« Pourquoi aller en cours si on n'a pas d'avenir ? » La question est sur les lèvres de milliers de jeunes à travers le monde, chaque vendredi, lorsqu'ils manifestent pour la défense du climat. Elle est désormais aussi sur celles des lycéens berruyers qui, ce vendredi 15 mars, ont répondu à l'appel du mouvement « Youth For Climate » (1) et qui espèrent pouvoir développer la mobilisation dans les prochaines semaines.
« Ce n'est pas parce qu'on vit dans une petite ville qu'on ne peut rien faire. » Adèle, 16 ans, tenait à ce que la grève mondiale des jeunes pour le climat, organisée ce vendredi 15 mars, touche Bourges. C'est pourquoi, il y a quelques jours, elle a poussé la porte de l'association Nature 18 et sollicité un coup de pouce pour l'organisation de l'événement. « On m'a mis en contact avec un prof' qui avait commencé des démarches. » Le parti Europe Ecologie-Les Verts (EELV), les syndicats SNES, CGT et UNSA avaient décliné. C'est finalement l'association Ki-6-Col (2) qui a apporté son aide pour la communication et la logistique.
Mais, globalement, les adultes ont su rester discrets, encourageant simplement les jeunes participants à prendre la parole au micro ou à discuter avec la Police pour définir un parcours de défilé. « C'est votre journée, saisissez l'occasion de vous exprimer », insistait Marie Avril, membre de Ki-6-Col. Un petit groupe de Gilets Jaunes s'est bien placé en tête de cortège, mais il a fini par s'effacer. Dans les rangs des lycéens, l'un d'eux brandissait même une bancarte indiquant : « On n'est PAS des gilets jaunes ». A bon entendeur...
Faire bouger les lignes
La grève a débuté vers 10 heures, place Séraucourt, au centre-ville de Bourges. Ki-6-Col y avait installé un barnum et une enceinte diffusant de la musique. Par petits groupes, collégiens, lycéens et étudiants sont arrivés des différents établissements scolaires disséminés dans toute la ville. Au plus fort du rassemblement, ils étaient environ une centaine, en majorité des lycéen.nes, parmi lesquels Owen, 16 ans, qui a pris le premier la parole : « La planète, on y habite tous ensemble. Il faut qu'on en prenne soin et qu'on prenne conscience de nos actes. »
Lorsqu'on lui demande quel type de pollueurs l'agacent plus particulièrement, il cite « les multinationales » de l'informatique, « les grandes compagnies minières qui extraient des minerais rares, Monsanto, Bayer » et, actualité oblige, « les gros porte-containers » qui ne se contentent pas de circuler sur la mer mais aussi de s'y abîmer.
Owen le sait : il a ses contradictions. « Je joue à la console, j'ai un ordinateur, je prends des cours sur Internet… Je suis prêt à faire des choses à petite échelle mais pas encore à changer mon mode de vie à l'extrême. » A l'extrême ? « Oui, vous voyez, comme ceux qui auto-construisent leurs maisons dans les bois… »
A quelques mètres de lui, un groupe de jeunes filles avec une pancarte représentant une planète fondant comme une glace sous les effets des rayons ardents du soleil. Et un slogan : « Quand c'est fondu, c'est foutu ! » Léna, Ikram, Mathilde et Mahaut, 16 ans, veulent mobiliser un maximum de personnes pour manifester, mais pas seulement. « Il faut organiser des actions à l'intérieur des lycées, comme des débats, une sensibilisation par des affiches… » Parce que tous les jeunes ne se sentent pas concernés : « Certains disent : ça sert à quoi d'aller marcher ? Le climat ne va pas changer ! » Elles, sont persuadées de l'importance de faire entendre leurs voix, en direction de l’État pour qu'il prenne les décisions qui s'impose, et en direction de l'ensemble de la population pour que chacun change ses – mauvaises – habitudes.
