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Repères

« Et si toutes ces pertes de repères nous aidaient à retrouver nos repères… nos valeurs essentielles, nos priorités de vie, nos lignes, nos directions, nos choix, nos vrais désirs, nos réelles envies… », s'interroge Mylène C., habitante d'Indre-et-Loire. Le repère, ce qui permet de s'orienter dans l'espace et le temps, mais aussi à l'intérieur d'un système de valeurs... c'est la notion qui traverse son journal et qui éclaire les conséquences du confinement, pour elle et pour sa famille.

Perte de repères 1

Première perte de repères, le week-end dernier, je n'ai pas de classe à préparer comme d'habitude (je suis professeure des écoles). Et je ne sais pas, dans un premier temps, si je dois me rendre à l'école le lundi qui suit ou pas... Pas d'enfants… Pas d'école… Maîtresse ou pas maîtresse ?

Perte de repères 2 création

Deuxième perte de repères, lorsque je me rends (finalement) à l'école lundi matin pour décider avec mes collègues comment nous allons organiser les jours, les semaines à venir. Je fais la route avec ma plus jeune fille (ça n'arrive jamais un jour d'école !). Elle constate : « Non seulement il n'y a personne sur la route mais en plus le temps est moche ! » Ma grande fille est sur ordi pour commencer à travailler via Internet… Nous qui cherchons en permanence à faire prendre conscience à nos enfants que l'utilisation du numérique doit être raisonnée…
Mes collègues sont déjà là pour la plupart mais debout, dans la garderie de l'école, à un mètre les unes des autres avec des visages fatigués, fermés. Et ça, ce n'est pas normal ! Tout le monde est venu avec son cartable habituel mais il n'en sort qu'un petit bloc-notes, un petit cahier, un  crayon... Le reste ne servira pas ce jour… On cherche, on réfléchit, on communique comme à l'habitude mais ce n'est pas comme d'habitude ! Il manque l'essentiel : les élèves !
Un peu plus tard, avec une collègue, nous nous isolons pour finaliser notre « continuité pédagogique » dans ma classe… C'est vide mais pas comme lorsque ce sont les grandes vacances où tout est rangé. Il reste les cahiers, un crayon qui traîne, des aimants sur le tableau… Cela ressemble plus à la maison d'une personne qui vient de décéder subitement.
On quitte l'école… et on ne sait pas quand on y reviendra… quand on retrouvera la matière principale de notre travail : nos élèves ! Trop bizarre !!!!

Perte de repères 3

« Bonjour maîtresse, j'espère que vous allez bien. » Un élève m'a envoyé cela via la boîte mail de la classe qui me permet de communiquer avec les familles. Je sens que lui aussi a perdu ses repères. Il ne me dit jamais « vous ». Mais discuter avec sa maîtresse par mail, ce n'est pas comme d'habitude !
Cette absence de relation humaine directe est une vraie perte de repères pour lui, pour moi… Je ne  peux plus lui mettre la main sur l'épaule comme je le fais d'habitude alors je lui montre que je suis là, que je vais bien, avec mon ordinateur.

Perte de repères 4

Quatrième perte de repères : nous prenons le café du midi, moi et mon mari, dehors sur notre terrasse. Nous mesurons la chance d'avoir un jardin, à la campagne, et le beau temps avec nous. Mais il me dit : « ça me fait tout bizarre d'être dehors, aujourd'hui, à cette heure ». La plus jeune de nos filles nous demande si elle peut mettre ses claquettes et la plus grande son short. Et elles sont toutes les deux bien d'accord : « On pourrait sortir les chaises du salon de jardin pour manger dehors ! » Certes le soleil déroute mais elles ont aussi oublié que nous ne sommes pas en période de vacances...

Perte de repères 5

Cinquième perte de repères, pour s'occuper à la maison… Notre grande adore lire. Mais elle commence à manquer de livres ! Bibliothèque ? On oublie. Demander au voisin qui est au collège ? Pas terrible ! Librairie ? Elle est fermée. Euh...
Je vais en profiter pour jardiner mais je vais oublier de planter et semer car je n'ai pas ce qu'il faut. Mon mari veut tondre mais on va attendre de sortir pour les courses pour récupérer de l'essence pour le tracteur-tondeuse.
Rien de grave, on sait faire autre chose !

