, me précise-t-elle par téléphone. Ici, le mot « spiritualité » signifie : quel sens je donne à ma vie ? Quelle place j'ai dans le monde ? Nous naissons une première fois biologiquement, une seconde fois socialement. Puis, vient le moment où nous nous posons la question du sens : qu'est-ce que je fais ici ? Commence alors le travail de l'être profond. L'art-thérapie spirituelle accompagne les personnes sur ce chemin-là. »
Anne Loudenot insiste sur le fait que la démarche n'est pas dogmatique et qu'elle est bien reliée, aussi, aux problèmes de la vie quotidienne : « Tout ce qu'on vit en atelier peut être transposé à la vie quotidienne. Ça peut être très terre-à-terre. Par exemple : une maman m'a dit l'autre jour que pour la première fois, elle était parvenue à ne pas s'énerver après ses enfants... L'art-thérapeute va encourager la personne à écouter une part d'elle-même qui fait obstacle à certaines choses dans sa vie de tous les jours. »

Mais pourquoi a-t-on besoin d'un accompagnant pour réaliser ce travail sur soi ? « Parce que notre société ne nous apprend pas à nous reconnecter à nous-mêmes. Certaines tribus ou cultures le font. Pas la nôtre. Notre histoire est marquée par la religion judéo-chrétienne qui a nié le corps et par la médecine qui l'a mécanisé. Nous sommes complètement déconnectés de notre transcendance, c'est-à-dire de cette force de vie qui nous a créés. On ne nous apprend pas à aller au-delà de notre mental. » Anne Loudenot sent toutefois un changement : « C'est en train d'imploser. Il y a de plus en plus de mouvements qui permettent de se sentir mieux, de ressentir cette force de vie. Il est en tout cas très urgent de transmettre aux gens qu'ils ont un pouvoir de changement. »

Pour une écologie de l'être

La formation qu'elle dispense comprend trois années de cours théoriques et de pratiques.
Pauline Duchez en a entendu parler après cinq années passées à l'Ecole Nationale Supérieure des Arts (ENSA) de Bourges. « Ça a tout de suite résonné en moi, j'ai immédiatement appelé la formatrice ! » Les cours ont lieu à Paris, à raison d'un week-end par mois. Sont également prévus des stages et un suivi de supervision avec Anne Loudenot. En deuxième année, les futurs art-thérapeutes doivent commencer un accompagnement et rédiger un mémoire. La troisième année se termine par une certification (lire aussi l'encadré).

Initialement formée au dessin, elle s'est diversifiée pour proposer de l'argile, des collages, du tissage, du fusain, mais aussi du mouvement authentique. « Certains médiums ne sont pas adaptés à certaines personnes », explique-t-elle.
L'art-thérapie spirituelle utilise des matériaux naturels en adéquation avec « l'écologie de l'être » qu'elle promeut. « C'est très important, assure Anne Loudenot. Quand on prend conscience de tout, tout devient précieux et on fait attention à tout. »

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L'atelier de terre de Suzanne Daigeler

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Samedi 26 janvier 2019 – 10 heures – La Borne

Suzanne Daigeler m'accueille dans sa maison située tout près de son atelier de céramiste. Pour des raisons de secret médical et de respect de la démarche thérapeutique, il est compliqué de pouvoir assister à une séance d'art-thérapie au sein d'établissements spécialisés comme celui où travaille Suzanne Daigeler : l'Institut Médico Educatif (IME) de Saint-Florent-sur-Cher près de Bourges.
Depuis quatre ans, deux fois par semaine, elle y accompagne des jeunes atteints de « troubles envahissants du développement » : des hyperactifs, des psychotiques et de plus en plus d'autistes. Individuellement ou en duo, pendant une demi heure ou une heure, elle leur propose un atelier de terre. Les jeunes concernés sont âgés de 9 à 18 ans actuellement.
Suzanne Daigeler fait partie intégrante de l'équipe de soin, qui comprend également une orthophoniste, une psychologue, une infirmière, une psychomotricienne et une art-thérapeute en peinture. C'est cette équipe qui prescrit l'art-thérapie aux patients, en fonction des pathologies et des objectifs qu'ils peuvent atteindre.caisson dargile
Des grilles comprenant de multiples critères doivent être remplies régulièrement pour évaluer la progression des patients. Une réunion, une fois par an, permet de tirer un bilan complet. A chaque fin de séance, Suzanne Daigeler note des observations, commentaires, interrogations…

