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Richard Thor : de l’exil au festival hmong à Aubigny

La collecte de témoignages est indispensable pour nourrir les recherches d’une compagnie pendant une résidence de création. Avec des comédiennes de la Compagnie Poupées Russes (lire aussi la rubrique (Ré)acteurs), Chiara Scordato et Danilo Proietti ont rencontré Richard Thor, conseiller municipal de la ville d'Aubigny-sur-Nère et président de l'association hmong d'Aubigny-sur-Nère et de l'Union des associations hmong de France. Il témoigne de son exil.

 

Richard Thor nous accueille dans sa maison (un bâtiment ayant appartenu à EDF) qu'il partage avec son frère, chacun habitant un étage différent. L'immense salon, avec ses grandes fenêtres, fait penser à une école. Les murs sont tapissés de photos encadrées : des figures politiques hmong et thaïlandaises ; Yves Fromion (ancien maire d'Aubigny et député), Laurence Renier (actuelle maire), et le conseil municipal actuel ; Richard Thor avec son épouse et ses enfants. En plus des photos, de nombreux et gigantesques éventails thaïlandais, des chapeaux et objets de la culture hmong, avec leur couleurs foisonnantes, décorent le grand espace.

Richard commence à raconter. Quand les américains ont perdu la guerre (lire aussi la rubrique (Re)visiter), les hmong ont été perçu·es comme des ennemi·es dans leur propre pays. Son père avait combattu dans l'artillerie américaine, ce qui l’obligeait à s’exiler : en effet, il aurait été l’un des premiers visés par le nouveau gouvernement communiste. Les oncles de Richard ont décidé de rester, notamment pour des raisons de santé.
Quand Richard a quitté le Laos, il avait 14 ans : il était le plus jeune de sa famille ; trop petit pour travailler la terre, il avait été envoyé dès l'âge de 8 ans en ville pour fréquenter l'école et il ne rentrait à la maison qu'une fois par an, car la distance entre son village et la ville était trop grande.

Du camp de réfugié·es à la France

En mars 1975, la décision de partir a été prise très rapidement. Peu d’effets personnels : un sac de riz et quelques vêtements. Le groupe avec lequel est parti Richard comptait une quarantaine de personnes. Le voyage dans la jungle a duré quatre mois. Il·les marchaient sans arrêt, pieds nus, avec la peur au ventre de croiser des milices.
Destination les camps de réfugié·es de la Thaïlande. Pour trouver la route, il·les étaient obligé·es de payer un passeur. Une fois arrivé·es à la frontière, tous les biens étaient confisqués. Richard se rappelle encore qu'il a dû se séparer d'une ceinture américaine achetée lorsqu’il allait à l’école en ville, en échange d'un poulet. Son père a marché les derniers kilomètres sur les genoux, tellement ses pieds lui faisaient mal.
Arrivé dans le camp, le groupe s'est dispersé. Richard reverra nombre d'entre eux seulement 30 ans plus tard, lors d'un voyage en Thaïlande. Pour sa famille, la situation n'était pas facile : il·les vivaient à six ou sept dans 15 m2. L'abri était improvisé avec du bois de la forêt. Dans le camp, il y avait une école que Richard fréquentait, mais ses frères et sœurs s'ennuyaient. Les rations de nourriture de l'aide internationale n'étaient pas suffisantes pour résister dans ces conditions : 1 kg de riz et 500 g de viande par jour pour sept personnes. Au bout de six mois, en mars 1977, ils décidèrent de quitter la Thaïlande.

