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À mon ami « nuke »

« La solution la plus satisfaisante pour l’avenir des utilisations pacifiques de l’énergie atomique

serait de voir monter une nouvelle génération

qui aurait appris à s’accommoder de l’ignorance et de l’incertitude. »

Organisation Mondiale de la Santé, 1958 (1)

Le Noyer,
dimanche 4 octobre 2020

Très cher ami,

quel regret de ne pas t'avoir compté parmi nous le week-end dernier !

Je sais que tu goûtes peu les invitations du Réseau Sortir du Nucléaire. Et pourtant. Les mots qui ont été prononcés là-bas, à Saint-Amand-en-Puisaye, les actions qui y ont été décrites et envisagées, auraient forcément résonné en toi.

Toi qui es de toutes les luttes anticapitalistes.
Nous y avons parlé autonomie et autodétermination, exploitation des travailleur·ses, confiscation des ressources naturelles, défense d'intérêts privés par l’État, répression policière…
Avant de te connaître, je croyais qu'être anticapitaliste signifiait forcément être antinucléaire. Je sais désormais que non.

Tu entends lutter contre les inégalités économiques et sociales ? Je te parle de l'extraction d'uranium au Niger, d'exploitation et de mise en danger de la classe ouvrière à tous les niveaux de la filière, ici en France.

Tu espères une révolution sociale par les exploité·es eux·lles-mêmes ? Je te raconte la collaboration de classes, la dissimulation, la désinformation, la manipulation, les pressions, la répression...

Tu refuses la course à l'accumulation de richesses qui détruit l'environnement ? Je te réponds pollution de l'air, de l'eau, des sols.

Tu fais naître des coopératives immobilières, promeus la sortie de la propriété ? Regarde l'accaparement des terres à des fins politiques et économiques.

Tu appelles de tes vœux une société qui rompt avec tous les rapports de domination et de pouvoir ? Que fais-tu de l'expérience « d'acceptabilité sociale » (2) que mène ouvertement l’État dans le Nord Cotentin, à La Hague, dans le Grand Est ?

Et dans ta région ? Celle de la Loire.

Je sais ce que tu vas me rétorquer : le nucléaire est une énergie décarbonée qui peut être une précieuse alliée dans la lutte contre le réchauffement climatique ; et le développement des alternatives n'est pas suffisant pour fermer les centrales. Ces alternatives, parce que soumises aux mêmes lois du marché que le nucléaire, seront toujours empreintes des mêmes problématiques, des mêmes rapports sociaux.

Le nucléaire n'est pas une énergie décarbonée. Les données publiées par les lobbyistes ne tiennent jamais compte des émissions de gaz à effet de serre qui émanent de la construction des centrales et de toutes les infrastructures inhérentes à leur fonctionnement, encore moins des centaines de camions qui parcourent chaque année des milliers de kilomètres pour convoyer les matières d'un site à l'autre (3).

Et non, les militant·es anti-nucléaires ne réclament pas l'arrêt immédiat de toutes les centrales. Il·les réclament la décision de sortir du nucléaire. Cela permettrait notamment d'affecter des fonds suffisants en recherche et développement pour installer durablement d'autres modes de production d'énergie. Moins dangereux, moins coûteux, socialement plus justes et plus respectueux de l'environnement.

Ne tombons pas dans la caricature qui touche aussi si souvent ton courant de pensée et qui te taxe d'être contre le « progrès » !

C'est grâce à une convergence de luttes que nous pourrons établir d'autres rapports au monde, aux autres humain·es, aux autres êtres vivants...

Ami, reconnais-le : on ne peut sortir du capitalisme sans sortir du nucléaire.

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A Plogoff déjà, tous les éléments de la lutte

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Ce week-end était organisé par le collectif « Loire Vienne Zéro Nucléaire ». Il regroupe des associations qui agissent sur les territoires d'implantation des centrales de production d'électricité nucléaire (Chinon, Dampierre-en-Burly, Saint-Laurent-des-Eaux, Belleville-sur-Loire), dans les bassins de la Loire et de la Vienne (4).
L'objectif de cet événement : sensibiliser la population à la question des déchets nucléaires, faire le point sur les actions en cours et à venir, et permettre aux militant·es du réseau d'échanger.

