Etienne Bastart (*) est un trentenaire, impliqué dans le milieu associatif de Morogues, dans le Cher. Concerné entre autres par les questions climatiques, il nous livre ici le fruit de ses réflexions après avoir regardé et analysé les conférences sur le climat de Jean-Marc Jancovici.
L'écologie semble être l'enjeu de notre époque, et je n'ai pas échappé à y être sensibilisé. Pourtant, j'ai fait mon possible pour l'ignorer : après avoir organisé une projection du documentaire « La grande arnaque du réchauffement climatique » (de Martin Durkin) dans mon lycée, et ayant travaillé plusieurs années dans de respectables sociétés « qui gagnent leur argent sur notre atmosphère », je restais convaincu que, parmi tous les progrès scientifiques que nous accomplissions, certains viendraient à résoudre ces problèmes de climat, de la même manière que nous avions réussi à éliminer les gaz responsables du trou de la couche d'ozone. Mais quelques lectures critiques sont passées par là, et m'ont amené à être plus méfiant envers les outils que nous créons, reflets de notre organisation sociale. J'en garde malgré tout la conviction que d'étudier un sujet avec méthode (scientifique ?) reste nécessaire pour le comprendre sans se faire avoir par ses propres convictions et son expérience personnelle.
Et de la méthode, Jean-Marc Jancovici, de par sa formation d'ingénieur, n'en manque pas ! C'est même un incontournable de ce domaine de recherche contemporain qu'est la collapsologie. Bien que ne se revendiquant pas de ce courant, il s'inscrit pourtant parfaitement dans « la science transdisciplinaire qui étudie les possibilités d'effondrement ». Il a notamment travaillé pour l'ADEME (1) et est l'auteur principal de la comptabilité carbone (bilan carbone). Il travaille en tant que consultant sur les questions d'énergie auprès de l'Etat et de diverses grandes entreprises, ce qui lui vaut quelques accusations de collusion de la part des mouvements anti-nucléaires.
Malgré cela, il se pourrait que ses positions en faveur de l'énergie atomique soient plus complexes que ne puisse le résumer la simple posture pro versus anti. Mais attention, ici, fini la douceur d'un Pablo Servigne qui nous explique sur un ton calme qu'une ère touche à sa fin mais que cela peut être positif (2) ou que l'humain n'est pas naturellement condamné par une implacable loi de la jungle à dévorer son prochain (3). Notre professeur du jour nous livre des analyses froides et intraitables de la situation, que vous soyez prêts à les entendre ou non... ce qui n'est pas sans manquer de piquant quand celles-ci sont livrées dans les commissions sénatoriales !
« Celui qui croit qu'une croissance exponentielle peut continuer indéfiniment dans un monde fini est soit un fou, soit un économiste », disait Kenneth E. Boulding. Cette évidence est de plus en plus couramment admise, mais en prenons-nous réellement la mesure ? Pour cela, la série de cours que Jean-Marc Jancovici a donnée à l'école des Mines cette année et publiée sur Youtube est, à l'heure du débat citoyen sur le climat, une ressource des plus intéressantes. Je me garderai bien d'en produire une synthèse, et me contenterai de vous en donner les grandes lignes pour vous inciter à le suivre, en y glissant quelques « timecodes » et liens pour vous y plonger sporadiquement.
Notez que ces supports de présentation sont téléchargeables dans la description de chaque cours, et que les vidéos sont volontairement en basse définition dans un souci d'écologie.
1. L'énergie
https://www.youtube.com/watch?v=xgy0rW0oaFI
Déjà, il s'agit de définir la notion. Est-ce une marchandise banale ? En tout cas, pour l'ingénieur, une définition intéressante serait plutôt « ce qui quantifie le changement d'état d'un système », autrement dit « ce qui permet d'agir sur le monde ». Qu'il s'agisse de la nourriture que nous mangeons ou des énergies que mangent nos machines, le schéma est le même : un convertisseur (humain ou mécanique) consomme une ressource appelée énergie, afin de pouvoir agir sur le monde. Et bien que son coût soit marginal, son importance est loin de l'être ! Chaque objet que nous utilisons est le résultat d'une transformation de matière et donc de dépenses successives d'énergie.
