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(Re)lire

Ecrire ensemble... ce qui nous traverse

Suite et fin des contributions partagées dans le cadre de l'appel à Ecrire ensemble lancé par (Re)bonds le mardi 17 mars 2020.

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Nous dessinerons des montagnes sur les murs

Chloé (Illustration : Michi S.) - Lille ____________________________________________________________________

 

Samedi 21 mars 2020

Il est 11 heures. Je sors péniblement du sommeil. Miléna a déjà effectué ses allées et venues vers la salle de bain. Le réveil a sonné depuis une heure, pourtant je suis toujours là, étendue dans mon lit, sous mes draps, la tête lourde. Je penche le bras vers le sol pour atteindre le livre ; je m’en saisis. J’appuie au passage sur les télécommandes des volets. Ils s’enroulent, se redressent, font percer la lumière dans mon alcôve. Il fait beau, c’est le printemps. Je peine à sortir de mes rêves agités. Je tourne la tête, commence la lecture.mountains 1412683 340

Je me rappelle des autres : « finalement, le confinement j’aime bien ; je dessine, je filme, je fais des photos ! ». Et toutes d’approuver. Seulement moi, sur la réserve. Prise entre quatre murs avec mes questionnements qui ne s’échappent pas par la fente du velux. J’ai beau regarder le ciel, je n’ai pas de réponses. Je me rappelle leurs voix doucereuses au téléphone, « et toi Chloé ça va ? tu fais quoi ? », interrompant le faux mutisme dans lequel je me trouvais. Elles trois s’amusant, blaguant, raillant, de l’autre côté de la caméra. Elles riant à leurs gestes, elles quatre complices, et moi muette souriante. Cette requête toujours la même, celle du « ça va », et ma réponse, fausse, ne disant rien sur mon état. « T’es déprimée ? », quel raccourci. Elles m’ennuient déjà, j’ai rien à leur dire. Je quitte la conférence. De toute façon, Arma, elle ne m’aime pas. Elles m’ennuient ces filles parfaites, s’accommodant de tout, et moi je suis à me lamenter et à ne rien faire de mes journées. Je suis dans mon lit, je regarde le soleil, mon ordinateur. Mes yeux fatigués, la flemme de travailler. Oui, ma créativité pourrait être stimulée. Mais je ne m’ennuie pas, non. C’est pas de l’ennui, c’est autre chose de pernicieux. J’aime m’ennuyer de manière volontaire, quand je n’ai rien à faire. Mais là, c’est l’échec de réaliser la montagne d’attentes qui gît sur mon bureau, qui pourrit et qui n’avance pas. Tout pourrit ici. Mes neurones, mon corps, mes envies, mon cœur. Quelques fulgurances dans la journée égaient mon âme, mais l’enfermement me réduit à néant la plupart du temps.

11 heures, l’heure du café. De la veille restent des paquets de gâteaux salés. Le torchon sur le lampadaire, pour faire de la lumière tamisée. La cuisine en désordre. Les feuilles de papier s’amoncelant sur le sol, ne demandant pas à être rangées. Le soleil donne ses rayons. Les voisins sont en robes de chambre. Ils ne tarderont pas à ouvrir leur porte-fenêtre. Leur terrasse est exposée sud-ouest, à n’en pas douter. Le soleil vient plutôt le matin. Je me demande ce que je vais faire. Je tranche une orange, j’écaille sa peau, j’en laisse une moitié pour Miléna. On échange sur la nuit, sur ce qu’elle est en train de faire, sur le soleil du dehors, sur les gens confinés. On n’écoute plus trop la radio. La porte d’entrée claque à cause des courants d’air. L’après-midi on danse un jour sur deux, sinon le voisin du dessous se plaint. On s’échappe parfois, grâce aux autorisations.
Sinon, la journée commence toujours comme ça : je suis réveillée, Miléna lance un « Hola ! » enjoué dans la maison. Je lui réponds un peu plus calmement ; elle ouvre les volets, la fenêtre, commente l’attitude des voisins, monte l’escalier, m’enlace, demande ce que je lis, va dans la salle de bain, fait quelques blagues, rigole, regarde par-dessus le velux, sourit du soleil, dit « ça motive ! », rentre la tête, descend les escaliers, se sert des céréales, verse le lait. J’entends seulement les grincements des placards, mais je sais quel geste elle esquisse. Le délicat repos du bol sur le plan de travail. Sa minutie, toujours. La cuillère qui tinte contre le bol. Le croquement du chocolat. Encore. Entrecoupé des cascades de voitures en périphérie. Un flux doux comme un cours d’eau. Presque comme à la montagne. C’est vrai qu’on pourrait se croire dans un chalet avec cette hauteur et ce bois. On peut imaginer les montagnes. Après tout, quand on oublie où l’on est, tout peut être réinventé. C’est décidé, nous vivrons dans un chalet. Nous dessinerons des montagnes sur les murs et des rivières dans le creux de notre oreille.

 

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Désertons !

Journal de Marion R. - Paris ___________

 

Monsieur le président, je vous fais une lettre...

« Monsieur le président, je vous fais une lettre que vous lirez peut-être si vous avez le temps. Je viens de recevoir mes papiers militaires pour partir à la guerre, avant mercredi soir. » (1)

Une guerre, il paraît que c'est là que nous en sommes.

« Monsieur le président, je ne veux pas la faire, je ne suis pas sur Terre pour tuer des pauvres gens. »

Et qui devons-nous tuer exactement ? Parce qu'une guerre, il me semble bien que c'est un conflit armé dans lequel nous envoyons des gens se battre, tuer et mourir.

