Créée en 2018, l’entreprise Tom & Josette implante des micro-crèches au cœur des hébergements pour seniors. Touchée par l’impact de l’âgisme sur l’autonomie et la souffrance des personnes âgées, elle propose de leur redonner un rôle et de la joie, en tissant un lien avec les bambins. Mais comment s’organise concrètement cette coopération intergénérationnelle ? Aymeric Lecomte, responsable de l’accueil des familles chez Tom & Josette, répond à nos questions.
« Pouvez-vous rappeler ce qu’est une micro-crèche ?
Il s’agit d’une structure d’accueil de jeunes enfants, âgé.es de 10 semaines à 3 ans. Iels sont au maximum douze, encadré.es par quatre professionnel.les de la Petite enfance. Nous les accueillons du lundi au vendredi.
Les micro-crèches Tom & Josette sont dites intergénérationnelles. Pourquoi ?
Elles sont installées dans la structure qui accueille des personnes âgées. Pas à côté ou proche de, mais vraiment à l’intérieur, c’est important.
Il peut s’agir d’Ehpad (1), de résidences seniors, de résidences autonomie ou de colocations seniors.
La micro-crèche s’implante-t-elle dans un lieu existant, ce qui suppose des adaptations du bâtiment, ou est-elle co-construite avec une nouvelle résidence seniors ?
Nous avons actuellement deux crèches en fonctionnement, à Rennes et près de Bordeaux : l’une a été créée à l’occasion d’un nouveau projet, l’autre dans un espace inutilisé d’un Ehpad.
Sur l’adaptation des bâtiments : nous ne dépendons pas des mêmes normes que les résidences seniors. Les nôtres viennent de la PMI et de la CAF (2). Par exemple : le mobilier adapté, le sol mou pour jouer, les hauteurs de prises pour la sécurité… Cette compétence, c’est nous qui l’apportons. Ce n’est pas du tout un problème.
Tom & Josette est-elle une franchise ou tout le personnel fait-il partie de l’entreprise ?
Tout le personnel fait partie de l’entreprise. L’enjeu pour nous, c’est de créer une culture de l’intergénérationnel. Nous souhaitons revaloriser les métiers de la Petite enfance, en leur redonnant du sens et en leur apportant de la nouveauté. Pour cela, il faut bien accompagner les équipes.
Votre projet pédagogique est d’inspiration Montessori (3). Quel impact a-t-elle sur le lien entre les tout-petits et les seniors ?
Parmi les principes de la pédagogie Montessori, il y a l’autonomie et le « apprends-moi à faire seul·e ». Nous sommes heureux de travailler avec des Ehpad qui ont la même philosophie. On dit parfois que les personnes âgées sont infantilisées lorsqu’elles vieillissent. Nous sommes à l’inverse de ça. Avec les enfants, elles sont en situation de transmettre, elles sont actrices, responsables.
Comment les équipes de la crèche et celle des résidences collaborent-elles concrètement ?
Les activités sont préparées, réalisées et débriefées ensemble. De la planification au retour d’expériences, nous avons tout à échanger.
Par exemple, à Rennes, l’équipe de l’Ehpad a souligné le fait d’éviter de proposer certaines activités, parce qu’elles mettraient les résidents en situation d’échec. Son expertise est très importante.
En tant que responsable de l’accueil des familles, comment leur présentez-vous les temps intergénérationnels et le bénéfice sur les enfants ?
Lorsque je fais la proposition aux familles, je parle de cercles concentriques : d’abord, la chose la plus importante, c’est que l’enfant soit en sécurité, physiquement grâce à un espace adapté, et affectivement, grâce à l’équipe. Comme il est en sécurité, il peut ouvrir un nouveau cercle et créer des liens avec d’autres, notamment les résidents.
J’ai en tête l’exemple d’un enfant qui sait marcher et qui, dans une résidence autonomie, va naturellement toquer à la porte des résidents. Parce qu’il se sent bien, en confiance.