Perte de repères 6connection

Ma grande fille me dit : « Mais maman d'habitude je suis toujours à jour dans mon travail et là, je n'y arrive pas ! » « Inspire, expire ! » Les professeurs « bombardent » l'ENT (1) pour que les élèves puissent travailler à distance mais ils n'ont pas le temps de lire un document qu'un autre arrive… On s'organise. Ah, tiens le travail de ma deuxième arrive aussi via Internet… et à l'occasion, il faudrait que je communique avec mes parents d'élèves… Bon bah, c'est moi qui vais inspirer et expirer !

Perte de repères 7

Nous avons repoussé au maximum ce moment, mais là, il n'y a pas à dire, après quinze jours sans avoir fait les courses, il faut y aller… Mon mari m'avoue avoir peur de mettre les pieds dans les magasins. Il part avec des gants, nos sacs, notre liste pour être le plus efficace possible. « A tout à l'heure ! » C'est étrange il ne sonne pas comme le « A tout à l'heure ! »  du samedi matin quand il fait d'habitude les courses. Retour avec un décapage de mains plus, plus…

Perte de repères 8

Huitième perte de repères, concernant notre agenda. D'habitude, il se remplit sans cesse avec des événements qui se chevauchent et l'impression qu'on n'aura pas assez de place pour tout écrire dedans… Tout à coup, il se désemplit : le rendez-vous chez le dentiste : annulé ; la classe de neige pour la grande : annulée ; l'anniversaire du petit copain pour la plus jeune : annulé ; les activités sportives : annulées ; l'équipe éducative pour une élève : annulée… Le crayon orange que j'utilise pour barrer les événements initialement prévu marque d'une croix ce qu'engendre le confinement.

Perte de repères 9

Et si toutes ces pertes de repères nous aidaient à retrouver nos repères… nos valeurs essentielles, nos priorités de vie, nos lignes, nos directions, nos choix, nos vrais désirs, nos réelles envies… Je considère de plus en plus qu'il y a des signes dans la vie. Et j'ai comme l'impression que ce qui se passe actuellement est un signe… pour tous les humains ? J'aimerais mais… Pour moi et ma famille ? Oui, j'y crois et j'ai envie d'y croire très fort et que ça dure longtemps…

L'apport de nos pertes de repères :  renforcement de nos choixlire

Ce soir, à table, nous parlons asperges : c'est bientôt la pleine saison et on se demande si nous pourrons aller les acheter chez notre producteur de proximité, comme à l'habitude. On sait que nos petits producteurs locaux vont souffrir pendant cette phase, bien plus que les grandes enseignes… « En tous les cas, on continuera à acheter à côté de chez nous notre nourriture et peut-être même plus encore après tout ça », déclare mon mari. Nous acquiesçons toutes, on tient trop à eux !

L'apport de nos pertes de repères :  renforcement de nos valeurs

Les liens familiaux et les relations amicales font partie intégrante de nos vies, nous en étions déjà conscients. On sent, dans ce confinement, que nous ne pouvons nous suffire à nous-mêmes. Notre plus jeune est encore plus câline qu'à l'habitude, notre grande « se love » toujours autant dans le canapé ou au moment de dire bonne nuit… La chaleur du cocon familial est toujours présente voire plus présente. Mais le rapport aux autres nous manque déjà, à tous les quatre. Les nouvelles technologies nous permettent de joindre régulièrement mes parents (papi et mamie), d'avoir des nouvelles des autres membres de la famille, de joindre nos amis, les copains et copines, mais… ils nous manquent ! Parce qu'aimer ça ne peut pas être qu'à distance ou que virtuellement. « J'ai hâte que l'on boive une bière ensemble ! » m'a dit une amie au téléphone. Oh oui, vivement que l'on revive des choses ensemble, que l'on partage des moments en direct, que l'on se fasse la bise, que l'on se serre très fort ! On vous aime !