On trouvera dans cette première partie de fréquentes comparaisons entre l'énergie humaine et l'énergie mécanique des plus intéressantes : nos jambes peuvent développer une puissance de 100W, la puissance d'un camion équivaut à 4.000 paires de jambes ! Ce qui permet d'aborder les implications sociales de l'énergie : plus d'énergie = moins de paysans... et beaucoup plus de populations. C'est aussi plus de concentration de populations, avec plus de moyens de transports, de plus en plus rapides. Et au niveau de l'emploi, c'est l'explosion des services.
Jean-Marc Jancovici y expose également la transition énergétique de l'humanité sur ces derniers siècles, montrant que « le monde 100% énergies renouvelables, on en sort ».
Pour finir, il y est également question d'économie : « Les ressources naturelles sont inépuisables... elles ne sont pas l'objet des sciences économiques. » Cette citation de Jean-Baptiste Say, économiste du XIXe siècle, sera son socle pour une critique de l'économie comme ne prenant en compte ni l'énergie, ni les ressources, ni le travail des machines. Et de conclure avec quelques courbes montrant que la croissance économique découle pourtant de la disponibilité des énergies.
2. Les énergies fossiles
https://www.youtube.com/watch?v=1NHPgrH5lcQ
Tout, tout, tout, vous saurez tout sur le pétrole ! Comment il se forme, comment on l'extrait, le transforme, l'utilise, où en sont les réserves, ses variations de prix, sa présence dans les mix énergétiques français et mondiaux, qu'en est-il du pic pétrolier... Indispensable pour pouvoir comprendre les implications de certaines demandes politiques, ainsi que les enjeux géopolitiques.
3. Le changement climatique (1/2)
https://www.youtube.com/watch?v=l8pdSClyRds
Quelles sont les différentes sources d'influence sur le climat ? C'est quoi un gaz à effet de serre ? Quelle est la part de l'influence de l'homme dans tout cela ? Véritable médicament anti-climatosceptique !
4. Le changement climatique (2/2)
https://www.youtube.com/watch?v=JKoRsO5fkAQ
Comment sont réalisés les modèles de climat ? Quelles évolutions a-t-il connu jusqu'ici ? A quoi ressemble l'Europe avec une moyenne de - 5° C (pour tenter d'imaginer ce que veut dire un monde à + 2° C ou + 5° C) ? Quels sont les pronostics pour la température et les précipitations ? Quels impacts sur les animaux ? Sur les végétaux ? Sur les bactéries et virus ?
Il est possible, à ce stade, de ressentir de l'éco-anxiété. En tout cas, ça a été mon cas. Profitez du bouton pause, vous n'êtes pas en amphi !
5. Les économies d'énergie
https://www.youtube.com/watch?v=PEY6LmscKc4
Ou comment gagner du temps. Après quelques précisions sur les différentes qualifications de l'énergie, on s'aventure dans quelques considérations sociales : si améliorer l'efficacité de nos outils est une piste, celle de la sobriété ne doit pas être écartée pour autant. Mais n'en déplaise à Pierre Rhabi, la sobriété n'est que la forme volontaire de la pauvreté. Jean-Marc Jancovici y livre aussi ses considérations vis-à-vis de la démocratie, appuyées sur Tocqueville, qui, bien qu'intéressantes, me semblent à prendre avec des pincettes, au risque de légitimer rapidement des formes sociales autoritaires.
Un autre point d'entrée dans cette série de cours est probablement à 46 : 30, avec l'introduction à l'équation de Kaya : il s'agit d'une représentation mathématique des différents facteurs influant nos émissions de gaz à effet de serre. Ces facteurs sont : l'emprunte carbone des énergies, l'efficacité des machines, la richesse économique et la taille de la population. Or, tous ces points doivent être traités (penser avec « et » plutôt que « ou » dirait Servigne), au risque que les autres termes soient drastiquement impactés. La grande question est : conserverons-nous les inégalités existantes (ou les renforcerons-nous comme c'est actuellement le cas) dans cette décroissance forcée ?
6. Le nucléaire
https://www.youtube.com/watch?v=t0Xp6CCte0U
Un peu comme pour la partie sur le pétrole : un indispensable pour comprendre de quoi on parle. Analyse technique, place dans les mix énergétiques des différents pays... la partie sur les risques ne manque pas de piquant. (https://www.youtube.com/watch?v=t0Xp6CCte0U&feature=youtu.be&t=3755)
Pour moi qui n'en suis pas vraiment partisan - pour des raisons de complexité - cela m'a tout de même amené à modérer ma position.
