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L’écosyndicalisme

« La lutte écologiste est vitale ; elle n’est cohérente qu’en étant anticapitaliste et antiproductiviste. » (1) Par cette affirmation, les communistes libertaires veulent contrer l’idée reçue selon laquelle l’écologie ne serait que l’affaire des bourgeois·es, et serait l’ennemie du monde ouvrier et paysan. Partout, les mouvements sociaux et écologistes se rapprochent. Il y a quelques mois, un réseau écosyndicaliste a même été créé en France.

Parce qu’il repose sur une croissance continue, le système capitaliste surexploite les ressources naturelles au point de les épuiser. Aux déséquilibres des écosystèmes et à l’appauvrissement de la biodiversité, s’ajoutent les pollutions liées à la production.
Pour y remédier, le capitalisme vert mise sur des solutions technologiques, qui ouvrent de nouveaux marchés, sans jamais remettre en question le principe même de surproduction et de surconsommation.

Parmi les victimes : les salarié·es, les paysan·nes, les travailleur·ses pauvres, les privé·es d’emplois, les retraité·es… D’une part, parce qu’iels ne possèdent pas les moyens de production et ne peuvent donc pas décider de ce qui est produit, selon quels besoins et comment ; d’autre part, parce que les capitalistes leur imposent leur cadre de vie (métropolisation, transport, modes de consommation). « Ils les contraignent donc à participer à la destruction de l’environnement. » (1)

Un mouvement ouvrier écologiste dès l’origine

Pour autant, les classes populaires ont une conscience écologique. Patrick Farbiaz, militant de PEPS (Pour une Ecologie Populaire et Sociale (2)) et l’un des initiateurs de l’appel pour un réseau écosyndicaliste, l’a rappelé lors des rencontres des syndicalistes autogestionnaires et libertaires qui se sont tenues à Montreuil en mai (3) : « Les ouvrier·es doivent se réapproprier leur histoire, parce que l’écologie est présente dès le XIXe siècle dans leur mouvement. Iels savent intuitivement que leur survie est en jeu. »
Comme Patrick Farbiaz le rappelle dans un article paru dans la revue Contretemps (4), les maladies professionnelles telles que la silicose ou celles liées au plomb, l’amiante, le phosphore, ont très vite alerté les travailleur·ses. Rapidement aussi, iels ont vu les conséquences de la production sur l’écosystème urbain qui entourait les usines et les mines. Patrick Farbiaz cite en exemple les luttes en Andalousie autour des mines de Rio Tinto ou les grèves des femmes contre la céruse en Angleterre.

Ces luttes ont malheureusement été effacées au profit d’une autre histoire écrite notamment par les communistes productivistes. Plus tard, les Trente Glorieuses conforteront l’idée que sans croissance, pas de salut ! L’écologie remettant en cause le productivisme, elle devenait « l’ennemie de l’emploi et du salaire ouvrier ».
Mais dans les années 1970, les catastrophes industrielles notamment ont ouvert la voie à de nouvelles contestations. « Une insubordination ouvrière se manifestait contre les « dégâts du progrès » et remit en cause la modernisation productiviste dans plusieurs secteurs », souligne Patrick Farbiaz. Les catégories les plus exploitées se soulevèrent et aux Etats-Unis, elles parvinrent même à inventer les notions clés de justice environnementale et d’écologie de la libération (4).

Aujourd’hui, partout sur la planète, y compris en France, des résistances au système productiviste et extractiviste se multiplient. Par exemple, contre l’accaparement et la bétonisation des terres agricoles (Soulèvements de la Terre et de la Mer, ZAD - Zone A Défendre, JAD - Jardins A Défendre…), pour les luttes éco-féministes, pour la justice sociale et environnementale (Plus Jamais Ça, Youth For Climate, Extinction Rebellion…).

 

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Un champ de bataille : l’entreprise

Mais concrètement, comment faire converger à nouveau les mouvements sociaux et écologistes ?
L’écosyndicalisme se présente comme une des réponses à cette question : il s’agit pour le syndicalisme de prendre en charge l’écologie et, inversement, pour le mouvement écologiste de prendre en charge la défense des intérêts des travailleur·ses.

Le champ de bataille serait donc notamment celui de l’entreprise parce que, comme le souligne Patrick Farbiaz, « c’est dans les entreprises que nous affrontons les conséquences du productivisme : amiante, pollution chimique, air pollué, ondes électromagnétiques, énergie nucléaire… Ce sont d’abord les ouvrier·es qui meurent des cancers professionnels liés aux produits chimiques… C’est dans les entreprises de services que les nouvelles maladies liées au stress et à l’intensification du travail, au harcèlement psychique et à la course à la rentabilité se traduisent par la souffrance au travail qui va jusqu’aux suicides (...) Ce sont les salarié·es du commerce qui subissent les effets de temps partiels imposés, d’univers sonores abrutissants, celleux de l’agriculture qui sont les premières victimes des dangereux produits phytosanitaires ou des nitrates » (5).

Aborder les questions clivantes

En novembre 2021, Patrick Farbiaz a appelé à la création d'un réseau écosyndicaliste en France. Il émanait d’Emancipation (6) (une tendance intersyndicale qui regroupe des personnels de l’Education nationale, des étudiant·es, des lycéen·nes) reliée au mouvement PEPS (un mouvement d’écologie populaire anticapitaliste, œuvrant justement à la convergence entre les luttes sociales et environnementales).
Au total, 130 membres syndicaux et syndicales, et quelques unités provenant de la CGT, FSU et Solidaires ont signé cet appel. « Il y a maintenant une équipe d’animation et trois groupes d’actions : éducation, énergie et déchets », a précisé Patrick Farbiaz à Montreuil.

