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La naissance d'Enki

David et Maryline vivent dans le Cher. Parents de deux garçons nés en maternité, il·le·s ont fait le choix, pour leur troisième enfant, de l'accouchement à domicile, accompagné·e·s par la sage-femme Rose Faugeras (lire aussi la rubrique (Ré)acteurs). Chacun·e leur tour, avec leurs regards et leurs mots, il·le·s racontent cette nuit inoubliable.

 

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Cette nuit où tu es né

David ______________________________

Enki, mon fils, mon troisième enfant, mon troisième garçon. Quatre lettres, comme pour les prénoms de tes frères. Pas fait exprès pour les quatre lettres. Plus facile pour une grande prêtresse pour tirer les cartes au tarot ! Ton prénom, ça fait un moment qu'il tourne en boucle dans ma tête. Tu l'as soufflé avec insistance au creux de nos oreilles pendant ces dernières semaines. Voilà déjà trois semaines que tu es arrivé parmi nous. Ça y est, j'ai un peu dormi ! Je prends le temps de mettre par écrit ces moments intenses que tu m'as permis de vivre entre deux alertes orange de chute de neige.

Des récits de naissance, j'en ai beaucoup lus : forum, livres de témoignages, discussions. C'était un regret pour moi de ne pas avoir pu écrire ceux de tes frères, mais je n'étais pas prêt au moment de leur naissance. En parcourant ceux que certaines femmes ont laissés, j'ai souvent été ému aux larmes et elles m'ont donné envie de le faire à mon tour. Mais je ne pensais pas pouvoir raconter la naissance de tes frères après tout ce temps passé... Ton arrivée offre enfin la possibilité d'en écrire un avec, en prime, une naissance à la maison. Retour en arrière...

Depuis quelques semaines, les contractions se mettent en place, pas douloureuses, pas régulières ou pas assez longtemps. Tu dois naître pour le 28 janvier, date du terme officiel. Nous sommes le 22 et comme nous voulons que tu naisses à la maison, au chaud et au calme, dans notre cocon familial, Marilyne a pris rendez-vous avec notre médecin acupuncteur pour libérer d'éventuels blocages ou obstacles, afin que tu puisses nous rencontrer comme nous le souhaitons. La séance a lieu en milieu de matinée. Moi, je suis sur mon toit à planter des bardeaux. Charles Ingalls, lui, plantait des poteaux ; moi, des bardeaux, chacun son truc. Marilyne rentre vers midi, elle est fatiguée. Les contractions se mettent en place petit à petit, peut-être un peu plus fortes, mais surtout plus régulières que d'habitude.

Efficaces, ces petites aiguilles d’acupuncture ! Vers la fin de l'après-midi, je vais chercher tes frères à l'école, on se prépare pour le repas et le coucher. Les contractions sont toujours là. C'est pour ce soir ou pour demain ? Pré-travail ou début du travail ? Excite-toi pas, dis, excite-toi pas, rien ne presse. On a encore quelques jours devant nous. Marilyne monte lire l'histoire à tes frangins. Nouveauté : elle doit s'arrêter de lire entre deux contractions. Elles ont bien progressé en intensité. Elle redescend et tient notre sage-femme au courant de la situation par sms. Pas de panique, tout va bien. Les contractions sont encore trop espacées pour qu'elle vienne de suite. Elle nous demande de la tenir au courant d'ici une heure pour aviser. Elle habite tout de même à deux heures de route.

Il faut de la chaleur, de l'amour, de la sérénité

Il est 21 heures. Tes frangins sont couchés et dorment. Ta mère se met dans sa bulle et sur son ballon, elle gère bien les contractions. Je lui noue un drap à fleurs jaunes qu'on n'utilise jamais au dessus de la grosse poutre pour qu'elle puisse s'y suspendre si besoin (il y est toujours, 21 jours plus tard !). On remet les choses au clair ensemble : si, dans un moment d'égarement, lors de la phase de désespérance (1) par exemple, elle me demande le transfert vers la maternité, alors qu'il n'y a pas de raison vitale à cela, je dois l'encourager, la soutenir pour que tu naisses ici, dans notre salon. Nous topons là.

Michel Odent (2) a dit qu'il faut que la maman n'ait pas froid (25°C, c'est un minimum). Il faut de la chaleur, de l'amour, de la sérénité pour que les bonnes hormones finissant en « ine » se libèrent (d'accord, les mauvaises aussi, elles finissent en « ine »), et que le travail soit efficace. Dont acte : tu naîtras dans une ambiance chaleureuse ! Avec un savant chargement de chevrons issus de la vieille couverture de la grange, je peux obtenir la chaleur adéquate rapidement. Je mets une vieille lessiveuse pleine d'eau sur le poêle et c'est parti pour la fête ! J'hésite après coup à qualifier l'ambiance de saharienne ou de tropicale. Le thermomètre de Monsieur Galilée indique que j'ai dépassé les 24°C. Mais de combien ? Je ne sais pas mais j'ai chaud. Je suis torse-nu, un pantalon thaï et je ne peux plus rien enlever ! Je profite des quelques heures qui nous reste pour finir de creuser le morceau de buis qui devrait servir avec la membrane du placenta pour le tambourin.

