C'est un film puissant que le journaliste et réalisateur David Dufresne a livré sur grand écran avant le nouveau confinement. Il y questionne la légitimité de la violence policière et, plus largement, la légitimité du pouvoir.
« L'État revendique le monopole de la violence physique légitime. » C'est cette phrase du sociologue allemand Max Weber (1) qui constitue le fil conducteur du dernier documentaire de David Dufresne. « Avec elle, tu peux interroger l'État, la violence légitime, le monopole et, pour moi, le mot pivot : « revendique ». Si l'État revendique, c'est qu'il y a négociation », explique-t-il (2).
La Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 stipule que « la garantie des Droits de l'Homme et du Citoyen nécessite une force publique ». Une sorte de contrat social voudrait donc que la population française accepte de confier à l'État le maintien de l'ordre en contrepartie de sa sécurité. Une sécurité physique, mais aussi économique et sociale.
Dès lors qu'une des parties ne respecte plus le contrat, est-elle toujours légitime à exercer ? Autrement dit : puisque l'État français ne garantit plus son rôle notamment économique et social, ses prérogatives en matière de maintien de l'ordre sont-elles encore légitimes ? Qui plus est, lorsque sa violence s'exerce contre le peuple qui lui a donné son pouvoir ?
Dans « Un pays qui se tient sage », David Dufresne explore la question de cette légitimité, à travers le mouvement des Gilets jaunes qu'il a suivi et filmé dès le début. Il ajoute à ses propres images des vidéos tournées par des amateur·ices, souvent à l'aide de smartphones, qui lui avaient déjà permis de lancer des alertes sur des violences policières durant les manifestations, via son compte Twitter « Allo Place Beauvau ».
Ces images chocs viennent de toute la France : Paris, Rennes, Toulouse, Marseille… On y voit des CRS charger, des policiers frapper à l'aveugle devant des enfants, matraquer avec acharnement des civils à terre, mettre en joue des journalistes, mollester des personnes âgées… On voit des yeux en sang, des mains arrachées, des crânes saigner…
On voit des hommes en uniforme paniquer, sortir leur arme avant de se raviser, noyer les rues de gaz lacrymogènes, tirer au LBD, railler les manifestant·es…
Pour autant, le documentaire est-il uniquement à charge ? David Dufresne montre aussi des Gilets jaunes lancer des pierres, provoquer les « forces de l'ordre », se battre avec elles… Certes, souvent, le « hors champ », le contexte des images, manque. Mais David Dufresne donne toutefois la parole aux policiers. En effet, les séquences vidéos sont entrecoupées de conversations entre des anthropologues, historien·nes, sociologues, écrivain, victimes… et représentants de syndicats de police. Le réalisateur s'efface totalement derrière ce dispositif, en laissant à d'autres la parole.
Mais qu'on ne s'y trompe pas : il ne s'agit pas pour lui d'équilibrer le propos. « Ce n'est effectivement pas une recherche de neutralité, reconnaît-il (2). En matière de cinéma ou même de journalisme, la neutralité n'existe pas. Ou alors, elle serait coupable. En revanche, je crois en l'honnêteté intellectuelle. Je peux être très critique du travail des policiers, mais ressentir la curiosité de les entendre. »
Son but est avant tout de dénoncer les violences et de faire émerger dans le débat public les questions de légitimité de la police et, plus largement, de légitimité du pouvoir.
À travers des témoignages souvent poignants de victimes, le film est traversé aussi par la ritualisation de la violence, la lutte des classes, le racisme, l'acceptabilité sociale…
Son titre fait référence à la petite phrase d'un policier qui, filmant lui-même avec son smartphone de jeunes lycéen·nes que son escadron avait mis à genoux mains derrière la tête à Mantes-la-Jolie, avait lâché : « Voilà une classe qui se tient sage... »
Sorti le 30 septembre dernier, « Un pays qui se tient sage » sera à nouveau visible lorsque prendra fin le confinement. En attendant, la bande-annonce est visible ici : https://www.youtube.com/watch?v=FDCnWwan7IM
(1) Max Weber (1864-1920) : économiste et sociologue allemand.
(2) « Le contrôle démocratique de la police doit être enclenché », entretien avec David Dufresne réalisé par Manu Bichindaritz, publié dans le journal « l'Anticapitaliste » daté du 1er octobre 2020.