« Il me semble que rien ne prépare mieux à tenir tête (à la meute, à la peur, à l'autorité, à l'existence même) que l'expérience solitaire de la liberté et, franchement, quel meilleur champ d'exercice, plus vaste, plus divers, plus sauvage, plus scandaleusement personnel, que la lecture ? » Marie Desplechin
Ma sœur Natacha fut mon premier passeur, le premier dont je me souvienne. Elle m'apprit à lire les notes avant que je sache vraiment déchiffrer les mots. Elle répétait son solfège dans un petit livre bleu-vert, en me montrant du doigt les rondes sur la portée. J'aimais me serrer près d'elle, entendre sa voix douce, suivre ses gestes grâcieux… Je n'avais pas cinq ans, elle avait six ans de plus que moi. Elle portait des boucles blondes et la sagesse des aînées de famille. Je la trouvais pleine de mystère. Forcément, pensai-je, les livres qu'elle lisait devaient révéler un univers merveilleux.
Elle me laissa me servir librement dans sa petite bibliothèque. Je me souviens des aventures de « Fantômette » (1), d'un illustré de « Peer Gynt », des « Chroniques du XXe siècle » mais, plus que tout, je me souviens de « L'Enfant du Dimanche » (2), le livre qui ouvrit mon appétit pour tous les autres et qui fit de moi une dévoreuse de tout ce qui contient des mots. Avec « L'Enfant du Dimanche », je découvris qu'on pouvait se prendre pour un personnage, qu'on pouvait rire et pleurer fort avec lui, qu'on pouvait être dans le livre. Dès lors, lorsque je commençai une histoire, le temps s'arrêtait, plus aucun son extérieur ne me parvenait, la maison pouvait bien brûler comme disait ma mère…
Le second passeur fut mon parrain, Patrick. A l'âge de dix ans, on m'envoya en vacances chez lui, avec ma grand-mère. Il n'y avait aucun enfant de mon âge. Je me serais ennuyée ferme s'il n'y avait eu un véritable trésor dans le salon de la maison de Nevers : une bibliothèque entièrement remplie – du moins, c'est mon souvenir – de bandes dessinées. Je devins une fan de Cubitus, de Michel Vaillant et de Thorgal.
Mes parents nourrissaient mon insatiable appétit. Toute la famille était inscrite à la bibliothèque du village où je me rendais chaque samedi avant mon cours de musique... Je recevais régulièrement des livres en cadeaux à Noël et pour mes anniversaires.
Mais je ne me suis jamais constituée de véritable bibliothèque. Etudiante, il fallait économiser pour sortir. A Rennes, les bibliothèques publiques étaient légion et la Communauté d'Emmaüs avait déjà des rayons de livres d'occasion. Au gré des déménagements, j'ai toujours fini par les donner. Pour m'alléger, mais aussi pour partager les histoires, pour qu'elles aient de multiples vies, devenant ainsi à mon tour, un passeur. Un seul livre ne m'a pas quitté : « L'Enfant du Dimanche »... retrouvé – ma sœur avait offert son exemplaire à une amie – grâce à une formidable libraire dans le Morbihan. Depuis, je fréquente les bouquineries et j'emprunte toujours beaucoup, dans plusieurs bibliothèques.
A Morogues, le centre social auto-géré auquel je participe, La Brèche, possède quelques dizaines d'ouvrages spécialisés en histoire, économie, politique, écologie, psychologie… Un jour que je rangeai les rayons, une femme entra. Elle observa la bibliothèque et me demanda d'où venaient les livres. « De dons ou ils sont mis à disposition par des adhérents de l'association. » Elle voulut savoir ce que nous faisions des livres qui n'entraient pas dans notre sélection. « Pour l'instant, ils sont stockés dans des cartons. Nous pouvons les proposer aux adhérents ou bien les donner à d'autres associations. » Elle afficha un large sourire : « Est-ce que vous connaissez Le Tourne-Livres à Bourges ? »
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De la bibliothèque de rue à la bouquinerie
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Lundi 3 juin 2019 – 16 heures – Bourges
En ce milieu d'après-midi, le quartier du Moulon est calme. Le soleil frappe chaleureusement ses petites tours d'immeubles. Au niveau de la rue Adelaïde-Hautval, elles forment un carré, une « esplanade » sur laquelle ont été plantés des arbres, des bancs et des jeux pour les enfants. Tout autour, vivent des familles modestes, certaines venues de l'étranger.
