Ce n'est pas une adaptation du « best-seller » de Didier Eribon que Jean-Gabriel Périot propose ici. Grâce à son talent de réalisateur-monteur, il donne à l'histoire une nouvelle dimension. S'il s'attache au parcours des femmes de la famille de l'auteur, il lie intime et collectif pour raconter l'évolution de la classe ouvrière en France, des années 1930 à aujourd'hui. Dans un intense crescendo, il termine sur le combat des Gilets Jaunes.
Au départ, « Retour à Reims » est un essai à la fois biographique et sociologique, écrit en 2009 par le philosophe et sociologue Didier Eribon (1). Il raconte comment, à la mort de son père, il retourne dans sa ville natale. Transfuge de classe (2), il dresse dans son livre le portrait de son milieu d'origine et, à travers ses parents et grands-parents, l'évolution de la classe ouvrière du XXe siècle.
Jean-Gabriel Périot a surtout retenu l'histoire de la grand-mère et de la mère de Didier Eribon. La première, partie volontairement en Allemagne en 1940, abandonna la seconde qui fut placée en hospice et dut travailler toute sa vie comme employée de maison au lieu de devenir, comme elle le rêvait, institutrice. Par un jeu de montage d'images d'archives (actualités, interviews, extraits de films, reportages...) dont il est l'un des spécialistes en France (3), le réalisateur superpose à cette histoire familiale celle de la classe ouvrière tout entière.
Il donne à voir les mécanismes de domination et les conséquences concrètes, physiques, de l'exploitation. Il montre aussi comment, génération après génération, s'opère l'exclusion de toute une partie du peuple français puis une forme d'auto-exclusion, de résignation, de désespérance. Ainsi, le témoignage de jeunes issus des milieux populaires dans les années 1970 qui préfèrent aller à l'usine plutôt que de poursuivre leurs études, ne se sentant pas à leur place dans un système scolaire institué pour les élites. Iels se persuadent que c'est à l'usine qu'est leur place, que c'est là seulement qu'iels y trouveront le bonheur.
Comment, politiquement, cette classe ouvrière a-t-elle évolué ? Jean-Gabriel Périot reprend l'un des thèmes forts du livre de Didier Eribon : la montée du Front National. La mère de l'auteur lui a avoué un jour avoir fini par voter pour l'extrême droite. Certain·e·s ouvrier·e·s, ne se sentant plus représenté·e·s par le Parti Communiste, se sont regroupé·e·s derrière Jean-Marie Le Pen dans l'espoir de pouvoir défendre à ses côtés leur identité collective.
Mais la classe ouvrière n'est pas une. Elle est multiple. Et derrière les banderoles et les barricades, battent toujours le cœur de l'indignation et la colère. C'est ainsi que dans un montage incisif, le documentaire prend fin par les manifestations des Gilets Jaunes...
« Retour à Reims [Fragments] » est visible en replay, gratuitement, sur Arte jusqu'au 28 mai 2022 : https://www.arte.tv/fr/videos/091137-000-A/retour-a-reims-fragments/
(1) Edité chez Fayard, « Retour à Reims » est le premier essai d'un diptyque intitulé « Le cycle du retour ». Le second s'intitule « La suite comme verdict » (éditions Fayard, 2013).
(2) Transfuge de classe : individu ayant vécu un changement de classe sociale, de milieu social au cours de sa vie.
(3) Avec cette même technique, Jean-Gabriel Périot a réalisé « Eût-elle été criminelle » (2006) et « Une jeunesse allemande » (2015).