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Des lieux qui cultivent déjà sans fumier

Iels sont encore peu nombreux·ses en France mais il existe déjà des maraîcher·es qui cultivent sans intrant d’élevage. Exemples en Seine-et-Marne, en Loire-Atlantique et en Côte-d’Or.

 

Les légumes de Rétal

Il vit en Seine-et-Marne, à une vingtaine de kilomètres de Melun, mais à perte de vue, des champs et des bois…
Stéphane cultive des légumes depuis deux ans sur un terrain d’un hectare. Dans la même ferme, se trouvent un autre maraîcher, une éleveuse de moutons qui tisse aussi la laine, un céréalier, un boulanger et une cultivatrice de plantes aromatiques. « Je suis installé dans une structure individuelle mais nous pouvons travailler ensemble, selon les besoins », précise-t-il.

Son activité est une reconversion. Après avoir suivi des stages via l’association Abiosol (1), il décide de passer un BPREA (2) en 2018 pour faire pousser des légumes. « Dès le départ, j’ai souhaité le faire sans intrant d’élevage. Je suis végétarien, donc pour être cohérent avec mes valeurs, je ne pouvais pas dépendre des élevages. Je me suis documenté, sur les besoins des plantes, sur le cycle de l’azote… J’en suis arrivé à la conclusion que l’animal d’élevage n’est pas indispensable. Au contraire : c’est plutôt un gâchis d’énergie… sans parler de la question éthique. »

S’il sait que théoriquement, cultiver sans intrant d’élevage est possible, qu’en est-il de la pratique ? Sur Internet, il découvre VON (3), le réseau d’agriculture biologique végane en Grande-Bretagne. Mais pas d’exemple concret à portée de main ou de possibilité d’échanger avec des maraîcher·es français·es qui pratiquent déjà les techniques sans intrant d’élevage. « Ce qui m’a conforté dans cette voie-là, c’est l’expérimentation, explique-t-il. En 2019, je cherchais un terrain pour m’installer. En attendant, j’ai fait du maraîchage à Villetaneuse, sur un terrain de la Fac. Ça m’a permis de tester la culture sans intrant d’élevage et ça a marché. »

Finalement, il trouve une ferme dans la région de la Brie, en Ile-de-France. Trois personnes y vivent déjà et souhaitent ouvrir davantage leur collectif. « Ça m’a plu. L’environnement aussi, même si c’est très plat ! Et puis, autour de mon jardin, 100 hectares sont cultivés en bio, c’est important. Je suis sûr de ne pas me prendre de produits. »

 

jardin stéphane

 

Stéphane pratique le maraîchage sur « sol vivant », c’est-à-dire qu’il ne le « travaille » pas, il ne le touche pas, sauf pour apporter de la matière organique à la faune et la flore déjà présentes. « Est-ce que c’est vraiment végane ? Après tout, je nourris des vers de terre qui travaillent à ma place… Bon, je ne les fais pas souffrir… Mais c’est un peu flou tout ça, non ? » La juste place des animaux sur la ferme sont abordées dans le manuel,  « Sans fumier ! » (lire la rubrique (Ré)acteur·ices), notamment dans le rapport aux auxiliaires arrivé·es naturellement sur la ferme ou sur la manière de « traiter » les ravageurs (4).

N’ayant jamais cultivé avec des produits d’élevage, difficile pour Stéphane de donner les avantages et les inconvénients des techniques sans ce type d’intrants. « Ce qui est sûr, c’est que je n’ai pas à aller démarcher les éleveurs ni acheter de produits. Je fais avec la matière organique qui est sur place. Des pépiniéristes du coin m’apportent aussi de la tonte, des ressources en bois… »

Chaque semaine, en toute saison, il livre des paniers à une AMAP (5) dans lequel se trouvent sept à dix légumes différents. Il vend aussi un peu en direct à la ferme. Communique-t-il sur le fait que la production est végane ? « Non, je ne sais pas si ça intéresserait. Je suis le seul à le faire dans le coin et je connais très peu de végétarien·nes autour de moi, encore moins de véganes. » Le livre encouragerait-il la conversation autour de ces questions ? Il pense aux enseignant·es de son ancien centre de formation : « Les esprits changent. Avant, il y avait surtout des enfants d’agriculteur·ices dans ces filières. Mais dans ma promotion, il n’y avait que des converti·es, qui veulent travailler différemment, sur des plus petites surfaces, en bio, parfois sans mécanisation… Le centre était réceptif à nos envies. »
Il pense aussi à ses collègues déjà sur le terrain : « Je vais peut-être mettre le livre dans les mains d’autres maraîchers… »

