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Communisme libertaire : un projet de transformation radicale de la société

« Il n’y a aucune raison pour que l’Histoire ait atteint son stade ultime :
le capitalisme ne sera pas la dernière forme de la société humaine. »
Manifeste de l’UCL

C'est un mouvement politique qui ne cherche à gagner aucune élection. Mieux : en pleine campagne des présidentielles, il organisait une contre-campagne, anti-électoraliste, en expliquant pourquoi voter aujourd’hui, même pour un parti de gauche, ne changerait rien à la vie de la majorité des Français·es.

Pour l’Union Communiste Libertaire (UCL), la transformation radicale de la société ne peut venir que de luttes menées par la base. D’un mouvement massif qui fait naître et vivre partout des contre-pouvoirs : des syndicats dans les entreprises et les lieux d’études, des coopératives et des bourses de travail, des comités pour dénoncer le mal-logement, des collectifs féministes, écologistes et anti-racistes, des fronts anti-fascistes...

Le but : contrer le capitalisme. Vaste programme ? Sans doute. Mais qui porte en son sein des formes d’émancipation enthousiasmantes.

A l’heure où le « Peuple de Gauche » est enjoint à se rallier derrière une énième union de façade pour faire face au néo-libéralisme, quel autre projet de société est possible ? Quels sont les contre-pouvoirs que l’UCL encourage et comment s’organisent-ils ? Quelles sont leurs revendications et pour quels résultats ?

Ces questions ont été débattues lors des rencontres des syndicalistes autogestionnaires et libertaires organisées par l’UCL en mai à Montreuil et baptisées « Au taf ! ». Parmi les participant·es, Adrien, venu de Bourges.

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« Se rapprocher, faire ensemble »

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Né dans la Sarthe il y a 30 ans, d’un père tuyauteur et d’une mère bibliothécaire, Adrien n’a pas été biberonné à l’engagement politique et social. Les contestations de la société capitaliste, c’est dans des chansons punk qu’il les entend d’abord. Et puis un jour, dans une rue du Mans, alors qu’il porte un t-shirt avec le A symbolique de l’anarchie, quelqu’un l’aborde : « C’était Bernard Touchais, un militant de la fédération anarchiste, se souvient-il. On a discuté et il m’a invité à des cafés libertaires. C’étaient des discussions plutôt philosophiques qui appelaient à une forme de société plus juste. »
A partir de 19 ans, il se concentre sur ses études. A l’université du Mans, il croise la CGA, la Coordination des Groupes Anarchistes, et manifeste lorsque l’occasion se présente. En 2018, il passe son CAPES en histoire-géographie et travaille comme assistant d’éducation. « Je me suis pris l’exploitation en pleine face ! C’est à ce moment-là que j’ai commencé à militer vraiment. » Il se syndique à la CNT (Confédération Nationale du Travail) du Mans. C’est dans ses rangs qu’il apprend l’existence de l’Alternative Libertaire, qui s’apprête alors à fusionner avec la CGA pour former l’Union Communiste Libertaire, l’UCL. « Théoriquement, ces organisations étaient sur des bases très proches. Il était inutile de poursuivre séparément. C’est aussi ce qui m’a attiré à l’UCL : souvent, les organisations politiques naissent de scissions ; là, il s’agissait de se rapprocher, de faire ensemble. »

Il intègre ainsi l’UCL dès sa création en 2019, alors qu’il prend un poste d’enseignant en histoire-géographie à Bourges. Il constitue aujourd’hui une « liaison » rattachée au groupe d’Orléans.

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Un principe fondamental : l’autogestion

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Mais qu’est-ce que le communisme libertaire ? Un mouvement politique qui puise ses racines dans les courants anarchistes (1). Ainsi, le mot « communisme » ne fait pas référence au marxisme-léninisme.

Les libertaires sont opposé·es aux socialismes d’Etat dont le léninisme est un exemple. Iels leur reprochent notamment l’institution d’un parti unique dirigeant, l’étatisation de l’économie et des moyens de production, la perpétuation des rapports de hiérarchie… et un bilan « terrible » : « des dictatures sanglantes ont entaché le mot même de « communisme » », écrivent-iels dans le manifeste de l’UCL (2). « La forme centralisée et hiérarchisée du parti léniniste (…) conduit à la tyrannie à l’intérieur de l’organisation, à l’écrasement de la contestation à l’extérieur, à la coupure entre le parti et les travailleurs et travailleuses, entre le parti et la société. »
Iels dénoncent les nationalismes de gauche comme le nassérisme en Egypte, le péronisme en Argentine ou le chavisme au Vénézuela qui n’ont fait que « façonner un capitalisme national, associé à un Etat fort dirigé par un leader charismatique, main dans la main avec le patronat patriote, et en mettant les mouvements sociaux sous tutelle ».