Marilyne, elle, répare un pantalon de Loup [l'aîné; ndlr], déchiré aux genoux. Elle n'aura pas le temps de faire plus d'une jambe. Aujourd'hui encore, la reprise dudit pantalon n'est toujours pas terminée. La musique que Marilyne souhaite, c'est la bande originale du film Himalaya. Ça contraste sévèrement avec la température ambiante mais je la lui passerai au moins quatre fois d'affilée avant d'abandonner une carrière de DJ pourtant prometteuse. Des bougies sont allumées partout dans la pièce. Tu en as une grosse rouge, spécialement pour toi, qui te servira pour tes anniversaires. On est bien, là, à cet instant, au calme, au chaud, à la lueur des bougies.

rose maryline enki

Je déplace les canapés et tables, et roule le tapis pour permettre à ta mère de circuler librement à pied ou en ballon devant le poêle. Elle continue de noter les contractions sur un petit carnet jusqu'à 21 h 42. A partir de là, je prends le relais parce qu'elles se rapprochent et s'intensifient nettement (entre 5 et 10 minutes). Ta mère ressent une grosse pesanteur sur le périnée. Elle va prendre une douche bien chaude pour se détendre vers 22 h 30. Cela n'arrête pas les contractions. Quand il en arrive une, elle s'arrête de bouger, souffle profondément, vocalise. Elle sort des sons qui viennent du fond des âges, très sourds (c'est guttural...). D'où sort-elle des sons pareils ? Elle pense à voix haute et se répète en boucle « bouche molle, col mou, bouche molle, col mou » (merci Julyff pour le livre et merci Carolinehen pour le pense-bête ! (3)). Vers 23 h 15, Marilyne tient Rose, la sage-femme, au courant de l'évolution. Elle fait un petit somme avant de se mettre en route pour partir quand les contractions seront au moins espacées de cinq minutes.

Je soutiens, je félicite, je bredouille...

Petit à petit, la journée du 22 s'efface. C'est sûr, maintenant, tu seras du 23 janvier ! Les mouvements de bassin sur le ballon soulagent bien Marilyne. Elle gère comme une cheffe. Moi, je ne fais pas grand chose à part remettre du combustible et noter l'heure des contractions. D'ailleurs, ça commence à être un boulot à plein temps parce qu'elle en a de plus en plus. Le ballon n'est plus aussi efficace, alors elle se met à arpenter la pièce avec son bidon de big boss de fin de niveau (elle a arrêté de se peser à +16 kg). Quand une contraction arrive, elle se met face au mur, s'appuie dessus avec les mains, les bras levés, s'abaisse doucement en expirant au début, vocalisant vers la fin (voire en râlant). Je fais le malin, là, mais j'en menais pas large sur le coup. Serein, mais quand même.

Vers 1 h 19, je prends le relai téléphonique et j'envoie un texto à Rose. On y est : les contractions sont au max à cinq minutes d'écart et ça appuie encore plus fort sur le périnée. Elle répond dans la minute en disant qu'elle va bientôt prendre la route pour nous rejoindre.
Marilyne est dans sa bulle (j'ai noté à 1 h 39 : elle est complètement shootée). Je décide de monter la piscine d'accouchement, ne serait-ce que pour la soulager en attendant que Rose arrive. Je sais qu'il ne faut pas qu'elle y reste plus de 1 h 30 sinon, les contractions risquent de s'atténuer. Ça devrait le faire. Je déploie le bazar (heureusement que j'ai un peu étudié le contenu avant !). Je branche le gonfleur qui fait un boucan du diable. Dix minutes après, elle est gonflée et les enfants dorment toujours, bien... Reste à mettre l'eau. Encore dix minutes et Marilyne peut s'asseoir avec soulagement dans l'eau tiède. Le niveau montera jusqu'à 50 cm et je rajouterai régulièrement de l'eau chaude prise dans la lessiveuse mise sur le poêle. Quelle que soit la position de Marilyne, son bassin est toujours immergé et ça lui fait un bien fou. La douleur semble s'effacer et elle peut bien se reposer entre les contractions qui vont se succéder parfois toutes les deux minutes. A partir de 2 h 30, j'arrête de les noter parce qu'elles gagnent en puissance.

Marilyne alterne entre position assise sur un bord de la piscine, comateuse, et position à genoux, affalée contre le rebord opposé. Pour la première fois, elle commence vraiment à avoir mal. Il faut qu'elle s'ouvre pour que tu viennes. Je lui dis, je la soutiens, je la félicite, je bredouille quelques « bouche molle, col mou ». Je ne sais même pas si elle m'entend.

Elle l'a fait et n'en revient pas !

Vers 3 heures, les vocalisations se font de plus en plus fortes. Elle veut que je lui appuie sur le sacrum, ça lui fait du bien. J'appuie. Plus fort, qu'elle veut ! J'ai l'impression d'entendre le Père Albert insulter un rugbyman néo-zélandais. Qu'est-ce que t'attends ? Vas-y ! Mais appuie sur ce sacrum, nom de dieu ! Mors-moi l’œil ! Tu fais du macramé ou quoi ! J'appuie le plus fort possible et elle me repousse. Je dois me cramponner, m’arque-bouter contre un meuble pour la retenir. Quelle force ! Vers 3 h 20, Rose entre dans la pièce, toute discrète. Elle a un petit peu roulé vite (« C'est à deux heures d'ici, je serai là dans une heure et demie... »).

