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Un ensemble de musiques traditionnelles bien dans son époque !

« La tradition ne peut s’exprimer vraiment qu’à travers l’esprit de courage et de défi, et non dans l’observance de la sauvegarde superficielle des coutumes. »

Henry Miller

Au cœur de l’orchestre, sautillant sur ses pieds nus, tout son corps marque le rythme. D’une main, il accompagne les soufflants ; de l’autre, il soutient les peaux. Son regard passe des un·es aux autres, son sourire aussi... Autour de lui, les bras s’activent, les doigts glissent, les lèvres se tendent. Iels jouent à accorder leurs mouvements et ainsi, à créer une énergie qui donne envie de danser. Iels cherchent à être et faire ensemble...

En cet après-midi d’avril, une quarantaine de musicien·nes sont réuni·es à la salle des fêtes de Soulangis, dans le Cher. Au centre, Cyril Berthet les dirige. Un peu partout dans la pièce, des micros captent le son des accordéons, vielles, flûtes, guitares, cuivres, percussions… Pour célébrer ses 30 ans, l’Ensemble Départemental de Musiques Traditionnelles (EDMT) a en effet décidé d’enregistrer un album. Le dernier datait de 2015 et à son écoute, on mesure le chemin parcouru. S’il s’agit de « faire trace », pas question de figer le répertoire : l’EDMT s’inscrit pleinement dans son époque, en interprétant des airs certes inspirés de formes traditionnelles, mais arrangés voire entièrement composés par des contemporains. L’instrumentarium s’est aussi élargi pour faire entendre de nouvelles sonorités.

Mais quelle place un orchestre tel que l’EDMT peut-il avoir aujourd’hui ? Comment a-t-il évolué et comment les musicien·nes le font vivre ?

Eco délégués CE

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Jouer et faire danser

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Lorsque l’EDMT a vu le jour en 1991 à Bourges, Cyril Berthet n’était encore qu’un enfant. Originaire d’Henrichemont, il dansait alors dans le groupe folklorique des Viguenets à Morogues. « Tous mes frères et sœurs y étaient passés, explique-t-il. Il y avait un groupe de danses spécifiquement pour les petits. » En parallèle, il entre à l’école de musique locale, où il apprend la flûte traversière. « C’était un enseignement classique, mais Grégory Jolivet et Thierry Pinson y enseignaient. Les rencontrer a été déterminant. »
Grégory Jolivet est l’un des grands noms de la vielle en France, qu’il joue de manière traditionnelle mais aussi résolument contemporaine, allant jusqu’à l’équiper de pédales d’effets et à l’associer à la musique électronique (1). Accordéoniste, compositeur et arrangeur, Thierry Pinson est, entre autres, le fondateur de l’EDMT (2).

Devenu adolescent, Cyril Berthet crée avec des ami·es le groupe TNT pour Tendance Néo-Trad. « Nous y étions plus libres parce que nous jouions des compositions et nous pouvions ajouter aux instruments traditionnels une guitare, une basse, une flûte, un piano... Nous faisions des bals et ça faisait bien danser ! »
En 2006, ces jeunes néo-trad montent Les Nuits Trad’ Epicées, un tremplin de groupes venus de toute la France. Un an plus tard, le festival « Avis de stages » voit le jour : la programmation mêle ateliers de musiques et de danses, et concerts. Après avoir changé de nom pour s’appeler « Quartiers libres », il s’est arrêté en 2017, les bénévoles ayant souhaité passer à autre chose.

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En 2010, Cyril Berthet devient musicien professionnel. Il joue au sein de Rue Pascale, avec Grégory Jolivet et Thierry Pinson notamment. Depuis, il a aussi fondé Décibal et joue régulièrement dans la compagnie de théâtre Oh Z’arts Etc (3). « En 2010, je suis aussi revenu au pays après des études à Tours et Nantes, raconte-t-il. Et la même année, Grégory et Thierry m’ont proposé de reprendre l’EDMT. Grégory le dirigeait depuis dix ans. »
Pendant plusieurs mois, ils travaillent en tuilage. « L’ambiance était déjà très conviviale. J’ai reçu un super accueil. » Une vingtaine de musicien·nes constituent alors l’ensemble. Iels viennent du Cher, de l’Indre et du Loiret dans un but commun : jouer... et faire danser !