Alors, qu’entendent les libertaires par « communisme » ? « La mise en commun des moyens de production, sans appropriation privée ni privative, décentralisée c’est-à-dire sans classes et sans Etat, et la répartition des richesses créées en fonction des besoins de chacune et chacun. »
Dans ce projet de société, les moyens de production et d’échanges sont considérés comme « biens communs » et sont gérés sous la double responsabilité de fédérations professionnelles et d’échelons territoriaux (communes, régions…).
La production est guidée par « la planification démocratique », qui recense les besoins de la population en termes de logement, d’alimentation, de déplacements, de santé, de formation…

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Transformer la nature du travail

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Mais qui planifie ? Les travailleurs et travailleuses elleux-mêmes, organisé·es selon le principe de l’autogestion. « Dans l’autogestion, les responsables, délégué·es, coordinateurs et coordinatrices, sont élu·es et révocables par les assemblées de base. [Iels sont] tenu·es de mettre en œuvre les grands choix dans l’organisation du travail selon un mandat impératif. » (2) Le mandat impératif est un document rédigé collectivement (par exemple, par un groupe de travail, une commission) qui définit précisément les tâches, les missions à réaliser. Des délégué·es sont choisi·es pour les mener à bien. Iels peuvent être révoqué·es s’iels ne remplissent pas leur rôle.

Tout cela passe par une transformation de la nature du travail. Plus question de séparer les fonctions manuelles et intellectuelles : chacun·e doit pouvoir participer à la conception, à la décision, à l’exécution, au processus de production… « La nature même du travail est aujourd’hui interpellée, beaucoup plus que dans les années 1950 ou 1960, a expliqué Jean-Marie Pernot, chercheur à l’IRES (3), présent aux rencontres de Montreuil, « Au taf ! ». Il existe un nouveau paradigme : la lutte pour la reconnaissance. Autrefois, on acceptait la subordination dans le travail contre des avantages sociaux mais le néo-libéralisme a rompu ce pacte. Dès lors, les travailleur·ses s’insurgent de l’organisation du travail mais aussi du contenu, de ce qu’on leur fait faire. C’est un point de conflictualité et de radicalité dont nous devons nous saisir. »

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Pour une démocratie directe

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Parce qu’il a pour objectif et pour condition l’émancipation des individus, ce communisme est dit libertaire. Il veut substituer à l’Etat parlementaire, et donc à une démocratie indirecte, une fédération autogestionnaire fondée sur une démocratie directe.
L’échelon essentiel sont les communes, fédérées dans des régions autonomes au niveau agricole et industriel notamment, pour permettre un maximum d’échanges en circuits courts.
Les assemblées populaires, qui réunissent une fraction de la population selon les thèmes à débattre, sont la cellule démocratique de référence. Ce sont elles qui mandatent et éventuellement révoquent les délégué·es qui forment les conseils des communes, des régions et de la fédération. Ce qui n’exclut pas de consulter régulièrement l’ensemble de la population sur les grandes orientations que doivent prendre ces communes, ces régions, cette fédération.
« Le peuple souverain auto-institue la société, autogouverne sa politique, autogère sa production et plus globalement, détermine ses besoins collectifs et les façons d’y répondre », souligne le manifeste de l’UCL.

Pour autant, pas question d’uniformiser les modes d’organisation ou de pensée : « La démocratie directe implique la liberté d’expression et d’organisation, la liberté de culte, la liberté de la presse. Des courants de pensée organisés peuvent défendre leur point de vue et nourrir le débat (…). »

Au sein des associations auxquelles il participe, comme l’association militante Ki-6-Col à Bourges, Adrien tente de faire vivre ces principes : « Par exemple, par la refonte des statuts. J’aspire à faire entrer la culture du mandat et à le dépersonnaliser. L’important, c’est la mission, il faut donc que le mandat soit cadré collectivement, contrôlable et révocable. »

 

Eco délégués CE

 

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Contre le capitalisme

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Pour transformer en profondeur la société, le communisme libertaire s’oppose radicalement au capitalisme et à ses fondements comme l’exploitation du travail humain au profit de minorités dirigeantes et privilégiées, l’exploitation des ressources naturelles menant à leur destruction, la domination étatique et patronale sur la société, un développement mondial inégal...