J'évacue Yuri dans la grange pour la fin du travail. Il s'était tenu tranquille jusqu'à présent mais, avec l’arrivée de Rose, il est excité et je ne veux pas avoir à gérer le chien en plus. Marilyne a peur que le travail ne soit pas suffisamment avancé mais Rose la rassure. Elle sait que Marilyne est proche de la fin du travail. Je monte voir les enfants qui sont maintenant parfaitement réveillés. J'y vais pour les rassurer. Loup est en train de bouquiner comme si de rien n'était : Maman est juste en train d'accoucher, rien d’extraordinaire, quoi ! Nino, lui, est surexcité parce qu'il a vu qu'il avait une piscine dans la maison, trop fort ! Je leur dis que c'est impressionnant que Maman crie comme ça, mais que c'est normal, que Rose est là, que tout va bien se passer, que tu seras bientôt parmi nous, que je viendrai les voir quand ce sera fini et qu'ils pourront descendre nous voir un peu plus tard, mais en attendant, il faut qu'ils soient cool.

Les contractions augmentent encore. C'est possible, ça ? Marilyne en a marre, elle est épuisée et nous lâche un « Achevez-moi ! » auquel Rose répond par un « D'accord, mais on fera ça après l'accouchement ». Phase de désespérance checked, on arrive bientôt au terminus ! Dans peu de temps, tu seras là, mon bonhomme. Je me place à la tête de Marilyne qui n'a plus de pause entre les contractions, Rose lui passe un gant d'eau fraîche sur le front, ce qui lui fait un bien fou. Je la caresse, l'encourage encore et toujours. Une contraction encore plus forte et je perds d'un coup 5/10e d'audition et ainsi que mes métacarpes gauches. Un larsen dans l'oreille gauche persistera quelques heures. J'ai l'impression d'être à côté de ma jument de trait qui hennit, ce qui reste une référence chez nous en terme de décibels.

Marilyne n'a pas la force de continuer. Elle ne peut pas sortir de la piscine. Tant pis, tu naîtras dans l'eau. Rose se place vers le bassin, je reste à la tête et je traduis ce qu'elle dit ou fait. C'est du direct, 5, 4, 3, paf, pastèque, la poche des eaux perce d'un coup et ta tête s'engage vers la sortie. En trois poussées, elle est passée. Une pause, le temps de dégager ton épaule et c'est l'expulsion de la savonnette. Rose t'attrape et te pose sur le dos de ta mère, toujours à quatre pattes dans la piscine. Tu as les yeux ouverts, tu regardes avec cette impression de sagesse que beaucoup d'autres ont décrit. Tu as bien l'attirail d'un pôti môssieu, pas de blague de dernière minute. Enki..., ça te va bien, ce prénom, tu avais raison. Tu es calme, serein, attentif. Il est 3 h 53. Tu cries un peu, mais pas trop longtemps. On aide Marilyne à se retourner pour qu'elle puisse te prendre dans ses bras. Je sens que ça me prend à la gorge, les yeux qui piquent, qui se mouillent. Elle l'a fait et elle n'en revient pas ! Moi non plus ! J'ai réussi à vous accompagner, elle et toi, au bout de cette merveilleuse aventure. On l'a fait !

Un dessin magnifique

Après cela, la chronologie devient assez floue. Le temps que vous restez dans l'eau elle et toi, je ne sais pas trop, un quart d'heure peut-être. Ensuite, il a fallu sortir de la piscine : enjamber un rebord de piscine, même de 60 centimètres seulement, quand on vient d'enfanter, qu'on a son nouveau-né dans les bras, et qu'il est toujours relié à soi par le cordon, et bien, c'est compliqué. Nous nous y mettons tous ensemble pour vous extirper de l'eau et nous vous couchons, elle sur le canapé, toi sur elle, en peau à peau, enveloppés dans une couverture peut-être. Je sais que je te mets le bonnet de lutin pour que tu ne prennes pas froid. Comment pourrait-on avoir froid ici ! Mis à part ce bonnet, tu resteras nu contre elle jusqu'au soir. Tu nous laisseras tranquille avec cet ostie de méconium jusqu'au lendemain. Le cordon bat encore pendant peut-être 20 minutes. Il est énorme, ce cordon ! Je sens ses pulsations dans ma main. c'est chouette ! Je le coupe, enfin, une fois que les battements ont cessé.

Une demi-heure après, peut-être, ta mère expulse le placenta. Les contractions sont moins fortes que celles pour ton expulsion mais les tranchées la surprennent dans leur puissance. Elles dureront plusieurs heures, diminuant progressivement en fréquence et en intensité dans la journée. Rose examine le placenta et le cordon, tout est OK. Elle procède aux prélèvements pour l'homéopathie (4). Elle dispose le placenta et le cordon pour que nous en prenions l'empreinte. C'est vraiment magnifique comme dessin.

arbre de vie

La rencontre avec tes frères

Marilyne nous regarde en train de faire cela avec toi qui tête déjà peut-être ? (Je ne sais plus, là, je suis paumé). Vient ensuite la réalisation du tambourin avec une membrane. Je prends le morceau de buis le plus réussi et place la membrane interne juste rincée dessus, le surplus est replié vers l'intérieur. Rose me dit qu'il y a du rab. J'en ai deux autres prêts sur lesquels on appose deux morceaux de la membrane externe. Un plus petit en buis et un en tilleul. L'odeur des membranes (du liquide amniotique ?) est très forte et imprègne bien les cerclages. Avec ton cordon, on fait un bâtonnet droit de trente centimètres et un espèce de nœud lâche qui te servira d'anneau de dentition une fois sec. Je mets l'ensemble à sécher sur le manteau de la cheminée sur du papier-cuisson. Le reste du placenta est mis en boîte et placé au congélateur en attendant d'être enfoui sous ton arbre de naissance.