(1) ABIOSOL : Agriculture BIOlogique SOLidaire. http://devenirpaysan-idf.org/
(2) Brevet Professionnel de Responsable d’Exploitation Agricole.
(3) Vegan Organic Network.
(4) Chapitre 8, p.177, « Sans fumier ! Manuel de maraîchage biologique sans intrant d’élevage pour un futur soutenable », de Iain Tolhurst et Jenny Hall, traduit en français par l’association Carpelle en 2021.
(5) Association pour le Maintien de l’Agriculture Paysanne.

 

La Basse-Salmonais

Pascal Bigot et Marie Weisbeck cuisinent au sein d’une cantine végane associative connue sous le nom des Schmurts. Mobile, elle vise notamment à promouvoir le végétalisme et à soutenir des luttes. Pour être autonomes dans l’approvisionnement de cette cantine, iels ont décidé de cultiver elleux-mêmes leurs légumes et, pour être totalement cohérent·es, de se passer des intrants d’élevage.
C’est ainsi que depuis 2007, iels produisent sans fumier, sans produits de synthèse et en bio. Iels sont aujourd'hui installé·es sur un terrain de cinq hectares situé en Loire-Atlantique, en plein champ et sous tunnel froid, où iels cultivent environ 150 variétés de tout type de légumes (solanacées, crucifères, ombellifères, apiacées, cucurbitacées…). Iels produisent également des semences potagères, sous contrat pour une marque et en vente directe pour des jardiniers.

 

haricots

 

Quel est leur parcours ? « Je suis autodidacte, explique Pascal. J’ai appris à travers la lecture de nombreux livres de jardinage et j’étais jardinier avant de faire du maraîchage. » Marie a elle aussi commencé par jardiner. « Puis, après deux ans de maraîchage avec Pascal, j’ai passé un BPREA (1) en maraîchage biologique. » Iels s’inspirent de Jean Pain, Dominique Soltner, André Belot et du Vegan Organic Network (2).

Leur terrain se trouve à La Basse-Salmonais, à trois kilomètres du village de Petit-Auverné et à une vingtaine de kilomètres de Châteaubriant. « Vu les difficultés pour trouver de la terre agricole, on a mis deux ans pour trouver le lieu où nous sommes, racontent-iels. Il correspondait à nos besoins en surface et dans un cadre sympa : ferme isolée et parcelles attenantes. » Bordé d’un petit ruisseau, la Salmonais, le terrain possède des haies, ce qui favorise la biodiversité. La flore est variée, notamment grâce à des parcelles humides, avec un important contraste hydrique. Concernant la faune : « On est dans un environnement entouré de prairies et de parcelles boisées, sans humain proche. On a des blaireaux, ragondins, lièvres, chevreuils, renards, fouines, batraciens en nombre, oiseaux en tous genres. Il y a des espaces dégagés et des espaces fermés, en nombre et divers. »

Outre l’approvisionnement de la cantine, Pascal et Marie vendent leurs légumes en vente directe sur le marché de Châteaubriant le mercredi matin et à Petit-Auverné un samedi matin sur deux (semaines impaires).
D’autres maraîcher·es cultivent-iels sans intrant d’élevage à proximité ? « Non, mais il y a un ami qui cultive sans intrant d’origine animale en grande culture sur 80 hectares. »

Il n’existe pas de réseau d’agriculture sans intrant d’élevage en France pour le moment, mais « une tentative de créer une association de promotion de l’agriculture végétalienne ». « Cette initiative est en suspens pour l’instant, expliquent Pascal et Marie. On a rencontré quelques producteur·ices, mais on est éloigné géographiquement, ce qui limite les contacts. »

(1) Brevet Professionnel de Responsable d’Exploitation Agricole.
(2) Jean Pain : https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean_Pain_(inventeur)
Dominique Soltner : https://fr.wikipedia.org/wiki/Dominique_Soltner
André Belot : https://aryanalibris.com/index.php?post/Belot-Andre-Culture-potagere-moderne
VON : https://veganorganic.net/

 