La société reste divisée en classes sociales.
Ainsi, la classe capitaliste est constituée des propriétaires et des gestionnaires qui s’accaparent la plus-value de la production.
La classe prolétaire se compose de groupes sociaux privés de toute propriété ou moyens de production, donc contraints à vendre leur force de travail manuel et / ou intellectuel sans pouvoir réel sur les prises de décision.
Loin d’être uniforme, elle englobe aujourd’hui des travailleur·ses tel·les que les ouvrier·es, paysan·nes mais aussi cadres, ingénieur·es, technicien·nes, les indépendant·es, les sous-traitant·es, les micro-entrepreneur·ses, les privé·es d’emploi…
Cet éclatement du prolétariat en plusieurs sous-classes est une stratégie du capitalisme pour empêcher le regroupement des travailleur·ses en organisations efficaces. Conséquence : une grande difficulté à transmettre et à faire vivre la conscience de classes.

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Abolir le patriarcat

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Parmi les travailleur·ses les plus exploité·es par le capitalisme : les femmes et les LGBT. L’un des thèmes essentiels du combat libertaire est ainsi la lutte antipatriarcal.
Le patriarcat est un système politique et économique basé sur la division sexuée du travail.
D’un côté, le patriarcat tire parti du travail gratuit en majorité encore effectué par des femmes dans la reproduction de la force de travail : enfanter, éduquer les enfants, accomplir le travail domestique et les soins... De l’autre, il surexploite les femmes dans des métiers largement déconsidérés et sous-payés. Ainsi, les femmes sont souvent astreintes aux temps partiels imposés, au chômage, à la précarité.
Le patriarcat s’appuie sur une construction sociale, le genre, et véhicule un ensemble de préjugés qui leur attribuent des qualités ou des défauts « innés ». Il justifie ainsi une domination à la fois idéologique, culturelle, sociale, économique et politique.

Aux rencontres de Montreuil, une partie des débats se sont concentrés sur les enjeux de la syndicalisation des secteurs féminisés (lire aussi la rubrique (Re)découvrir).
Les objectifs des communistes libertaires sont d’abolir le patriarcat en tant que système de domination, de faire advenir une réelle égalité civile entre hommes et femmes, ainsi que la liberté des femmes de disposer de leur corps et de leur capacité reproductrice dans l’espace intime comme dans l’espace public.

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« Instruire pour émanciper »

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Comment ? Par l’éducation et la formation qui permettent à tous·tes de conscientiser les discriminations sociales, sexistes, racistes, validistes. Mais pas seulement. « La Révolution repose sur une dimension éducative, souligne Adrien. En effet, sans éducation comment auto-organiser la société ? Les libertaires réfléchissent depuis longtemps aux questions de l'éducation et de l'école. Au XIXe et XXe siècles, iels sont partie prenante des réflexions sur les pédagogies nouvelles ou actives avec des pédagogues comme Francisco Ferrer, Freinet ou Paulo Freire... »
Enseignant en lycée, Adrien s’interroge : « En tant que libertaire et enseignant libertaire, comment instruire pour émanciper, comment produire de l'autonomie plutôt que de la soumission ? Comme le rappelle notre manifeste, le système éducatif prend une part considérable dans l'aliénation de l'individu en reproduisant l'ordre social établi et en le lui faisant accepter dès son plus jeune âge. C'est d'autant plus vrai ces dernières années avec les différentes réformes Blanquer et ses paniques morales réactionnaires. Des collègues mettant en place des pratiques plus émancipatrices subissent une répression comme à l'école Pasteur de Saint-Denis ou Sud Educ 93, dont la dissolution était demandée par des élus Les Républicains (4). »

Est-ce contradictoire d’enseigner au sein de l’Education nationale, un ministère d’Etat, et d’être libertaire ? Pas si on considère que les contre-feux doivent être allumés dans tous les secteurs de la société. « Il y a une tension entre l'éducation telle qu’elle est actuellement et contre laquelle nous luttons (notamment avec nos syndicats), et celle à laquelle nous aspirons, reconnaît Adrien. L'UCL défend des pratiques pédagogiques fondées sur le rationalisme, la coopération, la créativité, le respect de la spécificité de chacune et de chacun pour forger des individus libres et responsables, en capacité de comprendre et d'agir sur le monde qui les entoure. Les libertaires prônent une éducation qui vise à développer, sans les hiérarchiser, les capacités physiques, intellectuelles et artistiques et donc une éducation polytechnique. »