On te pèse. Je lis 4,210 kg. A 4,2 kg, t'appelles plus ça un petit galet ! Le tout, avec juste une éraillure sur le périnée. Il doit être entre 5 et 6 heures. Je vais chercher tes frères pour qu'ils te rencontrent. Ils sont plus intéressés par la piscine...
Le temps de remplir le carnet de santé, de boire un truc chaud, de parfaire l'organisation du couchage, il ne doit pas être loin de 7 heures. Tes frangins sécheront l'école aujourd'hui. On est tous nazes et dormir un peu nous fera du bien. Je rentre le chien et un ou deux chats qui traînent devant la porte, et au lit. Je dors au pied du canapé sur un matelas. Rose a pris notre lit. Elle partira en début d'après-midi.

Des moments d'une rare intensité

Ce n'est que le lendemain que je me suis rendu compte que j'avais oublié de décrocher l'arbre à souhaits du blessing way pour le mettre à côté de ta mère pendant le travail. Il n'était cependant pas loin et sa présence dans la maison lui a fait du bien. Certains, proches amis et parents, nous ont accompagnés à distance, cette nuit où tu es né, et leurs pensées nous ont donné la force de te faire venir parmi nous. Toute ma gratitude est pour eux.

Après cette nuit, intense en émotions, épuisante aussi, nous avons tous trois pris rendez-vous chez un ostéopathe. Les choses se mettent en place petit à petit. Tu têtes bien, ton poids de naissance était repris le 7e jour. Ton frein de langue, trop fort, a été coupé. Maintenant, tu prends aussi bien le sein gauche que le droit et tu ne fais plus mal à ta mère en le prenant. On t'a passé en couches lavables que tu défonces allègrement. Tu cododotes entre nous deux. Tu te réveilles encore souvent (toutes les deux et trois heures), à cause de ces calisses de chien jaune de coliques, et c'est surtout ta mère qui parvient à te calmer, et à t'endormir à coups de sein. Que veux-tu, elle a des arguments de poids que je n'ai pas... Tes frères veulent te caresser, te faire des bisous, te porter. Tu commences à nous rendre nos sourires. Merci pour ce cadeau, merci pour ta venue, merci pour m'avoir permis de vivre ces moments d'une rare intensité.

(1) Etape de l'accouchement durant laquelle la future mère est prise de panique intense quelques minutes avant l'expulsion.
(2) Obstétricien français mondialement reconnu pour ses recherches sur une maternité différente,  allant à l'encontre des modalités de l'accouchement dans les pays industrialisés (Lire aussi la rubrique (Re)découvrir).
(3) Trélaün, Maïtie 2012 « J'accouche bientôt : Que faire de la douleur ? » Gap : Éd. le Souffle d'or, collection Naître et grandir, 230 p.
(4) L'isothérapie placentaire, réalisée à partir du placenta, sous forme de granules ou de teinture mère, sert à soigner les petits maux du quotidien du bébé et la mère.

 

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Lettre à Enki : de ton arrivée à la lumière

Maryline  ____________________________________________________

22 janvier 2018 : nous sommes lundi, à six jours du terme. L’échéance se rapproche ; je suis la plupart du temps sereine, avec quelques fois des résurgences de doutes et de manque de confiance en moi.

J’ai accouché deux fois déjà auparavant. Des naissances qualifiées de normales et sans problème de la part du corps médical. Des accouchements volés et violents de mon point de vue.
Dès ma première grossesse, j’ai souhaité un accouchement le plus naturel et physiologique possible. Je me souviens avoir passé de longs mois à chercher une sage-femme pouvant m’accompagner à domicile. Mais il y a dix ans, aucune dans le secteur n’était installée et j’ai dû me résoudre à partir à la clinique, ne me sentant pas capable de tenter un ANA (Accouchement Non Assisté, pour lequel aucun personnel médical n'est présent). Une sage-femme libérale nous avait préparé de manière très instinctive par l’haptonomie et le yoga prénatal. Par la première, nous avons pu entrer en « dialogue » avec le bébé in utero à travers le toucher ; cette pratique permet d'impliquer intimement le papa. Par le yoga, nous avons intégré des postures facilitant la détente et le passage du bébé de manière physiologique.

J’ai donc été très en colère de m’entendre reprocher au moment de l’accouchement d’avoir des volontés inappropriées (comme mettre un coussin sous le sacrum afin de le libérer de la pression de la table d’accouchement et faciliter le passage du bébé dans cette position imposée, allongée sur le dos, la plus anti-physiologique qui soit !). Devant le manque total de soutien du corps médical, je m’étais résolue à prendre une péridurale dont je ne voulais pas. Et, à partir de là, je n’ai plus rien senti de la progression du bébé, des contractions et de la naissance. C’est en cela que j’ai toujours eu le sentiment d’avoir accepté, malgré ma volonté première, de m’être fait voler mon accouchement, de m’avoir soustrait mon pouvoir de femme et de mère.

Pour le deuxième, deux ans plus tard, toujours pas de sage-femme pouvant se déplacer : même clinique, mêmes contraintes avec, en prime, un gynécologue apparemment très pressé qui a accéléré la naissance, cassant au passage la clavicule gauche du bébé et lui vrillant la colonne vertébrale et le diaphragme qu’une ostéopathe mettra plusieurs séances à remettre en place.