Face à l'esplanade, le local du Tourne-Livres. « Avant, c'était une petite mercerie », m'explique en m'ouvrant la porte Marie-Louise Démoulin, surnommée Maryse, la présidente de l'association. Le lieu a conservé les vitrines d'origine où devaient s'étaler autrefois boutons, pelotes de laine et patrons de couture. Ils ont laissé place à des présentoirs de livres.
A l'intérieur, une pièce d'une trentaine de mètres carrés, lumineuse : les murs sont couverts d'étagères blanches chargées d'ouvrages ; au milieu, des bacs, eux aussi remplis de livres. Quelques marches et l'on accède à une petite cuisine, d'autres rayons, une salle pour les livres d'enfants et d'adolescents, et enfin, un espace réservé au travail de l'équipe.
Sur le même trottoir, la porte à côté est celle de « l'Annexe », où se déroulent les animations proposées par le Tourne-Livres.
« L'association est issue d'une bibliothèque de rue qui était rattachée à la FOL, la Fédération des Oeuvres Laïques, raconte Maryse Démoulin, alors « simple » bénévole. Nous venions lire des histoires aux enfants des quartiers périphériques de Bourges. Nous nous installions aux pieds des immeubles. Au départ, nous avons commencé avec un landeau, puis la FOL a acheté un camion. Nous faisions cela deux fois par semaine, le mercredi et le samedi. Ça a duré vingt ans. » Pour elle, il s'agissait d'offrir « un complément de l'école et un tremplin vers la bibliothèque », donner le goût d'entendre des histoires, l'envie d'en connaître plus et donc, de lire.
Progressivement, les bénévoles reçoivent des livres en dons. « Qu'en faire ? En particulier ceux qui n'étaient pas adaptés aux enfants ? Nous avons pensé à les vendre pour faire fonctionner l'association. C'est ainsi qu'est née la bouquinerie. »
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L'implantation dans les quartiers nord
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Le Tourne-Livres est officiellement créé en 2010. Une cave accueille les dons dans le quartier des Gibjoncs. A l'époque, la vente est organisée une fois par mois à l'Agence d'Exploration Urbaine, dans un local prêté par Emmetrop (3). « Le nombre de livres donnés a rapidement augmenté, se souvient Maryse Démoulin. Il fallait avoir notre propre local. Nous nous sommes installés ici, rue Adelaïde-Hautval, en 2014. » Le choix d'un des quartiers nord de Bourges, populaire, n'est pas le fruit du hasard : « C'était important pour nous d'être ici, où il n'y a ni librairie ni bibliothèque. »
Maintenus les mercredis et samedis, les créneaux ont été progressivement élargis. Aujourd'hui, la bouquinerie est ouverte les après-midis du mardi au vendredi, et le samedi toute la journée (4).
Mais le Tourne-Livres ne se contente pas de vendre des livres d'occasion à petits prix. « Son objectif n'est pas de gagner de l'argent, mais de permettre au plus grand nombre l'accès à la culture et en particulier aux livres », est-il écrit dans la Charte du Bénévole. Etre, donc, un véritable passeur du goût de lire, d'apprendre, de rêver, de créer. Les actions de l'association s'adressent notamment aux plus jeunes.
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L'accompagnement à la lecture
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Lundi 3 juin 2019 – 16 h 30 – école du Grand-Meaulnes à Bourges
Françoise et Evelyne nous rejointes. Ensemble, nous nous rendons à l'école toute proche : celle du Grand-Meaulnes. Un nom de livre… (5) Trois fois par semaine, des bénévoles du Tourne-Livres viennent chercher des enfants de CE1 et de CE2, pour les emmener à l'Annexe et leur proposer un accompagnement à la lecture.