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Pas de salut dans les élections

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Pas de capitalisme sans collaboration de l’Etat. Si le principe étatique existe depuis plusieurs milliers d’années, l’Etat moderne tel que nous le connaissons dans nos sociétés occidentales est récent : il concentre force militaire, policière, judiciaire et fiscale. Il entretient le mythe d’une unité nationale par-delà les classes sociales pour, au final, imposer une uniformisation culturelle.

Le gouvernement est un instrument des intérêts du capital, notamment en défendant les grandes entreprises privées et en tissant des liens de plus en plus étroits avec la sphère marchande. L’avènement de la social-démocratie n’y a rien changé, bien au contraire ! Lorsque la gauche est au pouvoir, on constate un affaiblissement des mouvements sociaux sous couvert de « paix sociale », et une certaine soumission des organisations syndicales au calendrier électoral ou à celui du gouvernement.
Si l’accession au pouvoir de la social-démocratie a amené certaines avancées au XXe siècle, c’est parce qu’il y a eu durant ces périodes de véritables luttes menées à la base. C’est pourquoi, l’UCL encourage les contre-pouvoirs qui marquent une véritable rupture avec l’Etat.

Pour les libertaires, il n’y a donc pas de salut dans les élections. L’UCL milite pour un boycott des institutions de l’Etat et des élections représentatives, puisqu’elle souhaite une démocratie directe et le fédéralisme.
Que pense Adrien de l’Union populaire ? « Ça ne change pas grand-chose pour nous. Même si avoir une gauche réformiste au pouvoir, ce n’est pas pareil que l’extrême droite, ça ne changera rien pour notre classe sociale. Quand il y a des avancées sous un gouvernement de gauche, c’est grâce à la pression de la rue. »

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Expérimenter dès aujourd’hui

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Dès lors, sur quel terrain se battre ? Dans les entreprises, sur les lieux d’études, dans les instances qui régissent le cadre de vie, dans le mouvement pour l’écologie, le droit des femmes, contre le racisme… Pour les communistes libertaires, seules les luttes directes conduites à la base peuvent imposer de véritables transformations. La révolution ne peut être que massive. Mais pas question d’attendre « le grand soir » ! Il s’agit d’expérimenter dès aujourd’hui un projet de société alternatif par des actions et des engagements, dans les espaces de vie et de luttes. Participer aux initiatives qui permettent de se réapproprier la production, la distribution, l’éducation… en y apportant des combats anticapitalistes, et des pratiques autogérées et émancipatrices.

Ainsi, localement, Adrien essaie de prendre part à ce qui fait sens pour lui : « En étant seul ici à Bourges, c’est compliqué pour moi d’initier des actions. Le but est donc plutôt de soutenir des luttes locales et d’encourager des inter-orgas. » Par exemple, l’UCL fait partie du front antifasciste de Bourges et du collectif Bassines Non Merci Berry (5) qui compte aussi Urgence Uni·es pour le climat, ATTAC, la Confédération paysanne, la Coopération Intégrale du Haut Berry...

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L’importance du syndicalisme révolutionnaire

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Parmi les contre-pouvoirs que l’UCL encourage : le syndicalisme révolutionnaire.
Selon les réalités des terrains où se trouvent ses membres, iels peuvent adhérer à des syndicats différents, par exemple la CGT, Solidaires, la CNT… Adrien adhère aujourd’hui à Sud-Education. « Lorsque j’y suis entré, j’ai suivi des journées de formation. Il y en a sur l’inter-professionnelle ou sur la manière de militer syndicalement contre l’extrême droite, par exemple. Ça m’a fait beaucoup évoluer sur des choses que je ne connaissais pas forcément. Ça me permet d’être plus fort dans mon engagement politique. »