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Transmettre à l’écrit et à l’oral

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En effet, l’EDMT ne se produit pas en concert mais lors de bals. Son répertoire est composé de formes standards (cercles, scottishes, valses, mazurkas…) et régionales (bourrées, rondeaux, ronds d’Argenton…). « Mais il s’agit essentiellement de compositions originales ou d’adaptations d’airs collectés que j’ai entendus, joués par des musiciens d'aujourd'hui », précise Cyril Berthet. Lui-même compose et arrange. Des musicien·nes de l’ensemble aussi, comme Eric qui a écrit « Anc ta pelle et pis ton siau » ou Gilles qui a imaginé une valse…

 

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Pour travailler et répéter ces morceaux, chacun·e a sa méthode. Car tous·tes ne savent pas lire les partitions. « Musique de druide, oreille de druide ! plaisante Julien, accordéoniste. Je joue à l’oreille et à l’oeil, en suivant Cyril ! » Les airs sont alors appris lors de répétitions par pupitre, à l’oral comme le veut la tradition. Dans une boîte numérique accessible via Internet, Cyril glisse des enregistrements que les musicien·nes peuvent écouter pour s’entraîner chez elleux.
Tania, professeur de flûte au conservatoire de Bourges, a quant à elle l’habitude de lire : « Les musiciens classiques sont des musiciens de l’écrit. On nous apprend le respect du texte. J’ai toujours souhaité déconstruire ça. Avant le trad, j’ai étudié la musique indienne, par exemple. »
Depuis cette année, Cyril fournit des « partitions d’orchestre », des repères que chacun·e s’approprie à sa manière. « Ça permet de faire moins d’erreurs, mais je remarque aussi que lorsque les musiciens ont le nez dans la partition, ils sont moins à l’écoute. »

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« Mélanger trad’ et modernes »

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Autre particularité de l’ensemble : il ne réunit pas seulement des instruments traditionnels. Aux côtés des accordéons diatoniques, des cornemuses et des vielles, on trouve ainsi des saxophones, un cornet, un trombone, une guitare et une basse électriques, des congas, des flûtes traversières, une cithare… Denis, saxophoniste, s’en réjouit : « Le mélange entre les instruments trad’ et modernes, ça dépoussière les morceaux. Plutôt que de les figer dans le folklore, on les fait vivre ! »
L’ensemble est aujourd’hui complet même si Cyril s’autoriserait quelques ajouts, comme une trompette par exemple. « Je ne recrute pas selon le niveau, je ne fais d’ailleurs passer aucun « test ». Mais je suis vigilant sur l’équilibre sonore. Des violons, pourquoi pas ? Mais il faudrait qu’ils soient au moins dix pour qu’on les entende et je n’ai pas la place où les mettre ! »

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Un rapport particulier au public

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Trouver des prestations et des scènes suffisamment grandes pour 38 musicien·nes n’est déjà pas facile ! « En bal, ça n’est pas du tout courant d’avoir un si grand groupe ! » L’EDMT se produit environ six fois par an. Cette année a été plus calme à cause du Covid mais l’ensemble espère reprendre ce rythme à la prochaine saison.
« Jouer lors d’un bal, ça donne un rapport particulier avec le public, explique Cyril. Ce n’est pas un concert où les gens sont assis. L’EDMT n’est pas un orchestre qui interprète de la musique à danser, mais qui joue pour des danseurs. Nous les voyons devant nous, nous jouons pour eux. C’est un plaisir, ça provoque des sensations particulières. »

 

Eco délégués CE

 

