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« Ni dieu ni maître, une histoire de l’anarchisme », T. Ramonet

C’est la toute première fois en France que la télévision consacre autant de temps et de précision à l’histoire du mouvement anarchiste : une série documentaire de quatre volets d’1 h 30 environ, dont les deux premiers ont été diffusés sur Arte et sont désormais visibles sur YouTube. Un travail colossal réalisé par Tancrède Ramonet, pour un résultat passionnant.

Alors que le communisme, le socialisme, le néo-libéralisme ou même le fascisme sont précisément documentés à destination d’un large public, l’histoire de l’anarchisme n’avait jamais été transmise d’une manière aussi complète.

Durant cinq ans, Tancrède Ramonet (1) a multiplié les lectures et les rencontres sur le sujet. Il a réuni une somme importante d’archives et réalisé des interviews de nombreux·ses historien·nes pour produire quatre épisodes : « La Volupté de la destruction » (1840-1914), « La Mémoire des vaincus » (1911-1945), « Des Fleurs et des pavés « (1945-1969) et « Les Réseaux de la colère » (1965-2011).
Les deux premiers épisodes ont été diffusés sur Arte en 2017 et ont réuni plus de 400.000 spectateur·ices. Le troisième épisode a été diffusé sur la chaîne suisse RTS2 cette semaine.

Pour l’instant, sur YouTube, on peut retrouver gratuitement « La Volupté de la destruction » et « La Mémoire des vaincus ». Point de départ de la série : 1840 et la figure du typographe Pierre-Joseph Proudhon, seul penseur révolutionnaire de la classe ouvrière à son époque. Le premier aussi à se revendiquer ouvertement et positivement anarchiste. Sa pensée résonnera dans le monde entier y compris chez des intellectuels tels que Léon Tolstoï, Karl Marx ou Mikhaïl Bakounine...

Autre période marquante, celle de 1871 avec la Commune de Paris : 73 jours d’insurrection écrasée dans le sang. Sang des Communard·es mais aussi des anarchistes. « Un massacre dont on n’a pas idée aujourd’hui », souligne l’historien Jean-Yves Mollier dans le documentaire. En une seule semaine, environ 20.000 personnes ont été massacrées dont des femmes et des enfants. « La terre, les caniveaux, les égouts n’arrivaient plus à absorber le sang. »
Dès lors, les ouvrier·es considèrent que la lutte contre la bourgeoisie sera une lutte à mort. Et c’est ainsi que la génération suivante d’anarchistes choisit d’adopter une position plus violente : la « propagande par le fait ». Les attentats se multiplient, mais font peu de victimes. En face, la répression est toujours aussi féroce. En faisant tomber les chefs d’Etat par les bombes, les anarchistes espèrent créer un vide qui serait comblé par la révolution.
A la même époque, iels fondent des syndicats, des coopératives, des bourses du travail, mais leur mouvement collectif est occulté par le pouvoir qui préfère mettre en avant les figures violentes telles que Ravachol (2).

Tancrède Ramonet rappelle la place de l’anarchisme dans les organisations des travailleur·ses et partout où se font jour les discriminations : dès le début, l’anarchisme ne s’intéresse pas seulement à la lutte des classes mais aussi à celles des femmes et des peuples colonisés, par exemple.

Autre mode d’action : la grève générale. « Si toutes les usines s’arrêtent de travailler, comment les capitalistes pourront-ils continuer à toucher leurs capitaux, leurs dividendes, puisqu’il n’y aura plus rien ? », souligne l’historien Jean-Yves Mollier. Loin de vouloir prendre la place des bourgeois·es, les anarchistes n’appellent pas de leurs vœux la prise du pouvoir mais bien la destruction du pouvoir.

En 1914, premier arrêt majeur du mouvement puisque la guerre enrôle de force les travailleur·ses. A la fin du conflit, il reprend surtout au Mexique, aux Etats-Unis et en Russie. Les anarchistes y sont aux avant-postes mais iels sont aussi les premières victimes de la répression intérieure car iels dénoncent les dérives du bolchévisme et de la dictature stalinienne.

Dans les années 1930, le capitalisme prend la figure menaçante du fascisme. Ecrasé en Espagne, victime une fois encore d’un conflit mondial armé, l’anarchisme vit sa « longue nuit ». Mais il renaît partout dans le monde à la faveur de Mai 68 pour ne plus jamais s’éteindre...

Le premier épisode est visible ici : https://www.youtube.com/watch?v=xV4GfHjJAtE
Et le deuxième là : https://www.youtube.com/watch?v=yxre_Cd5TAI

(1) Producteur, réalisateur, musicien au sein d’un groupe de rock électro, ACHAB (en référence à Moby Dick et au slogan anarchiste ACAB – « All Cops Are Bastards ») ; fils d’Ignacio Ramonet qui fut notamment directeur du Monde Diplomatique.
(2) https://fr.wikipedia.org/wiki/Ravachol