« C'est pas pour vous fâcher, il faut que je vous dise, ma décision est prise, je m'en vais déserter. »

Déserter, désertons oui ! Cette rhétorique absurde qui veut faire de soldats des soignant·e·s dont le but est bien contraire, sauver et guérir. Alors oui, désertons et les mensonges d'Etat et la rhétorique qui veut nous faire croire que nous sommes attaqués par une armée armée ; oui, refusons cette rhétorique qui prône la violence et le combat, plutôt que la mise en place de moyens réels permettant de lutter efficacement, non contre une armée ennemie mais contre un virus. Les mots sont importants et, au sommet d'un Etat, ne peuvent être choisis au hasard. Il s'agit d'un acte délibéré, et délétère, ce qui rend l'Etat délétère, et un Etat délétère ne peut espérer longtemps un peuple discipliné et passif, peu importe les efforts qui pourraient être faits pour se racheter.
Et en choisissant quelques mots, il faut vous dire de vous méfier, que ce qui gronde dans les esprits n'est ni nouveau, ni innocent, et l'huile que vous jetez dessus risque bien de finir en brasier...

« Monsieur le président, si vous me poursuivez, prévenez vos gendarmes que je n'aurais pas d'armes, et qu'ils pourront tirer. »

Le temps qui nous est disposé ne sera pas vain. Et le réveil risque d'être prometteur, et inattendu comme tout réveil.
Désertons, tou·te·s ensemble !

22 mars 2020, un dimanche, 15 h 56
Silence

Le silence, c'est lui qui depuis que tout cela a commencé m'interroge. Que va-t-il devenir ? Il risque de retrouver une place qu'il n'a pas eu depuis longtemps, le vivra-t-il bien ? Et nous, le vivrons-nous bien ?
Le silence a toujours quelque chose de savoureux dans ces mondes où il se fait de plus en plus rare, où il est si peu écouté. Le bruit permanent des vies qui fourmillent est devenu le bruit de fond de nos contrées. Voitures, avions, camions, musiques, portes, pas, chuchotements, discussions, cris, chants, animaux, chiens, chats, humains, tout ce qui nous entoure produit du bruit, et ce bruit, nous nous sommes pour beaucoup habitués à sa présence ; le silence ne règne pas souvent et quand il survient, il angoisse, il surprend, il est souvent dur à savourer. Il est plus présent à la campagne. Que vont advenir tous ces habitants et habitantes des villes quand soudain le bruit de celle-ci va s'affesser, et laisser place à un silence nouveau ?
Les circonstances de son apparition, que nous vivions en ville ou à la campagne, le rend probablement angoissant ; signifiant l'arrêt forcé d'une partie de la vie, il s'impose comme une chape de plomb sur nos existences.
Je pense que c'est une expérience qui peut beaucoup apporter, de l'écouter, de l'entendre puis de l'apprivoiser. Je pense qu'il peut nous aider à nous recentrer, il peut servir à repenser ce que nous sommes, et pourquoi faisons-nous autant de bruit alors qu'il est si agréable de l'écouter ; et il n'est pas forcément vide – il l'est rarement – le silence ici se remplit simplement de la nature qui nous entoure et que nous avons tendance à oublier. Le vent, le chant des oiseaux, la pluie, tous les petits bruits des animaux grouillants.
Alors au bout de vingt-et-un jours de ces retrouvailles surprises, je trouve qu'il faudra nous en souvenir et ne pas replonger dans le vacarme infernale que nous produisons sans savoir pourquoi.

1er avril 2020

Poisson marion

Comptage

Compter, les malades, les morts, les vivants.
Compter, ce qui nous est pris, ce qui nous est donné.
Compter les animaux.
Compter les années.
Compter les jours.
Compter les mailles.
Compter le temps qui nous sépare, des autres, de nos désirs.
Compter le temps qui passe, et nous rapproche, des autres, de nos désirs, du reste du monde.
Compter en attendant de retrouver le reste du monde.
Compter pour ça, cela semblait absurde !
Les autres étaient toujours là, à portée de mains, de clics, de moyens de transports, jamais vraiment loin.
Et aujourd'hui, iels sont à un palier, un trottoir, une rue, et c'est déjà trop loin.
Iels sont toujours à un clic, et ce clic n'a plus le même goût.
Avant il était une possibilité de contact, maintenant il EST la possibilité de contact.
Alors, combien de temps ?
Nous ne savons pas. Alors, il ne nous reste qu'une chose rassurante et pérenne, compter.
Comptons !

Le 6 avril, un lundi, 11 h 08
Obsession

Routine
Chemin d'habitudes qui rassure,
Du lever au coucher, les gestes identiques.
Construire la même rengaine,
Le matin : se lever de ce pied
Préparer son petit-déjeuner,
Manger,
Préparer sa journée,
Se préparer.
La journée passe,
Remplir toutes ces tâches,
Cocher toutes les cases de la liste
Papier ou mentale.
Une pause en milieu de journée,
A nouveau, manger,
Reprendre la suite de la journée,
Remplir toutes ces tâches,
Cocher toutes les cases de la liste
Papier ou mentale.
Le soir : fonctionner à l'envers,
Repenser sa journée,
Préparer le dîner,
Manger,
Se dépréparer,
Se coucher de ce pied.
Du coucher au lever, les gestes identiques.
Chemin d'habitudes qui rassure,
Routine.

Frôler l'obsession,
Dangereuse, et qui guette...
Toujours prête à bondir pour envahir le quotidien.
La routine est saine, rassurante.
L'obsession est envahissante, contraignante.
Surveiller la fine ligne qui les sépare et funambuler dessus pour se sauver.
Frôler l'obsession,
Toujours et uniquement la frôler.

Le jour d'après...

Dans la littérature ou les fictions, cela augure rarement quelque chose de bon. Le jour d'après suit une catastrophe climatique, écologique, sanitaire, guerrière ; je ne crois pas l'avoir déjà vu suivre une avancée bénéfique. Le jour d'après sonne grave, après il faut reconstruire. Il faut « profiter » de cette chance pour renaître et ne pas reproduire les erreurs passées ; mais ça, c'est à long terme ; à court terme le jour d'après est bien plus pragmatique, retrouver les gens que nous aimons, profiter de la vie, absorber le calme enfin revenu, se détendre ; le jour d'après doit être motif d'espoir et d'apaisement et ce, même s'il faut repartir arpenter d'ardus sentiers juste après. Juste après le jour d'après.