Plusieurs médiums

Comment est-elle devenue art-thérapeute ? « A l'origine, j'étais potière. J'avais donc déjà un bagage technique et une pratique créative. Mais j'ai toujours suivi des formations dans d'autres domaines comme la communication et la psychologie, par intérêt personnel. Pour l'art-thérapie, je me suis formée trois ans avec Brigitte Sénéca à l'institut « Terre du Ciel ». » Lorsque le céramiste Jean Guillaume a pris sa retraite, il a parlé à Suzanne Daigeler du poste à Saint-Florent. « J'étais déjà intervenue à la Maison d'arrêt de Bourges et je réfléchissais à donner des cours. J'avais un peu d'appréhension pour l'IME, parce que peu d'expériences personnelles du handicap, avoue-t-elle. Finalement, ce que j'apprécie à Saint-Florent, c'est la diversité des situations. Je vois beaucoup de jeunes, très différents. »

Dans son atelier à l'IME, plusieurs espaces pour plusieurs médiums : une table avec de la terre ; un caisson d'argile ; une planche de barbotine ; un bac à sable ; un tour… « La première fois, c'est vraiment de l'expérimentation, en fonction de vers quoi l'enfant est attiré. Ensuite, je fais des propositions. Je dois tenir compte de leurs troubles, mais aussi, pour certains, du fait qu'ils sont des ados… avec des rythmes et des comportements d'ados ! »

Contacter la partie intacte de soi-même

La relation entre l'accompagnant et le participant est très importante. « Il faut créer une relation de confiance, ce qui ne se fait pas toujours spontanément. L'accompagnant doit avoir un regard bienveillant pour voir la lumière qu'il y a derrière le handicap. L'art-thérapeute doit reconnaître le potentiel de l'enfant. Il faut aussi savoir faire avec le transfert et le contre-transfert : ce que le jeune pose sur le thérapeute… il ne faut pas le prendre pour soi. »
Pour Suzanne Daigeler, l'art-thérapie s'adresse à « la partie intacte de la personne ». « Quand on crée, on est en lien avec une partie intime de nous-mêmes, c'est pour cela que c'est parfois difficile. L'art-thérapie met les personnes handicapées en relation avec la partie intacte d'elles-mêmes. »
maison
L'art-thérapeute transmet un élan

Depuis ses débuts, a-t-elle vu des changements chez les jeunes ? « Je vois qu'ils avancent au niveau de leur création. Au départ, certains ne font que des miettes, puis ils les assemblent. Et quand on trouve un thème qui les intéresse, ça avance. En ce moment, il y en a un qui fabrique des fontaines, un autre des toboggans... » Ses propositions doivent-elles régler des problèmes précis ? « Oui et non. J'accompagne surtout un projet de création s'il y en a un. Ensuite, je fais en fonction des difficultés et des observations. Certains jeunes ont tellement été dans leur bulle que le but, c'est déjà qu'ils expérimentent le monde. Et dans cet atelier, ils peuvent faire des expériences de matières et d'éléments. On travaille aussi sur le plaisir : savoir jouer est un pré-requis pour construire. Enfin, il faut trouver ce qui maintiendra leur attention. »
La poterie suppose plusieurs étapes de transformation et ainsi, de nombreuses possibilités de création : le modelage, le tournage, la cuisson… « Quand un jeune voit l'objet émaillé sortir du four, c'est comme s'il recevait un cadeau en plus de son travail ; ça le valorise. »

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Coline Bescond : « La musique émane de nous »