« Depuis deux ans, nous avons un agrément de l'Education Nationale pour cela, précise la présidente. Les enseignants nous recommandent des enfants qui ont besoin de cet accompagnement. A chaque trimestre, ils changent. Au total cette année, nous en aurons donc accompagné 27. »
Ce jour-là, Héléna, Jihad et Linéys, âgés de 7 ans. Nous discutons pendant le goûter. J'apprends qu'ils aiment les contes et les histoires fantastiques. Ce supplément de lecture, qu'on leur demande après l'école, ne semble pas vécu comme une corvée.
D'abord, des binômes se forment : un enfant avec un adulte. Ensuite, les jeunes lecteurs choisissent un ouvrage parmi la sélection préparée par les bénévoles. Chaque binôme s'installe dans un coin de la salle, pour ne pas déranger les autres. Car ici, la lecture se fait à voix haute. L'ambiance est détendue. Jihad suit les mots avec son doigt. Héléna pose des questions sur ce qu'elle ne comprend pas. Linéys rit.
Puis, chaque enfant raconte aux autres membres du groupe l'histoire tout juste lue. Celle d'une petite fille qui enferme une coccinelle dans une boîte mais qui la libère après avoir vu les animaux si tristes dans un zoo… des enfants qui remontent le temps à la recherche de samouraïs… deux paresseux qui ne vont nulle part mais ont décidé d'y aller ensemble…
Enfin, les enfants peuvent jouer ou dessiner. Ils décident de sortir le petit théâtre de marionnettes et de me jouer « Le Corbeau et le Renard », de Jean de La Fontaine. Le corbeau est violet, l'interprétation très libre mais réussie. J'applaudis. Les enfants sont joyeux. Ils aimeraient poursuivre mais déjà, les parents sont là.
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Environ 2.000 livres donnés par an
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Le Tourne-Livres se déplace aussi directement dans les écoles : un camion, sorte de bibliothèque itinérante, se rend dans les collèges et les lycées, où sont organisés des jeux avec, à la clé, des livres à gagner.
Il se stationne également pour des ventes, sur les marchés (Tivoli à Bourges et à Baugy), près de la bibliothèque du Val d'Auron, sur le parking de la Biocoop ou encore lors de brocantes.
L'association organise aussi des animations ouvertes à tous, petits et grands : un mercredi par mois, pour les enfants ; des « causeries » à thème et des soirées de jeux de société pour toute la famille. Elle participe aux fêtes de quartier. Enfin, elle anime des ateliers d'apprentissage du français pour des adultes.
Tout cela est possible grâce à une salariée et une équipe d'une trentaine de bénévoles, tous et toutes passionné.es par les livres.
Jeudi 6 juin 2019 – 15 heures – Bourges
A la bouquinerie, dans la petite pièce réservée à l'équipe, Cathy, salariée, et Anne, bénévole, s'affairent. Aujourd'hui, le stock à traiter est « raisonnable ». Leur tâche : trier les livres, juger ceux qui peuvent être conservés, nettoyés, mis en rayon. Elles accueillent également les visiteurs, les conseillent, assurent la vente, enregistrent les éventuelles adhésions (mais pour acheter, il n'est pas nécessaire d'adhérer).
« Les livres sont donnés par des particuliers ou des bibliothèques, explique Cathy. Nous demandons qu'ils soient en bon état et propres. Nous ne prenons pas les encyclopédies. Et nous ne sommes pas une filière de recyclage : tout ce qu'on prend, c'est pour mettre dans les rayons, à la vente. Ce qui n'est pas conservé est donné à d'autres associations ou à des boîtes à livres (voir aussi la rubrique (Re)vue). »
Les livres qui seront donnés durant les animations sont mis de côté : environ 2.000 cette année ! Et ce nombre augmentera sans doute encore puisque l'association est de plus en plus sollicitée pour des interventions. Pour les alimenter, les livres pour les enfants et adolescents sont toujours les bienvenus, y compris les bandes dessinées, peu nombreuses. « Les lecteurs de bandes dessinées aiment les collectionner, donc les conserver. »
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A la bouquinerie, une clientèle variée
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Je parcours les rayons des yeux : poésie, théâtre, psychologie, sociologie, religion, livres jeunesse, romans et manuels pour adolescents, quelques dictionnaires, littérature et auteurs classiques, romans policiers, érotiques, ouvrages sur le cinéma, la musique, la cuisine, la santé, un petit bac sur la politique et l'économie… Tout y est.