Et que se passe-t-il le jour après le jour d'après ?
Et que se passe-t-il le jour avant le jour d'après ?

Après le jour d'après, les sursauts reprennent et il faut repartir, construire !

Mais le jour d'avant ?
Avait-il déjà un goût particulier laissant présager le jour d'après, ou était-il similaire à tous les jours d'avant ne laissant pas présager de l'arrivée du jour d'après ?
Quand le jour d'après arrivera, nous rendrons-nous compte de son arrivée le jour d'avant, ou serons-nous devant le fait accompli que nous sommes le jour d'après ?
Et si nous l'avons rêvé tous les jours d'avant et qu'il arrive sans prévenir, pourrons-nous quand même faire tout ce que nous voulions ce jour d'après ?

(1) Extrait de la chanson « Le Déserteur » de Boris Vian - inspiration proposée le jeudi 19 mars par (Re)bonds dans le cadre de l'appel à Ecrire ensemble.

 

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Appel intérieur

Félix et Marie - Cher (Illustration : Cdd20) _____________

 

Félix : le jour d'après

Continuité ou renaissance ? Attachements ou arrachement ?
Certes, le jour d'après, il arrivera des choses importantes, des préoccupations diverses à régler.
Ce, juste pour faire ce qu'il faut, pour tenir son rang, répondre à ses obligations et responsabilités, assurer la maintenance de ses moyens matériels, se soucier de sa santé et de celle de ses proches, assurer son équilibre financier, sa logistique.
Voire, faire face à des attaques, des oppositions, des conflits, des « accidents », des pertes.
Gérer les rendez-vous, le planning, les délais, les contretemps, les pannes, les absences, les sollicitations, peut-être de nouvelles obligations, de nouvelles règles du jeu.
Préserver son image, sa position, son intégration dans la société et dans ses groupes d'appartenance.
Que d'autres choses encore ?! Les soucis de et pour nos proches.

Mais, dans tout ce flot ininterrompu, quel(s) projet(s) de vie, quelle réalisation de soi ?
Quelles sont mes demandes, mon aspiration profonde, mes désirs et mes espoirs, et même, mes rêves et mes fantasmes ?
Sont-ils réalistes, en adéquation avec mon âge, mes capacités, mes moyens matériels, intellectuels et émotionnels, mon réseau relationnel ?
Quelle passion m'anime ?
Quel budget en temps et en énergie puis-je consacrer à cette aspiration ?
Cette passion, disons la réalisation de soi, est-elle présente à chaque instant ou n'apparaît-elle que par à-coups, par hasard, de façon sporadique de sorte qu'on y pense et puis qu'on l'oublie ?
Par quel chemin, quelle voie, par quelle stratégie, dans quel contexte puis-je lui faire prendre corps ?
Est-ce que je ressens une excitation, une impérieuse soif de lui donner vie ou est-ce simplement une idée de magazine ?
Et puis d'abord, de quoi est-ce que je me nourris ? Qu'est-ce que ça entretient en moi ?caricature 5123404 340

J'écoute telle radio plutôt que d'autres, je lis tel périodique et surtout pas certains, je vais à tels spectacles mais pas aux autres. Bref, je consomme et m'abreuve de tels courants que la société diffuse et non d'autres.
Ainsi va mon attachement à des habitudes de pensée, d'affinités que j'estime en adéquation avec moi.
Mais avec quelle part de moi ? Celle qui souhaite continuer dans le confort et le réconfort habituel ou celle qui aspire secrètement à une renaissance ?
Cette aspiration profonde nécessite un travail de discernement.
Toute mon adhésion dans la continuité de ma relation au monde, qui me colle à la peau, est-elle en phase avec ce à quoi j'aspire au fond de moi ?
Les centaines d'émissions que j'ai écoutées, les centaines d'articles que j'ai lus, tous les spectacles auxquels j'ai participé, les milliers d'échanges téléphoniques que j'ai tenus ont-ils nourri l'accroissement de mon être ?
Quel critère pour juger de l'adéquation entre ce que je vis et comment je le vis, et ce à quoi j'aspire ?
Ressentir de la joie, et, plus que du bien-être (qui est juste synonyme de quiétude homéostatique), ressentir un surcroît de confiance, de puissance de son être, d'amour de la vie, de générosité et d'élégance dans son rapport aux autres, de l'optimisme à voir que les choses vont dans le bon sens.
Nulle attente de je-ne-sais quelle bonne fortune, de quelque opportunité.
Non, c'est dans le flot même du quotidien que je vis que le travail commence.
Changer son regard ou, plutôt, s'observer vivre cette vie habituelle, en discerner les ressorts.
Le travail sur soi comme un formidable lieu d'embellissement de son être, de sa vie.
Avec bienveillance, joie et excitation. Une concentration aussi prenante que celle ressentie avec un jeu vidéo, où l'on se réjouit d'avoir neutralisé ce qui nuit, d'avoir surmonté une épreuve, d'avoir franchi une étape.

Et si cet appel intérieur ne nous parle pas ou nous importune, au moins vivre et non juste survivre, aimer et non haïr.

Marie : réponse

Quelle justesse ce texte, pour mon être en devenir, qui patiente jour après jour en levant son petit bras frêle et insistant et qui, de sa voix fine et cristalline, me dit chaque jour avec une constance infinie : « Et moi, et moi, et moi, te souviens-tu que je suis là ? »

Ce confinement, pour le prendre sur mes genoux, l'envelopper de ma tendresse, et lui parler doucement. Pour lui dire que cette fois, je l'entends, et que je sais qu'il est juste qu'il ait sa place, au milieu de toutes ces parts de moi, cacophoniques, qui dirigent et tranchent chacune leur tour, en poussant des coudes, à qui parlera le plus fort, à qui tiendra la barre.

STOP !

Il est temps de s'asseoir tous ensemble, d'apprendre à s'écouter pour la première fois, de trouver des stratégies communes, après avoir mesuré ô combien précieuses et légitimes sont les attentes de chacun.