Elles espèrent aussi pouvoir faire bouger les lignes dans leurs écoles : « Il devrait y avoir des potagers dans tous les lycées et des panneaux solaires sur les toits ! » Si peu d'enseignants sont présents à leurs côtés place Séraucourt, elles savent que beaucoup les soutiennent : « En cours, ils n'ont pas le droit de faire passer leurs idées. Mais par ce qu'ils nous enseignent, on sait que certains sont très sensibles à ces questions. »
Une jeune Suédoise inspirante
Vers 11 heures, les jeunes participants ont pris le chemin des rues commerciales pour un défilé, dans le calme. Au même moment, partout en France, 226 manifestations avaient lieu, et des milliers d'autres dans le monde entier.
A l'origine de ce mouvement ? Greta Thunberg, une Suédoise de 16 ans, devenue une figure de la défense du climat. En août 2018, quelques semaines avant les élections législatives dans son pays, elle décide de sécher les cours et de s'installer devant le Parlement à Stockholm, avec une pancarte : elle poursuivra sa grève de l'école tant que son gouvernement ne respectera pas l'Accord de Paris (3).
A la fin de l'année, elle est invitée à prendre la parole à la COP 24 à Katowice en Pologne. Son discours, clair, tranchant, sans concession, fait le tour du web. Pas question de vous supplier, vous les dirigeants, dit-elle en substance, nous exigeons, nous sommes le changement et vous n'avez plus le choix.
Dès lors, ses « Fridays for Future », ses vendredis buissonniers, sont repris partout dans le monde. Le mouvement « Youth For Climate » est né.
A Paris, le premier rassemblement a lieu devant le ministère de la Transition Ecologique et Solidaire, le 15 février 2019. Une semaine plus tard, Greta Thunberg est présente, pour une marche entre Opéra et République.
Transformer la colère en actions
Fait intéressant : alors qu'elle fait la grève de l'école, c'est à l'école que la jeune Suédoise a été pour la première fois sensibilisée aux problèmes climatiques. Elle raconte y avoir vu un film, à l'âge de 8 ans, montrant des ours polaires affamés et du plastique dériver dans les mers et les océans. Elle s'interroge : pourquoi l’État ne considère pas les dangers guettant la planète, et donc ses habitants, comme une priorité ?
Atteinte du syndrome d'Asperger, elle tombe en dépression à l'âge de 11 ans. Puis se ressaisit et transforme son mal-être en action positive pour la cause climatique.
Elle décide d'arrêter de manger de la viande et de consommer tout produit qu'elle juge inutile, et parvient à rallier ses parents. C'est ainsi que sa mère, Malena Ernman, chanteuse d'opéra internationale, a cessé de se déplacer en avion.
Désormais, Greta Thunberg encourage les jeunes à « réaliser ce que les générations précédentes ont fait et continuent de faire » ; à « faire entendre [leur] voix, [se] mettre en colère et transformer la colère en actions ».
« C'est une cause mondiale, c'est obligé que ça marche ! »
Le message est arrivé jusqu'à Bourges. Même si Adèle aurait aimé qu'il parvienne à davantage d'oreilles. « Il y avait plus de monde pour Parcours Sup (4), ça me déprime un peu… mais c'est une cause mondiale, c'est obligé que ça marche ! »
Même déception pour Lily, Fanny et Lucie, 16 ans : « Je suis déçue parce qu'il y a peu de gens de ma classe, explique Lily. Tout le monde dit, il faut faire quelque chose, mais si on ne manifeste pas, comment se faire entendre ? Le réchauffement climatique, c'est notre faute, il faut rétablir la situation. »
Parmi les sujets qui les inquiètent : le gaspillage alimentaire, la disparition des espèces animales, la pollution des mers, la surconsommation…
Léna a bien compris ce qui nous attend : « Le climat se réchauffe, les glaces fondent, les mers montent, les populations qui vivent sur les côtes sont en danger, elles migrent, ce qui crée de la surpopulation ou des problèmes dans les pays qui doivent les accueillir... »
En fait, ils ont compris ce que bien peu d'adultes de la génération précédente semblent avoir compris : qu'un être humain est un élément faisant partie d'un tout ; que ses actes individuels ont des conséquences sur le tout ; les êtres sont reliés entre eux, interdépendants, dans cet ensemble qu'ils forment presque malgré eux.