Sur une table, quelques livres choisis, coups de cœur des bénévoles. « Ce qui nous motive, c'est la passion du livre », sourit Anne. Elle aime particulièrement les biographies et l'histoire. Elle a connu Le Tourne-Livres au forum des associations de Bourges et y est entrée il y a quelques mois.
Entourée ainsi, n'est-elle pas tentée de lire toute la journée ? « Non, mais je repars souvent avec un ou deux livres ! A 50 centimes (6), ça vaut le coup. »
La clientèle de la bouquinerie est variée. « Elle est vraiment mixte, assure Cathy. Il y a des hommes, des femmes et de tous âges. Il y a moins de jeunes, c'est vrai. Les lycéens viennent par exemple pour trouver les œuvres étudiées au bac ; les collégiens avec leurs grands-parents pendant les vacances ; les enfants de l'aide à la lecture, parfois. » Viennent-ils principalement du quartier ? « Je dirais… un tiers de Bourges Nord, un tiers du reste de la ville et un tiers des environs. »
Depuis l'ouverture, la fréquentation de la bouquinerie est stable, avec un creux en 2018 notamment durant les fortes chaleurs. « Mais depuis le début de l'année, il y a une bonne reprise. »
Les recettes tournent autour de 1.000 euros par mois. Elles permettent de financer le mi-temps de Cathy, de payer les charges du local (prêté par un office HLM) et les frais inhérents au fonctionnement de l'association.
Sur la table de Cathy, un cahier des livres recherchés. « Parfois, un adhérent cherche un livre précis, de son enfance par exemple… C'est un réel plaisir de le trouver en triant ! Ça me tient vraiment à cœur de faire plaisir quand je trouve. Ça, j'aime beaucoup ! »
Est-ce qu'il y a des tendances dans les demandes ? « Quand la cathédrale Notre-Dame a brûlé, on nous a beaucoup demandé « Notre-Dame de Paris » de Victor Hugo, répond Anne. Et des ouvrages sur l'Egypte lorsqu'on a entendu parler de l'exposition sur Toutânkhamon. Les livres de terroir sont aussi appréciés. »
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Lire : rêver, critiquer, résister
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Une caisse retient mon attention : elle ne contient que des « inclassables ». Un petit livre écru me semble très à propos : « Lire est le propre de l'homme » publié en 2011 par l'Ecole des Loisirs. Je l'emporte.
Dimanche 9 juin 2019 – 11 heures – Forêt du Noyer
Je lis à voix haute en marchant, le petit ouvrage dans une main.
« Plus je les côtoyais, plus j'avais envie de découvrir leurs semblables. Les livres étaient une forêt magique où chaque arbre invitait à une aventure. Je n'étais plus seule, je n'avais plus peur, ou plutôt j'étais seule, mais cela n'avait rien d'angoissant. » (Valérie Zenatti)
Au-dessus de ma tête, le vent souffle dans les arbres. « Lire est le propre de l'homme » est une sorte de manifeste pour le droit à la lecture et pour le devoir de le donner aux enfants. Il regroupe cinquante textes et dessins d'auteurs, de courtes histoires rassemblant témoignages et réflexions.
