Avec les « bassines » (lire la rubrique (Ré)acteur·ices), les habitant·es des Deux-Sèvres n'en sont pas à leur première lutte : cette bande dessinée rappelle comment il·les mirent en échec un projet d'enfouissement de déchets nucléaires. Grâce à une forme de narration originale, les auteurs parviennent à faire de ce sujet grave un récit passionnant, sur un ton souvent drôle. On apprend, on sourit et on sort de cette lecture (re)gonflé d'espoir !
Grégory Jarry et Otto T. (Thomas Dupuis de son vrai nom) se sont rencontrés lorsqu'ils étaient étudiants à Poitiers. Ils dirigent ensemble la maison d'édition FLBLB qui publie des bandes dessinées, des ouvrages documentaires ou encore des flip-books (1). Les sujets comme les formats qu'ils proposent sortent des sentiers battus.
Ensemble, ils ont aussi réalisé plusieurs ouvrages dont « Le savant qui fabriquait des voitures transparentes », « Petite histoire des colonies françaises » ou encore « 300.000 ans pour en arriver là » (2).
Pour « Village Toxique » paru en 2010, ils ont collecté des témoignages auprès d'acteur·ices de l'époque, et ont commencé l'écriture lors d'une résidence au Nombril du Monde à Pougne-Hérisson, l'un des villages concernés par le projet.
Le narrateur, c'est… Yves Mourousi… qui reprend du service pour une émission exceptionnelle. Débarqué d'un hélicoptère en pleine campagne, il pose le décor : « en 1987, l’Etat annonça qu'il avait retenu quatre sous-sols potentiels pour enfouir les déchets nucléaires du peuple français : le schiste du Maine-et-Loire, le sel de l'Ain, l'argile de l'Aisne et le granit des Deux-Sèvres ». A l'époque, on ne parlait pas encore d'acceptabilité sociale, mais le journaliste de souligner tout de même : « On avait pris soin de choisir des régions rurales où les populations étaient peu portées à remettre en cause une décision venue d'en haut. »
Pourtant, c'est à une farouche résistance que l’Etat va se retrouver confronté. Durant deux ans, les pontes de la préfecture et de l'ANDRA (Agence Nationale pour la gestion des Déchets RAdioactifs) multiplièrent les stratégies : de la séduction par l'argent aux intimidations par les CRS, en passant par la désinformation via des « experts »… Rien n'y fit. En face, les habitant·es s'inquiétaient de la pollution de leurs sols, des effets irrémédiables des déchets sur leurs cultures, leurs troupeaux, leurs enfants… Pour lutter, il·les s'organisèrent de manière « classique », par exemple en se réunissant au sein de collectifs, en lançant des pétitions, en demandant publiquement aux élus locaux de se positionner… mais aussi en étant créatif·ves et réactif·ves. Ainsi, cette caravane aux vitres teintées qu'il·les installèrent face aux bureaux de l'ANDRA pour la surveiller. Ou ces blocs de granit bloquant la porte de l'agence : après tout, ne s'intéressait-elle pas aux sous-sols de la région ? Ou encore ces chaînes téléphoniques ultra efficaces (à une époque où n'existait pas Internet) pour empêcher tout début de prospection ou de chantier. Jusqu'à la mobilisation générale du 12 décembre 1989 : 250 gendarmes mobiles épaulés par deux chars anti-émeutes devaient reprendre le champ qu'occupaient les opposant·es pour empêcher le projet ; des centaines d'habitant·es les y attendaient « fourches en avant ». Les maires faisaient boucliers.
Comment tout cela finit-il ? Vous le découvrirez en lisant cette bande dessinée très instructive et pleine d'humour. Un indice : il n'y a pas de centre d'enfouissement de déchets nucléaires dans les Deux-Sèvres et l'ANDRA a déménagé à Bure où le projet rencontre aussi une farouche opposition… « Village toxique » rappelle comment une lutte peut se gagner et en cela, ce livre est une véritable et belle leçon d'histoire.
(1) https://www.flblb.com
(2) https://www.bdtheque.com/interviews/345/gregory-jarry-et-otto-t