Quand j’ai appris qu’une sage-femme de Creuse se déplaçait jusqu’ici en Berry, je me souviens avoir eu cette pensée de regret : « ah, si seulement elle avait été là il y a quelques années … ». Et, comme quoi, le corps prend le pas sur l’esprit quand il s’agit de réparer, tu t'es niché en moi quelques mois plus tard alors qu’un troisième enfant n’était vraiment pas, mais pas du tout, envisagé !! J’ai immédiatement appelé Rose Faugeras, sage-femme installée à Guéret en Creuse, à 2 h 30 de route. Le contact a tout de suite été facile, instinctif et simple. Je me souviens sortir du premier rendez-vous avec David en se faisant simultanément la réflexion que l’on portait les mêmes valeurs. La confiance s’était installée tout de suite. Nous nous sommes déplacé·e·s plusieurs fois, puis Rose est venue à la maison. On a discuté longuement de sa pratique, de nos souhaits, de nos craintes, de nos peurs, de nos aspirations. Elle a ce don exceptionnel de concilier professionnalisme rigoureux et pragmatique, et liberté du couple ; présence rassurante et discrétion. Si bien que ce 22 janvier, je suis prête de ces mois de préparation, de ces rêves si symboliques qui ont peuplé mes nuits, de la sensation de pouvoir enfin m’abandonner à l’intuition, à l’instinct mammifère dans ce cercle intime de mon chez moi, de David et de Rose.

Rentrer dans une bulle

Le stress d’un dépassement qui empêcherait l’Accouchement A Domicile (AAD) m’a fait prendre rendez-vous avec mon médecin pour qu’il me fasse une séance d’acupuncture.
La veille, tu t'es manifesté plus que d'habitude, ce qui m’a provoqué une insomnie à partir de 5 heures du matin. Je suis descendue, je me suis posée sur mon ballon et j'ai regardé le jour se lever. Tu t’es calmé ensuite.
Dans la salle d’attente, je ressens des contractions d’une nature différente de celles ressenties depuis un mois environ. Pour chacune, je te visualise et souffle lentement.
La séance d’acupuncture me fait du bien, je suis allongée sur le côté gauche. J’ai trois aiguilles dans le bas du dos et une dans chacun de mes mollets en face interne.
Je rentre à la maison, nous déjeunons tranquillement. Dans l’après-midi, je fais une sieste ; les contractions sont toujours présentes mais indolores et irrégulières. Toujours cette question lancinante : est-ce pour aujourd’hui ou pas ? …

Les enfants reviennent de l’école. On fait des parties de cartes jusqu’au dîner. Vers 19 heures, j’ai besoin de me lever lors des contractions, non pour soulager une douleur quasi inexistante, mais pour rentrer dans une bulle qui commence à prendre forme. J'ai compris le sens de cette « bulle » pour cet accouchement. Instinctivement, quand les conditions de pénombre, de silence et de chaleur sont réunies, elle se construit d'elle-même ; elle m'a permis de m'abstraire du temps et de l'espace afin de me connecter complètement à mon corps et aux signes qu'il m'envoyait.
Nous dînons et nous montons lire une histoire. Je préviens les enfants que j’ai des contractions et qu’il faudra peut-être que je m’interrompe quelques fois. Ce que je ferai à deux reprises pour faire quelques pas et respirer profondément. Ce n’est pas vraiment une histoire d’ailleurs, c’est une page du livre d’astronomie de Loup : « Qu’est-ce qu’une étoile ? ». Quelle belle entrée dans l’aventure ! Ils se couchent, rituel des bisous, câlins, bonne nuit.

Je redescends dans le salon, je n’ai absolument pas envie de dormir. J’ai envie de m’occuper les mains avec une activité qui me libère l’esprit. Loup ayant déchiré un de ses pantalons aux deux genoux, j’entreprends de le recoudre. Je me lève à chaque contraction pour marcher et respirer profondément. Pendant ce temps, David en profite pour finaliser un troisième cerclage de petit tambour destiné à accueillir tes membranes.

Connexions sororales

Premier message de connexion sororale, à ma sœur d’âme, loin dans ses montagnes : « Message comme ça en passant … Je répare un pantalon de Loup pour … m’occuper entre des contractions à peu près toutes les 10 minutes … À suivre ou pas … »
La réponse ne tarde pas : « Parfait ! Je laisse mon téléphone allumé … tu peux appeler si besoin, ou David … suis avec vous. »
La première jambe du pantalon est terminée, la seconde restera décousue jusqu’au … 23 février !
Il est 21 heures, j’envoie un sms à Rose : « Je ne sais pas si je dois te tenir au courant des moindres changements … Les contractions ont l’air de se régulariser, à peu près toutes les 10 minutes pour les plus longues, avec quelques fois des plus courtes intercalées ».
Je n’ai plus envie de recoudre le pantalon, plus envie de m’occuper les mains. Ma bulle en formation m’appelle et je ressens l’envie de marcher, moins pour calmer l’intensité de la douleur que pour me centrer, voire méditer.
21 h 22, réponse de Rose : « Ok ! Je te propose de voir si c’est un peu plus régulier et de voir aussi si les sensations s’accentuent ! Je suis tranquille ce soir, n’hésite pas si besoin !! »
Je marche, je marche, je fais du ballon, me lève lors des contractions. Est-ce le jour J ? Mon intuition me dit que oui, mon éternel manque de confiance en moi me dit que cela peut encore être un « faux-travail » …