La soirée du vendredi t'aurait plu. La salle principale du château de Saint-Amand-en-Puisaye, prêté par la mairie, s'est transformée en salle de cinéma. Première projection : « Le dossier Plogoff » réalisé par François Jacquemain. Tourné en 1980 en Bretagne, le film raconte le combat victorieux de tout un village contre la construction d'une centrale nucléaire sur le littoral.

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Déjà, tous les éléments de la lutte sont là : les mensonges d'EDF ; l'apparente démocratie avec un simulacre d'enquête publique ; le soulèvement inattendu d'une population considérée pourtant comme docile ; la réponse violente de l’État avec le déploiement de l'armée…
Pour contrer ce projet qu'il·les considéraient comme mortifère, les habitant·es de Plogoff ont dressé des barricades, se sont battu·es contre les forces de l'ordre à coups de lance-pierres, ont saboté les rondes de nuit des militaires… Mais il·les ont aussi tenté la voie juridique et politique, et surtout, les Breton·nes ont proposé un projet alternatif baptisé « Alter », pour l'autonomie énergétique de leur région. Un projet local et autodéterminé. Comment l’État, qui haie les « séparatismes » aurait-il pu accepter ?
Le projet de la centrale fut abandonné lorsque François Mitterrand arriva au pouvoir en 1981. Pour se faire élire, il s'était allié aux écologistes en leur promettant monts et merveilles. L'homme n'étant pas à une trahison près, il poursuivra finalement le programme nucléaire civil français (5).

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Des travailleurs exploités

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Le second film, du même réalisateur, abordait la question du nucléaire sous un angle rarement traité : la question sociale.
« Condamnés à réussir » a été tourné en 1976 à La Hague, avec la collaboration d'ouvriers syndiqués de la CFDT. A l'époque, le site était géré par le Commissariat à l'Energie Atomique (CEA) et visait à produire du plutonium. Les spectateur·ices ont suivi le quotidien d'un travailleur, dans sa zone d'habillage, de maintenance, chez le médecin, auprès de ses collègues…
Le film parle surtout des conditions de travail du personnel de la centrale. Je suis saisie : j'ai l'impression d'avoir eu la même conversation 40 ans plus tard avec des ouvriers de Belleville-sur-Loire. Infrastructures inadaptées ; moyens de protection insuffisants ; manque de formation du personnel non permanent ; différence de statuts entre les salariés de l'exploitant et ceux qu'on appellerait aujourd'hui des intérimaires ; pression sur les travailleurs ; méconnaissance des populations de ce qui se fait réellement dans l'usine…

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Et déjà, en filigrane, la question de la gestion des déchets et celle de la condamnation de toute une région, le nord du Cotentin…

Une militante anti-nucléaire m'a dit un jour que si cette lutte était aussi compliquée aujourd'hui, c'est parce qu'elle avait toujours échoué par le passé.
Certes, Plogoff n'a pas vu le jour, mais jusqu'à 58 réacteurs ont été en activité en France. Certes, la mobilisation anti-nucléaire a permis l'abandon du projet de piscine de déchets à Belleville-sur-Loire, mais le site sera sans doute construit à La Hague.
Comment, alors, parvenir à se mobiliser ? A prendre les demi-victoires pour des encouragements ? Tu le sais bien, toi qui luttes contre le capitalisme malgré ses indéniables avancées et stratégies d'évitement. Le mal est fait mais il nous appartient de panser les blessures et de l'empêcher de nuire à nouveau.