Certains racontent comment, plus jeunes, ils ont découvert le plaisir de lire et le pouvoir des livres :
« Je découvrais une autre voix que la mienne, une autre pensée. Lire me stimulait, reliait toute mon énergie positive, réconciliait ma raison et mes instincts. J'aimais ou je n'aimais pas, je réagissais, je réfléchissais. Mes premières lectures ressemblaient à de premières amours, j'attendais avec impatience et ardeur l'heure des retrouvailles. » (Stephanie Blake)
« [Les livres] m'ont appris le courage, le goût de la justice, l'audace, la rêverie. Je les considère comme des membres très proches de ma famille, qui m'auraient transmis leur expérience de vie et auraient façonné ma conscience, enrichi ma sensibilité. » (Valérie Zenatti).
Tous évoquent le sentiment de solitude qui disparaît lorsque s'ouvre un livre ; de la manière dont le lecteur se met à la fois en retrait du monde et accueille tous les personnages, les images, les histoires qui font ce monde ; du savoir et des rêves qui se transmettent à travers les lignes et les pages...
Certain.es rappellent à quel point la lecture est une forme de résistance à la société dans laquelle nous vivons :
« Les enfants et les adolescents vivent aujourd'hui dans un monde bouleversé, envahi d'images et de sons, d'informations aussi vite commentées qu'oubliées, d'injonctions publicitaires, de violences et de crises, un monde régi par l'instant, l'argent et la vitesse. […] La lecture, par le silence, la lenteur et la solitude qu'elle impose, vertus exactement inverses à celles du bruit, de la vitesse et des sept cent soixante-six amis sur Facebook, donne les conditions nécessaires à l'élaboration d'une pensée critique, émancipée de toutes les pressions que les individus subissent. » (Brigitte Smadja)
« […] il est nécessaire de poursuivre la lutte, pour préserver et développer le goût de la lecture dans un monde où la violence se déploie de façon inquiétante, parce que la lecture constitue un contre-pouvoir, un refuge. » (Agnès Desarthe)
D'autres encore interpellent les responsables de la politique de la lecture publique :
« La lecture est le premier instrument de la liberté et elle est la première chose à défendre. Et défendre la lecture, c'est d'abord défendre la liberté de la lecture. Et, donc, pour commencer, les moyens d'y accéder. » (Christian Oster)
« La lecture n'est pas un loisir qu'on puisse comparer au cinéma ou au jeu vidéo, c'est une nécessité de chaque jour, c'est le passeport pour l'insertion dans notre société et c'est ce qui donne accès à la liberté, liberté de parler, de penser, de circuler. » (Marie-Aude Murail)
Dans ce petit ouvrage, tant de passeurs de livres : les auteurs et illustrateurs bien sûr, mais aussi les parents, les enseignants, les amis, les bibliothécaires, les libraires… Je repense aux bénévoles de l'association Le Tourne-Livres. Par leurs actions, ils offrent un monde merveilleux aux enfants, stimulant leur imagination et par là même, leur esprit critique. Ils donnent la possibilité à tous, jeunes et moins jeunes, d'entrer sans complexes dans une boutique où l'on ne se contente pas de vendre mais où le livre est aussi invitation à la rencontre.
Avec le développement d'Internet, des livres numériques et des liseuses, certains prédisent la disparition du livre. Mais, comme le rappelle Marie-Aude Murail, « une enquête sur les « pratiques culturelles des Français à l'ère numérique » a démontré que plus on utilise Internet, plus on va au cinéma, au théâtre, au musée, et plus on lit des livres. » Nul doute que les bouquineries telles que Le Tourne-Livres aient encore de beaux jours devant elles.
Fanny Lancelin
(1) Fantômette : série de cinquante-deux romans pour la jeunesse créée par Georges Chaulet et publiée en France de 1961 à 2011 aux éditions Hachette, dans la collection Bibliothèque rose.
(2) « L'Enfant du Dimanche » de Gudrun Mebs, traduit par Rémi Laureillard et illustré par Rotraut Suzanne Berner, Gallimard Jeunesse, 1986.