Et puis, nous insistons sur la joie et la spontanéité des moments. Les enfants ont une grande capacité à investir les moments présents. C’est aussi souvent le cas des personnes âgées.
Pendant combien de temps se retrouvent-iels chaque jour et pour quel type d’activités ?
Pour les activités, il faut compter 45 minutes et il y a aussi le temps du goûter l’après-midi. Il peut s’agir de lecture, d’ateliers créatifs, du potager, d’animations liées aux saisons. Nous avons aussi de la danse-thérapie et de la médiation animale. Les animatrices ont plein d’idées !
Toutes les personnes âgées peuvent-elles participer, quel que soit leur niveau de dépendance ?
C’est l’équipe de l’Ehpad ou de la résidence qui fait la proposition aux personnes âgées. Elles sont volontaires, elles choisissent de venir ou non. Je connais un monsieur qui s’habille bien, exprès pour l’occasion !
Dans les unités protégées, pour les personnes les plus dépendantes, le temps intergénérationnel est celui du goûter.
Vous avez doté votre entreprise d’un comité scientifique (4). Comme dans la série « Une vie d’écart » (5), est-ce que vous mesurez l’impact des temps intergénérationnels sur les enfants et les seniors ?
Nous travaillons avec un cabinet d’impact pour un travail exploratoire. Jacqueline Wendland, de l’Université de Paris, va diriger une thèse sur l’impact des liens intergénérationnels. Nous pressentons intuitivement des effets, sur les enfants notamment. Il faut les vérifier car cela peut modifier le regard de la société sur les personnes âgées.
Combien de micro-crèches Tom & Josette sont-elles actives aujourd’hui ?
Deux : une à Rennes et une autre à Bordeaux (Montussan). Cela concerne 24 enfants, 70 résidents à Rennes et 12 à Bordeaux.
Nous en ouvrirons une à Albi à la fin du mois, deux autres à Brest et L’Houmeau en juin, et le reste en septembre (Laval, Meudon, Vourles, Fargues-Saint-Hilaire et Bobigny).
Quel est le marché des micro-crèches aujourd’hui ?
Il y a un manque crucial de places. L’Etat se désengage et laisse l’initiative au secteur privé.
Parallèlement, le mode de garde collectif devient populaire, pour son impact sur la sociabilité des enfants. Mais avant, les structures comptaient 60 berceaux. Aujourd’hui, les familles recherchent des structures à taille humaine. En tant qu’entrepreneur, c’est beaucoup plus simple à installer : il faut moins d’espace, c’est moins lourd.
Il semble en exister surtout en milieu urbain…
On ne ferme pas la porte à des zones semi-rurales. Il faut qu’il y ait une demande. Dans les petites villes, les mairies sont souvent très impliquées dans les projets et réservent même des places. Avoir une micro-crèche, ça peut être un argument intéressant pour attirer ou conserver des familles sur le territoire.
Votre objectif est d’en créer une centaine de plus d’ici à 2025. Avez-vous des projets dans le Centre de la France ?
Non, pas encore. Mais nous serions ravis de nous y implanter ! »
Propos recueillis par Fanny Lancelin
(1) Etablissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes.
(2) PMI : Protection Maternelle Infantile. CAF : Caisse d’Allocations Familiales.
(3) Montessori : du nom de Maria Montessori, médecin et pédagogue italienne. Plus d’infos sur https://www.montessori-france.asso.fr
Vous pouvez aussi (re)lire les numéros 20 et 21 de (Re)bonds consacrés aux pédagogies alternatives : « Une autre école est possible » (épisodes 1 et 2). Rendez-vous à la rubrique « archives ».
(4) Le comité scientifique se compose de psychologues clinicien.nes, d’un haptopsychothérapeute, d’un docteur en science de gestion mais aussi de l’une des fondatrices de l’association « Bien-traitance, formations et recherches, de l’aube de la vie au soir de l’existence ».
(5) Lire aussi la rubrique (Ré)créations.
Plus
- Pour en savoir plus sur Tom & Josette, rendez-vous sur le site http://tometjosette.fr
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