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Un réseau de préleveur·ses volontaires

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Des habitant·es des régions nucléarisées ont choisi une tactique qui porte aujourd'hui ses fruits. Il·les sont devenu·es des préleveur·ses. Samedi 26 septembre à Saint-Amand-en-Puisaye, Jean-Yves Busson, membre de SDN 49, a présenté leurs objectifs : « surveiller la radioactivité de la Loire et de la Vienne, dans les eaux brutes mais aussi l'eau potable ; se former à la connaissance des pollutions des cours d'eau ; informer la population consommatrice de ce réseau et le grand public ; être des lanceurs d'alerte sur les anomalies constatées. »
Les préleveur·ses (un·e à cinq par site) sont formé·es par l'ACRO, Association pour le Contrôle de la Radioactivité dans l'Ouest (6).
Créée en 1986 par un millier de personnes après la catastrophe de Tchernobyl, elle entend pallier la carence d'information et de contrôles de la radioactivité (7). Structure indépendante, elle est toutefois agréée par la préfecture du Calvados. Ses missions sont de faire connaître les niveaux de radioactivité dans l'environnement, mais aussi de favoriser la démocratie participative dans les choix technologiques et scientifiques qui sont opérés dans le domaine du nucléaire. Elle est dotée d'un laboratoire de mesures de la radioactivité agréées par l'ASN (Autorité de Sûreté Nucléaire), et anime l'Observatoire Citoyen de la Radioactivité dans l'Environnement qui implique les riverain·nes des sites dans la surveillance des niveaux de radioactivité autour de chez eux·les.
Depuis trois ans, l'ACRO a étendu son activité à la Loire et la Vienne, grâce à un réseau de volontaires.

Le principal radioélément retrouvé dans les eaux de ces deux fleuves est le tritium, hydrogène radioactif rejeté par les centrales nucléaires. Il est retrouvé aussi dans les eaux dites de consommation.
Pour faire fonctionner une centrale, EDF extrait de l'eau des fleuves ou de la mer, l'utilise pour refroidir les circuits de son infrastructure, puis la rejète. Pour cela, l'exploitant fait une Demande d'Autorisation de Rejet et de Prélèvement des Eaux (DARPE) auprès de l'ASN. Il la renouvelle tous les dix ans.

Depuis la loi sur la Transparence et la Sûreté Nucléaire (TSN) de 2006, on sait que 200 millions de m³ d'eau sont prélevés chaque année. Les rejets autorisés dans l'atmosphère peuvent être des gaz rares ; dans l'eau, il s'agit de tritium, de carbone, d'iode par exemple, mais aussi de produits chimiques.
La DARPE donne normalement lieu à une enquête publique mais, comme l'a souligné Dominique Boutin, membre du Réseau Sortir du Nucléaire, le dossier d'un millier de pages environ est « illisible » et truffé de « vocabulaire incompréhensible » pour les citoyen·nes.

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Des taux élevés de tritium dans la Loire

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Le 21 janvier 2019, un prélèvement est effectué par les volontaires du réseau ACRO à Saumur, en aval de la centrale de Chinon. L'analyse effectuée en mai révèle que la concentration en tritium dans la Loire atteignait 310 béquerels par litre, alors que le seuil autorisé par l'Union européenne est de 100 béquerels par litre.
En juin, le collectif « Loire Vienne Zéro Nucléaire » et l'ACRO alertent les autorités et demandent une enquête. L'ASN reconnaît « une valeur plus élevée qu'à l'ordinaire » mais assure qu'il n'y a « pas de conséquences pour les personnes et l'environnement ». L'IRSN (Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire) déclare toutefois que l'origine de ce niveau « inhabituel » doit être « recherché ».

Proviendrait-il d'un rejet exceptionnel, par exemple de la centrale de Chinon ? EDF n'en a déclaré aucun. Une autre source de tritium ? L'IRSN répond qu'aucun autre émetteur potentiel n'existe entre Chinon et Saumur. Un mauvais « mélange » ? L'IRSN penche plutôt pour un problème de méthodologie. Les préleveur·ses ne prélèveraient pas dans la bonne zone, celle dite de « bon mélange ».
En matière de rejet, la filière nucléaire compte sur une sorte de brassage : pour abaisser les teneurs en tritium et autres polluants, elle mise sur le pouvoir du fleuve à les diluer. On comprend dès lors que selon les endroits où les prélèvements sont effectués, les taux varient. « Il y a un vide juridique, souligne Jean-Yves Busson. Parce que les zones de mélange sont impossible à définir. A Civeaux, elle ferait six kilomètres de long, au Bugey douze, entre Chinon et Saumur environ vingt... » Les militant·es dénoncent le fait que les stations de mesure d'EDF se trouvent sur des zones qui l'arrange.

