Les Colleur·euse·s (1) est un collectif anonyme de collages féministes qui intervient à Bourges depuis 2019. Il se compose d’une vingtaine de bénévoles. Son but est de lutter contre les violences sexistes et sexuelles, patriarcales, racistes, ainsi que les féminicides. Il agit en mixité choisie, c'est-à-dire que ses membres se retrouvent entre femmes et minorités de genre.
A travers leurs actions, les Colleur·euse·s souhaitent se réapproprier l'espace public dont l'accès leur est souvent refusé ou hostile. Il·les se le réapproprient dans un moment habituellement dangereux pour eux·les : la nuit. C'est ainsi qu'il·les ont réalisé leur collage intitulé « Les femmes reprennent les rues », à l’occasion de la journée internationale des droits des femmes, le 8 mars 2021. Pour cette action, il·les se sont retrouvé·e·s en pleine nuit le 7 mars 2021, pour renommer 32 rues de Bourges, avec des noms de femmes plus ou moins connues.
L'association Leslouise (lire aussi la rubrique (Ré)actrices) a eu l’idée d’organiser une visite guidée des rues renommées, afin de visibiliser cette action et surtout, de mettre en valeur l’histoire de ces femmes. Cet événement a reçu le soutien de la section locale du Parti Communiste, de l'association Ki-6-Col, du groupe local de l'Union Communiste Libertaire, des Jeunes communistes du Cher et du syndicat CGT.
La visite a débuté sur la place Cujas, une des places centrales de Bourges, par un dimanche après-midi froid mais ensoleillé. Le groupe de visiteur·se·s était tellement important que les organisat·eur·rice·s ont été obligé·e·s de le diviser en trois !
Certes, au fil de la visite, les participant·e·s retrouvaient des pionnières du féminisme comme Rosa Luxembourg, George Sand ou Angela Davis, mais aussi beaucoup de femmes absolument méconnues du passé comme, par exemple, Ada Lovelace, mathématicienne qui a créé le premier programme informatique au XIXe siècle. Ou encore, des personnages contemporains extrêmement intéressants comme Brigitta Jónsdóttir, Chimamanda Ngozi Adichie, Sólveig Anspach...
Comment les Colleur·se·s ont-il·les fait leur choix ? « Au début, on essayait de choisir des femmes dont la profession se rapprochait de celle des personnages des rues actuelles, explique Arlette, une des guides (2). Après, on avait envie de mettre des femmes qui nous tenaient particulièrement à cœur...ça a été un effort de groupe : moi j’en ai choisies certaines, d’autres sont le choix de mes collègues. On a aussi fait attention à l'inclusivité, pour ne pas avoir seulement des femmes blanches et européennes... »
Les collages sont systématiquement et promptement effacés par les services de nettoyage des rues de la ville. C'est pourquoi, pour restituer toute la richesse de ces portraits ainsi que pour pérenniser cette action, nous avons réalisé une carte interactive. Dans cette carte, il est possible de se balader dans les rues d’une Bourges devenue féministe, où tous les anciens noms de rues ont disparu et où figurent, à leur place, 32 noms de femmes « incroyables et inspirantes ». Pour chacune d'entre elles, un texte écrit par les Colleur·euse·s permet de les rencontrer virtuellement.
Le moyen d'action habituel des Colleur·se·s est le collage de lettres. Les collages féministes sont de plus en plus présents un peu partout : il s’agit d’une véritable manière de lutter qui cherche à avoir un impact sur les passant·e·s.
Laura (2) raconte : « Coller de grosses lettres noires sur fond blanc permet de mettre les gens face à un message, une revendication, et de ne pas leur laisser le choix. Ainsi, on rend visible ce que la plupart des gens ne voient pas ou ne cherchent pas à voir. Lorsqu'on a en face de soi un énorme message dénonçant quelque chose, criant une vérité, on peut difficilement l'ignorer. On peut passer à côté, mais impossible de ne pas le lire. En investissant l'espace public de cette façon, on donne une importance à des sujets que la société et l’Etat essaient sans cesse de passer sous silence. »
Elles ont déjà réalisé plusieurs collages de ce type à Bourges. « Les femmes reprennent les rues » a été leur dernière intervention en ville. Depuis la pandémie, il est plus difficile d’en réaliser à cause du renforcement des contrôles policiers. Cependant, nombre d’entre eux·les participent à d'autres manifestations (3).
Laura explique leur choix de se retrouver en mixité choisie : « Nous estimons qu’on ne peut pas se sentir en sécurité, ni se libérer d’une oppression accompagné·e·s de ceux qui représentent cette oppression, ce danger. [...] Nous préférons cette mixité choisie, car nous ne sommes qu’entre personnes qui comprennent nos inquiétudes, nos peurs, nos vécus ». Que répond-elle à ceux·les qui objectent que tous les hommes ne sont pas des oppresseurs ? « Très peu d’hommes peuvent partager notre vécu et aucun d’entre eux ne peut prétendre vivre les mêmes oppressions que nous. De plus, les autoriser à venir coller avec nous, ce serait leur donner un énième espace d’expression, un énième moment privilégié pour s’imposer dans l’espace public. Ensuite, tous les hommes ne sont pas des oppresseurs certes, mais il y en a assez pour qu’on ait peur. Assez pour qu’on apprennent tou·te·s à surveiller nos verres, surveiller les mains dans le métro, être en vigilance constante dans la rue, dans les parkings, et se méfier de chaque homme, même du plus gentil. Pas tous les hommes, mais assez pour tuer 50.000 femmes en un an (4) ».
Quel bilan tirent les Colleur·se·s de la visite organisée à Bourges ? « A notre grande surprise, l’action a été très bien accueillie par le public, plusieurs personnes nous ont remercié·e·s et nous ont dit avoir appris plein de choses. Nous aimerions reconduire l'expérience avec grand plaisir ! »
Texte et carte : Chiara Scordato
Vidéo : Danilo Proietti
(1) colle > collages > colleur·euse·s
(2) Tous les prénoms des Colleur·euse·s ont été changés pour préserver leur identité, les actions du collectif étant parfois considérées comme illégales.
(3) https://www.instagram.com/collages_feministes_bourges
(4) Chiffres de 2017 de l’ONU-femmes : https://www.unwomen.org/fr.