Et là, s'ouvre un autre champ de conscience, une sérénité naissante, un point de lumière qui peu à peu émerge et embrasse dans ses rayons chauds et bienveillants tous ces petits êtres turbulents qui ont enfin trouvé un peu de paix et d'accord mutuel.

C'est un petit bout de chemin, savoureux s'il en est.

 

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Si tu sais toujours rêver

Journal de Chiara S. (Illustrations : Marilù Trapani.)  - Cher _________________

 

Mercredi 18 mars 2020

Depuis deux jours, D. essaie d'écrire un morceau, mais il tourne en boucle.
Il s’énerve, il n'arrive à rien.

La quarantaine a commencé en Chine, fin janvier.
Au même moment, je devais quitter ma famille en Italie, après la période des vacances de Noël, comme chaque année, et je me préparais à ma « quarantaine française » qui se répète depuis 12 ans, depuis que j'ai quitté mon pays pour les études et le travail, mais aussi, aujourd'hui, pour le bien-être, les amis, la mentalité, pour regarder le monde avec d'autres yeux...

Ou alors, notre quarantaine a commencé quand mes parents ont dû s’enfermer à la maison, car chez eux, ça a commencé plus tôt… Les réseaux sociaux qui me permettent de garder le lien avec eux débordaient de nouvelles, de réactions, de blagues autour du virus. Je me sentais déjà dans un état d’inquiétude, pour eux et pour le monde, un monde qui allait perdre ses vieux, les derniers qui ont vécu les camps d'extermination et la montée des fascismes, toute cette mémoire écrasée d'un coup...
Et pourtant, cela ne m'a pas empêché de serrer la main et d'embrasser les gens, une façon de se renforcer bêtement les uns les autres, comme pour dire :
« figure toi »
« non mais enfin »
« moi je vais bien »
« n'aies pas peur de moi »
Nous avons toutes et tous drôlement besoin les uns des autres. 

Certes, notre quarantaine a commencé samedi, quand R. a su qu'elle était positive.
Le virus est arrivé ici, depuis la télé italienne, il s'est projeté en pleine campagne, là où on pensait que jamais il n'aurait pu se pointer… et pourquoi pas ?
Moi et D. ne savons pas, ne sommes pas éligibles au test, du coup on attend sagement quatorze jours, et on croise les doigts. Le président a dit qu'il faut aller voter dimanche pour les élections municipales, que la situation est sous contrôle et que toutes les mesures nécessaires seront prises afin que le vote se déroule sans danger aucun. Mais enfin, ce n'est pas complètement débile ?
Finalement, nous sommes toutes et tous potentiellement positifs ; juste, on ne le sait pas, et probablement, on ne le saura jamais. « Le virus peut être en toi et tu peux ne pas avoir de symptômes » : ma sœur connaît déjà par cœur tous les sites Internet où tu peux avoir les informations les plus exactes, elle a deux semaines d'avance d'ailleurs.

Enfin, ce qui est sûr, c'est que notre quarantaine n'a pas commencé le 17 mars, désolée le gouvernement. Je mesure l'ampleur de ce qui se passe depuis un certain temps, et cela va bien au-delà de vos « mesures ».

*************la bella

Qu'est ce qu'une quarantaine ? Un confinement ?
Une limitation de tes libertés, me dit un ami, qui ne supporte pas cela.
Se donner des limites, des règles. Ne pas pouvoir faire ce que l'on veut.
Mais, je pense, notre vie est continuellement bornée, limitée, contrôlée. Quel sens cela peut-il avoir d'être confinés, dans un monde qui t'impose déjà tout ?
En réfléchissant mieux, je m’aperçois que si notre espace et nos déplacements sont limités, notre temps peut changer.
Je réponds à mon ami que, peut-être, c'est une occasion.
Une occasion de nous soustraire aux habitudes qui nous enferment dans un rythme, toujours le même, et de regarder le monde avec d'autres yeux. Un autre rythme : pas celui imposé par l’extérieur, mais notre rythme intérieur, propre à chacun. C'est ce que j'ai pu expérimenter en venant vivre à la campagne après mes premières trente années vécues entre Rome et Paris, deux grande villes extraordinaires, qui peuvent entièrement t'avaler dans leurs rythmes frénétiques, leur boulimie de propositions, leur asphyxie de trouver un boulot...

C'est très beau. De regarder le printemps qui pousse, de suivre un papillon du regard.
Et même moi, qui vit déjà à la campagne depuis presque dix ans, moi qui ai déjà appris plein de choses, en étant plus en relation avec le « vivant » – apprécier le vrai goût des légumes, mettre les mains dans la terre, se rapprocher à petits pas de l'autonomie alimentaire, prendre le temps de balader les chiens, écouter un autre individu sans lui couper la parole et bénéficer de la même attention en retour – je suis extrêmement surprise de ce temps suspendu.
C'est vrai, nous pouvons occuper ce temps de mille manière possibles, mais cela reste une parenthèse, qui n'a pas le même goût de la vie que tous les jours.  
Car nous ne savons pas, réellement aujourd'hui, si demain nous pourrons profiter autant de ce monde, et de ceux et celles qui l'habitent.

C'est un peu comme cette musique que D. n'arrive pas à composer.
Pour le moment, il faut accepter et espérer qu'une nouvelle façon de regarder le monde apparaisse.
Ses accords ont déjà l'air moins coincé.