Officiellement, l'IRSN parle de problèmes de méthodologie. Pour David Boilley, président de l'ACRO, « ce ne sont pas les prélèvements qui doivent être remis en cause, mais la modélisation effectuée par l’IRSN et la surveillance effectuée par EDF ».

Le 18 février 2020, le collectif « Loire Vienne Zéro Nucléaire », accompagné par le Réseau Sortir du Nucléaire, France Nature Environnement Pays-de-la-Loire et La Sauvegarde de l’Anjou ont porté plainte contre EDF et contre X pour pollution des eaux, risques causés à autrui et infractions à la réglementation des installations nucléaires de base. (8) Cette plainte est toujours en cours d'instruction auprès du Tribunal de Grande Instance de Paris.

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Un risque sur l'eau potable

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Peut-être plus grave encore, le tritium se retrouve dans l'eau potable. L'ACRO n'invente rien : elle a compilé les données fournies par le ministère de la Santé en 2016 et 2017. Résultats ? Si aucune valeur ne dépasse le seuil de 100 béquerels par litre, près de 270 communes sont concernées par la présence de tritium dans l'eau potable, soit 6,4 millions de personnes. Le long de la Loire, « de grandes agglomérations sont [notamment] concernées : Orléans, Blois, Tours, Angers, Nantes », peut-on lire sur le site de l'ACRO (9).

Pour l'association, « le tritium est un « lanceur d’alerte » : en cas d’accident grave sur une des centrales nucléaires sur la Seine, la Vienne ou la Loire, il n’y aura pas que le tritium rejeté et ce sont des millions de personnes qui risquent d’être privées d’eau potable. Comment les autorités vont-elles faire pour assurer les besoins vitaux de ces personnes ? Aucun plan n’est disponible pour le moment. L’ACRO demande que la pollution radioactive soit prise en compte dans les plans « ORSEC eau potable » qui doivent être établis pour le 31 décembre 2020 au plus tard et qu’ils fassent l’objet d’une consultation du public. L'association demande également que les mesures soient plus fréquentes, quel que soit le nombre de personnes desservies (les grandes villes bénéficient de plus de mesures que les villages).

Quels sont les effets du tritium sur l'environnement et sur la santé des personnes qui l'ingèrent ? Sur la base d'études scientifiques contradictoires, militant·es anti-nucléaires et ASN sont en désaccord. Mais le livre blanc publié par l'ASN sur le sujet montre que ses positions évoluent et qu'elle prône un approfondissement de la recherche en la matière (10).

Le nucléaire ne laisse pas seulement des traces dans l'eau. Il colonise la surface de la terre, les sols et les sous-sols. A contrario, il efface les traces mémorielles. Selon une logique économique, mais aussi politique, implacable. C'est ce que raconte Isabelle Masson, dans son très beau film « Un héritage empoisonné », diffusé à la fin de la deuxième journée du rassemblement à Saint-Amand-en-Puisaye.

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Des déchets tombés dans l'oubli

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Mon ami anticapitaliste, te souviens-tu de nos ami·es commun·es ? Ceux·les que tu appelles « camarades » ? À Bure et Mandres-en-Barois, dans l'est de la France, il·les se battent contre CIGÉO (Centre Industriel de stockage GÉOlogique), un projet d'enfouissement des déchets hautement radioactifs et à durée de vie longue (11).  Il·les se battent contre un site dangereux et contre la condamnation à mort de toute une région.

Isabelle Masson est allée à la rencontre de ses habitant·es. Le point de départ de son film : les vestiges de la Première Guerre mondiale qui maltraitent encore les sols de la Meuse. Bombes et obus continuent en effet de polluer les terres, l'eau et parfois, blessent ceux·les qui les trouvent. L’État vient d'interdire à certains paysans de cultiver leurs terres, à cause des risques de contamination.
A la fin de la guerre, des opérations de démantèlement et de retraitement avaient bien eu lieu : un véritable commerce, au sein d'usines polluantes, dans lesquelles les ouvriers étaient non seulement surexposés mais aussi surexploités. Progressivement, les déchets sont tombés dans l'oubli.
C'est le même territoire qui a été choisi pour CIGÉO. Comment ne pas faire le parallèle ? Il n'aura pas fallu un siècle pour « perdre » les vestiges de la guerre de vue. Qu'en sera-t-il des déchets nucléaires une fois enfouis en profondeur ?