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Qu'est-ce que la création, sinon un prolongement de nous-mêmes ? La mise au jour d'une énergie qui, de toute façon, vit en nous ? Une extériorisation, une expression qui s'adresse autant à nous-mêmes qu'à Autrui, dans une tentative d'affirmation et de connection aux éléments qui constituent le monde.
N'en est-il pas ainsi de la musique ? Pour le psychiatre Jean-Pierre Klein, l'intérêt de la musique en art-thérapie tient à son essence même : « L'intérêt, entre autres, de la musique, tient à son rapport ambigu entre le dedans et le dehors, l'individu et le groupe. La musique nous entoure et nous pénètre à la fois, elle est commune et nous la percevons singulièrement, elle émane de nous : voix, souffle dans un instrument, ou main qui le touche, le frappe, le pince… et elle nous envahit. » (4)

Jeudi 24 janvier 2019 – 18 h 30 – Bourges

Je suis au centre d'un cercle et des sons m'envahissent de toutes parts : ils entrent par mes tympans, ressortent par les cellules de ma peau et mes cheveux, me touchent le coeur et la respiration, s'infiltrent dans mes vaisseaux, descendent jusque dans mes pieds avant de retourner en terre. D'autres virevoltent à travers toute la pièce et me frôlent, tels une multitude de papillons. Ce sont des voix qui s'entremêlent, se courent après puis s'étreignent dans un même souffle. Parfois, elles se font plus fortes, avant de diminuer en intensité. Elles ne prononcent pas de mots mais de simples sons continus qu'elles dirigent vers moi.
C'est ainsi que j'ai été accueillie au sein de l'atelier d'exploration vocale de l'association Domilune (5), animé par la musicienne et musicothérapeute Coline Bescond. Chaque nouveau membre a droit à ce présent, que les autres participants lui offrent généreusement.

Une forme d'improvisation

Au cours de cette séance de deux heures, le petit groupe constitué de six femmes a expérimenté l'effet de ses voix sur ses corps et ses esprits, en se saisissant des propositions de Coline Bescond : par exemple, se servir de son doigt comme un crayon traçant dans l'espace des formes imaginaires ; quels sons peuvent bien sortir pour accompagner ce geste ? Le geste lui-même peut tantôt pointer, tantôt esquisser des entrelacs, tantôt tracer des lignes. La voix le suit-elle ?domilune 4

Au moment où je réponds à la proposition, je ne me pose aucune question. Car ici encore, il s'agit de lâcher prise, de laisser se révéler ce qui a besoin d'être révélé. Une forme d'improvisation autour d'un thème donné.
Bientôt, Coline Bescond nous demande de déployer un large morceau de tissu entre nous et nous explorons à nouveau sa proposition en se servant du contact avec cette matière douce. Symboliquement et physiquement, toutes les participantes sont désormais reliées entre elles. Mais déjà, par la voix, elles se rejoignent régulièrement dans des espaces d'harmonie.
Le tissu est ensuite laissé de côté pour un contact plus direct : c'est main contre main, le corps engagé, que l'improvisation vocale se poursuit. Lorsqu'on doit reprendre son souffle, les mains se décollent, pour se retrouver dans l'expiration.
Pour terminer, Coline Bescond nous confie de petits tambours, excepté à l'une d'entre nous qui improvisera un solo vocal, selon son inspiration du moment. Les percussions sont aussi libres de s'exprimer comme elles l'entendent. La coordination avec la voix prend quelques instants, puis s'aligne. Chacune garde sa place, est à l'écoute des autres. La répétition amène à une extrême concentration : rien d'autre n'existe que ce qui se joue ici et maintenant.
A la fin de chaque proposition, Coline Bescond interroge les participantes sur ce qu'elles ont ressenti. Le partage est volontaire, jamais contraint.
Si les personnes qui viennent à Coline Bescond ont des profils variés, toutes ont un objectif commun : « retrouver une puissance de vie ». « Elles ont un besoin de pouvoir vibrer au monde par la voix », précise-t-elle.

« Un espace de liberté »

La musicothérapie s'adresse à toute la population : nourrissons, jeunes enfants, adolescents, adultes, personnes âgées… mais aussi « à des personnes présentant des souffrances ou des difficultés liées à des troubles psychiques, sensoriels, physiques, neurologiques ou en difficultés psycho-sociales ».
Les séances sont proposées en individuel, en groupe ou en famille, selon le contexte et le projet de soin ou d'accompagnement.
Coline Bescond met en œuvre une musicothérapie active, durant laquelle les participants sont acteurs ; la musicothérapie réceptive est un autre courant qui privilégie l'écoute.