« Au taf ! », les participant·es ont évoqué l’efficacité des actions syndicales traditionnelles. « Les manifestations, aujourd’hui, le pouvoir politique s’en fout, a assuré le chercheur Jean-Marie Pernot. Chaque matin, ce sont les cours de la bourse que les politiques regardent, pas le nombre de manifestant·es dans la rue. Le problème des grands rassemblements, c’est que ça ne bloque pas le patronat. Ça peut permettre une forme d’unité, mais ça n’est plus assez efficace. »
Dès lors, des actions telles que la grève générale, le boycott, le sabotage ouvrier, le blocage peuvent être envisagées, ainsi que de nouvelles formes qui restent à inventer, à condition qu’elles viennent des travailleur·ses elleux-mêmes.
Jean-Marie Pernot a identifié les revendications qui peuvent nourrir le répertoire syndical actuel : la question des salaires, notamment les plus bas ; le temps de travail au long de la vie ; les conditions de travail ; les dégâts de l’économie sur la vie des travailleur·ses et sur l’environnement ; la défense des secteurs hyper féminisés (lire aussi la rubrique (Re)découvrir)…

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La perspective de l'interprofessionnelle

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Créer des structures locales inter-professionnelles est une piste. Membre de la commission travail de l’UCL et syndiqué à Rennes, Kaou a rappelé aux rencontres de Montreuil comment le capitalisme divise les communautés de travail et par conséquent, les forces syndicales : « éclatement des collectifs de travail, éclatement des lieux de travail (favorisé notamment par le développement des outils numériques), éclatement des statuts d'emploi... Certes, ça a toujours existé. Mais le syndicalisme que nous connaissons, celui dans lequel nous militons, est encore en grande partie celui des Trente glorieuses… Depuis 40 ans, cette réalité n'est plus et notre syndicalisme est comme en « PLS ». Et lors de ses moments de lucidité, il tente de courir derrière les évolutions imposées par le capital qui a réussi à modifier le rapport de forces entre les classes en sa faveur. »

Récemment, des victoires ont été remportées par des travailleur·ses qui ont su se ré-organiser. Kaou a ainsi cité le collectif parisien CGT du nettoyage, qui regroupe des syndicats des entreprises et administrations donneuses d’ordre, ainsi que des syndiqué·es de sociétés de nettoyage qui adhèrent individuellement à des unions locales. Alors qu’iels ne travaillent pas pour les mêmes employeur·ses et qu’iels n’ont pas forcément les mêmes statuts, iels parviennent à créer un cadre de discussions et d’actions commun. « Cela donne lieu à de l'entraide lors des grèves, à des pressions sur les entreprises donneuses d'ordre, qui ont la main sur les contrats de sous-traitance », a souligné Kaou.
Autre exemple : « la fédération Sud Rail s'est construite dès sa création avec l'objectif de syndiquer tous·tes les travailleur·ses qui permettent le fonctionnement du transport ferroviaire. Ce syndicalisme de branche rassemble bien sûr des conducteur·ices de train, contrôleur·ses, agent·es des gares mais aussi les salarié·es des entreprises sous-traitantes qui réalisent le nettoyage, la maintenance, les services en gare comme le gardiennage, l'assistance aux handicapé·es... »

Mais des blocages perdurent : « Récemment les salarié·es d'une nouvelle entreprise coopérative du secteur de l'énergie, Enercoop, basée à Paris, ont décidé de s'organiser, a raconté Kaou. Le syndicat CGT Energie Paris ne les a pas accueilli·es au motif qu'il ne syndique pas les travailleur·ses des entreprises concurrentes de l'ancien opérateur public de l'Energie (EDF/GDF). C'est l'union locale CGT qui les a soutenu·es pour créer leur équipe syndicale. Même si des liens se créeront et que des échanges auront lieu, il est dommageable que ces travailleur·ses, qui appartiennent au même secteur et font des métiers très similaires, ne puissent pas être réuni·es au sein d'une même structure syndicale pérenne. »

Pour faire advenir une interprofessionnelle, il ne s’agit donc pas simplement de défendre une profession, mais de réveiller une conscience de classes. « Il faut aussi faire sortir le syndicalisme de la simple question du travail, a affirmé Guillaume, membre du syndicat général du Livre. Autrefois, le syndicalisme de classes était dans les clubs de ciné, de sport, de lecture… »
D’où l’importance pour les communistes libertaires d’intégrer différents contre-pouvoirs pour contribuer à la formation, diffuser leur projet et mettre de l’huile dans le moteur des luttes.

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Une lutte écologiste antiproductiviste

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Parmi les courants syndicalistes qui se développent : l’éco-syndicalisme. Ou comment faire converger deux luttes. « La lutte écologiste est vitale ; elle n’est cohérente qu’en étant anticapitaliste et antiproductiviste », affirme le manifeste de l’UCL.