L’objectif du réseau : informer les travailleur·ses ; les soutenir dans leurs luttes ; mutualiser leurs expériences ; ouvrir le débat sur les questions d’écologie dans le travail : le nucléaire, la croissance, la reconversion écologique, la taxe carbone, les nouvelles formes de luttes issues de la désobéissance civile, le revenu garanti, le protectionnisme et les normes sociales et environnementales à imposer... « Il faut oser le faire, même si ces questions sont clivantes », a assuré Patrick Farbiaz. Pourquoi le sont-elles ? Parce que simplement pointer du doigt une industrie polluante peut mettre en cause la pérennité d’un site de production et ainsi, les emplois. A moins que les travailleur·ses s’emparent elleux-mêmes de ces questions et œuvrent ensemble à leur reconversion.

Vers une reconversion des emplois

C’est ce qu’encouragent les écosyndicalistes à l’intérieur des entreprises dans lesquelles iels militent. Mais selon le principe de l’auto-organisation chère aux libertaires, les travailleur·ses doivent décider elleux-mêmes du chemin à prendre. Des actions sont déjà en cours dans des secteurs comme l’énergie (par exemple chez Total à Grandpuits), les déchets (Séché à Toulouse, ville de Marseille, Sépur dans l’Essonne), l’aéronautique (Airbus)…

A Montreuil, Solène, salariée de l’UNIA en Suisse, a témoigné : « Nous avons créé une plateforme qui regroupe militant·es du climat, féministes et syndicats. Nous avons rédigé un manifeste qui reprend des revendications transversales, notamment celle de la reconversion professionnelle, et des cahiers de revendications plus spécifiques aux branches. » Elle a également participé à la mise en place d’un outil démocratique baptisé « L’initiative ». « L’objectif est de reconvertir 1.000 emplois industriels vers les métiers du soin notamment. » Dans sa région, la production de montres de luxe domine. « Il ne s’agit pas de désindustrialiser puisque l’outil est là, mais juste d’arrêter de produire des trucs qui ne servent à rien et de produire de l’essentiel ! »

 

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Protéger les lanceur·ses d’alerte

Autre but du réseau écosyndicaliste : protéger juridiquement les lanceur·ses d’alerte. L’actualité le prouve avec l’affaire de la centrale nucléaire de Tricastin (7), celleux qui s’expriment pour dénoncer les atteintes à l’environnement ont besoin de soutien. « Les salarié·es savent des choses, iels se posent beaucoup de questions voire sont complètement dégoûté·es. Iels ont besoin de parler », a témoigné Yann, de la CGT Sud Loire, à Montreuil. Il avait eu l'occasion d'échanger avec des travailleur·ses de l’aéroport de Nantes. Là-bas, durant la lutte à Notre-Dame-des-Landes, des rapprochements avaient déjà eu lieu avec des zadistes. Des journées d’études prolongent actuellement ce type de liens.

Un levier révolutionnaire

Le collectif « Plus Jamais Ça » est un autre exemple de rapprochement. Créé en janvier 2020, il réunit les Amis de la Terre, Attac France, Greenpeace France, Oxfam France et la CGT, la Confédération paysanne, la FSU, l’Union syndicale Solidaires.
Ensemble, iels proposent « un plan de rupture » où revendications sociales et écologiques sont entremêlées. « Entre toutes ces organisations, les divergences existent, elles peuvent être importantes. Mais nous avons décidé de lister tout ce qui nous rassemble et de mettre de côté tout ce qui nous divise », a expliqué Jean-Yves Le Sage, membre de la CGT et du collectif « Plus Jamais Ça », lors des rencontres à Montreuil.
Il ne cache pas qu’au sein de la CGT, syndicat encore marqué par le productivisme, le débat pour rejoindre le collectif a été « violent ». « Martinez l’a imposé en force. Ça a aussi été le cas chez Greenpeace… Vous imaginez ? S’allier aux nucléocrates de la CGT ! »

Ces alliances tiendront-elles ? Beaucoup en doutent, y compris parmi les militant·es elleux-mêmes. Mais leur existence a le mérite de provoquer des rencontres entre des entités qui s’ignoraient, de faire advenir publiquement les débats et ainsi, d’ouvrir les consciences. Elles participent d’un mouvement dans lequel les plus exploité·es détiennent enfin les conditions de leur existence, et répondent à l’urgence sociale et climatique que l’époque leur imposent. Un formidable levier révolutionnaire pour, enfin, transformer la société en profondeur.

Fanny Lancelin

(1) Extrait du manifeste de l’Union Communiste Libertaire (UCL) écrit en 2019. Lire aussi la rubrique (Ré)acteur·ices.
(2) https://confpeps.org
(3) « Au taf ! », rencontres des syndicalistes autogestionnaires et libertaires à Montreuil organisée par l’Union Communiste Libertaire (UCL). Lire aussi la rubrique (Ré)acteur·ices.
(4) Justice environnementale : https://fr.wikipedia.org/wiki/Justice_environnementale
Ecologie de la libération : https://www.letempsdescerises.net/?product=lecologie-de-la-liberation
(5) https://www.infolibertaire.net/construire-leco-syndicalisme/
(6) https://www.emancipation.fr
(7) https://www.francetvinfo.fr/societe/nucleaire/centrale-nucleaire-du-tricastin-l-ouverture-d-une-enquete-est-un-soulagement-selon-l-avocat-d-un-ancien-cadre-d-edf_5186893.html

 

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