Benoît, qui vit dans le Cher, est un lecteur de (Re)bonds. Il nous parle de la bande dessinée racontant la victoire d'un peuple breton face à EDF et l'État, contre la construction de la centrale de production d'énergie nucléaire de Plogoff.
« Alors que je n'ai pu voir le film, récemment projeté lors du rassemblement organisé par « Sortir du Nucléaire » fin septembre à Saint-Amand-en-Puisaye (1), j'ai eu l'occasion de lire la bande dessinée « Plogoff » de Delphine Le Lay et Alexis Horellou (2). Elle relate les mêmes faits, les mêmes contradictions, les mêmes méthodes, la même lutte. Cette lutte d'il y a 40 ans qui semble toujours autant d'actualité.
Tout commence à l'été 1975 dans le port breton d'Audierne. Les habitants entendent parler d'un projet de centrale nucléaire à proximité de la Pointe du Raz. Des réunions sont organisées par EDF ; d'aimables locaux y prodiguent à foison des informations techniques assez compliquées pour être rassurantes. Elles sont encore nébuleuses : trois lieux seraient pressentis, alors que le maire n'a pas encore été mis au courant. Le programme nucléaire civil français, lancé par le Commissariat à l'Energie Atomique (CEA), s'accélère tout juste à la faveur du choc pétrolier. Autrement dit : la filière est encore récente et les voix dissonantes peu nombreuses. Malgré tout, la population bretonne choisit la méfiance et une première fête antinucléaire est organisée Baie des Trépassées. La population s'auto-forme sur le fonctionnement même d'une centrale, sur les autres projets nucléaires en France, sur les premières opérations d'EDF et les premiers blocages envisageables... Le projet semble alors ralentir.
Mais, alors que l'Amoco Cadiz s'éventre sur la côte bretonne (après avoir voulu, comme tous les autres pétroliers, économiser quelques dizaines de minutes de route en coupant au plus court et en ignorant tout respect et sens marin), le projet ressurgit discrètement à Plogoff : seuls deux sites sont désormais envisagés. Le choix semble fait mais il ne sera pas communiqué, peut-être pour tenter de diviser les opposants.
De même, le clivage entre habitants et élus locaux existe, les premiers reprochant aux seconds leur mollesse, les seconds rétorquant « action légale et mesurée ». EDF tente en vain de creuser celui-ci et c'est un des points marquants du livre.
En effet, les Bretons forment un bloc. J'ai plusieurs fois eu l'impression d'être à Groix entouré d'îlois, avec la solidarité contre vents et marées qui les caractérise. Le slogan est d'ailleurs tonné : « Faites travailler vos esprits et que Plogoff devienne une île ». Des barricades s'élèvent pour barrer les routes aux agents d'EDF puis, aux camionnettes appelées « mairies annexes » par l'État, abritant les registres de l'enquête publique, les vraies mairies ayant fermé leurs portes en signe de contestation. Bientôt, des compagnies de CRS et l'armée sont déployées. La réponse populaire s'organise : tous les jours, les habitants font le siège de ces camionnettes et fêtent, à « la messe de cinq heures », le départ des CRS par divers bons mots et jets de projectiles en tout genre.
La bande dessinée se termine par l'élection de François Mitterrand comme président de la République. Une de ses tardives promesses de campagne était d'abandonner le projet de Plogoff. Malgré sa teneur électoraliste, la promesse fut tenue ou plutôt délocalisée. En effet, le programme nucléaire n'a que faire de la politique et si le projet d'une centrale en Bretagne fut abandonné, François Mitterrand lança le chantier de onze autres réacteurs.
Aujourd'hui, on retrouve un schéma similaire : il existe une somme de critères, par définition politiques, comme les lieux, les technologies, l'acceptabilité... Mais EDF avance, qu'importe les populations. Pour preuve : les lieux des six prochains EPR2 sont connus depuis des années, les terrains achetés et le premier béton annoncé fin 2025. Qu'importe le résultat des prochaines élections. A n'en pas douter, l'État apportera son soutien à coup de compagnies de CRS et de persuasion.
D'ailleurs, le fait que les forces de l'ordre soient mobilisées pour des intérêts en partie privés m'interpelle.
Autre point commun avec la situation actuelle : lorsqu'un projet lié au nucléaire est engagé, les populations sont souvent mises devant le fait accompli. Malgré la constitution de Groupements Fonciers Agricoles (GFA) et la stratégie de prises de terre des militants, les terrains sont rachetés souvent discrètement.
Une des questions qui n'est pas traitée dans le livre et qui me paraît aujourd'hui essentielle : avant de définir comment produire, interrogeons-nous sur le « pourquoi » nous produisons. »
(1) Lire aussi la rubrique (Ré)acteurs.
(2) Sortie en 2013 aux éditions Delcourt.