Parce que le capitalisme vert prône des solutions techniques qui ouvrent simplement de nouveaux marchés plutôt que de remettre en cause l’accumulation indéfinie du capital, les communistes libertaires n’attendent rien des réponses institutionnelles à la crise environnementale. Iels entendent combattre à la base, au sein d’associations ou du mouvement syndical. C’est le cas du collectif « Plus jamais ça » dont font partie la CGT et Solidaires ou le réseau écosyndicaliste. Au coeur de ces luttes : la question de la reconversion des emplois dans les secteurs les plus polluants, l’écologie sociale ou encore la révolution par le mouvement climatique… (lire aussi la rubrique (Re)visiter).

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Quel espace pour prolonger les mobilisations ?

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Ces questions intéressent particulièrement les jeunes générations. « A la CGT, j’entends que les jeunes sont sous-politisé·es et qu’iels ne se mobilisent pas, mais il y a bien des contre-exemples ! Les marches pour le climat, les luttes féministes, le mouvement contre les violences policières… a rappelé Adèle, membre de l'UCL, à Montreuil. La question, c’est plutôt : qu’est-ce qu’on leur propose comme espace d’organisation de masse pour prolonger leurs mobilisations ? »

A l'UCL, la question du recrutement se pose en permanence. Actuellement, le mouvement compte environ 600 adhérent·es actif·ves réparti·es dans des groupes locaux à travers toute la France. Un congrès est organisé tous les deux ans avec bilan et perspectives. Tous les trois mois, une coordination fédérale gère les questions de court terme. Et tous les quinze jours, c’est l’instance permanente, le secrétariat fédéral et les délégué·es des commissions thématiques, qui se réunissent. Chaque membre de l’UCL peut ainsi s’investir aux différents échelons de l’organisation.

Certains groupes locaux, comme à Montreuil, ont des processus d’intégration. « Nous ne voulons pas être une organisation « passoire » avec des gens qui entrent et sortent en permanence, explique Guillaume Davranche, de l’UCL de Montreuil. La base minimum, c’est que tu aies lu le manifeste et que tu t’y reconnaisses. On organise généralement une rencontre informelle puis on invite à participer à une action et enfin, aux réunions. Si tout se passe bien, la personne adhère. Elle règle une cotisation mensuelle selon ses revenus ; notre organisation s’auto-finance. »
Les membres de l’UCL sont invité·es à se retrouver chaque été aux Journées d’été rouge et noir en Aveyron pour des formations, débats et moments de convivialité.

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Les dominations ne sont pas une fatalité

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Le projet de société auquel aspirent les communistes libertaires est-il possible ? Il vit déjà dans bien des collectifs, qui ne se réfèrent pas forcément à l’UCL. « L’histoire contemporaine est marquée par la volonté des peuples à chercher des voies vers l’égalité sociale et politique », rappelle le manifeste du mouvement. Les communistes libertaires s’inspirent d’exemples tels que la Commune de Paris, les révolutions au Mexique, en Russie et en Ukraine, en Corée, en Espagne, et aujourd’hui au Chiapas chez les Zapatistes et au Rojava avec la lutte des Kurdes… Des exemples qui donnent de l’espoir et nourrissent tous·tes celleux qui cherchent à abolir les dominations. Et comme le souligne le manifeste de l’UCL : « Il n’y a aucune raison pour que l’Histoire ait atteint son stade ultime : le capitalisme ne sera pas la dernière forme de la société humaine. Les systèmes de domination (…) ne sont pas une fatalité. »

Fanny Lancelin

(1) Lire l’article de Guillaume Davranche paru dans L’Alternative Libertaire du 22 novembre 2020 : « 1880 : le « parti » communiste anarchiste affirme son existence » : https://www.unioncommunistelibertaire.org/?1880-le-parti-communiste-anarchiste-affirme-son-existence
(2) Le manifeste est disponible sur le site Internet de l’UCL : https://unioncommunistelibertaire.org/?-Manifeste-union-communiste-libertaire-
(3) IRES : Institut de Recherches Economiques et Sociales. http://www.ires.fr/
(4) https://www.revolutionpermanente.fr/Victoire-face-aux-parlementaires-Les-Republicains-Sud-Education-93-pas-dissout
(5) Bassines Non Merci Berry : collectif qui milite contre les retenues d’eau pour l’irrigation agricole, reliées directement aux nappes phréatiques.

 

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