L'apport de nos pertes de repères :  renforcement de nos plaisirs

Qu'est-ce qu'on aime faire quand on a du temps devant nous ?
A l'unanimité dans notre famille : lire.
Prendre des nouvelles de ceux qu'on aime.
Faire évoluer notre maison.
Mais aussi : être dehors ! Respirer l'air extérieur, profiter du grand espace, jardiner pour les plus grands, jouer dans « la cabane aux noisettes » pour nos enfants, prendre le goûter tous ensemble au soleil, s'émerveiller devant une petite tulipe qui a fait son apparition, les fleurs de cerisiers qui prennent déjà leur envol, les feuilles du figuier qui apparaissent… Apprécier les choses simples de la vie, en somme.

L'apport de nos pertes de repères : nouvelle idéemusique

« Et si on avait des poules ? » demande notre plus jeune. « Oh, ouais ! » s'empresse de répondre la plus grande. C'est marrant parce que j'y avais pensé peu de temps avant qu'elles en parlent, en jardinant… « Pourquoi pas... » répond mon mari.
Incroyable ! Nous qui refusons toujours la proposition de nos minettes d'avoir des animaux, voilà qu'on leur fait sentir que peut-être cette idée pourrait voir le jour !
« Elles nous donneraient de bons œufs ! », « elles mangeraient plein de choses qu'on met à la poubelle ou au composteur ! », « par contre pas de coq, on entend déjà ceux des voisins ! » Les voilà parties, dans leurs paroles mais aussi dans leurs actions : recherche sur Internet des poules pondeuses locales, plan pour construire un poulailler, nettoyage de leur cabane qui pourrait devenir une partie du poulailler....
Allez savoir pourquoi cette idée commune a germé, là, maintenant...

L'apport de nos pertes de repères : idée émergente

Je ne suis pas douée en informatique mais j'ai une envie qui me tient à cœur… Et il se trouve que je peux trouver du temps pour le faire. Allez, je me lance, j'envoie par mail ce texte à mes connaissances (amis, familles, collègues de travail) et on verra :

« Bonjour à tous,
parce que la musique peut être une « soupape », un support de danse, d'hystérie, de lâcher prise, de détente… bref, de bien-être, je vous propose, en cette période de confinement, un partage musical.
Le principe s'inspire de l'émission « Le quotidien » de Yann Barthès et plus précisément de sa rubrique la playlist des invités.
Chacun d'entre vous est donc invité à me faire part de la musique qui l'inspire, cette semaine, en cette période de confinement.
Vendredi soir, je vous envoie un wetransfert avec toutes les musiques qui m'ont été transmises et je vous en fais part. Vous aurez ainsi une « playlist du confinement » à découvrir pour le week-end (...).
Musicalement vôtre !
Mylène »

Trop chouette ! Beaucoup de personnes ont mordu et le résultat de cette opération est d'une diversité pétillante ! Les retours positifs font chaud au cœur et prouvent que même les petites entreprises peuvent être sources de plaisir commun.

Nos pertes de repères et le futur

Qu'allons-nous garder de tout ça ? De ces réflexions, idées, envies, désirs… Perdureront-elles une fois que les choses rentreront dans l'ordre ? Serons-nous différents pour toujours ou seulement le temps d'un enfermement ? Difficile à mesurer… Peut-être que les écrits nous aiderons à nous souvenir de ce que l'on a pu penser pendant cette parenthèse et nous rappeler qu'on s'était fait des promesses… Pourvu que cette sonnette d'alarme soit la seule pour que l'Homme puisse prendre conscience qu'il n'est pas le maître du monde… et que nos enfants puissent profiter pleinement de la Vie.

Écrire en cette période de confinementpensée

La proposition de Fanny d'écrire durant un temps si peu ordinaire m'a tout de suite séduite.
Quelques secondes de doute parce que je crois que je suis pudique quand je sais que je vais être lue et peut-être aussi parce que j'ai toujours l'impression de ne pas écrire comme je voudrais.
Et puis… zut !!! J'avais envie, j'avais envie.
Et demandant à mes élèves d'écrire un journal de bord, et bien je me « devais » quelque part de me prêter au jeu...
C'est sans regret, bien au contraire !
Parce que :
« Dans l'écriture, la main parle et dans la lecture, les yeux entendent les paroles », Eugène Géruzez.

Ces quelques lignes, mes quelques lignes, resteront une belle trace de ce confinement de 2020.
Dans l'attente de découvrir d'autres écrits...

(1) Espace Numérique de Travail.

Illustrations : cdd20 - https://cdd20.zcool.com.cn/