(3) Emmetrop : association culturelle basée dans une ancienne friche industrielle, à Bourges. http://www.emmetrop.fr/a-propos/presentation/
(4) Horaires d'ouverture de la bouquinerie, 10 rue Adélaïde-Hautval à Bourges : du mardi au vendredi de 15 h à 19 h, le samedi de 9 h à 12 h 30 et de 14 h à 17 h.Plus de renseignements : http://www.letournelivres.fr
(5) « Le Grand Meaulnes » d'Alain-Fournier, éditions Emile-Paul Frères, 1913. Alain-Fournier (pseudonyme d'Henri Alban-Fournier) est un auteur originaire du Cher, né à La Chapelle-d'Angillon.
(6) Les livres sont vendus généralement 50 centimes ou 1 euro. Les « Beaux livres » ou livres rares peuvent être vendus jusqu'à quelques euros de plus.
A qui la faute ?
- Le dernier texte de l'ouvrage « Lire est le propre de l'homme » publié par l'Ecole des Loisirs (lire ci-dessus) est un poème de Victor Hugo, tiré de L'Année Terrible (1872).
« Tu viens d'incendier la Bibliothèque ?
- Oui.
J'ai mis le feu là.
- Mais c'est un crime inouï !
Crime commis par toi contre toi-même, infâme !
Mais tu viens de tuer le rayon de ton âme !
C'est ton propre flambeau que tu viens de souffler !
Ce que ta rage impie et folle ose brûler,
C'est ton bien, ton trésor, ta dot, ton héritage
Le livre, hostile au maître, est à ton avantage.
Le livre a toujours pris fait et cause pour toi.
Une bibliothèque est un acte de foi
Des générations ténébreuses encore
Qui rendent dans la nuit témoignage à l'aurore.
Quoi ! dans ce vénérable amas des vérités,
Dans ces chefs-dœuvre pleins de foudre et de clartés,
Dans ce tombeau des temps devenu répertoire,
Dans les siècles, dans l'homme antique, dans l'histoire,
Dans le passé, leçon qu'épelle l'avenir,
Dans ce qui commença pour ne jamais finir,
Dans les poètes ! quoi, dans ce gouffre des bibles,
Dans le divin monceau des Eschyles terribles,
Des Homères, des Jobs, debout sur l'horizon,
Dans Molière, Voltaire et Kant, dans la raison,
Tu jettes, misérable, une torche enflammée !
De tout l'esprit humain tu fais de la fumée !
As-tu donc oublié que ton libérateur,
C'est le livre ? Le livre est là sur la hauteur ;
Il luit ; parce qu'il brille et qu'il les illumine,
Il détruit l'échafaud, la guerre, la famine
Il parle, plus d'esclave et plus de paria.
Ouvre un livre. Platon, Milton, Beccaria.
Lis ces prophètes, Dante, ou Shakespeare, ou Corneille
L'âme immense qu'ils ont en eux, en toi s'éveille ;
Ébloui, tu te sens le même homme qu'eux tous ;
Tu deviens en lisant grave, pensif et doux ;
Tu sens dans ton esprit tous ces grands hommes croître,
Ils t'enseignent ainsi que l'aube éclaire un cloître
À mesure qu'il plonge en ton cœur plus avant,
Leur chaud rayon t'apaise et te fait plus vivant ;
Ton âme interrogée est prête à leur répondre ;
Tu te reconnais bon, puis meilleur ; tu sens fondre,
Comme la neige au feu, ton orgueil, tes fureurs,
Le mal, les préjugés, les rois, les empereurs !
Car la science en l'homme arrive la première.
Puis vient la liberté. Toute cette lumière,
C'est à toi comprends donc, et c'est toi qui l'éteins !
Les buts rêvés par toi sont par le livre atteints.
Le livre en ta pensée entre, il défait en elle
Les liens que l'erreur à la vérité mêle,
Car toute conscience est un nœud gordien.
Il est ton médecin, ton guide, ton gardien.
Ta haine, il la guérit ; ta démence, il te l'ôte.
Voilà ce que tu perds, hélas, et par ta faute !
Le livre est ta richesse à toi ! c'est le savoir,
Le droit, la vérité, la vertu, le devoir,
Le progrès, la raison dissipant tout délire.
Et tu détruis cela, toi !
- Je ne sais pas lire. »