Outre l'atelier d'exploration vocale, Coline Bescond a déjà pratiqué la musicothérapie en EHPAD (Etablissement d'Hébergement pour Personnes Agées Dépendantes), en ESAT (Etablissement Spécialisé d'Aide par le Travail), pour la PMI (Protection Maternelle Infantile), en Maison d'arrêt, par exemple.
Comment est-elle devenue musicothérapeute ? « J'ai suivi des études de musicologie à Tours. A l'époque, j'étais pianiste. Mais à 20 ans, la musicothérapie m'intéressait déjà car j'avais voulu faire mon mémoire de maîtrise sur le sujet. Mais je me posais des questions… Pour moi, la musique était avant tout un art et non un outil. La musique n'était pas faite pour être utilisée. » Elle prend alors un autre chemin et se forme comme chef de choeur au centre d'art polyphonique de Paris.domilune 5 bis
En s'installant à Bourges, ne se sentant pas libre d'enseigner dans des écoles « classiques », elle fonde Domilune en 1999. « J'aimais l'enseignement mais dans les écoles, on apprend quelque chose, on ne se sert pas forcément des connaissances de la personne. On veut apprendre la musique comme si elle ne nous appartenait pas. Il faut que chaque personne sente qu'elle a toute sa place et que la créativité est en elle. C'est très important. Même si la personne n'a pas de technique, elle peut ressentir qu'elle a sa place dans l'univers et qu'elle est une force de création. »
En 2011, elle suit une formation d'art-thérapeute à l'INECAT (Institut National d'Expression, de Création, d'Art et Transformation).

Quels effets la musicothérapie produit-elle sur les participants à ses ateliers ? « Globalement, ils peuvent mieux s'exprimer. Sur les personnes handicapées mentales, par exemple, on remarque une diminution des troubles compulsifs. » Les résultats ne sont pas toujours immédiats, c'est pourquoi la persévérance est essentielle : « Il y a un moment où il se passe quelque chose, mais si on n'y revient pas, il ne s'agira que d'un souvenir fugace alors que si on persévère, quelque chose sort d'on ne sait où. Avec la voix, on fait des découvertes jubilatoires. Il n'y a pas de juste ni de faux dans les sons produits, pas d'intention particulière, c'est la magie de la présence de chacun : il existe ici et maintenant un espace de liberté. »

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Le corps en mouvement avec Adeline Loosli

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Le recours à la danse dans l'art-thérapie semble moins répandu que les arts plastiques ou la musique. Si sa fonction cathartique remonte bien loin dans l'histoire de l'humanité, notamment dans les rites tribaux, c'est dans les années 1930 aux Etats-Unis que la danse-thérapie prit sa forme moderne, avec Marian Chace. Différents courants co-existent, plus ou moins empreints de psychanalyse, mais ils partagent des concepts communs comme le corps global ou la fonction de communication non verbale du corps. Comme l'écrit Jean-Pierre Klein, « le corps devient symbole sans cesser d'être corps ». Le participant peut « être à soi-même son propre réanimateur » (4).

Pour Adeline Loosli (6), danse-thérapeute installée à Vierzon, la danse-thérapie travaille sur « la revalorisation et l'estime de soi », « les relations », « la communication », « l'expression ». « Le simple fait de mettre le corps en mouvement peut aussi libérer certaines tensions », souligne-t-elle.
Elle intervient auprès de personnes atteintes de diabète et en surpoids, des adultes en situation de handicap physique ou mental, des personnes suivies par un service psychiatrique… Elle s'était installée dans un cabinet avec une consœur, mais face à la difficulté de trouver un médecin prescripteur, elle a dû arrêter ses consultations individuelles et travaille désormais pour des associations et structures spécialisées.