Je ressens le besoin de me connecter à mes Sœurs du Berry : un cercle de femmes, amies pour certaines, avec lesquelles on partage ce sentiment que les pensées nous relient, nous portent, nous soutiennent, quand nous en avons besoin :
« À mes amies lumineuses. Contractions presque régulières qui m’obligent à marcher et souffler, toutes les 10 minutes environ … »
Réponses rapides, les connexions sont établies ! :
« C’est parti ?! Bon courage. Plein de force et de lâcher-prise, de douceur et de lumière. Mes pensées t’accompagnent dans cette aventure initiatique.»
 « Ohhh… Ok … Bon … J’allume des bougies et je reste attentive si besoin. Beau voyage. Je resterai près du téléphone toute la nuit si besoin. Souviens-toi à chaque instant que c’est un de tes rêves que tu réalises. Courage ma belle. »
« Youhouuuuuu. Dernière ligne droite ma belle. Toutes mes pensées et surtout une belle rencontre. »
« Merci pour le message ! Mes pensées t’accompagnent … détente, courage, acceptation de ce qui est. Ouvre-toi belle fleur ! Je t’embrasse. »
Quelle chance d’être entourée comme ça !! Toutes tes tatas connectées, en cercle énergétique autour de nous !!

« Bouche molle, col mou »

David a poussé le canapé vers la cheminée, libérant de l’espace devant le poêle. Il commence à allumer des bougies, prépare tranquillement le nid, met la bande originale du film Himalaya qui m’apaise incroyablement. Il me demande si je souhaite qu’il monte la piscine, je lui réponds que, pour le moment, j’aime mieux garder l’espace pour marcher.
Je décide de prendre une douche pour voir si elle apaise les contractions. Elle me fait un bien fou ! Je laisse l’eau chaude couler sur mes épaules, mes reins, mon ventre. Je ferme les yeux, c’est bon ! Deux contractions pendant cette douche d’une dizaine de minutes. À la sortie, une autre …. Bon, ça n’a pas l’air de se calmer. Intuition/1, manque de confiance en moi/0.
23 h 16, message à Rose : « Petit point d’avancement : douche chaude n’a pas arrêté les contractions qui reviennent toutes les 10 minutes max. Grosse pesanteur dans périnée/vessie/rectum. Tout est gérable pour le moment. »
Je suis encore sur mon ballon mais j’ai besoin de me lever et de m’appuyer sur la table pendant les contractions. Entre chacune, j’entreprends de dépoiler le tapis des poils du chien. Je le fais assise sur mon ballon, avec les orteils. Je ne sais pas pourquoi je fais ça. Ça fait rire David qui ramasse les tas de poils en bout de tapis. Le cocasse de la situation participe à l’indispensable détente nécessaire.

À un moment, le ballon ne me convient plus, il faut que je marche. Je tourne dans le salon autour du canapé, je ne parviens pas à garder les yeux ouverts. Je marche donc à l’aveugle et ça me fait du bien, épaississant les parois de ma bulle. David a allumé une dizaine de bougies, éteint la lumière. La pénombre, juste éclairée des bougies et des flammes du feu dans le poêle invite à la rêverie, au centrage, à la mise en bulle. Je retourne quelques fois sur le ballon. Mais non, il ne me convient vraiment plus. Il ne servira à présent que pour des massages du bas du dos, du bassin et des hanches que David me propose régulièrement. En sac à patates dessus, je goûte au massage/peeling aux senteurs de fleur d’oranger.

Et je reprends ma marche aveugle. Pendant les contractions, je m’appuie des deux mains sur le mur en argile. Le contact chaud de la terre est agréable. Je souffle, je fais la respiration de la vague, je répète ce qui sera mon mantra : « bouche molle, col mou ».
23 janvier, 1 h 19 : « Contractions plus rapprochées (+/- 5 minutes), appuient fort sur le périnée. C’est David qui écrit, Marilyne n'a plus envie d’écrire et de parler. »
Je commence à perdre toute notion de réalité. Je parviens tout juste à dire à David de prévenir Rose que ça s’intensifie. À cette heure, les contractions commencent à être douloureuses et s’échelonnent toutes les 2/4 minutes.
1 h 20 : « Ok ! Je prends la route ! Si besoin m’appeler. »

Je demande à David de monter la piscine car l’intensité des contractions s’amplifient nettement. Pendant ce temps, je continue de marcher dans ma bulle, je vocalise pendant les contractions, un Ôoooom qui vient des profondeurs.
2 h 28 : « J’arrive dans une petite heure, j’espère que tout va bien ? »
« Elle gère. Je remplis la piscine »
« Super !! Elle peut aller dans l’eau dès que c’est prêt. »
J’ai découvert du sang en me déshabillant pour aller dans la piscine. Il ne m’inquiète pas, je sais à quoi cela correspond. Confirmation de Rose : « OK. C’est le col qui continue à s’ouvrir. Pas de soucis. »

La douleur est intense mais pas souffrance

Depuis un moment, j’ai demandé à David de m’appuyer sur le sacrum pendant les contractions. La pression m’aide beaucoup, je pousse de mon côté, si bien que l’appui est vraiment fort.
La piscine est prête, j'entre dans l’eau. L’effet est immédiat au contact de la chaleur. Je pousse un soupir de soulagement. Je m’assieds, c’est vraiment agréable. Tout mon corps se détend. Une contraction passe. Je me dis que si l’eau les apaise ainsi, ça va être chouette ! Bon, ne rêvons pas : elles reprennent vite de plus belle. À chacune, je me mets à genoux, appuyée sur le rebord de la piscine et David appuie fort sur mon sacrum ; des sons graves sortent instinctivement de ma bouche. La douleur devient intense mais elle n’est pas souffrance.
On avait beaucoup parlé de cette différence avec Rose : la douleur est une sensation, un ressenti que l'on peut graduer sur une échelle de valeur pour juger si elle est supportable tandis que la souffrance est une émotion difficilement compatible avec un accouchement dans de bonnes conditions. Cela peut parfois conduire à demander un transfert vers l'hôpital. Non, là je ne souffre pas même si la douleur est très intense, à la limite du supportable : en aucun cas je ne voudrais être à un autre endroit !