Vendredi 20 mars 2020

Dans le temps suspendu, j'ai décidé de m'occuper de mon jardin.
C'est assez symbolique, mais aussi absolument concret.
J'ai soigné pendant des années le jardin des autres, et cela m'a appris plein de choses. Aujourd'hui, je suis obligée de m'occuper du mien. Littéralement : je coupe les branches mortes, je les amasse sur un tas, je prends les plus grosses pour me faire du bois de chauffage pour l'hiver. Je coupe l'herbe, le printemps commence à se faire large et des touffes de plus en plus denses apparaissent ici et là, avec les primevères, les jonquilles, les premières orties, le pissenlit… tous ces mots que j'ai appris dans une langue étrangère, les mots de la campagne et de comment en prendre soin, des mots que je dois faire l'effort de retrouver dans ma langue maternelle, si tant est que je les connaisse… tout n'est pas mauvais dans une quarantaine.
Prendre soin, de soi, de son environnement, habiter vraiment un espace, se l'approprier, y passer du temps, s'affectionner, se sentir un ensemble, une partie de l'écosystème. Se soigner, des douleurs récentes et des plus anciennes et profondes, prendre ce temps pour guérir, tout cela serait déjà tellement précieux.

Certains disent que les gens qui habitent à la campagne sont des privilégiés aujourd'hui.
C'est incroyable comme le point de vue change vite. Hier, on était juste coupés de tout (transports, loisirs, etc.) ; aujourd'hui, le fait d'avoir un jardin change tout.
J'ai toujours pensé que mon temps dans les villes s'était épuisé, que j'avais physiquement besoin de vivre plus proche de ce qu'on appelle la « nature ». Comme si l'air me manquait, j'avais besoin de quelque chose que je n'avais jamais vécu auparavant. Et pourtant… mes meilleurs souvenirs sont liés à des espaces naturels et où je sens mon corps en vie.
Je vous propose un exercice : pensez le lieu magique de votre enfance.
Pour moi, c'est évidemment la Sicile, où j'allais passer l'été, la maison entre la mer et la colline, les heures passées dans l'eau de mer, la canicule, les faux repas préparés avec des feuilles de plantes grasses écrasées, et les vrais repas enveloppés de l'odeur délicieuse des aubergines frites, la fausse sieste qui se transforme en une méditation à l'ombre des pins maritimes en écoutant les cigales....
Souvenirs doux et extraordinaires, inoubliables.

Quand j'ai habité Milan, entre 0 et 6 ans, lors d'une promenade au printemps, où j'avais probablement 5 ans, une horde de fourmis est monté sur mon bras, alors que j'approchais ma main d'un coquelicot éclos. J'en garde un souvenir vif et terrifié : le noir des fourmis et du pistil du coquelicot, qui me fascine et me confond, car c'est bien de là que la multitude avançait sans que je m'en aperçoive ; le rouge des pétales, un soleil froid et un ciel blanc, toujours gris blanc.   
Ou encore, quand j'habitais à Rome, et que j'allais à l'école ou au collège – les deux bâtiment bâtiments étant côte à côte – je traversais à pied le parc en face de mon immeuble. En pleine ville – même si c'était une banlieue – je traversais un vrai petit bois, sûrement bien plus ancien que nos enclos bétonnés, et par endroit la vision de ces immenses immeubles à dix étages était complètement éclipsée par le feuillage. Je sentais mon corps transpirer pendant le printemps et mes chaussures se remplissaient de terre à chaque passage (ce qui suscitait la colère de ma mère, car j'en mettais partout dans notre appartement). J'ai fait ce trajet d'environ vingt minutes tous les jours, de 8 à 13 ans, puis j'ai complètement changé de décor pour le lycée.  
Mais cette nature résiste malgré le béton, pousse dans tous les sens chaque année, se débat et est là, encore aujourd'hui, maintenant que j'ai 38 ans : ce parc est toujours là. Les corbeaux ont laissé (un peu de) place à une espèce de perroquets vert fluo que les légendes métropolitaines disent être une espèce en cage qui s'est reproduite farouchement ces dernières années, suite à des fuites de cage, et qui a décidé de s'installer à Rome, toujours à cause du réchauffement climatique. Je les comprends.
J'adore me perdre dans ces souvenirs d'enfance et de nature.
Une copine m'a dit que ça lui arrivait souvent, de penser à la naissance de ses enfants ou à d'autres souvenirs qui lui donnent du plaisir en ce moment suspendu.

J'ai toujours observé la nature de loin et de près, ça m'a toujours fasciné, mais je ne me suis jamais sentie vraiment comme si j'en faisais partie. Depuis que je vis à la campagne, quelque chose a commencé à changer en moi. Aujourd'hui, je prends soin de mon jardin, pour de vrai, pour la première fois peut-être. Qu’on le veuille ou non, nous sommes cette nature nous aussi. Quand est-ce qu'on arrêtera de s'autodétruire ?

Samedi 21 mars 2020

Aujourd'hui, premier jour de printemps, je prépare des pizzas maison.
Le rythme de ce temps suspendu est établi par plusieurs éléments, tous plus ou moins liés au soin.

Quand je me lève le matin, je vérifie mon état de santé. Une petite toux nerveuse m'accompagne presque depuis une semaine et en fonction du jour, je me sens plus ou moins angoissée. Je le sens par ma respiration : si j'arrive à prendre une inspiration profonde sans effort, ça va, sinon ça ne va pas. Je sais que la peur est complètement irrationnelle, et j'essaie de faire des choses pour me distraire et me soigner à ma façon.viso