Une ou deux fois par an, Cyril Berthet invite les musicien·nes à danser une heure, sur une répétition d'une journée, afin de les encourager à pratiquer la danse et à savoir ce qui est lié au rythme. Joueuse de cithare, Sylvie est arrivée à l’EDMT en 2014, après l’avoir vu à la fête de la musique : « Je n'aimais pas du tout la musique traditionnelle, synonyme pour moi de « crincrintude » et ne connaissais aucune des danses : le cercle circassien et la Chapelloise m'ont étonnée. Ce sont des danses d'ensemble assez faciles à apprendre et très sympathiques parce que l'on change de cavalier à chaque tour, donc on change de manière de danser, tout en gardant les pas de base. On peut ajouter des tournés, des balancés et autres, mais la base reste la même. La mazurka, avec son temps suspendu comme une virgule, ne peut se danser sans sourire. » 
Elle intègre l’ensemble en pensant trouver des danseur·ses aux répétitions. Surprise : il n’y en a pas. « J'ai compris plus tard que les danseurs étaient aux aguets des bals et que certains nous suivaient « à la trace »… J'ai compris aussi que je ne pourrais pas jouer ces danses sans en connaître les pas. Pour les apprendre, j'ai suivi quelques ateliers mais surtout, je suis allée à d'autres bals et, autre surprise, il y avait toujours quelqu'un de disponible pour m'apprendre à danser. Il fallait aussi observer les danseurs : certains sont exceptionnels et créatifs. »

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Continuer à expérimenter

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La vie de l’EDMT est aussi rythmée par des événements comme des rencontres avec d’autres ensembles, le tournage d’une vidéo diffusée sur Youtube ou, récemment, un flash-mob ! Dans un lieu impromptu, les musicien·nes arrivent un·e par un·e, s’installent et jouent chacun·e leur partie. « Les gens réagissent bien, s’arrêtent, écoutent, assure Julien qui a eu cette idée. Le thème se répète mais s’enrichit avec l’arrivée progressive des musicien·nes. A la fin du morceau, on s’en va ! »

La prochaine date sera la fête de la musique, le mardi 21 juin à Bourges. A l’automne, l’album enregistré à Soulangis pour les 30 ans de l’EDMT sortira et il faudra le faire vivre en l’interprétant en direct, sur scène. « J’aime beaucoup le fait de marquer un moment de la vie d’un orchestre, de faire trace, explique Cyril Berthet. Je suis fier de ce qu’on fait ensemble. » Il souligne toutes les « micro-évolutions » vécues depuis dix ans : « Il faut ce temps, ce cheminement… c’est nécessaire pour obtenir un son, une ambiance... »

Toujours musicien, il assure pourtant que son rôle dans l’EDMT est la partie de son activité professionnelle qui lui plaît le plus. « Je donne beaucoup de temps et d’énergie mais ça m’apporte beaucoup, beaucoup. Ce sont des gens que j’aime. Quand je compose, je pense à eux. Il y a une vraie complicité. »
Musicalement, il reconnaît sa chance : « Je peux expérimenter tout ce que je veux. J’ai une idée, je l’écris, je la partage, on la joue et on l’écoute. J’ai tout le cheminement ! Et je suis à la meilleure place pour entendre l’orchestre ! »

Des projets ? Oui, forcément, comme un ciné-concert ou des croisements avec la musique électro. Il ne décide pas seul, bien sûr : les musicien·nes et le conseil d’administration de l’association donnent leur avis. Mais nul doute que les prochaines années de l’EDMT seront vivantes et qu’il continuera à faire partie du paysage musical, bien dans son époque.

Fanny Lancelin

(1) https://www.legrandbarbichonprod.com/artistes/gregory-jolivet-11
(2) https://agendatrad.org/groupe/thierry-pinson_95.html
(3) https://www.ohzartsetc.fr/

 

A écouter

En avant-première, un extrait de l'enregistrement du nouvel album de l'EDMT, en cours de mixage !

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