C'est ainsi que tous les jeunes participants interrogés ce vendredi-là ont foi dans les petits gestes de la vie quotidienne, dans leurs actes individuels, mais aussi dans ce mouvement mondial, dans ce tout qui les aidera à se sauver et à sauver la communauté d'êtres vivants à laquelle ils appartiennent. A laquelle nous appartenons tous.
Fanny Lancelin et Z. Windy
(1) https://ilestencoretemps.fr/youthforclimate/
(2) Lire le numéro 16 de (Re)bonds, daté du 15 août au 15 septembre 2018, onglet archives : « L'Antidote de Ki-6-Col : un projet militant ». Plus d'informations sur : https://www.ki6col.com/
(3) Accord de Paris : approuvé le 12 décembre 2015, il fait suite aux négociations qui se sont tenues lors de la Conférence de Paris sur le Climat de la Convention-cadre des Nations Unies sur le changement climatique (COP 21). Il regroupe les engagements des 195 délégations représentant les Etats, notamment en matière de diminution des gaz à effet de serre.
(4) Réforme de Parcours Sup, application web destinée à recueillir les vœux des lycéens pour leur orientation future, controversée parce que jugée injustement sélective.
Affaire du Siècle : bientôt trois millions de signatures ?
- Jeudi 14 mars, quatre ONG (Organisations Non Gouvernementales) ont déposé plainte au tribunal administratif de Paris contre l’État français pour « manquements » à ses obligations en matière d'engagements climatiques, notamment sur la question de la réduction des émissions de gaz à effet de serre.
Cette plainte fait suite à la pétition mise en ligne depuis plusieurs mois par lesdites ONG : Greenpeace, la Fondation pour la Nature et l'Homme, Notre Affaire à Tous et Oxfam France. Ce vendredi 15 mars, 2.167.046 signataires étaient comptabilisés. L'objectif désormais ? Atteindre les trois millions !
L'avis du juge est attendu dans un délai d'un à deux ans, les instructions prenant forcément du temps dans ce type d'affaire. Les plaignants espèrent qu'il reconnaîtra l'obligation de l’État en matière de lutte contre le changement climatique, qu'il constatera les manquements et l'enjoindra à agir.
Pour Greenpeace, « si ce gouvernement était crédible, il investirait massivement dans les transports en commun et les mobilités alternatives pour réduire drastiquement l’usage de la voiture individuelle, il lancerait une grande politique de rénovation énergétique du logement, il en finirait avec le modèle agricole industriel porté à bout de bras par des subventions publiques. Il taxerait fortement les industries polluantes et sortirait des traités de libre-échange qui ne respectent pas l’environnement. Il arrêterait de favoriser les multinationales responsables du changement climatique en défendant leurs projets climaticides, comme les forages de Total en Guyane, ou sa bioraffinerie à l’huile de palme à la Mède. Il faut un changement de modèle : plus d’égalité sociale et de démocratie pour faire face aux industriels et à leurs lobbies » (1).
De son côté, le gouvernement français rejette l'accusation d'inaction et évoque même des mesures qui commenceraient à porter leurs fruits.
Inédite en France, la démarche existe déjà dans d'autres pays, puisque le Grantham Research Institute aurait répertorié 270 affaires en cours dans le monde entier, sans compter les Etats-Unis, avec 800 affaires. Elles peuvent être le fait d'ONG, d'associations, mais aussi de collectifs de citoyens, de particuliers.
Aboutissent-elles ? Oui, dans certains cas comme aux Pays-Bas où l'ONG Urgenda, suivie par 900 citoyens, a fait condamner le gouvernement pour des raisons sensiblement identiques à celles de l'Affaire du Siècle. - Vous pouvez encore signer la pétition ou obtenir plus de renseignements sur le site https://laffairedusiecle.net/
(1) https://www.greenpeace.fr/jeunesse-greve-climat-greenpeace-derriere/