Entre chaque contraction, je me rassieds dans l’eau et goûte à la détente en ne pensant pas à la prochaine. David rajoute de l’eau chaude régulièrement. Elle provient d’une grosse bassine en alu posée sur le poêle. Les yeux fermés, je sens les vagues de chaleur à chaque versement. J’essaie de me concentrer dessus pour apaiser la douleur, tout du moins la ressentir de manière plus lointaine.
Très vite, l’intensité des contractions augmente énormément et m’arrache de véritables cris de douleur que je ne peux pas retenir.

Je n’entends ni ne vois arriver Rose mais de ma bulle, je ressens sa présence pourtant très discrète. David me chuchote « Rose est là ». Effectivement, je la sens s’accroupir devant moi et poser sa main sur mon bras. Je parviens à lui dire entre deux contractions que je n’ose pas lui demander de m’examiner de peur que l’avancée du travail ne le soit pas autant que je l’espère. Elle me murmure qu’au vu de mon état, la fin est proche. Il est 3 h 20.

Les contractions se rapprochent jusqu’à se suivre, pour certaines, sans interruption. Cette absence de répit est le plus dur à supporter. Tout mon corps est contracté, je ne parviens plus à trouver de la détente. Mon mantra est oublié, ne fonctionnant peut-être plus ? Je perds pied littéralement et supplie du répit, pour reprendre des forces. David est collé à moi, je lui broie les bras, je lui hurle dans les oreilles. Lui, imperturbable me parle doucement, m’encourage, me soutient. Il est mon pilier, mon ancrage dans la réalité.

Rose, très discrètement, s’active dans la pièce pour préparer tout le nécessaire à ton arrivée. Peut-être fait-elle autre chose en fait, je ne sais trop, depuis ma bulle tout paraît lointain …

Je me sens bien, entourée

Je supplie du répit, je sens que ça appuie très fort sur le périnée et surtout le rectum. Rose me dit que la poche des eaux fait pression, c’est elle que je sens. Je pousse un peu et elle se rompt. Malgré l’eau qui m’entoure, je sens le liquide s’écouler entre mes jambes. Il s’ensuit une très légère détente puis je ressens l’envie de pousser. Rose me dit d’y aller. Mon corps pousse ou alors c'est toi et je hurle en même temps. Je sens une pression de dingue sur mon périnée. Tout mon bassin est sous pression, c’en est presque affolant mais la fin est proche, le moment, unique et intense, je me raccroche à ces pensées. David est toujours là et me parle. J’ai un éclair de lucidité qui m’empêche de mordre le rebord de la piscine (gonflable !) sur lequel je m’appuie et m’accroche.
Je sens Rose derrière moi, elle observe, palpe, discrètement. Elle m’encourage tout en me laissant vivre le moment centrée, pleinement, avec David. Elle a ce don d’être présente sans intervenir. C’est dur à expliquer mais c’est une attitude tout simplement parfaite ! Malgré la douleur sans équivalent, je me sens bien, entourée de ces deux êtres en qui j’ai toute confiance : David pour sa proximité, sa chaleur, ses mots, son amour ; Rose pour sa douceur, sa discrétion, ses compétences, sa bienveillance.

Pas un seul instant, je me dis que je ne serais pas dans cette épreuve si je n’avais pas fait ma rebelle en choisissant d’accoucher chez moi et en refusant l’hôpital et son cortège d’interventionnisme, de bruits, de lumière, d’analgésie et tutti quanti. Je suis dans mon cocon, mon chez moi, dans le naturel et l’animal, et ça n’a pas de prix !

Des cris émanent de mon corps comme jamais, ils viennent du ventre, ils sont puissants, c’est incroyable de parvenir à sortir un son pareil ! Il est complètement soustrait à ma volonté, il est sauvage et instinctif.

Trois contractions accompagnées de trois poussées sortent ta petite tête. La détente annoncée après est infime. Rose m’informe qu’il reste les épaules. Dans mon état second, je pensais les avoir passées déjà… Je ne vais pas y arriver, je n’ai plus de forces, du moins j’en ai l’impression, je lui dis dans un souffle. La contraction arrive, c’est le moment, le dernier, l’ultime effort et ce sera terminé. Je rassemble le peu de force qu’il me reste et je pousse en criant ne pensant même pas à mon pauvre périnée qui pourrait se déchirer sous l’intensité de la poussée, à moins que ce ne soit déjà fait … J’avoue que l’état structurel de cette zone est le cadet de mes soucis sur le moment. Une épaule se dégage et le reste de ton petit corps glisse hors de moi, dans l’eau chaude et amniotisée de la piscine. Il est 3 h 53.

enki

Premiers regards

Voilà, tu es né Enki, dans l’eau, ce 23 janvier 2018 entouré de tes parents et de Rose, notre merveilleuse sage-femme. La naissance aquatique n’était pas particulièrement prévue mais il m’était impossible de sortir de l’eau avant l’expulsion, tétanisée de douleur que j’étais. Je ne me suis d’ailleurs même pas posé la question depuis le monde parallèle où mon esprit s'était retiré.
Rose t’attrape par derrière moi car je suis toujours appuyée contre le rebord de la piscine. Elle te pose délicatement sur mon dos et te couvre d'une serviette chaude.
Arrive le premier moment où je dois reprendre mes esprits et retrouver la réalité de façon consciente : je dois bouger, pour me retourner et t’attraper pour te serrer dans mes bras, enfin !