Le Jardin Des Maraîchères aux Lentillères

Impossible d’expliquer le Jardin Des Maraîchères (JDM) sans raconter (un peu) ce qu’est le quartier libre des Lentillères, où il est implanté (1).
En 2010, en plein cœur de Dijon, des centaines de personnes manifestent fourches en main pour protéger des terres menacées de bétonisation. Elles les défrichent, puis des collectifs s’organisent pour les cultiver. Le Jardin Des Maraîchères est l’un d’eux. Géré de manière non salariée, il alimente des marchés hebdomadaires non lucratifs à prix libre, dans le quartier, mais aussi lors de marchés sauvages en ville ou pour d’autres collectifs en lutte. L’histoire du jardin s’inscrit donc dans celle d’une occupation, et de liens tissés avec les habitant·es d’une ville et des mouvements sociaux.

La première saison a démarré en 2012. Mais ce n’est que depuis trois ans que le JDM est cultivé sans intrant d’élevage. « Au départ, les gens ne savaient pas combien de temps ils allaient rester. C’était du maraîchage bio mais avec utilisation du tracteur et des intrants animaux. Nous réfléchissons maintenant à plus long terme », expliquent quatre membres du collectif (2). Sur 3000 m², en plein champ et sous deux grands tunnels, iels cultivent une cinquantaine de légumes différents, sans aucun intrant d’élevage.
Une dizaine de personnes s’engagent chaque année à travailler deux jours par semaine pour les faire pousser. L’équipe change au gré des installations et des départs, des autres tâches à assurer sur le quartier… « Ça n’a jamais été des professionnel·les même si certaines personnes sont devenues maraîchères ensuite. »

lentillères JDM

 

Pourquoi avoir choisi de pratiquer sans intrant d’élevage ? « Parce que nous sommes touché·es par les questions d’antispécisme, répondent-iels. Nous avons fait cette proposition sans avoir d’expérience, c’était un peu un test. Une des personnes présentes dans le collectif avait un BPREA (3), donc des bases solides. Elle avait lu « Growing green » (4), les gens lui ont fait confiance. » Dès la première année, le compost a été utilisé sur les 3000 m², puis sont venus les engrais verts. Mais le JDM bénéficie d’une autre ressource, très locale : le fumain (lire aussi la rubrique (Re)découvrir). « 80 à 100 personnes vivent sur le quartier libre avec des toilettes sèches. Nous collectons notamment l’urine pour l’azote. »

Des réticences sur ces techniques se sont-elles exprimées ? « Ce n’est pas facile à mettre en place. La première année, nous avons fait face à des conditions climatiques extrêmes et récolté peu de légumes. Certaines personnes ont attribué ça au fait qu’il n’y avait pas de fumier… Pour le fumain, nous l’avons annoncé au marché pour des questions de transparence. Nous avons fait des recherches, un ami s’était spécialisé sur la question, nous avons beaucoup discuté avec les gens... » Le collectif reconnaît aussi qu’il avait précédemment des liens avec le monde paysan rural, notamment via le fumier, mais qu’ils se sont quelque peu délités. « Certain·es prennent mal notre démarche sans intrant d’élevage. Ça peut poser problème. »
Toutefois, la saison suivante a montré l’efficacité de ces techniques. « Le fait qu’on arrive à cultiver autant de légumes, le fait qu’on soit un collectif nombreux aussi, ça donne de la force à notre message ! »

Pratiquer ce type de maraîchage dans un quartier militant qui entend veiller aux questions d’oppressions fait forcément sens. Sans le marteler à tout bout de champ, le JDM l’évoque surtout lors des visites du lieu. Prochain rendez-vous pour les 10 ans + 2 du quartier libre, du 26 au 29 mai (5) ! A noter aussi, du 14 au 21 juillet, l’Université d’été de la Libération Animale (ULA) aux Tanneries toutes proches des Lentillères.

(1) https://lentilleres.potager.org/actualite/
(2) Iels n’ont pas souhaité être nommé·es.
(3) Brevet Professionnel de Responsable d’Exploitation Agricole.
(4) Ecrit par Iain Tolhurst et Jenny Hall, il vient d’être traduit par l’association Carpelle (lire aussi la rubrique (Ré)acteur·ïces).
(5) Le programme de la fête : https://lentilleres.potager.org/

Fanny Lancelin

 

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