Une dimension artistique plus que physique

Quel est son parcours ? « Je pratique la danse depuis l'âge de 6 ans. Mon père considérait que ce n'était pas un métier, alors j'ai dû suivre des études de comptabilité. J'ai obtenu mon diplôme d'expert-comptable et j'ai travaillé dans un cabinet mais ça ne me plaisait pas. Il y a dix ans, j'ai passé un DU (Diplôme Universitaire) d'art-thérapie à la fac de médecine à Tours. La formation s'est déroulée une semaine par mois pendant deux ans ; j'ai pu m'arranger avec mon employeur. »
Pourquoi la formation est-elle dispensée à la faculté de médecine ? Comprend-elle des cours d'anatomie ? « Non, on étudie surtout les psycho-pathologies. Dans cette formation, toutes les pratiques sont réunies : arts plastiques, musique, danse… C'est intéressant en terme d'échanges. Il n'y avait pas beaucoup de danse-thérapeutes. »
Pour son mémoire, elle a choisi le thème de l'anorexie mentale. « Ce n'était pas évident parce que normalement, l'activité physique est interdite aux anorexiques, pour éviter la perte de poids. Mais j'ai pu intégrer le service diabétique de l'hôpital Jacques-Coeur à Bourges, qui accueille les jeunes femmes anorexiques de plus de 18 ans. J'ai axé mon travail sur la dimension artistique, et non sur l'activité physique. J'ai constaté qu'elles n'avaient pas perdu de poids et qu'elles ressentaient un certain épanouissement, de la détente. Cétait une expérience positive. »

Une fois son diplôme décroché et suite à son stage à l'hôpital Jacques-Coeur, une association de diabétiques a fait appel à elle. « Petit à petit, je sème des graines. J'envoie des cv, j'essaie de faire circuler l'information par le bouche-à-oreille… Les refus sont généralement liés à un manque de budget. Dans certaines structures, ils peinent déjà à embaucher des infirmières... Il faut aussi rencontrer des praticiens qui sont ouverts à ce type de thérapies. »adeline loosli

Rester positive

Toujours pour des questions budgétaires, l'ARS (Agence Régionale de Santé) préconise des séances en groupe, avec environ six personnes. Mais tout devrait plutôt dépendre des objectifs thérapeutiques. « Par exemple, si on veut travailler la confiance en soi, le groupe, c'est bien. Mais pour la concentration, en individuel, c'est mieux. »
Comment se déroule une séance « type » ? « Nous commençons par un échauffement avec un temps d'auto-massage pour être à l'écoute de son corps. Ensuite, je propose un exercice libre ou semi-dirigé qui permet de travailler les repères dans l'espace, le regard, le contact avec les autres… Vient un temps de chorégraphie : les participants choisissent la musique, un thème, des mouvements, le mode d'expression corporelle… Enfin, nous terminons par un temps de retour au calme et des échanges. Chacun dit ce qu'il a envie de dire, mais parfois, les participants n'ont pas accès à la verbalisation. J'observe des évolutions. J'essaie de rester positive, je ne souligne que les progrès. »

Certains patients abordent la première séance avec une certaine appréhension, voire refusent de danser. « Je ne les force pas. Je leur dis bien : si vous ne voulez pas, ce n'est pas obligatoire. Je respecte ce qu'ils ont envie ou non de faire. Ils finissent par avoir confiance et par intégrer le groupe. C'est le lien qu'on crée qui est important. »

Comme en arts plastiques ou en musique, le ou la danse-thérapeute doit rester en phase avec sa discipline. Adeline Loosli pratique toujours la danse classique et contemporaine. « Ça me nourrit et m'inspire. »

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« Ce qui reste encore possible à faire »

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Dans quelques jours, à Paris, je testerai un atelier de danse intuitive appelé aussi mouvement authentique. J'ai hâte de renouer avec cette partie de mon histoire – la danse – et d'observer les réactions de mon corps et de mon esprit.Pauline D 1
Je cherche à créer une relation fraternelle, apaisée, entre mon corps traumatisé et mon esprit qui peine à l'accepter. J'ai parfois l'impression d'être hors de moi, au sens littéral du terme, et de les regarder se chamailler : l'esprit dispute le corps de n'être plus assez agile, rapide, fort, pour concrétiser ses idées sans cesse renouvellées, ses élans, ses désirs ; le corps boude et se plaint d'être incompris, tout las et endolori qu'il est… Parfois, je les surprends à rire de concert et leur énergie commune me porte et m'emporte. D'autres fois, je les écoute s'écharper, en rêvant à des jours meilleurs. Je sais qu'une réconciliation durable est la clé du bien être. Elle viendra.