Un autre moment qui cadence ces journées est le repas : on dit que l' « on est ce que l'on mange », alors j'essaie de bien manger et de faire bien manger D. et R. Nous avons la chance de nous approvisionner chez des amis maraîchers (on est toujours des privilégiés, au-delà du miroir).
J'ai toujours bien aimé manger, cuisiner et choisir des recettes avec soin. Équilibrer les menus et le faire en respectant les envies de ceux et celles autour de moi. C'est très fatigant mais très enrichissant aussi, c'est une manière d'entrer en empathie avec les gens sans parler, et en même temps, de créer un compromis qui puisse convenir à tout le monde.
Pendant que je cuisine, je pense à tous ces éléments qui fondent, qui restent crus, les saveurs qui se mélangent, les particules qui se rencontrent ou se repoussent, les textures différentes, j’expérimente un peu, j'essaye de ne rien jeter. Et je pense à qui va le manger. Je n'ai pas toujours le temps de me dédier à cette pratique comme je voudrais, mais là, c'est enfin possible.  
Ma mère me demande : « Pourquoi tu n'ouvres pas un restaurant ? ». Je lui ai toujours répondu que je ne peux cuisiner que pour des gens qui le méritent. En cela je veux dire, pour des gens qui ne viennent pas « consommer » un repas, mais qui viennent entrer en relation avec moi.  
Peut-être qu'un jour, on fera des restaurants chez les gens, en restant un peu de temps avant et après le repas pour les connaître, et que cela ne s'appellera plus « restaurant » mais le « rituel magique de se nourrir les uns des autres »....
R. cuisine aussi très bien, mais en ce moment, elle n'a pas très envie de le faire. Je lui ai dit « pas de problème je m'en occupe » et cela me donne beaucoup de plaisir, car tout contact nous est impossible. Alors, je prépare une assiette pour elle et la dépose en face de sa porte, sur un tabouret que nous avons laissé exprès. Tous les jours, deux fois par jour, depuis une semaine déjà. Au début, elle n'avait pas très faim, mais petit à petit, elle reprend des forces. Elle est contente, surtout de l'amour qu'il y a dans ces assiettes, je pense.  

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J'ai écouté une émission qui a duré plusieurs heures enregistrée en Italie dans laquelle plusieurs philosophes et autres personnalités du milieu scientifique et culturel se sont retrouvés pour discuter, chacun depuis son confinement, de sujets concernant cet état d'urgence que nous sommes en train de vivre (ou de subir). L'émission s’appelle « Prenons-la avec philosophie », qui en italien, dans le langage courant, est une manière de dire « prenons-cela à la légère ». Mais cela signifie aussi essayer de comprendre simplement ce qui nous arrive au niveau individuel et collectif, et pour cela, utiliser la philosophie comme une malette d'outils pratiques, très concrets, qui peuvent nous aider à codifier ce moment historique.
Ils ont évoqué le retour des animaux dans les villes, les poissons à Venise, les dauphins à Cagliari.
La polarisation entre ville et tout ce qui est « en dehors » revient systématiquement. Ils disent que les villes ont été conçues de plus en plus en excluant le vivant, qui est donc relégué à la forêt (l'étymologie latine du mot foret est foris, dehors. Placidus connaissait déjà l'adjectif forasticus, extérieur ; et cet adjectif subsiste dans l'italien forastico, le sicilien furestico, le provençal foresgue, sauvage, rude, rétif ; l'italien forestiere a le sens d'étranger, d'homme du dehors. Sur ce modèle, le bas-latin a formé forestare, mettre dehors, bannir.) 

Deux choses m'ont surprise : la vitesse avec laquelle les animaux reviennent peupler des zones que l'homme dominait ; et que ce soit l'organisme vivant le plus petit au monde qui en ait chassé l'homme, au moins temporairement. On dirait que les autres vivants n'attendaient que ça, qu'on se barre.
Si nous étions encore là après cette pandémie, nous devrions choisir quel impact nous voulons avoir sur cette planète. Si nous voulons de nouveau faire semblant de ne pas en faire partie et ignorer tout ce qu'on sait, ou commencer peut-être à être un peu moins présents, moins s'imposer avec tous nos comportements. Un peu moins concentrés entre humains, et un peu plus mélangés avec le vivant, les animaux, la terre, l'air… regarder notre écosystème du point de vue de cet écureuil qui sort de son nid quand il y a du silence. Re-devenir terrestres.

Dimanche 22 mars 2020

J'ai lu aujourd'hui cette phrase : « À la guerre, nous opposons le soin, de nos proches jusqu’aux peuples du monde entier et au vivant. En France, comme dans les autres pays, nous allons tenir ensemble pour faire face à l’épidémie. Nous allons transformer l’isolement imposé en immense élan d’auto-organisation et de solidarité collective ». Elle est tirée d'une pétition présente sur une plate-forme qui recense des initiatives d'entraide développées de manière indépendante sur le territoire français ; la pétition invite à renforcer la solidarité et l'auto-organisation face à la pandémie (1).

Je déteste ce langage guerrier qui nous est proposé.
Je trouve qu'il nous met dans une mauvaise attitude, comme s'il y avait un ennemi, extérieur et invisible.
Durant la Seconde Guerre mondiale, mon grand-père avait un ennemi, pas nous. Lui me racontait qu'il était obligé de manger des épluchures de patates, moi dans 30 ans je pourrais raconter que j'étais à la maison et je faisais les courses sur Internet. Oui des gens meurent, beaucoup et seuls, mais il faut arrêter de dire qu'il y a un ennemi. Car c'est nous-mêmes qui avons provoqué cette situation, avec nos comportements irresponsables vis-à-vis de nos proches et de cette planète.
Je crois profondément en ces deux choses : auto-organisation et solidarité. Les choix que nous allons prendre après cette pandémie seront cruciaux pour notre avenir, exactement comme avant, mais peut-être avec un peu plus de conscience.

Jeudi 26 mars 2020

Je me sens bizarre. Depuis quelque jours, je ne pense qu'aux travaux de jardin, comme s'il n'y avait rien d'autre. Je suis obsédée par le fait d'avoir un but. Je n'arrive pas à me concentrer sur le plaisir. Le plaisir de faire quelque chose, l'acte même, les gestes. Le problème est que, avant le confinement, j'avais aussi un problème dans ce sens. Je ne savais plus pourquoi j'avais dédié les dernières années de ma vie à fond dans un projet qui a l'air de ne pas aboutir. Comme si je ne voyais pas. D. me dit : « mais enfin, tu étais heureuse pendant que tu faisais tout cela ! » Oui, je l'étais, je pense. Mais aujourd'hui, je n'arrive pas à m'en rappeler. Du coup, je remplis boulimiquement mes journées pour ne pas sentir ce vide.

