Une autre autrice originaire du Berry a attiré notre attention ce mois-ci. Son sujet est différent de celui choisi par Juliette Rigondet (lire la rubrique (Ré)acteurs) mais part aussi d'une réalité de ce petit coin de France.
Nassira El Moaddem est née et a grandi à « Romo ».
20 ans après avoir quitté cette ville pour poursuivre ses études et bâtir une vie professionnelle à Paris, elle livre un récit très personnel d’un retour au long cours à Romorantin.
Pendant plusieurs mois, elle va en arpenter les rues, y retrouver des visages familiers, mesurer les changements profonds advenus dans cette ville laminée par une fermeture d’usine tout autant que par les bouleversements économiques et sociétaux à l’œuvre depuis un quart de siècle au niveau national.
Nassira El Moaddem, désormais journaliste, s’exprime ici à la première personne du singulier. Elle relit et décrit sa ville aujourd’hui, à l’aune de ses souvenirs d’enfance et d’adolescence.
Dans un constant balancier entre hier et aujourd’hui, elle narre des destins, à commencer par celui de Caroline, son amie d’enfance, retrouvée via les réseaux sociaux, un jour où elle guettait comment le mouvement des Gilets Jaunes se développait dans sa ville d’origine.
Nassira El Moadedem dit la force inlassable de femmes, de mères d’enfants, qui se battent pour donner à ces derniers les plus douces conditions pour grandir ; elle dit également la place essentielle de l’école publique.
Elle dit la trahison violente éprouvée par les ouvrier·es à la fermeture de l’usine Matra et l’abîme de sidération.
Elle expérimente le travail harassant de femmes de ménage auprès du plus grand employeur de la région, Center Parcs, et partage, pour s’y rendre, les trajets en bus avec des femmes – sœurs ou mères de cœur.
Pour le ou la lecteur·ice qui aurait expérimenté la vie dans ce type d’environnement urbain, ce récit est un miroir net. Pour d’autres, il est une fenêtre crue ouverte sur un monde ignoré.
En dernier lieu, c’est à elle-même que Nassira El Moaddem s’adresse, s’interrogeant sur la fidélité à sa classe sociale, sur la cruauté des inégalités de destins, sur les chemins, choisis ou subis, que l’on arpente et qui déterminent notre existence.
Il n’est pas improbable que cette adresse à elle-même trouve un écho intime en bon nombre de lecteurs...
« Les filles de Romorantin », éditions L'Iconoclaste, Paris, 2019.