« Qu'est-ce qu'on fait là ? »

C'est Jacques Lemoine (1) qui a aidé Richard et sa famille à venir en France.
Un avion les a amené·es à Paris. L’aéroport était un lieu étrange pour eux·les, beaucoup de personnes couraient dans tous les sens. Les volontaires de la Croix Rouge les ont accueilli·es et amené·es dans un bâtiment où ils ont passé leur première nuit en France. Une question les assaillait alors : « Mais qu'est-ce qu'on fait là ? »...
Richard est arrivé à Aubigny-sur-Nère en 1978. A 19 ans, il s'est marié avec Sandrine, une copine d'enfance perdue de vue, puis incroyablement retrouvée en France. Il s'est formé comme tourneur et a trouvé un poste dans l'entreprise Berthelot où il travaille encore et ce, depuis plus de 30 ans.
Son père, quant à lui, ne s’est jamais remis de l'expérience de l'exil. Tombé malade, il dût partir à Montpellier quatre mois pour se faire soigner. Les visites furent difficiles et le sentiment d'isolement mêlé aux problèmes de santé fut une nouvelle épreuve pour lui. Il décéda d'une septicémie causée par une appendicite.

 

 

Favoriser les relations franco-hmong

En 1986, est née la première association hmong d'Aubigny-sur-Nère : Richard faisait partie des jeunes hmong qui souhaitaient s'investir dans la vie associative. « Après tout ce que nous avions traversé, nous étions un peu perdus, nous avions besoin d'un espace pour nous retrouver », explique-t-il. Le but était donc de se retrouver entre hmong, de mieux apprendre le français avec les plus expérimenté·es mais aussi de ne pas oublier ses propres origines.

En 2008, Yves Fromion, alors maire d'Aubigny-sur-Nère, a proposé à Richard d'entrer dans le conseil municipal. A l'époque, il y avait une communauté hmong de plus de 300 personnes à Aubigny. Pour Yves Fromion, il était évident qu' il·les soient représenté·es au sein du conseil. Richard a accepté, notamment pour favoriser les relations franco-hmong. A partir de cette année-là, fêter le nouvel an hmong est devenu une tradition ouverte aux français·es.
Quelques années plus tard, en 2010, s'est également constituée l'Union des associations hmong de France, dont Richard Thor a été le président pour deux mandats consécutifs. Le but de l'Union est d’organiser des moments de rencontre de toute la communauté hmong en France. Aubigny, avec sa position centrale, est le lieu idéal pour les recevoir.

Le festival hmong a été créé en 2015, pour marquer les 40 ans de l'arrivée des hmong en France. Depuis, ce festival a lieu chaque année. « Sauf en 2020, à cause de la crise sanitaire, et en 2018, pour faire une petite pause et éviter l'essoufflement des bénévoles qui l'organisent et qui viennent depuis les quatre coins de France », précise Richard. Toutes les générations s’y côtoient : pour les jeunes comme pour les plus âgé·es, c'est un moment convivial unique et de partage avec tous·tes, hmong et français·es réuni·es.

Un travail de mémoire

Malgré l’énorme changement de vie et de culture, Richard Thor ne regrette pas d'avoir quitté le Laos. Il s'estime heureux d'être parti et d'avoir connu les pays occidentaux. Il est très reconnaissant envers la France et les français. Il a travaillé dur pour assurer à ses enfants un avenir meilleur, surtout pour leur permettre de faire des études. Il·les ont pu voyager aussi aux États-Unis, chez des membres de sa famille. Richard s'est complètement intégré dans son pays d'accueil, il est aussi engagé dans la politique locale, avec un travail de mémoire pour que la communauté hmong reste vivante. Son mandat à l'Union se termine en 2022 et il ne souhaite pas le renouveler, mais il sait que d'autres prendront certainement la relève.

Texte : Chiara Scordato
Vidéo : Danilo Proietti


(1) Jacques Lemoine est docteur en ethnologie, spécialiste des populations taïes et miao-yao de la Chine du Sud, du Vietnam, du Laos et de la Thaïlande, et des courants rédemptoristes du Taoïsme méridional (Meishan, Lüshan) chez les Han et les divers peuples non han de la Chine méridionale. Chercheur retraité du CNRS, il fut fondateur et directeur du Centre d'Anthropologie de la Chine du Sud et de la Péninsule Indochinoise. Il a commencé ses recherches sur les hmong en 1960 dans la province de Xieng Khouang au Laos. Il a publié plusieurs ouvrages sur les hmong dont « Parlons (h)mong - langue et culture » (édition L'Harmattan) : https://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=livre&no=41337