Ce matin, J-L. a tiré son tarot pour moi : le 5 d'épées au milieu, le Char en haut, l'As de damier à gauche, le Monde à droite et l’Hermite en bas. Cette croix magique indique que j'ai tous les outils pour entreprendre un chemin de connaissance du monde, même si ce n'est qu'à l'intérieur de moi-même, ce chemin est éclairé. J-L. me dit que, selon lui, je suis quelqu'un qui est capable de mener de grosses entreprises.
Je voudrais avoir cette lumière en moi, c'est peut-être pour ça que je veux passer autant de temps au soleil. Il est si chaud et si beau en ce moment, on dirait qu'il n'a jamais fait aussi beau et aussi longtemps par ici.

Jeudi 2 avril 2020

La Colère.
Nous nous demandons si la colère qui émerge lors de ce confinement,

la même colère des Nuits Debout, des Gilets Jaunes, des manifestants de toute sorte,
la colère des personnes dont l’État a sous-estimé la valeur pour donner toujours plus d'importance à l'économie et au profit,
toute la colère aujourd'hui enfermée dans les maisons, obligée de se limiter à des affiches sur les balcons, qui fermente avec le printemps et le soleil qui réchauffe les pieds et le cœur,
toute la colère du monde oublié,
toute cette colère qui n'attend que de sortir et envahir les rues, les cœurs et les oreilles, encore et encore,

toute cette colère,
nous nous demandons si elle sera encore là, après.

Je pense que oui, elle sera toujours là.
Mais je me demande combien d'entre nous arriveront à la canaliser dans un projet de vie alternatif. Pour certains d'entre nous, un parcours de décroissance avait commencé, persuadés que nous étions déjà en train de vivre dans les ruines d'un système en décomposition. Pour d'autres, il n'y avait que des questionnements, comme si franchir le pas vers un autre mode de vie pouvait encore attendre une autre génération, comme si les petites conquêtes que nous avions tant désirées (ou qu'on nous a fait désirer) – le travail, la maison, une stabilité économique – pouvaient vraiment durer encore un peu. Comme ce réveil que tu n'as pas envie d'entendre le matin. Ça fait des années déjà que l'on dit que « de toute façon, il n'y aura pas de retraite pour nous ». Et bien voilà ça y est, on y est.fuso

Hier, D. a eu une conversation animée avec son cousin et d'autres amis italiens à ce sujet. Les employeurs demandent souvent aux salariés de prendre leurs jours de congés en ce moment, autrement ils sont mis au chômage technique. Par solidarité avec certains collègues qui ne pourraient pas tenir avec un salaire écourté, le cousin de D. se dit prêt à accepter le chantage de son entreprise, et renoncer donc à ses congés. Et cela n'est qu'un exemple, d'une situation presque banale. Au lieu de s'unir pour que les droits des travailleurs soient respectés, beaucoup préfèrent tenir bon par peur de perdre le peu de garanties qu'ils ont. « On nous tient par le cou !!! » hurle D. désespéré.
Je pense que pour ces personnes, qui m'écoutent une fois par an parler d'autonomie alimentaire, de se faire un potager et de sortir de l’économie, c'est vraiment très difficile d'imaginer qu'eux-mêmes peuvent faire la différence, avec leur comportement, s'ils arrêtaient de se percevoir comme des individus et s'ils se considéraient enfin comme un groupe, un collectif, un peuple. Tu finis par croire que le prochain gouvernement fera mieux, et tu continues à te faire guider. Plutôt que de devenir actif, tu restes passif. Tu n'as pas confiance en toi, ton pouvoir de changer à toute échelle, on te l'a volé.   

Quand j'ai décidé de quitter l'Italie, je l'ai fait parce que j'avais passé un mois à Paris avec ma cousine et d'un coup, j'ai vu que les choses pouvaient fonctionner différemment. Et cette différence, ce sont les gens qui la construisent. Quand tu restes enfermé dans ton cocon, tu ne sais pas jusqu'à quel point tu peux changer les choses. Parfois, nous avons besoin d'un choc, d'un voyage, de voir que « ailleurs, ça se passe différemment » juste pour nous rappeler que rien n'est acquis et que tout se conquiert, jour après jour. Aller vivre dans un pays étranger t'oblige à faire cela, car tout est nouveau et tu as besoin de prendre tes marques, c'est une question de survie.
J'espère que ce confinement sera un peu comme un voyage à l’étranger : qu'il nous redonnera de l’énergie pour lutter, qu'il nous permettera de regarder notre situation et le monde avec d'autres yeux, qu'il nous donnera de l’inconscience, de la joie et de la colère… nous avons tous et toutes un grand besoin de nous retrouver ensemble et faire front autour de ces valeurs.

Vendredi 3 avril 2020

« Mes amis sont tous des étrangers, parlent tous des langues différentes, et ils aiment davantage ce qui leur est étranger que ce qu'il leur est coutumier. »
J'écoute le journal de confinement de Wajdi Mouawad et, à un moment donné, il dit cette phrase, qui m'interpelle.
Aimer davantage ce qui est étranger : cela est très puissant. C'est ce qui te fait regarder le monde avec d'autres yeux, qui te fait redécouvrir tout comme un enfant qui découvre le monde ; ça te ramène à cet âge d'émerveillement et d'inconscience, à tes parents jeunes, à un état qui n'est pas plat mais qui est en devenir perpétuel... dans cette peau neuve, tu peux de nouveau apprécier « ce qui est coutumier », tu en vois des aspects nouveaux et insoupçonnés.
Ne pas s’arrêter à ce qui est « coutumier », ne pas le prendre pour acquis et penser que c'est le seul chemin possible. C'est aussi en cela que je me retrouve, cette pensée me sauve comme si j'étais en manque d’oxygène. C'est cela qui m'a toujours guidé.