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Un laboratoire pour étudier le consentement des populations

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L'ANDRA, l'Agence Nationale pour la gestion des Déchets RAdioactifs, véritable agence de communication de la filière nucléaire, vante les qualités géologiques du sol de la région. Mais au téléphone, un de ses cadres avoue à Isabelle Masson : la faible densité de population sur le territoire a lourdement pesé dans le choix du site comme facteur d'acceptabilité sociale.
En effet, ce qui se joue dans la Meuse n'est pas seulement une bataille entre « pro » et « anti » nucléaires. Nos ami·es commun·es se battent contre « un laboratoire social où s'expérimente le consentement des populations », comme l'écrivent Gaspard d'Allens et Andrea Fuori dans leur ouvrage « Bure, la bataille du nucléaire » (12).

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Dans la Meuse, pour protéger ce qui n'est pour l'instant qu'un laboratoire de recherches, la zone se militarise. La répression des opposant·es au projet a été sans précédent en France, comme l'a montré une enquête réalisée par Reporterre et Médiapart en mai 2020 (13) : surveillance massive, droits bafoués, justice politique… Une telle réaction de la part de l’État ne peut s'expliquer uniquement par la volonté de voir sortir de terre un projet industriel, aussi stratégique soit-il. « Ce site n'a pas été choisi pour des questions géologiques mais pour des questions politiques, d'acceptabilité sociale, insiste Louise, militante à Bure, présente également à Saint-Amand-en-Puisaye. L'important pour l'ANDRA, c'est d'entretenir un imaginaire, pas forcément de construire le site. Faire croire que la filière nucléaire a une solution aux déchets et donc, qu'on peut continuer avec le nucléaire. C'est ça, le véritable enjeu. »

Pas question de changer de braquet. Aucune intention de changer le fonctionnement de la filière. Ni d'investir sérieusement dans les alternatives. Regarde : nous produisons, nous enterrons, nous oublions. Nous nous persuadons que tout ira bien. Et nous fuyons. Encore et encore.

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Dans toutes les consciences...

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Pire. Nous abdiquons. Nous sacrifions ce qui nous reste de libertés et de pouvoir d'autodétermination. De la même manière que la Fondation EDF noyaute l'Education nationale et les rendez-vous socio-culturels de la région de Belleville-sur-Loire où nous vivons toi et moi, l'ANDRA s'installe dans les consciences des habitant·es de la Meuse. Elle débourse chaque année des millions d'euros pour sponsoriser les projets des établissements scolaires, les places, les lampadaires, les salles des fêtes, les événements de tous genres… Via les visites des écolier·es, elle s'immisce dans la tête des nouvelles générations. « Voyez comme tout est sous contrôle. Pas de problème », leur susurre-t-elle à l'oreille. Pourquoi, dès lors, se questionneraient-il·les ? Pourquoi, une fois devenu·es adultes, se rebelleraient-il·les ?

D'autant que la filière nucléaire offre des emplois. Partout dans la région, alors même que la Demande d'Autorisation de Création (DAC) de CIGÉO ne sera pas déposée avant un an, des entreprises et des chantiers en lien avec le projet se multiplient : ici, une plate-forme de déchets ; là, un centre de stockage de pièces issues des carénages (14) ; là-bas l'élargissement de la voie ferrée et la construction d'une route pour les camions ; plus loin encore, une entreprise testant le funiculaire qui emportera les « colis » sous la terre…

