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« Je ne suis pas ton pauvre », Stéphane Vuillet

Ecrite en deux semaines et tournée en neuf jours, cette fiction retrace une journée de préparation d'une manifestation à Paris, par un petit groupe de Gilets Jaunes vivant en Bourgogne. Leurs tempéraments, leurs existences, leurs idées politiques même, sont très variés. Alors, qu'est-ce qui les fera rester ensemble, solidaires jusqu'au bout ?

Le film s'ouvre sur Lou, à bicyclette, filant à vive allure dans la campagne de Beaune. Elle porte son gilet jaune, et s'apprête à rejoindre ses compagnes et compagnons de rond-point. Un mois qu'elle ne les a pas vu·e·s. Un mois qu'elle croupissait en prison pour une bouteille en plastique jetée en direction des forces de l'ordre, dans une manifestation qui a dégénéré. Quand elle retrouve ses ami·e·s, ému·e·s, elle leur annonce la sentence : trois ans de sursis avec un an de mise à l'épreuve. « Ils pensent qu'on est des terroristes », soupire-t-elle.

A travers elle, on perçoit les doutes de ceux et celles qui ont eu affaire à la répression incroyable dans une démocratie, du mouvement des Gilets Jaunes. Qu'est-ce qui les a poussé·e·s, encore et encore, à retourner manifester ? La pauvreté. Du porte-feuille mais aussi de l'existence. « On ne mérite pas de vivre dans cette mocheté dans laquelle ils nous mettent, confie en pleurant Sandrine, infirmière, à une journaliste amie venue les filmer. C'est horrible, j'ai envie de crier, j'ai envie de crier à longueur de journée en ce moment. Et c'est pas normal ! »

Il y a aussi un tonnelier bientôt obligé de licencier. Un père qui tente de convaincre sa fille de rentrer à la maison. Un policier en arrêt maladie après un pétage de plomb lors de l'expulsion d'une usine. Un couple au bord de l'implosion parce que le mari n'arrive plus à payer le crédit de la maison ni remplir le frigo, et qu'il panique à l'idée de devoir compter uniquement sur le salaire de sa femme : « J'suis quoi, si je ne peux pas me battre ? » lui demande-t-il.

Et puis un jeune homme, blessé lors d'une précédente manifestation, l'oreille encore ensanglantée. Lui a voté Le Pen, « les deux tours ». Aux yeux écarquillés qui le fixent, il demande, goguenard, ce qu'il aurait dû faire : voter Hollande en 2012, comme son frère qui a perdu son travail aux Hauts-Fourneaux malgré les promesses du candidat socialiste ? Ou Sarkozy en 2007, comme son père qui est retourné travailler malgré son incapacité, parce que ce président de droite a eu la riche idée de transformer le RMI en RSA ? Ou au Centre, comme elleux tou·te·s, pour se retrouver avec Macron, « ce connard qui nous fait tirer dessus à bout portant ». Alors, oui, il a voté Le Pen…
Mais il est là, comme les dix autres, à réfléchir et à douter. Leur seule certitude : ensemble, iels se sentent vivant·e·s, iels ont à nouveau l'impression d'exister. Jusque là, iels courbaient la tête mais iels ont décidé de la relever.

Le film a été écrit lors d'un atelier mis en place par Les Chantiers Nomades et destiné à des comédien·ne·s professionnel·le·s. Avec la complicité du scénariste Jean-Sébastien Lopez (nommé aux Magritte du cinéma belge et aux Césars, et militant impliqué dans les manifestations Gilets Jaunes), Stéphane Vuillet a écrit un squelette d’histoire, laissant la place à l’improvisation et à l’écriture spontanée pendant le tournage. L'équipe a été rejointe par le comédien Jacques Gamblin, pour de précieux conseils.

Le film, sorti en octobre dernier, est visible gratuitement sur You Tube : https://www.youtube.com/watch?v=f6CMIkgKdXM