Ma mère était illustratrice et mon père ingénieur. Presque deux opposés. Le parcours de ma mère m'a toujours fasciné, j'ai toujours aimé me perdre dans ses dessins. Elle suivait des cours du soir à l'institut européen du design lorsqu’on a habité Milan, et moi je l'accompagnais à l'âge de 3 ou 4 ans car elle ne pouvait pas me laisser seule et mon père rentrait tard du travail. Je m’asseyais à un bureau et je dessinais, moi aussi. Ma mère m'a confié récemment qu'elle était rassurée par ma présence, elle ne devait pas faire la route le soir toute seule.
Puis ma mère a arrêté de dessiner car elle avait du mal à trouver du boulot, elle était mal payée et sous-estimée pour son travail. Elle a voulu s'occuper plus de moi et puis de ma sœur.
En ce qui me concerne, je n'ai pas choisi un parcours qui me donnait accès à un « poste sûr ». Un peu comme elle, j'ai voulu suivre une passion, je ne pouvais pas faire autrement. J'ai suivi mes instincts et mes rêves, toujours, sans à aucun moment me demander si cela m'aurait donné un poste de travail. Je pense que, même si ma mère a abandonné les crayons et l’aquarelle, elle m'a donné envie de suivre mes passions, elle les a toujours encouragées.

Ne pas faire coutume.
Et pourtant, je sais combien il est facile de tomber là-dedans, comme dans un vortex qui te dit « pour réussir dans la vie, il faut faire ceci, cela », comme un sortilège qui t'incite à être ce que tu n'es pas.
Mais, à l'heure actuelle, ne serait-ce pas plus prolifique, plus utile, de se relier avec ses rêves, de se nourrir de cette imagination débordante qui est présente dans les arts ?
Pour imaginer d'autres possibles, pour les imaginer avec ou sans nous, au-delà de nous-mêmes, pour rester attirés par ce qui est étranger.
Quand le « poste sûr » n'existe plus, si tu sais rêver, tu as toujours une ressource.

(1)  https://covid-entraide.fr/signe-la-petition-pour-lentraide/?fbclid=IwAR2mGYTLDA5QlbtW-KVEgrBzgULt9qZ7PdWDBUbh7fw_NtkC0xACFnvRNJ0

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Silence

Catherine B.  - Nièvre _________________

 

Mardi 17 mars 2020

En reprenant pied avec le monde après une nuit de sommeil, mon premier réflexe est de « sentir » le jour nouveau. Fenêtre ouverte, narines au vent, je hume l'air du matin. Attitude animale qui me permet d'entrevoir ce que sera aujourd'hui.
De l'étage, j'embrasse mon jardin d'un regard. Il fait beau. La journée sera douce. La végétation revitalisée m'offre l'énergie d'un printemps précoce.
Mardi, je suis restée à la fenêtre plus longtemps que d'habitude ; justement parce que quelque chose n'était pas comme d'habitude...
Stupéfaction : SILENCE
Pas un bruit ce matin. Gommées, les voitures qui sillonnent la ville. Gommé le ronronnement incessant des usines et chantiers. Gommé le bourdonnement du trafic autoroutier. Gommé le crissement des trains atteignant la gare. Gommés les voix humaines et les Iphones crachant du rap sur le trottoir...
Stupéfaction : SILENCE
Le confinement ordonné par l'Etat et la brusque baisse d'activité ont d'étranges répercussions. La dimension sonore de mon environnement s'est radicalement réorientée vers « son essentiel » : le chant des oiseaux. Délice et angoisse à la fois.
Pendant quelques semaines, la nature va respirer (presque) à pleins poumons. L'ambiance deviendra encore plus incroyablement ouverte, libre.
Quel violent parallèle ; quelle redoutable leçon : la nature respire mieux alors que les hommes meurent d'asphyxie dans les hôpitaux.
Attention : un grain de sable a mis le monde à genou.

 

 

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Projet de vie

Isabelle T. - Bourges (Cher) _________________

 

Mercredi 18 mars 2020

En temps normal, nous avons un projet de vie. Aujourd'hui, nous vivons sans projet, au jour le jour, dans l'instant présent. Une expérience d'un autre temps qui passe, bien étrange...
Chamboulement de nos habitudes, de nos repères et de nos certitudes (pour celles et ceux qui en ont).
Bouleversement dans nos relations sociales, dans notre relation à l'autre, distance « de sécurité » oblige...
Et après ? Nécessité peut-être de repenser notre modèle de société, bien malmené par les temps qui courent…

 

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Espace pour jouer

Marie-Dominique F. - Cher _________________

 

Dimanche 22 mars 2020 – Etat d'urgencecartoon 5123447 340

Calamité prévisible
Atteinte grave à l’intime
Civilisation enrégimentée
La loi et l’ordre pour les psychorigides
Territoires autorisés limités
Restrictions autoritaires
Un cas particulier : le métropolitain
La croissance est partie en volutes
La liberté s’accommode mal de la police.
Pouvoir rendre publique la colère !

Lundi 23 mars 2020 - « A robot is missing »

Ils sont venus spécialement pour faire le point
Urgence de base
Besoins satisfaits trop tard
Ils mettent tous leurs efforts à faire de l’effet
Ravalez votre superbe
Trouvez le voleur volant dans les voiles
Freinez la consommation
Retour des robots
Machines extra-terrestres

Manque d’espace pour jouer

 

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Promesse

MSPGC - Cher ___________

Mercredi 8 avril 2020

J'en ai assez de ce confinement
Je commence à craquer sérieusement
Chaque minute prend son temps
Je trouve ça désespérant

Je rêve de mon volant
Les chevaux rugissants
Les cheveux aux vents
Mon « clopiot » aux dents

La beauté de ce printemps
Tous ces arbres verdoyants
M'appellent dès le levant
A caresser leur tronc puissant

Allégresse d'une caresse
Sur mon corps en détresse
Assez dans sa jeunesse
Pour renoncer à cette promesse

Promesse d'un corps en liesse
Ouvrant les portes de l'ivresse
Déchaînant la tigresse
Réveillant la diablesse

Au diable les confesses
Et toute autre pécheresse
Désir et plaisir d'ogresses
Honorent la sève enchanteresse

Maintenir son corps en laisse
Comme son véhicule qu'on délaisse
C'est bien la pire des prouesses
Que la vie nous adresse