J’y parviens et je m’assois dans le fond de la piscine. Rose te dépose dans mes bras. Et là, la réalité, le concret ressurgit d’un seul coup et m’apparaît, ma bulle explose. Je l’ai fait ! Je l’ai fait ! J’y suis arrivée ! Je répète ces phrases dont j’ai souvent rêvé depuis des mois et je peine à réaliser que je viens de concrétiser un rêve de plusieurs années. David est tout ému, il est dans mon dos, je suis appuyée contre lui, je crois bien qu’il pleure. Il me parle, me félicite.
Je te découvre à la faible lueur des bougies et des flammes du poêle : premiers regards.

Deuxième moment crucial de retour à la réalité : sortir de la piscine dont l’eau n’est plus très claire …. Là, tout de suite sur le moment, je ne vois pas comment y parvenir et je l’avoue à Rose et David. Ils m’aident. Ne pas marcher sur le cordon ombilical qui te relie toujours à moi, ne pas glisser, ne pas te lâcher. C’est bon, j’ai recouvré tous mes esprits, le néocortex refonctionne ! Je m’affale sur le canapé. Il doit être 4 heures du matin environ.

Tu es sur moi, calme, les yeux ouverts. Les contractions reprennent, certes moins fortes que celles de l’accouchement mais après une telle épreuve, elles ne sont pas les bienvenues. Et je ne me sens pas à l'aise telle que je suis positionnée car j’ai l’impression de ne pas avoir de force pour pousser et expulser le placenta. Au bout d’un moment, voyant mon état, Rose me propose d’appuyer doucement sur mon ventre mais je ne supporte pas la sensation. J’essaie une position différente : je pose mon pied droit sur ma cuisse gauche, dans une position que l’on pourrait qualifier de yoguique ! Je me sens beaucoup mieux car l’appui de ma jambe me donne la force de pousser. Rose rigole en me disant que je ressemble à une statue grecque !!
Je pousse deux ou trois fois et le placenta sort. Aaahhh ! Quelle délivrance !!! Ce moment porte bien son nom car après la naissance, je n’ai pas senti cette libération. Rose l’examine, nous le montre ainsi que les membranes. Elle réajuste les alèses sous moi. Il doit être 4 h 30.

Un moment poétique, féerique

Le reste de la nuit est un moment suspendu que j’aurais aimé voir durer encore longtemps. C’est la nuit, le salon est juste éclairé par les bougies et le feu du poêle. Je suis allongée dans mon canapé, tu es tout contre moi en peau à peau. Tu dors paisiblement après ta première tétée. Rose examine mon périnée à la lumière de sa lampe frontale ; juste une éraillure alors que 4 kg 210 sont passés par là. Y’a pas à dire, quand la physiologie est respectée … Pas de point nécessaire, parfait !

Rose nettoie tes membranes, nous les décrit et nous les montre, David l’assiste. Ils sont au pied du canapé, devant la piscine. Je les observe faire l’impression de ton arbre de vie avec ton placenta. Le rendu est magnifique, on dirait une peinture « sanguine » et pour le coup, elle porterait bien son nom !! Ils confectionnent les petits tambours avec tes membranes. Deux avec l'externe, un avec l'interne. Les cerclages élaborés par ton papa sont parfaits. Ils fabriquent aussi un anneau de dentition avec un morceau de ton cordon et ils prélèvent un échantillon de ton placenta pour l’envoyer au laboratoire allemand qui préparera les granules homéopathiques et la teinture mère (le placenta contient les cellules souches du bébé. On peut ainsi en préparer des remèdes qui pourront être utilisés lors de rhumes ou maladies). Ce moment est très poétique, féerique, le calme après la tempête, le repos des guerriers savouré après une épreuve intense en émotions ; l’un de mes plus beaux souvenirs de cette aventure inoubliable.

Ce que je retiens de mon accouchement à domicile, c'est que je me suis enfin laissée aller à être moi-même, malgré l'intensité et la douleur. Comme le dit merveilleusement bien Anne Douchet Morin, ancienne sage-femme à domicile et désormais thérapeute de l'intime, « ce n'est pas parce que c'est dur et intense qu'il y a un problème ». C'était ce que je pensais avant, cet accouchement m'a fait prendre conscience que ce n'était qu'une croyance.

Il est 5 h 30 du matin, on discute tous les trois. Rose m’examine régulièrement pour surveiller la rétraction utérine et les grands frères descendent voir leur petit frère. Je ne parviens pas à dormir, j’ai les yeux rivés sur toi, calé contre moi. On restera en peau à peau jusque dans la soirée.
Je vois le jour se lever dans la même position depuis plusieurs heures. Je suis toute ankylosée mais je n’ose bouger de crainte de te réveiller.

Bienvenue en ce monde Enki, bienvenue à la lumière !!! Et merci pour cette expérience chamanique !

Maryline Salin