7. Les énergies renouvelables
https://www.youtube.com/watch?v=Z4teA8ciuRU
Un passage au crible des éoliennes, panneaux solaires, géothermie, biocarburants... Ce que j'y ai trouvé de plus marquant est d'apprendre qu'un panneau photovoltaïque pouvait avoir un bilan carbone négatif, et donc empirer le problème du climat !
La question de la gestion du réseau électrique y est bien abordé, ce qui est, je trouve, un point très intéressant car rarement pris en compte dans les débats que l'on peut avoir avec d'autres citoyens, et qui soulève pourtant plusieurs questions :
- souhaitons-nous une société où l'électricité est disponible quand on appuie sur un bouton ou quand les éléments le rendent possible ? Question déjà posée dans le premier cours avec la fameuse phrase « le monde 100% énergies renouvelables, on en sort ».
- souhaitons-nous résoudre les questions d'accès à l'énergie individuellement ou collectivement ? Or, pour une résolution qui se soucie de chacun.e, il semble que les énergies revouvelables soient un bien mauvais choix.
Le graphique présenté à 1:05 : 31 (https://www.youtube.com/watch?v=Z4teA8ciuRU&t=3931) et réemployé à 1 : 35 : 38 (https://youtu.be/Z4teA8ciuRU?t=5738) montre assez clairement les implications du pilotage, ainsi que toute la complexité qu'il peut exister quant au débat autour des énergies renouvelables.
- enfin, une question transversale est de savoir si nous souhaitons de l'énergie (mécanique, chauffage...) renouvelable ou de l'électricité renouvelable. La seconde rajoutant sa couche de complexité.
8. La comptabilité carbone
https://www.youtube.com/watch?v=lgoUns8Cu0w
L'introduction effectue une rapide comparaison entre les services « offerts » par la terre et ceux rendus par la station spatiale internationale en terme d'habitat. Après avoir disqualifié en règle l'économie, Jean-Marc Jancovici présente son modèle comptable : la comptabilité carbone. Soit, comment quantifier plus justement notre impact sur le climat et quelles questions cela pose.
Conclusion
Je crois avoir bien souvent espéré trouver une documentation si exhaustive afin de comprendre réellement le problème. Ma formation d'électricien m'a pourtant aidé à éviter quelques pièges concernant les réflexions sur l'énergie, mais le sujet du climat imbrique une telle quantité d'approches techniques, qu'il est nécessaire d'avoir ce genre de ressources pour pouvoir appréhender le sujet dans sa globalité.
Mais si on peut reconnaître à Jean-Marc Jancovici la grande qualité de son analyse, il n'en est pas de même lorsqu'il est interrogé sur les solutions, oscillant entre défense de l'éco-fascisme (admiration pour la Chine, souhait d'un Etat plus contraignant, etc) et l'écopsychologie (tournée sur une approche sensible des rapports entre les humains et la nature).
Il nous est souvent compliqué de sortir des cadres que nous estimons naturels ou d'imaginer transformer des choses semblant intemporelles. Ainsi, nous nous retrouvons souvent dans la position d'attendre de l'État qu'il impose les transformations nécessaires, alors que du même temps, il écrase toute tentative de vie hors de ses règles (ZAD, squats...). Et de l'autre côté, nous nous retrouvons seul à chercher « quels petits gestes faire pour la planète » ? Or, comme l'a dit Cyril Dion (réalisateur du film « Demain ») dans une interview à France Inter, « Nous ne nous interrogeons jamais sur le métier que nous faisons... en poussant l'exemple, cela donne « je travaille chez Monsanto, mais j'y vais à vélo ». »
Sommes-nous condamnés à devoir attendre la permission d'influencer collectivement le cours des choses de la part d'institutions qui vivent de (et engendrent !) l'état actuel du monde ou allons nous avoir l'audace d'en créer de nouvelles, tous.tes ensemble ? En tout cas, il semble que de plus en plus de personnes soient prêtes à désobéir, et c'est une bonne chose (partager c'est sympa https://www.youtube.com/watch?v=tH5EMxQbrQg)), mais il ne faudra pas non plus manquer de nous accorder sur une nouvelle morale à laquelle nous souhaiterons obéir.
Etienne Bastart (*)
(*) Nom d'emprunt, notre contributeur étant modeste et souhaitant garder l'anonymat...
(1) ADEME : Agende De l'Environnement et de la Maîtrise de l'Energie.
(2) « Une autre fin du monde est possible » aux éditions Le Seuil, 2018.
(3) « L'entraide, l'autre loi de la jungle », aux éditions Les Liens qui Libèrent, 2017.