Création coordination

La démocratie n'a qu'à bien se tenir, mon ami. Sais-tu que la Déclaration d'Utilité Publique (DUP) qui permet les expropriations pour l'acquisition du foncier, vient toujours avant l'autorisation d'exploiter ? Oui, tu le sais, puisque tu t'es battu sur la ZAD de Notre-Dame-des-Landes. Là-bas, des paysan·nes ont été exproprié·es par l’État pour Vinci, des habitant·es obligé·es de quitter leur région, alors que l'aéroport ne verra jamais le jour…
A Bure, la DUP a été déposée en août dernier. Même l'IRSN n'était pas au courant et a avoué l'avoir appris dans le Figaro (15). Elle sera instruite durant environ un an, avec une enquête publique. Si le ministère de l'Environnement dit « oui », une demande officielle pour la création de CIGÉO sera déposée auprès du Parlement. En attendant, la DUP permettra de débuter les travaux préliminaires, le bal des camions débutera en Meuse, le sol sera à nouveau meurtri. Oui, même si l'on n'est pas sûr que le Parlement valide la création du site… C'est ainsi que l'on tient compte des voix du peuple.

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Les deux branches d'un même arbre

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De la même manière que tu n'as pas l'intention de renoncer face au capitalisme, les militant·es anti-nucléaires réuni·es à Saint-Amand-en-Puisaye n'ont pas l'intention de renoncer. Ni face à l’État, ni face à EDF et aux autres protagonistes de la filière. Dimanche 27 septembre, il·les ont travaillé à de nouvelles pistes d'actions (lire en encadré). Ce week-end passé ensemble les a renforcés. Les mobilisations vont se poursuivre, de La Hague à Bure. Les modes de résistance vont se multiplier.

Très cher ami,
nos combats ont les mêmes racines et sont les deux branches d'un même arbre. Pense au Bois Lejuc comme tu as pensé à la Forêt de Rohanne. Viens baigner tes pieds dans l'eau de la Loire. Lève les yeux vers les « cheminées » de Belleville et dis-moi...

On ne peut sortir du capitalisme sans sortir du nucléaire.

 

Fanny Lancelin

 

(1) Extrait de « Questions de santé mentale que pose l’utilisation de l’énergie atomique à des fins pacifiques », rapport technique n° 151, OMS, Genève, 1958.
(2) Acceptabilité sociale : résultat d’un jugement collectif à l’égard d’un projet, d’un plan ou d’une politique. La recherche sur cette notion et sa possible définition est très dynamique au Québec. Voir le site https://www.quebec.ca/gouv/politiques-orientations/acceptabilite-sociale/
(3) Voir la courte infographie animée « Nucléaire : de la mine aux déchets, tou·tes concerné·es » : https://www.youtube.com/watch?v=IwqSgjxeTFQ
(4) S'y retrouvent : Sortir Du Nucléaire (SDN) 49, SDN 72, SDN 41, SDN Touraine, SDN Berry Giennois Puisaye, CSDN 79, SDN Pays Nantais, Stop Bure 41, le Collectif Alarme Nucléaire Orléanais, l'ACIRAD Centre, le comité Centrales, ACEVE, GSIEN Poitiers.
(5) Lire « Comment a-t-on nucléarisé le pays ? », (Re)bonds n°11 : http://rebonds.net/11-des-habitants-du-cher-antinucleaires/406-commentatonnucleariselepays
(6) ACRO : https://www.acro.eu.org
(7) Les notions de base de la radioactivité : https://www.acro.eu.org/notions-de-base-de-radioactivite/
(8) Le dépôt de plainte est consultable ici : https://www.sortirdunucleaire.org/Saumur-tritium
(9) https://www.acro.eu.org/tritiumeaupotable/
(10) https://www.asn.fr/sites/tritium/
(11) Lire « De Belleville à Bure, à vol de chouette... », (Re)bonds n°11 : http://rebonds.net/11-des-habitants-du-cher-antinucleaires/405-debellevilleabureavoldechouette
(12) Lire la chronique du livre dans (Re)bonds n°11 : http://rebonds.net/11-des-habitants-du-cher-antinucleaires/56-recreations/408-burelabatailledunucleaire
(13) https://reporterre.net/Les-antinucleaires-de-Bure-face-a-la-justice-l-enquete-de-Reporterre-et-Mediapart
(14) Carénage : désigne les travaux de renforcement des installations nucléaires françaises, visant à prolonger la durée de vie des centrales de production d'électricité.
(15) https://www.lefigaro.fr/flash-eco/dechets-nucleaires-demande-de-declaration-d-utilite-publique-pour-le-site-de-bure-20200910

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