Le processus de création, chez moi, se concrétise quasiment chaque jour de ma vie par l'écriture. Il ne s'agit certes pas toujours d'art, parfois seulement de technique, mais ces instants contribuent forcément à la transformation de mon être. Chacun.e d'entre nous peut l'expérimenter, dans des disciplines aussi variées que la peinture, le dessin, la gravure, le chant, la danse et l'écriture, mais aussi les marionnettes, la vidéo, la photographie… Tous ces médiums permettent de nous révéler nos parts d'ombre et de lumière et, le plus important, de « ce qui reste encore possible à faire »...

Fanny Lancelin

(1) La table-palette a été conçue par Arno Stern : http://www.arnostern.com/
Lire aussi la rubrique (Re)visiter.
(2) http://paulineduchez.wixsite.com/ateliers
(3) Anne Loudenot a créé l'Institut d'art-thérapie spirituelle qui se trouve à Paris : https://www.artlifecoach.net/
(4) Jean-Pierre Klein, « L'art-thérapie », PUF,  2012.
(5) Domilune : https://ateliersdomilune.wixsite.com/domilune
(6) https://art-therapie-vierzon.fr/contact/1

 

Art-thérapeute : ce qu'il est... ou pas

  • Il existe des diplômes universitaires mention art-thérapie, reconnus par l’État et délivrés par des facultés de médecine comme celles de Tours, Grenoble ou de Lille.
    Mais la plupart des instituts indépendants de formation délivrent un certificat. C'est le cas de l'AFRAPATEM (1) ou de PROFAC (2), par exemple, dont les référenciels sont publiés au Journal Officiel.
    On y lit ainsi que « L'art-thérapeute crée les conditions favorables à l’expression des personnes en difficulté (psychologique, physique ou sociale), à travers des dispositifs créatifs qui ne sont pas orientés vers la production comme dans le champ habituel de l’art.
    L'art-thérapeute travaille exclusivement sur indication médicale en s’appuyant sur des techniques spécifiques à sa spécialisation à savoir : des dispositifs élaborés et réélaborés à partir de l’expérience de terrain et la recherche clinique.
    Il accompagne et soutient des personnes de tout âge dans des situations transitoires ou en processus de changement, en situation de crise ou dans un but préventif.
    L'art-thérapie est définie comme une pratique de soin utilisant des dispositifs inscrits dans le suivi créatif individuel ou groupal.
    Cette méthode s'appuie sur l’expérience créatrice comme moyen d'expression et offre des voies de communication non limités à la parole.
    Par cette approche, la personne peut percevoir et communiquer différemment son vécu singulier.
    L'art-thérapeute se différencie clairement :
    - du médiateur artistique ou de l'animateur d'atelier occupationnel, dans la mesure où ses interventions se font exclusivement sur indication médicale et contrôle du prescripteur ;
    - du psychothérapeute du fait qu'il n'interprète absolument jamais les productions ;
    - de l’ergothérapeute qui intervient dans le champ de la rééducation fonctionnelle. »
    La profession, qui peut être exercée en libéral, est revendiquée par des profils de « thérapeutes » très variés qui s'apparentent parfois plutôt à des coachs de vie ou de développement personnel. Le risque ? Que l'auto-proclamé « thérapeute » ne maîtrise pas les bases de la psychologie et qu'il se laisse emporter par les émotions de celui ou celle qu'il doit accompagner. Mais, comme dans toute relation, tout est affaire de sensibilité et de confiance…

    (1) AFRAPATEM : http://art-therapie-tours.net/
    (2) PROFAC : https://www.artherapie.com/